Bulletin de la
Société Philomatique Vosgienne
1886/87
NOTE SUR LA MAISON DE SALM
La maison de Salm-en-Vosges
nous présente, dans le cours du moyen âge, un exemple très
remarquable des ressources qu'une branche cadette, ayant sa
fortune à faire, pouvait trouver dans les fonctions et
privilèges héréditaires de voué d'un établissement religieux.
Son chef, Hermann Ier, issu d'une famille qui avait eu des
comtes de Salm-en-Ardennes et de Salm-en-Luxembourg, était venu
dans les premières années du XIIe siècle s'établir sur un des
contre-forts du Donon, en qualité de voué du monastère de
Senones, grâce au choix d'un de ses oncles, qui était alors
évêque de Metz (1). Le fils aîné de ce cadet de famille, par
suite de son mariage avec la fille d'un comte de Blâmont, put
déjà léguer à son propre fils un groupe de fiefs considérables.
Celui de Blâmont dut s'en détacher plus tard; mais, dans la
suite, les descendants d'Hermann se dédommagèrent largement de
cette perte, tantôt par d'autres mariages en Lorraine, tantôt
par des acquisitions avantageuses dans le Val de Bruche, tantôt
enfin par des actes d'usurpation plus ou moins déguisée sur les
domaines de l'abbaye dont ils étaient les protecteurs
titulaires. De tout cela résulta que l'un d'eux, Jean V, en
allant mourir sur le champ de bataille de Bulgnéville pour la
cause de René d'Anjou(1431), put laisser à chacun de ses deux
fils une très belle part de comté, - l'une située sur le versant
occidental des Vosges, l'autre•s'étendant plus particulièrement
sur le versant alsacien. L'aîné de ces deux frères était Jean
VI, l'autre, Simon II.
C'est donc à dater de 1431 que la maison de Salm-en-Vosges se
partage en deux lignées parallèles, faciles à distinguer depuis
lors, bien que demeurant dans l'indivision pour la jouissance de
leurs droits territoriaux.
1° Lignée issue de Jean VI. - Le peu qu'il importe d'en dire
ici, c'est que, vers la fin du XVIe siècle, cette branche aînée
a eu pour unique héritière Christine de Salm, mariée à François
de Vaudémont, troisième fils du duc de Lorraine Charles III; -
d'où il résulta que sa part du comté de Salm se trouva réunie au
duché de Lorraine dans les mains de leur fils aîné, l'aventureux
Charles IV, en l'an 1633, à l'heure même où le roi de France
Louis XIII venait envahir ce duché. Donc, à partir de cette
date, il n'existe plus d'autres comtes de Salm que ceux de la
branche cadette, issue de Simon II.
2º Lignée de Simon II. Ce comte Simon a eu un fils aîné, nommé
Jacques, que l'on voit revêtu en 1473 des fonctions de
gouverneur d'Épinal, mais qui meurt prématurément, sans
héritiers directs, laissant sa portion de comté à sa cousine
Jeanne. Alors déjà cette Jeanne de Salm, petite-fille de Simon
II, est l'épouse d'un seigneur allemand, qui tient des faveurs
impériales, à titre héréditaire, la double qualification de
Rhin-und-wildgraff de Sommersberg. Celle de wildgraff peut se
traduire par l'expression de comte des chasses à la bête
sauvage; - et telle est l'origine de cette appellation familière
de « comte sauvage du Rhin, » par laquelle nos chroniques
lorraines désignent souvent les rhingraves de la maison dont il
s'agit.
Le château de Salm ayant fait partie de la dot de la comtesse
Jeanne, dame de Sommersberg, ses descendants ont eu le droit
d'en porter le nom, quoique n'étant de la race d'Hermann que par
ligne féminine. Voilà dans quelles conditions d'existence
féodale nous les retrouvons au temps des prédications de Luther
et de Calvin.
En l'an 1550, le rhingrave titulaire de Salm, « coparsonnier »
du comte de Salm Jean IX (maréchal de Lorraine), s'appelle
Philippe-François. C'est à lui que la Réforme doit son
introduction dans le Val de Bruche; c'est lui que Gravier, dans
son Histoire de l'arrondissement de Saint-Dié (page 246),
signale sans le nommer comme personnellement acquis à la
doctrine de Calvin. Au jour de sa mort, survenue en 1561, il
laisse quatre fils, dont l'ainé, Jean-Philippe, élevé par sa
mère dans la foi des ancêtres, va se faire tuer à Montcontour en
1569 pour la cause catholique, tandis que les trois autres
paraissent flotter entre le Calvinisme et le Luthéranisme. De
ceux-ci, le plus âgé est Frédéric, qui vit jusqu'en 1610 sans
avoir abjuré. Il en est autrement de son fils et successeur
Philippe-Othon, qui rentre dans le giron de l'Eglise en 1624,
afin d'obtenir le titre de prince d'Empire. Et c'est ce
Philippe-Othon qui occupe alors le territoire de Saverne pour le
compte de l'Évêché de Strasbourg, jusqu'au moment où, pour cause
imparfaitement connue, il jugera bon de le livrer à un chef de
détachement français.
Quant au fameux rhingrave Othon-Louis, que les historiens de
l'Alsace signalent comme un des plus zélés compagnons d'armes du
comte de Horn, il appartenait à une branche collatérale, dite de
Kirbourg, alors entièrement protestante. Un de ses frères, plus
jeune que lui, périt d'une mort glorieuse en 1638, sur les bords
du Rhin, comme maréchal de camp de l'armée de Bernard de Saxe.
Ainsi que je l'ai dit plus haut, c'est en 1633 que la partie
Nord-Ouest de l'ancien comté de Salm fut réunie au duché de
Lorraine, tandis que sa partie Sud-Est demeurait soumise aux
descendants du rhingrave de Sommersberg. Cette dernière, limitée
au Nord par le cours de la Plaine, débordait tout à la fois sur
la vallée de Schirmeck et sur celle de Senones. Mais, à cet
égard, il ne faut pas oublier qu'antérieurement à 1633
l'autorité de la branche rhingrave sur ces parages méridionaux
était déjà prépondérante, sinon exclusive ; de telle sorte que,
pendant soixante-quinze ans (1550-1624), les droits de
seigneurie de l'ancien voué du moyen âge furent en réalité
exercés par des princes protestants. - Voilà ce qui explique les
plaintes si souvent formulées par Dom Calmet, dans son Histoire
de l'Abbaye de Senones, au sujet des agissements de ces nobles
adeptes de la religion « prétendue réformée. »
Dom Calmet, dans son aperçu généalogique de la maison de Salm,
néglige à peu près complètement la branche des rhingraves; c'est
dans le Grand Dictionnaire de Moréri qu'il faut en chercher les
détails.
P. B.
(1) Depuis le IXe siècle, en vertu d'une décision
spéciale de Charlemagne, le monastère de Senones, quoique situé
dans le diocèse de Toul, dépendait de l'évêque de Metz. |