Quel serait donc ce curieux
laboratoire situé à Blâmont en 1917, qui produirait des
préparations au foie de morue pour une compagnie pharmaceutique
de Boston ?
Proceedings of the National Wholesale Druggist's
Association at Chicago Hill Congress Hotel, October 1 to
4, 1917.
NATIONAL WHOLESALE DRUGGISTS'
ASSOCIATION
ASSOCIATE MEMBERS-Continued.
MASSACHUSETTS
BOSTON
FUCO-MORRHUUM Co.,The
C. D. Werthemer, Agent for all America.
(Laboratories Blamont; Muerthe-Moselle,
French-Lorraine.) |
On sait bien entendu qu'en
1917, Blâmont est sous occupation allemande, quasiment vidé de
toute sa population. Faire ainsi allusion à un laboratoire
pharmaceutique apparaît donc immédiatement comme une fausse
allégation : mais qui se cache derrière ce mensonge ?
On retrouve la marque déposée au Canada en janvier 1914 pour une
« Société des grands produits de France » :
The
Canadian Patent Office Record and Register of copyrights
and trade marks
Ottawa 1915
Trade mark registered in january,
1914
SOCIETE DES GRANDS PRODUITS DE FRANCE, Montreal, Que.
Produits Pharmaceutiques. Etiquette portant les mots «
Fuco-Morrhuum » et représentations de petites morues,
des bateaux péchant la morue en mer, etc. 5 janvier
1914. |
Pourtant ce produit
“français” donnait déjà lieu à de multiples publicités dans la
presse canadienne en 1907.
Presse canadienne -
Le samedi - 27 juillet 1907
Presse canadienne -
L'Écho des Bois-Francs - samedi 7 septembre 1907
Presse canadienne - La maison moderne - septembre 1907
Presse canadienne - Le samedi - 30 novembre 1907.
Le journal de référence “Dun and Bradstreet Reference Book”
mentionne à Montréal une « Société des Produits de France (Also
Societe de Fucomorrhuum) » dans chaque édition de juillet 1913 à
mars 1919.
Quant à la société américaine de Boston, on la voit solliciter
encore des échanges avec la France, sous le nom déjà rencontré
au Canada de « Société des Grands Produits de France » :
La parfumerie moderne
- Janvier 1918
AUX ETATS-UNIS.
On nous écrit de Boston :
Il y a énormément à faire ici, en tant que vente à terme : notre
clientèle est essentiellement éclectique. Elle se compose
surtout des pharmaciens qui vendent ici de tout et des magasins
de nouveautés et de maisons de gros.
La Parfumerie, la Brosserie, les articles d'hygiène et de
beauté, les produits pharmaceutiques sont nos lignes préférées,
mais en ce moment nous pourrions vendre des soieries, des
rubans, des gants, etc.
En réalité, il nous serait plus facile de dire ce que nous ne
pourrions pas vendre que ce que nous pourrions vendre ; nous
avons des demandes pour l'huile d'olive, pour des eaux
minérales, des savons, des noix, des vins, etc.
Il est regrettable que les maisons françaises à larges moyens
d'action ne viennent pas sur place étudier les débouchés : c'est
pourtant le moment. La paix venue, tout le monde en voudra et ce
sera infiniment plus difficile.
Si d'aventure, vous connaissez ces maisons à large horizon,
adressez-Ies nous. Nous piloterons ici leur voyageur et en
l'introduisant lui prouveront les possibilités de l'heure
présente, et cela gradis pro deo.
Société des Grands Produits de France.
SHARON (Massachusset) - E.U.A |
Mais hélas, rien de plus aux Etats-Unis ou au Canada sur cette «
Société des Grands Produits de France » ou « Fucco-Morrhuum »,
donc l'un des dirigeants serait un dénommé Werthemer.
La seule explication plausible ressort de la nauséabonde presse
antisémite française, avec une simple affaire judiciaire relatée
le 29 mars 1912 :
L'Action française
29 mars 1912
LES TRIBUNAUX
JUIF ESCROC ET VOLEUR
Un juif, nommé Moïse Wertheimer, se disant directeur de la «
Société des grands produits de France », dont le siège est place
de la Bourse et rue des Filles-Saint-Thomas, comparaissait hier
devant La 10e chambre correctionnelle pour répondre de plusieurs
méfaits.
Ce juif a escroqué : 1° deux sommes de 2,500 et 3,146 francs à
un négociant en parfumerie, juif comme lui, nommé Salomon ;
2° Une somme de 1,000 francs à un M. Lacroix ;
3° Une somme de 2,255 francs à un propriétaire du Vésinet, M.
Fergusson, qui lui avait loué une villa. Enfin, il a déménagé à
la cloche de bois de cette villa en emportant divers objets
d'une valeur totale de 1,850 francs. La tribunal a infligé huit
mois de prison et 25 francs d'amende à Moïse
Wertheimer. |
La Libre parole
29 mars 1912
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Doit-on en déduire qu'après avoir vendu ses préparations au foie
de morue au Canada dès 1907, après les déboires de son
entreprise parisienne entre 1909 et 1912, Moïse Wertheimer
aurait définitivement gagné Montréal, puis Boston, pour y
continuer la vente de ses produits pharmaceutiques prétendument
français ?
Quel intérêt avait-il en 1917 à alléguer d'un
laboratoire à Blâmont ? Le nom était-il devenu suffisamment
célèbre par les récits depuis l'invasion d'août 1914, sonnait-il
simplement comme bien français, ou présentait-il l'avantage de
ne permettre ni contact ni contrôle sur place ?
Il est à craindre que nous ne sachions jamais le fin mot de ce
prétendu laboratoire blâmontais, qui n'en demeure pas moins un
choix de lieu extrêmement curieux pour le traitement de morues péchées
en mer.
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