Est Républicain
Mercredi 18 février 1920.
PAGES GLORIEUSES
Le combat de reconnaissance de Vaucourt
Sur la longue liste des combats glorieux et meurtriers
auxquels le 2e bataillon de chasseurs participa, le combat de
Vaucourt est le premier en date. C'est à Vaucourt, le 11 août 1914, que la 5e
compagnie du 2e bataillon, commandée par le capitaine Martin-Sané,
reçut le baptême du feu.
Nous nous sommes rendu, avant-hier, au signal de Vaucourt, lieu dit « la
Charmine », en compagnie du statuaire Michel-Malherbe et de nos concitoyens MM.
Jules Kahn et Roger Liebscliutz, blessés tous deux lors de l'affaire du 11 août.
De cette crête dominant la plaine, du sommet de ce coteau tragique où la piété
des survivants veut élever un monument à la mémoire des chasseurs du 2e
bataillon, le panorama est pathétique et splendide : d'un côté, les friches
labourées d'obus, semées de sapes, d'abris de mitrailleuses sont limitées par le
moutonnement des futaies de la forêt de Parroy, toute proche ; de l'autre côté,
face à Vaucourt, on distingue, peuplant le cirque immense, une grande quantité
de villages, le pauvre Emberménil, si effroyablement torturé ; Moussey ;
Lagarde, qui fut le point de concentration des garnisons allemandes de Dieuze et
de Sarrebourg ; Avricourt et sa gare morte ; Igney et son signal ; Réchicourt ;
gauche, c'est Xures et, plus loin, Juvrecourt, les Petites Jumelles, la
dépression de la Loutre-Noire, la route de Château-Salins...
La ligne des crêtes qui dominent Vaucurt constituait la position de couverture
des Français. La veille du combat, le 2e bataillon occupait cette
partie de la forêt, connue sous le nom de Bois des Evrieux et Bois des Degrés.
Le 11 août, au matin, le haut commandement donna l'ordre au chef du 2e
bataillon de faire avancer une compagnie sur la crête de la Charmine. Il
s'agissait de faire une démonstration pour obliger l'ennemi à se démasquer. Sous
un soleil écrasant, la 5e compagnie s'éparpilla aussitôt, en tirailleurs, dans
les avoines.
Nul bruit suspect ne se faisant entendre, une patrouille commandée par le
sergent Klein, d'Hériménil, descendit jusqu'à Vaucourt. Un des hommes avait
poussé la témérité jusqu'à arborer au canon de son fusil le fanion de sa
compagnie. Les malheureux ne parvinrent pas à dix mètres du village. Les
Allemands, cachés dans les premières maisons, les guettaient. Ils les tirèrent à
bout portant.
L'ennemi, ayant ainsi signalé sa présence, les batteries allemandes installées
derrière les jardins de Vaucourt, à mille mètres de notre mince rideau de
troupes, commencèrent à cribler d'obus les pentes de la Charmine où les
vitriers, taches sombres dans I'or mouvant des avoines, à genoux et à plat
ventre, tiraient sans relâche, jusqu'à épuisement de leurs munitions, - allant
se réapprovisionner en vidant, .les cartouchières des morts, - sur deux
bataillons du 97e et du 158e d'infanterie allemande qui,
se risquant hors des boqueteaux protecteurs, dévalaient les pentes de toutes
parts et venaient s'écraser dans les fossés de la route d'Emberménil.
Les chasseurs tinrent bon jusqu'à trois heures de l'après-midi et ne lâchèrent
pied qu'au moment où arriva l'ordre de repli. De notre côté, aucune réaction
d'artillerie ne s'était produite, - et pour cause ! Le but était atteint, mais
la cinquième compagnie était décimée. Vingt-cinq morts, dont le capitaine, et 80
blessés, jonchaient le sol...
Bien avant la fin de l'engagement, un forestier des bois de Parroy, le garde
Berce, était accouru, en compagnie de ses deux filles, dans la zone de feu. Ils
ramassèrent les blessés les uns après les autres et les transportèrent à la
maison forestière. Combien de fois firent-ils le trajet sous le bombardement
formidable et sous la fusillade ? Une des filles du garde portait un fusil en
bandoulière, prête à faire le coup de feu.
A la maison forestière, les draps, les chemises, tout le linge de famille fut
transformé en charpie, en bandes de pansement. Le guide vida sa modeste cave et
le vin frais coula dans les quarts des blessés qui assistèrent ainsi, dans la
demeure de ces braves gens, au premier miracle de la fraternité lorraine.
Cet exemple de générosité courageuse ne fut pas le seul. Malgré le danger
permanent des rencontres de patrouilles dans ce « no mans land », plusieurs
habitants de Vaucourt, dirigés par M. Humbert, le maire actuel, vinrent dès
qu'ils le purent rendre les derniers devoirs aux petits chasseurs tombés sur les
pentes de la Charmine. Ils les rassemblèrent et les enterrèrent à quelques
mètres de l'emplacement de l'observatoire en béton armé qui commande la plaine.
Dévouements obscurs et magnifiques qui n'ont jamais été officiellement reconnus
ni glorifiés...
Les survivants de la dure et glorieuse affaire du 11 août ont décidé de la
commémorer, et c'est à l'éminent statuaire Michel-Malherbe qu'ils ont confié le
soin de perpétuer dans le bronze la mémoire des premiers chasseurs de Lunéville,
morts pour la défense de la Patrie.
Nous applaudissons des deux mains à ce projet et souhaitons que Lunéville,
marraine des diables bleus du 2e, sache donner au sacrifice de ces
admirables soldats un juste témoignage de son affection toujours vivante et de
sa reconnaissance.
FERNAND ROUSSELOT. |