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Incident de Lunéville - 1887 - Dévastation du parc des Bosquets
 


Un colonel insulté le 15 juillet 1887, une vengeance contre les offenseurs acquittés par la justice, et une beuverie le 24 août 1887 qui finit en dévastation du parc des Bosquets, notamment de ses statues : ces évènements, de piètre ampleur, vont pourtant enflammer la presse nationale, et par exemple attiser les antagonismes entre des titres comme Le Figaro, journal conservateur, et La Lanterne, journal satirique anticlérical et républicain.

Comme on le voit au final, les militaires accusés des dégradations seront acquittés par le conseil de guerre : et pourtant, une fois l’affaire apaisée, le Ministère de la Guerre reconnaîtra implicitement leur responsabilité en allouant à la mairie de Lunéville une somme 3200 francs sur les 6000 que nécessitait la réparation des statues.
Mais cela est une autre histoire, indissociable de celle du sculpteur Ernest Jules Michel, dit Michel-Malherbe (1861-1940).


Le Mémorial des Vosges
27 août 1887

Lunéville. - Actes de vandalisme. - Dans la nuit de mercredi à jeudi, trois statues ont été brisées dans les bosquets et la promenade de l’ancien parc Stanislas.
Des dégâts de toute nature ont été commis en ville ; les plaques et les sonnettes ont été arrachées à beaucoup de portes.
L’émotion est grande en ville.


L'Espérance : courrier de Nancy
30 août 1887

Vandalisme à Lunéville. - Les auteurs présumés des actes de vandalisme dont les Bosquets de Lunéville ont été le théâtre, grâce à une enquête de la police locale, conduite avec autant d’habileté que de promptitude, ont été arrêtés et incarcérés.
Une pauvre femme venue de la campagne avec son enfant, se trouvant le soir sans abri, se réfugia à la promenade où elle passa la nuit.
Elle put observer les allées et venues des malfaiteurs, les voir à l’oeuvre et remarquer leurs déguisements. Son témoignage, rapproché de ceux recueillis dans une maison mal famée, a mis la police sur la trace des coupables.
A la suite du rapport d’enquête, un sous-officier du 7e de dragons, un cavalier du même régiment et un caporal secrétaire d’état-major, ont été mis à la disposition de M. le procureur de la République.
Il est à présumer que les ravageurs du parc sont les mêmes qui, la nuit du mardi et celle du mercredi, ont arraché les plaques et les boutons de sonnettes au nombre de plus de soixante. Dans une seule maison de la rue Gambetta, le dégât est estimé à plus de 30 fr.
La tête de Diane a été retrouvée sur le toit du manège de cavalerie, à l’extrémité est de la cour du quartier.


Le Mémorial des Vosges
3 septembre 1887

Les incidents de Lunéville
De nouveaux renseignements nous permettent de compléter notre information relativement à la mise aux arrêts de rigueur du colonel du 7e dragons.
Il parait certain que cette mesure n’a aucun rapport avec la détérioration des statues du jardin public de Lunéville.
Elle a été motivée par l’attitude de deux sous-officiers et, croit-on, de quelques soldats de la garnison.
Ces militaires se sont arrogés le droit de venger leur colonel en maltraitant les deux individus qui, après l’avoir insulté, avaient été acquittés.
Le colonel a été mis aux arrêts de rigueur, comme responsable de la police de son régiment, surtout à l’occasion d’un fait le concernant personnellement.
Le drapeau doit, conformément aux lois militaires, être placé chez le commandant effectif du régiment ; c’est pourquoi il a été, ainsi que je vous l’ai annoncé hier, porté chez le lieutenant-colonel qui va exercer le commandement pendant les arrêts du colonel.


Le Mémorial des Vosges
4/5 septembre 1887

L’incident de Lunéville. -Voici, d’après diverses correspondances, les faits qui auraient précédé la mutilation des statues et la dévastation de la promenade des Bosquets à Lunéville, par des soldats du 7e dragons, et qui auraient causé la mise aux arrêts pour trente jours du colonel de ce régiment, M. Bouchy.
« Il y a quelques semaines, écrit le Paris, le colonel Bouchy, du 7e dragons, avait été insulté par deux ouvriers qui furent poursuivis en police correctionnelle. Le tribunal, n’étant pas parvenu à découvrir lequel des deux inculpés avait prononcé le mot injurieux pour le colonel, les acquitta l’un et l’autre.
« M. Bouchy se montra très froissé de ce résultat. Il alla même jusqu’à informer ses hommes qu’il verrait avec joie les deux insulteurs recevoir une sévère correction. »
A l’occasion de cet incident, la Justice publie les lignes suivantes, auquel nous nous associons pleinement :
« Heureusement que pour tous ceux qui savent de quel respect l’armée jouit partout en France, et particulièrement près des frontières de l’Est, toutes les idées d’antagonisme entre civils et militaires sont de pures chimères. Ce n’est pas dans nos places fortes, à deux pas de l’ennemi du dehors qui nous espionne, en face de l’étranger prêt à profiter des moindres fautes de notre patriotisme, que l’on peut accuser nos concitoyens, de quelque condition qu’ils soient et à quelque profession qu’ils appartiennent, de chercher des conflits avec ceux qui veillent sur la sécurité du territoire. Ce sont là des rêves malsains, des accusations gratuites, des calomnies. »


Le Messin
9 septembre 1887

LE COLONEL BOUCHY
et l'incident de Lunéville.
Le Figaro donne le récit suivant de l'Incident de Lunéville :
Le général Ferron, par un acte de faiblesse incroyable, vient de donner pleine satisfaction aux journaux radicaux : il a mis en non-activité le colonel Bouchy. La nouvelle est officielle depuis hier, Celte punition, bien rarement infligée dans l'armée, frappe au coeur un de nos officiers les plus distingués et les plus braves et produira certainement un très mauvais effet dans l’armée. Les causes de cet incident de Lunéviile ont été d'ailleurs mal connues; et un ami intime du colonel Bouchy, habitant comme lui Lunéville, et comme lui témoin de tous les faits, nous en a conté hier les tristes délais. Je transcris ses paroles :
« Le colonel du 7e dragons, traversant la cour du château de Lunéville en tenue militaire, a été insulté le 15 juillet, en présence des hommes de deux de ses escadrons qui y sont casernés, par deux jeunes drôles qu'il fit saisir incontinent et conduire au poste de police. L'un des deux délinquants fut même arrêté dans sa fuite par le général de division, qui exigea qu'une plainte fût portée au parquet. Le tribunal civil crut devoir acquitter ces deux individus ; au milieu d'un tissu de mensonges, ils avaient réussi à faire croire au tribunal que le colonel Bouchy était ivre! Ils ajoutaient même que les hommes qui les avaient arrètés leur avaient affirmé que c'était l'état habituel du colonel! Et dire que cette accusation absurde n'émut même pas le tribunal ! Le colonel Bouchy ne pouvait laisser ignorer aux hommes de ses deux escadrons le verdict du tribunal et l'accusation dont quelques-uns d'entre eux étaient l'objet. Mais il eut le malheur d'ajouter devant quelques sous-officiers :
« - Je dirai merci à celui qui me flanquera quelques coups de botte à ces deux gredins !
« De là toute l'émotion et tout le bruit. La répression, s'est bornée cependant à un peu de cirage sur la figure et quelques coups de bottes. C'est bien peu, avouons-le. Pour ce fait, le colonel Bouchy a été puni de 30 jours d'arrêts de rigueur; le voici maintenant en non-activité, succombant sous le poids des attaques les plus ineptes, sans avoir le droit d'y répondre. Tout cela parce que le tribunal de Lunéville aura acquitté deux drôles! Quant à rattacher à celte lamentable histoire celle du bris des statues du Bosquet, c'est une autre infamie que l'on s'obstine à mettre sur le dos du colonel, pour mieux le combattre auprès de ses chefs. Les soldats ne sont pour rien dans ces mutilations, et leur colonel n'éprouva même pas le besoin de les défendre contre ces perfidies. Mais surtout qu'on ne vienne pas parler de l'émoi de la population de Lunéville I Quelques voyous seuls ont crié, tandis que l'émotion des officiers a été grande et leur indignation indicible à l'annonce de l'acquittement des deux drôles. »
La mise en non-activité est, après la mise en retrait d'emploi, la punition la plus sévère que l'on puisse infliger à un officier. Aujourd'hui, cette mesure est encore plus terrible ; elle atteint, en effet, un homme injustement attaqué par quelques-uns, mais particulièrement estimé par le plus grand nombre ; elle compromet tout un passé de loyauté, de courage et d'honneur, et jette brusquement sur le pavé, sans aucune fortune et sans aucune ressource, un homme dont le seul désir était de donner sa vie à son pays. Le colonel Bouchy nous pardonnera d'insister sur ce fait: mais il est tout à son honneur et notre devoir est de le dire : Oui, le colonel est aujourd'hui sans aucune fortune, sans aucune ressource. Par contre, il a de magnifiques états de service : engagé à dix-huit ans dans les spahis, il est entré à Saint-Cyr après avoir préparé dans le rang tous ses examens. il était déjà sous-officier quand il a été admis à l'Ecole militaire. A sa sortie, il a demandé à venir encore dans son même régiment de spahis. Capitaine en 1870 et retenu en Algérie au moment de la guerre d'Allemagne il écrivait à Gambetta pour le supplier de l’envoyer, lui Lorrain, combattre au premier rang sur la frontière lorraine. Gambetta lui refusa cet honneur. Il avait besoin en Algérie aussi, disait-il, d'hommes de courage et de dévouement pour prévenir et exprimer les soulèvements possibles des tribus arabes, et il faisait appel à son patriotisme pour rester à ce poste. On pourrait citer vingt autres faits.
Le ministre de la guerre prendra certainement en considération ces états de service ; il reconnaîtra que les événements de Lunéviile ont été singulièrement grossis, qu'ils ont été mal racontés dans leur exagération même. Et dans quelques jours, en replaçant à la tête d'un régiment le colonel qu'il frappe aujourd'hui, il rendra à l'armée un officier vraiment digne d'elle.


Le Messin
11 septembre 1887

L'INCIDENT DE LUNÉVILLE
Notre confrère Fernand Xau, du Gil Blas, a eu mercredi un entretien avec le colonel Bouchy, du 7e dragons, en garnison â Lunéville, au sujet des incidents que nous avons déjà racontés ; voici comment le colonel se serait exprimé :
Il est bien vrai qu'en plein jour, le 15 juillet, le colonel du 7e dragons fut insulté dans la grande cour du château, devant ses deux escadrons, par deux hommes qui s'écrièrent :
« Le colonel Bouchy est encore ivre ; c'est, du reste son état habituel, et le régiment a de lui par dessus la tête ! »
Devant un tel outrage, reprit le colonel en interrompant sa lecture, un nuage me passa devant les yeux. Je me contins pourtant ; mais le général de division, qui était présent, exigea très justement que plainte fût déposée au parquet contre mes insuIteurs. On courut après ces deux misérables. On en saisit un et l'on put arrêter l'autre. L'un d'eux est un ancien soldat de la légion étrangère, retour du Tonkin ; quant à l'autre, il va être soldat sous peu. Le tribunal crut devoir acquitter ces deux drôles. Oui, c'est vrai, je n'ai pu maîtriser mon indignation et j'ai eu l'imprudence regrettable de dire devant quelques sous-officiers sans penser que cela tirerait à conséquence et aurait les suites fâcheuses qui en sont résultées :
« Ceux qui flanqueraient à ces deux drôles la correction qu'ils méritent, feraient un acte de justice et nous rendraient un fier service I »
Tout cela est lamentable, je le répète, me dit le colonel; mais pouvais-je supposer que des paroles prononcées sous le coup d'une indignation bien légitime seraient interprétées comme elles l'ont été? Et voilà, par le fait de deux misérables, toute une vie d'honneur, toute une carrière qui se trouve brisée... Il ne faut pourtant pas confondre la, population, qui a été égarée par des imputations mensongères, avec la lie qui, par son attitude, est venue m'infliger un dernier outrage, lorsqu'on est allé chercher solennellement le drapeau chez moi, musique en tète... Ceux qui s'étaient portés en foule sur la place du Château, étalant leur satisfaction et ajoutant encore à mon humiliation, ceux-là n'appartenaient pas à cette partie saine de la population qui est si nombreuse à Lunéville et qui aime tant l'armée. Le régiment, je dois l'ajouter, d'ailleurs, a été profondément affecté par ce dernier fait, et il en a ressenti une impression des plus pénibles... Parlons maintenant des déprédations des statues du Bosquet. Quelle connexité y a-t-ii et peut-il y avoir entre ces déprédations et l'incident que je viens de vous raconter? Peut-on raisonnablement supposer qu'un officier ordonnerait, encouragerait ou tolérerait de tels actes ? Véritablement, cela est non seulement odieux, mais ridicule, et je ne veux même pas me défendre contre une telle infamie et contre une telle bêtise... Voilà, monsieur, la vérité, toute là vérité. Vous pouvez me croire, quoi qu'on puisse vous dire. Je n'avance rien que ne je puisse prouver. Mais, je le répète, il est triste pour un vieux soldat de.se voir ainsi mis sur la sellette. J'en mourrai...


Le Messin
Samedi 17 septembre 1887

Lunéville. - La restauration des statues récemment brisées aux Bosquets, Diane et La Nuit, vient d'être confiée au sculpteur E. Michel-Malherbe, dont l’Eclaireur a eu déjà l'occasion de parler à propos des salons de Paris de 1885, 1886 et 1887. Quant au groupe qui orne l'angle de la terrasse, une décision ultérieure sera prise à son égard.


L'Espérance : courrier de Nancy
23 septembre 1887

L’affaire de Lunéville en conseil de guerre.
- Les six militaires accusés d’avoir mutilé les statues du Bosquet de Lunéville ont été transférés mardi à Châlons où ils auront à répondre, devant le conseil de guerre, des faits qui leur sont imputés.


Le Mémorial des Vosges
1er octobre 1887

Les Incidents de Lunéville. - On écrit de Lunéville que les six militaires, compromis dans l’affaire des Bosquets, viennent d’être transférés à Châlons, sous l’escorte de la gendarmerie.
Ce sont les nommés : Brun, maréchal des logis au 7e dragons; Baillard, maréchal des logis fourrier au 7e dragons; Delduc, Betatioulou, Dagan, soldats au 7e dragons ; et Raymond, caporal à la 6e section d’état-major.
Ces militaires sont prévenus de mutilations et de dégradations de statues et autres objets destinés à la décoration et à l’utilité publique, et de vols au préjudice d’habitants.


L'Espérance : courrier de Nancy
4 novembre 1887

Affaire des statues de- Lunéville. - Le conseil de guerre, appelé à statuer sur les faits imputés aux divers prévenus dans l‘affaire des- statues brisées dans les Bosquets de Lunéville, a dû se réunir hier jeudi 3 novembre, à une heure après midi.


Le Vosgien
4 novembre 1887

Une bonne mesure. - Le général Ferron vient de rappeler à l’activité le colonel Bouchy qui avait été mis en suspension d’emploi à la suite des incidents de Lunéville, incidents singulièrement grossis par quelques journaux.


Le Figaro
4 novembre 1887

Conseils de Guerre L'Affaire de Lunéville. Nouvelles judiciaires.
Le Conseil de guerre de Châlons-sur-Marne a dit hier jeudi le dernier mot d'un incident démesurément grossi, l'affaire du colonel Bouchy, commandant du 7e dragons, à Lunéville.
On sait que cet officier eut maille à partir, l'été dernier, avec la population civile. Le colonel avait été injurié dans la rue par un individu qui fut acquitté par le tribunal de Lunéville, l'identité de l'insulteur n'ayant pu être suffisamment établie.
Le colonel Bouchy traduisit son mécontentement en termes un peu vifs et fut mis en non activité pendant quelques semaines. Ces jours derniers, il a été rappelé au service actif et placé à la tête du 4e dragons, à Chambéry.
L'affaire dont s'est occupé hier le Conseil de guerre de Châlons est connexe à la précédente. Un certain nombre de sous-officiers de la garnison de Lunéville, irrités contre les pékins, avaient imaginé de s'introduire de nuit dans le square de la ville. Surexcités par quelques libations joyeuses, ils avaient pénétré dans cette promenade des Bosquets, une des plus jolies qui soient en France, et s'étaient livrés à quelques espiègleries de mauvais goût.
Le lendemain, on avait trouvé la baraque aux cygnes en fort mauvais état, les conduites d'eau ouvertes autour du kiosque et trois ou quatre statues dégradées la Nuit n'avait plus qu'un bras, lé lévrier de Diane avait été décapité, les massifs de fleurs avaient été foulés aux pieds.
Des traces d'éperons relevées sur le sol permirent de diriger l'enquête, à la suite de laquelle le Parquet militaire a renvoyé en Conseil de guerre, pour mutilation d'objets destinés à la décoration publique, les sous-officiers Brun, Baillard, les soldats Delduc, Betatioulou, Dagen, du 7e et du 18e dragons, et le caporal d'état-major Reymond.
L'affaire, à l'audience, s'est réduite à moins que rien, et il a été impossible au ministère public, représenté par M. le capitaine Devaux, d'établir que la plupart des accusés présents étaient les vrais coupables.
Tous ont été acquittés, sur d'habiles plaidoiries de Mes Denizot,, Collin, Couvrel, et Leclercq, du barreau de Châlons, et Gustave Lefèvre, du barreau de Paris, à l'exception du soldat Delduc, qui s'en est tiré avec seize francs d'amende.
Les sous-officiers et les soldats acquittés avaient subi une détention préventive de deux mois; l'instruction avait pris son temps, et, comme on l'a vu, elle n'en a pas été plus heureuse dans la recherche des coupables.


La Lanterne
3 novembre 1887

A LUNEVILLE
LES ACTES DE VANDALISME AU BOSQUET DE LUNÉVILLE
Un colonel qui a perdu son sang-froid. - Ramollot n'est pas mort..- Ses petites vengeances. - Le militaire et le civil. - Des arrêts de rigueur bien bénins.
Jeudi prochain, 3 novembre est appelée devant le conseil de guerre siégeant à Châlons, l'affaire des maréchaux-des-logis de dragons qui commirent une série d'actes de vandalisme dans la nuit du 24 août dernier, dans les anciens jardins du roi Stanislas, créés à Lunéville par le duc Léopold et connu du monde entier sous le nom de « Bosquet».

Les gros mangent les petits
La Lanterne dans ses numéros du 2 et du 5 septembre a raconté les faits ; mais au milieu des scandales quotidiens qui s'enchevêtrent et font de ces trois derniers mois une sorte de labyrinthe criminel, dans lequel presque tout le monde peut se perdre et où il est miraculeux que quelqu'un se retrouve, il nous semble nécessaire d'apporter un peu de lumière, en résumant l'affaire avant qu'elle soit présentée devant les juges militaires.
Cela est d'autant plus nécessaire que, conformément au proverbe toujours vrai : Les petits mangent les gros, nous ne voyons figurer comme prévenus que des soldats et des sous-officiers qui, en pleine « soulographie », ont été des instruments aveugles d'un chef laissé parfaitement en dehors du débat public.

Le colonel Bouchy
Les actes de vandalisme et autres relevant du Code pénal commis par les soldats dont nous dirons les noms en temps et lieu, eurent, en effet, un prologue.
A tort ou à raison, le colonel Bouchy passe pour n'avoir pas absolument la sobriété du chameau. Nous ne lui en faisons pas un crime, il ne vit pas en plein désert, et par conséquent peut avoir des besoins plus fréquents à satisfaire.
Mais il n'en est pas moins vrai qu'il eut le tort, le 15 juillet dernier, de prouver à deux hommes, Terrenoire et Stolz, qui traversaient derrière lui la cour du château, qu'il était leur supérieur, même en dehors du service, en affirmant contre toute vraisemblance - et, paraît-il - contre toute vérité, qu'ils l'avaient injurié, qu'ils lui avaient dit: « le régiment a soupé de ta fiole » et autres gentillesses un peu cavalières du même genre.
Il eut un autre tort, celui de faire conduire au poste, puis en prison, ces deux hommes qui ne lui avaient rien fait, qui ne lui avaient rien dit et auxquels sa caboche surchauffée prêtait ainsi de fantaisistes insultes.
Le troisième tort du colonel Bouchy fut de ne pas préciser devant le juge d'instruction sa double accusation et de répondre qu'il voulait une condamnation pour les deux insulteurs imaginaires, sans dire si c'était le blond ou le brun qui l'avait injurié.
Le juge d'instruction avait beau lui dire qu'il y avait à craindre un acquittement et même une ordonnance de non-lieu, les preuves n'étant pas fournies ou tout au moins si des articulations plus nettes n'étaient formulées.
Le colonel répétait imperturbablement : - Un acquittement ? une ordonnance de non-lieu ? Scrongnieu ! si faites ça, j'fous les têtes chaudes de mon régiment à leurs trousses et n'verrons screnongnieugnieu !
Effectivement, les deux soldats furent acquittés, le colonel n'ayant pu établir qu'ils fussent en quoi que ce soit répréhensibles.

Les arrêts de rigueur
Cet acquittement mit le colonel Bouchy dans une telle rage qu'il réunit ses deux escadrons, « engueula » comme il convient la justice pékine de son pays et déclara à quelques sous-officiers dont il connaissait les instincts batailleurs et turbulents qu'ils lui rendraient un fier service en administrant à Terrenoire et à Stolz une bonne volée.
Deux soldats se mirent à sa disposition, faisant seulement remarquer qu'ils ne pouvaient sortir parce qu'ils étaient punis, mais que sans cela...
Le colonel leva leur punition, ce qui fit que quelques jours plus tard Terrenoire fut pris dans le traquenard du colonel, emmené de chez sa mère et sous prétexte « d'aller parler au colonel » barbouillé de cirage, roulé à terre, martyrisé enfin sous toutes les formes.
Et ce ne fut pas tout. Les maréchaux-des-logis que le colonel avait excités contre les « civils » se crurent absolument maîtres de la ville, puisque leur chef les couvrait, et une belle nuit, saoûls comme des portefaix, ils s'en allèrent « vadrouillant » et traînant le sabre mettre à sac le Bosquet, renversant et mutilant les chefs d'œuvre de sculpteurs qui s'y trouvaient, escaladant les murs de la caserne et du jardin public, tant pour sortir que pour entrer, faisant les cent coups là, dans les cafés, dans les maisons de tolérance, toute la; nuit.

Chef impuni, soldats poursuivis
Le général Lardeur qui se trouvait à Châlons au moment où ces faits scandaleux étaient révélés, fit une enquête à la suite de laquelle le-colonel Bouchy fut mis aux arrêts de rigueur pour un mois.
Le 31 août, l'agence Havas annonçait cette mesure en ces termes discrets :
Lunéville, 31 août.
L'affaire des briseurs de statues de Lunéville est entrée dans une nouvelle phase.
M. Bouchy, colonel au 7e dragons, a été mis aux arrêts de rigueur pour trente jours, en attendant que des mesures ultérieures soient prises à son égard.
Le drapeau a été retiré de chez lui et transporté, musique en tête, chez le lieutenant-colonel.
L'enquête aurait démontré que le colonel aurait excité ses hommes contre la population civile, à la suite de l'acquittement, par le tribunal correctionnel de Lunéville, d’un individu qui avait injurié le colonel du 7e dragons.
La Lanterne terminait ainsi son article du 5 septembre sur cette affaire:
La punition qui a' été infligée au colonel Bouchy, n'est pas suffisante à notre avis. Il faut un exemple pour donner satisfaction à l'opinion publique et empêcher le retour de faits aussi honteux.
L'agence Havas faisait pressentir que « des mesures ultérieures seraient prises à l'égard de cet officier »; aussi, sommes-nous fort surpris de ne pas voir le colonel Bouchy figurer parmi les prévenus du 24 août, tous militaires de la garnison de Lunéville.
Demain, nous exposerons les faits de vandalisme qui les amènent seuls devant le conseil de guerre de Châlons,


La Lanterne
4 novembre 1887

A LUNEVILLE
UNE BANDE DE MARÉCHAUX DES LOGIS EN GOGUETTE
Une débauche carabinée - Comment on se procure les éléments d’une noce. - Mutilations de statues - Escalade et pillage d'un jardin public
Ah ! ce fut une belle soirée que la soirée du 24 août dernier pour quelques maréchaux des logis de la garnison-de Lunéville ! Ils étaient là, au café-concert Matton, ne pensant à rien, ou pensant.peut-être à ce que le colonel Bouchy avait dit à propos de l'affaire Terrenoire.
- Si nous rigolions s'écria l'un.
- Rigolons, consentit un second.
- Rigolons ferme, conclurent ceux qui étaient là, et aux frais des pékins.

Les éléments d'une noce
Mais comme, pour rigoler, il faut avoir de quoi - argent ou liqueurs - et que les maréchaux des logis ne se souciaient pas de dépenser le premier pour se procurer les secondes, ils ne trouvèrent rien de mieux que d'emporter de l'établissement Matton qui une bouteille de byrrh - c'était le maréchal des logis Alfred du 1er cuirassiers - qui, une bouteille de prunelière - c'était le maréchal des logis Betalioulou, du 7e dragons. Pour corser et varier le menu, le cavalier Deldere fit main-basse sur un bocal de cerisés.
Et, un peu titubants, chargés extérieurement et intérieurement, ils s'en allèrent fredonnant la chanson de l'artilleur ;
Du vin nous faut !
Nous faut du vin !


L'escalade
Accompagnés d'autres sous-officiers notamment des maréchaux des logis Brun, Dagau, Baillard du 7e dragons et du caporal secrétaire d'état-major Reymond, ils rentrèrent au quartier du Château où, en l'absence de l'adjudant de semaine, le maréchal des logis Betalioulou les porta rentrés, sur le registre du poste, ils montèrent chez: Bétalioulou où l'on but les liqueurs dérobées. Puis, ces libations premières achevées, on sortit en bande, les uns en tenue régulière, les autres sans armes.
- Nous n'avons plus rien à boire. Si nous allions en chercher d'autre.
- Allons-y.
Et les voilà repartis, se dirigeant vers le café-concert dé M. Matton :
Du vin nous faut !
Nous faut du vin !

Le café étant fermé et l'heure passée d'entrer dans l'établissement par les moyens ordinaires, par la porte, ils escaladèrent en prenant par le Champ de Mars et pénétrèrent ainsi dans le jardin des bosquets; cela leur permettait de rentrer plus facilement, sans être vus, au quartier, par la cour du Rocher.

Vie de polichinelle
Les maréchaux des logis se livrèrent alors à une véritable vie de polichinelle.
Ils mirent absolument à sac le jardin public dons nous avons parlé hier, le Bosquet.
L'un empoigna les chaises et les flanqua à l'eau, dans le bassin ; l'autre en fit autant du pupitre du kiosque ; un troisième jeta son dévolu sur la cabane des cygnes. ,
Un quatrième qui, vraisemblablement, n'avait reçu de la nature aucun goût artistique se jeta sur les statues; la Nuit et l’Aurore eurent les bras cassés tout comme la Vénus de Milo; Diane fut décapitée ainsi que son lévrier; Minerve n'avait plus forme humaine… je veux dire divine.
Les soldats en goguette foulèrent de leurs lourdes bottes les massifs de fleurs qui entouraient les statues, tant et si bien que le lendemain matin, les fleurs jonchaient le sol comme de la litière salement écrasée.
Quand une planche se trouvait sur le passage de cette avalanche implacable, zou ! un coup de talon de bottes. Et cela était si visible que le lendemain on retrouvait les stigmates des éperons de ces brutes.
Du vin nous faut
Nous faut du vin.


Fin d'une noce
Une vieille femme sans abri, sans asile, s'était .endormie à la belle étoile dans les jardins du Bosquet.
Elle fut réveillée en sursaut par les cris des soudards et, prise de peur, blottie dans le coin sombre dont elle avait fait sa couchette, elle vit et entendit tout le bastringue. Elle aperçut l'un grimpant sur les statues, les déplaçant et les brisant. Elle donna sur ces scènes de vandalisme des renseignements très précis.
Du reste, il était facile de reconstruire les faits, et de suivre à la trace les soldats ivrognes et tapageurs.
En quittant le Bosquet,, ils se rendirent dans une maison de tolérance, rue d'Einville, où ils burent encore avant de rentrer au quartier.
Enfin, ils arrachèrent nombre de cordons de sonnettes Aux portes des habitants, nombre de plaques et de boutons aux portes et, au caprice de leur soulographie tapageuse, ils s'en furent accrocher leur butin à d'autres portes, le long du chemin.
C'est cette série de méfaits que va juger aujourd’hui le conseil de guerre, à Châlons.


L'Espérance : courrier de Nancy
5 novembre 1887

L'incident de Lunéville. - Le conseil, de guerre du 6e corps a acquitté six cavaliers du 7e dragons, dans l’affaire relative aux dégradations commises sur les statues de la promenade du Bosquet, à Lunéville.
Le cavalier Deleduc a été condamné à seize francs d’amende.


Le XIXe siècle
6 novembre 1887

L'AFFAIRE DE LUNÉVILLE
La dévastation de la promenade des Bosquets.
Le conseil de guerre de Châlons vient de juger, pour mutilation d'objets destinés à la décoration publique, les sous-officiers Brun, Baillard, les soldats Delduc, Betatioulou, Dugen, du 7e et du 18e dragons, et le caporal d'état-major Reymond, poursuivis à la suite des faits qui amenèrent la mise en disponibilité du colonel Bouchy, commandant le 7e dragons à Lunéville, aujourd'hui, d'ailleurs, replacé à la tête d'un régiment.
Deux individus cités en police correctionnelle pour avoir injurié dans la rue le colonel Bouchy, avaient été acquittés. Quelques sous-officiers et soldats de la garnison, mécontents de cet acquittement, commirent, une nuit, des dégâts dans une des plus jolies promenades de France, qui a nom les Bosquets. La cabane des cygnes fut renversée, les conduites d'eau ouvertes, et ce qui est plus grave, plusieurs statues furent mutilées. On retrouva la Nuit sans bras et le lévrier de Diane sans tête.
L'instruction avait relevé des charges contre les prévenus, mais il paraît que les débats n'ont pas établi qu'ils fussent bien les vrais coupables. Aussi, à l'exception du cavalier Delduc, condamné à seize francs d'amende, tous les prévenus ont-ils été acquittés. Il est vrai qu'ils avaient subi près de deux mois de prison préventive.

 

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