GAZETTES NOUVELLES
RELATIONS
EXTRAORDINAIRES
ET AVTRES RECITS DE CHOSES
AVENVES TOVTE L'ANNEE 1638
Au Bureau d'Adresse, ruë de la Calandre au grand Cocq
N° 165
[...]
Nouvelles arrivent de la défaite du Duc Savelli, par le Duc de
Longueville: dont vous aurez la relation par le premier
extraordinaire.
Du Bureau d'Adresse, le 20 novembre 1638, Avec privilège.
N° 166
LA DEFAITE ENTIERE DV DVC
Savelli, par le Duc de Longueville.
Avec la prise de ses cornettes & de tout son bagage.
Au commancement de ce mois, le Duc de Longueville savançant vers
le Rhin, selon les ordres qu'il en avoit receuz de la Cour:
apprit par vn bruit sans autheur certain, que le Duc Savelli
devoit en bref joindre le Duc Charles: De la verité duquel bruit
il eut la confirmation au port S. Vincent: où il receut avis de
la part des sieurs de la Mothe Houdancour & de Suz qu'il se
faisoit à Blamont, Bletterange, Alstorf & ailleurs, du pain de
munition pour vne armée qui venoit de Flandres souz ce Duc
Savelli. Afin d'en estre donc plus amplement informé, il envoya
promtement à Marsal vne partie de trente maistres, pour
apprendre dudit Sr de Houdancour tout ce qu'il en sçavoit, & lui
demander des guides, afin de s'informer du reste jusques sur les
lieux: tandis que le Duc de Longueville savanceroit tousjours
vers Lunéville, où les ennemis sestoient derechef fortifiez, &
iroit mettre le siége devant cette place-là. Comme on attendoit
de leurs nouvelles: le sieur de Maricourt Lieutenant en la
compagnie de Chevaux-legers du sieur de Feuquiéres Lieutenant
general en l'armée du Duc de Longueville, apporta tant de
circonstances du passage de Savelli, qu'on n'en douta plus, & ne
restoit qu'à descouvrir le temps qu'il se devoit faire. C'est
pourquoi le Duc de Longueville jugeant l'importance de cette
affaire telle qu'elle estoit : envoya le sieur de Feuquiéres
avec 400 chevaux, que commandoit souz lui le sieur du Terrail:
tirez des corps de Beauregard, de la Luzerne, du Terrail, des
Roches-Bar taut, de S. André, de Treillis & de Marsine à sçavoir
50 de chacun des six premiers commandez par les sieurs de
Moncomble, de S. Vast, de la Broderie,de Guron, de Rebé & du
Baron de Talrué, & cent du dernier commandez par ledit sieur de
Marsin.
Le sieur de Feuquiéres savança le plus diligemment qu'il pût
avec ces troupes, jusqu'aupres de Sarrebourg, poste qu'il jugea
le plus propre pour coupper chemin aux ennemis de quelque part
qu'ils pussent venir: d'où il envoya plusieurs parties jusqu'à
Saverne, vne autre delà la Sarre par Vaudrevange & Boquenheim
jusqu'à Sarbrux, & vne autre encor par Fribourg & Alstorf. Cette
derniere ayant le 6 de ce mois pris vn messager du Commissaire
general du Duc Charles, qui alloit au devant du Duc Savelli, en
vint aussitost faire son rapport au sieur de Feuquiéres lequel
des le soir meme monta à cheval, & ayant cheminé jusqu'à minuit,
fut contraint par la violence d'vn grand orage de s'arrester
dans vn village sur le chemin: en partit vne heure devant jour,
& se vint mettre en embuscade pres de Richecourt-le-Chasteau: de
laquelle il envoya le sieur de la Becherelle Aide de camp
reconnoistre ce lieu de Richecourt, d'où sortoient des fumées
telles qu'aux logemens des gens de guerre ; & de fait, il en vid
sortir le bagage de Savelli accompagné de deux cens hommes de
pied & de deux escadrons de cavallerie. Le sieur de Feuquiéres
savance avec toutes les troupes en ordre de bataille, & estant
découvert par les ennemis, leur envoye deux escadrons à la
charge: à sçavoir, celui de Beauregard & le premier des deux qui
avoient esté formez des cent maistres de Marsin, où il estoit en
personne, soustenu de trois autres, conduits par le sieur du
Terrail, en reservant encor trois non loin de soy pour le
ralliement, lors que le reste des ennemis qui ne paroissoit pas,
viendroit au secours des leurs. Car le sieur de Pesselieres,
Gouverneur de Saverne, lui avoit mandé que Savelli avoit quinze
cens hommes, qu'il croyoit estre logez au mesme lieu.
Quelque diligence que pussent faire nos deux premiers escadrons,
qui selon l'ordre qu'ils en avoient receu, allérent à la charge
à toute bride; ils ne pûrent empescher que la pluspart de
l'infanterie susdite n'eust le loisir de senfermer entre leurs
charriots: de sorte qu'il n'en fut tué que 40 ou 50, qui ne
furent pas assez diligens pour se retirer apres leur descharge.
Les deux escadrons de la cavalerie ennemie le furent bien
davantage: Car ils se sauvérent d'abord dans les bois ; sans que
l'escadron de Marsin délasché à leurs trousses les pûst joindre.
Le sieur de Feuquiéres mettoit toutes ses trouppes en ordre pour
faire attaquer cette barricade de charriots: lors qu'on lui
amena des prisonniers qui lui dirent que le Duc Savelli estoit
passé jusques à Blamont. Ce qui fut bien-tost averé par la
presence des ennemis qui parurent presque en mesme temps, venans
au socours de leur infanterie & bagage. Ce que voyant le sieur
de Feuquiéres, il fit bloquer ces ennemis ainsi barricadez avec
vn des escadrons de Marsin & celui de Treillis ; cependant
qu'avec les six autres restans il iroit droit aux ennemis, qui
savançoient aussi vers lui avec huit escadrons: lesquels firent
ferme sur vn tertre fort relevé. L'ordre de leur combat fut tel,
qu'aussi-tost qu'ils virent les nostres ils firent vn si grand
front de toutes leurs forces, qu'ils sembloient avoir dessein de
les faire prendre en flanc par vne partie des leurs. Mais le
sieur de Feuquiéres sestant avancé pour reconnoistre de plus
pres les avantages que les ennemis pouvoient prendre : & ayant
pousse quatre ou cinq cavaliers sur les ailes pour descouvrir
des éminences prochaines s'il y avoit quelques escadrons
derriere; commanda celui de Marsin pour aller à eux par le costé
de la vallée; tandis que du sien, avec les escadrons qui lui
restoient commandez par le sieur du Terrail, il regagna sur eux.
l'éminence de la main droite: où estant il avança au grand trot
vers les ennemis, & n'estant plus qu'à cinq cens pas d'eux, sur
l'apparence qu'ils lui donnerent de gens qui vouloiont penser à
la retraite, il les engagea par les escadrons de Beauregard &
Marsin restant, qu'il envoya à la charge à toute bride: lesquels
se meslérent brusquement parmi eux, qui se voyans aussi poussez
par le sieur de Feuquiéres avec le reste de ses troupes, ne se
purent aucunement rallier, & n'ayans pas le temps de se
reconnoistre, furent menez tousjours battus jusques dans le
chasteau de Blamont, où les ennemis firent leur entrée en grand'
haste : les nostres les poursuivans si chaudement, qu'ils ne se
contentérent pas de traverser tousjours à leurs talons tous les
fauxbourgs, la ville & la basse court du chateau; mais allérent
jusqu'à sa porte, où deux des Officiers ennemis furent renversez
morts par les sieurs de la Becherelle & Marsin.
Aussi-tost le sieur de Feuquiéres fit mettre pied à terre à vne
partie de ses troupes pour faire des barricades à cette porte:
le reste fut mis en bataille à ses avenues, qu'ils gardérent
avec grand soin : ledit sieur de Feuquiéres y ayant laisse le
sieur du Terrail, afin de pourvoir à la seureté des postes, &
empescher les sorties des assiégez, cependant qu'il retournoit
donner ordre à la continuation du blocus de l'infanterie
barricadée entre ses charrettes, & qu'il en envoyoit donner avis
au Duc de Longueville, qui en receut les nouvelles à trois
lieues de Blamont, vers où il marchoit avec vne partie de
l'armée, en laquelle estoient le Vicomte d'Arpajoux aussi
Lieutenant general en icelle: les sieurs de Bellefons & de la
Mothe-Houdancourt Mareschaux de camp, & les sieurs de Chamboy &
la Faverie Aides de camp: ayant envoyé le sieur de Beauregard
qui commandoit la cavalerie avec deux escadrons pour le rendre à
Blamont, comme il fit avec grande diligence.
Le Duc de Longueville pour s'y rendre aussi en plus grande
haste, envoya la plus part de son bagage & artillerie à Rosiere:
& ayant pris la teste de son armée, laissa le sieur de la Mothe
Houdancour à l'arriere-garde. Mais les ennemis, qui par la
marche du Duc de Longueville ne se trouvérent plus resserrez
dans Lunéville, comme ils estoient auparavant, voyans filer
nostre équipage, où il n'y avoit qu'vne legere escorte, firent
sortie sur sa queue, & l'envoyérent charger par 200
mousquetaires & 40 chevaux qui poussérent ce convoy, & s'attachérent
aux attelages du canon, d'où ils emmenoient quelques chevaux &
s'alloient rendre maistres du reste, si ledit sieur de la Mothe
en ayant eu avis ne s'y fust opposé. Il part donc à l'instant
avec 10 chevaux d'élite, assistez du régiment de Beauregard,
pour leur couper chemin entre Lunéville & eux. De sorte que les
ennemis se voyans frustrez de la retraite à laquelle ils
pensoient, furent contraints non seulement de rendre tout ce
qu'ils avoient pris, mis on leur tüa 25 hommes, & on leur en fit
autant de prisonniers: le reste s'estant retiré dans leurs
barricades sans qu'il y demeurast aucun des nostres: bien que le
sieur de la Mothe y eust vn cheval tüé sous lui en faisant
vaillamment: comme firent aussi les sieurs de Beauregard, de S.
Aignan, lequel y receut vne mousquerade favorable, & de Croison,
qui commandoit l'équipage. Deux Pages du Duc de Longueville,
nommez Lodancourt & le Chevalier de la Bufetiere, y tüérent
chacun vn des ennemis, & en blessérent d'autres. Durant cet
échec, le Duc de Longueville se rendoit à Blamont, où il arriva
sur les dix heures au soir du mesme jour. Et y ayant appris que
le Duc Charles & le Prince François venoient pour dégager les
leurs, il fit prendre à l'infanterie les postes que gardoit la
cavalerie, coupant dans vn bois pres Blamont du costé d'où
pouvoit venir le secours : & le lendemain renvoya le Vicomte d'Arpajoux
& le sieur de Bellefons à Lunéville, pour y continuer le siége ;
ayant à cette fin pendant sa marche laissé garde en tous les
quartiers.
La matinée du dit jour 7, la basse cour du chateau de Blamont
fut emportée par les régimens de Picardie & Normandie, commandez
par les sieurs de Langlade & d Espauels Lieutenans Colonels
desdits régimens, & par 400 mousquetaires détachez des corps de
Navarre Bussi & Caregrefec, conduits par ledit sieur de
Caregrefec & les batteries, qui estoient comandées par le sieur
des Brosses Lieutenant de l'artillerie, y furent si adroitement
executées, qu'elles ruinérent en peu de temps les défenses des
deux tours : & le soir on l'attacha avec des mineurs aux grands
corps de logis qui estoient en la garde de Normandie : où le
sieur de la Mothe accompagné des sieurs de Grave, de la
Becherelle, Chamboy & la Faverie pressérent toute la nuit les
mineurs avec tant de soin, que les ennemis ayans demandé à
capituler le lendemain matin 8, ledit sieur de la Mothe, qui
commandoit toutes les attaques, les mena au Duc de Longueville
qui les receut prisonniers de guerre au nombre de 400
Chevaux-légers, 80 Officiers & cent fantassins, avec tout
l'équipage du Duc Savelli : à la reserve de sa personne : car il
s'estoit sauvé dans le bois luy trentiesme, au lieu d'entrer
dans le chateau. En le nombre de ceux qui le sont là trouvez, &
qui ont esté tüez ou faits prisonniers dans l'infanterie bloquée
par les nostres, qui se rendit aussi le lendemain neufiesme,
conferé avec le memoire des troupes de Savelli trouvé entre les
papiers & remis és mains du sieur de Miromenil Intendant de
cette armée, fait voir qu'il ne manquoit de tout son corps que
ces 30 hommes sauvez avec luy. Les sieurs de la Mothe & de
Miromenil entrez le mesme jour dans ce chateau firent distribuër
neuf cens chevaux à toute la cavalerie & infanterie, avec
dix-sept cens pistolets & plusieurs autres armes: desquelles le
Duc Savelli faisoit estat de faire vn armement. On luy a aussi
gaigné 7 cornettes. Entre ses chifres s'est trouvé vne lettre au
Marquis de Ville, par laquelle il l'asseure qu'il le vient
secourir dans Lunéville (où il est, & dont le siége se continuë)
& qu'il luy ameine 6000 hommes sans ce que le Duc Charles
pouvoit avoir de trouppes, Mais il en faudra desormais deduire
ce qu'on a pris & tüé à l'vn & à l'autre.
Du Bureau d'Adresse, le 22 novembre 1638, Avec Privilège.
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