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La vie et les oeuvres de l'abbé Grégoire - 1789-1793
(notes renumérotées)

(voir aussi les autres documents sur l'abbé Grégoire)

Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.


Mémoires de l'Académie de Stanislas
1883

LA VIE ET LES OEUVRES DE L'ABBÉ GRÉGOIRE (1)
1788-1831
Si judicas cognosce

Les récits des contemporains, les pièces d'archives, les documents inédits, le Moniteur, « ce répertoire redoutable », m'ont fourni les éléments de cette longue et patiente étude. Dans une première partie (1750-1789) (2), je vous ai raconté son enfance chrétienne et pauvre, son adolescence laborieuse et chaste, les actes de son ministère à Marimont et à Emberménil et j'ai analysé ses travaux littéraires couronnés, l'Éloge de la poésie, par l'Académie de Stanislas, en 1781, l'Essai sur la régénération physique morale et politique des Juifs, par la Société royale des sciences et des lettres de Metz, en 1778.
Dans cette seconde partie (1789-1831), j'aurais voulu, en quelques pages d'une critique sévère, apprécier la nature, le caractère, la vie du célèbre abbé, à l'époque surtout de son délire révolutionnaire, « de ses jours caniculaires », comme il les appelle. Mais la sagesse de nos règlements m'impose un plan plus modeste, je me bornerai simplement à mettre sous vos yeux, année par année, ou plutôt jour par jour, ses écrits, ses motions, ses votes, ses discours, ses actes, afin que chacun, dans la liberté et l'indépendance de sa conscience, puisse, en connaissance de cause, juger cet homme étrange, dont la mémoire, il l'avait prédit, a été et est encore « en proie à la rage des partis »..
Durant un demi-siècle (1781-1831), l'abbé Grégoire a été membre de notre compagnie ; j'aurai rempli un devoir de justice en retraçant, avec une religieuse impartialité, sine ira et studio, les phases diverses de sa vie si calme au début, si troublée en son cours, si tourmentée jusqu'à son dernier soupir.
I. 1789. Né monarchique, comme la France de l'ancien régime, le curé d'Emberménil a dû son élection aux Etats-Généraux, à l'estime de ses confrères, à son discours à l'assemblée des trois ordres, à Nancy (3), surtout à ses deux circulaires aux curés (20 et 22 janvier), dans lesquelles il affirme de la manière la plus explicite, la plus spontanée, « sa vénération pour ses supérieurs ecclésiastiques, son admiration, son respect pour la personne d'un monarque, que l'on peut louer sans flatterie ».
Arrivé à Versailles, il prend une part active aux discussions de la Chambre du clergé, il y soutient « avec impétuosité » le vote par tête et la réunion des trois ordres. Dans une Nouvelle Lettre d'un curé à ses confrères (4), il expose tout à la fois « les relations intimes et permanentes qui unissent les pasteurs aux paroissiens, dont ils sont les « pères spirituels », et aussi « les misères du peuple qui se débat dans les filets de la fiscalité..., l'injustice des lois exclusives et tortionnaires, qui provoquent sa fureur... » Il ne ménage ni à la noblesse ni à l'épiscopat quelques attaques mal déguisées, mais il renouvelle ses protestations d'inviolable fidélité à la monarchie. « Je pose en fait qu'aucun cahier ne demande une constitution républicaine, qu'aucun député ne désire se soustraire à l'autorité royale. » Il repousse, comme une calomnie et un outrage, « tout ce qui pourrait porter atteinte à l'unité du culte catholique, à la succession au trône, dans la famille d'un roi qu'on aime ». Après le 10 août, entraîné vers la République, il cherchera vainement, par la violence de ses attaques, à détruire l'expression de cette foi monarchique si loyalement affirmée.
10 juin. - Le Tiers assemblé invite la noblesse et le clergé à venir dans la salle commune pour y porter remède aux malheurs publics. L'inquiétude est partout, la province s'agite, Paris est affamé ; l'abbé Sieyès propose de donner défaut contre les non-comparants de la noblesse et du clergé. Trois curés du Poitou se présentent Grégoire juge plus utile de rester encore dans la salle du clergé, mais il écrit au président Bailly, pour motiver sa résolution. Le dimanche 14 juin, à la séance du soir, il fait son entrée avec cinq autres ecclésiastiques le curé Dillon, dans son discours, exprime « le respect et l'amour du clergé pour le monarque... » Il est fort applaudi.
17 juin. - A une heure après midi, l'ordre du Tiers, sur la motion de Sieyès, se constitue sous le titre d'Assemblée nationale à la majorité de 481 voix contre 119 (5).
20 juin. - La salle est fermée par ordre ; l'Assemblée s'installe au Jeu de paume, « triste lieu, démeublé, pauvre ». Grégoire, le premier, prête le serment de ne point se séparer avant l'achèvement de la Constitution ; l'austère Rabaud, ministre cévénol, et D. Gerle. « un bonhomme de chartreux, d'excellent cœur, de courte vue », imitent son exemple. Le 22 au matin, le curé d'Emberménil se trouve à l'église Saint-Louis avec 149 ecclésiastiques il quitte le chœur pour se mêler aux membres de l'Assemblée, qui entrent dans la nef. « Le temple de la religion, dit-il, devient le temple de la patrie. »
Le soir de ce même jour, il est au club breton ; il raconte en ces termes, ce qu'il y a fait : « La veille de la séance royale, nous étions douze à quinze députés, instruits de ce qui se passait à la cour... ; tous opinèrent sur la nécessité de rester dans la salle, malgré la défense du roi... On convint de circuler dans les groupes de nos collègues, avant la séance, et de se préparer à la résistance... Mais, dit quelqu'un, le vœu de douze à quinze pourra-t-il déterminer la conduite de douze cents ? Il lui fut répondu que la particule on a une force magique ; nous dirons: voilà ce que fera la cour et parmi les patriotes on est convenu de cette mesure... On, signifie quatre cents comme dix... L'expédient réussit. » Des parlementaires, des avocats, des ecclésiastiques, des Bretons surtout, se réunissaient à Versailles, dans ce club, que le conseiller Dupont, député de la noblesse, avait d'abord ouvert chez lui, rue du Chaume, à Paris. Depuis le 4 mai, Grégoire en était l'un des membres les plus assidus, il y rencontrait Pétion, Mounier, Barnave, Barrère, Boissy d'AugIas, Robespierre. Mirabeau n'alla qu'une fois dans « ce laboratoire d'agitations » ; Lanjuinais, Siéyès s'en retirèrent bientôt ; ce dernier juge les clubs avec sévérité: « Une troupe de polissons, méchants, toujours en action, criant, intrigant, s'agitant au hasard et sans mesure. » Il leur attribue, avec raison, la plus grande part dans l'égarement de la Révolution. C'est dans les clubs que le curé d'Emberménil contracta l'habitude des discussions violentes, qu'il perdit son respect pour le roi, auquel il reprochait tantôt de le dénigrer dans ses lettres, tantôt de le vouloir corrompre en l'élevant au siège de La Rochelle. Il avait compris que la force ne se mesure pas au nombre, « les patriotes ne se comptent pas, ils se pèsent (6) » ; il résumait en quelques mots la puissance des clubs : « Notre tactique était simple, on convenait qu'un de nous saisirait l'occasion opportune de lancer sa proposition dans une séance de l'Assemblée nationale, il était sûr d'être applaudi par un très petit nombre et hué par la majorité, n'importe il demandait le renvoi à un comité, où les opposants espéraient inhumer la question. Les Jacobins s'en emparaient ; sur leur invitation-circulaire ou d'après leur journal, elle était discutée dans trois ou quatre cents sociétés affiliées et trois semaines après pleuvaient à l'Assemblée des adresses pour demander un décret, dont elle avait d'abord rejeté le projet.
23 juin. - Le roi termine la lecture de sa déclaration par ces mots: « Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite et de vous rendre, demain matin, dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. » Le roi parti, le Tiers reste immobile, Mirabeau proteste, Grégoire appuie la protestation: « II importe de maintenir la résolution prise par l'Assemblée. » On constitue le bureau, il est nommé secrétaire à la presque unanimité.
8 juillet. - Mirabeau réclame l'éloignement des troupes, Grégoire veut de plus que « l'on dévoile les auteurs de ces détestables manœuvres, qui menacent la sécurité de l'Assemblée, qu'on les dénonce comme coupables de lèse-nation, afin que l'exécration contemporaine devance l'exécration de la postérité ».
10 juillet. - Paris est en insurrection, l'archevêque de Vienne préside l'Assemblée, Grégoire propose la création d'un comité pour « dénoncer tous les ministres coupables, les machinations de la cour, tous les conseillers perfides du roi..., le roi est bon, mais on le trompe ». Ce discours, dit le Moniteur fut prononcé avec une force et une énergie peu communes ; le président exprima son étonnement de ce qu'un ecclésiastique s'exprimât avec autant de véhémence sur une semblable matière : « Surpris de l'apostrophe, je demandai la parole pour m'expliquer ; je le fis avec les égards que mon cœur m'inspirait, mais avec la fermeté que j'y devais mettre comme homme public... Les applaudissements de l'Assemblée et des tribunes se prolongèrent à tel point que j'en fus humilié pour ce digne prélat, que j'aimais et qui m'aimait. »
12 juillet. Dimanche. - Il n'y a pas de séance ; on parle de mouvements de troupes, de dispersion, d'enlèvement des députés ; Grégoire, en qualité de secrétaire, s'empare des procès-verbaux, des papiers, des correspondances, il les enveloppe sous un double sceau, celui de l'Assemblée et le sien ; il les confie « à Mme Émery, épouse du député de ce nom, qui durant trois jours eut sous sa direction ce dépôt, dont elle appréciait l'importance ». Le même soir, cinq ou six cents députés, qui ne sont pas allés à Paris, se réunissent dans la salle des séances ; le président est absent, on invite Grégoire à occuper le fauteuil, il accepte avec empressement : « Il faut relever le courage de ceux qui tremblent » ; il improvise un discours sur les tentatives de la tyrannie « Apprenons à ce peuple qui nous entoure, que la terreur n'est pas faite pour nous... Oui, nous sauverons la liberté naissante..., fallût-il pour cela nous ensevelir sous les débris fumants de cette salle... » et il termine par ces mots du poète « Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae. » Des applaudissements unanimes accueillent ces paroles, on décide que la séance sera permanente ; c'est la première de ce genre, elle dura soixante-douze heures. « Cette citation répétée et commentée par les journaux fit beaucoup d'honneur au curé d'Emberménil. »
23 juillet. - L'agitation des esprits est chaque jour plus grande, les pillages, les meurtres désolent les provinces, l'Assemblée délibère sur les remèdes à employer ; Grégoire demande que l'on invite les pasteurs à tranquilliser les peuples: « Qui de vous, dit-il à ses confrères, ne voudrait être au milieu de ses paroissiens, pour faire entendre des paroles de paix et de confiance dans les travaux de l'Assemblée. » Il a reçu des lettres anonymes, on le menace de le dénoncer au Palais-Royal s'il n'en donne pas lecture ; le président consulte l'Assemblée. Un non général fait retentir la salle, on lui crie de tous côtés de les jeter au feu.
1er août. - Conformément aux vœux de son bailliage, Grégoire fait le tableau des cruautés inouïes exercées contre les juifs d'Alsace ; il réclame l'intervention de l'Assemblée. Le 14 du même mois, les députés de la nation juive-portugaise de Nancy lui adressent l'expression de leur reconnaissance, « il a d'abord plaidé leur cause au tribunal de l'opinion, il a ensuite invoqué le secours de l'Assemblée (7) ».
4 août. - Dans la mémorable discussion des droits de l'homme et du citoyen, Grégoire établit la corrélation nécessaire des droits et des devoirs: « Les droits, on est toujours prêt à les étendre, les devoirs on les néglige, on les méconnait, on les oublie. » L'amendement est repoussé par 570 voix contre 433.
8 et 9 août. - La dime sera supprimée à partir de 1790 ; Grégoire, avec Siéyès et Lanjuinais, veut que l'on stipule une indemnité dont le capital, solidement placé, formerait la dotation du clergé. « Attachés à leurs propriétés, instruits de l'agriculture, les curés trouveront des moyens plus aisés d'économie, plus de facilités pour aider leurs paroissiens. » Plus tard, lorsque le comité des dîmes propose de payer en argent le traitement des ecclésiastiques, il demande une exception pour les curés : « L'intérêt des pauvres, des ministres, de la patrie, exige leur dotation en fonds territoriaux... Si vous pensionnez les curés, le peuple regardera la religion comme onéreuse..., les pauvres ne demandent pas d'argent, mais du pain... On prétend qu'il ne faut pas distraire les curés, moi, je dis qu'il leur faut des distractions et que celles de l'agriculture sont celles qui leur conviennent le mieux... C'est chez les curés que s'essaient les découvertes rurales repoussées par l'habitude et la routine... La société d'agriculture, à laquelle j'ai communiqué un mémoire sur cette question, a reconnu qu'il était au moins nécessaire de donner aux curés la moitié de leur traitement en fonds de terre (8). » A la même époque, il publie à Nancy, deux mémoires, l'un Sur la Dotation des curés en fonds territoriaux (in-8°, 32 p.), l'autre Sur les Droits de tiers denier des biens communaux et de troupeau à part usités en Lorraine (in-8°, 56 p.).
10 août. - Le cardinal de Rohan adresse au curé d'Emberménil une lettre dans laquelle il lui exprime ses sentiments d'attachement et de haute estime pour ses ouvrages et ses qualités personnelles.
10 août. - Grégoire propose la suppression des annates, « monument de simonie contre lequel le concile de Bâle avait déjà statué ». Il avait fait inscrire cette réforme dans les cahiers de son bailliage.
14 août. - Il reçoit de la nation juive-portugaise de Bordeaux une lettre d'éloges et de reconnaissance.
18 août. - Dans la discussion relative à la déclaration des droits, il demande vainement que le nom de Dieu « qui retentit dans toute la nature et dans tous les cœurs soit placé à la tète de cette charte d'affranchissement ; « l'homme n'a pas été jeté au hasard sur ce coin de terre, s'il a des droits, il faut parler de Celui dont il les tient, s'il a des devoirs, il faut lui rappeler Celui qui les lui prescrit. »
11 septembre. - Il demande que les curés à portion congrue ne soient pas mis sur le rôle ; on approuve la proposition, mais les curés congruistes refusent ; ils sont citoyens, « qu'on ne leur impose pas la honte de ne pas contribuer à la chose publique... On accepte et on applaudit. »
16 septembre. - Il s'oppose à ce que l'Assemblée agrée la dédicace d'une édition de Voltaire publiée par Palissot : « Que l'on s'assure auparavant si l'on a repoussé de cette édition des ouvrages qu'un homme honnête rougirait de voir entre les mains de sa femme et de ses enfants... » Un ordre du jour écarte la dédicace.
5 octobre. - Paris marche sur Versailles le roi écrit à l'Assemblée: « Il accède aux lois constitutives, mais il réserve les droits du pouvoir exécutif. » Robespierre et Duport veulent que le roi accepte purement et simplement la déclaration des droits Grégoire prend la parole : « Le roi est bon, mais il est homme, il a été trompé, il le sera encore... Il y a des troubles..., une disette affreuse..., le ministre doit être instruit, qu'il s'excuse, ou bien il est coupable. » Il dénonce au comité des recherches les fêtes militaires, le repas de l'Orangerie, ce qu'il appelle l'orgie du 3 octobre. Mirabeau lui fait remarquer qu'il a plus de zèle que de prévoyance ; il est dangereux, en des jours tumultueux, de révéler des faits coupables ; il lui reproche d'avoir parlé déjà, en termes vagues, d'un meunier qui aurait reçu 200 livres pour ne pas moudre... « Un vainqueur de la Bastille, Stanislas Maillard, a fait de ce bruit un texte d'accusation contre l'aristocratie et contre la cour. »
8 octobre. - Le roi est à Paris, l'Assemblée hésite, elle n'a pas confiance dans la multitude, cependant elle quitte Versailles. Grégoire a motivé sa protestation: « Livrés à la merci d'un peuple armé, pense-t-on que les députés du clergé puissent se rendre à Paris et braver en sûreté les outrages dont ils sont menacés ? De respectables ecclésiastiques connus par leur dévouement patriotique et leur zèle, sont venus les premiers s'unir au Tiers... Ils ont abandonné les dimes, renoncé au casuel, porté dans les caisses publiques des dons plus proportionnés à leur zèle qu'à leurs facultés... Quel prix en reçoivent-ils ? le peuple de Paris les outrage, il leur fait les menaces les plus effrayantes... Il n'y a pas de jour que des ecclésiastiques ne soient insultés... » Ces paroles improvisées, prononcées de sa place d'une voix sonore, avec un ton de dignité et d'autorité, frappèrent l'Assemblée, dit le député Montlosier : « j'allai tout ému à M. Grégoire lui faire mon compliment ; pendant quelque temps il resta dans nos rangs, je pensais que nous avions fait une acquisition. »
15 octobre. - Grégoire entre dans la maison de M. et de Mme Dubois, où, durant 42 ans, il trouva la plus cordiale hospitalité et la plus constante affection.
21 octobre. - L'Assemblée discute la question de cens et d'éligibilité : « Nul ne sera électeur s'il ne paie une imposition directe, comme propriétaire ou locataire. » Grégoire attaque cet article, il redoute l'aristocratie des riches. « Pour être électeur ou éligible, il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français... Exiger un cens, c'est exclure presque tous les ecclésiastiques de la représentation nationale... » II attaque, avec violence, la division des citoyens en actifs et non actifs ; rappelé à l'ordre, il ajoute, aux applaudissements des tribunes : « Je connais, à Paris, un grand nombre de citoyens non actifs, logés au sixième, que vous privez de leurs droits. »
23 octobre. - Un paysan du Jura, Jean Jacob, âgé de 120 ans, vient remercier l'Assemblée de ses décrets ; Grégoire demande que tous les députés se lèvent, « en raison du respect qu'a toujours inspiré la vieillesse ». On invite le vieillard à s'asseoir et à se couvrir, on fait une collecte en sa faveur ; le roi lui avait donné une pension de 200 livres.
9 novembre. - Le clergé est dissous comme ordre et corporation, l'émission des vœux est suspendue, le nombre des monastères est réduit à un du même ordre, en chaque municipalité, les biens du clergé sont à la disposition de la nation ; Grégoire demande que pour obtenir un bénéfice à charge d'âmes, on soit Français ou naturalisé ou régnicole, depuis dix ans au moins.
3 décembre. - Membre actif de la Société des Amis des noirs, il propose l'admission des hommes de sang mêlé dans la représentation. Il publie un mémoire en leur faveur (Paris, in-8", 52 p.).
30 novembre. - L'ancienne division territoriale a disparu ; 44,828 municipalités ont été décrétées les officiers municipaux exercent deux espèces de fonctions, les unes relatives au pouvoir communal, les autres à l'administration générale ; Grégoire réclame pour eux la préséance et le pas sur tous les autres magistrats ; « Nous devons réclamer avec courage toutes les prérogatives de la souveraineté du peuple ; c'est la loi qu'il faut voir dans celui qui en est l'organe..., il faut honorer le peuple dans ses représentants. »
1790. 5 janvier. - On confisque, au profit du Trésor, les revenus des bénéficiers absents ; Grégoire s'élève contre l'émigration des ecclésiastiques : « Les uns ont abandonné leur poste par anti-patriotisme, les autres par crainte de partager les dangers de la patrie... » Plus tard, il avouait que l'archevêque de Paris s'était retiré à Chambéry « pour échapper aux outrages, aux menaces les plus effrayantes »
19 janvier. - Il fait insérer au Moniteur (littérature, droit public) un mémoire en faveur des gens de couleur ou sang mêlé de Saint-Domingue. On avait mal accueilli, le 22 décembre, une députation des colonies, Grégoire se constitue leur avocat, leur patron ; président de la Société des Amis des noirs, il plaide sans cesse, par ses discours et par ses écrits, la cause de l'abolition de l'esclavage. J'ai consulté, à la bibliothèque de l'Arsenal, sa vaste correspondance avec Haïti (n° 6,309) et un grand nombre de manuscrits importants (n°s 6,573, 2,165, 2,167, 5,290, 5,291).
5 février. - Membre du comité des rapports, il expose à l'Assemblée l'état des travaux « On a reçu plus de 5,000 requêtes, 2,500 sont déjà déblayées, la plupart de celles sur lesquelles il reste à statuer seront renvoyées aux ministres, aux départements et aux tribunaux. »
9 février. - Président du comité des rapports, il rend compte des troubles du Quercy, de la Rouergue, du Périgord, du Bas-Limousin et de la Basse-Bretagne. Les mendiants courent le pays, on pille les châteaux, la terreur est partout..., il ne peut le nier, mais il en attribue la cause à l’ignorance, à l’inexécution des décrets du 4 août, à l »influence sur les gens de la campagne « de ceux qui préfèrent l'esclavage et l'anarchie à l'ordre et à la liberté... On montre perfidement aux paysans de faux décrets, de fausses lettres patentes... On lui écrit de Lorraine : Nous sommes à la veille d'une guerre sanglante, intestine et féodale, il faut que les bons citoyens s'unissent...» Mirabeau proteste, il caractérise la situation d'une manière plus nette et plus vraie : « C'est la guerre de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. » L'Assemblée décide qu'elle priera le roi de faire exécuter les décrets, qu'elle écrira aux municipalités des pays où il y a des troubles, qu'elle est affectée de ces désordres ; le mot est faible, dit un membre, mettez qu'elle blâme, qu’elle condamne. Grégoire invite de nouveau les curés membres de l'Assemblée à écrire à leurs confrères de donner à leurs paroissiens une interprétation exacte des décrets et d'user de « tous les moyens que leur offre la confiance due au caractère sacré dont ils sont revêtus ». L'abbé Maury prend la parole ; il veut qu'on dise anathème aux brigands ; si l'Assemblée n'a pas cette force, « l'État est dissous. L'influence des curés est une illusion, Turgot a usé de ce moyen en 1775, il a échoué... Ce remède, insuffisant alors, le serait aujourd'hui bien davantage sur un peuple que les ennemis de la nation ont égaré... Il faut une répression armée, au moins dans les campagnes. » Grégoire persiste à repousser l'emploi de la force, il faut éclairer le peuple... « On l'entretient dans l'ignorance de vos décrets..., la vertu a sa place naturelle à côté des lumières et de la liberté ! »
11, 13, 18 février. - On discute la question des ordres religieux ; il n'y a pas assez de prêtres séculiers, dit Grégoire, « il est nécessaire de se ménager des troupes auxiliaires, il serait impolitique de supprimer en entier les ordres religieux. » Lorsqu'il s'agit de statuer sur le sort des membres des congrégations, il soutient que tous ont à peu près les mêmes droits ; il demande que le minimum des pensions soit fixé à 800 fr. jusqu'à 50 ans, à 1,000 fr. jusqu'à 70 ans, à 1,200fr. au delà et que cette disposition soit commune aux Jésuites. « Parmi les cent mille vexations de l'ancien gouvernement..., on doit compter celles qu'il a exercées sur un ordre célèbre, les Jésuites ; il faut les faire participer à votre justice. » Robespierre appuie la motion: « nous devons aux religieux un traitement juste et honnête. »
15 mars. - Président du comité des rapports et du comité des recherches, il fait élever, de 15 à 30, le nombre des membres ; ils seront renouvelés par moitié, de mois en mois. Il déploie une merveilleuse activité pour dépouiller les dossiers et pour suivre les discussions de l'Assemblée.
23 mars. - Il réclame un relevé détaillé des appointements qui existent sous le nom d'état-major des places ; il signale « un gouverneur de la Mallebranche, c'est-à-dire une maison de campagne, qui reçoit 12,000 fr. »
23 mars. - On délibère sur l'éligibilité des gens de couleur, la majorité est hostile ; Grégoire renoncera à la parole sur l'article 4, « à condition que les députés des colonies renoncent à l'aristocratie de la couleur ». L'Assemblée refuse de discuter la question.
1er avril. - Il fait adopter un décret qui enlève aux salines de Dieuze, Moyenvic et Château-Salins, l'exploitation des bois appartenant aux communes, aux propriétaires ou aux détenteurs de bénéfices. La ferme fit publier, à 3,000 exemplaires, le mémoire rédigé à cet effet par le curé d'Emberménil, qui désirait la conservation de ces importantes usines menacées par les paysans.
12 avril. - On discute un projet de décret présenté par le comité des dîmes ; Roederer accuse l'évêque de Nancy de ne s'occuper des pauvres qu'à la tribune ; Grégoire défend son évêque en termes énergiques.
15 avril. - Au nom du comité des rapports, il réclame contre le décret du 6 mars, qui concerne les procédures prévôtales : « Les galériens se révoltent, il importe de rétablir l'autorité des prévôts. »
1er mai. - Il propose la création d'une caisse de 1,200,000 fr. pour avances aux entrepreneurs de dessèchement de marais et aux agriculteurs... On ne pourra prêter que pour cinq ans et jusqu'à concurrence de 40,000 fr. « C'est de l'argent que vous placerez à gros intérêt, car la terre compense avec usure les travaux et les peines de ceux qui la cultivent. »
20 mai. - Il provoque un décret qui interdit de recevoir sur nos galères aucune personne condamnée par des juges étrangers.
2 juin. - Le clergé a perdu ses dimes, son casuel, ses bénéfices, Mirabeau a triomphé de l'éloquence de Maury ; dans sa réaction contre le passé, l'Assemblée abolit le concordat de Léon X et de François Ier, elle veut remonter à la pragmatique de Charles VII, plus d'une fois réclamée par les parlements. Le comité ecclésiastique propose une réforme qui, sous le nom de constitution civile du clergé, fait entrer le schisme dans l'Église de France. « La discussion, dit Michelet, ne fut ni forte ni profonde..., nul changement ne pouvait se faire sans la convocation d'un concile... » Michelet a raison en ce qui concerne le droit du concile, il se trompe sur le caractère et la nature des débats ; la discussion fut longue, sérieuse, approfondie, elle dura tout le mois de juin. Les évêques en grand nombre nient la compétence de l'Assemblée un concile national peut seul régler les difficultés de discipline et de droit public ecclésiastique. Les philosophes veulent détruire la religion, Grégoire, qui fait campagne avec eux, ne veut que la réformer il montre d'abord une certaine mesure, il craint le schisme : « Il ne faut pas porter atteinte à l'autorité papale. » - Le 7, il demande que l'évêque ne soit pas curé de la cathédrale, sa motion est repoussée. - Le 8, il vote l'élection par tous les prêtres, de quatre curés, qui formeront le conseil épiscopal ; le plus âgé, avec le concours des trois autres, gouvernera le diocèse, en cas d'absence ou d'empêchement de l'évêque. Son ami, Lanjuinais, avait proposé de faire choisir par le synode, au scrutin de liste simple, les membres de ce conseil. - Le 9, on discute le mode de l'élection de l'évêque ; il soutient un amendement qui enlève aux non-catholiques le droit de choisir les ministres du culte ; il est battu par la majorité. - Le 14, il se joint à Moreau, à Dumouchel, à Prieur, pour faire décider que les ecclésiastiques voués à l'enseignement, principaux, régents, professeurs de théologie, auront le droit d'être choisis pour évêques. - Le 15, il remontre « que l'intervalle entre la mort d'un curé et la nomination de son successeur est funeste aux moeurs et à la piété, aussi le procureur-syndic devra-t-il convoquer les électeurs sous quinzaine. » - Le 17, il se joint à l'abbé Gouttes pour fixer à 1,500 fr. le traitement des curés de campagne : « Ils auront la vie et le vêtement, non la fortune. » - Le 21, il demande que la pension de retraite d'un curé, après 25 ans d'exercice, soit égale au traitement de la place qu'il occupe ; la motion est écartée par la question préalable. - Le 28, il appuie une proposition de Robespierre « qui invoque la justice de l'Assemblée en faveur des ecclésiastiques vieillis dans le ministère ». Il faut améliorer proportionnellement à leur âge le sort de ceux dont le traitement sera inférieur à 3,000 fr.
2 juillet. - « Après avoir conquis la liberté, dit Grégoire, nous ne devons pas souffrir qu'un seul gémisse dans la servitude j'apprends qu'il y a des Français emprisonnés dans les forteresses étrangères, que le comité des lettres de cachet prenne des renseignements et qu'il rende compte à l'Assemblée, avant le 14 juillet. »
6 août. - Il fait insérer au Moniteur une adresse aux bons citoyens du département de la Meurthe : « On débite, à Paris, qu'un grand nombre de Lorrains vont servir dans l'armée impériale, il proteste contre cette calomnie : à peine échappés au fléau du despotisme, ils en deviendraient ailleurs les détestables sujets ? Il est loin de tout approuver dans cette révolution à laquelle il croit n'avoir pas été inutile... Il lui sacrifie de bon cœur sa fortune et sa santé... Quiconque regrette l'état de dégradation où nous avait plongés la tyrannie, n'est fait que pour traîner les chaînes honteuses de la servitude... Quelles attaques peut redouter un peuple qui a du canon, du courage, de la liberté... Ceux qui, par ignorance, préjugés ou mauvaise foi ne veulent pas admettre ces vérités, je rirai de leurs injures, j’attendrai leur réfutation... Je supprime le refrain servile qui termine ordinairement les lettres, pour me dire cordialement, Messieurs, votre bon et loyal compatriote. »
13 août. - Il adresse aux municipalités, aux curés, aux clubs, une série de questions relatives aux patois et aux mœurs des gens de la campagne. « Ces questions ayant un but d'utilité publique, vous ne me refuserez pas vos lumières. » La circulaire comprend 43 questions posées avec une méthode parfaite, 5 ont rapport aux écoles ; les réponses, dont plusieurs sont rédigées avec talent, ont un véritable intérêt pour l'histoire du passé je les ai analysées avec soin, surtout en ce qui concerne l'instruction primaire je voudrais citer celle du pasteur Oberlin qui, en 1788, avait reçu la visite du curé d'Emberménil. Il lut envoie sur les patois « un essai qu'il a fait antérieurement imprimer », et il le supplie de plaider la cause des ministres qui, « perdant les dimes, seront réduits à mendier leur pain, si les districts et les départements ne sont obligés de les pourvoir d'un équivalent ».
19 août. - Le comité des finances propose un crédit de 27,217 fr. pour les académies ; Mirabeau le repousse: « Ce sont des écoles de servilité et de mensonge, elles sont incompatibles avec le nouveau régime. » Grégoire les défend, il en démontre l'utilité, il sait d'ailleurs « qu'elles s'occupent à se donner des statuts dignes de la liberté ». L'Assemblée vote provisoirement le crédit.
19 septembre. - II fait un rapport sur l'admission des députés de Pondichéry : « A quatre mille lieues de nous, des citoyens français ont adopté, avec transport, notre nouvelle constitution et prêté le serment civique. »
12 octobre. - L'Assemblée lui refuse la parole sur les affaires de Saint-Domingue ; il fait aussitôt imprimer et déposer chez trois libraires, « une lettre aux philanthropes sur les malheurs, les droits, les réclamations des gens de couleur de Saint-Domingue et autres îles françaises » (1 vol. in-8°).
2 décembre. - Les comités réunis des finances et d'aliénation présentent un rapport sur la vente des biens nationaux ; Grégoire prend la parole pour « une observation préliminaire ; vous avez à cœur de bien vendre et de vendre promptement, afin de multiplier le nombre des propriétaires ; pour remplir des vues aussi sages, il vous faut abolir les dispositions qui, en diverses provinces, établissent l'inégalité des partages... N'est-il pas affreux qu'un père juste, qui aime également ses enfants, soit forcé de trahir sa tendresse et sa justice ? » Il obtient que l'on fixe le jour où sa proposition sera discutée. - Membre actif d'un comité pour l'abolition du droit d'aînesse, il accueille, avec intérêt, une députation des jeunes demoiselles de Rouen et du Havre, qui lui présentent des doléances contre ce droit inique. - Il renouvelle sans succès sa proposition d'accorder aux curés une dotation territoriale.
12 décembre. - Les duels de Lameth avec le duc de Castries, de Barnave avec de Cazalès, les provocations, les défis des gentilshommes effraient les clubs : leurs agents excitent la multitude, on pille l'hôtel de Castries... Grégoire publie des « réflexions générales sur les duels ». La question religieuse l'occupe peu, il traite surtout la question politique ; « on fit grand éloge de cette brochure au club des jacobins. »
7 décembre. - A la suite de l'affaire de Nancy, l'Assemblée avait approuvé la conduite de M. de Bouillé et voté des remerciements à la municipalité, au directoire, à la garde nationale ; organe du parti avancé et des patriotes, Grégoire accuse le général : « On a amplement déduit le tort des soldats, a-t-on suffisamment développé les causes qui les ont aigris et égarés ? Bouillé avait tardé à prêter serment et cependant il commandait... Malgaigne parlait à des soldats avec une brutalité presque barbare..., la municipalité armait..., il y a eu de perfides et sourdes machinations..., les soldats ont cru servir la patrie... Le patriotisme pur d'une société respectée avait été dénoncé. Mais je n'ai garde d'appeler la vengeance sur les coupables. Notre malheureuse patrie ne demande pas à être vengée, mais consolée... N'attisons pas une haine qui, depuis longtemps, divise deux villes faites pour s'aimer et s'estimer... » Il conclut au désaveu de l'approbation donnée le 3 décembre à la municipalité et au directoire de Nancy. - Il est applaudi, Barnave appuie la motion qui est adoptée.
24 décembre. - Le 29 novembre, l'Assemblée a décrété que, sous huitaine, les évêques, curés et autres ecclésiastiques prêteraient le serment ; le 23 décembre, Camus, un jurisconsulte janséniste, demande que la force intervienne... Le lendemain, au milieu des applaudissements des tribunes et d'une partie de l'Assemblée, Grégoire, le premier, prête le serment. Avant cet acte solennel, il fait la déclaration suivante : « Disposé, ainsi qu'un grand nombre de confrères, à prêter le serment civique, permettez qu'en leur nom je développe quelques idées qui ne sont pas inutiles dans les circonstances présentes. (Il se fait un profond silence.) On ne peut se dissimuler que beaucoup de pasteurs très estimables, dont le patriotisme n'est pas équivoque, éprouvent des anxiétés, parce qu'ils craignent que la Constitution ne soit incompatible avec les principes du catholicisme. Nous sommes aussi invinciblement attachés aux lois de la religion qu'à celles de la patrie : revêtus du sacerdoce, nous continuerons à l'honorer par nos mœurs, soumis à cette religion divine, nous en serons constamment les missionnaires, nous en serions, s'il le fallait, les martyrs. Mais après le plus mûr et le plus sérieux examen, nous déclarons ne rien apercevoir dans la Constitution qui puisse blesser les vérités saintes, que nous devons croire et enseigner. Ce serait injurier, calomnier l'Assemblée que de lui supposer l'intention de mettre la main à l'encensoir. A la face de la France et de l'univers, elle a manifesté solennellement son profond respect pour la religion catholique, apostolique et romaine. Jamais elle n'a voulu priver les fidèles d'un seul moyen de salut, jamais elle n'a voulu porter atteinte au dogme, à la hiérarchie, à l'autorité spirituelle du chef de l'Eglise ; elle reconnait que ces objets sont hors de son domaine. Le titre seul de Constitution civile énonce suffisamment son intention ; nulle considération ne peut donc suspendre l'émission de notre serment. Nous formons les vœux les plus ardents pour que, dans toute l'étendue de l'empire, nos confrères s'empressent de remplir un devoir de patriotisme si propre à porter la paix dans le royaume et à cimenter l'union entre les pasteurs et les ouailles. » Durand de Maillane demande que ce discours, si touchant pour les gens de bien, soit imprimé et inscrit au procès-verbal. 52 curés, 8 abbés ou religieux prêtent serment, au milieu des applaudissements de la gauche. Il publie des observations sur le décret qui ordonne une nouvelle circonscription des paroisses (in-8°, 28 p.).
1791. 4 janvier. - Au moment où commence l'appel nominal, la foule s'agite autour de la salle, on entend des menaces, des cris, le maire sort pour assurer le calme ; la droite proteste, Maury réclame en vain la parole, la majorité des évêques refuse le serment, « Les évêques, dit Michelet, trouvèrent dans la situation des paroles heureuses et dignes, qui, pour leurs adversaires, furent des coups d'épées... » L'exigence dure et maladroite que l'on mit il obtenir le serment fut une faute : « elle donna aux réfractaires une magnifique occasion, éclatante, solennelle, de témoigner devant le peuple, pour la foi qu’ils n’avaient pas... » Surpris de cette énergie, Grégoire recourt à des artifices de langage qui sont peu dans ses habitudes ; « c'est au nom de la religion, de la patrie, de la paix qu'il va ajouter quelques mots... Les uns ont prêté le serment, les autres s'y sont refusés, de part et d'autre, nous devons supposer des motifs respectables... L'Assemblée ne juge pas les consciences, elle n'exige pas même un assentiment intérieur (murmures). Je ne justifie pas les restrictions mentales, je veux dire seulement que, par le serment, nous nous sommes engagés à obéir et à procurer obéissance à la loi. Attaché par une union fraternelle, par un respect inviolable à nos respectables confrères les curés, à nos vénérables supérieurs les évêques, je désire qu'ils acceptent cette explication, et si je connaissais une manière plus fraternelle, plus respectueuse de les y inviter, je m'en servirais. » Ses vénérables supérieurs résistent, 134 archevêques, évêques ou coadjuteurs refusent le serment, 4 le prêtent, dont 3 incrédules connus par leurs mœurs dissolues. En cette grave question, Mirabeau, Robespierre, Desmoulins ne partagent pas l'opinion de Grégoire, qui publie « sur la légitimité du serment » une brochure in-8° de 27 pages, que le conseil général de la commune de Nancy fait réimprimer chez la veuve Bachot. Il n'a plus de ménagements à garder, il insulte ceux qui n'acceptent pas ses respectueuses et fraternelles explications ; « Ce sont des êtres égarés par un faux zèle, stimulés par la haine... Ils empoisonnent nos motifs, ils nous prodiguent des qualifications atroces, absurdes... Son serment est un hommage à la patrie, sa déclaration un hommage la religion... Sa dissertation sera une réponse circulaire à une foule de lettres consultatives et une réfutation des protestations des chapitres, des lettres pastorales, de celle de l'évêque de Metz en particulier. » Il résume et il discute les objections : la répartition des évêchés n'a rien de contraire à la tradition ; l'élection est un retour aux pratiques de la primitive Église... Il a réclamé l'exclusion des électeurs protestants et juifs... L'élection est un objet de discipline, l'ordination est de droit divin, le peuple choisit, l'Eglise ordonne... Il y a moins à censurer dans les élections nouvelles qu'à rougir des anciennes... Le patrimoine de l'Église était devenu la proie d'une caste privilégiée et vorace..., des Laïs qui souillaient une cour dépravée... La suppression des vœux ne leur enlève que les effets civils ; « les engagements pris avec Dieu sont hors de la compétence de l'Assemblée, qui ne s'y oppose pas, qui n'a pas le droit d'y mettre obstacle... Nous aurons peut-être des congrégations libres de l'un et de l'autre sexe, des maisons où la liberté s'associant à la piété, en relèvera l'éclat, tel est le vœu de bien des gens, tel est le mien... » Il expose avec amertume les misères d'une foule de curés, de vicaires, de prêtres sans ressources, écrasés d'impôts, assiégés par le besoin... « Le sort de ces hommes qui se sont jetés avec tant de confiance dans la révolution est loin d'être amélioré... S'il est des pasteurs, dont les discours séditieux appellent la vindicte des lois, est-ce un motif pour envelopper cette classe d'hommes dans une proscription commune ? Gravures, comédies, chansons, pamphlets, rien n'a été oublié ; on prononce avec emphase les mots superstition, fanatisme, on ne conseille pas tout à fait de massacrer les prêtres et les ci-devant nobles, mais tous les jours, vous trouvez des cannibales qui parlent d'égorger, comme on parle de manger, de dormir. Les pasteurs, les pères du peuple sont voués presque partout à la dérision, aux insultes, à la férocité, ils sont poursuivis jusque dans nos temples, devenus, depuis qu'on y fait les élections, le théâtre des cabales, des blasphèmes et même de fureurs sanguinaires... Dans mille endroits, les prêtres ne trouvent dans les maires que des bourreaux en écharpe... » Quel tableau ! Maury et les insermentés n'ont pas flétri avec plus d'énergie cette situation déplorable ; la Terreur ne date pas de 1793, depuis la prise de la Bastille : « tout est philanthropie dans les mots, dans les lois ; tout est violence dans les actes, désordre dans les choses. » Et cependant, par une de ces contradictions étranges, que nous constaterons souvent dans ses discours, ses écrits et sa vie, il ajoute : « Si la religion éprouvait la moindre atteinte, notre silence serait une lâcheté sacrilège, jamais on n'étoufferait la voix de ceux qui craignent plus un remords qu'un poignard... Les mêmes qui prétendent que nous avons détruit la royauté, crient que les décrets sont subversifs du catholicisme... Je crois avoir détruit les inculpations faites à la religion de l'Assemblée..., que la haine et la noirceur s'épuisent de nouveau en calomnies, en injures, cette fange retombe sur le visage de ceux qui la jettent... Les principes de la Constitution sont fondés sur l'Évangile. La Religion et la Constitution unies par des liens indissolubles élèvent majestueusement la tête au milieu de l'empire, pour faire le bonheur des Français et mériter les hommages de l'univers.
18 janvier. - Le troisième scrutin pour la nomination du président de l'Assemblée donne la majorité à l'abbé Grégoire.
20 janvier. - Le président annonce la dédicace de plusieurs ouvrages et manifestes apologétiques de la nouvelle organisation du clergé ; il présente lui-même son mémoire sur la légitimité du serment. Cet hommage est accueilli par de nombreux applaudissements.
14 février. - Au nom du comité des domaines, le député Pison fait un rapport sur l'aliénation du domaine de Fénétrange ; Grégoire prend la parole : « Vous avez entendu que la crédulité du roi a été surprise par un don de 80,000 livres, vous avez entendu qu'un ex-ministre prévaricateur, M. Calonne, a été le principal ouvrier de cette œuvre d'iniquité, je demande qu'il soit poursuivi comme solidaire du paiement. » On applaudit.
15 février. - Le président donne lecture d'une adresse des électeurs de Loir-et-Cher, qui ont nommé à l'évêché de leur département, M. l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil et député. (La gauche de l'Assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.) Le même jour, Grégoire recevait aussi la nouvelle de sa nomination à l'évêché du Mans : « Je voulais, écrit-il dans ses Mémoires, refuser l'épiscopat, mais des hommes, qui avaient de l'ascendant sur ma conscience (9), en usèrent pour me persuader. Je craignis de résister à ce qui pouvait être la voix de Dieu et je choisis Blois, dont la nomination m'était arrivée la première. » Plus tard, il avouait qu'il craignit qu'un refus ne fit supposer qu'il ambitionnait le siège de Paris ou celui de Nancy, où les élections n'avaient pas encore eu lieu.
Le 16 février, on lisait dans le journal d'Hébert : « Grande joie du Père Duchesne au sujet de la nomination de l'abbé Grégoire et sa grande motion de le faire évêque de Paris, à la grande satisfaction du peuple français. » En marge d'un catalogue, à propos de cet article, Grégoire écrit: « Folie déplacée de la part d'un écervelé, mort Bicêtre en état de démence. » Voici quelques détails officiels sur l'élection faite à la cathédrale de Blois, le 14 février à l'issue de la messe paroissiale, le procureur-syndic Brisson ouvre la séance ; deux candidats sont proposés, Dupont, curé de Saint-Aignan, et le curé d'Emberménil qui est élu. Les Jacobins de Paris l'avaient désigné à la Société populaire ; à Blois, comme partout, la majorité des prêtres et des fidèles ne vote pas, la minorité seule prend part au scrutin. A l'issue de la séance, le maire, président de l'assemblée, écrit a Grégoire, il le prie de lui faire connaitre ses intentions, par le courrier porteur de sa lettre : « Les électeurs ne se sépareront qu'après qu'il aura reçu sa réponse. » Le 16, l'évêque informe l'assemblée électorale qu'il accepte : « Dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, l'épiscopat ne peut être accepté que par un dévouement chrétien et civique, c'est une vérité que j'énonce et non un mérite que je veux me faire à vos yeux... » La lettre est courte, il espère justifier les espérances de ceux dont il n'a pas brigué les suffrages, la Providence sera son guide et son appui. « Agréez, Messieurs, et partagez avec tous les pasteurs et tout le peuple du département les sentiments de fraternité et d'attachement de votre très humble et obéissant serviteur, Grégoire. » Il notifie aussi son acceptation au maire, aux administrateurs du directoire, au procureur général ; le 18, 1e président le remercie de la préférence qu'il a bien voulu accorder à Blois. Les sympathies des députés du département, de « l'intéressant Beauharnais » surtout qu'il avait connu chez le duc de Nivernais, à son arrivée à Versailles, lui faisaient espérer un accueil favorable ; ses illusions furent de courte durée. Le 19, les administrateurs réclament sa présence: « L'ancien évêque, M. de Thémines, va procéder à une ordination..., le peuple voit avec peine les chaires fermées dans ce temps de carême..., les consciences sont inquiètes…, la majorité de nos prêtres de la ville est hostile... 4 des 6 paroisses vont être fermées, on les donnera aux deux curés qui, seuls, ont prêté le serment... Nous espérons que l'indisposition qui vous tourmente n'aura pas de suite, nous le désirons et si nos vœux s'exaucent, nous aurons bientôt le plaisir de vous posséder parmi nous. » Le 26,1e directoire lui écrit: « Nous ne pouvons vous cacher les intrigues des ennemis de la patrie..., votre piété, votre charité exemplaire forceront bientôt votre troupeau à se réunir autour de vous. » Les curés Vallon et Métivier le pressent de hâter son arrivée : « Les choses sont dans un état de désorganisation, auquel il est urgent de remédier. » L'évêque leur répond : « Je vois que nous aurons à combattre, eh bien nous combattrons, je ne m'effraie pas aisément. » Il demande un exemplaire des statuts du diocèse, des rituels, des catéchismes.
14 mars. - L'évêque Saurine, dans l'église de l'Oratoire, procède au sacre de l'évêque de Blois.
23 mars. - M ; Grégoire a obtenu de l'Assemblée un congé d'un mois, il part le 24 pour son diocèse, emportant les exemplaires de sa première lettre pastorale, qui comprend 24 pages in-8°. En voici quelques extraits : « Henri Grégoire, par la miséricorde divine, dans la communion du Saint-Siège apostolique, évêque du département de Loir-et-Cher, à ses vénérables coopérateurs dans le saint ministère et à tous les fidèles du diocèse, salut et bénédiction. » II a prévu les tribulations qui l'attendent, comme saint Paul il ne craint rien des maux que des esprits pervers lui préparent..., la calomnie l'a devancé, cet avantage lui est commun avec les pasteurs que l'élection libre du peuple a appelés à l'épiscopat..., l'imposture s'efforce de les confondre avec les échos d'une philosophie téméraire et sacrilège, qui voudrait reconstruire l'empire français sur les débris du sanctuaire et les ruines de l'antique et sainte religion de nos pères... Il opposera la prière et les bienfaits à la calomnie..., il espérait rentrer bientôt dans le sein paisible d'une paroisse dont il possédait la confiance et l'amour... La Providence a secondé la révolution... Les vrais fidèles soupiraient après la réforme de l'Église comme après celle de l'État... Quel législateur serait assez stupide pour s'imaginer que le code de nos lois peut subsister en l'absence des principes religieux ? Il serait plus aisé de bâtir une ville en l'air, disait un ancien, que d'organiser un État sans culte. L'Assemblée a voulu asseoir les fondements du bonheur public sur les vérités éternelles que Jésus-Christ est venu apporter aux hommes. » Il rappelle, avec émotion, les fêtes de la fédération, il expose sa théorie du serment... « La religion est indépendante des puissances d'ici-bas, elle ordonne aux législateurs de courber leur tète devant son front majestueux... Sa morale, ses dogmes sont aussi immuables que Dieu dont ils émanent..., mais elle consent que sa police, dans ses rapports extérieurs avec l'État, n'en puisse heurter les intérêts... La nation doit s'assurer que ces ministres du culte ne troublent pas l'Etat... Voyez avec quelle mauvaise foi on affecte de comparer notre révolution à celle de la Grande-Bretagne, tandis qu'elle proclame le pape chef de l'Eglise et centre de l'unité catholique... Le silence de Pie VI est approbatif, sans quoi il serait condamnable..., car le père commun des fidèles, le successeur de Pierre, chargé de surveiller l'Eglise, de confirmer ses frères dans la foi, volerait au secours de la nôtre si elle était menacée... » Le nouvel évêque n'est ni un intrus ni un transfuge de la foi : « Les sacrements sont-ils autrement administrés, le sang de l'Agneau a-t-il cessé de couler sur nos autels? Calmez vos inquiétudes, on n'a pas touché à l'arche du Seigneur, l'arbre antique et majestueux de la religion subsiste dans sa force, on a seulement élagué les rameaux parasites..., votre Dieu est le Dieu de Clovis, votre foi celle de Charlemagne et de saint Louis..., vous la transmettrez dans son intégrité à vos enfants, ce sera leur plus précieux héritage. » I1 aborde la question politique : « Il est important, mes frères, de vous dévoiler les trames odieuses des ennemis de notre révolution..., les mauvais citoyens tâchent de provoquer un choc funeste entre le sacerdoce et l'empire..., le despotisme avait rivé nos fers, étouffé le germe des vertus, avili nos mœurs, comblé la mesure de tous les maux..., le temps de la tyrannie expire, celui des lois est commencé... L'antique et respectable piété de nos aïeux reviendra sous une forme plus brillante épurer et sanctifier les mœurs... Ce langage est celui d'un évêque persuadé qu'il existe une sainte alliance entre l'évangile de Jésus-Christ et la constitution française... Respectables coopérateurs dans le saint ministère, vous êtes le sel de la terre et l'ornement de la patrie, c'est sur vous que je fonde l'espoir de mes succès évangéliques..., conservez précieusement la paix qui a préservé jusqu'ici nos contrées des troubles qui ont affligé diverses parties du royaume. » II s'adresse ensuite aux fidèles : « Respectez vos pasteurs et les représentants de l'autorité... La liberté ne peut subsister que par le respect et la soumission aux lois..., surtout, accomplissez fidèlement les devoirs que la religion vous impose, un peuple irréligieux sera toujours un peuple vil et le meilleur chrétien sera toujours le meilleur citoyen... Redoublez de ferveur en ce temps destiné à la pénitence, que vos cœurs s'ouvrent à la douce impression de nos cérémonies, qu'à l'approche du temps pascal vous disposiez vos âmes à recevoir saintement votre Dieu, à profiter des grâces qu'il doit répandre sur vous. Voyez dans chaque paroisse si ceux qui négligent de fréquenter les sacrements ne sont pas communément des hommes dépravés, que les impies même regardent comme les moins dignes de leur confiance et de leur estime... Vous êtes catholiques, vous êtes Français... Par votre piété montrez-vous les disciples fidèles de Jésus-Christ, par votre dévouement à la patrie, montrez que vous êtes citoyens, et mourez, s'il le faut, pour défendre la religion et la liberté. »
La Société populaire fait imprimer à ses frais 500 exemplaires de cette lettre pastorale. En prenant possession du palais de l'évêché, il y installe ses vicaires épiscopaux et une bibliothèque communale, il transforme une partie des jardins en jardin botanique et il ouvre au public l'admirable terrasse qui domine la Loire.
A son entrée à Blois, il prête serment et reçoit les félicitations du maire, des autorités, de la Société populaire ; je n'ai pu trouver, ni aux archives, ni dans les journaux du temps, le procès-verbal de cette réception, qui ne fut pas sympathique si j'en crois une lettre de Mgr Thémines, qui ne fut expulsé que le 7 avril. Je suis mieux renseigné sur son entrée à Vendôme, le mercredi 13 avril : « Reçu à l'hôtel de ville, il se rend au directoire du district, on lui offre un banquet ; il visite l'hôpital, le collège, le club des patriotes. Invité à y prendre la parole, il l'a fait avec les marques de la plus vive sensibilité. » Le 14, il se rend chez les Ursulines, où il est accueilli avec respect ; chez les Dames du Calvaire, où l'on ne sonne pas les cloches, « les religieuses lui tiennent de mauvais propos..., on assure qu'il leur a parlé avec fermeté. » A l'église de la Trinité, il a célébré la messe suivie d'un « Te Deum chanté par la voix du patriotisme, qui en vaut bien une autre ». Au diner offert par le peuple, il a été touché jusqu'aux larmes : on a porté des toasts à l'Assemblée, au roi, à l'évêque, aux bons citoyens... « il a fait les plus tendres adieux aux bons Vendômois, nos compatriotes (10) ». Revenons aux actes de son épiscopat il avait adresse au pape une lettre qu'un publiciste appelle, avec raison, une révolte à genoux : « Très saint Père, le respect dont je suis pénétré pour votre Sainteté me fait un devoir de vous annoncer que les suffrages libres des électeurs du département de Loir-et-Cher m'ont appelé au gouvernement du diocèse dont le siège est à Blois. Je déclare que je suis et serai toujours, Dieu aidant, uni de foi et de communion avec vous, qui, en qualité de successeur de saint Pierre, avez la primauté d'honneur et de juridiction dans l'Eglise de Jésus-Christ. Le texte latin est plus expressif: « Tuae sanctitatis benedictionem enixe deprecatur sanctissime pater, obsequentissimus ac humillimus servus et filius, Grégoire episcopus dioecesis, cui nomen département de Loir-et-Cher. Parisiis, die vigesila quarta martis, anno 1791 » Il organise le conseil supérieur et permanent, qui doit administrer en son absence ; seize vicaires épiscopaux, un vicaire supérieur et trois vicaires directeurs affectés spécialement à la direction du séminaire. Il n'est pas heureux dans ses choix, Rechejean, Tolin, Nusse, Chabot surtout, lui firent beaucoup de mal : Il avait été séduit par une lettre de ce Chabot du 4 septembre 1790, où il se vantait d'avoir dressé ses élèves capucins à l'instruction de la jeunesse.
2 mai. - Inauguration du buste de Désilles dans la salle de la Société des Amis de la Constitution, à Blois. « Le buste du héros est conduit par les grenadiers de la garde nationale, au son de la musique... Le cortège est imposant... Un concours de citoyens parmi lesquels beaucoup de dames jalouses de prendre part à cette fête civique... » Invité à occuper le fauteuil de la présidence, il prononce un discours : « J'avais l'honneur de présider l'Assemblée nationale, quand elle inaugura le buste de Désilles... Ce héros a droit d'émouvoir mon âme, il est mort dans les lieux qui recèlent la cendre de mes pères... A mon retour à Nancy, je jure de porter mes premiers pas sur son tombeau... Là, je déposerai vos vœux et les miens, je parlerai à mes bons compatriotes de votre zèle civique... En m'enviant l'avantage de vous connaître, ils partageront avec moi celui de vous aimer... Quand les ennemis de la Constitution menaceront la liberté..., quand pour nous replonger dans les horreurs d'un régime exécré, ils voudront nous forger de nouveaux fers, amis de la Constitution, soldats de la patrie, contemplez le buste de Désilles, courez aux armes, sauvez la liberté ou périssez avec elle ! »
7 mai. - Rentré à Paris, l'évêque s'élève, avec violence, contre le décret sur les colonies ; « il anéantit la déclaration des droits de l'homme, il réduit à l'esclavage une classe de citoyens. » Il demande en vain un ajournement.
11 mai. - Il reprend la question des colonies dans ses origines, il résume les événements qui ont augmenté les malheurs des gens de couleur : il établit des principes « que ne peuvent méconnaître des législateurs », le projet présenté est injuste, impolitique, attentatoire aux droits naturels de l'homme... Il demande la question préalable. Le 13, le 14, la discussion est vive, prolongée, il s'oppose à la réunion d'un congrès. Le député Fermon commence la lecture des instructions rédigées pour les colonies, elles comprennent 300 articles ; l'Assemblée est agitée, Grégoire se fait remarquer par la véhémence de ses interruptions : le député Lavie l'interpelle : « Vous perdez les colonies, Monsieur, par vos discours, par vos écrits. .. » La gauche, à grands cris, rappelle Lavie à l'ordre... « Je n'ai jamais prêché aux colons que la soumission à la métropole », dit Grégoire. Il lit une lettre qu'il leur adresse et il demande que le ministre, sous sa responsabilité, fasse exécuter les décrets. (On applaudit.) Malouet exprime la crainte « qu'il ne soit fâcheux pour les colonies d'avoir éprouvé le zèle apostolique du préopinant (11) ».
21 mai. - Le président annonce à l'Assemblée que le roi et une partie de sa famille ont été, cette nuit, enlevés par les ennemis de la chose publique on envoie des députés vers le peuple, Grégoire est du nombre. Aux Tuileries, il harangue huit ou dix mille personnes : « Qu'importe la fuite d'un parjure, dont on peut très bien se passer... Souvenez-vous de ce que vous fûtes le 14 juillet, allez dans vos sections dire à vos concitoyens de rester armés, fiers et tranquilles. » Au retour, il rend compte de sa mission : « Partout nous avons trouvé le peuple dans les meilleures dispositions... Soutenons son courage... Nous mourrons, s'il le faut, pour la chose publique... Et nos si totus illanatur oebis impavidos ferient ruinae (12) » Il raconte dans ses Mémoires qu'il fut aussi au nombre des députés envoyés par l'Assemblée à l'arrivée du transfuge : « Louis XVI nous dit qu'il avait voulu aller à Montmédy. »
1er juillet. II adresse à ses diocésains une lettre pastorale pour prévenir ou calmer les inquiétudes causées par la fuite du roi (Paris, in-8°). « Sans doute la volonté du Ciel, qui tant de fois s'est montré si visiblement en faveur de la révolution, permet cette nouvelle tempête pour conduire plus rapidement au port le vaisseau de l'Etat... Aux armes, citoyens, déployez le caractère mâle, l'attitude fière d'un peuple libre. N'oublions pas que nous avons juré de vivre libres ou de mourir, plutôt nous ensevelir sous les débris fumants de la patrie que de jamais rentrer dans l'esclavage... » II fait appel aux fonctionnaires, à la garde nationale, à ceux que « le civisme a confédérés sous le nom d'Amis de la Constitution, à ses dignes coopérateurs..., aux bannières de la religion unissez les drapeaux de la patrie ; que nos temples retentissent de vos exhortations saintes et patriotiques... Après avoir prié avec ferveur sur la montagne, descendez, s'il le faut, pour combattre avec courage dans la plaine. » II attaque les pervers « qui, sous un voile sacré..., voudraient armer de poignards la religion de la charité. Ne vous permettez aucune violence contre eux, mais par une contenance intrépide, électrisez les faibles, faites rougir les lâches et trembler les traîtres... Soyons unis, calmes et fiers, nous serons inébranlables. »
7 juillet. - Le séminaire de Blois est fermé, il adresse aux curés une lettre-circulaire pour la convocation des élèves : « Les mœurs des prêtres doivent avoir une austérité républicaine, une pureté évangélique... » Son appel ne fut pas entendu, le recrutement était difficile dans l'Église constitutionnelle.
14 juillet. - On discute sur l'inviolabilité du roi : « Le roi acceptera, il jurera, dit Grégoire, mais quel compte ferez-vous sur ses serments ? » Le Moniteur avait adouci l'expression: « Je m'écriai au milieu de l'Assemblée, quelle confiance pourront vous inspirer les serments d'un parjure ? » Il est de cette minorité qui veut mettre le roi en jugement, il redoute le caractère versatile de la nation et surtout des Parisiens, qui n'ont déjà plus le même enthousiasme.
15 juillet. - La discussion continue. Au milieu de murmures mêlés d'applaudissements, Grégoire prononce un discours qui fut fort commenté dans la presse et dans les clubs ; « J'entends dire autour de moi qu'il ne convient pas à un prêtre de traiter une pareille question, cela ne doit pas m'arrêter ; au lieu de comparer mon opinion avec mon état, je demande que l'on réfute mes raisons... Au reste, quand l'Assemblée aura prononcé, je me soumettrai. (Quelques voix s'élèvent cela est bien heureux !) Le projet du comité me semble réfuté par l'intérêt national, il est impossible de séparer la fuite du roi des circonstances qui y sont attachées, des faux passeports..., du mémoire qu'il nous a laissé..., des projets évidemment hostiles de M. de Bouillé. On a dit que le roi ne pouvait être mis en jugement..., avez-vous donc oublié que le salut public est la suprême loi ? Et le salut public réclame que les attentats contre la liberté soient vengés... » Ici l'orateur entre dans des considérations générales. (Quelques voix s'élèvent : Vous n'y êtes pas, Monsieur !) Il continue avec plus de violence. « On répète que la majesté du trône est avilie, si le roi n'est pas inviolable, c'est comme si l'on disait qu'un homme est avili parce que la loi le punit s'il est coupable... Le roi peut-il invoquer le bénéfice d'une loi qu'il a voulu anéantir, d'une Constitution dont il s'est formellement déclaré l'ennemi ?... Prenons-y garde..., les contre-révolutionnaires ne se découragent pas, au contraire, ils redoublent d'énergie... Je conclus : qu’il soit nommé une Convention nationale qui jugera Louis XVI. Si le projet du comité est adopté, vous devez punir la garde nationale de Varennes et tous ceux qui ont concouru à l'arrestation du roi. » Les tribunes applaudissent (13).
16 juillet. - Je trouve, dans les papiers non classés, une invitation à dîner chez M. Lepage. « Monsieur l'Évêque, la partie de diner à ma campagne, qui avait été faite pour dimanche, a été remise a demain. MM. Pétion, Brissot, Robespierre ont promis de s'y rendre, ils seront reçus avec tout le plaisir qu'un bon citoyen peut avoir a réunir des hommes aussi éclairés que bons patriotes. J'espère que M. l'Évêque voudra bien compléter la fête par sa présence. »
4 août. - L'évêque répond à la lettre que ses paroissiens d'Emberménil lui ont adressée le 7 mars (14).
12 août. - On discute la révision ; Grégoire demande la question préalable ; le centre et la droite murmurent, la gauche se lève en criant : Silence Le président réclame le plus profond silence et l'impartialité qui convient à une discussion de cette importance. « Si vous revenez sur un décret, il en résulte que vous avez fait non des décrets, mais des projets de décrets..., achevons la Constitution, ou faisons-en une nouvelle. La plupart des citoyens n'iront plus dans les assemblées primaires, ils n'iraient que pour se donner des maîtres... (Murmures.) Des dispositions de cette nature ne sont propres qu'à étouffer le caractère national, la vertu et la moralité..., et on nous parle d'aristocratie, n'est-ce pas là la véritable aristocratie ?... Les électeurs riches ne feront pas leur choix parmi les humbles habitants des campagnes, alors vous verrez une nouvelle noblesse renaître, vous aurez des patriciens et vingt millions de plébéiens sous leur dépendance... On dit que la condition proposée est le seul moyen d'avoir un bon Corps législatif, mais les communes de France n'ont-elles pas seules assuré notre liberté ? et par qui avez-vous été envoyés ici ? par ces hommes qui ne payaient pas quarante journées de travail et qui ne s'attendaient pas que vous immoleriez leurs droits (15) ? »
24 septembre. - On reprend la discussion sur les colonies, Grégoire rappelle d'abord que c'est sur sa proposition que les gens de couleur furent nominativement dénommés dans le décret du 38 mars il adjure ensuite l'Assemblée de ne pas rétracter, sans le plus mûr examen, le décret rendu, le 15 mai, après un débat solennel.
26 septembre. - Les pères du régime nouveau sont débordés. Après les événements du 31 mars, trois cents membres de l'Assemblée ont quitté ce club des Jacobins où les fanatiques s'en vont docilement aux sermons de Robespierre ; l'évêque de Blois y lit une adresse aux députés de la seconde législature l'imprimerie du Patriote français, par ordre de la Société, publie ce pamphlet de 31 pages in-8°, il est distribué aux nouveaux députés, envoyé aux 2,000 sociétés affiliées et inséré par extrait au Moniteur du 4 octobre 1791. Cet odieux réquisitoire donne une fâcheuse idée de la charité de l'évêque de Blois. « Salut à nos successeurs ! » Il leur souhaite la fierté des Spartiates, le courage des Romains... « Arrivé à la fin de sa carrière, il désire qu'on interroge sa conduite..., il est résolu à démasquer tous les traîtres.... à tracer quelques tableaux hideux..., est-ce sa faute s'ils sont d'après nature ? On demande s'il est utile de montrer ainsi les âmes à nu, je réponds oui..., la corruption étant une maladie du gouvernement représentatif... La Constituante renfermait plus d'esprit que de science, plus de science que de philosophie, plus de philosophie que de mœurs et de probité... j'y vois une foule d'hommes pusillanimes, des fourbes, des charlatans..., dans cette majorité qui est en arrière de la révolution, il y a beaucoup de ministres des autels..., trop souvent la complaisance du prêtre a servi l'ambition des tyrans..., cette horde féodale qui disait également mes vassaux et mes chiens..., bas courtisans, vils satrapes du despotisme, dont les forfaits sont consignés dans le livre rouge, monument infâme des déprédations de la cour... Au sujet de l'inviolabilité absolue ou relative, on nous fit un crime de notre opinion..., la scélératesse broya ses couleurs..., on dit que nous étions républicains, quoiqu’il ne fût aucunement question de république..., obéir est un devoir, discuter est un droit, j'en userai toujours ! Quand le décret sur l'inviolabilité fut rendu, les corps administratifs censurèrent avec véhémence ces horribles républicains, admirateurs des exécrables Brutus, Caton, Guillaume Tell..., une horde de mouchards infesta la capitale..., on persécuta à outrance ceux qui ont proclamé le droit de la nation..., les perfides ! Un ouvrage où l'on calculerait les nuances de la méchanceté de nos ennemis serait peut-être le rituel et l'encyclopédie des fripons... » II dénonce l'insouciance et l'incivisme des corps administratifs... « Ils détestent les clubs, comme les filous les réverbères... Ils déclarent une guerre indirecte à toutes ces sociétés conservatrices du feu sacré de la liberté..., il faut surveiller constamment les dépositaires de la loi..., la défiance est la vertu des peuples libres... Pour lui, il ne cessera pas d'éclaircir les complots des traîtres, de les traduire au tribunal de l'opinion, de les dévouer à l'exécration de l'univers... Depuis que l'Assemblée est tombée en décrépitude, chaque jour on nous arrachait le cœur... » Il ne veut ni janissaires, ni troupes de ligne, la garde nationale suffit : « l’histoire secrète de la révolution est in cloaque. » De retour dans nos foyers, nous surveillerons ceux qui attenteront à la liberté, nous développerons les lumières et le civisme... Il n'est pas sans inquiétude sur l'avenir, il a peine à croire à la liberté : « Voyez ces hordes d'esclaves toujours prêts à s'atteler au char dit despotisme, journellement prosternés devant les murs du palais... Les élections n'ont pas été libres, la perfidie a épuisé toutes ses manœuvres pour écarter les patriotes, qu'on a désignés sous le nom de républicains, de têtes exaltées, de factieux... On a choisi ce qu'on nomme des modérés, terme synonyme d'aristocrates, d’ennemis de la patrie... Avec de l'or on accaparera les subsistances, le peuple, comme Tantale, manquera de pain, an sein de l'abondance... L'impunité amènera des Calonne pour le voler, des Lambesc pour l'égorger, des Bouillé pour le trahir... Élevez-vous à la hauteur où le peuple vous investit, révélez toutes les vérités, frondez tous les abus, poursuivez tous les traîtres..., faites pâlir tous les tyrans..., l'Assemblée nationale a commencé, existé et fini comme Salomon..., les temps sont accomplis, c'est la guerre des rois contre les nations des oppresseurs contre les opprimés..., dites à l'univers que vous ferez cause commune avec tous les peuples résolus à secouer le joug..., le volcan de la liberté va faire explosion, réveiller tous les peuples et opérer la résurrection politique du globe. »
21 octobre. - L'évêque rentre dans son diocèse ; voici, dans l'ordre chronologique, une indication très sommaire de ses actes et de ses discours ; il publie :
1° un supplément au bréviaire blaisois ; j'ai vu les manuscrits à la bibliothèque de l'Arsenal, n°' 2164-2167.
2° Une instruction sur la confirmation (in-8°, 10 p.). Il s'excuse de n'avoir pu encore visiter les paroisses : « Aux travaux pénibles qui dans l'Assemblée dévoraient mes moments, ont succédé des occupations non moins épineuses du ministère évangélique, et les détails d'administration civile ont encore grossi mon fardeau... Quatre-vingt mille personnes attendent les dons du Saint-Esprit, je serais coupable si je les en privais, elles seraient coupables si elles ne s'empressaient de le recevoir..., jamais ce sacrement ne fut plus nécessaire..., avant mon arrivée, mon prédécesseur le prodiguait à tous ceux qui promettaient de détester ces lois salutaires qui ont foudroyé tant d'abus..., surtout ne tardez pas à vous présenter au tribunal de la pénitence. » Il enjoint aux confesseurs de se montrer sévères ; il écrit dans ses Mémoires que quarante mille personnes environ, soigneusement préparées par un clergé qui partageait ses opinions, reçurent de lui l'imposition des mains et que, dans un voyage de dix-huit jours, il prêcha cinquante-deux fois (16).
3° Une instruction sur le jeûne et l'abstinence, avec le dispositif du carême en douze articles. Il conserve la plupart des anciens usages ; il désire que l'on confesse, quatre fois l'an, les enfants qui n'ont pas fait leur première communion ; « il a appris avec douleur que l'instruction chrétienne a été négligée par quelques parents », il insiste sur la nécessité de l'instruction et de la prière.
1792. 4 février. - 4° Une lettre pastorale sur le paiement des contributions publiques (in-8°, 15 p.). « Honoré du double caractère d'évêque et d'administrateur, je suis plus étroitement obligé de stimuler la négligence, de tonner contre la mauvaise foi... Ne pas payer, c'est être indignes du nom français, parjures à la face du ciel et de la terre, comparables à ces traîtres qui sont allés sur la rive droite du Rhin cacher leur honte, vomir leurs fureurs, concerter les moyens de revenir assassiner leurs compatriotes, égorger la liberté... A qui payez-vous l'impôt ? à César, c'est-à-dire à vous-mêmes, puisque vous payez au souverain, qui est le peuple. » Il compare les contributions nouvelles avec les anciennes : « Sous l'ancien régime, un particulier qui avait 600 livres de revenu payait 141 livres, aujourd'hui 102 livres. » Il discute les bases de l'impôt, il s'élève contre le trésor royal ; c'est une philippique injuste contre les aristocrates et les fanatiques « qui veulent noyer leur patrie dans le sang ».
5° Un éloge funèbre de Simonneau, assassiné pour avoir défendu la loi (Blois, in-4°). « Le maire d'Étampes, disait Robespierre, a été coupable avant d'être victime », cependant on décrète une fête en son honneur ; le discours de l'évêque de Blois, dans sa cathédrale, est une paraphrase des Vindicae contra tyrannos, publiées, en 1579, par Languet, sous le pseudonyme de Junius Brutus (17).\ C'est une apologie du régicide ; avec quelle joie il porterait sa tète sur le billot, si à coté de lui devait tomber la tête du dernier tyran.
6° Un discours sur la Fédération du 14 juillet, imprimé aux frais de la Société populaire (in-4°, 11 p.). C'est un commentaire du droit à l'insurrection prêché dans les clubs ; il y a une attaque violente contre la reine : il parle de « ce Trianon, où les tributs de nos provinces, c'est-à-dire les larmes et les sueurs des malheureux, servent aux plaisirs de Cléopâtre..., de ces bosquets vantés de Versailles, où le génie s'est prostitué à la luxure d'une manière également dispendieuse et scandaleuse... »
7° Un discours à l'occasion du 10 août 1792 (in-8°, 17 p.). « Nolite confidere in princibus, ne vous fiez pas aux princes. Ces paroles consignées dans nos livres sacrés ont la sanction du ciel même et si, après ce témoignage de Dieu, il était permis de citer celui des hommes, j'invoquerais celui du roi Pyrrhus... L'histoire est-elle autre chose que le martyrologe des nations ? Partout la couronne rappelle cette boite de l'antiquité fabuleuse, d'où sortirent tous les maux... Depuis quinze siècles, l'Europe est en proie au brigandage de quatre-vingt-dix ou cent familles, qui jouissent de la misère des hommes, qui s'abreuvent de leurs larmes, et quand une nation ne suffit pas à ces tigres, quand ils veulent assouvir un orgueil insatiable, un penchant brutal, le débordement de leurs passions franchit les limites de leur empire... Pour une femme perdue de mœurs, pour une ridicule préséance..., ils portent la dévastation et la mort. Je passe rapidement sur ces êtres abhorrés pour arriver au restaurateur de la liberté française. » Rien de plus odieux que ses insultes au prisonnier du Temple !
8° Lettre de l'évêque à ses vicaires épiscopaux. - Durant un de ses fréquents voyages à Paris, où l'appellent les exigences de la politique, le directoire du département invite le conseil épiscopal à supprimer la fête de saint Louis, patron du diocèse ; on en réfère à l'évêque : « J'avais, dit-il, le cœur dans un étau, froissé entre la crainte d'atténuer le culte que l'Église rend aux saints et la crainte d'attirer sur mon clergé l'orage d’une persécution atroce. » Sa réponse est triste et déplorable : « Si saint Louis était vénéré comme roi, il faudrait proscrire des hommages qui seraient un crime contre la patrie et la raison, mais il est honoré comme saint... Cependant la suppression de cette fête ne heurte aucunement les principes irréfragables du dogme, sur lequel on ne peut jamais composer... Je présume que sans l'avis des fidèles, une autorité despotique choisit saint Louis, moins par vénération pour lui que par adulation pour Louis XIV, qui régnait alors... ; d'après ces considérations, on peut, ce me semble, se dispenser de célébrer la fête d'un saint jadis roi, avec cette pompe qui pourrait être encore un sujet de triomphe pour les royalistes et un talisman capable d'éblouir les faibles... On pourrait adopter pour patron saint Solème, qui sans doute eût encore grossi le trésor de ses mérites, si au lieu d'avoir des relations avec Clovis, il eût tâché d'ébranler le trône du despotisme. » On lit sur l'original de cette lettre ce post-scriptum : « Je crois pouvoir défier qui que ce soit d'avoir plus d'horreur des rois que moi, je leur préférerais les dix plaies d'Egypte. »
Il n'épargne pas à la chaire chrétienne le scandale de ses haines politiques, il y mêle sans cesse la politique à la religion, il semble préparer sa candidature à la Convention. Un jour, dans sa cathédrale, il prend la défense de son prédécesseur, il reproche aux Blaisois leur ingratitude envers un prélat dont ils n'ont pas secondé le projet de consacrer dix mille francs à établir, chez eux, des ateliers de filature. Quelques jours après, il annonce au prône qu'à l'issue de la messe paroissiale, on distribuera aux curieux un libelle in-8° de 22 pages, publié à Paris, sous le titre de M. Grégoire dénoncé à la nation. L'indignation causée par la lecture fut telle que, le soir, sur la place publique, on en fit un autodafé. « L'anecdote fut répandue à Paris, les journaux la répétèrent, le libelliste anonyme n'a jamais osé soulever le voile (18). »
Président de l'administration centrale, à la nouvelle de la révolution du 10 août, il convoque sur-le-champ les administrations du département, du district, de la municipalité avant même qu'elles soient réunies, il rédige une réponse au président de l'Assemblée et aussi une proclamation pour annoncer à ses administrés la suspension des fonctions royales. « Je passai la nuit à faire composer et a corriger les épreuves, le lendemain j'en fis inonder le département, et quoique le Blaisois soit peut-être la contrée où l'on trouve le moins de caractère, tout fut électrisé et la République établie par le fait, y fut proclamée par anticipation. » Son discours pour les citoyens morts a Paris, le 10 août, fut, je l'ai dit déjà, un manifeste contre la royauté qui n'était pas encore légalement abolie et un outrage pour ce roi dont « l'attitude au palais des Tuileries avait été celle d'un chrétien dans le cirque ».
III. 20 septembre. - Élu membre de la Convention parte vœu unanime du corps électoral, qu'il présidait, à Vendôme, il part pour Paris. Le 21, il se présente avec onze commissaires au sein de la Législative présidée par son compatriote, François de Neufchâteau: « Citoyens, dit-il, la Convention nationale est constituée, nous venons de sa part vous annoncer qu'elle va se rendre ici pour commencer ses séances. Le président répond : « L'enthousiasme qu'inspire votre présence vous est un sûr garant de l'impatience avec laquelle nous vous attendons. » La Convention prend possession de la salle, Pétion occupe le fauteuil de la présidence, Grégoire déclare à plusieurs membres qu'il va demander l'abolition de la royauté et la création de la République ; on l'engage attendre, le moment n'est pas opportun... « Nous ne sommes pas juges de la royauté, dit Quinette, c'est le peuple... Collot d'Herbois me prévint et se borna à énoncer cette proposition, je m'empressai d'en développer les motifs. » Le Moniteur cite ses paroles : « Certes, personne ne proposera de conserver en France la race maudite des rois..., nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont jamais été que des races dévorantes, qui ne vivaient que de chair humaine..., je demande donc que par une loi solennelle vous consacriez l'abolition de la royauté. » L'Assemblée se lève et décrète par acclamation la proposition de M. Grégoire ; sur la motion de Danton, elle proclame la République française une et indivisible.
10 octobre. - Grégoire soumet à l'Assemblée le tableau des documents déposés aux archives : 811 liasses de procès-verbaux des assemblées électorales pour l'élection des députés de la Constituante ; 47 volumes in-folio contenant la collection des procès-verbaux de cette Assemblée, qui a rendu 5,077 décrets ; la déclaration des droits de l'homme renfermée dans une boite en fer, enfin une copie des décrets de la Législative, au nombre de 1,262.
31 octobre. - Au nom du comité diplomatique, il fait un rapport sur l'affaire des trois officiers suisses détenus à Soleure, « pour leur attachement aux principes de la Révolution française... On trame à Soleure et à Fribourg contre la France... On a fait défense au régiment de Vigier de fréquenter les Sociétés populaires... La République ne veut pas s'immiscer dans le gouvernement intérieur de Soleure, mais le mépris pour ses principes et la persécution contre ceux qui les professent sont une véritable atteinte au droit des gens et la haine de notre Révolution est une véritable infraction au traité d'alliance... »
10 novembre. - On lit une adresse des Amis du peuple de la Grande-Bretagne, de la ville de Neuwingten, à la Convention, Grégoire demande que le président écrive à cette Société pour lui exprimer sa reconnaissance...
15 novembre. - L'Assemblée a commencé le 13 les tristes débats sur le procès de Louis XVI, Grégoire a la parole « La postérité s'étonnera peut-être que l'on ait pu mettre en question si une nation entière peut juger son premier commis, mais il y a seize mois, à cette tribune, j'ai prouvé que Louis XVI pouvait être mis en jugement. J'avais l'honneur de figurer dans la classe peu nombreuse des patriotes qui luttaient avec désavantage contre la masse des brigands de la Constituante, des huées furent le prix de mon courage. Citoyens, je viens plaider la même cause, je parle à des hommes justes, ils m'écouteront avec l'indulgence et le calme de la raison... » Il rappelle les exemples cités par le rapporteur du comité, il insulte ses collègues de la Constituante... « Tous ces êtres vils qui, prostituant le caractère auguste du législateur, lui avaient substitué celui de valets de cour... ; ils voulaient, sous un autre nom, devenir maires du palais, à L'ombre tutélaire de l'inviolabilité... Leurs hérésies politiques étaient des dogmes pour un peuple toujours enclin à l'idolâtrie de la royauté... Un parjure, une trahison, un meurtre sont à la vérité des actions royales quant au fait, mais quant au droit, ces crimes rentrent dans la classe des délits privés... L'inviolabilité absolue serait une monstruosité... » Après avoir discuté les principes, il passe à leur application « La royauté fut toujours pour moi un objet d'horreur, mais Louis XVI n'en est plus revêtu, je me dépouille de tout animadversion contre lui pour le juger d'une manière impartiale d'ailleurs, il a tant fait pour obtenir le mépris, qu'il n'y a plus place à la haine... Jamais il ne fut un roi constitutionnel, non pas, comme l'a dit un des préopinants, qu'il n'y eût pas de Constitution..., nous en avions une détestable... Quand désertant son poste, le roi s'enfuit, il nous laissa une protestation..., qui est une véritable abdication..., il a réduit l'art de la contre-révolution en système..., il fut toujours le chef des conspirateurs... Quel homme s'est joué avec plus d'effronterie de la foi des serments ? C'est dans cette enceinte que je disais aux législateurs : il jurera tout, il ne tiendra rien... Ce digne représentant de Louis XI venait, sans y être invité, dire à l'Assemblée que les plus dangereux ennemis de l'État étaient ceux qui répandaient des doutes sur sa loyauté et, rentrant dans ce tripot monarchique, dans ce château, la tanière de tout les crimes, il allait, avec Jésabel, avec la cour, combiner et mûrir tous les genres de perfidie... Il ourdissait les complots de la guerre étrangère, il invoquait contre la Révolution toute la meute des rois... Comme parjure, comme contre-révolutionnaire, il aurait encouru la déchéance..., ne pas le juger ce serait aller contre le texte et l'esprit de la Constitution... J'évoque ici tous les martyrs de la liberté..., est-il un parent, un ami de nos frères immolés sur la frontière ou dans la journée du 10 août, qui n'ait eu le droit de traîner son cadavre aux pieds de Louis, en lui disant : Voilà ton ouvrage ! Et moi aussi je réprouve la peine de mort..., un reste de barbarie destiné à disparaître des codes européens... Il suffit à la société que le coupable ne puisse plus nuire. Assimilé en tout aux autres criminels, Louis Capet partagera le bienfait de la loi, si vous abolissez la peine de mort ; vous le condamnerez alors à l'existence, afin que l'horreur de ses forfaits l'assiège sans cesse et le poursuive dans la solitude ; mais le repentir est-il fait pour les rois ? L'histoire, qui burinera ses crimes, pourra le peindre d'un seul mot : aux Tuileries, des milliers d'hommes étaient égorgés, le bruit du canon annonçait un carnage effroyable et ici, dans cette salle, il mangeait ! Ses trahisons ont amené notre délivrance..., l'impulsion est donnée à l'Europe entière, la lassitude des peuples est à son comble, tous s'élancent vers la liberté, le volcan va faire explosion... Qu'arriverait-il si, au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous assuriez l'impunité de Louis XVI, ce serait un outrage à la justice, un attentat contre la liberté universelle ! Par tous ses actes, il est soumis à la loi ; il ne peut se parer du bouclier de l'inviolabilité... Ouvrez la loi, voyez ce qu'elle prononce contre ses innombrables crimes... Il ne fut jamais que le bourreau du peuple. Il est un prisonnier de guerre, il doit être traité comme un ennemi !.. Je conclus donc à ce qu'il soit mis en jugement, »
16 novembre. - Grégoire est élu président de la Convention par 246 suffrages sur 352 votants.
20 novembre. - Le jour même où Grégoire lisait une lettre du ministre de la guerre, qui est, disait-il, un supplément la confession générale des fripons, le citoyen Doppet, colonel de la légion allobroge, apporte une adresse de l'Assemblée nationale de Chambéry, qui demande à être unie à la République française et à en faire partie intégrante. Grégoire lui répond : « Ce fut un grand jour pour l'univers et une ère nouvelle, que celui où la Convention nationale prononça ces mots : la royauté est abolie ! Depuis l'origine des sociétés, les rois sont en révolte contre les peuples... La raison déroute la grande Charte des droits de l'homme, l'épouvantail des despotes... Semblable à la poudre, plus la liberté a été comprimée, plus son explosion sera terrible... L'orgueil stupide des tyrans sera humilié, les négriers et les rois feront l'horreur de l'Europe purifiée. Leur perfidie héréditaire n'existera plus que dans les archives du crime... Ne craignez pas les menaces des despotes... Les statues de Capet ont roulé dans la poussière, elles se changent en canons... Si quelqu'un tentait de nous imposer de nouveaux fers, nous les briserions sur sa tête... La liberté ne périra chez nous que quand il n'y aura plus de Français ! Généreux Savoisiens, vous désirez vous incorporer à la République, la Convention pèsera, discutera solennellement une demande de cette importance, quelle que soit sa décision, dans les Français vous trouverez toujours des amis... Développons, vivifions cette justice universelle, qui trace aux nations l'étendue de leurs droits, le cercle de leurs devoirs... Que nos bras s'étendent vers les tyrans pour les combattre, vers les hommes pour les embrasser, vers le ciel pour le bénir... Formons un concert d'allégresse qui augmentera le désespoir farouche des tyrans et l'espoir des peuples opprimés... Un siècle nouveau va s'ouvrir, la liberté planera sur toute l'Europe, il n'y aura plus ni forteresses, ni frontières, ni peuples étrangers ! » L'Assemblée entière se lève au cri de : « Vivent les nations. Le président donne aux députés le baiser fraternel, Barère, « l'Anacréon de la guillotine », demande que la réponse de Grégoire soit traduite dans toutes les langues, car « c'est le manifeste de tous les peuples contre tous les rois ». On applaudit.
28 novembre. -. Au nom des comités de Constitution et de diplomatique, Grégoire présente un long rapport sur l'incorporation de la Savoie à la France. (7 colonnes du Moniteur.) Après quelques phrases obligatoires sur le fanatisme, la tyrannie, la République universelle, le droit des peuples, le système fédératif, « qui serait l'arrêt de mort de la République », il traite la question « dans l'ordre du réel et de l'utile » ; il décrit la situation topographique des sept provinces de la Savoie, il constate l'unanimité des voix, les pouvoirs des députés, le courage de ces populations « qui ont démoli un trône, aboli la royauté, la noblesse, la gabelle et la torture ». L'intérêt politique de la France lui permet-il de s'agrandir ? C'est un problème dont il tente la solution...? Il appelle le passé au conseil du temps présent... Les grands États de l'Asie, Rome exténuée par sa grandeur, les empires de Charlemagne, de Tamerlan ont disparu... « Tous ont trouvé dans leur trop grande étendue une des causes principales de leur dissolution... On peut prédire qu'avant la fin du siècle prochain, la Russie sera démembrée... La domination universelle était le projet de Louis XIV, dès lors il ne peut être le nôtre ; quoi de commun entre les rêves ambitieux d'un roi et la loyauté d'un peuple libre ? (On applaudit.) La France est un tout qui se suffit à lui-même... Nos armées victorieuses se contentent d'avoir brisé les fers des peuples opprimés, elles leur laissent la faculté de délibérer sur le choix de leur gouvernement...à moins qu'ils ne veulent remplacer le tyran par des tyrans, car si mon voisin nourrit des serpents, j’ai le droit de les étouffer. (On applaudit.) Il conclut Nous devons accepter l'offre... Conformité de mœurs, d'idiomes, rapports habituels, considérations stratégiques... « La contrée où sont situés les Thermopyles de la République est aussi la patrie des Spartiates. » Il fait valoir les avantages financiers : il évalue à vingt millions les biens du clergé et des émigrés ; les mines d'antimoine, de cuivre, de fer, le chanvre, le miel, le suif, le cuir sont des sources de revenus... La Savoie, elle aussi, trouvera de sérieux avantages dans l'annexion... Ilotes du Piémont, les Savoisiens sont menacés de l'invasion des despotes concertés... « La générosité commande de leur ouvrir notre sein..., le sort en est jeté... Tous les gouvernements sont nos ennemis, tous les peuples sont nos amis, nous serons détruits ou ils seront libres... Ils le seront et la hache de la liberté, après avoir brisé les trônes, s'abaissera sur la tête de quiconque voudrait en rassembler les débris ! » (Nouveaux applaudissements.) L'Assemblée adopte le projet de décret d'incorporation ; Grégoire termine un discours aux députés par ces mots : « Dans la chute prochaine et nécessaire de tous les rois, le seul trône sera celui de la liberté ; assise sur le mont Blanc..., elle étendra ses mains triomphales sur tout l'univers. »
23 novembre. - Une députation de citoyens anglais et irlandais se présente à la barre, le président répond à ses félicitations : « Oui, vous êtes ici au milieu de vos frères, la nature et les principes vous rapprochent de nous, la royauté est en Europe ou détruite ou agonisante. La déclaration des droits va dévorer les trônes..., le moment est proche où les Français iront féliciter la Convention nationale de la Grande-Bretagne... S'il y a en des luttes séculaires, c'est que l'ambition des rois voulait faire oublier que la nature ne fait que des frères. »
29 novembre. - Les députés Simon, Grégoire, Hérault de Séchelles et Fagot sont nommés à la suite d'un scrutin, commissaires pour l'installation du département du Mont-Blanc et pour l'organisation du département des Alpes-Maritimes. Grégoire publie, en italien, deux adresses aux citoyens des Alpes-Maritimes et du Valais ; «Indirizzo ai cittadini del dipartimento delle Alpi Maritime, del cittadino Gregorio, deputato e commissario della Convenzione in questo dipartimento. In Nizza, presso Conguet padre et figlio, stampatori dei sommissari della Convenzione (in-8°, 32 p.). Il commence ainsi : No, non è vero, che le leggi francese abbian cangionato il minimo cambiamento alla religione cattolica, apostolica, romana... L'adresse est divisée en chapitres : Soppressione dei canonici, monaci, frati. - Nuovo distretto delle diocesi. - Elezione di Vescovi. - Unione col papa...Il explique, il réfute, il cherche à calmer les consciences alarmées.- Indirizzo agli abitanti del Valese (1793, in-8°).
1793. 20 janvier. - Au moment du jugement du roi, Grégoire est à Chambéry, ses trois collègues rédigent une lettre qui contient leur vote pour la condamnation à mort... « Absent, libre de se taire », il refuse de la signer et il fait adopter la rédaction suivante, « qui respire des sentiments peu conformes à l'humanité et à la religion (19) ». « Nous apprenons par les papiers publics que la Convention doit prononcer demain sur Louis Capet. Privés de prendre part a vos délibérations, mais instruits, par une lecture réfléchie des pièces imprimées et par la connaissance que chacun de nous avait acquise depuis longtemps, des trahisons non interrompues de ce roi parjure..., nous déclarons que notre vœu est pour la condamnation de Louis Capet..., sans appel au peuple. - Nous proférons ce vœu dans la plus intime conviction, à cette distance des agitations où la vérité se montre sans mélange et dans le voisinage du tyran piémontais. » L'original de cette lettre, signée par les quatre commissaires, est conservé aux Archives nationales. - On a beaucoup discuté la question de savoir si Grégoire fut régicide : en fait, l'omission du mot décisif mort et l'absence de son nom sur la liste de ceux qui votèrent la peine capitale, lui permirent de protester contre ce qu'il appelait une calomnie, mais les termes de sa lettre, les nombreux discours et les écrits, dont j'ai reproduit les expressions de haine, lui donnèrent, durant la Terreur, le bénéfice et la sécurité du régicide ; on a remarqué aussi que jamais il n'a exprime le plus léger blâme sur la conduite de ceux de ses collègues qui jugèrent utile, dit M. Carnot, « de donner, à l'Europe attentive, un grand exemple de sévérité nationale. »
1er juin. - Le tocsin sonne dans plusieurs quartiers, la Convention n'est pas convoquée la droite est absente... « Les patriotes y sont, dit Legendre, nous y resterons, nous délibérerons ». La Montagne triomphe, la Gironde va expier sa participation aux crimes de la populace... Une députation du département et de la commune vient imposer à l'Assemblée les dernières mesures arrêtées par le Comité de salut public. Elle exige un décret d'accusation contre trente-sept membres de la Convention... Lanjuinais proteste, il repousse avec indignation les insolentes injonctions d'une commune illégale... On l'arrache de la tribune... Grégoire occupe le fauteuil de la présidence ; il se couvre: « La scène qui vient de se passer est des plus affligeantes, la liberté périra si vous continuez... S'il y a des traîtres parmi nous, il faut qu'ils soient jugés et qu'ils tombent sous les coups de la loi... Avant de les punir, il faut prouver leur crime... La Convention examinera votre demande... Elle vous invite aux honneurs de la séance. » Il se montre hostile aux Girondins, il les défend mal, ou plutôt il les accuse : « Ils ont répandu des soupçons injurieux..., estimables citoyens, l'absurdité des calomnies inventées contre Paris couvre de honte leurs inventeurs ! Non, elle ne disparaîtra pas, cette noble cité qui, dans les décombres de la Bastille, a retrouvé la charte de nos droits ! Vainement, les aristocrates, les royalistes, les fédéralistes essaient de nous diviser... Les orages de la Révolution ne feront que resserrer les liens qui unissent les Parisiens et leurs frères des départements. » Après une discussion orageuse, on décrète d'arrestation les membres de la commission des douze et les vingt-cinq députés dénoncés. Aux termes du décret, ils ne sont pas immédiatement incarcérés, mais consignés chez eux, sous la garde d'un gendarme, qu'ils doivent nourrir. Le 26 juillet, on emprisonne les huit qui n'ont pas fui, on déclare traîtres à la patrie les vingt-neuf qui ont quitté Paris. - Aux Jacobins, un affidé de Robespierre vante l'impartialité de Grégoire dans la séance du 1er juin ; Mme Rolland, plus juste, se montre indignée de la lâcheté du président.
4 juin. - Une femme noire, âgée de 114 ans, accompagne une députation d'hommes de couleur, qui vient féliciter et remercier l'Assemblée ; Grégoire fait inscrire au procès-verbal l'honneur rendu à la centenaire : « L'humanité et la philosophie de l'Assemblée feront disparaître l'aristocratie de la peau, que les décrets de la Constituante ont pour ainsi dire consacrée. »
18 juin. - Grégoire prend une large part aux discussions relatives à la nouvelle Constitution ; il écoute, sans protester, un rapport du ministre de la justice sur l'état exact des députés mis en arrestation. Son fidèle ami Lanjuinais est en tête de la liste : il a réclamé pour Capet les garanties dues à tout accusé ; il a repoussé avec indignation l'abominable décret du 10 juin 1793, qui était l'effroi même des patriotes. - Couthon et Robespierre avaient préparé ce décret afin de rendre plus expéditive la procédure révolutionnaire.
1er juillet. - Au nom du comité des finances, Mallarmé propose la suppression d'une partie des vicaires généraux, l'évêque de Blois appuie la proposition: « Leur suppression est commandée par le besoin où l’on est de pasteurs dans beaucoup de cures ; ils sont aussi inutiles que l'étaient les chanoines. » Il avait été malheureux dans ses choix, Chabot avait apostasié. Nusse, qui se rétracta en 1795, reprochait a Grégoire « sa vie burlesquement pontificale, ses fréquentes glorifications du régicide. Lorsque la morale des assassinats était en vogue, vous placiez la statue de Brutus a côté des saintes images et je vous ai vu célébrer la messe au pied de la statue de Mirabeau. »
27 juillet. - Le ministre de l'intérieur propose de supprimer les primes accordées pour la traite des nègres : « Jusques à quand, citoyens, s'écrie Grégoire, permettrez-vous ce commerce infâme ? Je demande que vous décrétiez à l'instant qu'il ne sera plus accordé de primes aux vaisseaux négriers. » La proposition est décrétée ; cette prime annuelle était de 2,500,000 fr.
29 juillet. - Au nom des commissaires chargés d'organiser les départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, Grégoire présente un rapport en neuf chapitres : c'est une page d'histoire qu'il faut méditer, en voici quelques extraits « Durant une absence de six mois, ils ont consacré tous leurs moments à un travail immense ; le fanatisme a excité quelques troubles au sujet de l'état civil du clergé, nous avons tâché de prévenir ses explosions par la voie douce de l'instruction et de la bienveillance, un journaliste appelle cela de la persécution. » Le journaliste avait raison, la persécution fut violente ; j'en cite un exemple entre cent: un jour, l'évêque constitutionnel célébrait la messe à la cathédrale, le marquis de Murinet se permit des insultes contre celui qu'il appelait un intrus ; conduit aux prisons de l'archevêché, il fut enfermé avec des malfaiteurs, maltraité par les geôliers. Délivré, à la mort de Robespierre, le marquis avait perdu la santé et la raison. Le fait m'a été affirmé par le marquis Costa de Beauregard, qui m'a donné de tristes détails sur la mission de Grégoire en 1793 (20). Le rapport constate que l'on ne fréquente pas les assemblées prescrites par la loi, que de petits ambitieux réunissent « des milliers de citoyens pour signer une adresse souillée d'égoïsme et d'impostures... Nous avons dévoré toutes les amertumes, dont nous abreuvaient la perversité et l'ingratitude... Nice s'est purifiée par la sortie d'environ mille émigrés... Si les sociétés populaires de Nice, Menton et Monaco continuent à déployer le zèle uni à la sagesse, en provoquant la haine des rois et l'amour de la République, elles s'assureront des droits à la reconnaissance... L'ignorance, la disparité, la rusticité des idiomes prolongent l’enfance da la raison et la vieillesse des préjugés... ». Il a publié, en italien, une brochure sur la constitution civile du clergé, il a préconisé deux mesures : « faire l'office en langue vulgaire et créer des écoles nationales... » II conseille la confection d'un journal national indépendamment du bulletin ; il accuse la Convention... « Elle a glacé et attiédi le patriotisme dans ces contrées, elle a en quelque manière royalisé l’Europe par la longueur de ses discussions sur le compte d'un tyran qu'il fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud (21)... Elle a encouragé les ennemis de la République, fait gémir la raison, indigné la France et surtout les armées par le scandale de ses débats. » L'Assemblée n'est pas seule coupable, « ce qui a aliéné le cœur des Niçois, qui nous ont reçus en frères, ce sont les horreurs commises en octobre dernier ». Il en trace un tableau aussi lamentable que vrai, « les campagnes en proie au pillage, au brigandage, à la brutalité..., la pudeur a été violée, la majesté des mœurs a été outragée jusque dans la chaumière du pauvre... Il n'est pas, en Italie, un paysan à qui on n'ait fait croire que le vol, le viol, le meurtre, étaient des crimes communs parmi les Français... Un cri général s'élève contre Anselme, qu'on regarde comme le Verrès des Alpes-Maritimes, contre Férus, dont le nom inspire de l'horreur. » On a volé la République ; il évalue à quinze millions les dilapidations commises, il cite les exemples de concussions et il conclut : « Tâchez donc que le jour terrible de la vérité pénètre dans la tanière du crime et que la hache de la loi atteigne les coupables... Nous conjurons la Convention de décréter des indemnités pour les brigandages commis... Nous nous constituons les défenseurs des malheureux pillés, outragés, comprimés par la misère... Nous avons présenté à vos yeux un spectacle hideux, il vous sera doux de les reporter sur l'armée d'Italie..., elle est pliée à la subordination et bouillante de courage. Nous sommes allés sous la tente visiter les défenseurs de la patrie, nous les avons harangués en face du camp piémontais... Nous appelons avec confiance sur nous et sur nos opérations le jugement le plus sévère... Nous revenons pour extirper le modérantisme et l'anarchie, qui, par des moyens opposés, voudraient creuser le tombeau de la patrie. » Grégoire avait le droit de flétrir les Verrès, il revenait pauvre de sa mission : « Devinez, disait-il à Mme Dubois, combien mon souper de chaque soir coûtait à la nation ? Juste deux sous, car je soupais avec deux oranges ; aussi je n'ai pas dépensé tout mon argent, voyez ce que je rapporte au Trésor public... », et il montrait, nouée dans un mouchoir, la somme économisée sur ses frais de voyage (22).
30 juillet. - Depuis le 13, l'Assemblée discute le plan d'éducation de Lepelletier, dont elle a décrété l'impression dans la séance du 3 juillet ; Robespierre et Léonard Bourdon le soutiennent, Grégoire le combat : « Il ne suffit pas qu'un projet se présente escorté de noms illustres, qu'il ait pour patrons Minos, Platon, Lycurgue ou Lepelletier, il faut qu'il soit pratique... » Il le critique au triple point de vue des finances, de la possibilité d'exécution et des effets moraux. « D'après les données reçues des auteurs qui ont écrit sur l'arithmétique politique, la dépense s'élèvera, pour environ trois millions d'enfants de 5 à 12 ans, à trois cents millions, sans parler d'une première mise dehors, qui serait immense, pour fonder, approprier et meubler les maisons et leurs dépendances. Vous avez sagement décrété l'impôt progressif, le riche paiera pour le pauvre, malgré cela il faudra doubler presque les contributions annuelles. Si l'on consultait le voeu des paysans pour une éducation commune, il serait unanime pour la négative. De 5 à 12 ans, l'enfant est très utile aux parents, il est préposé à la garde de ses puînés, il surveille les bestiaux, la préparation des aliments... Si vous ôtez les enfants de la campagne, il faudra leur substituer de forts domestiques, vous ruinez l'agriculture. » Le projet est contraire au bonheur el à la moralité, il rompt le contrat habituel des individus d'une même famille, il décompose la famille, il expose les enfants à cette contagion morale « qui, dans les maisons d'éducation les mieux soignées, fait souvent de si cruels ravages ». Il réfute les sophismes de Rousseau, il redoute une tentative « qui perdrait la République ». Après des considérations si sensées, il n'ose pas repousser le projet, il subit la pression jacobine, sa conclusion est illogique, étrange. Il termine par un éloge de Lepelletier, « ce martyr de la liberté, dont la mémoire sera chère à jamais aux Français. Avec lui, avec vous, j'adopte une éducation commune, j'en excepte le projet de rassembler à demeure les enfants dans les maisons nationales. Mon opinion d'ailleurs céderait rapidement à l'avis de quiconque me prouverait que la mienne est erronée. » Les amis les plus dévoués de la Révolution sont forcés d'avouer que ce Lepelletier, ancien président à mortier du Parlement, le plus riche de la Convention après Philippe d'Orléans, avait fait la proposition la plus absurde, la plus ridicule, la plus égalitaire, la plus impraticable.
1er août. - L'Assemblée vote l'impression d'un rapport de Barère ; Grégoire demande qu'on supprime une exception qui parait s'y trouver en faveur de Louis XII, surnommé le Père du peuple : « Les flagorneurs et l'imposture ont bien pu donner ce titre fastueux à un roi qui avait quelques qualités, mais je pourrais vous faire voir que ce Père du peuple en a été le fléau. Je réclame la radiation de cette phrase, il ne faut pas laisser supposer au peuple qu'un roi peut n'être pas un misérable. » Barère consent à supprimer sa phrase, mais il fait remarquer « que l'Assemblée aurait à s'occuper de bien d'autres choses ». Il avait raison, ce valet de Robespierre, « ce petit Séjan, qui voulait, dit Rœderer, son collègue, être à lui-même son Tacite ».
8 août. - Au nom du comité d'instruction publique, il fait un rapport sur les Académies, il conclut à leur suppression: « Leur état est déplorable, elles sont désorganisées: à l'Académie française, huit membres sont morts, ils n'ont pas été remplacés ; dix ont émigré ou se cachent ; les autres sont divisés, les patriotes y sont en minorité. » Il demande des pensions pour ceux qui n'ont pas d'autre moyen de subsistance, il propose le premier la création d'un Institut qui relierait entre elles les sociétés savantes, il plaide la cause de l'Académie des sciences. « Détruire est chose facile, c'est en créant que le législateur manifeste sa sagesse, la vôtre éclatera dans les mesures que vous prendrez pour que le sanctuaire des arts, s'élevant sous les auspices de la liberté, présente la réunion organisée de tous les savants et de tous les moyens de science. » On adopte le premier article du décret: « Toutes les Académies et sociétés littéraires patentées par la nation, sont supprimées. » On ajourne les autres ; quelques jours après, un décret assure à la ci-devant Académie des sciences la jouissance de son ancien local et rend à ses membres les honoraires accoutumés.
14 septembre. - Grégoire dénonce les fédéralistes du Midi ; il fait l'éloge du patriotisme de l'administration des Alpes-Maritimes, dont on a calomnié les intentions ; elle a reconnu que « quatre fois Paris a sauvé la République ».
28 septembre. - Le comité d'instruction le charge de soumettre à la Convention un rapport sur les Annales du civisme, « afin que sa sagesse en approuve ou en rectifie le plan ». L'exécution offre de grands avantages, elle fournira des matériaux à l'histoire d'un peuple qui n'a guère eu que celle des crimes des rois... « Les tyrans, leurs flatteurs, les émigrés, calomnient les fondateurs de la République ; des écrivains prostitués au mensonge et à la cupidité deviennent leurs échos, le recueil que nous proposons sera l'irréfragable réponse aux impostures par lesquelles ils tâchent d'empoisonner l'opinion... Sans doute, quelques crimes inséparables d'une révolution ont fait gémir les âmes honnêtes..., ces crimes sont l'ouvrage d'un gouvernement sans morale et de la dépravation d'une cour qui érigea des trophées scandaleux sur les débris des mœurs... Les émigrés, les faux amis de la liberté en sont les provocateurs ou les agents, c'est leur propriété, nous la leur laissons, les vertus resteront aux patriotes..., semons la vertu, et nous récolterons des vertus... C'est Brutus qui a délivré la terre d'un despote ! Nous nous sommes demandé quels actes de vertu nous devions recueillir, la Constitution nous a répondu elle a déclaré qu'elle honore la loyauté, le courage, la vieillesse, la piété filiale et le malheur. » Il indique quel sera le style et aussi la forme des recueils périodiques, il demande à être autorisé à correspondre pour cet objet avec les autorités, avec les bataillons, avec les sociétés populaires, au sein desquelles chaque action héroïque subira une discussion épuratoire ; il soumet un modèle de tableaux et un projet de décret, dont l'article 1er est adopté : « Le comité rassemblera les faits éclatants de vertu qui ont eu lieu depuis le commencement de la Révolution. »
Lundi, 9 octobre. - Le Moniteur porte deux dates, celle de l'ancien calendrier et celle du nouveau inventé par Romme, dit Grégoire, pour anéantir le dimanche. « C'était son but, il me l'a avoué... Le dimanche existait avant toi, lui disais-je, il existera après toi... Une autre fois, il vint avec un air soucieux me demander si je croyais à la durée de son calendrier. Je lui déclarai que je persistais dans mon opinion sur la caducité de ses projets. »
23 octobre (7 brumaire an II). - Le citoyen Maugard, admis à la barre, fait hommage d'un mémoire manuscrit sur le moyen de faire une bonne histoire nationale ; Grégoire demande qu'en agréant l'hommage, on rappelle sans cesse au peuple tout ce qui atteste « la bassesse de nos anciens écrivains, la turpitude des courtisans, les forfaits des rois ».
11 brumaire. - Il lit « une instruction aux habitants des campagnes relative aux semailles d'automne ». La Convention l'adopte et en ordonne l'impression et l'envoi.
16 brumaire. Le jour même où des députations de Seine-et-Oise viennent imposer à la Convention les motions les plus sacrilèges, lorsque la femme de l'évêque de Périgueux, « pauvre de fortune mais riche de vertu », est admise aux honneurs de la séance, que le cynique Chabot annonce son mariage, Grégoire, au milieu de l'agitation et du tumulte, essaie de lire un nouveau mémoire sur les moyens d'améliorer l'agriculture ; il propose l'établissement d'une maison d'économie rurale, il développe son système : « Ayons un bon plan d'éducation, un bon plan d'agriculture, et nous aurons tout (23)... » Un Montagnard l'interrompt : « Nous ne voulons d'autre système que la proscription des rois, des seigneurs et des prêtres, » C'était le mot de la situation, la religion mêlée à toutes les gloires du passé, c'était l'ennemie !
17 brumaire. - Dans la nuit du 16 au 17 brumaire, Hébert, Lhuillier, Chaumette, Momoro, vont chez l'évêque de Paris, Gobel ; ils lui ordonnent de se déprêtriser ; le vieillard résiste, il prie qu'on lui épargne cette flétrissure ; on le menace de mort, il cède, et il apporte à l'Assemblée son abjuration, signée par deux de ses vicaires. Grégoire est au comité d'instruction, on l'avertit de ces scènes sacrilèges, il court à la Convention. Le Moniteur, « toujours officiel », n'a pas exactement raconté l'incident (24). Voici le récit de l'évêque de Blois (25) : « Rentré à l'Assemblée, je vois des prêtres catholiques, des ministres protestants, s'élancer à la tribune pour blasphémer et abjurer leur état... Une troupe de Montagnards, comme des furies, s'élance vers moi : « Il faut que tu montes à la tribune. - Et pourquoi ? - Pour renoncer à ton épiscopat, à ton charlatanisme religieux. -Misérables blasphémateurs, je ne fus jamais un charlatan ; attaché à ma religion, j'en ai prêché la vérité, j'y serai fidèle... Le président annonce que j'ai la parole, quoique je ne l'eusse pas demandée. Je m'élançai à la tribune ; à un épouvantable tapage, succède un silence général : « On me parle de sacrifices à la patrie, j'y suis habitué ; s'agit-il du revenu attaché à ma qualité d'évêque ? Je vous l'abandonne sans regret ; s'agit-il de religion ? Vous n'avez pas le droit de l'attaquer. J'entends parler de fanatisme, de superstition... Je les ai toujours combattus. Catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été désigné par le peuple pour être évêque, mais ce n'est ni de lui ni de vous que je tiens ma mission... On m'a tourmenté pour accepter ces fonctions, on me tourmente aujourd'hui pour faire une abdication, qu'on ne m'arrachera pas. J'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse, je reste évêque pour en faire encore, j'invoque la liberté des cultes. » Ce discours fut interrompu vingt fois, des rugissements éclatèrent pour étouffer ma voix, dont j'élevais à mesure le diapason... Je doute que le pinceau de Milton, accoutumé à peindre le spectacle des démons, pût rendre cette scène. Descendu de la tribune, je retourne à ma place ; on s'éloigne de moi comme d'un pestiféré. Je vois des regards furibonds dirigés sur moi. La séance finie, je me traine chez moi, je remerciai Dieu de m'avoir donné la force de confesser Jésus-Christ je déclare qu'en prononçant ce discours improvisé, je crus lire mon arrêt de mort. » M. Carnot a écrit, sous la dictée de Mme Dubois, une anecdote qui confirme le récit de Dulaure au sujet de Gobel et la pression exercée par les persécuteurs pour détruire le catholicisme, « Le lendemain de cette scène, trois visiteurs se présentent chez l'évêque ; admis dans son cabinet, ils emploient tour à tour les promesses et les menaces pour obtenir son abjuration. Assis dans son fauteuil, les mains derrière le dos, il accompagne chacun de ses non d'un coup sec de son pied sur le parquet. -Eh bien, s'écrie l'un des étrangers, avec l'accent de la fureur, tu viens de monter deux degrés de l'échafaud, tu monteras le dernier. - Je suis prêt, réplique Grégoire, je ne démentirai jamais mes croyances. A l'heure accoutumée, l'évêque descendit pour déjeuner, avec un air aussi serein que de coutume ; au moment de se lever de table : Mes bons amis, nous dit-il, dans un temps comme celui où nous sommes, quand on vit au milieu de la tourmente, on ne sait ce qui peut arriver ; il faut que vous me fassiez une promesse. - Et laquelle ? - Si je venais à être arrêté, promettez-moi, dans le cas où ma vie serait en danger, de ne tenter aucune démarche en ma faveur. - Que demandez-vous là ? s'écria Mme Dubois fondant en larmes, au souvenir de la conversation qu'elle avait entendue le matin : Si votre vie était menacée, j'irais trouver vos amis, vos collègues, vos juges, et je saurais bien me faire écouter. - L'évêque insiste, on promet de respecter sa volonté, il aime mieux mourir que devoir la vie aux hommes qui le menacent, il ne demande qu'une chose, c'est que, dans le cas où il lui arriverait malheur, Mme Dubois parte aussitôt pour Emberménil afin de consoler sa vieille mère. »
19 brumaire. - « Au comité d'instruction publique, Fourcroy exprime ses regrets de ce que j'avais comprimé l'élan de l'opinion contre le fanatisme. Ma réponse fut concordante avec le discours qu'il me reprochait... Son apostrophe n'était sans doute qu'un tribut payé par la peur à la frénésie du moment... Quelques années plus tard, parlant de la liberté de conscience, il prétendait avoir toujours pensé comme moi sur cet article. »
20 brumaire. - Un décret de l'Assemblée convertit la ci-devant église Notre-Dame en un temple consacré à la Raison et à la Vérité. Dans l'Histoire des sectes religieuses, Grégoire flétrit, en termes énergiques, « cette odieuse profanation, cette orgie qui fut répétée dans toutes les églises de la capitale ».
21 brumaire. - Le Sans-culotte observateur, rendant compte de la scène des abjurations, publie contre l'évêque Grégoire une diatribe qui fut affichée dans tous les coins de rues c'était un arrêt de proscription. Il en fit, dans la nuit, arracher un exemplaire qu'il garda précieusement.
23 brumaire. - Le jour même où un décret prescrit au comité d'instruction de faire un rapport sur les moyens de substituer au culte catholique le culte de la raison, Grégoire écrit au club des Jacobins pour qu'il rassemble tous les traits éclatants de l'amour de la patrie que cette société a produits ; « Éd. Bourdon s'irrite de ce que cette excellente demande soit faite par un homme qui voulut christianiser la Révolution, qui prétendit que Jésus-Christ avait prophétisé qu'il y aurait des Jacobins. (On rit.) Grégoire fut jacobin, il ne l'est plus, c'est à l'Assemblée et non pas à lui que vous devez la collection des traits glorieux de la société. » La lettre est renvoyée au comité de correspondance. En effet, l'évêque, en 1792, était revenu un instant au club des Jacobins, qui veulent, disait André Chénier, régner par tous les moyens: « Il n'était plus permis d'y opiner autrement que la faction parisienne... Je sortis et ne remis plus les pieds dans cette assemblée autrefois décente et raisonnable, mais devenue un tripot de factieux, un refuge pour les hommes flétris par la justice. »
17 frimaire. - Au nom de la commission chargée de former un plan définitif sur les Annales du civisme, Grégoire présente un rapport qui est imprimé par ordre (in-8°, 12 p.). « Sa voix tonnante dénoncera tous les émigrés à l'exécration de tous les siècles... Les peuples détrompés se hâteront d'atteindre leur virilité politique et les volcans allumés sous les trônes feront explosion... Tous les actes de vertu qui dépassent la ligne ordinaire des efforts de l'homme et qui ont pour objet la destruction du despotisme sont le domaine de notre travail... Dans cette galerie de portraits, la patrie en deuil contemplera les législateurs assassinés pour avoir voté la mort du tyran, et ce récit gravera dans les cœurs les dogmes politiques qui établissent la haine de la royauté et du fédéralisme... La voix de la France sollicite ou plutôt exige impérieusement la réforme de l'éducation... Un des moyens de l'épurer et la fixer c'est la connaissance des faits historiques de la Révolution... » Quoiqu'il ne soit plus jacobin, il fait encore l'éloge des sociétés populaires « dont la haine des pervers atteste l'utilité constante et sans la vigilance desquelles le fanatisme et l'aristocratie auraient dévoré la République... Tous les mois, votre comité vous présenterait un travail signé sur cet objet, l'impression donnerait ensuite à ce recueil la plus grande publicité, le but moral serait atteint... Rappelons-nous sans cesse que l'ignorance et le vice sont les appuis de la tyrannie..., le patriotisme sans probité est une chimère, la liberté n'est qu'un frêle édifice si elle n'est fondée sur les lumières et la vertu... » Romme critique le rapport, il veut un plan plus précis, plus simple.
24 frimaire. - Sur le rapport de Chénier, un décret expulse Mirabeau du Panthéon pour y faire place à Marat qui avait, dit-on, enseigné le français à Oxford, et dû ses succès à sa haine pour notre Révolution. Marat, qui avait formé le vœu qu'on pendit deux cents députés et qu'on coupât deux cent mille têtes. Marat, dont la figure extrêmement ignoble était l'image de son âme..., et cependant, disait Grégoire : devant Marat et Robespierre, on vit la France agenouillée... Enfin, à son tour, Marat subit le sort de Mirabeau, et son squelette, tiré du Panthéon, fut jeté dans l'égout de Montmartre (26).
30 frimaire. (29 déc. 1793).- L'Eglise constitutionnelle a perdu son prestige légal, le gendarme ne protège plus le prêtre jureur ; les assermentés, comme les orthodoxes, sont victimes de la persécution, c'est le christianisme que la Révolution veut détruire. Grégoire publie un ouvrage intitulé : Questions relatives à l’histoire de l’Eglise gallicane, in-8°. Paris.


(1) Mémoire présenté à l'Académie de Stanislas.
(2) 1 vol. in-4° Nancy, 1873.
(3) Discours du 20 janvier.
(4) Paris, juillet 1789.
(5) De Lescure donne 491 voix contre 90. - Correspondance secrète. Lettre 25°.
(6) Discours de Legros, aux Jacobins. 1798.
(7) V. Ire partie, l'Analyse du mémoire, 62 à 66, et 1789, in-8°, brochure de 47 pages.
(8) L'évêque de Nancy soutint la même thèse.
(9) Le bénédictin D. Dièbe, son confesseur.
(10) Journal du Haut et du Bas-Vendômois 25 avril 1791.
(11) Monit. 1791, 129, 130, 133, 134, 136.
(12) Monit. n° 173.
(13) Monit., n° 197.
(14) V. ces deux lettres, 1re partie, 60-62.
(15) Monit., 225.
(16) Mém., t. II, 25.
(17) 1re partie, 44-45.
(18) Mém., t. Ier, 25.
(19) Thiers.
(20) V. Un homme d’autrefois, par le marquis de Beauregard.
(21) A la page 25. je lis cette note : « Un forçat avait été condamné à cinq ans de galères pour injures au roi sarde, on vient de lui rendre la liberté, il faudrait lui donner une couronne civique s'il apportait la tête d'un tyran »
(22) Mém. t. I, 424. « Je publiai le rapport de ma mission..., il y a dans l'imprimé une phrase que je désavoue... » On garde à la bibliothèque de Nice un exemplaire de ce rapport réimprimé (petit in-4°) par ordre de l'administration du département ; il proposait de détourner le Paillon à trois quarts de lieue de son embouchure pour le rejeter dans la mer, par une issue à travers la montagne, où l'on a percé le tunnel actuel du chemin de fer. Récemment on a donné le nom de Grégoire à l'une des rues de la ville.
(23) Imprimé par ordre, ce discours fait partie des Mélanges sur la Révolution.
(24) Monit., 1793, n°49.
(25) Hist. des sectes rel., t. Ier, 69-86.
(26) Hist. des sect. rel., t. Ier

 

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