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1939-1940 - De Gaulle à Blâmont (3)


De Gaulle en Lorraine : histoire d'une fidélité
Paul Zing
Éd. Gérard Louis, 1992
(notes renumérotées)

LA DRÔLE DE GUERRE

A la déclaration de guerre de Gaulle replie son régiment de chars à Nomeny, à mi-distance de Metz et de Nancy. Il n'y reste que peu de temps car il est bientôt désigné pour prendre le commandement des chars de la Ve Armée dont le chef est le général Bourret. Le colonel de Gaulle rejoint donc le Quartier général de son supérieur hiérarchique établi à Wangenbourg en Basse Alsace. Il s'installe chez M. Rébre, au n°5 de la route du Nideck (1).
C'est probablement de cette époque que remonte son attachement profond pour cette contrée des Vosges du Nord et notamment pour la petite station estivale lorraine de Dabo très proche de Wangenbourg. La beauté du site, le charme des paysages, les magnifiques forêts entourant la ville ont séduit de Gaulle. Plus tard, à trois reprises au moins, en avril 1957, en mars 1958 puis le 24 août 1970 - deux mois et demi avant sa mort - il éprouvera le besoin de revoir cette belle partie des Vosges gréseuses qu'il appréciait particulièrement. Ces jours-là il déjeunera à l'hôtel du Rocher à Dabo où il signera le Livre d'Or. Nous y reviendrons quand le temps sera venu.
Le 23 octobre 1939, le président de la République Albert Lebrun visite la Ve Armée. C'est au cours d'une revue en Moselle qu'a été prise l'une des plus célèbres photographies du colonel de Gaulle en tenue de chars, casque et veste de cuir. On le voit présentant ses blindés à Lebrun. De Gaulle en parle ainsi dans ses "Mémoires de Guerre" : "Vos idées me sont connues me dit aimablement (Lebrun). Mais pour que l'ennemi les applique, il semble bien qu'il soit trop tard." Et de Gaulle de commenter laconiquement : "C'est pour nous qu'il était trop tard". (2)
En son for intérieur il ne se fait guère d'illusions sur l'issue de la guerre (3). Il sait que seule une solide force mécanique française pourrait empêcher les Panzerdivisions de déferler sur la France. Puisqu'il ne dispose ni en nombre, ni en puissance des blindés qu'il souhaiterait, le colonel "Motor" s'attache à ce que ses bataillons de chars soient préparés le mieux possible. Il ne reste donc pas inactif pendant la "drôle de guerre", déplorant, comme il l'écrira dans ses "Mémoires de Guerre", de voir "nos forces mobilisées s'établir dans la stagnation". Ce n'est pas le cas avec lui. A la tête de ses blindés il ne perd pas son temps, ni celui de ses cadres - dont beaucoup ont été sous ses ordres au 507e de Metz -, ni celui de ses hommes. Il multiplie manœuvres, mises au point et recherches, ce qui le ramène souvent en Lorraine. (4)

Dès l'automne 1939, il crée un centre d'instruction et d'entraînement pour ses chars dans la région de Blâmont et de Cirey-sur-Vezouze, au pied des derniers contreforts des Vosges gréseuses
A Cirey-sur-Vezouze, il établit son P.C. chez un industriel, M. Mazerand et prend ses repas au mess des officiers installé à l'hôtel de Paris.

Au moment où cette étude est faite (1988), cinquante années se sont écoulées depuis cette époque. Les témoins sont rares. Nous avons eu la chance de recueillir le curieux et précieux témoignage d'une femme admirable : Mme Thérèse Adloff de Badonviller. Résistante dès la première heure, elle fit partie d'une organisation de passeurs qui, par la "route des évasions" du Donon et de Grande-Fontaine, sauva des centaines de personnes. Dénoncée, elle sera arrêtée par les Allemands en août 1942 et connaîtra pendant près de trois ans l'horreur des prisons et des camps. Condamnée aux travaux forcés à Breslau, elle sera internée dans les camps de concentration de Ravensbrück et de Mauthausen. Lorsqu'elle fut libérée le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge du comte Bernadotte, elle ne pesait plus que trente kilos. Elle est officier de la Légion d'honneur, médaillée Militaire et médaillée de la Résistance.
Mme Adloff a rencontré le colonel de Gaulle à Cirey-sur-Vezouze à plusieurs reprises en automne 1939. Sa première rencontre avec le futur chef de la France libre s'est faite dans des conditions curieuses, presque rocambolesques et en tout cas certainement uniques. Elle nous a raconté (5) ce petit événement qui reste pour elle un merveilleux souvenir et qu'elle avait déjà confié à Patrice Selingue pour le journal des anciens déportés "Nuit et Brouillard" de novembre 1985.
Après avoir indiqué qu'avant la guerre elle était avec son mari à la tête d'une petite entreprise de vente de boissons et de combustibles à Badonviller, Mme Adloff explique :
"A la déclaration de guerre, mon mari et son employé furent mobilisés et notre camion réquisitionné. Je fus donc obligée d'assurer seule la marche de l'établissement. Avec la petite camionnette qui nous restait, j'effectuais les livraisons chez les cafetiers et restaurateurs de quatre cantons : Badonviller, Baccarat, Blâmont et Cirey-sur-Vezouze.
"Un jour d'octobre ou novembre 1939, une de mes clientes de Cirey, Mme Georgel, qui hébergeait dans son établissement, l'hôtel de Paris, le mess des officiers, me demanda de lui livrer rapidement une caisse de "siphons" pour l'apéritif. Je ne disposais pas de siphons dans ma camionnette, mais je promis à ma cliente de les lui livrer sitôt ma tournée terminée. Les jours sont courts en automne et lorsque je repartis de Badonviller la nuit tombait.
"Arrivée à l'hôtel de Paris, je saisis la lourde caisse, gravis les quelques marches du perron et, maintenant la caisse avec mon genou, j'ouvris la porte et pénétrai dans le couloir. A cet instant, je butai contre deux jambes qui me parurent démesurément longues. Mme Georgel arriva aussitôt pour m'aider et me remercier de cette livraison tardive."
Avec humour, Mme Adloff ajoute : "Je songeais que le propriétaire des deux jambes ne devait pas me trouver aussi gentille que ma cliente, après le coup reçu dans les tibias lors de mon entrée. Je bafouillai quelques excuses, confuse de ma maladresse, d'autant que j'apprenais qu'il était le colonel des chars en cantonnement à Blâmont et à Cirey.
"Voilà ma rencontre avec de Gaulle dont, bien sûr, j'ignorais le nom. Sans rancune il me demanda d'où je venais et les raisons de ma présence seule dans la nuit, alors que la région regorgeait de militaires. J'expliquai la mobilisation de mon mari, de notre commis, la nécessité de faire tourner notre commerce. Le colonel demanda à ma cliente de ne jamais plus me déranger pour une telle futilité. "S'il n'y a plus de siphons, ils s'en passeront" dit-il. Il me recommanda la prudence et me posa quelques questions sur Badonviller et sur ce que nous avions subi lors de l'invasion par les Bavarois en 1914.
"Je croisai plusieurs fois le colonel à Cirey au cours des semaines suivantes. Il me saluait toujours en souriant." Mme Adloff poursuit : "Puis ce fut la drôle de guerre et la débâcle de 1940. En juillet 1940, je revis Mme Georgel qui me parla du général de Gaulle, de son appel de Londres et de l'espérance qu'il nous apportait. Devant mon ignorance elle ajouta : "Mais vous le connaissez : c'est le colonel des Chars !". C'est ainsi que j'appris que "mon" colonel était le général de Gaulle. Je dois confesser que j'étais un peu sceptique car je pensais que ma cliente était probablement très fière de pouvoir annoncer qu'elle avait reçu sous son toit le général de Gaulle."
Dix ans plus tard, le 31 juillet 1948, Mme Adloff rencontra le Général à l'Hôtel de Ville de Nancy. Elle lui fut présentée par un nancéien M. Bertin. Emue, intimidée, elle entendit vaguement ses propos : "...résistante... déportée... camps... éminents services..." De Gaulle, lui sourit et, se tournant vers Bertin déclara : "Ça ne m'étonne pas d'elle !" Puis à Thérèse Adloff, il dit : "Nous nous connaissons ; c'était où ?" Elle lui précisa : "A Cirey" - "Ah oui, c'est cela, à Cirey."
Rayonnante, Mme Adloff conclut : "Il m'avait reconnue. Je suis restée sans voix, lamentable, au point que je craignais que mes jambes ne me trahissent. Oui, le général de Gaulle était bien le "colonel des chars" !

C'est donc dans la région de Blâmont et de Cirey-sur-Vezouze que le colonel de Gaulle organise, de l'automne 1939 jusqu'en mars 1940, un camp d'instruction et d'entraînement pour ses unités blindées. Sa présence y est fréquente et il y fait manœuvrer ses bataillons à tour de rôle pendant quinze jours. Parfois cela soulèvera des difficultés car le matériel réservera quelques surprises. Les rigueurs de l'hiver 1939-1940 vont mettre à rude épreuve les chars de la Ve Armée dont certains modèles se révéleront inadaptés aux conditions hivernales.
Ainsi, prévus pour un stage d'entraînement à Blâmont en décembre 1939, les chars du 19e bataillon furent incapables de s'y rendre à la date voulue, leurs chenilles étant gelées, faute de garages ou d'abris pour les protéger du froid. L'essence gelait dans les réservoirs et il fallait faire tourner les moteurs toutes les deux heures. Au moment du départ les routes étaient couvertes de glace et de verglas. Les chars patinaient, faisaient du surplace. Il fallut une journée pour faire franchir un pont à un seul char (6). Les autorités décidèrent alors de transporter les chars par la voie ferrée. Mais à la gare de Réchicourt les plates-formes aussi étaient verglacées : un char tomba immédiatement, un autre glissa pendant le voyage et s'écrasa près de Sarrebourg sur une voie très fréquentée. Les chars arrivèrent en mauvais état et les pièces de rechange manquaient. A l'Inspecteur général des chars Keller qui s'était rendu à Blâmont, le colonel de Gaulle expliqua la situation. Mais Keller lui répondit qu'il ne pouvait rien faire de plus... (7)
La revue "En ce temps là" parle ainsi de l'action de De Gaulle en Lorraine : "Soucieux de tirer profit de l'inaction imposée à ses hommes, le colonel de Gaulle, commandant des chars de la Ve Armée, crée un centre d'instruction à Blâmont (Meurthe-et-Moselle). Il s'y attache aussi bien à la formation des cadres et des soldats qu'à des recherches sur l'emploi des matériels. C'est là qu'est essayé, par exemple, un système de lance-fascines : sur un châssis métallique au-dessus de l'engin, quelques quintaux de branchages sont fixés par un filin d'acier relié aux commandes de la tourelle. Devant l'obstacle à franchir, marais ou fossé fangeux de faible profondeur, le chef libère l'énorme fagot. Une ou plusieurs charges de cette nature doivent livrer le passage". La même revue reproduit une photographie d'un char équipé d'un "lance-fascines". L'aspect en est des plus curieux : l'engin blindé est surmonté d'un énorme amoncellement de branches dont le volume total dépasse celui du char lui-même. Mais le colonel de Gaulle ne se bornera évidemment pas à faire procéder à des essais de lance-fascines. Il fera manœuvrer ses bataillons de chars et s'intéressera à des études en vue de doter les chars légers R35 d'un équipement radio télégraphique.
Le général Paul Huard écrit : "De Gaulle attachait beaucoup d'importance aux progrès de l'étude de l'installation de la radiotélégraphie à bord des chars R35, encore au point mort, parce que les postes ER 54 retenus étaient trop volumineux pour la tourelle exiguë. Le 14 janvier 1940, il écrivait au général Delestraint : "Il faut trouver les transmissions radio nécessaires à l'échelon chef de bataillon et commandant du groupe de bataillons de chars légers, sinon devant les blindés allemands, les légers seront "couillonnés" (cité par J.F. Perrette, dans "le général Delestraint", p. 72). Au mois de mai 1940, un cinquième seulement des chars R35 auront la radio et tous ceux de la 4e D.C.R. en seront démunis. (8)
(...) Le 8 mars 1940, le colonel de Gaulle dirige à Blâmont un dernier exercice à sa manière devant le général Prételat qui fit cette remarque : "C'est un beau carrousel, mais le règlement s'en tient à l'accompagnement de l'infanterie." (9)
Le colonel Jacques Batissier - à l'époque jeune lieutenant - a rencontré le colonel de Gaulle à Blâmont en février-mars 1940. Son témoignage (10) sur ce qu'il appelle la "prescience" de son supérieur est fort intéressant.

Avec le 34e bataillon de chars cantonné dans le nord de la Moselle, le lieutenant Batissier était venu en stage à Blâmont. Un jour, comme il s'inquiétait avec un de ses camarades du devenir de cette "drôle de guerre", le colonel de Gaulle qui était présent fit cette étonnante prédiction :
"(...) L'ennemi attaquera vraisemblablement au début du mois de mai et percera nos lignes à Sedan, en direction générale d'Abbeville. Si tous les moyens blindés dont nous disposons ne sont pas concentrés sans délai dans le triangle Mailly-Suippes-Mourmelon, afin de monter une puissante contre-attaque de flanc qui pourra arrêter son action, puis l'annihiler, alors je crains le pire".
Le colonel Batissier conclut : "Cette idée ne fut pas reprise par le haut commandement de l'époque et nous connaissons, hélas, la suite."

Avec ce séjour dans la région de Blâmont se termine la première partie de l'histoire de De Gaulle avec la Lorraine. Quittant cette province avec le grade de colonel le 26 avril 1940 pour prendre le commandement par intérim de la 4e division cuirassée, il ne la retrouvera, en qualité de président du Gouvernement provisoire de la République, que quatre ans et demi plus tard lors de sa visite le 25 septembre 1944 à Nancy "que les troupes du général Patton venaient tout juste de libérer".

(1) Sur le séjour à Wangenbourg, voir "De Gaulle et l'Alsace"... Jacques Granier p. 25 à 28
(2) L'Appel p. 23
(3) Voir plus bas le témoignage du colonel Batissier
(4) Il se rendra plusieurs fois à Goetzenbruck, au P.C. du chef de bataillon Aymé, installé dans la salle à manger de la boucherie Nirrengarten.
(5) A Badonviller le 25 août 1988.
(6) Ce sont pourtant des chars du même type qui furent envoyés en mai 1940 à Narvik au nord de la Norvège...
(7) France-Inter fin octobre 1988
(8) Paul Huard. Le colonel de Gaulle et ses blindés Plon 1980 p. 37
(9) " " " p. 40
(10) Revue "Espoir" de l'Institut Charles de Gaulle N. 53 p. 37

 

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