Dans l'article
Henri III a-t-il rencontré Louise de
Vaudémont à Blâmont ? - 1573, nous en étions arrivé à
conclure que la rencontre n'avait pas eu lieu à Blâmont, mais
précédemment à Nancy.
Le Comte de Baillon reste plus évasif sur la première rencontre
: « L'avait-il déjà aperçue dans sa première jeunesse à la
cour de France ? comme le prétend de Thou: lui apparaissait-elle
à Nancy pour la première fois, ainsi que le disent les autres
chroniqueurs ? nous l'ignorons ».
Mais surtout, il cite en notes deux éditions rares de « L'Oeconomie
spirituelle et temporelle de la vie des nobles et des grands du
monde » qui affirment que Henri « put encore la revoir à
Blamont, dernière ville frontière, et lorsqu'il prit congé
d'elle, il avait les larmes aux yeux ».
S'il est donc établi que ce n'est pas à Blâmont qu'Henri de
Valois vit Louise de Vaudémont pour la première fois, il
apparaît que c'est là qu'il la vit pour la dernière fois avant
son départ pour la Pologne, et que Louise de Vaudémont avaitt
par conséquent suivi le déplacement de la cour de Nancy à
Blâmont.
Histoire de Louise
de Lorraine, reine de France, 1553-1601
[Notes renumérotées]
Comte Charles de Baillon
Ed. Paris,Chez, L. Techener,1884.
En dépit de ces bruyantes
démonstrations de joie, il semblait que plus le trône se
rapprochait de Henri de Valois, plus son éclat, qui l'avait
d'abord ébloui, se ternît à ses yeux. S'expatrier dans une
contrée lointaine, aux mœurs rudes, au climat glacé, renoncer à
ce doux pays de France, aux plaisirs de cette cour voluptueuse
et raffinée, se séparer de tout ce qu'il avait aimé jusque-là,
même avec la compensation d'une couronne, c'était un sacrifice,
qui, chaque jour, lui devenait plus amer. Il n'était pas de
prétexte qu'il ne s'ingéniât à trouver, pour faire traîner les
choses en longueur et retarder le moment critique du départ;
l'hiver au moins se passerait, sans qu'on pût le forcer à
abandonner Paris. De son côté, Catherine, qui, stimulée par son
ambition, avait mis tout en oeuvre pour conquérir un trône à ce
fils bien-aimé, sentait peu à peu son orgueil faiblir devant le
chagrin de la séparation et ne cherchait, elle aussi, qu'à
gagner du temps. Mais Charles IX n'entendait pas se prêter à
tous ces délais ; devant sa mère, il déclara nettement à Henri
qu'il fallait bien qu'il allât en Pologne, puisqu'il l'avait
tant désiré. Les ambassadeurs insistaient également pour un
prochain départ, avec d'autant plus d'énergie que dans leur pays
les esprits commençaient à s'agiter et qu'on les rendait
responsables de tous ces délais : on était en octobre et les
résolutions de la diète dataient déjà de quatre mois. Il n'y
avait plus à résister, et, bien à contre-cœur, Henri dut
s'occuper activement des préparatifs du voyage.
Les ambassadeurs partirent les premiers : on leur donna
rendez-vous à Châlons pour le 27 octobre ; Charles IX, qui
tenait à conduire son frère jusqu'à la frontière du royaume,
prit les devants sur lui, pour aller chasser pendant quelques
jours dans la forêt de Villers-Cotterets; de là il se rendit à
Vitry, où il devait retrouver le roi de Pologne; mais, en y
arrivant, il tomba dangereusement malade d'une fièvre lente.
Cette nouvelle ajouta encore aux perplexités de Henri :
n'ignorant rien des intrigues de son frère le duc d'Alençon (1),
ni de la haine des huguenots contre sa personne, il craignait,
en cas de mort du roi pendant son absence, que la couronne de
France ne lui échappât. Ses amis lui conseillaient bien de
braver les ordres de Charles IX et de rester à Paris, mais il
n'osa pas et finit par se rendre avec la reine mère à Vitry, où
il trouva son frère entrant déjà en convalescence ; comme Henri
montrait encore quelque hésitation à se remettre en route, le
roi fut pris d'une violente colère, en jurant qu'il fallait que
l'un des deux sortît du royaume (2). « Partez, mon fils, dit
tout bas Catherine à Henri de Valois, partez, vous n'y
demeurerez guère (3) ! » Les deux frères se séparèrent alors, la
santé du roi Charles ne lui permettant pas encore d'aller
jusqu'à la frontière : ils s'étaient vus pour la dernière fois.
Le nouveau monarque était accompagné de la reine mère, du duc
d'Alençon, du roi et de la reine de Navarre, du prince de Condé,
des cardinaux de Bourbon et
de Guise et des principaux seigneurs de la cour: le duc Charles
III de Lorraine, gendre de Catherine de Médicis, les attendait à
Nancy et leur fit une magnifique réception.
Ce fut au milieu des fêtes célébrées à cette occasion, que Henri
de Valois rencontra Louise de Vaudemont, toute faite de grâce et
de beauté, le plus charmant fleuron de la couronne ducale de
Lorraine. L'avait-il déjà aperçue dans sa première jeunesse à la
cour de France ? comme le prétend de Thou: lui apparaissait-elle
à Nancy pour la première fois, ainsi que le disent les autres
chroniqueurs ? nous l'ignorons ; en tout cas, il avait déjà
distingué, sans la reconnaître, cette ravissante jeune fille,
qui se tenait modestement au milieu des dames de la duchesse
Claude de France, mais quel ne fut pas son étonnement, lorsque
sa soeur, en la lui présentant, lui fit savoir que celle qu'il
admirait ainsi n'était autre qu'une princesse de la maison de
Lorraine ? Cette beauté si gracieuse et si délicate émut, plus
qu'on n'aurait pu le supposer, le cmur frivole de Henri de
Valois, « qui s'embrasa de telle façon, qu'il couva le feu tout
du long de son voyage (4). » Il put encore la revoir à Blamont,
dernière ville frontière, et lorsqu'il prit congé d'elle, il
avait les larmes aux yeux, « en la conjurant de le recommander à
Dieu et en l'assurant que, si le ciel lui permettoit de se bien
établir en Pologne, il feroit paroître combien il honoroit son
mérite. (5) » Faudrait-il, comme on l'a dit, attribuer cette
impression si subite et si profonde du roi de Pologne à une
ressemblance frappante de la jeune princesse Lorraine avec Marie
de Clèves, princesse de Condé, dont il venait de se séparer avec
d'amers regrets (6) ? Peut-être en était-il ainsi, mais, au
moment où Catherine de Médicis dut faire ses adieux à ce fils «
que d'affection, de devoir, d'espérance et de crainte elle
idolastroit (7)», au milieu des embrassements et des pleurs
qu'elle lui prodiguait, Henri ne lui dissimula point le projet
qu'il avait déjà formé de faire une reine de sa jeune cousine
(8).
(1) M. Forneron, les ducs de Guise, t. 2, p. 203.
(2) Marguerite de Valois, Mémoires, p. 67.
(3) A. Malet. Louise de Lorraine se rattachait à la maison de
France par René d'Anjou et par Renée de Bourbon, sa grand'mère.
(4) Brantôme, t. IX, p. 509. Édition publiée par la Société de
l'Histoire de France.
(5) L'Oeconomie spirituelle et temporelle de la vie des nobles
et des grands du monde, dressée sur la vie, piété et sage
oeconomie de Louyse de Lorraine, royne de France et de Pologne,
par A. Malet, théologien chancelier du duc de Mercoeur,
conseiller et confesseur ordinaire de Mmes les duchesses de
Mercoeur et de Vendôme. Cet ouvrage fort rare se trouve à la
bibliothèque de Sainte-Geneviève, en deux exemplaires in-4, dont
l'un est daté de 1619 et l'autre de 1621.
(6) François, d'abord duc d'Alençon, puis duc d'Anjou, lorsque
son frère fut monté sur le trône de France, était le quatrième
fils de Henri II et de Catherine de Médicis; il naquit en 1554.
A l'époque dont nous parlons, il se montrait favorable aux
protestants, et on le trouva toujours à la tête des mécontents,
jusqu'à ce que sa mère lui eût fait de tels avantages qu'il se
décida à combattre ses anciens amis. Il mourut en 1584, au
retour de sa désastreuse expédition dans les Pays-Bas.
(7) D'Aubigné, t. II, p. 107.
(8) Marquis de Noailles, t. II, p. 388. |