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La vie et les oeuvres de l'abbé
Grégoire - 1789-1793
(notes
renumérotées)
(voir aussi les
autres documents
sur l'abbé Grégoire)
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Mémoires de
l'Académie de Stanislas
1883
LA VIE ET LES OEUVRES DE L'ABBÉ GRÉGOIRE (1)
1788-1831
Si judicas cognosce
Les récits des contemporains, les
pièces d'archives, les documents inédits, le Moniteur, « ce
répertoire redoutable », m'ont fourni les éléments de cette longue
et patiente étude. Dans une première partie (1750-1789) (2), je vous
ai raconté son enfance chrétienne et pauvre, son adolescence
laborieuse et chaste, les actes de son ministère à Marimont et à
Emberménil et j'ai analysé ses travaux littéraires couronnés,
l'Éloge de la poésie, par l'Académie de Stanislas, en 1781, l'Essai
sur la régénération physique morale et politique des Juifs, par la
Société royale des sciences et des lettres de Metz, en 1778.
Dans cette seconde partie (1789-1831), j'aurais voulu, en quelques
pages d'une critique sévère, apprécier la nature, le caractère, la
vie du célèbre abbé, à l'époque surtout de son délire
révolutionnaire, « de ses jours caniculaires », comme il les
appelle. Mais la sagesse de nos règlements m'impose un plan plus
modeste, je me bornerai simplement à mettre sous vos yeux, année par
année, ou plutôt jour par jour, ses écrits, ses motions, ses votes,
ses discours, ses actes, afin que chacun, dans la liberté et
l'indépendance de sa conscience, puisse, en connaissance de cause,
juger cet homme étrange, dont la mémoire, il l'avait prédit, a été
et est encore « en proie à la rage des partis »..
Durant un demi-siècle (1781-1831), l'abbé Grégoire a été membre de
notre compagnie ; j'aurai rempli un devoir de justice en retraçant,
avec une religieuse impartialité, sine ira et studio, les phases
diverses de sa vie si calme au début, si troublée en son cours, si
tourmentée jusqu'à son dernier soupir.
I. 1789. Né monarchique, comme la France de l'ancien régime, le curé
d'Emberménil a dû son élection aux Etats-Généraux, à l'estime de ses
confrères, à son discours à l'assemblée des trois ordres, à Nancy
(3), surtout à ses deux circulaires aux curés (20 et 22 janvier),
dans lesquelles il affirme de la manière la plus explicite, la plus
spontanée, « sa vénération pour ses supérieurs ecclésiastiques, son
admiration, son respect pour la personne d'un monarque, que l'on
peut louer sans flatterie ».
Arrivé à Versailles, il prend une part active aux discussions de la
Chambre du clergé, il y soutient « avec impétuosité » le vote par
tête et la réunion des trois ordres. Dans une Nouvelle Lettre d'un
curé à ses confrères (4), il expose tout à la fois « les relations
intimes et permanentes qui unissent les pasteurs aux paroissiens,
dont ils sont les « pères spirituels », et aussi « les misères du
peuple qui se débat dans les filets de la fiscalité..., l'injustice
des lois exclusives et tortionnaires, qui provoquent sa fureur... »
Il ne ménage ni à la noblesse ni à l'épiscopat quelques attaques mal
déguisées, mais il renouvelle ses protestations d'inviolable
fidélité à la monarchie. « Je pose en fait qu'aucun cahier ne
demande une constitution républicaine, qu'aucun député ne désire se
soustraire à l'autorité royale. » Il repousse, comme une calomnie et
un outrage, « tout ce qui pourrait porter atteinte à l'unité du
culte catholique, à la succession au trône, dans la famille d'un roi
qu'on aime ». Après le 10 août, entraîné vers la République, il
cherchera vainement, par la violence de ses attaques, à détruire
l'expression de cette foi monarchique si loyalement affirmée.
10 juin. - Le Tiers assemblé invite la noblesse et le clergé à venir
dans la salle commune pour y porter remède aux malheurs publics.
L'inquiétude est partout, la province s'agite, Paris est affamé ;
l'abbé Sieyès propose de donner défaut contre les non-comparants de
la noblesse et du clergé. Trois curés du Poitou se présentent
Grégoire juge plus utile de rester encore dans la salle du clergé,
mais il écrit au président Bailly, pour motiver sa résolution. Le
dimanche 14 juin, à la séance du soir, il fait son entrée avec cinq
autres ecclésiastiques le curé Dillon, dans son discours, exprime «
le respect et l'amour du clergé pour le monarque... » Il est fort
applaudi.
17 juin. - A une heure après midi, l'ordre du Tiers, sur la motion
de Sieyès, se constitue sous le titre d'Assemblée nationale à la
majorité de 481 voix contre 119 (5).
20 juin. - La salle est fermée par ordre ; l'Assemblée s'installe au
Jeu de paume, « triste lieu, démeublé, pauvre ». Grégoire, le
premier, prête le serment de ne point se séparer avant l'achèvement
de la Constitution ; l'austère Rabaud, ministre cévénol, et D.
Gerle. « un bonhomme de chartreux, d'excellent cœur, de courte vue
», imitent son exemple. Le 22 au matin, le curé d'Emberménil se
trouve à l'église Saint-Louis avec 149 ecclésiastiques il quitte le
chœur pour se mêler aux membres de l'Assemblée, qui entrent dans la
nef. « Le temple de la religion, dit-il, devient le temple de la
patrie. »
Le soir de ce même jour, il est au club breton ; il raconte en ces
termes, ce qu'il y a fait : « La veille de la séance royale, nous
étions douze à quinze députés, instruits de ce qui se passait à la
cour... ; tous opinèrent sur la nécessité de rester dans la salle,
malgré la défense du roi... On convint de circuler dans les groupes
de nos collègues, avant la séance, et de se préparer à la
résistance... Mais, dit quelqu'un, le vœu de douze à quinze
pourra-t-il déterminer la conduite de douze cents ? Il lui fut
répondu que la particule on a une force magique ; nous dirons: voilà
ce que fera la cour et parmi les patriotes on est convenu de cette
mesure... On, signifie quatre cents comme dix... L'expédient
réussit. » Des parlementaires, des avocats, des ecclésiastiques, des
Bretons surtout, se réunissaient à Versailles, dans ce club, que le
conseiller Dupont, député de la noblesse, avait d'abord ouvert chez
lui, rue du Chaume, à Paris. Depuis le 4 mai, Grégoire en était l'un
des membres les plus assidus, il y rencontrait Pétion, Mounier,
Barnave, Barrère, Boissy d'AugIas, Robespierre. Mirabeau n'alla
qu'une fois dans « ce laboratoire d'agitations » ; Lanjuinais,
Siéyès s'en retirèrent bientôt ; ce dernier juge les clubs avec
sévérité: « Une troupe de polissons, méchants, toujours en action,
criant, intrigant, s'agitant au hasard et sans mesure. » Il leur
attribue, avec raison, la plus grande part dans l'égarement de la
Révolution. C'est dans les clubs que le curé d'Emberménil contracta
l'habitude des discussions violentes, qu'il perdit son respect pour
le roi, auquel il reprochait tantôt de le dénigrer dans ses lettres,
tantôt de le vouloir corrompre en l'élevant au siège de La Rochelle.
Il avait compris que la force ne se mesure pas au nombre, « les
patriotes ne se comptent pas, ils se pèsent (6) » ; il résumait en
quelques mots la puissance des clubs : « Notre tactique était
simple, on convenait qu'un de nous saisirait l'occasion opportune de
lancer sa proposition dans une séance de l'Assemblée nationale, il
était sûr d'être applaudi par un très petit nombre et hué par la
majorité, n'importe il demandait le renvoi à un comité, où les
opposants espéraient inhumer la question. Les Jacobins s'en
emparaient ; sur leur invitation-circulaire ou d'après leur journal,
elle était discutée dans trois ou quatre cents sociétés affiliées et
trois semaines après pleuvaient à l'Assemblée des adresses pour
demander un décret, dont elle avait d'abord rejeté le projet.
23 juin. - Le roi termine la lecture de sa déclaration par ces mots:
« Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite et de
vous rendre, demain matin, dans les chambres affectées à votre
ordre, pour y reprendre vos séances. » Le roi parti, le Tiers reste
immobile, Mirabeau proteste, Grégoire appuie la protestation: « II
importe de maintenir la résolution prise par l'Assemblée. » On
constitue le bureau, il est nommé secrétaire à la presque unanimité.
8 juillet. - Mirabeau réclame l'éloignement des troupes, Grégoire
veut de plus que « l'on dévoile les auteurs de ces détestables
manœuvres, qui menacent la sécurité de l'Assemblée, qu'on les
dénonce comme coupables de lèse-nation, afin que l'exécration
contemporaine devance l'exécration de la postérité ».
10 juillet. - Paris est en insurrection, l'archevêque de Vienne
préside l'Assemblée, Grégoire propose la création d'un comité pour «
dénoncer tous les ministres coupables, les machinations de la cour,
tous les conseillers perfides du roi..., le roi est bon, mais on le
trompe ». Ce discours, dit le Moniteur fut prononcé avec une force
et une énergie peu communes ; le président exprima son étonnement de
ce qu'un ecclésiastique s'exprimât avec autant de véhémence sur une
semblable matière : « Surpris de l'apostrophe, je demandai la parole
pour m'expliquer ; je le fis avec les égards que mon cœur
m'inspirait, mais avec la fermeté que j'y devais mettre comme homme
public... Les applaudissements de l'Assemblée et des tribunes se
prolongèrent à tel point que j'en fus humilié pour ce digne prélat,
que j'aimais et qui m'aimait. »
12 juillet. Dimanche. - Il n'y a pas de séance ; on parle de
mouvements de troupes, de dispersion, d'enlèvement des députés ;
Grégoire, en qualité de secrétaire, s'empare des procès-verbaux, des
papiers, des correspondances, il les enveloppe sous un double sceau,
celui de l'Assemblée et le sien ; il les confie « à Mme Émery,
épouse du député de ce nom, qui durant trois jours eut sous sa
direction ce dépôt, dont elle appréciait l'importance ». Le même
soir, cinq ou six cents députés, qui ne sont pas allés à Paris, se
réunissent dans la salle des séances ; le président est absent, on
invite Grégoire à occuper le fauteuil, il accepte avec empressement
: « Il faut relever le courage de ceux qui tremblent » ; il
improvise un discours sur les tentatives de la tyrannie « Apprenons
à ce peuple qui nous entoure, que la terreur n'est pas faite pour
nous... Oui, nous sauverons la liberté naissante..., fallût-il pour
cela nous ensevelir sous les débris fumants de cette salle... » et
il termine par ces mots du poète « Si fractus illabatur orbis,
impavidum ferient ruinae. » Des applaudissements unanimes
accueillent ces paroles, on décide que la séance sera permanente ;
c'est la première de ce genre, elle dura soixante-douze heures. «
Cette citation répétée et commentée par les journaux fit beaucoup
d'honneur au curé d'Emberménil. »
23 juillet. - L'agitation des esprits est chaque jour plus grande,
les pillages, les meurtres désolent les provinces, l'Assemblée
délibère sur les remèdes à employer ; Grégoire demande que l'on
invite les pasteurs à tranquilliser les peuples: « Qui de vous,
dit-il à ses confrères, ne voudrait être au milieu de ses
paroissiens, pour faire entendre des paroles de paix et de confiance
dans les travaux de l'Assemblée. » Il a reçu des lettres anonymes,
on le menace de le dénoncer au Palais-Royal s'il n'en donne pas
lecture ; le président consulte l'Assemblée. Un non général fait
retentir la salle, on lui crie de tous côtés de les jeter au feu.
1er août. - Conformément aux vœux de son bailliage, Grégoire fait le
tableau des cruautés inouïes exercées contre les juifs d'Alsace ; il
réclame l'intervention de l'Assemblée. Le 14 du même mois, les
députés de la nation juive-portugaise de Nancy lui adressent
l'expression de leur reconnaissance, « il a d'abord plaidé leur
cause au tribunal de l'opinion, il a ensuite invoqué le secours de
l'Assemblée (7) ».
4 août. - Dans la mémorable discussion des droits de l'homme et du
citoyen, Grégoire établit la corrélation nécessaire des droits et
des devoirs: « Les droits, on est toujours prêt à les étendre, les
devoirs on les néglige, on les méconnait, on les oublie. »
L'amendement est repoussé par 570 voix contre 433.
8 et 9 août. - La dime sera supprimée à partir de 1790 ; Grégoire,
avec Siéyès et Lanjuinais, veut que l'on stipule une indemnité dont
le capital, solidement placé, formerait la dotation du clergé. «
Attachés à leurs propriétés, instruits de l'agriculture, les curés
trouveront des moyens plus aisés d'économie, plus de facilités pour
aider leurs paroissiens. » Plus tard, lorsque le comité des dîmes
propose de payer en argent le traitement des ecclésiastiques, il
demande une exception pour les curés : « L'intérêt des pauvres, des
ministres, de la patrie, exige leur dotation en fonds
territoriaux... Si vous pensionnez les curés, le peuple regardera la
religion comme onéreuse..., les pauvres ne demandent pas d'argent,
mais du pain... On prétend qu'il ne faut pas distraire les curés,
moi, je dis qu'il leur faut des distractions et que celles de
l'agriculture sont celles qui leur conviennent le mieux... C'est
chez les curés que s'essaient les découvertes rurales repoussées par
l'habitude et la routine... La société d'agriculture, à laquelle
j'ai communiqué un mémoire sur cette question, a reconnu qu'il était
au moins nécessaire de donner aux curés la moitié de leur traitement
en fonds de terre (8). » A la même époque, il publie à Nancy, deux
mémoires, l'un Sur la Dotation des curés en fonds territoriaux
(in-8°, 32 p.), l'autre Sur les Droits de tiers denier des biens
communaux et de troupeau à part usités en Lorraine (in-8°, 56 p.).
10 août. - Le cardinal de Rohan adresse au curé d'Emberménil une
lettre dans laquelle il lui exprime ses sentiments d'attachement et
de haute estime pour ses ouvrages et ses qualités personnelles.
10 août. - Grégoire propose la suppression des annates, « monument
de simonie contre lequel le concile de Bâle avait déjà statué ». Il
avait fait inscrire cette réforme dans les cahiers de son bailliage.
14 août. - Il reçoit de la nation juive-portugaise de Bordeaux une
lettre d'éloges et de reconnaissance.
18 août. - Dans la discussion relative à la déclaration des droits,
il demande vainement que le nom de Dieu « qui retentit dans toute la
nature et dans tous les cœurs soit placé à la tète de cette charte
d'affranchissement ; « l'homme n'a pas été jeté au hasard sur ce
coin de terre, s'il a des droits, il faut parler de Celui dont il
les tient, s'il a des devoirs, il faut lui rappeler Celui qui les
lui prescrit. »
11 septembre. - Il demande que les curés à portion congrue ne soient
pas mis sur le rôle ; on approuve la proposition, mais les curés
congruistes refusent ; ils sont citoyens, « qu'on ne leur impose pas
la honte de ne pas contribuer à la chose publique... On accepte et
on applaudit. »
16 septembre. - Il s'oppose à ce que l'Assemblée agrée la dédicace
d'une édition de Voltaire publiée par Palissot : « Que l'on s'assure
auparavant si l'on a repoussé de cette édition des ouvrages qu'un
homme honnête rougirait de voir entre les mains de sa femme et de
ses enfants... » Un ordre du jour écarte la dédicace.
5 octobre. - Paris marche sur Versailles le roi écrit à l'Assemblée:
« Il accède aux lois constitutives, mais il réserve les droits du
pouvoir exécutif. » Robespierre et Duport veulent que le roi accepte
purement et simplement la déclaration des droits Grégoire prend la
parole : « Le roi est bon, mais il est homme, il a été trompé, il le
sera encore... Il y a des troubles..., une disette affreuse..., le
ministre doit être instruit, qu'il s'excuse, ou bien il est
coupable. » Il dénonce au comité des recherches les fêtes
militaires, le repas de l'Orangerie, ce qu'il appelle l'orgie du 3
octobre. Mirabeau lui fait remarquer qu'il a plus de zèle que de
prévoyance ; il est dangereux, en des jours tumultueux, de révéler
des faits coupables ; il lui reproche d'avoir parlé déjà, en termes
vagues, d'un meunier qui aurait reçu 200 livres pour ne pas
moudre... « Un vainqueur de la Bastille, Stanislas Maillard, a fait
de ce bruit un texte d'accusation contre l'aristocratie et contre la
cour. »
8 octobre. - Le roi est à Paris, l'Assemblée hésite, elle n'a pas
confiance dans la multitude, cependant elle quitte Versailles.
Grégoire a motivé sa protestation: « Livrés à la merci d'un peuple
armé, pense-t-on que les députés du clergé puissent se rendre à
Paris et braver en sûreté les outrages dont ils sont menacés ? De
respectables ecclésiastiques connus par leur dévouement patriotique
et leur zèle, sont venus les premiers s'unir au Tiers... Ils ont
abandonné les dimes, renoncé au casuel, porté dans les caisses
publiques des dons plus proportionnés à leur zèle qu'à leurs
facultés... Quel prix en reçoivent-ils ? le peuple de Paris les
outrage, il leur fait les menaces les plus effrayantes... Il n'y a
pas de jour que des ecclésiastiques ne soient insultés... » Ces
paroles improvisées, prononcées de sa place d'une voix sonore, avec
un ton de dignité et d'autorité, frappèrent l'Assemblée, dit le
député Montlosier : « j'allai tout ému à M. Grégoire lui faire mon
compliment ; pendant quelque temps il resta dans nos rangs, je
pensais que nous avions fait une acquisition. »
15 octobre. - Grégoire entre dans la maison de M. et de Mme Dubois,
où, durant 42 ans, il trouva la plus cordiale hospitalité et la plus
constante affection.
21 octobre. - L'Assemblée discute la question de cens et
d'éligibilité : « Nul ne sera électeur s'il ne paie une imposition
directe, comme propriétaire ou locataire. » Grégoire attaque cet
article, il redoute l'aristocratie des riches. « Pour être électeur
ou éligible, il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain
et un cœur français... Exiger un cens, c'est exclure presque tous
les ecclésiastiques de la représentation nationale... » II attaque,
avec violence, la division des citoyens en actifs et non actifs ;
rappelé à l'ordre, il ajoute, aux applaudissements des tribunes : «
Je connais, à Paris, un grand nombre de citoyens non actifs, logés
au sixième, que vous privez de leurs droits. »
23 octobre. - Un paysan du Jura, Jean Jacob, âgé de 120 ans, vient
remercier l'Assemblée de ses décrets ; Grégoire demande que tous les
députés se lèvent, « en raison du respect qu'a toujours inspiré la
vieillesse ». On invite le vieillard à s'asseoir et à se couvrir, on
fait une collecte en sa faveur ; le roi lui avait donné une pension
de 200 livres.
9 novembre. - Le clergé est dissous comme ordre et corporation,
l'émission des vœux est suspendue, le nombre des monastères est
réduit à un du même ordre, en chaque municipalité, les biens du
clergé sont à la disposition de la nation ; Grégoire demande que
pour obtenir un bénéfice à charge d'âmes, on soit Français ou
naturalisé ou régnicole, depuis dix ans au moins.
3 décembre. - Membre actif de la Société des Amis des noirs, il
propose l'admission des hommes de sang mêlé dans la représentation.
Il publie un mémoire en leur faveur (Paris, in-8", 52 p.).
30 novembre. - L'ancienne division territoriale a disparu ; 44,828
municipalités ont été décrétées les officiers municipaux exercent
deux espèces de fonctions, les unes relatives au pouvoir communal,
les autres à l'administration générale ; Grégoire réclame pour eux
la préséance et le pas sur tous les autres magistrats ; « Nous
devons réclamer avec courage toutes les prérogatives de la
souveraineté du peuple ; c'est la loi qu'il faut voir dans celui qui
en est l'organe..., il faut honorer le peuple dans ses
représentants. »
1790. 5 janvier. - On confisque, au profit du Trésor, les revenus
des bénéficiers absents ; Grégoire s'élève contre l'émigration des
ecclésiastiques : « Les uns ont abandonné leur poste par
anti-patriotisme, les autres par crainte de partager les dangers de
la patrie... » Plus tard, il avouait que l'archevêque de Paris
s'était retiré à Chambéry « pour échapper aux outrages, aux menaces
les plus effrayantes »
19 janvier. - Il fait insérer au Moniteur (littérature, droit
public) un mémoire en faveur des gens de couleur ou sang mêlé de
Saint-Domingue. On avait mal accueilli, le 22 décembre, une
députation des colonies, Grégoire se constitue leur avocat, leur
patron ; président de la Société des Amis des noirs, il plaide sans
cesse, par ses discours et par ses écrits, la cause de l'abolition
de l'esclavage. J'ai consulté, à la bibliothèque de l'Arsenal, sa
vaste correspondance avec Haïti (n° 6,309) et un grand nombre de
manuscrits importants (n°s 6,573, 2,165, 2,167, 5,290, 5,291).
5 février. - Membre du comité des rapports, il expose à l'Assemblée
l'état des travaux « On a reçu plus de 5,000 requêtes, 2,500 sont
déjà déblayées, la plupart de celles sur lesquelles il reste à
statuer seront renvoyées aux ministres, aux départements et aux
tribunaux. »
9 février. - Président du comité des rapports, il rend compte des
troubles du Quercy, de la Rouergue, du Périgord, du Bas-Limousin et
de la Basse-Bretagne. Les mendiants courent le pays, on pille les
châteaux, la terreur est partout..., il ne peut le nier, mais il en
attribue la cause à l’ignorance, à l’inexécution des décrets du 4
août, à l »influence sur les gens de la campagne « de ceux qui
préfèrent l'esclavage et l'anarchie à l'ordre et à la liberté... On
montre perfidement aux paysans de faux décrets, de fausses lettres
patentes... On lui écrit de Lorraine : Nous sommes à la veille d'une
guerre sanglante, intestine et féodale, il faut que les bons
citoyens s'unissent...» Mirabeau proteste, il caractérise la
situation d'une manière plus nette et plus vraie : « C'est la guerre
de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. »
L'Assemblée décide qu'elle priera le roi de faire exécuter les
décrets, qu'elle écrira aux municipalités des pays où il y a des
troubles, qu'elle est affectée de ces désordres ; le mot est faible,
dit un membre, mettez qu'elle blâme, qu’elle condamne. Grégoire
invite de nouveau les curés membres de l'Assemblée à écrire à leurs
confrères de donner à leurs paroissiens une interprétation exacte
des décrets et d'user de « tous les moyens que leur offre la
confiance due au caractère sacré dont ils sont revêtus ». L'abbé
Maury prend la parole ; il veut qu'on dise anathème aux brigands ;
si l'Assemblée n'a pas cette force, « l'État est dissous.
L'influence des curés est une illusion, Turgot a usé de ce moyen en
1775, il a échoué... Ce remède, insuffisant alors, le serait
aujourd'hui bien davantage sur un peuple que les ennemis de la
nation ont égaré... Il faut une répression armée, au moins dans les
campagnes. » Grégoire persiste à repousser l'emploi de la force, il
faut éclairer le peuple... « On l'entretient dans l'ignorance de vos
décrets..., la vertu a sa place naturelle à côté des lumières et de
la liberté ! »
11, 13, 18 février. - On discute la question des ordres religieux ;
il n'y a pas assez de prêtres séculiers, dit Grégoire, « il est
nécessaire de se ménager des troupes auxiliaires, il serait
impolitique de supprimer en entier les ordres religieux. » Lorsqu'il
s'agit de statuer sur le sort des membres des congrégations, il
soutient que tous ont à peu près les mêmes droits ; il demande que
le minimum des pensions soit fixé à 800 fr. jusqu'à 50 ans, à 1,000
fr. jusqu'à 70 ans, à 1,200fr. au delà et que cette disposition soit
commune aux Jésuites. « Parmi les cent mille vexations de l'ancien
gouvernement..., on doit compter celles qu'il a exercées sur un
ordre célèbre, les Jésuites ; il faut les faire participer à votre
justice. » Robespierre appuie la motion: « nous devons aux religieux
un traitement juste et honnête. »
15 mars. - Président du comité des rapports et du comité des
recherches, il fait élever, de 15 à 30, le nombre des membres ; ils
seront renouvelés par moitié, de mois en mois. Il déploie une
merveilleuse activité pour dépouiller les dossiers et pour suivre
les discussions de l'Assemblée.
23 mars. - Il réclame un relevé détaillé des appointements qui
existent sous le nom d'état-major des places ; il signale « un
gouverneur de la Mallebranche, c'est-à-dire une maison de campagne,
qui reçoit 12,000 fr. »
23 mars. - On délibère sur l'éligibilité des gens de couleur, la
majorité est hostile ; Grégoire renoncera à la parole sur l'article
4, « à condition que les députés des colonies renoncent à
l'aristocratie de la couleur ». L'Assemblée refuse de discuter la
question.
1er avril. - Il fait adopter un décret qui enlève aux salines de
Dieuze, Moyenvic et Château-Salins, l'exploitation des bois
appartenant aux communes, aux propriétaires ou aux détenteurs de
bénéfices. La ferme fit publier, à 3,000 exemplaires, le mémoire
rédigé à cet effet par le curé d'Emberménil, qui désirait la
conservation de ces importantes usines menacées par les paysans.
12 avril. - On discute un projet de décret présenté par le comité
des dîmes ; Roederer accuse l'évêque de Nancy de ne s'occuper des
pauvres qu'à la tribune ; Grégoire défend son évêque en termes
énergiques.
15 avril. - Au nom du comité des rapports, il réclame contre le
décret du 6 mars, qui concerne les procédures prévôtales : « Les
galériens se révoltent, il importe de rétablir l'autorité des
prévôts. »
1er mai. - Il propose la création d'une caisse de 1,200,000 fr. pour
avances aux entrepreneurs de dessèchement de marais et aux
agriculteurs... On ne pourra prêter que pour cinq ans et jusqu'à
concurrence de 40,000 fr. « C'est de l'argent que vous placerez à
gros intérêt, car la terre compense avec usure les travaux et les
peines de ceux qui la cultivent. »
20 mai. - Il provoque un décret qui interdit de recevoir sur nos
galères aucune personne condamnée par des juges étrangers.
2 juin. - Le clergé a perdu ses dimes, son casuel, ses bénéfices,
Mirabeau a triomphé de l'éloquence de Maury ; dans sa réaction
contre le passé, l'Assemblée abolit le concordat de Léon X et de
François Ier, elle veut remonter à la pragmatique de Charles VII,
plus d'une fois réclamée par les parlements. Le comité
ecclésiastique propose une réforme qui, sous le nom de constitution
civile du clergé, fait entrer le schisme dans l'Église de France. «
La discussion, dit Michelet, ne fut ni forte ni profonde..., nul
changement ne pouvait se faire sans la convocation d'un concile... »
Michelet a raison en ce qui concerne le droit du concile, il se
trompe sur le caractère et la nature des débats ; la discussion fut
longue, sérieuse, approfondie, elle dura tout le mois de juin. Les
évêques en grand nombre nient la compétence de l'Assemblée un
concile national peut seul régler les difficultés de discipline et
de droit public ecclésiastique. Les philosophes veulent détruire la
religion, Grégoire, qui fait campagne avec eux, ne veut que la
réformer il montre d'abord une certaine mesure, il craint le schisme
: « Il ne faut pas porter atteinte à l'autorité papale. » - Le 7, il
demande que l'évêque ne soit pas curé de la cathédrale, sa motion
est repoussée. - Le 8, il vote l'élection par tous les prêtres, de
quatre curés, qui formeront le conseil épiscopal ; le plus âgé, avec
le concours des trois autres, gouvernera le diocèse, en cas
d'absence ou d'empêchement de l'évêque. Son ami, Lanjuinais, avait
proposé de faire choisir par le synode, au scrutin de liste simple,
les membres de ce conseil. - Le 9, on discute le mode de l'élection
de l'évêque ; il soutient un amendement qui enlève aux
non-catholiques le droit de choisir les ministres du culte ; il est
battu par la majorité. - Le 14, il se joint à Moreau, à Dumouchel, à
Prieur, pour faire décider que les ecclésiastiques voués à
l'enseignement, principaux, régents, professeurs de théologie,
auront le droit d'être choisis pour évêques. - Le 15, il remontre «
que l'intervalle entre la mort d'un curé et la nomination de son
successeur est funeste aux moeurs et à la piété, aussi le
procureur-syndic devra-t-il convoquer les électeurs sous quinzaine.
» - Le 17, il se joint à l'abbé Gouttes pour fixer à 1,500 fr. le
traitement des curés de campagne : « Ils auront la vie et le
vêtement, non la fortune. » - Le 21, il demande que la pension de
retraite d'un curé, après 25 ans d'exercice, soit égale au
traitement de la place qu'il occupe ; la motion est écartée par la
question préalable. - Le 28, il appuie une proposition de
Robespierre « qui invoque la justice de l'Assemblée en faveur des
ecclésiastiques vieillis dans le ministère ». Il faut améliorer
proportionnellement à leur âge le sort de ceux dont le traitement
sera inférieur à 3,000 fr.
2 juillet. - « Après avoir conquis la liberté, dit Grégoire, nous ne
devons pas souffrir qu'un seul gémisse dans la servitude j'apprends
qu'il y a des Français emprisonnés dans les forteresses étrangères,
que le comité des lettres de cachet prenne des renseignements et
qu'il rende compte à l'Assemblée, avant le 14 juillet. »
6 août. - Il fait insérer au Moniteur une adresse aux bons citoyens
du département de la Meurthe : « On débite, à Paris, qu'un grand
nombre de Lorrains vont servir dans l'armée impériale, il proteste
contre cette calomnie : à peine échappés au fléau du despotisme, ils
en deviendraient ailleurs les détestables sujets ? Il est loin de
tout approuver dans cette révolution à laquelle il croit n'avoir pas
été inutile... Il lui sacrifie de bon cœur sa fortune et sa santé...
Quiconque regrette l'état de dégradation où nous avait plongés la
tyrannie, n'est fait que pour traîner les chaînes honteuses de la
servitude... Quelles attaques peut redouter un peuple qui a du
canon, du courage, de la liberté... Ceux qui, par ignorance,
préjugés ou mauvaise foi ne veulent pas admettre ces vérités, je
rirai de leurs injures, j’attendrai leur réfutation... Je supprime
le refrain servile qui termine ordinairement les lettres, pour me
dire cordialement, Messieurs, votre bon et loyal compatriote. »
13 août. - Il adresse aux municipalités, aux curés, aux clubs, une
série de questions relatives aux patois et aux mœurs des gens de la
campagne. « Ces questions ayant un but d'utilité publique, vous ne
me refuserez pas vos lumières. » La circulaire comprend 43 questions
posées avec une méthode parfaite, 5 ont rapport aux écoles ; les
réponses, dont plusieurs sont rédigées avec talent, ont un véritable
intérêt pour l'histoire du passé je les ai analysées avec soin,
surtout en ce qui concerne l'instruction primaire je voudrais citer
celle du pasteur Oberlin qui, en 1788, avait reçu la visite du curé
d'Emberménil. Il lut envoie sur les patois « un essai qu'il a fait
antérieurement imprimer », et il le supplie de plaider la cause des
ministres qui, « perdant les dimes, seront réduits à mendier leur
pain, si les districts et les départements ne sont obligés de les
pourvoir d'un équivalent ».
19 août. - Le comité des finances propose un crédit de 27,217 fr.
pour les académies ; Mirabeau le repousse: « Ce sont des écoles de
servilité et de mensonge, elles sont incompatibles avec le nouveau
régime. » Grégoire les défend, il en démontre l'utilité, il sait
d'ailleurs « qu'elles s'occupent à se donner des statuts dignes de
la liberté ». L'Assemblée vote provisoirement le crédit.
19 septembre. - II fait un rapport sur l'admission des députés de
Pondichéry : « A quatre mille lieues de nous, des citoyens français
ont adopté, avec transport, notre nouvelle constitution et prêté le
serment civique. »
12 octobre. - L'Assemblée lui refuse la parole sur les affaires de
Saint-Domingue ; il fait aussitôt imprimer et déposer chez trois
libraires, « une lettre aux philanthropes sur les malheurs, les
droits, les réclamations des gens de couleur de Saint-Domingue et
autres îles françaises » (1 vol. in-8°).
2 décembre. - Les comités réunis des finances et d'aliénation
présentent un rapport sur la vente des biens nationaux ; Grégoire
prend la parole pour « une observation préliminaire ; vous avez à
cœur de bien vendre et de vendre promptement, afin de multiplier le
nombre des propriétaires ; pour remplir des vues aussi sages, il
vous faut abolir les dispositions qui, en diverses provinces,
établissent l'inégalité des partages... N'est-il pas affreux qu'un
père juste, qui aime également ses enfants, soit forcé de trahir sa
tendresse et sa justice ? » Il obtient que l'on fixe le jour où sa
proposition sera discutée. - Membre actif d'un comité pour
l'abolition du droit d'aînesse, il accueille, avec intérêt, une
députation des jeunes demoiselles de Rouen et du Havre, qui lui
présentent des doléances contre ce droit inique. - Il renouvelle
sans succès sa proposition d'accorder aux curés une dotation
territoriale.
12 décembre. - Les duels de Lameth avec le duc de Castries, de
Barnave avec de Cazalès, les provocations, les défis des
gentilshommes effraient les clubs : leurs agents excitent la
multitude, on pille l'hôtel de Castries... Grégoire publie des «
réflexions générales sur les duels ». La question religieuse
l'occupe peu, il traite surtout la question politique ; « on fit
grand éloge de cette brochure au club des jacobins. »
7 décembre. - A la suite de l'affaire de Nancy, l'Assemblée avait
approuvé la conduite de M. de Bouillé et voté des remerciements à la
municipalité, au directoire, à la garde nationale ; organe du parti
avancé et des patriotes, Grégoire accuse le général : « On a
amplement déduit le tort des soldats, a-t-on suffisamment développé
les causes qui les ont aigris et égarés ? Bouillé avait tardé à
prêter serment et cependant il commandait... Malgaigne parlait à des
soldats avec une brutalité presque barbare..., la municipalité
armait..., il y a eu de perfides et sourdes machinations..., les
soldats ont cru servir la patrie... Le patriotisme pur d'une société
respectée avait été dénoncé. Mais je n'ai garde d'appeler la
vengeance sur les coupables. Notre malheureuse patrie ne demande pas
à être vengée, mais consolée... N'attisons pas une haine qui, depuis
longtemps, divise deux villes faites pour s'aimer et s'estimer... »
Il conclut au désaveu de l'approbation donnée le 3 décembre à la
municipalité et au directoire de Nancy. - Il est applaudi, Barnave
appuie la motion qui est adoptée.
24 décembre. - Le 29 novembre, l'Assemblée a décrété que, sous
huitaine, les évêques, curés et autres ecclésiastiques prêteraient
le serment ; le 23 décembre, Camus, un jurisconsulte janséniste,
demande que la force intervienne... Le lendemain, au milieu des
applaudissements des tribunes et d'une partie de l'Assemblée,
Grégoire, le premier, prête le serment. Avant cet acte solennel, il
fait la déclaration suivante : « Disposé, ainsi qu'un grand nombre
de confrères, à prêter le serment civique, permettez qu'en leur nom
je développe quelques idées qui ne sont pas inutiles dans les
circonstances présentes. (Il se fait un profond silence.) On ne peut
se dissimuler que beaucoup de pasteurs très estimables, dont le
patriotisme n'est pas équivoque, éprouvent des anxiétés, parce
qu'ils craignent que la Constitution ne soit incompatible avec les
principes du catholicisme. Nous sommes aussi invinciblement attachés
aux lois de la religion qu'à celles de la patrie : revêtus du
sacerdoce, nous continuerons à l'honorer par nos mœurs, soumis à
cette religion divine, nous en serons constamment les missionnaires,
nous en serions, s'il le fallait, les martyrs. Mais après le plus
mûr et le plus sérieux examen, nous déclarons ne rien apercevoir
dans la Constitution qui puisse blesser les vérités saintes, que
nous devons croire et enseigner. Ce serait injurier, calomnier
l'Assemblée que de lui supposer l'intention de mettre la main à
l'encensoir. A la face de la France et de l'univers, elle a
manifesté solennellement son profond respect pour la religion
catholique, apostolique et romaine. Jamais elle n'a voulu priver les
fidèles d'un seul moyen de salut, jamais elle n'a voulu porter
atteinte au dogme, à la hiérarchie, à l'autorité spirituelle du chef
de l'Eglise ; elle reconnait que ces objets sont hors de son
domaine. Le titre seul de Constitution civile énonce suffisamment
son intention ; nulle considération ne peut donc suspendre
l'émission de notre serment. Nous formons les vœux les plus ardents
pour que, dans toute l'étendue de l'empire, nos confrères
s'empressent de remplir un devoir de patriotisme si propre à porter
la paix dans le royaume et à cimenter l'union entre les pasteurs et
les ouailles. » Durand de Maillane demande que ce discours, si
touchant pour les gens de bien, soit imprimé et inscrit au
procès-verbal. 52 curés, 8 abbés ou religieux prêtent serment, au
milieu des applaudissements de la gauche. Il publie des observations
sur le décret qui ordonne une nouvelle circonscription des paroisses
(in-8°, 28 p.).
1791. 4 janvier. - Au moment où commence l'appel nominal, la foule
s'agite autour de la salle, on entend des menaces, des cris, le
maire sort pour assurer le calme ; la droite proteste, Maury réclame
en vain la parole, la majorité des évêques refuse le serment, « Les
évêques, dit Michelet, trouvèrent dans la situation des paroles
heureuses et dignes, qui, pour leurs adversaires, furent des coups
d'épées... » L'exigence dure et maladroite que l'on mit il obtenir
le serment fut une faute : « elle donna aux réfractaires une
magnifique occasion, éclatante, solennelle, de témoigner devant le
peuple, pour la foi qu’ils n’avaient pas... » Surpris de cette
énergie, Grégoire recourt à des artifices de langage qui sont peu
dans ses habitudes ; « c'est au nom de la religion, de la patrie, de
la paix qu'il va ajouter quelques mots... Les uns ont prêté le
serment, les autres s'y sont refusés, de part et d'autre, nous
devons supposer des motifs respectables... L'Assemblée ne juge pas
les consciences, elle n'exige pas même un assentiment intérieur
(murmures). Je ne justifie pas les restrictions mentales, je veux
dire seulement que, par le serment, nous nous sommes engagés à obéir
et à procurer obéissance à la loi. Attaché par une union
fraternelle, par un respect inviolable à nos respectables confrères
les curés, à nos vénérables supérieurs les évêques, je désire qu'ils
acceptent cette explication, et si je connaissais une manière plus
fraternelle, plus respectueuse de les y inviter, je m'en servirais.
» Ses vénérables supérieurs résistent, 134 archevêques, évêques ou
coadjuteurs refusent le serment, 4 le prêtent, dont 3 incrédules
connus par leurs mœurs dissolues. En cette grave question, Mirabeau,
Robespierre, Desmoulins ne partagent pas l'opinion de Grégoire, qui
publie « sur la légitimité du serment » une brochure in-8° de 27
pages, que le conseil général de la commune de Nancy fait réimprimer
chez la veuve Bachot. Il n'a plus de ménagements à garder, il
insulte ceux qui n'acceptent pas ses respectueuses et fraternelles
explications ; « Ce sont des êtres égarés par un faux zèle, stimulés
par la haine... Ils empoisonnent nos motifs, ils nous prodiguent des
qualifications atroces, absurdes... Son serment est un hommage à la
patrie, sa déclaration un hommage la religion... Sa dissertation
sera une réponse circulaire à une foule de lettres consultatives et
une réfutation des protestations des chapitres, des lettres
pastorales, de celle de l'évêque de Metz en particulier. » Il résume
et il discute les objections : la répartition des évêchés n'a rien
de contraire à la tradition ; l'élection est un retour aux pratiques
de la primitive Église... Il a réclamé l'exclusion des électeurs
protestants et juifs... L'élection est un objet de discipline,
l'ordination est de droit divin, le peuple choisit, l'Eglise
ordonne... Il y a moins à censurer dans les élections nouvelles qu'à
rougir des anciennes... Le patrimoine de l'Église était devenu la
proie d'une caste privilégiée et vorace..., des Laïs qui souillaient
une cour dépravée... La suppression des vœux ne leur enlève que les
effets civils ; « les engagements pris avec Dieu sont hors de la
compétence de l'Assemblée, qui ne s'y oppose pas, qui n'a pas le
droit d'y mettre obstacle... Nous aurons peut-être des congrégations
libres de l'un et de l'autre sexe, des maisons où la liberté
s'associant à la piété, en relèvera l'éclat, tel est le vœu de bien
des gens, tel est le mien... » Il expose avec amertume les misères
d'une foule de curés, de vicaires, de prêtres sans ressources,
écrasés d'impôts, assiégés par le besoin... « Le sort de ces hommes
qui se sont jetés avec tant de confiance dans la révolution est loin
d'être amélioré... S'il est des pasteurs, dont les discours
séditieux appellent la vindicte des lois, est-ce un motif pour
envelopper cette classe d'hommes dans une proscription commune ?
Gravures, comédies, chansons, pamphlets, rien n'a été oublié ; on
prononce avec emphase les mots superstition, fanatisme, on ne
conseille pas tout à fait de massacrer les prêtres et les ci-devant
nobles, mais tous les jours, vous trouvez des cannibales qui parlent
d'égorger, comme on parle de manger, de dormir. Les pasteurs, les
pères du peuple sont voués presque partout à la dérision, aux
insultes, à la férocité, ils sont poursuivis jusque dans nos
temples, devenus, depuis qu'on y fait les élections, le théâtre des
cabales, des blasphèmes et même de fureurs sanguinaires... Dans
mille endroits, les prêtres ne trouvent dans les maires que des
bourreaux en écharpe... » Quel tableau ! Maury et les insermentés
n'ont pas flétri avec plus d'énergie cette situation déplorable ; la
Terreur ne date pas de 1793, depuis la prise de la Bastille : « tout
est philanthropie dans les mots, dans les lois ; tout est violence
dans les actes, désordre dans les choses. » Et cependant, par une de
ces contradictions étranges, que nous constaterons souvent dans ses
discours, ses écrits et sa vie, il ajoute : « Si la religion
éprouvait la moindre atteinte, notre silence serait une lâcheté
sacrilège, jamais on n'étoufferait la voix de ceux qui craignent
plus un remords qu'un poignard... Les mêmes qui prétendent que nous
avons détruit la royauté, crient que les décrets sont subversifs du
catholicisme... Je crois avoir détruit les inculpations faites à la
religion de l'Assemblée..., que la haine et la noirceur s'épuisent
de nouveau en calomnies, en injures, cette fange retombe sur le
visage de ceux qui la jettent... Les principes de la Constitution
sont fondés sur l'Évangile. La Religion et la Constitution unies par
des liens indissolubles élèvent majestueusement la tête au milieu de
l'empire, pour faire le bonheur des Français et mériter les hommages
de l'univers.
18 janvier. - Le troisième scrutin pour la nomination du président
de l'Assemblée donne la majorité à l'abbé Grégoire.
20 janvier. - Le président annonce la dédicace de plusieurs ouvrages
et manifestes apologétiques de la nouvelle organisation du clergé ;
il présente lui-même son mémoire sur la légitimité du serment. Cet
hommage est accueilli par de nombreux applaudissements.
14 février. - Au nom du comité des domaines, le député Pison fait un
rapport sur l'aliénation du domaine de Fénétrange ; Grégoire prend
la parole : « Vous avez entendu que la crédulité du roi a été
surprise par un don de 80,000 livres, vous avez entendu qu'un
ex-ministre prévaricateur, M. Calonne, a été le principal ouvrier de
cette œuvre d'iniquité, je demande qu'il soit poursuivi comme
solidaire du paiement. » On applaudit.
15 février. - Le président donne lecture d'une adresse des électeurs
de Loir-et-Cher, qui ont nommé à l'évêché de leur département, M.
l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil et député. (La gauche de
l'Assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.) Le
même jour, Grégoire recevait aussi la nouvelle de sa nomination à
l'évêché du Mans : « Je voulais, écrit-il dans ses Mémoires, refuser
l'épiscopat, mais des hommes, qui avaient de l'ascendant sur ma
conscience (9), en usèrent pour me persuader. Je craignis de
résister à ce qui pouvait être la voix de Dieu et je choisis Blois,
dont la nomination m'était arrivée la première. » Plus tard, il
avouait qu'il craignit qu'un refus ne fit supposer qu'il
ambitionnait le siège de Paris ou celui de Nancy, où les élections
n'avaient pas encore eu lieu.
Le 16 février, on lisait dans le journal d'Hébert : « Grande joie du
Père Duchesne au sujet de la nomination de l'abbé Grégoire et sa
grande motion de le faire évêque de Paris, à la grande satisfaction
du peuple français. » En marge d'un catalogue, à propos de cet
article, Grégoire écrit: « Folie déplacée de la part d'un écervelé,
mort Bicêtre en état de démence. » Voici quelques détails officiels
sur l'élection faite à la cathédrale de Blois, le 14 février à
l'issue de la messe paroissiale, le procureur-syndic Brisson ouvre
la séance ; deux candidats sont proposés, Dupont, curé de
Saint-Aignan, et le curé d'Emberménil qui est élu. Les Jacobins de
Paris l'avaient désigné à la Société populaire ; à Blois, comme
partout, la majorité des prêtres et des fidèles ne vote pas, la
minorité seule prend part au scrutin. A l'issue de la séance, le
maire, président de l'assemblée, écrit a Grégoire, il le prie de lui
faire connaitre ses intentions, par le courrier porteur de sa lettre
: « Les électeurs ne se sépareront qu'après qu'il aura reçu sa
réponse. » Le 16, l'évêque informe l'assemblée électorale qu'il
accepte : « Dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons,
l'épiscopat ne peut être accepté que par un dévouement chrétien et
civique, c'est une vérité que j'énonce et non un mérite que je veux
me faire à vos yeux... » La lettre est courte, il espère justifier
les espérances de ceux dont il n'a pas brigué les suffrages, la
Providence sera son guide et son appui. « Agréez, Messieurs, et
partagez avec tous les pasteurs et tout le peuple du département les
sentiments de fraternité et d'attachement de votre très humble et
obéissant serviteur, Grégoire. » Il notifie aussi son acceptation au
maire, aux administrateurs du directoire, au procureur général ; le
18, 1e président le remercie de la préférence qu'il a bien voulu
accorder à Blois. Les sympathies des députés du département, de «
l'intéressant Beauharnais » surtout qu'il avait connu chez le duc de
Nivernais, à son arrivée à Versailles, lui faisaient espérer un
accueil favorable ; ses illusions furent de courte durée. Le 19, les
administrateurs réclament sa présence: « L'ancien évêque, M. de
Thémines, va procéder à une ordination..., le peuple voit avec peine
les chaires fermées dans ce temps de carême..., les consciences sont
inquiètes…, la majorité de nos prêtres de la ville est hostile... 4
des 6 paroisses vont être fermées, on les donnera aux deux curés
qui, seuls, ont prêté le serment... Nous espérons que
l'indisposition qui vous tourmente n'aura pas de suite, nous le
désirons et si nos vœux s'exaucent, nous aurons bientôt le plaisir
de vous posséder parmi nous. » Le 26,1e directoire lui écrit: « Nous
ne pouvons vous cacher les intrigues des ennemis de la patrie...,
votre piété, votre charité exemplaire forceront bientôt votre
troupeau à se réunir autour de vous. » Les curés Vallon et Métivier
le pressent de hâter son arrivée : « Les choses sont dans un état de
désorganisation, auquel il est urgent de remédier. » L'évêque leur
répond : « Je vois que nous aurons à combattre, eh bien nous
combattrons, je ne m'effraie pas aisément. » Il demande un
exemplaire des statuts du diocèse, des rituels, des catéchismes.
14 mars. - L'évêque Saurine, dans l'église de l'Oratoire, procède au
sacre de l'évêque de Blois.
23 mars. - M ; Grégoire a obtenu de l'Assemblée un congé d'un mois,
il part le 24 pour son diocèse, emportant les exemplaires de sa
première lettre pastorale, qui comprend 24 pages in-8°. En voici
quelques extraits : « Henri Grégoire, par la miséricorde divine,
dans la communion du Saint-Siège apostolique, évêque du département
de Loir-et-Cher, à ses vénérables coopérateurs dans le saint
ministère et à tous les fidèles du diocèse, salut et bénédiction. »
II a prévu les tribulations qui l'attendent, comme saint Paul il ne
craint rien des maux que des esprits pervers lui préparent..., la
calomnie l'a devancé, cet avantage lui est commun avec les pasteurs
que l'élection libre du peuple a appelés à l'épiscopat...,
l'imposture s'efforce de les confondre avec les échos d'une
philosophie téméraire et sacrilège, qui voudrait reconstruire
l'empire français sur les débris du sanctuaire et les ruines de
l'antique et sainte religion de nos pères... Il opposera la prière
et les bienfaits à la calomnie..., il espérait rentrer bientôt dans
le sein paisible d'une paroisse dont il possédait la confiance et
l'amour... La Providence a secondé la révolution... Les vrais
fidèles soupiraient après la réforme de l'Église comme après celle
de l'État... Quel législateur serait assez stupide pour s'imaginer
que le code de nos lois peut subsister en l'absence des principes
religieux ? Il serait plus aisé de bâtir une ville en l'air, disait
un ancien, que d'organiser un État sans culte. L'Assemblée a voulu
asseoir les fondements du bonheur public sur les vérités éternelles
que Jésus-Christ est venu apporter aux hommes. » Il rappelle, avec
émotion, les fêtes de la fédération, il expose sa théorie du
serment... « La religion est indépendante des puissances d'ici-bas,
elle ordonne aux législateurs de courber leur tète devant son front
majestueux... Sa morale, ses dogmes sont aussi immuables que Dieu
dont ils émanent..., mais elle consent que sa police, dans ses
rapports extérieurs avec l'État, n'en puisse heurter les intérêts...
La nation doit s'assurer que ces ministres du culte ne troublent pas
l'Etat... Voyez avec quelle mauvaise foi on affecte de comparer
notre révolution à celle de la Grande-Bretagne, tandis qu'elle
proclame le pape chef de l'Eglise et centre de l'unité catholique...
Le silence de Pie VI est approbatif, sans quoi il serait
condamnable..., car le père commun des fidèles, le successeur de
Pierre, chargé de surveiller l'Eglise, de confirmer ses frères dans
la foi, volerait au secours de la nôtre si elle était menacée... »
Le nouvel évêque n'est ni un intrus ni un transfuge de la foi : «
Les sacrements sont-ils autrement administrés, le sang de l'Agneau
a-t-il cessé de couler sur nos autels? Calmez vos inquiétudes, on
n'a pas touché à l'arche du Seigneur, l'arbre antique et majestueux
de la religion subsiste dans sa force, on a seulement élagué les
rameaux parasites..., votre Dieu est le Dieu de Clovis, votre foi
celle de Charlemagne et de saint Louis..., vous la transmettrez dans
son intégrité à vos enfants, ce sera leur plus précieux héritage. »
I1 aborde la question politique : « Il est important, mes frères, de
vous dévoiler les trames odieuses des ennemis de notre
révolution..., les mauvais citoyens tâchent de provoquer un choc
funeste entre le sacerdoce et l'empire..., le despotisme avait rivé
nos fers, étouffé le germe des vertus, avili nos mœurs, comblé la
mesure de tous les maux..., le temps de la tyrannie expire, celui
des lois est commencé... L'antique et respectable piété de nos aïeux
reviendra sous une forme plus brillante épurer et sanctifier les
mœurs... Ce langage est celui d'un évêque persuadé qu'il existe une
sainte alliance entre l'évangile de Jésus-Christ et la constitution
française... Respectables coopérateurs dans le saint ministère, vous
êtes le sel de la terre et l'ornement de la patrie, c'est sur vous
que je fonde l'espoir de mes succès évangéliques..., conservez
précieusement la paix qui a préservé jusqu'ici nos contrées des
troubles qui ont affligé diverses parties du royaume. » II s'adresse
ensuite aux fidèles : « Respectez vos pasteurs et les représentants
de l'autorité... La liberté ne peut subsister que par le respect et
la soumission aux lois..., surtout, accomplissez fidèlement les
devoirs que la religion vous impose, un peuple irréligieux sera
toujours un peuple vil et le meilleur chrétien sera toujours le
meilleur citoyen... Redoublez de ferveur en ce temps destiné à la
pénitence, que vos cœurs s'ouvrent à la douce impression de nos
cérémonies, qu'à l'approche du temps pascal vous disposiez vos âmes
à recevoir saintement votre Dieu, à profiter des grâces qu'il doit
répandre sur vous. Voyez dans chaque paroisse si ceux qui négligent
de fréquenter les sacrements ne sont pas communément des hommes
dépravés, que les impies même regardent comme les moins dignes de
leur confiance et de leur estime... Vous êtes catholiques, vous êtes
Français... Par votre piété montrez-vous les disciples fidèles de
Jésus-Christ, par votre dévouement à la patrie, montrez que vous
êtes citoyens, et mourez, s'il le faut, pour défendre la religion et
la liberté. »
La Société populaire fait imprimer à ses frais 500 exemplaires de
cette lettre pastorale. En prenant possession du palais de l'évêché,
il y installe ses vicaires épiscopaux et une bibliothèque communale,
il transforme une partie des jardins en jardin botanique et il ouvre
au public l'admirable terrasse qui domine la Loire.
A son entrée à Blois, il prête serment et reçoit les félicitations
du maire, des autorités, de la Société populaire ; je n'ai pu
trouver, ni aux archives, ni dans les journaux du temps, le
procès-verbal de cette réception, qui ne fut pas sympathique si j'en
crois une lettre de Mgr Thémines, qui ne fut expulsé que le 7 avril.
Je suis mieux renseigné sur son entrée à Vendôme, le mercredi 13
avril : « Reçu à l'hôtel de ville, il se rend au directoire du
district, on lui offre un banquet ; il visite l'hôpital, le collège,
le club des patriotes. Invité à y prendre la parole, il l'a fait
avec les marques de la plus vive sensibilité. » Le 14, il se rend
chez les Ursulines, où il est accueilli avec respect ; chez les
Dames du Calvaire, où l'on ne sonne pas les cloches, « les
religieuses lui tiennent de mauvais propos..., on assure qu'il leur
a parlé avec fermeté. » A l'église de la Trinité, il a célébré la
messe suivie d'un « Te Deum chanté par la voix du patriotisme, qui
en vaut bien une autre ». Au diner offert par le peuple, il a été
touché jusqu'aux larmes : on a porté des toasts à l'Assemblée, au
roi, à l'évêque, aux bons citoyens... « il a fait les plus tendres
adieux aux bons Vendômois, nos compatriotes (10) ». Revenons aux
actes de son épiscopat il avait adresse au pape une lettre qu'un
publiciste appelle, avec raison, une révolte à genoux : « Très saint
Père, le respect dont je suis pénétré pour votre Sainteté me fait un
devoir de vous annoncer que les suffrages libres des électeurs du
département de Loir-et-Cher m'ont appelé au gouvernement du diocèse
dont le siège est à Blois. Je déclare que je suis et serai toujours,
Dieu aidant, uni de foi et de communion avec vous, qui, en qualité
de successeur de saint Pierre, avez la primauté d'honneur et de
juridiction dans l'Eglise de Jésus-Christ. Le texte latin est plus
expressif: « Tuae sanctitatis benedictionem enixe deprecatur
sanctissime pater, obsequentissimus ac humillimus servus et filius,
Grégoire episcopus dioecesis, cui nomen département de Loir-et-Cher.
Parisiis, die vigesila quarta martis, anno 1791 » Il organise le
conseil supérieur et permanent, qui doit administrer en son absence
; seize vicaires épiscopaux, un vicaire supérieur et trois vicaires
directeurs affectés spécialement à la direction du séminaire. Il
n'est pas heureux dans ses choix, Rechejean, Tolin, Nusse, Chabot
surtout, lui firent beaucoup de mal : Il avait été séduit par une
lettre de ce Chabot du 4 septembre 1790, où il se vantait d'avoir
dressé ses élèves capucins à l'instruction de la jeunesse.
2 mai. - Inauguration du buste de Désilles dans la salle de la
Société des Amis de la Constitution, à Blois. « Le buste du héros
est conduit par les grenadiers de la garde nationale, au son de la
musique... Le cortège est imposant... Un concours de citoyens parmi
lesquels beaucoup de dames jalouses de prendre part à cette fête
civique... » Invité à occuper le fauteuil de la présidence, il
prononce un discours : « J'avais l'honneur de présider l'Assemblée
nationale, quand elle inaugura le buste de Désilles... Ce héros a
droit d'émouvoir mon âme, il est mort dans les lieux qui recèlent la
cendre de mes pères... A mon retour à Nancy, je jure de porter mes
premiers pas sur son tombeau... Là, je déposerai vos vœux et les
miens, je parlerai à mes bons compatriotes de votre zèle civique...
En m'enviant l'avantage de vous connaître, ils partageront avec moi
celui de vous aimer... Quand les ennemis de la Constitution
menaceront la liberté..., quand pour nous replonger dans les
horreurs d'un régime exécré, ils voudront nous forger de nouveaux
fers, amis de la Constitution, soldats de la patrie, contemplez le
buste de Désilles, courez aux armes, sauvez la liberté ou périssez
avec elle ! »
7 mai. - Rentré à Paris, l'évêque s'élève, avec violence, contre le
décret sur les colonies ; « il anéantit la déclaration des droits de
l'homme, il réduit à l'esclavage une classe de citoyens. » Il
demande en vain un ajournement.
11 mai. - Il reprend la question des colonies dans ses origines, il
résume les événements qui ont augmenté les malheurs des gens de
couleur : il établit des principes « que ne peuvent méconnaître des
législateurs », le projet présenté est injuste, impolitique,
attentatoire aux droits naturels de l'homme... Il demande la
question préalable. Le 13, le 14, la discussion est vive, prolongée,
il s'oppose à la réunion d'un congrès. Le député Fermon commence la
lecture des instructions rédigées pour les colonies, elles
comprennent 300 articles ; l'Assemblée est agitée, Grégoire se fait
remarquer par la véhémence de ses interruptions : le député Lavie
l'interpelle : « Vous perdez les colonies, Monsieur, par vos
discours, par vos écrits. .. » La gauche, à grands cris, rappelle
Lavie à l'ordre... « Je n'ai jamais prêché aux colons que la
soumission à la métropole », dit Grégoire. Il lit une lettre qu'il
leur adresse et il demande que le ministre, sous sa responsabilité,
fasse exécuter les décrets. (On applaudit.) Malouet exprime la
crainte « qu'il ne soit fâcheux pour les colonies d'avoir éprouvé le
zèle apostolique du préopinant (11) ».
21 mai. - Le président annonce à l'Assemblée que le roi et une
partie de sa famille ont été, cette nuit, enlevés par les ennemis de
la chose publique on envoie des députés vers le peuple, Grégoire est
du nombre. Aux Tuileries, il harangue huit ou dix mille personnes :
« Qu'importe la fuite d'un parjure, dont on peut très bien se
passer... Souvenez-vous de ce que vous fûtes le 14 juillet, allez
dans vos sections dire à vos concitoyens de rester armés, fiers et
tranquilles. » Au retour, il rend compte de sa mission : « Partout
nous avons trouvé le peuple dans les meilleures dispositions...
Soutenons son courage... Nous mourrons, s'il le faut, pour la chose
publique... Et nos si totus illanatur oebis impavidos ferient ruinae
(12) » Il raconte dans ses Mémoires qu'il fut aussi au nombre des
députés envoyés par l'Assemblée à l'arrivée du transfuge : « Louis
XVI nous dit qu'il avait voulu aller à Montmédy. »
1er juillet. II adresse à ses diocésains une lettre pastorale pour
prévenir ou calmer les inquiétudes causées par la fuite du roi
(Paris, in-8°). « Sans doute la volonté du Ciel, qui tant de fois
s'est montré si visiblement en faveur de la révolution, permet cette
nouvelle tempête pour conduire plus rapidement au port le vaisseau
de l'Etat... Aux armes, citoyens, déployez le caractère mâle,
l'attitude fière d'un peuple libre. N'oublions pas que nous avons
juré de vivre libres ou de mourir, plutôt nous ensevelir sous les
débris fumants de la patrie que de jamais rentrer dans
l'esclavage... » II fait appel aux fonctionnaires, à la garde
nationale, à ceux que « le civisme a confédérés sous le nom d'Amis
de la Constitution, à ses dignes coopérateurs..., aux bannières de
la religion unissez les drapeaux de la patrie ; que nos temples
retentissent de vos exhortations saintes et patriotiques... Après
avoir prié avec ferveur sur la montagne, descendez, s'il le faut,
pour combattre avec courage dans la plaine. » II attaque les pervers
« qui, sous un voile sacré..., voudraient armer de poignards la
religion de la charité. Ne vous permettez aucune violence contre
eux, mais par une contenance intrépide, électrisez les faibles,
faites rougir les lâches et trembler les traîtres... Soyons unis,
calmes et fiers, nous serons inébranlables. »
7 juillet. - Le séminaire de Blois est fermé, il adresse aux curés
une lettre-circulaire pour la convocation des élèves : « Les mœurs
des prêtres doivent avoir une austérité républicaine, une pureté
évangélique... » Son appel ne fut pas entendu, le recrutement était
difficile dans l'Église constitutionnelle.
14 juillet. - On discute sur l'inviolabilité du roi : « Le roi
acceptera, il jurera, dit Grégoire, mais quel compte ferez-vous sur
ses serments ? » Le Moniteur avait adouci l'expression: « Je
m'écriai au milieu de l'Assemblée, quelle confiance pourront vous
inspirer les serments d'un parjure ? » Il est de cette minorité qui
veut mettre le roi en jugement, il redoute le caractère versatile de
la nation et surtout des Parisiens, qui n'ont déjà plus le même
enthousiasme.
15 juillet. - La discussion continue. Au milieu de murmures mêlés
d'applaudissements, Grégoire prononce un discours qui fut fort
commenté dans la presse et dans les clubs ; « J'entends dire autour
de moi qu'il ne convient pas à un prêtre de traiter une pareille
question, cela ne doit pas m'arrêter ; au lieu de comparer mon
opinion avec mon état, je demande que l'on réfute mes raisons... Au
reste, quand l'Assemblée aura prononcé, je me soumettrai. (Quelques
voix s'élèvent cela est bien heureux !) Le projet du comité me
semble réfuté par l'intérêt national, il est impossible de séparer
la fuite du roi des circonstances qui y sont attachées, des faux
passeports..., du mémoire qu'il nous a laissé..., des projets
évidemment hostiles de M. de Bouillé. On a dit que le roi ne pouvait
être mis en jugement..., avez-vous donc oublié que le salut public
est la suprême loi ? Et le salut public réclame que les attentats
contre la liberté soient vengés... » Ici l'orateur entre dans des
considérations générales. (Quelques voix s'élèvent : Vous n'y êtes
pas, Monsieur !) Il continue avec plus de violence. « On répète que
la majesté du trône est avilie, si le roi n'est pas inviolable,
c'est comme si l'on disait qu'un homme est avili parce que la loi le
punit s'il est coupable... Le roi peut-il invoquer le bénéfice d'une
loi qu'il a voulu anéantir, d'une Constitution dont il s'est
formellement déclaré l'ennemi ?... Prenons-y garde..., les
contre-révolutionnaires ne se découragent pas, au contraire, ils
redoublent d'énergie... Je conclus : qu’il soit nommé une Convention
nationale qui jugera Louis XVI. Si le projet du comité est adopté,
vous devez punir la garde nationale de Varennes et tous ceux qui ont
concouru à l'arrestation du roi. » Les tribunes applaudissent (13).
16 juillet. - Je trouve, dans les papiers non classés, une
invitation à dîner chez M. Lepage. « Monsieur l'Évêque, la partie de
diner à ma campagne, qui avait été faite pour dimanche, a été remise
a demain. MM. Pétion, Brissot, Robespierre ont promis de s'y rendre,
ils seront reçus avec tout le plaisir qu'un bon citoyen peut avoir a
réunir des hommes aussi éclairés que bons patriotes. J'espère que M.
l'Évêque voudra bien compléter la fête par sa présence. »
4 août. - L'évêque répond à la lettre que ses paroissiens d'Emberménil
lui ont adressée le 7 mars (14).
12 août. - On discute la révision ; Grégoire demande la question
préalable ; le centre et la droite murmurent, la gauche se lève en
criant : Silence Le président réclame le plus profond silence et
l'impartialité qui convient à une discussion de cette importance. «
Si vous revenez sur un décret, il en résulte que vous avez fait non
des décrets, mais des projets de décrets..., achevons la
Constitution, ou faisons-en une nouvelle. La plupart des citoyens
n'iront plus dans les assemblées primaires, ils n'iraient que pour
se donner des maîtres... (Murmures.) Des dispositions de cette
nature ne sont propres qu'à étouffer le caractère national, la vertu
et la moralité..., et on nous parle d'aristocratie, n'est-ce pas là
la véritable aristocratie ?... Les électeurs riches ne feront pas
leur choix parmi les humbles habitants des campagnes, alors vous
verrez une nouvelle noblesse renaître, vous aurez des patriciens et
vingt millions de plébéiens sous leur dépendance... On dit que la
condition proposée est le seul moyen d'avoir un bon Corps
législatif, mais les communes de France n'ont-elles pas seules
assuré notre liberté ? et par qui avez-vous été envoyés ici ? par
ces hommes qui ne payaient pas quarante journées de travail et qui
ne s'attendaient pas que vous immoleriez leurs droits (15) ? »
24 septembre. - On reprend la discussion sur les colonies, Grégoire
rappelle d'abord que c'est sur sa proposition que les gens de
couleur furent nominativement dénommés dans le décret du 38 mars il
adjure ensuite l'Assemblée de ne pas rétracter, sans le plus mûr
examen, le décret rendu, le 15 mai, après un débat solennel.
26 septembre. - Les pères du régime nouveau sont débordés. Après les
événements du 31 mars, trois cents membres de l'Assemblée ont quitté
ce club des Jacobins où les fanatiques s'en vont docilement aux
sermons de Robespierre ; l'évêque de Blois y lit une adresse aux
députés de la seconde législature l'imprimerie du Patriote français,
par ordre de la Société, publie ce pamphlet de 31 pages in-8°, il
est distribué aux nouveaux députés, envoyé aux 2,000 sociétés
affiliées et inséré par extrait au Moniteur du 4 octobre 1791. Cet
odieux réquisitoire donne une fâcheuse idée de la charité de
l'évêque de Blois. « Salut à nos successeurs ! » Il leur souhaite la
fierté des Spartiates, le courage des Romains... « Arrivé à la fin
de sa carrière, il désire qu'on interroge sa conduite..., il est
résolu à démasquer tous les traîtres.... à tracer quelques tableaux
hideux..., est-ce sa faute s'ils sont d'après nature ? On demande
s'il est utile de montrer ainsi les âmes à nu, je réponds oui..., la
corruption étant une maladie du gouvernement représentatif... La
Constituante renfermait plus d'esprit que de science, plus de
science que de philosophie, plus de philosophie que de mœurs et de
probité... j'y vois une foule d'hommes pusillanimes, des fourbes,
des charlatans..., dans cette majorité qui est en arrière de la
révolution, il y a beaucoup de ministres des autels..., trop souvent
la complaisance du prêtre a servi l'ambition des tyrans..., cette
horde féodale qui disait également mes vassaux et mes chiens..., bas
courtisans, vils satrapes du despotisme, dont les forfaits sont
consignés dans le livre rouge, monument infâme des déprédations de
la cour... Au sujet de l'inviolabilité absolue ou relative, on nous
fit un crime de notre opinion..., la scélératesse broya ses
couleurs..., on dit que nous étions républicains, quoiqu’il ne fût
aucunement question de république..., obéir est un devoir, discuter
est un droit, j'en userai toujours ! Quand le décret sur
l'inviolabilité fut rendu, les corps administratifs censurèrent avec
véhémence ces horribles républicains, admirateurs des exécrables
Brutus, Caton, Guillaume Tell..., une horde de mouchards infesta la
capitale..., on persécuta à outrance ceux qui ont proclamé le droit
de la nation..., les perfides ! Un ouvrage où l'on calculerait les
nuances de la méchanceté de nos ennemis serait peut-être le rituel
et l'encyclopédie des fripons... » II dénonce l'insouciance et
l'incivisme des corps administratifs... « Ils détestent les clubs,
comme les filous les réverbères... Ils déclarent une guerre
indirecte à toutes ces sociétés conservatrices du feu sacré de la
liberté..., il faut surveiller constamment les dépositaires de la
loi..., la défiance est la vertu des peuples libres... Pour lui, il
ne cessera pas d'éclaircir les complots des traîtres, de les
traduire au tribunal de l'opinion, de les dévouer à l'exécration de
l'univers... Depuis que l'Assemblée est tombée en décrépitude,
chaque jour on nous arrachait le cœur... » Il ne veut ni
janissaires, ni troupes de ligne, la garde nationale suffit : «
l’histoire secrète de la révolution est in cloaque. » De retour dans
nos foyers, nous surveillerons ceux qui attenteront à la liberté,
nous développerons les lumières et le civisme... Il n'est pas sans
inquiétude sur l'avenir, il a peine à croire à la liberté : « Voyez
ces hordes d'esclaves toujours prêts à s'atteler au char dit
despotisme, journellement prosternés devant les murs du palais...
Les élections n'ont pas été libres, la perfidie a épuisé toutes ses
manœuvres pour écarter les patriotes, qu'on a désignés sous le nom
de républicains, de têtes exaltées, de factieux... On a choisi ce
qu'on nomme des modérés, terme synonyme d'aristocrates, d’ennemis de
la patrie... Avec de l'or on accaparera les subsistances, le peuple,
comme Tantale, manquera de pain, an sein de l'abondance...
L'impunité amènera des Calonne pour le voler, des Lambesc pour
l'égorger, des Bouillé pour le trahir... Élevez-vous à la hauteur où
le peuple vous investit, révélez toutes les vérités, frondez tous
les abus, poursuivez tous les traîtres..., faites pâlir tous les
tyrans..., l'Assemblée nationale a commencé, existé et fini comme
Salomon..., les temps sont accomplis, c'est la guerre des rois
contre les nations des oppresseurs contre les opprimés..., dites à
l'univers que vous ferez cause commune avec tous les peuples résolus
à secouer le joug..., le volcan de la liberté va faire explosion,
réveiller tous les peuples et opérer la résurrection politique du
globe. »
21 octobre. - L'évêque rentre dans son diocèse ; voici, dans l'ordre
chronologique, une indication très sommaire de ses actes et de ses
discours ; il publie :
1° un supplément au bréviaire blaisois ; j'ai vu les manuscrits à la
bibliothèque de l'Arsenal, n°' 2164-2167.
2° Une instruction sur la confirmation (in-8°, 10 p.). Il s'excuse
de n'avoir pu encore visiter les paroisses : « Aux travaux pénibles
qui dans l'Assemblée dévoraient mes moments, ont succédé des
occupations non moins épineuses du ministère évangélique, et les
détails d'administration civile ont encore grossi mon fardeau...
Quatre-vingt mille personnes attendent les dons du Saint-Esprit, je
serais coupable si je les en privais, elles seraient coupables si
elles ne s'empressaient de le recevoir..., jamais ce sacrement ne
fut plus nécessaire..., avant mon arrivée, mon prédécesseur le
prodiguait à tous ceux qui promettaient de détester ces lois
salutaires qui ont foudroyé tant d'abus..., surtout ne tardez pas à
vous présenter au tribunal de la pénitence. » Il enjoint aux
confesseurs de se montrer sévères ; il écrit dans ses Mémoires que
quarante mille personnes environ, soigneusement préparées par un
clergé qui partageait ses opinions, reçurent de lui l'imposition des
mains et que, dans un voyage de dix-huit jours, il prêcha
cinquante-deux fois (16).
3° Une instruction sur le jeûne et l'abstinence, avec le dispositif
du carême en douze articles. Il conserve la plupart des anciens
usages ; il désire que l'on confesse, quatre fois l'an, les enfants
qui n'ont pas fait leur première communion ; « il a appris avec
douleur que l'instruction chrétienne a été négligée par quelques
parents », il insiste sur la nécessité de l'instruction et de la
prière.
1792. 4 février. - 4° Une lettre pastorale sur le paiement des
contributions publiques (in-8°, 15 p.). « Honoré du double caractère
d'évêque et d'administrateur, je suis plus étroitement obligé de
stimuler la négligence, de tonner contre la mauvaise foi... Ne pas
payer, c'est être indignes du nom français, parjures à la face du
ciel et de la terre, comparables à ces traîtres qui sont allés sur
la rive droite du Rhin cacher leur honte, vomir leurs fureurs,
concerter les moyens de revenir assassiner leurs compatriotes,
égorger la liberté... A qui payez-vous l'impôt ? à César,
c'est-à-dire à vous-mêmes, puisque vous payez au souverain, qui est
le peuple. » Il compare les contributions nouvelles avec les
anciennes : « Sous l'ancien régime, un particulier qui avait 600
livres de revenu payait 141 livres, aujourd'hui 102 livres. » Il
discute les bases de l'impôt, il s'élève contre le trésor royal ;
c'est une philippique injuste contre les aristocrates et les
fanatiques « qui veulent noyer leur patrie dans le sang ».
5° Un éloge funèbre de Simonneau, assassiné pour avoir défendu la
loi (Blois, in-4°). « Le maire d'Étampes, disait Robespierre, a été
coupable avant d'être victime », cependant on décrète une fête en
son honneur ; le discours de l'évêque de Blois, dans sa cathédrale,
est une paraphrase des Vindicae contra tyrannos, publiées, en 1579,
par Languet, sous le pseudonyme de Junius Brutus (17).\ C'est une
apologie du régicide ; avec quelle joie il porterait sa tète sur le
billot, si à coté de lui devait tomber la tête du dernier tyran.
6° Un discours sur la Fédération du 14 juillet, imprimé aux frais de
la Société populaire (in-4°, 11 p.). C'est un commentaire du droit à
l'insurrection prêché dans les clubs ; il y a une attaque violente
contre la reine : il parle de « ce Trianon, où les tributs de nos
provinces, c'est-à-dire les larmes et les sueurs des malheureux,
servent aux plaisirs de Cléopâtre..., de ces bosquets vantés de
Versailles, où le génie s'est prostitué à la luxure d'une manière
également dispendieuse et scandaleuse... »
7° Un discours à l'occasion du 10 août 1792 (in-8°, 17 p.). « Nolite
confidere in princibus, ne vous fiez pas aux princes. Ces paroles
consignées dans nos livres sacrés ont la sanction du ciel même et
si, après ce témoignage de Dieu, il était permis de citer celui des
hommes, j'invoquerais celui du roi Pyrrhus... L'histoire est-elle
autre chose que le martyrologe des nations ? Partout la couronne
rappelle cette boite de l'antiquité fabuleuse, d'où sortirent tous
les maux... Depuis quinze siècles, l'Europe est en proie au
brigandage de quatre-vingt-dix ou cent familles, qui jouissent de la
misère des hommes, qui s'abreuvent de leurs larmes, et quand une
nation ne suffit pas à ces tigres, quand ils veulent assouvir un
orgueil insatiable, un penchant brutal, le débordement de leurs
passions franchit les limites de leur empire... Pour une femme
perdue de mœurs, pour une ridicule préséance..., ils portent la
dévastation et la mort. Je passe rapidement sur ces êtres abhorrés
pour arriver au restaurateur de la liberté française. » Rien de plus
odieux que ses insultes au prisonnier du Temple !
8° Lettre de l'évêque à ses vicaires épiscopaux. - Durant un de ses
fréquents voyages à Paris, où l'appellent les exigences de la
politique, le directoire du département invite le conseil épiscopal
à supprimer la fête de saint Louis, patron du diocèse ; on en réfère
à l'évêque : « J'avais, dit-il, le cœur dans un étau, froissé entre
la crainte d'atténuer le culte que l'Église rend aux saints et la
crainte d'attirer sur mon clergé l'orage d’une persécution atroce. »
Sa réponse est triste et déplorable : « Si saint Louis était vénéré
comme roi, il faudrait proscrire des hommages qui seraient un crime
contre la patrie et la raison, mais il est honoré comme saint...
Cependant la suppression de cette fête ne heurte aucunement les
principes irréfragables du dogme, sur lequel on ne peut jamais
composer... Je présume que sans l'avis des fidèles, une autorité
despotique choisit saint Louis, moins par vénération pour lui que
par adulation pour Louis XIV, qui régnait alors... ; d'après ces
considérations, on peut, ce me semble, se dispenser de célébrer la
fête d'un saint jadis roi, avec cette pompe qui pourrait être encore
un sujet de triomphe pour les royalistes et un talisman capable
d'éblouir les faibles... On pourrait adopter pour patron saint
Solème, qui sans doute eût encore grossi le trésor de ses mérites,
si au lieu d'avoir des relations avec Clovis, il eût tâché
d'ébranler le trône du despotisme. » On lit sur l'original de cette
lettre ce post-scriptum : « Je crois pouvoir défier qui que ce soit
d'avoir plus d'horreur des rois que moi, je leur préférerais les dix
plaies d'Egypte. »
Il n'épargne pas à la chaire chrétienne le scandale de ses haines
politiques, il y mêle sans cesse la politique à la religion, il
semble préparer sa candidature à la Convention. Un jour, dans sa
cathédrale, il prend la défense de son prédécesseur, il reproche aux
Blaisois leur ingratitude envers un prélat dont ils n'ont pas
secondé le projet de consacrer dix mille francs à établir, chez eux,
des ateliers de filature. Quelques jours après, il annonce au prône
qu'à l'issue de la messe paroissiale, on distribuera aux curieux un
libelle in-8° de 22 pages, publié à Paris, sous le titre de M.
Grégoire dénoncé à la nation. L'indignation causée par la lecture
fut telle que, le soir, sur la place publique, on en fit un
autodafé. « L'anecdote fut répandue à Paris, les journaux la
répétèrent, le libelliste anonyme n'a jamais osé soulever le voile
(18). »
Président de l'administration centrale, à la nouvelle de la
révolution du 10 août, il convoque sur-le-champ les administrations
du département, du district, de la municipalité avant même qu'elles
soient réunies, il rédige une réponse au président de l'Assemblée et
aussi une proclamation pour annoncer à ses administrés la suspension
des fonctions royales. « Je passai la nuit à faire composer et a
corriger les épreuves, le lendemain j'en fis inonder le département,
et quoique le Blaisois soit peut-être la contrée où l'on trouve le
moins de caractère, tout fut électrisé et la République établie par
le fait, y fut proclamée par anticipation. » Son discours pour les
citoyens morts a Paris, le 10 août, fut, je l'ai dit déjà, un
manifeste contre la royauté qui n'était pas encore légalement abolie
et un outrage pour ce roi dont « l'attitude au palais des Tuileries
avait été celle d'un chrétien dans le cirque ».
III. 20 septembre. - Élu membre de la Convention parte vœu unanime
du corps électoral, qu'il présidait, à Vendôme, il part pour Paris.
Le 21, il se présente avec onze commissaires au sein de la
Législative présidée par son compatriote, François de Neufchâteau: «
Citoyens, dit-il, la Convention nationale est constituée, nous
venons de sa part vous annoncer qu'elle va se rendre ici pour
commencer ses séances. Le président répond : « L'enthousiasme
qu'inspire votre présence vous est un sûr garant de l'impatience
avec laquelle nous vous attendons. » La Convention prend possession
de la salle, Pétion occupe le fauteuil de la présidence, Grégoire
déclare à plusieurs membres qu'il va demander l'abolition de la
royauté et la création de la République ; on l'engage attendre, le
moment n'est pas opportun... « Nous ne sommes pas juges de la
royauté, dit Quinette, c'est le peuple... Collot d'Herbois me
prévint et se borna à énoncer cette proposition, je m'empressai d'en
développer les motifs. » Le Moniteur cite ses paroles : « Certes,
personne ne proposera de conserver en France la race maudite des
rois..., nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont jamais
été que des races dévorantes, qui ne vivaient que de chair
humaine..., je demande donc que par une loi solennelle vous
consacriez l'abolition de la royauté. » L'Assemblée se lève et
décrète par acclamation la proposition de M. Grégoire ; sur la
motion de Danton, elle proclame la République française une et
indivisible.
10 octobre. - Grégoire soumet à l'Assemblée le tableau des documents
déposés aux archives : 811 liasses de procès-verbaux des assemblées
électorales pour l'élection des députés de la Constituante ; 47
volumes in-folio contenant la collection des procès-verbaux de cette
Assemblée, qui a rendu 5,077 décrets ; la déclaration des droits de
l'homme renfermée dans une boite en fer, enfin une copie des décrets
de la Législative, au nombre de 1,262.
31 octobre. - Au nom du comité diplomatique, il fait un rapport sur
l'affaire des trois officiers suisses détenus à Soleure, « pour leur
attachement aux principes de la Révolution française... On trame à
Soleure et à Fribourg contre la France... On a fait défense au
régiment de Vigier de fréquenter les Sociétés populaires... La
République ne veut pas s'immiscer dans le gouvernement intérieur de
Soleure, mais le mépris pour ses principes et la persécution contre
ceux qui les professent sont une véritable atteinte au droit des
gens et la haine de notre Révolution est une véritable infraction au
traité d'alliance... »
10 novembre. - On lit une adresse des Amis du peuple de la
Grande-Bretagne, de la ville de Neuwingten, à la Convention,
Grégoire demande que le président écrive à cette Société pour lui
exprimer sa reconnaissance...
15 novembre. - L'Assemblée a commencé le 13 les tristes débats sur
le procès de Louis XVI, Grégoire a la parole « La postérité
s'étonnera peut-être que l'on ait pu mettre en question si une
nation entière peut juger son premier commis, mais il y a seize
mois, à cette tribune, j'ai prouvé que Louis XVI pouvait être mis en
jugement. J'avais l'honneur de figurer dans la classe peu nombreuse
des patriotes qui luttaient avec désavantage contre la masse des
brigands de la Constituante, des huées furent le prix de mon
courage. Citoyens, je viens plaider la même cause, je parle à des
hommes justes, ils m'écouteront avec l'indulgence et le calme de la
raison... » Il rappelle les exemples cités par le rapporteur du
comité, il insulte ses collègues de la Constituante... « Tous ces
êtres vils qui, prostituant le caractère auguste du législateur, lui
avaient substitué celui de valets de cour... ; ils voulaient, sous
un autre nom, devenir maires du palais, à L'ombre tutélaire de
l'inviolabilité... Leurs hérésies politiques étaient des dogmes pour
un peuple toujours enclin à l'idolâtrie de la royauté... Un parjure,
une trahison, un meurtre sont à la vérité des actions royales quant
au fait, mais quant au droit, ces crimes rentrent dans la classe des
délits privés... L'inviolabilité absolue serait une monstruosité...
» Après avoir discuté les principes, il passe à leur application «
La royauté fut toujours pour moi un objet d'horreur, mais Louis XVI
n'en est plus revêtu, je me dépouille de tout animadversion contre
lui pour le juger d'une manière impartiale d'ailleurs, il a tant
fait pour obtenir le mépris, qu'il n'y a plus place à la haine...
Jamais il ne fut un roi constitutionnel, non pas, comme l'a dit un
des préopinants, qu'il n'y eût pas de Constitution..., nous en
avions une détestable... Quand désertant son poste, le roi s'enfuit,
il nous laissa une protestation..., qui est une véritable
abdication..., il a réduit l'art de la contre-révolution en
système..., il fut toujours le chef des conspirateurs... Quel homme
s'est joué avec plus d'effronterie de la foi des serments ? C'est
dans cette enceinte que je disais aux législateurs : il jurera tout,
il ne tiendra rien... Ce digne représentant de Louis XI venait, sans
y être invité, dire à l'Assemblée que les plus dangereux ennemis de
l'État étaient ceux qui répandaient des doutes sur sa loyauté et,
rentrant dans ce tripot monarchique, dans ce château, la tanière de
tout les crimes, il allait, avec Jésabel, avec la cour, combiner et
mûrir tous les genres de perfidie... Il ourdissait les complots de
la guerre étrangère, il invoquait contre la Révolution toute la
meute des rois... Comme parjure, comme contre-révolutionnaire, il
aurait encouru la déchéance..., ne pas le juger ce serait aller
contre le texte et l'esprit de la Constitution... J'évoque ici tous
les martyrs de la liberté..., est-il un parent, un ami de nos frères
immolés sur la frontière ou dans la journée du 10 août, qui n'ait eu
le droit de traîner son cadavre aux pieds de Louis, en lui disant :
Voilà ton ouvrage ! Et moi aussi je réprouve la peine de mort..., un
reste de barbarie destiné à disparaître des codes européens... Il
suffit à la société que le coupable ne puisse plus nuire. Assimilé
en tout aux autres criminels, Louis Capet partagera le bienfait de
la loi, si vous abolissez la peine de mort ; vous le condamnerez
alors à l'existence, afin que l'horreur de ses forfaits l'assiège
sans cesse et le poursuive dans la solitude ; mais le repentir
est-il fait pour les rois ? L'histoire, qui burinera ses crimes,
pourra le peindre d'un seul mot : aux Tuileries, des milliers
d'hommes étaient égorgés, le bruit du canon annonçait un carnage
effroyable et ici, dans cette salle, il mangeait ! Ses trahisons ont
amené notre délivrance..., l'impulsion est donnée à l'Europe
entière, la lassitude des peuples est à son comble, tous s'élancent
vers la liberté, le volcan va faire explosion... Qu'arriverait-il
si, au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous assuriez
l'impunité de Louis XVI, ce serait un outrage à la justice, un
attentat contre la liberté universelle ! Par tous ses actes, il est
soumis à la loi ; il ne peut se parer du bouclier de
l'inviolabilité... Ouvrez la loi, voyez ce qu'elle prononce contre
ses innombrables crimes... Il ne fut jamais que le bourreau du
peuple. Il est un prisonnier de guerre, il doit être traité comme un
ennemi !.. Je conclus donc à ce qu'il soit mis en jugement, »
16 novembre. - Grégoire est élu président de la Convention par 246
suffrages sur 352 votants.
20 novembre. - Le jour même où Grégoire lisait une lettre du
ministre de la guerre, qui est, disait-il, un supplément la
confession générale des fripons, le citoyen Doppet, colonel de la
légion allobroge, apporte une adresse de l'Assemblée nationale de
Chambéry, qui demande à être unie à la République française et à en
faire partie intégrante. Grégoire lui répond : « Ce fut un grand
jour pour l'univers et une ère nouvelle, que celui où la Convention
nationale prononça ces mots : la royauté est abolie ! Depuis
l'origine des sociétés, les rois sont en révolte contre les
peuples... La raison déroute la grande Charte des droits de l'homme,
l'épouvantail des despotes... Semblable à la poudre, plus la liberté
a été comprimée, plus son explosion sera terrible... L'orgueil
stupide des tyrans sera humilié, les négriers et les rois feront
l'horreur de l'Europe purifiée. Leur perfidie héréditaire n'existera
plus que dans les archives du crime... Ne craignez pas les menaces
des despotes... Les statues de Capet ont roulé dans la poussière,
elles se changent en canons... Si quelqu'un tentait de nous imposer
de nouveaux fers, nous les briserions sur sa tête... La liberté ne
périra chez nous que quand il n'y aura plus de Français ! Généreux
Savoisiens, vous désirez vous incorporer à la République, la
Convention pèsera, discutera solennellement une demande de cette
importance, quelle que soit sa décision, dans les Français vous
trouverez toujours des amis... Développons, vivifions cette justice
universelle, qui trace aux nations l'étendue de leurs droits, le
cercle de leurs devoirs... Que nos bras s'étendent vers les tyrans
pour les combattre, vers les hommes pour les embrasser, vers le ciel
pour le bénir... Formons un concert d'allégresse qui augmentera le
désespoir farouche des tyrans et l'espoir des peuples opprimés... Un
siècle nouveau va s'ouvrir, la liberté planera sur toute l'Europe,
il n'y aura plus ni forteresses, ni frontières, ni peuples étrangers
! » L'Assemblée entière se lève au cri de : « Vivent les nations. Le
président donne aux députés le baiser fraternel, Barère, «
l'Anacréon de la guillotine », demande que la réponse de Grégoire
soit traduite dans toutes les langues, car « c'est le manifeste de
tous les peuples contre tous les rois ». On applaudit.
28 novembre. -. Au nom des comités de Constitution et de
diplomatique, Grégoire présente un long rapport sur l'incorporation
de la Savoie à la France. (7 colonnes du Moniteur.) Après quelques
phrases obligatoires sur le fanatisme, la tyrannie, la République
universelle, le droit des peuples, le système fédératif, « qui
serait l'arrêt de mort de la République », il traite la question «
dans l'ordre du réel et de l'utile » ; il décrit la situation
topographique des sept provinces de la Savoie, il constate
l'unanimité des voix, les pouvoirs des députés, le courage de ces
populations « qui ont démoli un trône, aboli la royauté, la
noblesse, la gabelle et la torture ». L'intérêt politique de la
France lui permet-il de s'agrandir ? C'est un problème dont il tente
la solution...? Il appelle le passé au conseil du temps présent...
Les grands États de l'Asie, Rome exténuée par sa grandeur, les
empires de Charlemagne, de Tamerlan ont disparu... « Tous ont trouvé
dans leur trop grande étendue une des causes principales de leur
dissolution... On peut prédire qu'avant la fin du siècle prochain,
la Russie sera démembrée... La domination universelle était le
projet de Louis XIV, dès lors il ne peut être le nôtre ; quoi de
commun entre les rêves ambitieux d'un roi et la loyauté d'un peuple
libre ? (On applaudit.) La France est un tout qui se suffit à
lui-même... Nos armées victorieuses se contentent d'avoir brisé les
fers des peuples opprimés, elles leur laissent la faculté de
délibérer sur le choix de leur gouvernement...à moins qu'ils ne
veulent remplacer le tyran par des tyrans, car si mon voisin nourrit
des serpents, j’ai le droit de les étouffer. (On applaudit.) Il
conclut Nous devons accepter l'offre... Conformité de mœurs,
d'idiomes, rapports habituels, considérations stratégiques... « La
contrée où sont situés les Thermopyles de la République est aussi la
patrie des Spartiates. » Il fait valoir les avantages financiers :
il évalue à vingt millions les biens du clergé et des émigrés ; les
mines d'antimoine, de cuivre, de fer, le chanvre, le miel, le suif,
le cuir sont des sources de revenus... La Savoie, elle aussi,
trouvera de sérieux avantages dans l'annexion... Ilotes du Piémont,
les Savoisiens sont menacés de l'invasion des despotes concertés...
« La générosité commande de leur ouvrir notre sein..., le sort en
est jeté... Tous les gouvernements sont nos ennemis, tous les
peuples sont nos amis, nous serons détruits ou ils seront libres...
Ils le seront et la hache de la liberté, après avoir brisé les
trônes, s'abaissera sur la tête de quiconque voudrait en rassembler
les débris ! » (Nouveaux applaudissements.) L'Assemblée adopte le
projet de décret d'incorporation ; Grégoire termine un discours aux
députés par ces mots : « Dans la chute prochaine et nécessaire de
tous les rois, le seul trône sera celui de la liberté ; assise sur
le mont Blanc..., elle étendra ses mains triomphales sur tout
l'univers. »
23 novembre. - Une députation de citoyens anglais et irlandais se
présente à la barre, le président répond à ses félicitations : «
Oui, vous êtes ici au milieu de vos frères, la nature et les
principes vous rapprochent de nous, la royauté est en Europe ou
détruite ou agonisante. La déclaration des droits va dévorer les
trônes..., le moment est proche où les Français iront féliciter la
Convention nationale de la Grande-Bretagne... S'il y a en des luttes
séculaires, c'est que l'ambition des rois voulait faire oublier que
la nature ne fait que des frères. »
29 novembre. - Les députés Simon, Grégoire, Hérault de Séchelles et
Fagot sont nommés à la suite d'un scrutin, commissaires pour
l'installation du département du Mont-Blanc et pour l'organisation
du département des Alpes-Maritimes. Grégoire publie, en italien,
deux adresses aux citoyens des Alpes-Maritimes et du Valais ; «Indirizzo
ai cittadini del dipartimento delle Alpi Maritime, del cittadino
Gregorio, deputato e commissario della Convenzione in questo
dipartimento. In Nizza, presso Conguet padre et figlio, stampatori
dei sommissari della Convenzione (in-8°, 32 p.). Il commence ainsi :
No, non è vero, che le leggi francese abbian cangionato il minimo
cambiamento alla religione cattolica, apostolica, romana...
L'adresse est divisée en chapitres : Soppressione dei canonici,
monaci, frati. - Nuovo distretto delle diocesi. - Elezione di
Vescovi. - Unione col papa...Il explique, il réfute, il cherche à
calmer les consciences alarmées.- Indirizzo agli abitanti del Valese
(1793, in-8°).
1793. 20 janvier. - Au moment du jugement du roi, Grégoire est à
Chambéry, ses trois collègues rédigent une lettre qui contient leur
vote pour la condamnation à mort... « Absent, libre de se taire »,
il refuse de la signer et il fait adopter la rédaction suivante, «
qui respire des sentiments peu conformes à l'humanité et à la
religion (19) ». « Nous apprenons par les papiers publics que la
Convention doit prononcer demain sur Louis Capet. Privés de prendre
part a vos délibérations, mais instruits, par une lecture réfléchie
des pièces imprimées et par la connaissance que chacun de nous avait
acquise depuis longtemps, des trahisons non interrompues de ce roi
parjure..., nous déclarons que notre vœu est pour la condamnation de
Louis Capet..., sans appel au peuple. - Nous proférons ce vœu dans
la plus intime conviction, à cette distance des agitations où la
vérité se montre sans mélange et dans le voisinage du tyran
piémontais. » L'original de cette lettre, signée par les quatre
commissaires, est conservé aux Archives nationales. - On a beaucoup
discuté la question de savoir si Grégoire fut régicide : en fait,
l'omission du mot décisif mort et l'absence de son nom sur la liste
de ceux qui votèrent la peine capitale, lui permirent de protester
contre ce qu'il appelait une calomnie, mais les termes de sa lettre,
les nombreux discours et les écrits, dont j'ai reproduit les
expressions de haine, lui donnèrent, durant la Terreur, le bénéfice
et la sécurité du régicide ; on a remarqué aussi que jamais il n'a
exprime le plus léger blâme sur la conduite de ceux de ses collègues
qui jugèrent utile, dit M. Carnot, « de donner, à l'Europe
attentive, un grand exemple de sévérité nationale. »
1er juin. - Le tocsin sonne dans plusieurs quartiers, la Convention
n'est pas convoquée la droite est absente... « Les patriotes y sont,
dit Legendre, nous y resterons, nous délibérerons ». La Montagne
triomphe, la Gironde va expier sa participation aux crimes de la
populace... Une députation du département et de la commune vient
imposer à l'Assemblée les dernières mesures arrêtées par le Comité
de salut public. Elle exige un décret d'accusation contre
trente-sept membres de la Convention... Lanjuinais proteste, il
repousse avec indignation les insolentes injonctions d'une commune
illégale... On l'arrache de la tribune... Grégoire occupe le
fauteuil de la présidence ; il se couvre: « La scène qui vient de se
passer est des plus affligeantes, la liberté périra si vous
continuez... S'il y a des traîtres parmi nous, il faut qu'ils soient
jugés et qu'ils tombent sous les coups de la loi... Avant de les
punir, il faut prouver leur crime... La Convention examinera votre
demande... Elle vous invite aux honneurs de la séance. » Il se
montre hostile aux Girondins, il les défend mal, ou plutôt il les
accuse : « Ils ont répandu des soupçons injurieux..., estimables
citoyens, l'absurdité des calomnies inventées contre Paris couvre de
honte leurs inventeurs ! Non, elle ne disparaîtra pas, cette noble
cité qui, dans les décombres de la Bastille, a retrouvé la charte de
nos droits ! Vainement, les aristocrates, les royalistes, les
fédéralistes essaient de nous diviser... Les orages de la Révolution
ne feront que resserrer les liens qui unissent les Parisiens et
leurs frères des départements. » Après une discussion orageuse, on
décrète d'arrestation les membres de la commission des douze et les
vingt-cinq députés dénoncés. Aux termes du décret, ils ne sont pas
immédiatement incarcérés, mais consignés chez eux, sous la garde
d'un gendarme, qu'ils doivent nourrir. Le 26 juillet, on emprisonne
les huit qui n'ont pas fui, on déclare traîtres à la patrie les
vingt-neuf qui ont quitté Paris. - Aux Jacobins, un affidé de
Robespierre vante l'impartialité de Grégoire dans la séance du 1er
juin ; Mme Rolland, plus juste, se montre indignée de la lâcheté du
président.
4 juin. - Une femme noire, âgée de 114 ans, accompagne une
députation d'hommes de couleur, qui vient féliciter et remercier
l'Assemblée ; Grégoire fait inscrire au procès-verbal l'honneur
rendu à la centenaire : « L'humanité et la philosophie de
l'Assemblée feront disparaître l'aristocratie de la peau, que les
décrets de la Constituante ont pour ainsi dire consacrée. »
18 juin. - Grégoire prend une large part aux discussions relatives à
la nouvelle Constitution ; il écoute, sans protester, un rapport du
ministre de la justice sur l'état exact des députés mis en
arrestation. Son fidèle ami Lanjuinais est en tête de la liste : il
a réclamé pour Capet les garanties dues à tout accusé ; il a
repoussé avec indignation l'abominable décret du 10 juin 1793, qui
était l'effroi même des patriotes. - Couthon et Robespierre avaient
préparé ce décret afin de rendre plus expéditive la procédure
révolutionnaire.
1er juillet. - Au nom du comité des finances, Mallarmé propose la
suppression d'une partie des vicaires généraux, l'évêque de Blois
appuie la proposition: « Leur suppression est commandée par le
besoin où l’on est de pasteurs dans beaucoup de cures ; ils sont
aussi inutiles que l'étaient les chanoines. » Il avait été
malheureux dans ses choix, Chabot avait apostasié. Nusse, qui se
rétracta en 1795, reprochait a Grégoire « sa vie burlesquement
pontificale, ses fréquentes glorifications du régicide. Lorsque la
morale des assassinats était en vogue, vous placiez la statue de
Brutus a côté des saintes images et je vous ai vu célébrer la messe
au pied de la statue de Mirabeau. »
27 juillet. - Le ministre de l'intérieur propose de supprimer les
primes accordées pour la traite des nègres : « Jusques à quand,
citoyens, s'écrie Grégoire, permettrez-vous ce commerce infâme ? Je
demande que vous décrétiez à l'instant qu'il ne sera plus accordé de
primes aux vaisseaux négriers. » La proposition est décrétée ; cette
prime annuelle était de 2,500,000 fr.
29 juillet. - Au nom des commissaires chargés d'organiser les
départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, Grégoire présente
un rapport en neuf chapitres : c'est une page d'histoire qu'il faut
méditer, en voici quelques extraits « Durant une absence de six
mois, ils ont consacré tous leurs moments à un travail immense ; le
fanatisme a excité quelques troubles au sujet de l'état civil du
clergé, nous avons tâché de prévenir ses explosions par la voie
douce de l'instruction et de la bienveillance, un journaliste
appelle cela de la persécution. » Le journaliste avait raison, la
persécution fut violente ; j'en cite un exemple entre cent: un jour,
l'évêque constitutionnel célébrait la messe à la cathédrale, le
marquis de Murinet se permit des insultes contre celui qu'il
appelait un intrus ; conduit aux prisons de l'archevêché, il fut
enfermé avec des malfaiteurs, maltraité par les geôliers. Délivré, à
la mort de Robespierre, le marquis avait perdu la santé et la
raison. Le fait m'a été affirmé par le marquis Costa de Beauregard,
qui m'a donné de tristes détails sur la mission de Grégoire en 1793
(20). Le rapport constate que l'on ne fréquente pas les assemblées
prescrites par la loi, que de petits ambitieux réunissent « des
milliers de citoyens pour signer une adresse souillée d'égoïsme et
d'impostures... Nous avons dévoré toutes les amertumes, dont nous
abreuvaient la perversité et l'ingratitude... Nice s'est purifiée
par la sortie d'environ mille émigrés... Si les sociétés populaires
de Nice, Menton et Monaco continuent à déployer le zèle uni à la
sagesse, en provoquant la haine des rois et l'amour de la
République, elles s'assureront des droits à la reconnaissance...
L'ignorance, la disparité, la rusticité des idiomes prolongent
l’enfance da la raison et la vieillesse des préjugés... ». Il a
publié, en italien, une brochure sur la constitution civile du
clergé, il a préconisé deux mesures : « faire l'office en langue
vulgaire et créer des écoles nationales... » II conseille la
confection d'un journal national indépendamment du bulletin ; il
accuse la Convention... « Elle a glacé et attiédi le patriotisme
dans ces contrées, elle a en quelque manière royalisé l’Europe par
la longueur de ses discussions sur le compte d'un tyran qu'il
fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud (21)... Elle a encouragé les
ennemis de la République, fait gémir la raison, indigné la France et
surtout les armées par le scandale de ses débats. » L'Assemblée
n'est pas seule coupable, « ce qui a aliéné le cœur des Niçois, qui
nous ont reçus en frères, ce sont les horreurs commises en octobre
dernier ». Il en trace un tableau aussi lamentable que vrai, « les
campagnes en proie au pillage, au brigandage, à la brutalité..., la
pudeur a été violée, la majesté des mœurs a été outragée jusque dans
la chaumière du pauvre... Il n'est pas, en Italie, un paysan à qui
on n'ait fait croire que le vol, le viol, le meurtre, étaient des
crimes communs parmi les Français... Un cri général s'élève contre
Anselme, qu'on regarde comme le Verrès des Alpes-Maritimes, contre
Férus, dont le nom inspire de l'horreur. » On a volé la République ;
il évalue à quinze millions les dilapidations commises, il cite les
exemples de concussions et il conclut : « Tâchez donc que le jour
terrible de la vérité pénètre dans la tanière du crime et que la
hache de la loi atteigne les coupables... Nous conjurons la
Convention de décréter des indemnités pour les brigandages commis...
Nous nous constituons les défenseurs des malheureux pillés,
outragés, comprimés par la misère... Nous avons présenté à vos yeux
un spectacle hideux, il vous sera doux de les reporter sur l'armée
d'Italie..., elle est pliée à la subordination et bouillante de
courage. Nous sommes allés sous la tente visiter les défenseurs de
la patrie, nous les avons harangués en face du camp piémontais...
Nous appelons avec confiance sur nous et sur nos opérations le
jugement le plus sévère... Nous revenons pour extirper le
modérantisme et l'anarchie, qui, par des moyens opposés, voudraient
creuser le tombeau de la patrie. » Grégoire avait le droit de
flétrir les Verrès, il revenait pauvre de sa mission : « Devinez,
disait-il à Mme Dubois, combien mon souper de chaque soir coûtait à
la nation ? Juste deux sous, car je soupais avec deux oranges ;
aussi je n'ai pas dépensé tout mon argent, voyez ce que je rapporte
au Trésor public... », et il montrait, nouée dans un mouchoir, la
somme économisée sur ses frais de voyage (22).
30 juillet. - Depuis le 13, l'Assemblée discute le plan d'éducation
de Lepelletier, dont elle a décrété l'impression dans la séance du 3
juillet ; Robespierre et Léonard Bourdon le soutiennent, Grégoire le
combat : « Il ne suffit pas qu'un projet se présente escorté de noms
illustres, qu'il ait pour patrons Minos, Platon, Lycurgue ou
Lepelletier, il faut qu'il soit pratique... » Il le critique au
triple point de vue des finances, de la possibilité d'exécution et
des effets moraux. « D'après les données reçues des auteurs qui ont
écrit sur l'arithmétique politique, la dépense s'élèvera, pour
environ trois millions d'enfants de 5 à 12 ans, à trois cents
millions, sans parler d'une première mise dehors, qui serait
immense, pour fonder, approprier et meubler les maisons et leurs
dépendances. Vous avez sagement décrété l'impôt progressif, le riche
paiera pour le pauvre, malgré cela il faudra doubler presque les
contributions annuelles. Si l'on consultait le voeu des paysans pour
une éducation commune, il serait unanime pour la négative. De 5 à 12
ans, l'enfant est très utile aux parents, il est préposé à la garde
de ses puînés, il surveille les bestiaux, la préparation des
aliments... Si vous ôtez les enfants de la campagne, il faudra leur
substituer de forts domestiques, vous ruinez l'agriculture. » Le
projet est contraire au bonheur el à la moralité, il rompt le
contrat habituel des individus d'une même famille, il décompose la
famille, il expose les enfants à cette contagion morale « qui, dans
les maisons d'éducation les mieux soignées, fait souvent de si
cruels ravages ». Il réfute les sophismes de Rousseau, il redoute
une tentative « qui perdrait la République ». Après des
considérations si sensées, il n'ose pas repousser le projet, il
subit la pression jacobine, sa conclusion est illogique, étrange. Il
termine par un éloge de Lepelletier, « ce martyr de la liberté, dont
la mémoire sera chère à jamais aux Français. Avec lui, avec vous,
j'adopte une éducation commune, j'en excepte le projet de rassembler
à demeure les enfants dans les maisons nationales. Mon opinion
d'ailleurs céderait rapidement à l'avis de quiconque me prouverait
que la mienne est erronée. » Les amis les plus dévoués de la
Révolution sont forcés d'avouer que ce Lepelletier, ancien président
à mortier du Parlement, le plus riche de la Convention après
Philippe d'Orléans, avait fait la proposition la plus absurde, la
plus ridicule, la plus égalitaire, la plus impraticable.
1er août. - L'Assemblée vote l'impression d'un rapport de Barère ;
Grégoire demande qu'on supprime une exception qui parait s'y trouver
en faveur de Louis XII, surnommé le Père du peuple : « Les
flagorneurs et l'imposture ont bien pu donner ce titre fastueux à un
roi qui avait quelques qualités, mais je pourrais vous faire voir
que ce Père du peuple en a été le fléau. Je réclame la radiation de
cette phrase, il ne faut pas laisser supposer au peuple qu'un roi
peut n'être pas un misérable. » Barère consent à supprimer sa
phrase, mais il fait remarquer « que l'Assemblée aurait à s'occuper
de bien d'autres choses ». Il avait raison, ce valet de Robespierre,
« ce petit Séjan, qui voulait, dit Rœderer, son collègue, être à
lui-même son Tacite ».
8 août. - Au nom du comité d'instruction publique, il fait un
rapport sur les Académies, il conclut à leur suppression: « Leur
état est déplorable, elles sont désorganisées: à l'Académie
française, huit membres sont morts, ils n'ont pas été remplacés ;
dix ont émigré ou se cachent ; les autres sont divisés, les
patriotes y sont en minorité. » Il demande des pensions pour ceux
qui n'ont pas d'autre moyen de subsistance, il propose le premier la
création d'un Institut qui relierait entre elles les sociétés
savantes, il plaide la cause de l'Académie des sciences. « Détruire
est chose facile, c'est en créant que le législateur manifeste sa
sagesse, la vôtre éclatera dans les mesures que vous prendrez pour
que le sanctuaire des arts, s'élevant sous les auspices de la
liberté, présente la réunion organisée de tous les savants et de
tous les moyens de science. » On adopte le premier article du
décret: « Toutes les Académies et sociétés littéraires patentées par
la nation, sont supprimées. » On ajourne les autres ; quelques jours
après, un décret assure à la ci-devant Académie des sciences la
jouissance de son ancien local et rend à ses membres les honoraires
accoutumés.
14 septembre. - Grégoire dénonce les fédéralistes du Midi ; il fait
l'éloge du patriotisme de l'administration des Alpes-Maritimes, dont
on a calomnié les intentions ; elle a reconnu que « quatre fois
Paris a sauvé la République ».
28 septembre. - Le comité d'instruction le charge de soumettre à la
Convention un rapport sur les Annales du civisme, « afin que sa
sagesse en approuve ou en rectifie le plan ». L'exécution offre de
grands avantages, elle fournira des matériaux à l'histoire d'un
peuple qui n'a guère eu que celle des crimes des rois... « Les
tyrans, leurs flatteurs, les émigrés, calomnient les fondateurs de
la République ; des écrivains prostitués au mensonge et à la
cupidité deviennent leurs échos, le recueil que nous proposons sera
l'irréfragable réponse aux impostures par lesquelles ils tâchent
d'empoisonner l'opinion... Sans doute, quelques crimes inséparables
d'une révolution ont fait gémir les âmes honnêtes..., ces crimes
sont l'ouvrage d'un gouvernement sans morale et de la dépravation
d'une cour qui érigea des trophées scandaleux sur les débris des
mœurs... Les émigrés, les faux amis de la liberté en sont les
provocateurs ou les agents, c'est leur propriété, nous la leur
laissons, les vertus resteront aux patriotes..., semons la vertu, et
nous récolterons des vertus... C'est Brutus qui a délivré la terre
d'un despote ! Nous nous sommes demandé quels actes de vertu nous
devions recueillir, la Constitution nous a répondu elle a déclaré
qu'elle honore la loyauté, le courage, la vieillesse, la piété
filiale et le malheur. » Il indique quel sera le style et aussi la
forme des recueils périodiques, il demande à être autorisé à
correspondre pour cet objet avec les autorités, avec les bataillons,
avec les sociétés populaires, au sein desquelles chaque action
héroïque subira une discussion épuratoire ; il soumet un modèle de
tableaux et un projet de décret, dont l'article 1er est adopté : «
Le comité rassemblera les faits éclatants de vertu qui ont eu lieu
depuis le commencement de la Révolution. »
Lundi, 9 octobre. - Le Moniteur porte deux dates, celle de l'ancien
calendrier et celle du nouveau inventé par Romme, dit Grégoire, pour
anéantir le dimanche. « C'était son but, il me l'a avoué... Le
dimanche existait avant toi, lui disais-je, il existera après toi...
Une autre fois, il vint avec un air soucieux me demander si je
croyais à la durée de son calendrier. Je lui déclarai que je
persistais dans mon opinion sur la caducité de ses projets. »
23 octobre (7 brumaire an II). - Le citoyen Maugard, admis à la
barre, fait hommage d'un mémoire manuscrit sur le moyen de faire une
bonne histoire nationale ; Grégoire demande qu'en agréant l'hommage,
on rappelle sans cesse au peuple tout ce qui atteste « la bassesse
de nos anciens écrivains, la turpitude des courtisans, les forfaits
des rois ».
11 brumaire. - Il lit « une instruction aux habitants des campagnes
relative aux semailles d'automne ». La Convention l'adopte et en
ordonne l'impression et l'envoi.
16 brumaire. Le jour même où des députations de Seine-et-Oise
viennent imposer à la Convention les motions les plus sacrilèges,
lorsque la femme de l'évêque de Périgueux, « pauvre de fortune mais
riche de vertu », est admise aux honneurs de la séance, que le
cynique Chabot annonce son mariage, Grégoire, au milieu de
l'agitation et du tumulte, essaie de lire un nouveau mémoire sur les
moyens d'améliorer l'agriculture ; il propose l'établissement d'une
maison d'économie rurale, il développe son système : « Ayons un bon
plan d'éducation, un bon plan d'agriculture, et nous aurons tout
(23)... » Un Montagnard l'interrompt : « Nous ne voulons d'autre
système que la proscription des rois, des seigneurs et des prêtres,
» C'était le mot de la situation, la religion mêlée à toutes les
gloires du passé, c'était l'ennemie !
17 brumaire. - Dans la nuit du 16 au 17 brumaire, Hébert, Lhuillier,
Chaumette, Momoro, vont chez l'évêque de Paris, Gobel ; ils lui
ordonnent de se déprêtriser ; le vieillard résiste, il prie qu'on
lui épargne cette flétrissure ; on le menace de mort, il cède, et il
apporte à l'Assemblée son abjuration, signée par deux de ses
vicaires. Grégoire est au comité d'instruction, on l'avertit de ces
scènes sacrilèges, il court à la Convention. Le Moniteur, « toujours
officiel », n'a pas exactement raconté l'incident (24). Voici le
récit de l'évêque de Blois (25) : « Rentré à l'Assemblée, je vois
des prêtres catholiques, des ministres protestants, s'élancer à la
tribune pour blasphémer et abjurer leur état... Une troupe de
Montagnards, comme des furies, s'élance vers moi : « Il faut que tu
montes à la tribune. - Et pourquoi ? - Pour renoncer à ton
épiscopat, à ton charlatanisme religieux. -Misérables
blasphémateurs, je ne fus jamais un charlatan ; attaché à ma
religion, j'en ai prêché la vérité, j'y serai fidèle... Le président
annonce que j'ai la parole, quoique je ne l'eusse pas demandée. Je
m'élançai à la tribune ; à un épouvantable tapage, succède un
silence général : « On me parle de sacrifices à la patrie, j'y suis
habitué ; s'agit-il du revenu attaché à ma qualité d'évêque ? Je
vous l'abandonne sans regret ; s'agit-il de religion ? Vous n'avez
pas le droit de l'attaquer. J'entends parler de fanatisme, de
superstition... Je les ai toujours combattus. Catholique par
conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été désigné par
le peuple pour être évêque, mais ce n'est ni de lui ni de vous que
je tiens ma mission... On m'a tourmenté pour accepter ces fonctions,
on me tourmente aujourd'hui pour faire une abdication, qu'on ne
m'arrachera pas. J'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse, je
reste évêque pour en faire encore, j'invoque la liberté des cultes.
» Ce discours fut interrompu vingt fois, des rugissements éclatèrent
pour étouffer ma voix, dont j'élevais à mesure le diapason... Je
doute que le pinceau de Milton, accoutumé à peindre le spectacle des
démons, pût rendre cette scène. Descendu de la tribune, je retourne
à ma place ; on s'éloigne de moi comme d'un pestiféré. Je vois des
regards furibonds dirigés sur moi. La séance finie, je me traine
chez moi, je remerciai Dieu de m'avoir donné la force de confesser
Jésus-Christ je déclare qu'en prononçant ce discours improvisé, je
crus lire mon arrêt de mort. » M. Carnot a écrit, sous la dictée de
Mme Dubois, une anecdote qui confirme le récit de Dulaure au sujet
de Gobel et la pression exercée par les persécuteurs pour détruire
le catholicisme, « Le lendemain de cette scène, trois visiteurs se
présentent chez l'évêque ; admis dans son cabinet, ils emploient
tour à tour les promesses et les menaces pour obtenir son
abjuration. Assis dans son fauteuil, les mains derrière le dos, il
accompagne chacun de ses non d'un coup sec de son pied sur le
parquet. -Eh bien, s'écrie l'un des étrangers, avec l'accent de la
fureur, tu viens de monter deux degrés de l'échafaud, tu monteras le
dernier. - Je suis prêt, réplique Grégoire, je ne démentirai jamais
mes croyances. A l'heure accoutumée, l'évêque descendit pour
déjeuner, avec un air aussi serein que de coutume ; au moment de se
lever de table : Mes bons amis, nous dit-il, dans un temps comme
celui où nous sommes, quand on vit au milieu de la tourmente, on ne
sait ce qui peut arriver ; il faut que vous me fassiez une promesse.
- Et laquelle ? - Si je venais à être arrêté, promettez-moi, dans le
cas où ma vie serait en danger, de ne tenter aucune démarche en ma
faveur. - Que demandez-vous là ? s'écria Mme Dubois fondant en
larmes, au souvenir de la conversation qu'elle avait entendue le
matin : Si votre vie était menacée, j'irais trouver vos amis, vos
collègues, vos juges, et je saurais bien me faire écouter. -
L'évêque insiste, on promet de respecter sa volonté, il aime mieux
mourir que devoir la vie aux hommes qui le menacent, il ne demande
qu'une chose, c'est que, dans le cas où il lui arriverait malheur,
Mme Dubois parte aussitôt pour Emberménil afin de consoler sa
vieille mère. »
19 brumaire. - « Au comité d'instruction publique, Fourcroy exprime
ses regrets de ce que j'avais comprimé l'élan de l'opinion contre le
fanatisme. Ma réponse fut concordante avec le discours qu'il me
reprochait... Son apostrophe n'était sans doute qu'un tribut payé
par la peur à la frénésie du moment... Quelques années plus tard,
parlant de la liberté de conscience, il prétendait avoir toujours
pensé comme moi sur cet article. »
20 brumaire. - Un décret de l'Assemblée convertit la ci-devant
église Notre-Dame en un temple consacré à la Raison et à la Vérité.
Dans l'Histoire des sectes religieuses, Grégoire flétrit, en termes
énergiques, « cette odieuse profanation, cette orgie qui fut répétée
dans toutes les églises de la capitale ».
21 brumaire. - Le Sans-culotte observateur, rendant compte de la
scène des abjurations, publie contre l'évêque Grégoire une diatribe
qui fut affichée dans tous les coins de rues c'était un arrêt de
proscription. Il en fit, dans la nuit, arracher un exemplaire qu'il
garda précieusement.
23 brumaire. - Le jour même où un décret prescrit au comité
d'instruction de faire un rapport sur les moyens de substituer au
culte catholique le culte de la raison, Grégoire écrit au club des
Jacobins pour qu'il rassemble tous les traits éclatants de l'amour
de la patrie que cette société a produits ; « Éd. Bourdon s'irrite
de ce que cette excellente demande soit faite par un homme qui
voulut christianiser la Révolution, qui prétendit que Jésus-Christ
avait prophétisé qu'il y aurait des Jacobins. (On rit.) Grégoire fut
jacobin, il ne l'est plus, c'est à l'Assemblée et non pas à lui que
vous devez la collection des traits glorieux de la société. » La
lettre est renvoyée au comité de correspondance. En effet, l'évêque,
en 1792, était revenu un instant au club des Jacobins, qui veulent,
disait André Chénier, régner par tous les moyens: « Il n'était plus
permis d'y opiner autrement que la faction parisienne... Je sortis
et ne remis plus les pieds dans cette assemblée autrefois décente et
raisonnable, mais devenue un tripot de factieux, un refuge pour les
hommes flétris par la justice. »
17 frimaire. - Au nom de la commission chargée de former un plan
définitif sur les Annales du civisme, Grégoire présente un rapport
qui est imprimé par ordre (in-8°, 12 p.). « Sa voix tonnante
dénoncera tous les émigrés à l'exécration de tous les siècles... Les
peuples détrompés se hâteront d'atteindre leur virilité politique et
les volcans allumés sous les trônes feront explosion... Tous les
actes de vertu qui dépassent la ligne ordinaire des efforts de
l'homme et qui ont pour objet la destruction du despotisme sont le
domaine de notre travail... Dans cette galerie de portraits, la
patrie en deuil contemplera les législateurs assassinés pour avoir
voté la mort du tyran, et ce récit gravera dans les cœurs les dogmes
politiques qui établissent la haine de la royauté et du
fédéralisme... La voix de la France sollicite ou plutôt exige
impérieusement la réforme de l'éducation... Un des moyens de
l'épurer et la fixer c'est la connaissance des faits historiques de
la Révolution... » Quoiqu'il ne soit plus jacobin, il fait encore
l'éloge des sociétés populaires « dont la haine des pervers atteste
l'utilité constante et sans la vigilance desquelles le fanatisme et
l'aristocratie auraient dévoré la République... Tous les mois, votre
comité vous présenterait un travail signé sur cet objet,
l'impression donnerait ensuite à ce recueil la plus grande
publicité, le but moral serait atteint... Rappelons-nous sans cesse
que l'ignorance et le vice sont les appuis de la tyrannie..., le
patriotisme sans probité est une chimère, la liberté n'est qu'un
frêle édifice si elle n'est fondée sur les lumières et la vertu... »
Romme critique le rapport, il veut un plan plus précis, plus simple.
24 frimaire. - Sur le rapport de Chénier, un décret expulse Mirabeau
du Panthéon pour y faire place à Marat qui avait, dit-on, enseigné
le français à Oxford, et dû ses succès à sa haine pour notre
Révolution. Marat, qui avait formé le vœu qu'on pendit deux cents
députés et qu'on coupât deux cent mille têtes. Marat, dont la figure
extrêmement ignoble était l'image de son âme..., et cependant,
disait Grégoire : devant Marat et Robespierre, on vit la France
agenouillée... Enfin, à son tour, Marat subit le sort de Mirabeau,
et son squelette, tiré du Panthéon, fut jeté dans l'égout de
Montmartre (26).
30 frimaire. (29 déc. 1793).- L'Eglise constitutionnelle a perdu son
prestige légal, le gendarme ne protège plus le prêtre jureur ; les
assermentés, comme les orthodoxes, sont victimes de la persécution,
c'est le christianisme que la Révolution veut détruire. Grégoire
publie un ouvrage intitulé : Questions relatives à l’histoire de
l’Eglise gallicane, in-8°. Paris.
(1) Mémoire présenté à
l'Académie de Stanislas.
(2) 1 vol. in-4° Nancy, 1873.
(3) Discours du 20 janvier.
(4) Paris, juillet 1789.
(5) De Lescure donne 491 voix contre 90. - Correspondance secrète.
Lettre 25°.
(6) Discours de Legros, aux Jacobins. 1798.
(7) V. Ire partie, l'Analyse du mémoire, 62 à 66, et 1789, in-8°,
brochure de 47 pages.
(8) L'évêque de Nancy soutint la même thèse.
(9) Le bénédictin D. Dièbe, son confesseur.
(10) Journal du Haut et du Bas-Vendômois 25 avril 1791.
(11) Monit. 1791, 129, 130, 133, 134, 136.
(12) Monit. n° 173.
(13) Monit., n° 197.
(14) V. ces deux lettres, 1re partie, 60-62.
(15) Monit., 225.
(16) Mém., t. II, 25.
(17) 1re partie, 44-45.
(18) Mém., t. Ier, 25.
(19) Thiers.
(20) V. Un homme d’autrefois, par le marquis de Beauregard.
(21) A la page 25. je lis cette note : « Un forçat avait été
condamné à cinq ans de galères pour injures au roi sarde, on vient
de lui rendre la liberté, il faudrait lui donner une couronne
civique s'il apportait la tête d'un tyran »
(22) Mém. t. I, 424. « Je publiai le rapport de ma mission..., il y
a dans l'imprimé une phrase que je désavoue... » On garde à la
bibliothèque de Nice un exemplaire de ce rapport réimprimé (petit
in-4°) par ordre de l'administration du département ; il proposait
de détourner le Paillon à trois quarts de lieue de son embouchure
pour le rejeter dans la mer, par une issue à travers la montagne, où
l'on a percé le tunnel actuel du chemin de fer. Récemment on a donné
le nom de Grégoire à l'une des rues de la ville.
(23) Imprimé par ordre, ce discours fait partie des Mélanges sur la
Révolution.
(24) Monit., 1793, n°49.
(25) Hist. des sectes rel., t. Ier, 69-86.
(26) Hist. des sect. rel., t. Ier |
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