Histoire de la Congrégation des Soeurs de Charité de Saint-Charles de Nancy
Tome IV - Chap. IX - 1951
Blâmont
Dans la même région que Gerbéviller et Baccarat, Blâmont devait connaître également des heures tragiques. La première patrouille de uhlans apparut dès le 4 août et, le lendemain, un engagement avait lieu à
l'entrée de la ville. Vers 11 heures, la cavalerie française arrive au grand contentement de la population; dans l'après-midi on apporte les premiers blessés, dont un Allemand, à l'hôpital; mais ils sont évacués sur Baccarat. La présence des troupes françaises ne devait pas être de longue durée, car sur les renseignements donnés. par un sous-officier allemand prisonnier, le capitaine commandant la cavalerie, estimant sa position dangereuse, donna l'ordre de repli.
De fait, l'invasion de la ville n'allait pas tarder. Le 8, sur un signal donné par avion, les premiers régiments allemands faisaient leur entrée à Blâmont. Immédiatement l'hôpital est envahi par les ambulances et les médecins, qui procèdent à toutes sortes de réquisitions, révolver en main.
L'hôpital est bondé de blessés et les Soeurs sont sur pied nuit et jour. Il faut aussi nourrir et secourir les réfugiés chassés de leur demeure par les Allemands.
Le 14 août, la bataille fait rage. Les Soeurs sont débordées par
l'arrivée incessante de nouveaux blessés. Les Français rentrent à Blâmont; mais déjà le 20, c'est le commencement de la déroute pour nos troupes. Dans la nuit, cent cinquante blessés arrivent, sans leurs majors restés aux mains de l'ennemi; on se hâte de les soigner et de les évacuer afin de les soustraire au pouvoir des Allemands qui approchent. Deux blessés ne peuvent être évacués, parce que trop gravement atteints. L'un d'eux, le
capitaine Chrétiennot, mourut bientôt avec des sentiments qui firent
l'édification des Soeurs.
Le 22 au matin, les Allemands sont là ! Un nombreux personnel d'infirmiers, de cuisiniers, d'ordonnances s'installent à l'hôpital, devenu
« lazarett » de guerre.
Le 25 au soir, le feu prend à une maison voisine de l'hôpital, les Soeurs ne sont pas sans inquiétude. Soeur Supérieure jette un scapulaire à l'endroit menacé et heureusement les flammes se détournent.
Le 8 décembre, gros bombardement par l'artillerie française; l'hôpital n'a plus que des malades légers qui, en cas d'alerte, seront facilement évacués.
Dans les années qui suivirent, les ressources alimentaires se font de plus en plus rares; les réquisitions continuent. Le pain est rationné à cent vingt-cinq grammes par jour, et quel pain ! Soeur Léopold et ses compagnes s'ingénient à venir en aide aux malheureux.
Puis ce fut une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit à Blâmont et pendant laquelle les Soeurs se dévouèrent sans compter.
Le blocus persistant des Alliés inquiète l'ennemi : le 6 mars 1918, un ordre d'évacuation générale jette la consternation dans la
ville ; mais la situation s'éternise jusqu'au 23 juillet, où le départ est annoncé pour la nuit suivante.
Trois Soeurs font partie du premier convoi et aboutissent chez les Religieuses de Notre-Dame de Jumet, près de Charleroi, qui les reçoivent avec la plus cordiale charité. Deux mois plus tard, c'est le retour en France; les exilées vont revoir leurs Mères bien-aimées à Nancy et se mettre à leur disposition pour de nouveaux labeurs.
Soeur Léopold, la Supérieure, partie la dernière, après avoir encore soulagé de nombreuses misères, avait été dirigée avec une autre Soeur sur Anvers; elles y demeurèrent jusqu'à l'armistice.
Le 22 août 1919, la cour d'honneur de l'hôpital de Blâmont était magnifiquement décorée de drapeaux, d'oriflammes et de fleurs. A 9 heures arrivaient le général de division Jacquet, commandant le 21e Corps d'Armée, et M. Langeron, sous-préfet de Lunéville. Le Maire, M. Bentz, leur présente le Conseil Municipal, les mutilés et les décorés; puis le Général s'avance près de Soeur Léopold, dont il rappelle la vaillante conduite pendant l'occupation, ainsi que celle de toute la communauté, de M. le Curé et de M. Squivet. Lecture est alors donnée de la citation suivante:
« Madame Perrin Victoire, en religion Soeur Léopold, de la Congrégation de. Saint-Charles, Supérieure de l'hôpital-hospice de Blâmont : est restée à la tête de la maison pendant toute l'occupation allemande. D'une charité et d'un dévouement sans borne, a donné ses soins, en pleine bataille, le 14 et 22 août aux blessés français. Par la suite, au cours de la campagne, a caché à plusieurs reprises des patrouilles égarées dans les lignes allemandes et les a aidées à regagner nos lignes sans souci des représailles ennemies auxquelles elle s'exposait. »
Tandis qu'un peloton d'infanterie présente les armes, le Général épingle la croix de guerre avec palme sur la poitrine de Soeur Léopold et lui donne l'accolade. A son tour, le Sous-Préfet tint à apporter à Soeur Supérieure le témoignage de la gratitude du Gouvernement et ses félicitations personnelles. Au moment du départ des autorités, une ambulance amène M. le Médecin Inspecteur général Guibal qui, blessé dans un accident d'automobile, en venant à Blâmont, a tenu à arriver quand même au but pour apporter ses félicitations personnelles et les remerciements du Service de Santé à Soeur Léopold.
NDLR : le
capitaine Paul Honoré Chrétiennot du 6ème Groupe de
Chasseurs Cyclistes (7ème régiment de cavalerie) a été
très gravement blessé
à Hertzing le 21 août à la tête du 1er peloton, dans une
attaque de nuit à la baïonnette. Né le 29 mai 1874 à Bar
le Duc, il décède à l'hôpital de Blâmont le 31 août
1914. Chevalier de la légion d'honneur par décret du 29 août
1914 (atteint de nombreuses blessures en chargeant à la
tête de son groupe, pour repousser une attaque de nuit).
Tableau d'honneur de la
revue l'Illustration :
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