La vie et les oeuvres de l'abbé
Grégoire - 1794-1831
(notes
renumérotées)
(voir aussi les
autres documents
sur l'abbé Grégoire - La vie
et les oeuvres de l'abbé Grégoire - 1789-1793)
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contenir encore des erreurs.
Mémoires de l'Académie de Stanislas
1884.
LA VIE ET LES ŒUVRES DE L'ABBÉ GRÉGOIRE (1)
1704-1831
Par M. Maggiolo
1794. 10 janv. (an II
21 nivôse). - Le brigandage, sous le masque du
patriotisme, mutile les monumens, brise les statues,
dépouille les temples, Grégoire fait adopter le décret
suivant : « 1° Les inscriptions des monumens publics
seront désormais en français ; 2° toutes les
inscriptions des monumens antiques seront conservées ;
3° dans les monumens modernes les inscriptions qui ne
sont pas consacrées à la royauté et à la féodalité
seront conservées. » Ce décret, qui venait un peu tard,
est précédé d'un rapport imprimé par ordre (in-8°, 14
p.) ; il examine la question au double point de vue du
passé et de l'avenir, il s'élève contre « l'injuste
mépris par lequel on voudrait flétrir des langues
autrefois l'accent de la liberté ». Il y a du trait, de
l'érudition, mais aussi d'étranges paradoxes : il cite
l'inscription populaire de la place de la Bastille : «
Ici, on danse. Sous le despotisme, le peuple était
compté pour rien, actuellement, il est ce qu'il doit
être, c’est-à-dire tout ; ... les monumens publics
doivent donc lui rappeler son courage, ses triomphes,
ses droits, sa dignité... Notre langue avait la timidité
de l'esclavage, quand la corruption de la cour lui
dictait des lois,... l'insolence féodale excluait du
langage relevé les termes qui désignent les professions
utiles. Les termes de vache, de fumier, par exemple,
auront dans notre langue républicaine une valeur
correspondante à celle que ces objets ont en réalité,
tandis qu'on reléguera dans le style ridicule et abject
les mots de princesse et de courtisan... Le vocabulaire
de l'égalité s'enrichira en élaguant et en ajoutant ;
nous en avons effacé le mot de protection, nous y avons
honorablement placé celui de tyrannicide... Tout ce qui
est beau, tout ce qui est bon entre dans la définition
du sans-culottisme !! » On a raison de détruire tout ce
qui porte l'empreinte du royalisme, mais pourquoi ce
débordement d'écrits où la grossièreté et l'infamie du
style le disputent à celle des sentiments ?... il
s'irrite contre les propos immondes, « dont la contagion
a gagné même un grand nombre de femmes ; cette
dégradation du langage est vraiment
contre-révolutionnaire ». Il termine par une insulte
contre un tyran trop longtemps. vanté (Henri IV), « dont
la prétendue bonté comparée à celle des autres despotes,
n'est que dans le rapport de la méchanceté à la
férocité... Il faut que les murs, le marbre, l'airain
parlent à tous les sans-culottes contemporains et futurs
le langage de la liberté. » A la mème époque, Turreau,
de l'Yonne, accusait les prêtres de tous les crimes : «
Ils se glissent dans les tribunaux révolutionnaires pour
faire périr les patriotes et acquitter les aristocrates.
»
22 janv. (4 pluv.) - Au nom du comité d'instruction, il
dépose un rapport sur l'établissement d'un concours pour
des ouvrages élémentaires : « Le corps social doit
veiller à sa conservation et au bonheur des individus...
Il faut que ses membres jouissent de leurs droits et
s'acquittent de leurs devoirs. Comment le feront-ils
s'ils ne les connaissent pas ? l'éducation seule donne
des lumières et des vertus... L'instruction doit être
soumise à l'autorité tutélaire du gouvernement... Un
peuple ignorant et corrompu n'aura jamais qu'une liberté
précaire... Si la théorie et la pratique de l'éducation
étaient portées au point de perfection dont elles sont
susceptibles, un code criminel sérait presque inutile...
Il faut que l'éducation nationale s'empare de la
génération qui nait, qu'elle aille trouver l'enfant au
sein de la mère, dans les bras de son père... Le premier
livre élémentaire doit embrasser la période. qui
s'écoule du commencement. de la grossesse jusqu'à six
ans ; tracer les règles de conduite pour le temps de la
grossesse, des couches, de l'allaitement, du sevrage,
parcourir toutes les phases de l'enfance, en ce qui
concerne la nourriture, le sommeil, la veille,
l'exercice, les maladies, combattre les abus...» Il
discute les théories, il signale les erreurs. « On
n'attache aucune importance à ce que l’enfant brise les
œufs et le nid d'un oiseau... On le rend vindicatif, en
l'exhortant à frapper la pierre contre laquelle il s'est
heurté... On le forme au mensonge et à l'orgueil en lui
disant qu'il est laid lorsqu'il pleure... Un enfant vêtu
de drap se préfère à son camarade vêtu de bure ou de
toile, voilà la première brèche à l'égalité, un premier
pas vers le despotisme... La conduite des parens est un
livre toujours ouvert... L'enfant acquerra-t-il le
sentiment de la justice, quand, au lieu de le reprendre,
de le châtier avec le calme de la raison, c'est en se
livrant à des colères proportionnées toujours non à la
grièveté de la faute, mais à la perte ou au désagrément
que l'on éprouve... On se plaint. de la dépravation
précoce des enfans, le ruisseau est impur, parce que la
source est empoisonnée ...» Il est nécessaire de rédiger
des instructions pour les parents, pour les
instituteurs, qui doivent tour à tour pétrir le
caractère de l'enfant, l'imprégner des mœurs
républicaines ; il ne veut ni ouvrages volumineux, ni
méthodes savantes : « laissons aux auteurs la plus
grande latitude, bornons-nous à présenter des problèmes
à résoudre ». Le programme des études primaires est bien
simple : « Lire, écrire, parler la langue nationale...
Les élémens du calcul, de l'arpentage, du toisé ; des
notions sur la mesure du temps, sur les mesures
linéaires, sur celle de superficie et de poids... » Il
faut mettre l'enfant à portée d'apprécier les objets que
la nature reproduit sans cesse... La Déclaration des
droits, la Constitution, les annales du civisme, des
instructions sur la morale républicaine, formeront les
premiers ouvrages classiques... « Jusqu'ici, la plupart
des livres élémentaires ont été très médiocres ; ils
étaient le fruit de la médiocrité, le génie seul est
capable de présenter des analyses... Aujourd'hui, ces
ouvrages ont la plus haute importance, ils doivent,
durant des siècles, concourir à la régénération d'une
postérité républicaine et consolider par les vertus la
liberté conquise par le courage... Une belle carrière
est ouverte aux talents républicains, la Convention
éprouvera la plus douce satisfaction en couronnant leurs
efforts ; ce sera un jour de triomphe sur l'ignorance et
les préjugés. » On ordonne l'impression du rapport et du
projet de décret voté le 9 pluviôse (2). Le 18 messidor,
on nomme un jury de quatorze membres pour juger du
mérite des ouvrages envoyés au concours ; Grégoire n'en
fait pas partie. Il avait pris part aux discussions, il
avait protesté contre la corruption légale à laquelle on
condamnait l'enfance ; il avait entendu tel membre du
comité dire crûment que l'instruction publique était
inutile, qu'il fallait se borner à faire lire les
enfants dans le grand livre de la nature, et quand il
les pressait de « développer cette sentence, d'en donner
une traduction commentée, il était sûr d'entendre
débiter des inepties, à moins qu'ils ne se fâchassent
pour se dispenser de déraisonner ». Le mal était grand,
ces livres classiques primés par la Convention prêchent
la haine de la religion, le mépris du passé ; les
manuels civiques posent aux enfants des deux sexes les
questions les plus étranges : «Jeune citoyen, dis-moi
quelles sont les précautions qu'une femme doit prendre
lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle est enceinte ? » Aussi
toutes les âmes honnêtes répugnent à envoyer leurs
enfants à ces magisters, presque tous ignorants et
crapuleux, qui occupent les presbytères et perçoivent un
traitement sans fonctions. Ils ont grand soin de ne leur
parler de religion que pour la ridiculiser, de ne pas
prononcer le nom de Dieu, d'empêcher qu'ils 'apprennent
à le prier... ; dans quelques écoles, on fait faire le
signe de la croix au nom de Marat, de Lazouski (3)...
L'appréciation est sévère, elle n'est que juste ;
l'école modèle est celle où l'on joue le mieux au
tribunal révolutionnaire ; le 21 janvier, les maitres du
Collège des nations conduisent leurs élèves sur la place
de la Révolution... « La barbarie, dit le conventionnel
Daunou, a été semée dans les âmes délicates... » A
Rennes, sous les fenêtres de Lanjuinais, proscrit, les
élèves de l'école s'amusent à manier de petites
guillotines ; après la chute de Robespierre, le conseil
général, à Arras, fait saisir et briser les instruments
avec lesquels les enfants guillotinent des oiseaux et
des souris ; on a remarqué qu'il y avait de petites
plumes enduites de sang attachées à la planche... »
L'arrêté est du 16 fructidor an Il. La pudeur est
proscrite, comme la religion ; on lit dans l'Observateur
de l'esprit public (4 ventôse an II) : « Beaucoup de
jeunes filles de dix à douze ans se prostituent avec des
garçons du même âge ; hier, le palais-égalité en était
rempli. » L'arbre a porté ses fruits : partout l'impiété
et la démoralisation ! En 1802, Grégoire disait à
l'Institut : « Autrefois, chaque commune avait un
maitre, souvent aussi une maitresse d'école, tout cela
n'est plus... La persécution a tout détruit...
L'ignorance menace d'envahir les campagnes et les
villes, avec tous les fléaux, qui en sont la suite. »
4 mars (14 vent.). Chargé de faire un rapport sur
l'original d'une lettre « de l'un des Nérons de la
France (Charles IX) au duc d'Epernon », il vérifie les
faits et l'écriture à la Bibliothèque nationale : «
Comme la publicité de cette lettre peut servir à
augmenter encore l'horreur des peuples contre les rois
», il en demande l'insertion au Bulletin et le dépôt aux
archives.
12 germinal. - Barthélémy, adjoint au cabinet des
médailles, adresse à l'Assemblée une médaille d'argent,
qui, d'un côté, représente un bras armé d'une épée qui
moissonne trois lys, avec cette légende : « Talem dabit
ultio messem ; de l'autre, un bras lançant la foudre sur
une couronne et un sceptre brisés, avec ces mots : «
Flamma metuenda tyranis. » Grégoire lit la lettre qui
accompagne l'envoi et il en conclut que dès le XVe
siècle, la sève républicaine fermentait déjà dans
quelques têtes fortes. Le même jour, il fait hommage à
l'Assemblée d'un « Essai historique et patriotique sur
les arbres de la liberté (4) » ; on lui décrète une
mention honorable. Il y a dans cette brochure,
heureusement fort rare, une exaltation démagogique
vraiment effrayante ; il en exprima plus tard quelque
regret : une note écrite de sa main, sur un exemplaire
que M. Carnot possède, signale quelques passages à
supprimer. Il accuse les protes d'avoir altéré le
texte... Cette débauche d'esprit et la lettre qu'il
adresse à chacun des membres du comité de salut public
au sujet de ce pamphlet, sont, à mes yeux, ce qu'il y a
de plus criminel dans ses écrits : « Tout ce qui est
royal ne doit figurer que dans les annales du crime..,
La destruction d'une bête féroce, la cessation d'une
peste, la mort d'un roi sont pour l'humanité des motifs
d'allégresse... Tandis que par des chansons triomphales
nous célébrons l'époque où le tyran monta sur
l'échafaud, l' Anglais avili porte le deuil de Charles
Ier... Ah ! que les philosophes ne se découragent pas...
La massue de la vérité est entre leurs mains, avec elle
ils terrasseront les brigands de la cour de Saint-James
et planteront sur les cadavres de la tyrannie l'arbre de
la liberté, qui ne peut prospérer, s'il n'est arrosé du
sang des rois. » Les notes sont dignes de l'œuvre : « Un
vrai sans-culotte, Aristogiton, de concert avec son ami
Armodius, tua le Capet d'Athènes, le tyran Pisistrate,
qui avait à peu près l'âge et la scélératesse de celui
que nous avons exterminé. » En 1792, Barère exprimait la
même idée en d'autres termes : « la main impure de Capet
avait déshonoré un arbre planté dans le jardin national,
au nom de la liberté, qu'il voulait assassiner... Les
peuples courront aux armes pour exterminer jusqu'au
dernier rejeton de la race sanguinaire des rois. »
22 germinal. - Au nom du comité d'instruction, il rend
compte d'un travail commencé depuis longtemps sur les
livres appartenant à la nation : « Associé depuis peu
aux commissaires chargés de surveiller cette opération »
, il présente un aperçu des richesses, qu'il importe de
répartir entre les provinces ; c'est une statistique
curieuse, un document a consulter pour apprécier le
mouvement intellectuel, sous l'ancien régime. Ces objets
scientifiques proviennent : 1° des dépôts que la nation
possédait avant la Révolution ; 2° des ci-devant
châteaux des tyrans ; 3° de la suppression des
corporations ecclésiastiques, judiciaires, académiques ;
4° des émigrés et des suppliciés. On procède à
l'inventaire « des livres, manuscrits, cartes, plans,
statues, tableaux, gravures, machines, médailles,
pierres taillées en creux et en relief, herbiers,
cabinets de physique, de chimie, d'histoire naturelle,
et autres objets précieux accumulés, pour servir à
l'ambition des nobles ; tel le dépôt de l'émigré
Castries, composé de plus de vingt mille pièces, qui a
sûrement coûté plusieurs millions... On enverra à la
refonte tous les papiers inutiles, on mettra sous les
yeux du public ce qui est utile, on placera sous la main
exclusive du Gouvernement, ce qui ne doit ètre connu que
de lui seul »... Le département de la guerre renferme
plus de douze mille cartes, celui des affaires
étrangères, à Versailles, environ quatorze mille volumes
in-folio de manuscrits ; il flétrit, en termes
énergiques, les dilapidations commises par des fripons.
« On a vendu, à vil prix et au poids, des livres
précieux malgré la loi du 10 octobre 1792. Dans un
moment où la Révolution se moralise, des dénonciations
civiques et le zèle des sociétés populaires vous
mettront à même d'atteindre les coupables... Le
département de Paris possède des richesses
bibliographiques bien supérieures à celles des
bibliothèques du Vatican et de Vienne ; elles sont la
propriété indivise de la grande famille, qui, par
l'organe de ses représentans, saura faire une
répartition dictée par l'amour de la patrie et avouée
par elle. » Il s'indigne contre l'ineptie des copistes,
l'insouciance et l'ignorance des administrateurs qui «
jugent les livres sur la couverture, comme les sots
jugent les hommes sur l'habit... Les ouvrages dans
lesquels le despotisme consignait ses extravagances et
ses fureurs avaient presque toujours les honneurs du
maroquin... Les livres d'Hubert Languet se réfugiaient
dans les angles ignorés, les ouvrages qui révélaient les
crimes des tyrans et les droits des peuples étaient les
sans-culottes des bibliothèques. » L'énergie du
gouvernement révolutionnaire imprimera de la célérité à
la confection et à l'envoi des catalognes, un règlement
et une instruction ont été rédigés ; « dans huit ou dix
mois, le travail sera terminé... On y trouvera des
résultats d'une utilité réelle sur l'imprimerie, ce bel
art, qui n'eut pas d'enfance, qui ne vieillira pas, qui
a fait notre révolution... et aussi des matériaux
abondans pour l'histoire... Quand le catalogue général
sera fait, nous appellerons le goût et la philosophie
pour exploiter celle mine féconde... L'esprit de
discernement présidera au triage, la justice en fera la
répartition... Dans l'hypothèse que ce scrutin
épuratoire réduise même à cinq millions le nombre des
ouvrages à garder, ce serait encore plus de 55,000
volumes pour chaque département... L'instruction est le
besoin de tous... Les bibliothèques et les musées sont
en quelque sorte les ateliers de esprit humain ; que le
jeune homme fréquente ces asiles, où sans cesse il
pourra converser avec tous les grands hommes de tous les
âges... Près d'eux l'art trouve toujours des modèles...
La patrie repousse ces hommes qui étudient pour
briller... Elle n'a voue pour ses enfans, que ceux qui
s'occupent sans cesse de devenir meilleurs, pour la
mieux servir. » La Convention adopte le projet de décret
; elle ordonne l'impression du rapport, et l'envoi aux
administrations de district, qui, dans la décade qui
suivra la réception, lui rendront compte de la
confection des catalogues. La correspondance inédite de
Grégoire est remplie de documents relatifs à ce sujet :
le curé de Château-Salins, lui écrit : « Nous avons vu
des livres de toute espèce entassés dans un coin... Le
curé de Bellange, qui en gémissait comme moi, a témoigné
qu'en les vendant, la nation en tirerait profit. .. Un
administrateur lui a répondu : Oui, pour propager les
principes du fanatisme, nous en ferons un autodafé...
Ils ont été ensachés, nous ne les avons plus vus...
.J'oubliais de vous dire que nous lisons vos rapports,
avec joie et admiration... Je suis pour la vie. votre
ami, Thomassin. »
1er juin (13 prairial). - Au nom du comité
d'agriculture, de commerce et d'instruction, Grégoire
fait adopter un décret qui affecte cent cinquante mille
francs à la conservation et à l'entretien des jardins
botaniques (5). Ce remarquable rapport fait ressortir
l'utilité de ces établissements, « il faudrait les
créer, s'ils n'existaient pas... Les végétaux les plus
précieux à la nourriture de l'homme sont des étrangers
naturalisés chez nous... Il importe de cultiver les
plantes médicinales, dont l'acquisition est si
dispendieuse ; un docteur a compté quatre mille maladies
qui peuvent nous attaquer, elles sont pour les trois
quarts les enfants de l'imprudence, du luxe, de
l'immoralité, elles peuvent ètre réduites à un très
petit nombre par l'effet d'une révolution, qui, au
physique et au moral, reconstitue pour ainsi dire
l'espèce humaine... Le moment est venu de former une
pharmacie indigène... Déjà l'on peut citer d'heureux
essais... Nos colonies nous offrent des ressources ; le
Muséum est pour ainsi dire un réservoir commun, qui
fournira aux autres jardins et recevra d'eux des
échanges... » Il y a dans ce rapport fort peu de
politique ; beaucoup d'idées pratiques, un courage réel
à signaler le mal... « Il y a neuf mois, j'ai dénoncé ce
dont j'avais été témoin, à Chantilly, une haute futaie
de quelques centaines d'orangers a été convertie en bois
de chauffage (6). »
16 prairial. - Au nom du comité d'instruction il lit un
rapport sur « la nécessité et les moyens d'anéantir les
patois et d'universaliser l'usage de la langue française
(7) ». Le 8 pluviôse, un lettré, un poète, Barère, dans
un plan tout à fait neuf d'éducation, avait soulevé la
question : « Nous avons révolutionné le gouvernement,
les lois, les usages, les murs, les coutumes, le
commerce et la pensée même, révolutionnons aussi la
langue, qui en est l'instrument journalier... Il faut
abolir, par une loi, ces idiomes populaires qui ont
perpétué le règne du fanatisme, de la superstition,
assuré la domination des prêtres, des nobles, des
praticiens... » L'idée était folle, le rapport de
Grégoire esl en général plus sensé ; il contient une
énumération très complète des trente patois, qui
rappellent le nom des provinces. « Nous sommes encore
pour le langage la tour de Babel, tandis que pour la
liberté nous sommes l'avant-garde des nations... » Il
repousse, comme chimériques, les utopies de ceux qui
voudraient ramener les peuples à une langue unique, mais
« on peut uniformer le langage... Le peuple français
doit consacrer au plutôt, dans une république une et
indivisible, l'usage unique et invariable de la langue
de la liberté... L'ignorance de la langue empêche les
citoyens de connaitre les lois, d'aimer la république...
Il faut favoriser la propagation de la langue et du
patriotisme. » Mais s'il est urgent d'établir sans délai
l'unité d'idiome, qui est une partie intégrante de la
révolution, il ne faut pas oublier que la connaissance
des dialectes peut jeter du jour sur quelques monuments
du moyen âge ; « l'histoire et les langues se prêtent un
mutuel secours pour juger les habitudes et le génie d'un
peuple... Il importe d'étudier les dialectes et dans ce
moment favorable pour révolutionner notre langue, de
leur dérober des expressions et des termes qui nous
manquent... Presque tous ces idiomes ont des ouvrages
qui jouissent d'une certaine réputation, la commission
des arts recommande de recueillir ces monuments imprimés
ou manuscrits, il faut chercher des perles dans le
fumier d'Ennius... » Il propose ensuite quelques moyens
pour faire disparaître graduellement les patois et
exécuter une nouvelle grammaire et un vocabulaire
nouveau... « Si la Convention adopte les vues du comité,
nous ferons une invitation aux citoyens, qui ont
approfondi la théorie des langues pour concourir à
universaliser la nôtre... » On décrète l'impression du
rapport et l'envoi aux communes, mais on ajourne le
projet.
Dans le même ordre d'idées, il publie une adresse au
peuple français ; c'est une déclamation emphatique,
violente, dont la réforme de la langue est le prétexte.
« Cette race de brigands qu'on nomme rois et princes
rend hommage à notre langue ; citoyens, vous détestez le
fédéralisme politique, abjurez celui des langues ; la
langue doit être une comme la république ! la
Déclaration des droits que vous avez jetée sur les
trônes est aussi redoutable aux despotes que nos
boulets... Le style grossier était celui de Capet et
d'Hébert ; le langage d'un tyran et d'un
contre-révolutionnaire doit-il souiller les bouches
républicaines ?... Les sociétés populaires furent de
tout temps les sentinelles vigilantes de l'esprit
public, le bien qu'elles ont fait garantit qu'elles vont
en opérer encore et s'assurer de nouveaux titres à la
reconnaissance de la patrie (8). »
28 juillet (10 thermidor). - La sainte guillotine, comme
l'appellent ses fidèles de la place de la Révolution, a
fait justice de « l'homme divin », Robespierre a expié
ses crimes... L'Assemblée est divisée : les montagnards
de la crête, les thermidoriens, les modérés, se comptent
et se groupent, on se prépare à la lutte. Grégoire garde
son indépendance ; il a refusé d'assister aux fêtes de
la Raison, il n'a pas paru à celles de l'Être suprême et
cependant il a échappé à la proscription. J'ai cherché
dans le dossier des papiers de Robespierre publiés par
le député Courtois, l'opinion du dictateur sur l'évêque
de Blois : il n'en parle jamais ; il ne craignait pas en
lui un rival ou peut-être il lui savait gré de sa haine
féroce contre la royauté.
1er fructidor. Grégoire lit un premier rapport sur la
dégradation des monuments des arts et fait adopter un
décret sur les moyens de les réprimer. Le comité n'avait
consenti qu'avec peine à cette lecture : « On me
gratifia de l'épithète de fanatique, on prétendit que je
voulais sauver les trophées de la superstition (9)... Il
fallait ménager des députés provocateurs ou exécuteurs
de dévastations... On rn' aura-il jeté à bas de la
tribune, si j'avais révélé toutes leurs turpitudes... »
Le décret, en quatre articles, fut imprimé au Bulletin
des lois. On lit au Moniteur : « Nous donnerons le
rapport dans un prochain numéro.» Je l'ai vainement
cherché ; il fut, en 1828, imprimé dans le Bulletin du
bibliographe. Aujourd'hui, on critique sa haine du
vandalisme, M. Carnot lui-même l'accuse de s'être laissé
entraîner par la passion, « d'avoir exagéré les faits et
attribué aux désordres révolutionnaires des ruines
antérieures ».
1794 (an II). 14 fructidor.- Grégoire veut parler encore
sur les dévastations du vandalisme ; l'Assemblée est peu
disposée à lui accorder la parole. Je demande, dit
Lakanal, que Grégoire soit entendu, vous apprendrez avec
indignation qu'on est allé jusqu'à mettre les scellés
sur des ménageries. On sait que le député de l'Ariège
avait proposé de consacrer un jour de fête en l'honneur
des animaux compagnons de l'homme. La Convention écouta
la lecture de ce rapport, qui contient les plus
effrayantes révélations... « Le mobilier de la nation a
souffert d'immenses dilapidations... Les fripons ont dit
: La nation, c'est nous... La seule nomenclature des
objets enlevés, détruits ou dégradés, formerait
plusieurs volumes... Il n'est pas de jour où le récit de
quelque destruction nouvelle ne vienne nous affliger...
La Convention fera retentir le cri de son indignation
contre les auteurs et instigateurs
contre-révolutionnaires de ces délits pour les traîner
sous le glaive de la loi... II y a cinq ans que le
pillage a commencé par les bibliothèques... Les
libraires ont acheté à vil prix les livres volés... Les
moines, à Senones, ont enlevé un manuscrit unique
(10)... Malgré la loi de 1792, on a continué à vendre...
Les administrations n'ont pas répondu à notre circulaire
du 22 germinal dernier... Malgré les instructions les
plus formelles, quelques corps administratifs ont encore
la fureur de détruire et de livrer aux flammes... C'est
plus expéditif que d'inventorier... Quelques-uns ont
formé un tribunal révolutionnaire qui proscrit et
condamne. Horace et Virgile passeraient pour avoir
préconisé un tyran... Beaucoup de bibliothèques de
moines mendians renferment des éditions du premier âge
de l'imprimerie... Le Missel de la chapelle de Capet
allait être livré pour des gargousses... La matière, le
travail, les vignettes et les lettres historiées de ce
livre sont des chefs-d'œuvre. Rien n'est respecté, rien
n'échappe à la cupidité, ni les antiques, ni les émaux,
ni les bijoux. » Il dresse un long inventaire des vols
et des mutilations, il attaque « l'aristocratie, la
contre-révolution, les brigands de la Vendée et aussi
Manuel, Chaumette, Chabot, Hanriot, qui voulait
renouveler ici les exploits d'Omar, dans Alexandrie...
Et surtout Robespierre, qui voulait ravir aux pères le
droit sacré d'élever leurs enfants... Ce qui dans
Lepelletier n'était qu'une grave erreur, était un crime
chez le tyran... » Il retrace, avec une juste
indignation, le tableau de la persécution dirigée contre
les hommes de talent ; il cite le nom des victimes de
l'échafaud et des prisons et il termine par une
énumération des richesses de la nation avant 1789 : « II
y a cinq mois, j'estimais à cinq millions le nombre des
volumes, il est aujourd'hui de douze millions... Tirons
enfin de la poussière ces milliers de manuscrits... On y
trouvera une foule d'anecdotes, qui attesteront les
forfaits du despotisme... Législateurs, l'intérêt
national vous prescrit d'utiliser au plus tôt vos
immenses et précieuses collections, en les faisant
servir à l'instruction de tous... en organisant
promptement l'éducation nationale, en formant surtout
des écoles normales... Souvenez-vous, quand il s'agit
d'éducation, que des vues mesquines sont des vues
détestables. Il y a quinze mois que le comité de salut
public vous disait que cette organisation était une
mesure de sûreté générale et cependant rien n'a été
fait. » Il expose la situation désolante des écoles, de
la science, des murs et il conclut : « frappons sans
pitié tous les voleurs, tous les
contre-révolutionnaires... Puisque les tyrans craignent
les lumières, il en résulte qu'elles sont nécessaires
aux républicains... La liberté est fille de la raison
cultivée, rien n'est plus contre-révolutionnaire que
l'ignorance, on doit la haïr à l'égal de la royauté. » A
la suite de ce rapport imprimé par ordre, la Convention
adopte un projet de loi en six articles.
An Ill. 8 vendémiaire. - Au nom du comité de
l’agriculture, des arts et de l'instruction, Grégoire
lit un rapport sur l'organisation du Conservatoire des
arts et métiers (11). « Dans tout pays où il y a une
cour, les arts mécaniques sont avilis ; il y existe une
classe dont l'immoralité privilégiée croirait se
déshonorer en les cultivant... Depuis une quarantaine
d'années seulement, l'art du tailleur est décrit, tandis
que, depuis deux siècles, on imprime le Parfait
confiseur, le Parfait cuisinier... Dans un pays libre,
tous les arts sont libéraux... De bons vers sont
infiniment moins utiles que de bons souliers... Celui
qui le premier réunit les douves d'un tonneau ou qui
forma la première voûte, celui qui rendit le pain plus
digestif... ceux-là méritèrent mieux de l'humanité que
celui qui écrivit la Henriade... Tous les arts sont
frères... la Nation possède une quantité prodigieuse de
machines ; je dis prodigieuse, car qui ne les a vues,
aura difficilement une idée de leur nombre, de leur
richesse, de leur perfection, de leur importance... Le
perfectionnement de l'industrie n'enlève à l'ouvrier
aucun moyen d'existence... Pour encourager et éclairer
ceux qui cultivent les arts, il convient de réunir, en
un local commun, toutes les collections anciennes... Il
ne suffit pas d'avoir des modèles, il faut des
démonstrateurs, pour enseigner la construction des
outils et des machines, leur jeu, l'emploi des forces...
Nous avons calculé les dépenses à la somme de 16,000
livres annuellement pour indemnité des membres du
conservatoire ; il sera le réservoir, dont les canaux
fertiliseront la France... Il faut répandre avec
profusion des livres élémentaires sur l'industrie et
leur attribuer des récompenses... Vous avez d'ailleurs,
dans les cartons de l'ancienne administration du
commerce et dans les papiers de l'Académie des sciences,
une foule d'excellens mémoires inédits, qu'il est
instant de faire paraitre... Il y aura une salle
d'exposition, où toutes les inventions nouvelles
viendront aboutir, tandis que l'orgueil des despotes
élève des palais cimentés par le sang... vous vous
occupez d'établissemens propres à faire naitre le
bonheur dans les chaumières. » La Convention voie
l'impression du rapport et l'ajournement du projet de
décret, qui n'est adopté que le 28 vendémiaire.
15 vendémiaire. - Grégoire se plaint avec amertume des
persécutions dont il est l'objet de la part des colons ;
il lit une lettre de Saint-Domingue ; il offre sa
démission de membre de la commission des colonies ; « il
attend avec intrépidité ses accusateurs et avec calme le
jugement de la Convention» ; on passe à l'ordre du jour.
17 vendémiaire. - Il lit un long rapport sur les
encouragements et récompenses à accorder aux savants,
aux gens de lettres, aux artistes (10 col. du Moiteur).
« Les despotes, depuis Auguste, ont senti l'importance
d'attacher au char de leur ambition les talents capables
d'ébranler leur puissance... C'est par là que les tyrans
de la France ont empêché l'explosion révolutionnaire...
Sanctifions par amour pour la liberté ce que les tyrans
ont fait en haine de la liberté... Il est urgent de
mettre la main à l'ouvre et de continuer les travaux
commencés de plusieurs savants et des ci-devant
académies ; l'Assemblée doit porter aussi sa sollicitude
sur les voyages ; les belles époques à citer que celles
de 1736, de 1760, de 1769 ! On ne voyage plus par ordre
et aux frais du Gouvernement... Vous avez détruit les
corporations, où la grandeur imbécile et fastueuse
siégeait à côté du génie, mais vous favorisez les
sociétés libres, qui commencent à s'organiser... Privés
des faibles ressources que leur assuraient les fonds des
académies, les savants, les gens de lettres n'ont obtenu
que des promesses... Non, vous ne laisserez pas le génie
dans l'attitude de la misère ; vous le dédommagerez des
arrérages, vous le consolerez des outrages, des
persécutions, qu'il vient d'essuyer... Nous serions
déshonorés, si nos savants avaient plus à se louer des
caresses du despotisme que de la justice républicaine. »
Un décret affecte une somme de cent mille livres aux
encouragements, récompenses et pensions à accorder aux
savants ou aux artistes, dont les talents sont utiles à
la patrie.
« Cette répartition aurait pu être mieux faite, mais ce
n'est pas ma faute... Pour sauver ceux qui cultivent les
lettres, on créa une commission des arts... Nous
mettions en réquisition les gens de lettres cachés et
endoloris... On avait dressé des listes, je leur faisais
expédier des lettres pour les charger de missions
littéraires, qui étaient des brevets de sécurité et qui
établissaient avec le comité, ou plutôt avec moi, des
correspondances utiles... Je consolais autant que
possible les hommes éclairés... (12) » Grégoire reçut et
conserva des lettres de remerciement en grand nombre ;
il y en a à la bibliothèque de Nancy un carton (n° 534).
Durival, de sa retraite de Heillecourt, rend grâces au
savant citoyen représentant... , à son cher et
respectable compatriote... Il ne rougit pas de recevoir
des secours de sa patrie, il a travaillé pour elle... ,
il en a un pressant besoin. « .Je ne puis assez vous
remercier de vos éloquentes philippiques contre les
modernes vandales et les Verrès ; hélas ! je tremble
encore de leur passage à Nancy (13).
3 brumaire. L'évêque d'Orange, vieux et infirme, est
détenu à Provins ; il écrit à Grégoire qui obtient du
comité de sûreté générale la liberté de son collègue.
7 brumaire. Membre de la Société d'économie rurale de
Paris, Grégoire, par application de la loi sur les
sociétés populaires, adresse au président un état
indiquant son nom, son âge, sa profession, avant le 14
juillet 1789, la date de son admission... La pénalité
est sévère : tout contrevenant sera arrêté et détenu
comme suspect.
8 brumaire. - Au nom du comité, il fait connaitre les
nouvelles dégradations qui lui sont signalées... « Nous
avons pensé qu'il fallait dénoncer les coupables,
placarder l'opprobre sur leurs fronts, prémunir les bons
citoyens contre les erreurs de l'ignorance... » Il cite
des lettres les agents nationaux ; « le mal est connu,
avisons aux remèdes, répandons abondamment
l'instruction, réitérons nos invitations aux. sociétés
populaires... Les tribunaux manquent de vigilance... ,
tant de ravages ont été commis et l'on trouve à peine un
jugement à citer contre cette classe de voleurs et de
contre-révolutionnaires... Quand les lois répressives
sont muettes, ceux qui en sont les dépositaires sont
coupables et complices ; c'est une vérité que vous
confirmerez par un décret. » En effet, un décret en
trois articles rend les agents et administrateurs
individuellement responsables des destructions, à moins
d'une impossibilité absolue de les empêcher.
9 brumaire. Membre du comité d'instruction, il fait de
sages observations au sujet de la durée des cours de
l'École normale, qui échoua misérablement.
18 frimaire. Un officier de marine informe Grégoire des
tortures infligées à plus de cinq cents prêtres entassés
sur deux vaisseaux... : « on les a jetés dans des cachots
fétides et flottants..., on les a successivement tenus en
rade et en rivière... » En termes émus, l'évêque plaide
leur cause devant l’Assemblée : « S'informe-t-on si un
homme est médecin, procureur ou avocat, pour lui rendre
justice ? et on ose demander si un homme est prêtre !
quel que soit un individu, s'il est mauvais citoyen,
frappez-le ; s'il est bon, protégez-le... Tant que l'on
suivra des principes contraires, on n'aura que le régime
des sots, des fripons et des tyrans (14).» Il obtint le
renvoi de l'affaire au comité de sûreté, où il la suivit
jusqu'à ce que le succès eût couronné ses efforts.
Certes, il fallait du courage pour élever la voix en
faveur des prêtres. « Le fanatisme est alors du côté des
persécuteurs ; le comité de salut public, ou siègent
Robespierre, Carnot, Lindet, Saint-Just... , adressait
aux autorités constituées et aux sociétés
populaires des instructions précises sur la manière
d'interpréter le décret relatif à la liberté des cultes.
« La Convention n'a voulu déroger en rien aux lois et
aux précautions de salut public contre les prêtres,
réfractaires ou turbulens, contre tous ceux qui, sous
prétexte de religion, compromettraient la cause de la
liberté. Partout les émissaires de la sainte Montagne
organisent le gouvernement révolutionnaire conformément
au décret de frimaire an II ; partout des bureaux de
police, des comités de surveillance exécutent des
incursions, des expéditions révolutionnaires, pour jeter
l'épouvante dans l'âme des fanatiseurs et verser le
baume dans l'âme des fanatisés... , aussi « les cultes
étaient si peu libres, que toutes les églises furent
fermées en quinze jours, sans que Robespierre en fit
ouvrir une seule ; en 1794, il n'y avait pas, en France,
cinquante paroisses où l'on dit publiquement la messe
(15) ».
19 frimaire. - Grégoire plaide la cause de Lanjuinais
qui, caché à Rennes, a échappé à la mort.
20 frimaire. - Il appuie la proposition de Clauzel, qui
accuse les architectes, « partout on abîme et on brise
».
21 frimaire. - Il se plaint que l'on change, sans motif,
le nom des sections, des communes ; il y a une
déplorable confusion dans les titres de propriété et
dans les monuments historiques.
24 frimaire. - Au nom du comité d'instruction, il rend
le compte mensuel des dévastations : « A Strasbourg, au
XVIIIe siècle, on a surpassé les Alains et les
Sarrazins, l'immense et magnifique basilique est
méconnaissable ; des statues par milliers sont tombées
sous le fer destructeur... Il en a coûté une somme
considérable pour payer les attentats de ceux qui ont
dégradé ce monument, dont la bâtisse a duré 70 ans et
que l'antiquité eût désigné comme la huitième merveille
du monde... On a emprisonné des professeurs, on a mis
les scellés sur la bibliothèque, une des plus belles et
des plus fréquentées ; à côté, on a logé des porcs, il y
en avait cinquante-deux, il en est résulté une
infection... Il y a encore, dans la plupart des
communes, un petit Robespierre, et, tandis que le
moderne Catilina a expié sa férocité sur l'échafaud, ses
lieutenans sont tranquilles... Dans cette année de
terreur et de crimes, où la barbarie étendait son crêpe
sur le berceau de la République, les amis de la France
étaient désolés... » Le compte rendu remplit neuf
colonnes du Moniteur ; on en vota l'impression. J'ai lu
une lettre du curé d'Achain, le très cher ami, qui lui
donne les détails les plus précis sur les dégradations
et aussi des nouvelles de son vicaire Crousse.
21 décembre (1er nivôse). - « Persuadé que le règne de
la cruauté et du délire devait avoir son terme, je
n'allais pas aux séances sans avoir en poche mon
discours sur la liberté des cultes ; je l'avais
communiqué à mes collègues dans l'épiscopat. Une
discussion sur les ridicules fêtes décadaires, dont
l'établissement mort-né a coûté tant d'argent, de larmes
et de sang, était l'occasion favorable, je la saisis...
Vous avez fondé la République, il vous reste à en
consolider l'existence et à porter remède aux troubles
religieux qui agitent et désolent la France...
Persécuter quelqu'un, parce qu'il est financier,
ci-devant noble ou prêtre... , cette conduite est digne
d'un roi... Le Gouvernement ne peut adopter, encore
moins salarier aucun culte..., il doit les tenir tous
dans la juste balance, empêcher qu'on ne les trouble et
qu'ils ne troublent. .. Un peuple qui n'a pas de liberté
des cultes, sera bientôt sans liberté... Les orages de
la Révolution ont pu motiver quelques actes de
rigueur..., ces mesures doivent céder avec le besoin...
Ne parlons plus de l'inquisition, nous en avons perdu le
droit, car la liberté des cultes est que dans les
décrets, la persécution trouble toute la France...
Lorsque, par votre ordre, nous sommes allés dans les
Alpes-Maritimes et le Mont-Blanc, leur imprimer la forme
républicaine, en votre nom, au nom de la loi, nous avons
juré la liberté des cultes, dont ils redoutaient la
perte, ils l'ont perdue, et je ne veux pas êlre parjure.
» Il flétrit les mesures odieuses que l'on prend contre
la religion, l'espionnage tyrannique exercé au sein des
familles, les accusations insensées de fanatisme et de
superstition... « Voltaire, qui croyait en Dieu, fut un
jour traité de fanatique... choisirai-je, pour fixer le
sens de ce terme, les discours merveilleux concernant
les déesses de la Raison, ou ceux qui chantent le Dieu
de la liberté, ou la harangue, dans laquelle Cloolz
prêche l'athéisme, ou celle de Robespierre, qui fait à
l'Être suprême l'honneur de le reconnaitre ? » Il oppose
la conduite des prêtres « qui se sont élancés sur la
brèche pour combattre le despotisme avec celle de ceux
qui à la barre, il y a un an, ont renoncé à la
prêtrise... En 1790, on persécutait les prêtres pour
leur faire prêter le serment ; ensuite on les persécuta
pour le leur foire abjurer... La faim, les injures, les
cachots ont été leur partage et on ose parler de la
Saint-Barthélemy ?... La persécution est toujours
exécrable..., le culte catholique est celui d'une grande
partie de la nation ; on l'a représenté comme
incompatible avec la République... Lorsqu'une loi a
supprimé le culte, j'ai recommandé le calme à ceux qui
voulaient en réclamer la liberté... Charles IX et Louis
XIV sont-ils ressuscités et faudra-t-il nous trainer sur
des rives étrangères, en mendiant un asile et la liberté
? » Le président lui maintient la parole, malgré les
interrupteurs. « Il faut assurer l'entière et indéfinie
liberté de tous les cultes, sauf à rappeler, dans une
adresse au peuple, les règles que commande cet ordre de
choses... , le moyen de concilier les jours de travail
et de repos consacrés par nos idées religieuses, avec
ceux que la Convention a établis... La loi existe, la
loi doit être exécutée..., pourquoi le même temple qui
réunira successivement les citoyens des divers cultes
pour leurs acles religieux ne les réunira-t-il pas
simultanément autour de la statue de la Liberté pour les
fêtes civiles et politiques ? » Il termine en proposant
un décret qui oblige les autorités à garantir à tous
l'exercice libre de leur culte, y compris celui des
fètes décadaires. - Legendre (de Paris) ne doute pas des
bonnes intentions de Grégoire, mais il croit que son
discours peut faire beaucoup de mal ; il demande l'ordre
du jour, qui est voté au milieu des plus vifs
applaudissements. Le Moniteur a caché la vérité,
Grégoire la rétablit... « Quand j'eus fini de parler,
Legendre prétendit que la religion consiste à être bon
époux, bon père, bon fils, bon ami... Après ces beaux
raisonnemens, on passa à l'ordre du jour, en levant les
chapeaux et en criant : « Vive la République ! » comme
si l'on eût remporté une victoire... Pendant les trois
quarts d'heure que j'occupais la tribune, les
Montagnards étaient comme des patients sur la roue, je
leur fis éprouver toutes les crispations de la rage,
surtout en leur représentant l'admission à la barre des
prêtres apostats ; d'une part, les interruptions
multipliées de la Montagne, de l'autre, les
applaudissemens prolongés des tribunes formèrent un
contraste piquant (16).» J'ai peine à croire aux
applaudissements prolongés, je lis dans le Tableau de la
Révolution d'Ad. Schmid (2 nivôse) : « La motion de
Grégoire sur le rétablissement du culte a fait la
matière des conversations ; on applaudissait en général
au parti pris par la Convention d'écarter cette motion.
» Le comité de sûreté générale défendit au Journal des
Débats de parler de ce discours. « Je ne trouvai
personne qui osât imprimer mon discours ! et Crapelet,
après avoir commencé, n'osa continuer... Maradan fut
moins timide, le discours parut avec une préface
vigoureuse, que j'y ajoutai (17).» On a prétendu que le
carnaval inauguré par Chaumette, Hébert, Clootz et
autres Jacobins a duré peu de temps ; on a nié le mal
affreux fait a la France par la persécution religieuse ;
on a dit que la Convention a décrété la liberté des
cultes ; M. Carnot, dans un mémoire récent, vante sa
tolérance en matière religieuse ; il répète que 32,214
églises étaient ouvertes aux fidèles... Écoutons son
ami, le patriote Grégoire : « Ce serait une grande
erreur de croire que le décret sur la liberté des cultes
nous eût rendu la faculté d'exercer le nôtre... Le
ministre protestant allait tranquillement de sa maison
conservée à son temple ouvert, tandis que le prêtre
catholique était chassé de son église vendue, fermée ou
démolie... Sortis des cachots, sans pain, sans asiles...
, courbés presque tous sous le poids des infirmités...,
les infortunés ecclésiastiques avaient à lutter contre
les menaces, les outrages, la férocité des agents du
Gouvernement, irrités de voir rétablir le culte (18). »
Les archives des villes renferment par centaines les
procès- verbaux des violences excitées par les clubs,
tolérées ou sanctionnées par les autorités constituées ;
aux Archives nationales des liasses épaisses en sont
remplies !
3 nivôse. - La Convention impose l'obligation des fêtes
décadaires, Grégoire proteste au nom de la liberté ; sa
voix est étouffée par le tumulte. Rien de plus triste,
de plus instructif que les discussions, les motions, les
projets et les contre-projets relatifs à ces fêtes
ridicules, dont l’établissement mort-né a coûté à la
France tant d'argent, de sang et de larmes ; l'évêque de
Blois les a réunis, classés et souvent annotés avec une
juste et impitoyable sévérité (19).
1795. 21 février. - Apres tant d'anarchie, la Convention
ou plutôt, comme dit Grégoire : « L'opinion publique
commanda ce que j'avais demandé, et, trois semaines
après m'avoir outragé, on décréta la liberté des cultes,
d'après un discours de Boissy d'Anglas, qui insultait à
tous les cultes. » Ce principe de liberté profita aux
insermentés, plus qu'au clergé constitutionnel ; la
correspondance de Grégoire le prouve. « Votre loi, lui
écrit l'évêque de Metz, parait plutôt érigée contre le
culte qu'en sa faveur ; j'en prévois même des suites
fâcheuses... Les réfractaires reviennent en foule et
érigent autel contre autel... La Lorraine allemande en
est pleine. »
Depuis la scène des abjurations (17 brumaire) jusqu'à la
mort de Robespierre, Grégoire se montre peu a la
Convention ; il a cessé de gouverner ostensiblement son
diocèse ; le conventionnel Laurençot, en mission à
Blois, a empêché tant rassemblement fanatique, il a
emprisonné ou envoyé à l'échafaud (20) ceux qui, sous
prétexte de liberté, voulaient ressusciter l'imbécile
liturgie du sacerdoce. Le plus fidèle des vicaires
épiscopaux écrivait à l'évêque : « La lutte est
impossible, le silence est forcé... 32 ecclésiastiques
seulement sur 300 gardent leurs principes religieux et
républicains, malgré les persécuteurs..., 32 se sont
mariés, les autres ont remis leurs lettres de prêtrise.
» Les vrais sans-culottes veulent supprimer tous les
prêtres ; ceux qui ont prêté le serment ne valent pas
mieux que les autres ; ils ont entravé la marche de la
révolution... L'hypocrisie comme le crime est un besoin
chez eux, il faut extirper le fanatisme. - La situation
est déplorable, Grégoire la connaît, mais il ne renonce
pas à la lutte ; le 12 mars, il adresse aux fidèles de
son diocèse une lettre pastorale de 17 pages in-4° :
c'est l'histoire de la persécution dans le Blésois : «
Mes frères, il y a longtemps que vous n'avez ouï la voix
de votre évêque. La tyrannie étouffait nos pensées...
Écrire, c'était compromettre inutilement sa liberté et
sa vie dans cette année effroyable, où le sang, même
celui des justes, ruisselait de toutes parts, où la
France était couverte de victimes... A Blois, un homme,
revêtu d'un grand pouvoir, trouvait étrange... qu'il y
restât des prêtres... On se rappelle avec horreur que
cinq furent égorgés..., l'un d'eux. était muni d'un
certificat de civisme... La terreur était si grande que
l'on n'osait leur donner la sépulture... Leurs corps
sanglants, roulant dans les flots de la Loire
épouvantée, allaient se réunir à ceux que l'on noyait à
Nantes... Une troupe de brigands, composée, en partie,
de prêtres apostats, se précipitait avec fureur dans les
églises, pour détruire les chefs-d'oeuvre des arts... et
vomit des blasphèmes... » Ce qui redouble sa tristesse,
ce qui excite son indignation, c'est que le peuple
repousse les prêtres jureurs, il réclame des
insermentés, et cependant, dans ses visites des
paroisses, il n'a rien négligé pour développer les
vertus républicaines et inculquer la haine du
despotisme... « Ce sont les royalistes qui fomentent les
troubles ; il faut les repousser... Ne souffrez pas,
dans vos assemblées religieuses, l'alliage impur
d'hommes qui voudraient faire regretter le régime
exécrable de la royauté... Qui n'aime pas la République,
est un mauvais citoyen et conséquemment un mauvais
chrétien. » Michelet, qui admire le ferme caractère de
cet évêque, « resté seul libre à la Convention, pendant
la Terreur, dans sa robe violette, personne n'osant
s'asseoir près de lui », se trompe, lorsqu'il dit qu'il
partageait, avec les insermentés, ses ornements et ses
églises ; il était dur pour eux comme pour les prêtres
mariés. - Le 24 germinal, il écrivait à son conseil
épiscopal : « J'apprends que des apostats, des prêtres
mariés veulent rentrer dans le ministère ; j'espère que
vous ne les souffrirez pas... » Il écrit au curé de
Chederny : « Comment vont vos Pâques ? » Le curé répond
: « Cent paroissiens sur mille ont rempli leur devoir...
» L'église constitutionnelle est menacée dans son
existence, Grégoire le sait ; il faut lutter à la fois
contre les indifférents, les décadaires, les insermentés
; il fonde lu société de philosophie chrétienne.
15 avril. - Il en indique clairement le but : «
Combattre l'erreur par la science, publier des livres,
des brochures, des dissertations pour éclairer les
fidèles, les prémunir contre les assauts de l'impiété,
pour exalter les bienfaits de la Révolution et resserrer
les nœuds qui unissent l'amour de la religion à l'amour
de la patrie. » Il fut l'âme de cette société, qui
compta parmi ses membres résidents ou associés des
hommes de valeur, jurisconsultes, ingénieurs, militaires
et surtout des prêtres constitutionnels. « Un journal
religieux était un levier puissant pour soulever
l'opinion... Nous commençâmes la publication des Annales
de la religion... Ce journal, dont je fus l'un des
premiers et principaux rédacteurs, parut le samedi 1er
mai 1795... , écrit pour les contemporains ; il fournira
à l'histoire la connaissance exacte de l'Église
gallicane... Nous peindrons l'état de misère et
d'avilissement dans lequel, contre la foi des engagemens
les plus solennels, on a précipité des hommes qui n'ont
jamais cessé d'être utiles... » Imprimé d'abord chez
Leclère, puis, à partir du 1er aout, à la Librairie
chrétienne, fondée par Grégoire. et ses amis, ce journal
hebdomadaire comprend 400 numéros réunis en 18 volumes.
C'est là qu'il faut étudier l'histoire de cette Eglise
constitutionnelle, dont un historien de la Révolution
caractérise, en ces termes, le rôle aveugle : « Les
innocents de l'Église constitutionnelle, dit M. Quinet,
tels que Grégoire, ne travaillent jour et nuit que pour
leurs ennemis, acharnés, implacables, les insermentés et
les réfractaires, et ils ne s'en aperçoivent pas... ;
ils rédigent des encycliques... , ils en appellent au
Pape, qui les tient au bout de sa chaine... A un signe
du Pape tombent et s'évanouissent pour jamais ces
fantasmagories d'Église constitutionnelle, libérale,
républicaine, révolutionnaire... , faux évêques, faux
synodes, faux conciles, fausses encycliques... Le peuple
ne les connaît plus... L'abbé Grégoire ouvre la porte à
M. de Maistre ; il dépose, comme témoin, dans son
vandalisme, contre une révolution à laquelle il s'est
voué. »
15 avril. - Il reçoit une adresse de félicitation des
citoyens de la Réole ; 116 républicains ont signé ;
entre autres, Jean Jaubert, bon Çanculotte (sic).
23 avril. - Grégoire a la parole pour une motion d'ordre
: il propose à l'Assemblée de faire une déclaration du
droit des gens et il lit un projet en 21 articles. On
décrète l'impression ; mais le lendemain, Merlin de
Douai, au nom du comité de salut public, démontre les
conséquences d'une pareille déclaration répandue en
Europe. Il rend hommage, d'ailleurs, aux intentions qui
ont dicté le projet ; « elles sont pures, comme l'âme de
leur auteur ». Satisfait de cet éloge, Grégoire retire
sa motion ; « il n'usera pas de la liberté de la presse
pour la publier ». L'année précédente, il avait proposé
de placer en tête du titre des rapports de la République
avec les nations étrangères, une série d'articles
formant une sorte de déclaration du droit des gens. Ce
beau rêve, comme il l'appelait, fut classé, avec raison,
parmi les utopies philanthropiques.
30 avril. - Dans une nouvelle lettre à son conseil
épiscopal, il insiste sur la nécessité d'exclure les
pasteurs dont les crimes ou les impiétés publiques ont
scandalisé les fidèles ; il faut une pénitence publique,
conforme à l'esprit et aux règles de la primitive
Église... « Plutôt laisser une paroisse sans curé que
lui en donner un mauvais.»
31 avril. - Sous la présidence du citoyen Lalande, la
Société libre des sciences, lettres et arts de Paris
admet Henry Grégoire au nombre de ses membres résidents
(section des lettres).
4 prairial. - Les révolutions des 9 thermidor et 12
germinal ont reçu, aujourd'hui, leur complément, dit
Fréron, qui voudrait détruire l'Hôtel de ville, « ce
Louvre du tyran Robespierre » Grégoire réclame une
répression énergique contre les assassins, les voleurs,
qui, après avoir égorgé la Convention, voulaient le
pillage des sections de Paris. « En révolution, frapper
vite et frapper fort est un moyen de salut...
Rappelez-vous le moment, où les poignards étaient levés
sur vous... A cette tribune, je vois encore le sang de
notre collègue..., des émigrés, des membres des
commissions populaires... se sont mêlés aux factieux ;
je demande qu'à l'instant on exécute le décret. » On
applaudit.
25 juin (7 messidor). - Au nom des comités de marine,
des finances, de l'instruction, il propose
l'établissement d'un bureau des longitudes. Il en fait
parfaitement ressortir l'utilité pour la marine ; le
passé lui fournit des considérations du plus haut
intérêt. Il y a beaucoup d'érudition ; la passion
politique en diminue la valeur. « La royauté avait tout
souillé, la République purifiera tout. » Le projet est
adopté, il comprend 16 articles. « Dans une Histoire de
l'astronomie, Lalande imprima que Lakanal avait établi
le bureau des longitudes ; j'en ai ri et le nom de
Lalande dispense de toutes réflexions. »
4 juillet (16 messidor) La constitution de 1793 tombe
avec la Terreur ; Grégoire prend une part active à la
discussion du nouveau pacte constitutionnel, qui la
remplace, le 22 aoüt 1795. Il veut que la liberté de la
presse soit illimitée ; les abus seront réprimés par les
lois. « N'oubliez jamais, citoyens, que c'est la liberté
de la presse qui nous a acquis la liberté. » La Montagne
proteste, elle veut enchainer la presse renaissante ;
Pastoret, comme Grégoire, ne conçoit pas « qu'un pays
soit libre, quand la pensée ou la parole ne le sont pas
; quand il y a des pensées sujettes et une pensée
souveraine » . Au Conseil des Cinq-Cents, Portalis, dans
un rapport remarquable (26 germ. an V), établira les
notions fondamentales que la loi doit consacrer sur la
liberté et sur les délits de la presse.
11 juillet. - On discute le titre II, l'état politique
des citoyens. Grégoire demande que les jeunes hommes de
16 à 18 ans soient, comme en quelques cantons de la
Suisse, admis dans les assemblées primaires. « A 16 ans,
un homme est en état de défendre la patrie, pourquoi lui
refuser le droit de vote ? A 21 ans, il peut être père
de famille..., c'est une garantie de sa moralité et de
sa conduite. »
13 juillet (25 messidor). - Au nom du comité
d'instruction, Grégoire a la parole : « Citoyens,
dit-il, demain est l'anniversaire du 14 juillet...,
souvenir cher à vos coeurs..., bientôt, le 10 août, qui
vit écrouler le trône ; le 9 thermidor, qui renversa les
40,000 bastilles, dont un nouveau tyran avait couvert la
France, et le 3 octobre, où nous rendions des honneurs
funèbres à ces 22 représentants du peuple, à ces
généreux patriotes assassinés par ceux qui organisaient
les révoltes des 31 mai, 12 germinal et 1er prairial. »
Le plan qu'il propose est simple, peu coûteux : « le 26
messidor, anniversaire du 14 juillet, à 10 heures
précises du matin, les représentants en costume se
rendront au lieu ordinaire des séances, l'Institut
national de musique exécutera une symphonie suivie d'un
chant républicain et, de suite, la Convention continuera
de discuter la Constitution. »
21 juillet.- Le titre IV concerne les assemblées
électorales ; Grégoire s'élève contre les fraudes, il
veut « que le peuple soit mis en garde contre les
corrupteurs ».
22 juillet (4 thermidor). - En réponse à une lettre de
l'agent national de Dieuze, du 27 messidor, Grégoire, au
nom du comité d'instruction, autorise le district à
conserver les livres que le directoire de Sarreguemines
lui réclame. La copie de cette lettre est au folio Ill
du 1er registre de la municipalité.
27 juillet (9 thermidor). - Courtois a fait le tableau
de la France sous Robespierre ; on chante l'hymne de
Chénier : « Salut, neuf thermidor, jour de délivrance !
» (Moniteur 1795, n° 315.) Grégoire annonce que le
comité s'occupe d'un rapport sur la fêle du 10 août ; «
elle ne sera pas concentrée dans le lieu de vos séances,
il faut qu'elle soit publique, afin d'en imposer aux
royalistes, qui lèvent la tête... L'histoire des rois
est le martyrologe de la nation, et les Français, après
avoir écrasé leurs ennemis du dehors, prouveront qu'ils
sont prêts à écraser ceux du dedans. » On applaudit.
2 septembre (18 fructidor). - Un décret de l'an lI a
interdit le cumul. « Pourquoi, dit Grégoire, un maximum
de traitement ?... » et il fait adopter le décret
ci-après : « Les savans et gens de lettres et artistes
qui rempliront plusieurs fonctions relatives à
l'instruction publique, pourront en cumuler les
traitemens. » Ce décret autorisait les gens de lettres a
cumuler des traitements jusqu'à concurrence de 1,200 fr.
« Le vénérable Pingré fut des premiers à jouir de cet
acte de justice (21).»
20 fructidor.- Au nom du comité d'instruction, il
présente un rapport sur le costume des deux conseils
législatifs et de tous les fonctionnaires publics.
L'exposé des motifs est curieux ; on y reconnaît le
prêtre, qui n'a pas oublié la pompe des cérémonies
sacrées. « En adoptant un costume..., vous rentrerez
dans l'usage de presque tous les peuples civilisés... La
suppression des ordres... entraîna la suppression des
costumes, mais l'Assemblée eut tort de n'en pas
substituer d'autres... Dès lors s'affaiblit la dignité
de nos séances... , le mal empira jusqu'à l'époque où
les tyrans qui opprimaient la Convention, mirent presque
la propreté, la décence, au rang des crimes
contre-révolutionnaires et se firent un mérite
d'afficher jusque dans leur costume le mépris de la
pudeur... Ils ont épuisé l'immense série des crimes, des
vices, des sottises... Le costume commande au
fonctionnaire le travail, l'humanité, l'intégrité... ;
il dit aux citoyens : Voilà l'homme de la loi !. ..
L'adoption d'un costume préparera peut-être un heureux
changement dans celui des citoyens ...» On vote
l'impression du rapport ; le 25 octobre seulement,
Baissier présente un projet : « Veste et culotte
blanches, habit gros bleu croisant sur la poitrine,
manteau écarlate, descendant jusqu'au genou. » On se
récrie, c'est un habit de Jacobin... Chénier fait
l'éloge de la forme proposée par Grégoire ; c'est la
plus belle et la plus commode ; elle est adoptée.
16 vendémiaire an IV. Grégoire demande que les comités
examinent la question de savoir s'il est convenable que
le Corps législatif s'assemble à Paris. Le renvoi est
décrété.
1796. 20 octobre (4 brumaire). - La Convention se sépare
; il faut lire les jugements sévères que Grégoire
consigne dans ses Mémoires (t. I, p. 423 à 428) : «
Divisée en factions qui, tour à tour, s'envoyaient à
l'échafaud..., elle contenait deux ou trois cents
individus qu'il fallait bien n'appeler que scélérats,
puisque la langue n'offre pas d'épithètes plus
énergiques... Les impiétés, les injustices, les
assassinats dérisoirement juridiques commis sous son
règne, sont la source de tous nos maux... La majorité se
composait d'hommes féroces, surtout d'hommes lâches... ;
elle renfermait des hommes hideux, que l'enfer semblait
avoir vomis, comme indignes de ce séjour d'horreur.» La
Constitution de l'an IV, promulguée le 1er vendémiaire
an IV, partageait l'unité du Corps législatif en deux
branches : le Conseil des Anciens composé de 250
membres, le Conseil des Jeunes, appelé le Conseil des
Cinq-Cents. Le Conseil des Jeunes propose les lois, le
Conseil des Anciens les approuve ou les rejette.
Grégoire est élu membre des Cinq-Cents ; « les deux
conseils prètent le serment de haine, haine éternelle a
la royauté. »
14 décembre (23 frimaire). - Grégoire appelle
l'attention du Conseil sur les bibliothèques... La
France possède plus de six millions de volumes ; Paris
en a plus de seize cent mille ; « il faut distribuer ces
richesses nationales de manière qu'elles soient utiles
et qu'elles ne se dégradent pas. »
12 janvier 1796 (22 nivôse an IV). - Grégoire est nommé
membre de l'Institut dans la classe des sciences morales
et politiques.
31 janvier 1796 (11 pluviôse). - Il fait un rapport sur
le changement du sceau de la République ; il établit
l'utilité du sceau. « Le blason ne peut plus servir que
pour l'histoire, il faut tout républicaniser ; il
convient surtout que notre sceau représente l'emblème de
la République... On a proposé trois modèles, ils sont
exposés dans la salle, le Conseil choisira. »
L'impression du rapport est ordonnée, le vote ajourné. (Monit.
1796, n° 136.)
9 ventôse. - La loi du 3 brumaire a fondé l'Institut,
qui comprend membres répartis en trois classes. Elle a
réalisé un projet inexécuté de Colbert, qui voulait, à
la bibliothèque du roi, réunir, à chacun des jours de la
semaine, les hommes les plus éminents dans les sciences
et les lettres. Grégoire, en l'absence de Sieyès,
préside une séance générale des trois classes. Il s'agit
de fixer le règlement intérieur de la compagnie et le
mode des élections. Naigeon « débite un discours, dans
lequel il invite les géomètres et les chimistes à
prouver que Dieu n'existe pas... Je ne lui ôtai pas la
parole, afin de ne pas fournir le prétexte de crier à
l'intolérance contre un évêque... Je crus que le parti
le mieux calculé était de laisser l'assemblée faire
justice de cette incartade. L'événement justifia ma
présomption (22).»
1796 (an IV). 29 février. - Grégoire aurait voulu
visiter son diocèse ; il manquait d'argent ; l'un de ses
vicaires, Boucher, et les marguilliers de la cathédrale
lui offrent de subvenir à ses dépenses ; il refuse. On
craignait sa fougue révolutionnaire ; le 26 septembre,
il écrit au vicaire épiscopal Dupont : « J'ai mon
congé... je me réjouis d'arriver au milieu de vous et,
en dépit de toute la vermine royaliste, je parlerai
république, j'en parlerai hautement, souvent,
intrépidement. » En effet, du 1er octobre au 21
décembre, il parcourt son diocèse, il recommande
l'instruction chrétienne dans les écoles et dans les
églises... Il a rendu un compte détaillé de cette
visite, dans une réunion des évêques à Paris ; nous
verrons tout à l'heure que ses efforts n'eurent d'autres
résultats que de précipiter la ruine de son Église
constitutionnelle.
1797. 15 juillet. - Grégoire se rend en Lorraine, il
visite sa vieille mère au presbytère d'Emberménil et la
tombe de son père à Vého (23). «A la demande de Maudru,
évêque des Vosges, il porte la parole, le 26 juillet,
dans la respectable réunion du synode convoqué à
Saint-Dié pour réorganiser le culte divin et mettre en
vigueur la
discipline. »
1797 (an IV). 15 août (28 thermidor). - Au jour de l'
Assomption, un concile se réunit à Notre-Dame ; il
s'agit de rétablir le culte, la discipline, de
réorganiser les diocèses, la plupart privés d'évêques ;
la tentative était hardie : « Sous les yeux d'un pouvoir
ennemi, plus de cent évêques ou prêtres se trouvèrent
assemblés ; ils étaient encore couverts des cicatrices
de la persécution et des lambeaux de l'indigence, mais
animés de l'esprit de Dieu, ils apportaient ici piété,
courage, lumières et patriotisme. » Ce serait une grave
erreur, écrit-il dans ses Mémoires, de croire que le
décret sur la liberté des cultes nous eût rendu la
liberté d'exercer le nôtre... Desbos, évêque d'Amiens,
sortait des cachots, où, pour l'humilier davantage, on
l'avait confondu avec des prostituées. - Ce concile par
ses acclamations et ses canons déclare que l'Église
gallicane reste invariablement attachée à la doctrine
évangélique, à l'enseignement de l'Église Universelle...
Il adopte le règlement et le plan de travail proposés
par Grégoire, qui présente un traité sur la liturgie en
langue vulgaire, des rapports sur l'érection de nouveaux
sièges aux colonies, un résumé de ce que les évêques ont
fait en faveur de la religion, et une proposition pour
rendre commune à toute l'Église de France la fète du
rétablissement du culte, qu'il a instituée dans son
diocèse. Les non-conformistes convoqués refusent de se
présenter ; on ferme le concile par cette acclamation :
« Que Dieu les pénètre de l'esprit de paix ! »
Les fruits de ce concile furent amers pour l'évêque de
Blois ; il y eut contre lui un redoublement de haine ;
les philosophes le détestaient à cause de son dévouement
à la superstition ; les catholiques comme régicide et
schismatique... C'était un ambitieux, il aspirait à
devenir patriarche de l'Église de France ; la
proposition en avait été faite, Grégoire l'avait
combattue, il redoutait un nouveau schisme ; on se borna
à rendre à l'évêque de Lyon le titre de primat des
Gaules. - L'année suivante, il publia un recueil des
canons et décrets de ce concile et un compte rendu des
travaux des évêques réunis (in-8°, 84 pages). La
situation était déplorable, il est forcé de l'avouer : «
Harcelés, outragés, calomniés sans cesse par les
dissidens, les royalistes, les impies, les libertins,
tous ligués contre nous, nous eûmes encore à lutter
contre les préventions d'hommes bien intentionnés, mais
à vues étroites, à conceptions timides et fausses. »
Tous ses collègues ne partageaient pas ses opinions : «
Avons-nous le droit, lui écrit l'évêque de l'Ardèche,
d'exclure les prêtres mariés ? Nous nous sommes
affranchis d'une grande partie de l'ancienne discipline
respectée par nos pères, pouvons-nous exiger
impérieusement le maintien d'une autre partie ? » Son
ami, un ancien carme, Sermet, métropolitain de Toulouse,
déclare que sur cent catholiques, soixante ont tourné le
dos a l'Église constitutionnelle, et ceux-là ont tenu
bon dans la foi ; sur les quarante autres, il faut
compter au moins vingt-cinq apostats..., les
anti-constitutionnels seuls font foule..., ils ont de
l'argent en abondance..., les abjurations vont grand
train, à la ville, à la campagne surtout. .. ; plus on
s'aigrira contre le pape, plus il gagnera de terrain ;
piano, piano, Rome ne meurt jamais! » Rien cependant ne
saurait arrêter l'évêque de Blois ; il réunit, à
Bourges, un concile provincial ; il faut rétablir le
culte dans ce diocèse et dans ceux de Guéret et de
Moulins. On y proclame un hommage solennel à la
révélation, on y prononce anathème à la
théophilantropie. - En 1803, Grégoire écrivait : «
Théophilantropie, décadis, fêtes décadaires et toutes
ces pantalonnades inventées par la haine, soutenues par
les lois, le Gouvernement et la persécution ; tout cela
n'existe plus que dans l'histoire, à laquelle j'adresse
le récit de ces folies scandaleuses... » En 1697, on
avait érigé le diocèse de Blois, pour combattre
l'hérésie sur les bords de la Loire ; Grégoire institua
une fête séculaire de cette fondation, afin de retracer
des souvenirs chrétiens et de stimuler la ferveur des
fidèles. « La fête fut célébrée, dit-il, d'une manière
attendrissante » ; je n'ai rien trouvé à l'appui de
cette assertion, mais sa dissertation est fort
remarquable (in-8°, 36 p.). II a compulsé « les auteurs
du pays et du voisinage, il y a trouvé une foule de
témoignages propres à fixer les idées sur les
contestations qui divisent les deux clergés ». Il y
accuse son prédécesseur de l'avoir, dans ses lettres
pastorales, dépeint sous les couleurs les plus noires,
tandis que lui-même, en chaire et dans ses écrits, il a
pris sa défense « en tous les points où il pouvait le
faire et préconisé en lui des vertus et des talens ».
A la suite du concile, il fait rouler une circulaire
sons le titre d'Observations sur les calomniateurs et
les persécuteurs en matière religieuse (in-8°, Paris,
chez Dubois, rue Saint-Jacques, et tous les marchands de
nouveauté). C'est un acte d'accusation contre les
dévastateurs des églises, une histoire de la
persécution, une réponse aux attaques de Réal, dans le
Journal des Patriotes. De concert avec les évêques
restés à Paris, il publie deux encycliques pour exclure
du ministère les prêtres apostats, mariés. traditeurs
des livres saints, de leurs titres de prêtrise. - « La
misère de la plupart des évêques les empêchant de faire
imprimer des lettres pastorales, ils adoptaient les
nôtres, toutes rédigées par moi et publiées à frais
communs. »
15 décembre (25 frimaire). - Les administrateurs de la
Sarthe écrivent à Rebwel : « Les prêtres recommencent à
distribuer leurs poignards et leurs poisons, avec
l'audace du crime et l'impudence du succès ; leur chef
est Grégoire qui, avec d'autres évêques, désigne aux
poignards des fanatiques les autorités et les
fonctionnaires...» - « Les misérables qui mentaient
sciemment, répond Grégoire, ne se doutaient pas que je
révélerais leurs turpitudes,... en leur pardonnant de
tout rnon cœur ; je veux cependant que justice se fasse
et j'imprime la flétrissure sur le front de MM. les
commissaires du directoire exécutif... Noms illustres,
je vous adresse à l'histoire où est votre poteau. »
18 fructidor. - A la séance du soir, le Conseil arrête
définitivement la liste de déportation ; 800 prêtres
sont déportés à la Guyane, 1,200 internés à Oléron ; on
les traque, on les fusille à Lyon, à Marseille, à Nancy
; ... Grégoire cherche vainement à faire rayer de la
liste des proscrits le nom de Siméon, successivement
professeur de droit a Aix, membre du Tribunat, comte de
l'Empire et ministre de la justice, sous la
Restauration.
1797 (an VI.) 4 vend. - Le Conseil adopte le projet de
Grégoire sur le costume des représentants.
27 vend. - Il publie une notice sur son voyage des
Vosges (in-8°, 12 p.). « Je vais vous promener seulement
sur quelques points... » Il a vu à Moyen-Moutier « un
manuscrit original des Mémoires du cardinal de Retz, qui
avait plus de talent pour bien écrire que pour écrire
lisiblement. .. Si quelques faits incohérens, quelques
réflexions superficielles ont pu vous amuser un moment
et vous inspirer le désir de voir les Vosges, mon but
est rempli ; une autre fois, je vous promènerai sur un
plus grand théâtre... Les montagnes appellent la
méditation, elles invitent l'homme à se replier sur
lui-même... »
7 nivôse. - L'administration de l'Allier accuse Grégoire
d'avoir « relevé les espérances du fanatisme et rallumé
ses torches ». L'évêque déclare qu'il n'a fait que
réclamer l'exécution de la loi, il invoque la liberté ;
il attaque aussi l'administration de Cambray, qui a
prescrit des mesures vexatoires. Une discussion s'élève
dans l'assemblée : Baraillon rend hommage au patriotisme
de Grégoire, mais il s'étonne « qu'il corresponde d'un
bout de la République à l'autre, comme évêque, tandis
qu'il ne devrait être que législateur ».
1798. 15 et 16 mai. - A la suite de deux rapports de
Grégoire, une résolution du Conseil des Cinq-Cents
décide que le Conservatoire des arts et métiers sera
installé dans l'ancien prieuré de
Saint-Martin-des-Champs. On y réunit les machines,
outils, dessins et instruments disséminés dans trois
dépôts, au Louvre, à la rue de Charonne, à la rue de
l'Université.
7 therm. - Une loi ordonne aux autorités constituées et
aux écoles de chômer seulement les décadis et les jours
de fète ; Grégoire proteste inutilement : « ces pauvres
enfans furent condamnés à dévorer l'ennui pendant des
heures entières que durait la lecture des lois. »
15 août. - Le secrétaire de la Société libre
d'agriculture, arts et commerce des Ardennes lui
adresse, avec une lettre très flatteuse, un diplôme de
membre externe.
27 sept. - Il est nommé membre de la Société libre
d'agriculture de la Seine. Le règlement a 8 articles ;
la cotisation annuelle est de 72 fr., le jeton de
présence vaut 3 fr.
1799 (an VII). - Il publie dans les Annales de la
religion une lettre à l'archevêque de Burgos, grand
inquisiteur d'Espagne. « Cette lettre me valut trois ou
quatre volumes de réfutations et de diatribes. » Privé
depuis longtemps de son traitement d'évêque, il avait dù
« vendre à vil prix sa bibliothèque composée de livres,
dont plusieurs à peu près introuvables ». Il expose
lui-même les causes de sa pauvreté : il a fait de grands
sacrifices pour distribuer des écrits religieux dans son
diocèse, en France, à l'étranger. « Je soumis aux
évêques réunis le total des dépenses, on me trouva
créancier de quelques milliers de francs, dont j'ai fait
avec plaisir le sacrifice. La friponnerie des
remboursemens en papier fit une nouvelle brèche à ma
très modique fortune, dont les débris s'ensevelirent
sous une pile d'assignats, le naufrage fut complet...»
Il avait songé à cultiver un petit domaine affermé, mais
il fallait des avances, et sa santé altérée par la lutte
l'empêchait de se livrer au travail des champs... « Ce
qui ajoutait à mon chagrin, c'est qu'il fallait, pour ne
pas contrister la plus tendre des mères, lui dérober la
connaissance de ma détresse et lui procurer le superflu,
même en me privant du nécessaire...» L'épreuve fut
cruelle, il eut à se défendre contre les persécuteurs,
qui croyaient avoir trouvé l'occasion de l'écraser : «
Hérode et Pilate se donnaient la main... » Le ministre
de la justice, Duval, écrivait à Blois, pour s'informer
de ce qu'il faisait comme évêque... « Ma correspondance
avec mes coopérateurs ne fut jamais interrompue... Dans
une clandestinité forcée, ils avaient toujours, comme
leur évêque, exercé le culte. » On mettait les scellés
sur les presses des Annales de la religion... « A chaque
instant de nouveaux actes arbitraires » ; le Directoire,
qui n'eût jamais tenu les rênes sans le clergé
constitutionnel, était un peu honteux de sa conduite
envers l'évêque de Blois ; il fut question de lui
proposer une ambassade,... « mais, disait l'un des
directeurs, peutêtre voudra-t-il dire la messe ou y
assister ? Et moi, lui répondai-je, je ne te demande
rien,... mes sentimens religieux sont invariables. » Son
compatriote François de Neufchâteau, ministre de
l'intérieur, créa tout exprès pour lui une place de
conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal, avec un
traitement de 4,000 fr. Une des vertus les plus chéres à
son cœur, disait-il, c'est la reconnaissance ; aussi, il
légua à cette bibliothèque sa riche collection de livres
et de documents relatifs la traite et à l'esclavage des
nègres, plusieurs manuscrits, sa correspondance avec
Haïti (6309-6573), des suppléments au Bréviaire blésois
(2165-2167), un mandement sur le jeûne et l'abstinence
(2103) et surtout les deux manuscrits de ses Mémoires,
que j'ai consultés avec le plus vif intérêt (5290-5291).
11 nivôse. - Mort de la mère de Grégoire, à la cure d'Emberménil.
15 therm. - L'évêque de Blois fait un second voyage dans
les Vosges ; il y rétablit sa santé et rédige, jour par
jour, un manuscrit qu'il intitule : Promenade dans les
Vosges. Ce manuscrit , conservé à la bibliothèque de
Nancy (n° 532), comprend 8 feuilles de préliminaires et
126 feuilles de relation. Rien de plus curieux que ses
notices sur les chants populaires, les kyrioles, sur
Plombières, sur Gérardmer, sur la coiffure des femmes,
leur respect du lien conjugal, leur fécondité, leur
économie, le soin qu'elles apportent à la culture des
fleurs et des jardins. Il fait un bel éloge du père
Fourier, de Jameray Duval, de Dom Calmet, du pasteur
Oberlin ; il raconte des anecdotes sur le séjour de
Voltaire à Senones, sur les Dames de Remiremont. Il a
recueilli des renseignements sur la façon de faire les
fromages, le Kirswasser, la glu ; il y a des notes
souvent illisibles ou abrégées..., par exemple : «
Couvents..., Almanach des Vosges dit hermites venus, les
uns par oisiveté, alii par suite de libertinage et
débauches (p. 30)... Je demande preuves... Senones,
Voltaire ibi, avec Calmet, hypocrite, dévot, à
procession Fête-Dieu, a fait vers pour bas de son
portrait... hospitalité de moines, outragés par qui en
profitait. » A la suite de ce voyage, Grégoire reçut un
grand nombre de lettres : 18 vend. an VIII. Simon, curé
de Fougerolles, lui envoie une recette pour
confectionner la glu... Un pharmacien de Remiremont lui
adresse un traité sur les oiseaux du pays et sur la
manière dont on leur fait la chasse ; le chapitre
relatif à la pauvre petite mésange mérite d'être lu.
J'ai vu à la Bibliothèque nationale (n° 11422, f.
français) un manuscrit petit in-folio de 343 millim. sur
230, intitulé : « Observations sur l'état actuel de
l'instruction publique, des bibliothèques, des archives,
des monumens dans les départements de la Haute-Marne, de
la Saône, des Vosges, de la Meurthe », que Grégoire
remit à l'Institut. « J'arrive d'un voyage... J'ai porté
un œil observateur sur les murs, les usages, l'influence
de la Révolution sur l'agriculture, les manufactures,
les bibliothèques, les archives, les écoles... Il y a
dix. ans que chaque commune de ces départemens avait un
maître, souvent aussi une maitresse ; la méthode était
bonne, surtout dans les Vosges et la Meurthe... De
toutes parts on stimulait le zèle des parens ;
l'émulation de tout cela n'est plus, la persécution a
tout détruit, l'ignorance menace d'envahir la campagne,
les villes mêmes... On a beaucoup raisonné et même
déraisonné sur l'établissement des écoles et les écoles
sont encore à naitre... » Il trace un tableau fort
triste des écoles centrales : « l'ignorance continue à
détruire... Depuis trois ans, le Gouvernement a dépensé
certainement des millions pour persécuter les opinions,
tourmenter les citoyens, faire haïr la République ; avec
la moitié de ce qu'on a de cette sorte volé au peuple
pour lui faire du mal, on eût fait chérir la liberté,
activé l'industrie nationale et donné l'impulsion aux
sciences et aux arts. »
1799 (an VIII). 18 brum. - Le Conseil des Cinq-Cents est
brusquement dissous. Le journal rédigé par Grégoire (les
Annales de la religion) voit, dans ce coup d'État, un
espoir de salut pour la liberté religieuse.
1800 (30 janvier). - Grégoire écrit aux professeurs de
l'École centrale de Nancy : « Votre école est citée
parmi celles dont la composition et le succès sont des
plus éclatans. » Il sera heureux de les aider à obtenir
tout ce qui leur manque.
Il lit à l'Institut une « Apologie de Barthélemy de
Las-Casas. Le vénérable évêque de Chiappa n'a ni
introduit ni favorisé la traite des nègres.
2 sept. - Il préside à Blois un synode qu'il a convoqué,
dès le 20 juillet, par une circulaire de 8 pages in-8°.
« Il y invite les dissidens à se présenter, à quitter
leurs oratoires clandestins... On ne parlera de
politique que pour affirmer l'obéissance aux lois,
l'attachement au Gouvernement. » Cinquante
ecclésiastiques à peine répondent à son appel ; les
champions de la nouvelle Église gallicane, les prêtres
jureurs n'ont plus pour les soutenir les sociétés de
chasse (24), on les repousse partout, on accueille avec
faveur les insermentés, aucun ne se présente au synode.-
Grégoire irrité publie les actes du synode (4 vol. in-8°
de 94 pages), avec une violente réfutation des pamphlets
dirigés contre lui... « La fille qui, à Blois, joua le
rôle de la déesse Raison, signala sa conversion, en
recevant la bénédiction nuptiale de la main d'un prêtre
dissident, plus traitable que ces constitutionnels, qui
auraient certainement exigé une réparation publique du
scandale. »
15 sept. - Il assiste au concile métropolitain de
Bourges ; au retour, il adresse au premier Consul, qui
le lui avait demandé, un « mémoire sur la manière de
négocier avec la Cour de Rome, pour faire cesser les
troubles religieux de la France ». II établit la
situation, il oppose aux crimes de la Convention et du
Directoire, « la conduite sage et mesurée du général
Bonaparte, qui partout respectant le culte, veut, du
sein même de la religion faire sortir cette force morale
propre à consolider les républiques » ; il expose la
politique de la Cour romaine : « ses brefs séditieux sur
les affaires de France... Que les négociateurs se
tiennent en garde contre l'astuce et les prétentions de
Rome... Le pape ne fera rien sans les individus
influents du Sacré-Collège... Le levier qui ébranle la
France est à Rome ; les évêques émigrés dirigent le
mouvement. .. La France est placée entre deux écueils :
d'une part, les préventions de l'ambition aigrie, la
cupidité irritée ; de l'autre, la discorde religieuse,
qui agite la République... On exagère la puissance du
clergé dissident... Le Gouvernement doit encourager le
clergé assermenté ; le passé le prouve... Sous le
gouvernement monarchique, nos libertés furent défendues
d'une manière éclatante ; aurions-nous moins à espérer
du gouvernement de la République ? » Il résume en
quelques articles les mesures préliminaires ou
concomitantes des négociations ; ce document a été
imprimé in, extenso au sixième volume de l'Histoire des
sectes religieuses. A la même époque et dans le même
ordre d'idées, il rédige un « mémoire sur
l'établissement d'une commission consultative pour les
affaires de la religion ». Il appelle le passé au
conseil de l'avenir ; « la persécution religieuse a été
l'une des plaies les plus profondes qu'on ait faites à
la société... Quand il y a collision entre la religion
et l'Etat, celle-là y perd souvent, celui-ci y perd
toujours... la religion est une enclume sur laquelle
viendront éternellement frapper et se briser tous les
marteaux... L'expérience de quarante siècles atteste que
les points de contact entre la religion et l'Etat sont
la partie d'administration la plus délicate,... de là la
nécessité de créer une commission qui s'occuperait de
l'examen des rapports permanens et journaliers de la
religion avec l'État... Depuis Constantin jusqu'à nos
jours, on en trouve l'analogue chez presque toutes les
nations chrétiennes... Dans le siècle dernier, un
conseil de conscience existait même sous le régent.
Cette mesure ne produira que du bien, elle
n'occasionnera pas de dépenses, les frais de bureau
seront presque nuls ; un local, un secrétaire, quelques
livres faciles à trouver dans les dépôts. La commission
devra en outre s'occuper de l'instruction de la
jeunesse, une lacune de dix ans est un des dangers les
plus imminens qui puissent menacer la société. Elle se
composerait de dix membres choisis parmi les hommes de
loi, les magistrats, les ecclésiastiques... L'auteur de
ce mémoire invariablement attaché à la République n'a
pas le désir de se donner une importance politique, à
laquelle il n'aspire pas, ni la prétention de tracer des
règles à l'autorité gouvernante... faire le bien et le
bien faire, telle est sa devise et quand même le premier
Consul n'adopterait pas le projet, le motif qui l'a
dicté obtiendrait encore son approbation. » Dans un
diner chez Joseph Bonaparte, « l'aménité du maitre de la
maison me mit à portée de converser longtemps avec
Spina, un des agents de la Cour romaine venus à Paris...
Il désirait une entrevue avec moi..., des intermédiaires
furent chargés d'en provoquer une, entre autre, Savoye,
de Gérando (de l'Institut) et même Lalande, qui dans ses
ineptes et abominables brochures, distribue des brevets
d'athéisme. Si M. Spina désire me voir, répondit
Grégoire, il peut venir... L'entrevue eut lieu... Spina
sortit, je pense, plus pénétré d'estime que d'amitié.
Les gazettes m'envoyaient en ambassade à Rome, une foule
de gens sollicitaient des places dans ma légation, elles
me décoraient du cardinalat, qui n'est qu'une
superfétation étrangère à la hiérarchie et surtout
inconnue de la primitive Église (25). »
1801 (an IX). 28 vend.- Le ministre de l'intérieur nomme
le citoyen Grégoire membre du Conseil du Conservatoire
des arts et métiers.
25 frim. - Il reçoit un diplôme de membre associé
correspondant du lycée des sciences et arts de
Marseille.
27 niv. - On lui adresse le diplôme d'associé
correspondant de la Société libre d'agriculture des
Pyrénées-Orientales.
31mars. - La situation de son diocèse est déplorable ;
les vicaires généraux de l'évêque de Thémines ont publié
un mandement ; son vicaire Boucher est mort, Dupont
s'est rétracté, il y a plus de soixante prêtres
insermentés dans la seule ville de Blois, il ne reste
pas quatre-vingts prêtres constitutionnels.
29 juin (10 mess.).- Au jour de la fête de Saint-Pierre,
en l'église métropolitaine de Paris, l'évêque de Blois
prononce le discours d'ouverture du deuxième concile
national : il signale les efforts tentés depuis le
premier concile pour rétablir le culte ; il voudrait
inscrire sur le frontispice du siècle qui vient de
s'ouvrir : accroissement de la foi, régénération des
murs, union des cœurs ; il insiste sur l'utilité, la
nécessité des conciles et des synodes, il fait une revue
rétrospective des concordats, il flétrit les tentatives
impies pour substituer le décadi au dimanche, il
déplore, avec amertume, la lâcheté, la mauvaise foi des
dissidents, qui refusent de prendre part à des
conférences sur les points controversés ; un
gouvernement sage accueillera ses efforts ; ... dans un
État républicain, la religion doit être l'indispensable
supplément de la loi,... seule la religion avait créé,
en France, une multitude d'établissements ouverts à
l’instruction et d'hôpitaux ouverts au malheur... « Nous
défendrons avec la même intrépidité les prérogatives du
Saint-Siège et les libertés de l'Église gallicane. » Sa
péroraison est chrétienne : « Que le Dieu de paix et de
charité répande ses dons sur vous et sur vos pasteurs !
fidèles à notre vocation, marchons courageusement vers
la montagne d'Horeb, vers cette terre promise éclairée
par les splendeurs des jours éternels, où la fin du
voyage sera le commencement du bonheur ! . »
Des considérations politiques abrégèrent la durée de ce
concile, à la suite duquel Grégoire fit imprimer un
programme de conférences publiques sur le schisme de
France (1 vol. in-8°) et aussi un mémoire, que lui avait
demandé Joseph Bonaparte, sur les moyens de réunir
l'Église grecque schismatique au centre de la
catholicité. Évidemment Grégoire espérait que le premier
Consul ferait triompher l'Église constitutionnelle : «
Rien n'était plus facile que de maintenir en place ce
clergé constitutionnel, ami de la paix, composé
d'évêques et de prêtres triés par la persécution (26). »
A Auteuil, chez la veuve d'Helvétius, Bonaparte lui
avait témoigné une confiance et des sentiments auxquels
il était fort sensible : « Sur son invitation, plusieurs
fois je m'étais rendu à la Malmaison ; dans nos
conversations prolongées, au milieu des bosquets, nous
avions longuement discuté les moyens de pacifier
l'Église de France.» Aux mémoires, dont j'ai parlé déjà,
il faut ajouter des rapports et des notes, qui prouvent
qu'il avait sérieusement étudié la question : « De
l'État du clergé constitutionnel. - De l'Esprit
religieux en France. - De l'Élection des pasteurs par le
clergé et le peuple. - Du Droit des métropolitains pour
instituer les évêques. » Le premier Consul admirait
l'intelligence de Grégoire, son courage, sa lutte contre
l'impiété, mais il redoutait l'opiniâtreté de ses idées
; il craignit le retour des anciennes querelles, aussi
confia-t-il à l'abbé Bernier la mission de négocier avec
Spina et le cardinal Conzalvi le Concordat de l'an IX,
qui fut signé le 15 juillet 1801. Une nouvelle
circonscription des diocèses fut faite, de concert avec
le Saint-Siège ; le pape demanda aux évêques anciens et
nouveaux de donner leur démission.
16 vendém. an X. - Surpris et attristé, Grégoire, dans
une lettre, à Mme Dubois, attaque Paris : « Cette ville
sale, puante, malsaine ; ces inconvéniens ne sont rien
comparativement a ceux qui résultent de l'accumulation
de toutes les folies, de tous les vices, de tous les
crimes. » Il se console de tout le mal qu'il a éprouvé,
en retour du bien qu'il a tenté de faire,.. heureusement
il va sortir de cette tourmente, il sera plus heureux
dans sa retraite... « Gardez toutes ces confidences pour
vous, soignez votre santé, ayez confiance en Dieu, vous
avez quelquefois j'ai presque dit souvent des
impatiences, qui ne sont pas chrétiennes. Salut, respect
et attachement. Grégoire, év. de Blois et bientôt évêque
tout court. » En effet, son rôle dans l'Église
constitutionnelle, sa haine contre la royauté
l'exclurent de l'épiscopat, où douze de ses collègues
furent admis. Il envoie sa démission à l'évêque de
Bourges, son métropolitain, et non pas au pape. Puisse
cette démarche, lui écrit-il, donner lieu au choix d'un
pontife qui fasse le bonheur de mes diocésains... qui
réunisse tous les cours dans les liens de la charité
!... Il se désiste volontairement, librement,
spontanément de tout droit et juridiction, mais il
persiste invariablement dans les principes qu'il a
toujours professés. Sa lettre pastorale est empreinte,
au début surtout, d'un sentiment d'amertume et de dépit
: « Je ne vous connaissais pas, vous vîntes m'arracher
au repos,... aux auteurs de mes jours,... à la contrée
où j'ai pris naissance, où sont les tombeaux de mes
ancêtres... » Il retrace les difficultés qu'il a
rencontrées ; il en accuse « la faiblesse, la lâcheté,
la versatilité de la plupart des hommes... Combien j'en
pourrais citer dont le caractère aussi variable que les
nuages agités par les vents, aussi mobile que
l'empreinte tracée sur le sable avaient des masques
adaptés à toutes les phases de la Révolution ! » Le
clergé n'est pas épargné. « Retracerai-je la conduite de
ces turbulens, que j'ai peints dans une foule d'écrits ?
Menaces, mensonges, calomnies, lettres anonymes,
libelles, tels furent leurs moyens... » Il flétrit ces
prêtres rétractés et apostats, qui passèrent des tentes
d'Israël sous les tentes des Philistins. Il rappelle ce
qu'il a fait comme évêque et comme homme politique, il
explique sa nomination à la Convention, qui laissa
passer aux mains du crime, le sceptre du pouvoir. Ce qui
le console, c'est qu'il a été aimé des bons et honoré de
la haine des méchants. Il fait allusion à l'époque où il
a connu l'indigence, « que vous avez ignorée ou feint
d'ignorer » . Mieux inspiré, il trouve en finissant des
paroles émues et chrétiennes : « Puissiez-vous,
bien-aimés coopérateurs, dans l'exercice d'un ministère
désormais plus paisible, goûter les consolations les
plus douces !... Quelles soient, en attendant les
récompenses éternelles, un dédommagement pour tout ce
que vous avez souffert pour Jésus-Christ ! En offrant
l'auguste sacrifice, rappelez-vous de celui.... qui fut
votre évêque,... qui se souviendra toujours de vous avec
l'émotion de l'estime et de l'amitié, recevez mes
tendres embrassemens et mes adieux. Et vous, mes
diocésains, entendez, pour la dernière fois, les
exhortations de celui qui, par votre choix et sur vos
instances, devenu votre évêque, fut en cette qualité
consacré et institué légitimement... Soyez fidèles aux
vérités saintes... Soyez bons, justes, charitables,
chastes... Respectez vos pasteurs et les dépositaires de
l'autorité... Veillez sur l'éducation de vos enfans...
Nous nous retrouverons dans l'éternité... Pour rendre
compte, moi de mon ministère, vous du bon usage ou de
l'abus que vous en aurez fait... Que le Dieu de
miséricorde reçoive dans son sein les pasteurs et les
ouailles... Paix à l'Église, paix au peuple des villes
et des campagnes, de la part de Dieu Père de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il ! » Sa
démission fut accueillie avec indifférence, il réclama
une partie des registres et des actes de son épiscopat
et il fit insérer, dans son journal, une prière ou
plutôt une défense aux curés de correspondre avec lui.
Il publia, en 3 volumes in-8°, les actes du deuxième
concile national.
3 frim. - Président du Corps législatif, orateur de la
députation envoyée au Gouvernement, il rend en fort bons
termes, un juste hommage aux consuls : « Le tableau de
la situation intérieure et extérieure de la République a
inspiré au Corps législatif le plus vif intérêt et les
plus douces espérances... La paix, qui fut toujours
l'objet de nos désirs, arrive sur les ailes de la
victoire... Échappée aux orages, qui ont assiégé son
berceau, aux malheurs qui ont tourmenté son enfance ..,
la République, tranquille au dedans, respectée au
dehors,... fait son entrée solennelle dans l'univers et
s'assied majestueusement au rang des premières
puissances... Treize ans de révolutions ne sont donc pas
perdus pour les amis de la liberté ! Puissent-ils
désormais oublier les erreurs et les torts de quelques
frères égarés !... Aux fureurs de la Ligue, aux délires
de la Fronde succéda un siècle illustré par les monumens
du génie... Retrempé au milieu des tempêtes
révolutionnaires, le caractère national va développer
son énergie et s'élancer vers tout ce qui est utile et
juste... Les arts consolateurs... s'élèveront aux
conceptions les plus hardies... L'histoire classera les
matériaux accumulés autour d'elle et remplira la tâche
immense que le premier Magistrat lui a imposée...
L'industrie et l'agriculture vivifieront toutes les
parties du corps social. La sagesse et le courage du
Gouvernement ont amené cet ordre de choses : recevez,
citoyens consuls, les félicitations du Corps
législatif... Pénétré de la dignité et de l'importance
de ses fonctions, il s'empressera de seconder les vues
du Gouvernement pour conduire la République au plus haut
degré de félicité... La confiance et l'amour du peuple
seront la plus douce récompense des dépositaires de
l'autorité. »
5 frim. - Notre plus belle colonie, Saint-Domingue, est
en révolte ; Bonaparte réunit des conseillers, des
membres des Corps législatifs pour conférer sur les
mesures à prendre ; la plupart réclament une énergique
répression, seul Grégoire plaide la cause des nègres : «
Vous êtes incorrigible », lui dit le futur empereur. Par
211 voix contre 65 l'esclavage est rétabli. A la prière
de l'évêque de Blois, Mauviel, sacré évêque de
Saint-Domingue, était parti sous les auspices du premier
Consul ; Toussaint-Louverture refusa de le recevoir. Il
faut lire dans les Mémoires (t. Ier, 289 à 300), un
résumé de tout ce que Grégoire a dit, a écrit et a fait
en faveur des colonies.
1801 (an X). 8 frim. Grégoire est élu membre du Sénat au
lieu et place du citoyen Crassous. Sa candidature a été
fort discutée, il a échoué, le 9 et le 21 ventôse an IX.
M. Carnot prétend que Bonaparte en est cause, l'évêque
est plus juste : « Mon caractère épiscopal et ma
conduite religieuse étaient mis en avant pour me
repousser. » A la veille de l'élection, il avait adressé
au président une lettre très digne : « Il importe à ma
conscience, à ma délicatesse, à mon honneur, à mon repos
qu'elle vous soit remise avant la séance du vote. » Il y
affirme l'invariabilité de ses principes religieux, sa
résolution d'y joindre comme ecclésiastique, les actes
extérieurs, qu'il considère comme des devoirs ; il sait
souffrir, il ne sait pas s'avilir, il gardera jusqu'à
son dernier soupir sa fierté et son indépendance. « A ma
grande surprise, je fus élu sénateur, par le concert
généreux des patriotes ; Clément de Ris, malade, se fit
porter à la séance... L'amitié reconnaissante n'oublie
jamais un trait de ce genre (27). Le traitement de
sénateur varia de 24,000 à 36,000 fr.
25 frirn. - Il est nommé membre de l'Institut de
jurisprudence et d'économie politique.
15 pluv. - La Société académique des sciences, dont les
séances sont fixées, à 7 heures du soir, au Louvre, Je
primidi de chaque décade, l'admet au nombre de ses
membres.
8 germ. - L'évêque de Metz écrit « à son très honoré
collègue et très cher ami » pour se plaindre de la
mauvaise conduite des prêtres rentrés... « Leur
soumission n'est que jésuitique. »
22 floréal. - Le curé du Tholy le prie « de lui faire
obtenir la grâce de conserver, comme vicaire, un de ses
amis, qui a 57 ans et qui a professé, pendant 14 ans, à
l'école militaire de Pont-à-Mousson. »
9 prairial. - Il reçoit un diplôme de membre associé de
la Société de l'Afrique intérieure et de découvertes,
dont le siège est à Marseille.
18 prair. - Grégoire adresse à « son révérendissime
confrère », M. Osmond, évêque de Nancy, une lettre
confidentielle, à laquelle il donnera, s'il le faut, la
publicité la plus éclatante. Il chérit la paix et la
religion, mais il déteste les abus et il ne craint pas
le combat. Il expose ses motifs d'inquiétude et il
formule ses plaintes. Il a, sous les yeux, une lettre
dans laquelle l'évêque exige des rétractations... Il
aurait pu la dénoncer an ministre de la police générale,
il s'est contenté de signaler au premier Consul, ces
jongleries scandaleuses et ridicules... L'époque n'est
pas éloignée peut-être où éclatera sa juste
indignation... Si les ennemis de la paix religieuse
tentent encore d'agiter les esprits, « à l'instant, je
taille ma plume et je rentre dans la carrière politique...
Si consurgat adversus me proelium, in hoc ego sperabo... »
Après une attaque contre l'ultramontanisme et des
menaces, il prend Dieu à témoin que « dans tout ce qu'il
a dit, il n'a pas la moindre intention de choquer ni
d'affliger le révérendissime évêque ; il voudrait même
concourir à rallier autour de lui l'affection de son
vaste diocèse. Il fait l'éloge de la piété, des murs,
des lumières du clergé, il vante le mérite des préfets
de la Meurthe, de la Meuse et des Vosges, il rappelle le
bien opéré par les évêques Maudru et Nicolas et il
termine par ces mots : « J'ose croire que cette
franchise mérite de votre part une réponse animée du
même esprit et que bientôt elle m'arrivera, les
événemens prochains diront si je me suis trompé. Salut
et respect. » L'évêque de Nancy ne répondit pas, « soit
par manque de bonnes raisons, dit Grégoire, soit par
défaut d'honnêteté, ou par ce double motif ».
A la même époque, il écrit au P. Collin, son successeur
à la cure d'Emberménil : « Si un Dosmond ou tout autre
avait l'insolence de vous parler de rétractation,
annoncez-lui que vous allez dénoncer ce fait au ministre
de la police générale, et dites que c'est moi qui vous
ai donné ce conseil ; en même temps, vous me préviendrez
pour que j'en parle au ministre... les réfractaires sont
enragés, parce qu'ils voient leur cause perdue...
Publiez ma lettre sur les toits. Vous aurez vu dans les
Annales un morceau de ma façon sur cet objet (28) ... »
26 messidor. - Voyage en Angleterre. « J’ai toujours
aimé les voyages à l'étranger, dit-il en ses Mémoires,
peut-être en publierai-je des fragmens. » ll a laissé
des manuscrits, des notes, des lettres, que l'on
consulte avec intérêt : il écrit, de Londres à Mme
Dubois : « Bonne et respectable mère, aujourd'hui, je
reçois enfin vos deux lettres des 8 et 16 messidor ; il
était temps qu'elles arrivassent, votre silence
m'inquiétait cruellement... Il serait trop long de vous
détailler tout ce que nous avons fait... Visites aux
établissemens de bienfaisance, aux monumens, aux savans...
Tous nos momens sont employés utilement... Les journaux
parlent, d'une manière honorable, de nos occupations
littéraires en ce pays... J'ai lieu de me louer beaucoup
de l'accueil que je reçois. » Mme Dubois lui a parlé de
sa mère, il en exprime sa pieuse reconnaissance : « Vous
avez donc la bonté de penser à votre Henri et surtout à
une tendre mère qui est au ciel. J’espère aussi y
arriver... Je fais les mêmes veux pour vous, qui avez
pour moi la tendresse d'une mère. » Il a visité les
magnifiques établissements et les fermes du duc Belford,
il est fier de s'être promené, en habit violet, au parc
de Saint-James ; à son retour, il lit à l'Institut une
réfutation de la théorie de Godwin sur la
reconnaissance. Il avait, à Londres, refusé de se
rencontrer avec cet écrivain, « qui dans sa justice
politique, prétend établir par de spécieux paralogismes
que la reconnaissance est un vice » . Il ajoute
cependant que « les amis ressemblent presque tous aux
cadrans solaires : ils ne sont d'usage que dans les
beaux jours. »
Il résume dans un mémoire déposé à l'Institut ses «
observations sur l'état actuel de l'instruction
publique, des bibliothèques, des archives dans les
départemens de la Haute-Marne, de la Haute-Saône, des
Vosges, de la Meurthe et du Bas-Rhin ». En 1871, je
copiais, à la Bibliothèque nationale, ce manuscrit
important lorsqu'on m'informa que M. Ulysse Robert le
mettait sous presse.
13 vendém. (an XI). - Le professeur Mollevaut lui écrit
: « Citoyen, sénateur et cher compatriote, vous recevrez
par ce courrier, des imprimés relatifs à une société
libre des sciences, lettres et arts, qui vient de se
former. à Nancy, par mes soins et ceux de mes fils... II
y a ici des hommes instruits, qui ont de bonnes vues,
mais l'isolement est funeste, nous voulons le faire
cesser... Nous avons besoin de votre secours puissant...
La sociélé vous prie de l'honorer du titre de son
associé. » La réponse ne se fit pas attendre ; Mollevaut
le remercie de « sa lettre aimable et de ses démarches
singulièrement bienveillantes ». Il le charge de ses
remerciements et de mille civilités pour M. et Mme
Dubois.
Le secrétaire de la même société, Vilmette, écrit aussi
à son vénérable et très respectable compatriote, il est
heureux qu'il ait accepté le titre d'associé ; « vous
aimez les Nancéiens et les Nancéiens vous aiment...
servez-leur de protecteur, ainsi que vous l'avez
témoigné en tout temps.»
6 frim. - Un vieux prêtre, Oudin, rue de la Harpe, 26,
expose à l'évêque son extrême infortune : « Pour sortir
des prisons de la Terreur et sauver sa vie, j'ai pris
une personne pour compagne : serait-ce un obstacle
insurmontable à tout espoir d'être secouru ? Votre coeur,
pénétré de cette divine charité qui embrasa le cœur des
premiers apôtres, se refusera-t-il à me tendre une main
secourable ? Le Saint-Père me l'a tendue pour le
spirituel... Agréez, respectable prélat, l'hommage de
mon respect et de ma reconnaissance. »
13 germ. - Le secrétaire de la Société académique libre
du Bas-Rhin lui exprime sa reconnaissance, son respect,
son admiration : « Continuez, Monsieur le Sénaleur, à
combattre avec une égale force l’intolérance et
l'irréligion, »
4 nivôse. - Le citoyen Haldat, secrétaire de l'Académie
de Nancy, rend hommage à Napoléon Bonaparte, protecteur
de la Société, et il donne lecture de l'adhésion de M.
Grégoire, l'un de nos compatriotes, sénateur et membre
de l'Institut : « Je suis extrêmement flatté d'être
membre d'une société établie pour le progrès des
connaissances utiles, dans la contrée qui m'a donné le
jour. Mon agrégation se lie à une foule de souvenirs
chers à mon cœur. L'émotion que j'éprouve acquiert plus
d'énergie, en parcourant la liste de mes nouveaux
collègues... Si je puis seconder les efforts de votre
Société, en acquittant un devoir, je goûterai un
plaisir. »
20 germinal. - Voyage en Belgique et en Hollande. Il
écrit de Bruxelles à Mme Dubois : « Je suis arrivé, hier
soir, un peu las de poussière et de chaleur, mais bien
portant, je partirai probablement mardi pour Anvers. »
Son épître sera courte, car il a beaucoup à courir, à
voir, à prendre des notes... « Tâchez, bonne mère, de
faire tout pour votre santé, promenades, bains ; courez
le voisinage avec nos amis, que j'embrasse... Je
regrette nos soirées charmantes du dimanche... Il y a au
jardin, sur le grand abricotier, un nid de chenilles,
que nous avons oublié de détruire ; hâtez-vous de faire
la guerre à cette légion vorace... J'embrasse M. Dubois
et je salue respectueusement la bonne mère, dont
j'espère trouver des lettres à Utrecht. »
1er floréal. - De Rotterdam. Il est arrivé lundi ; il a
voyagé par terre et par eau, il a écrit six lettres, il
n'en a reçu que trois ; il se plaint du froid, du vent,
de la pluie... Les villes et les villages sont d'une
propreté qui enchante, la propreté règne partout : « Je
crois qu'à cet égard la bonne mère descend de quelque
famille hollandaise... La statue d'Érasme est en face de
notre auberge, je parie que vous ne connaissez pas le
citoyen Érasme ?... Dans ses écrits il a parsemé sur le
compte des femmes quelques vérités qu'elles appelleront
méchancetés, il faut lui accorder grâce, le sujet est si
abondant... D'un autre côté, il était distingué par ses
vertus, sa piété, ses talens. » A Utrecht, il a eu grand
soin de visiter la maison où naquit Adrien VI : « Si à
la place de Pie VII, un autre Adrien eût occupé la
chaire de Saint-Pierre, nous aurions eu moins de peines
pour les affaires du clergé. » Il achève sa lettre dans
le bateau qui le conduit à Delft, fondée par un duc de
basse Lotharingie ; «i l est à merveille dans le roef,
chambre d'honneur, avec coussins, tables et miroirs...
Une espèce de boudoir flottant. »
A Amsterdam, il visite les synagogues, il reçoit les
félicitations et les remerciements des rabbins, son nom
est intercalé dans les strophes hébraïques d'un cantique
sacré... « Cette effusion de bienveillance envers un
évêque catholique est un trait auquel applaudiront
également la religion et la philosophie. »
An XII. 19 vend. - Son ancien bienfaiteur, Sanguiné,
curé de Saint-Epvre, lui écrit : « Très cher et très
fidèle ami », il lui recommande plusieurs affaires, il
se loue du citoyen préfet : « A vous, salut, respect,
tout le coeur de votre ami. »
15 nivôse. - Dulaure lui écrit : « J'ai reçu le
catalogue manuscrit et votre lettre, je vous envoie les
quatre volumes... Trop heureux de posséder quelque chose
qui puisse vous faire plaisir... Recevez mes salutations
amicales et faites agréer mes respects à Mme Dubois. »
21 germ. - Un prêtre de Blois se recommande à lui : «
Vous connaissez mieux que moi, l'ingratitude des
Blaisois. »
10 floréal. - Consulté ainsi que ses collègues sur les
changements à apporter au pacte constitutionnel, il
adresse à la commission des dix établie par un décret du
6 floréal, une déclaration en 23 articles ; il est
opposé à tout système héréditaire dans le pouvoir
exécutif, à tout changement de dénomination dans le
titre de la suprême magistrature ; néanmoins, il promet
« la soumission la plus sincère au vœu que la nation
aura librement émis sur l'organisation de son
gouvernement ». Le 18 floréal, dans une lettre à la
commission, il développe sa pensée : « Quand le peuple,
devant la majesté duquel tout doit s'incliner et de la
souveraineté duquel dérivent tous les pouvoirs, aura
parlé, chacun doit obéissance loyale et entière. » Comme
on pourrait un jour travestir son opinion, il demande
que sa lettre soit déposée aux archives du Sénat ;
lorsqu'on vola sur l'impérialité, Bonaparte eut toutes
les voix, excepté deux billets blancs et trois non. «
Lorsque la question de l'hérédité fut soumise au
scrutin, seul je réitérai mon opposition... J'ai prêté
le serment et l'on peut compter sur ma fidélité plus que
sur celle des flagorneurs, qui assiègent la puissance
pour capter sa faveur... J'obéis à ma conscience... Si,
ce qu'à Dieu ne plaise, et ce qui heureusement
n'arrivera pas, les Bourbons rentraient en France, à
l'instant, je la quitterais pour me soustraire à leur
vengeance. »
1803. 1er août. - Il conduit sa respectable amie en
Lorraine. - J'ai raconté dans la première partie les
incidents de ce voyage. - Le 30 thermidor, Mgr Osmond
écrit au Conseiller d'État Portalis : « Dans ce moment,
nous ressentons la funeste influence du passage du
sénateur Grégoire, qui a été choqué de la tranquillité
dont nous jouissons... , de mon silence sur les lettres
indécentes de l'an dernier et du peu de besoin que l'on
avait de ses avis.» Plus tard, il ajoute : « Je vous ai
prévenu, il y a un mois environ, que le passage et le
séjour d'un homme influent, dans ce pays, allaient lui
devenir funeste ; depuis, les notes de M. Georgel, mon
représentant dans les Vosges, sont remplies de
doléances... L'on est devenu encore plus audacieux dans la
Meurthe... Un inamovible a été détaché vers moi pour me
faire des remontrances. » La situation du nouvel évêque
était réellement très difficile ; aux funérailles de
l'évêque Nicolas, il y eut des troubles ; le ministre
exigea des explications, Mgr Osmond offrit sa démission.
Dans un mémoire (18 déc. 1807), il signale M. le
sénateur Grégoire comme l'auteur principal des diatribes
imprimées contre lui, et des difficultés qu'il éprouve.
4 messidor. - Grégoire fait son testament. J'en ai
indiqué, dans la première partie (26-30), les
dispositions essentielles ; il me semble nécessaire d'en
reproduire textuellement quelques autres : « Au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit, je soussigné, Henri
Grégoire, évêque de Blois et sénateur, incertain de
l'heure à laquelle il plaira à Dieu de m'appeler à lui,
après m'être prosterné en sa présence pour invoquer ses
grâces, j'ai cru devoir par ce testament manifester mes
sentimens sur divers objets et régler mes affaires
temporelles... Les divisions qui ont affligé l'Église
gallicane ont contristé mon cœur, j'ai tâché de rendre
service à mes frères dissidens, je leur ouvris toujours
les bras de la charité, mais je gémis de voir que la
plupart d'entre eux... tourmentent ce clergé
constitutionnel toujours attaché à la patrie et sans les
efforts duquel la religion eût été peut-être exilée de
France. Tout évêque a droit d'avoir chez soi une
chapelle... la mienne est le lieu où j'ai presque
toujours rempli mes devoirs religieux et non à
Saint-Sulpice, ma paroisse... En voici les raisons...
Les évêques démissionnaires ne sont pas admis, dans les
églises, sous le costume qui leur est propre, j'ai cru,
non par un sentiment d'orgueil, mais par respect pour
l’épiscopat, qu'il valait mieux ne pas fréquenter
habituellement les églises, que d'y être en quelque
sorte confondu avec des laïcs... Dans les diverses
fonctions que j'ai remplies, comme vicaire, curé,
évêque, législateur, sénateur..., j'ai tâché d'acquitter
mes devoirs, mais je n'ai pas la présomption de croire
que je n'y ai pas fait de fautes, je prie Dieu de me les
pardonner... Avec sa grâce je mourrai bon catholique et
bon républicain... Je veux que l'on acquitte fidèlement
tout ce que je pourrai devoir ; on trouvera dans mes
papiers la note de ce qui m'est dû. Je travaille à
l'histoire de l'Église gallicane pendant la
Révolution... Si je meurs avant de l'achever, j'espère
qu'elle le sera par le révérendissime Moyse, mon ami...
Il m'a promis de me suppléer... En conséquence, je veux
qu'on lui remette mes manuscrits, extraits, notes,
lettres authentiques et autres papiers..., déposés dans
mes archives, ainsi que les registres originaux des deux
conciles nationaux, dont le double a été par moi déposé
à la Bibliothèque nationale... Le manuscrit contenant
mon testament moral et les mémoires de ma vie
ecclésiastique seront remis à Mme Dubois ; elle m'a
promis de les faire imprimer... Je prie M. Lanjuinais,
sénateur, et M. Silvestre de Sacy, de l'Institut, de
vouloir bien être mes exécuteurs testamentaires ; ces
deux savants chrétiens et citoyens me sont attachés ;
ils ne me refuseront pas ce dernier acte d'amitié...
Fait à Paris, le 1er messidor mil huit cent-quatre de
Jésus-Christ, an XII de la République. » Cet acte
institue son héritière unique et légataire universelle,
Mme Marie-Anne Brenier, épouse de M. Dubois, qui, depuis
quinze ans s'occupe de ses affaires temporelles.
La même année, il commence la rédaction de ses Mémoires,
qu'il termine en 1808, et il publie un Essai sur
l'agriculture, en Europe, au seizième siècle. Cette
étude sérieuse des procédés de l'agriculture, en
Lorraine surtout, fut insérée dans les Mémoires de la
Société d’agriculture d'abord et ensuite dans une
édition du Théâtre d'agriculture, d'Olivier de Serres,
réimprimé par Bosc, en 1804. » En l'an Ill, il avait
réclamé les honneurs du Panthéon pour le célèbre
agronome, dont le buste fut placé dans la salle des
séances de la Convention.
1er fructidor.- Le Pape est à Paris, pour le sacre de
l'Empereur ; malgré les instances du cardinal Fesch, de
l'abbé Émery, du ministre de la police, du secrétaire
des Brefs, M. Devoti, Grégoire ne fait pas visite à Pie
VII. « Certes, je n'avais aucune répugnance à visiter le
chef de l'Église, il fut et sera toujours l'objet de ma
tendre vénération, mais j'avais mis pour condition que
me présentant, non comme sénateur, mais comme évêque, je
serais reçu en cette qualité : avec moi serait quelqu'un
qui pût certifier mes discours et ma conduite... que si
l'on osait tirer de cette visite une induction contre
l'immutabilité de mes principes, à l'instant je
reprendrais la plume pour démentir l'imposture.
L'affaire en resta là. »
28 fruct. - Le sous-bibliothécaire Fachot, de Nancy, le
remercie de ce qu'il a fait pour lui ; il lui rend
compte du triage des 50,000 volumes entassés dans les
maisons de la Visitation et des Minimes. On a fait des
parts pour les bibliothèques du préfet, de l'évêque, de
la Cour d'appel, de la mairie et du lycée, le reste sera
vendu ou échangé. Fachot envoie sa lettre, par occasion
; il y joint les Mémoires de la Société royale de Nancy
(1750-1754), comme une marque d'estime et de
reconnaissance pour son cher compatriote.
1805 (an XIII). 7 vent. - En réalité, l'évêque de Blois
regrette de ne pas voir le Pape ; il cherche une
occasion de lui écrire : un protestant, M. Hausseman, la
lui procure, en le priant de demander au Saint-Père,
comme une grâce, de baptiser ses six enfants. La lettre
de Grégoire à Pie VII est fort longue (29) ; après avoir
exposé la requête du père de famille, il retrace la part
qu'il a prise dans les événements relatifs à l'Église de
France et il ne dissimule pas les considérations qui
l'empêchent d'aller lui-même offrir au pontife ses
respectueux hommages : « J'aurais pu saisir cette
occasion pour présenter à Votre Sainteté quelques vues
qui me paraissent aussi utiles à la religion et au
Saint-Siège, que faciles à exécuter... Pour qu'il ne
s'élève aucun nuage sur la pureté de ma foi, je me fais
un devoir de répéter ici ce que j'ai sans cesse énoncé
de vive voix et consigné dans mes écrits ; enfant de
l'Église catholique, apostolique et romaine, dans
laquelle je suis né, je vis et je veux mourir, croyant
tout ce qu'elle enseigne, condamnant tout ce qu'elle
condamne, soumis, suivant ses canons, au Saint-Siège,
centre de l'unité, à Pie VII, chef visible de l'Église
et successeur de Pierre, rempli de vénération pour son
éminente dignité et pour ses vertus personnelles, je
rends l'hommage le plus sincère à sa primauté d'honneur
et à sa juridiction. » II espère que Sa Sainteté ne lui
refusera pas une réponse paternelle et sa bénédiction
apostolique. M. Devoti, chargé de la réponse verbale du
pontife déclara qu'il ne pouvait, en raison de son
départ prochain, déférer au voeu de M. Hausseman, vu
surtout la nécessité d'une enquête préalable sur les
dispositions des catéchumènes. « Il est d'autant plus
fâcheux, disait M. Dervoti, que M. Grégoire s'obstine a
refuser au Pape la consolation de rétracter son serment,
qu'il n'attend que cela pour lui faire part de ses
bontés. On rend justice à ses bonnes qualités, à son
attachement à la religion, qu'il défend avec énergie,
contre les incrédules et les libertins. »
5 prairial. - Il reçoit un diplôme de membre de la
Société d'agriculture, sciences, commerce et arts de la
Haute-Saône, avec une lettre très respectueuse du
secrétaire. « M Dubois jouit-elle présentement d'une
bonne santé ? Présentez-lui mon respectueux hommage. »
7 fruct. - Diplôme de la Société départementale des
sciences et des arts de Mayence, avec un extrait très
flatteur du procès-verbal de son admission.
Le citoyen Fauriel s'excuse, dans les termes les plus
respectueux, de n'avoir pas rendu assez vite le livre
que M. le sénateur a eu la complaisance de lui prêter ;
il exprime ses remerciements et son vif regret.
An XIV. 10 nivôse. - Diplôme de membre correspondant de
la Société d'émulation de la ville de Cambrai.
Août et septembre. - Voyage en Allemagne. Il visite
successivement Francfort-sur-le-Mein, Berlin, Dessau,
Scezen, où il constate, dans une école ou plutôt un
lycée exclusivement réservé aux juifs, les talents des
maitres et les progrès des élèves. A Goettingen, le 30
août, il assiste à une séance de la Société royale des
sciences ; on lui décerne le titre de membre associé ;
le diplôme, que j'ai copié à la bibliothèque de Nancy,
contient cette phrase : « Sodalium ex suffragiis...
virum doctissimum Henricum Grégoire illustrissimum
imperii Galliuarum senatorem, instituti... socium...
quem nominis, doctrine, virtutisque ac prudentiae
civilis fama coluimus praesentem admiramur ac veneramur.»
Au retour, il publie, sous le titre d'Observations
nouvelles, divers opuscules, qui furent traduits en
hollandais, en allemand, en italien. Il critique un
règlement du Prince-Primat, qui soumet les rabbins à
l'examen du consistoire luthérien : « pour être juste,
il fallait soumettre celui-ci à l'examen des rabbins...
cette ordonnance dictée par l'intolérance luthérienne
est digne de la stupidité du moyen âge, sous un prince
qui est en avant de son siècle. »
7 oct. - Diplôme de membre honoraire de la Société
ducale minéralogique d'Iéna.
16 décembre. - Une lettre de part : « M. Geoffroy
Saint-Hilaire a l'honneur de vous annoncer que Mme
Geoffroy Saint-Hilaire est heureusement accouchée ce
matin d'un garçon ; la mère et l'enfant se portent bien.
» Dans le même dossier, je lis de semblables
communications de la part du maréchal Lannes, de
Portalis, des invitations à diner, des billets
d'enterrement : « Vous êtes prié d'assister au service
qui se fera, lundi prochain, à 10 heures du matin, en
l'église Saint-Séverin, pour le repos de l'âme de
discrète et scientifique personne Messire Nicolas Leroy.
De profundis. »
26 décembre. - Grégoire assiste à une séance de
l'Institut, convoqué extraordinairement pour entendre la
lecture d'une lettre de l'Empereur au ministre de
l'intérieur, avec injonction de la communiquer à la
docte assemblée ; il nous en a conservé le texte : « Si
M. Lalande continue à professer l'athéisme, je serai
obligé de me rappeler que mon premier devoir est
d'empêcher que l'on n'empoisonne la morale de mon
peuple. » M. de Lalande présent à la séance, écrit
Grégoire, pria l'Institut de recevoir sa déclaration,
qu'il se conformerait aux intentions de l'Empereur.
1807. - Il publie un ouvrage intitulé : De la
Littérature des nègres, ou recherches sur leurs facultés
intellectuelles, leurs qualités morales et leur
littérature.
2 avril. - Diplôme de membre associé étranger de la
Société académique de Besançon, délivré à M. le sénateur
Grégoire, évêque démissionnaire, membre de l'Institut.
Le secrétaire, un de ses anciens amis, lui écrit : «
N'allez pas nous refuser, je vous excommunierais,
j'attends même que vous me ferez une petite lettre
ostensible portant votre acceptation... Malgré un carême
à feu et à sang, je me porte assez bien... Conservez
précieusement votre santé et donnez le même avis à Mme
Dubois, que je prie d'accepter mes hommages, ainsi que
vous et M. Dubois ; je vous embrasse tendrement. »
1808. 12 mars. - Seul, il refuse de voter l'adresse de
félicitations à l'Empereur au sujet du rétablissement
des majorats, d'une noblesse héréditaire et des titres
héraldiques. On le dénonce, il écrit : « Je suis
persuadé que l'Empereur a un profond mépris pour les
délateurs et de l'estime pour l'homme courageux, qui se
montre aussi intrépide dans l'énoncé de ses opinions que
fidèle à ses serments envers lui... Ma fidélité n'est
pas un calcul d'intérêt, mais le dictamen de ma
conscience, qui sans approuver se soumet et qui a promis
non d'aimer, mais d'obéir. » Il faut lire dans ses
Mémoires, surtout dans les notes privées, ses boutades
sur le Sénat, sur la noblesse ; il y a des phrases
mêlées de latin, inachevées. « Le Sénat a septembrisé
les principes... Armoiries, ego une croix... Nova
noblesse, insolence... Noblesse, fruit d'adultère...
Sénat conservateur, oui conservateur de ses
traitements... »
2 avril. - Diplôme de membre de l'Académie royale de
Munich.
23 avril. - Il termine ses Mémoires, qu'il conserva
durant 23 ans ; ils devaient être publiés après sa mort,
« comme une confession et un testament ». Les deux
manuscrits sont déposés à la bibliothèque de l'Arsenal.
Je les y ai tous deux consultés : le premier (n° 259)
comprend 333 pages in-4°. Grégoire a écrit sur le verso
des lettres et des notes, qui m'ont fourni les plus
utiles renseignements sur sa vie privée, ses relations.
Le second (n° 5291) est une copie mise au net de cet
important travail, auquel M. Carnot déclare avec raison
« qu'il n'y a pas été changé une ligne ». L'épigraphe
est de saint Jérôme : « Hoc mihi proestiterunt amici mei,
ut si tacuero reus, si respondero inimicus judicer, dura
utraque conditio, sed e duobus eligam quod levius est.
Le bonheur a fui loin de moi, depuis mon entrée dans les
affaires publiques... toujours moi et n'appartenant à
aucun parti, j'ai été en proie à la rage de tous...
L'homme probe doit repousser l'imposture des
accusations, comme celle des éloges... J'écris sous les
yeux de celui qui voit tout et dont la providence
tutélaire m'a comblé de grâces... Je n'ai jamais compté
que sur Dieu, je me confie à sa miséricorde et
j'abandonne à l'injustice ou à la justice des hommes ces
Mémoires, qui ne paraîtront qu'après ma mort. » Jai
publié dans la première partie de nombreux fragments sur
le chapitre II, relatif à son enfance, à son
adolescence, à ses premiers travaux. Voici quelques
extraits des autres : « Ma vie littéraire. Lorsque la
Convention, livrée au brigandage, ne permit plus à la
raison l'accès de la tribune, lorsque le blasphème, les
déclarations furibondes et les paroxysmes de la frénésie
y remplacèrent le langage de l'humanité et de la
sagesse, le comité d'instruction publique me parut le
seul où quelque bon sens s'était réfugié... Mais là
aussi était l'ombre au tableau... J'ai mentionné
ailleurs l'histoire de ce calendrier nouveau inventé par
Romme pour détruire le dimanche... D'après ses calculs,
il découvrit que, dans 3,600 ans, l'année ne devait pas
être bissextile... Il nous fit un rapport sur cet objet
et il présenta au comité un projet de loi... Je demandai
l'ajournement à 3,600 ans ; l'ajournement fut adopté et
le rapport imprimé. Au comité, j'étais réduit sans cesse
à lutter contre des projets dictés par la haine
antireligieuse... Plus d'une fois... on fit admettre des
propositions hideuses ou absurdes, lorsque j'étais
forcément absent par maladie ou pour intercéder, au
comité de sûreté générale, en faveur de malheureux
persécutés... gens de lettres ou prêtres dissidents...
Pour sauver les gens de lettres, je fis créer une
commission des arts... Nous mettions ou faisions mettre
en réquisition les gens de lettres cachés ou endoloris
dans les divers coins de la France... J'en avais dressé
des listes... A l'Institut, j'ai lu : 1° une réfutation
de la théorie de Godwin sur la reconnaissance ; 2° un
voyage dans les Vosges ; 3° des recherches sur la
domesticité ; 4° un traité sur les facultés et la
littérature des nègres ; 5° l’apologie de Barthélémy de
Las-Casas ; 6° un mémoire sur Sierra-Leone ; 7° un essai
sur le progrès des sciences politiques ; 8° une histoire
de l'agriculture au XVIe siècle... Voué aux lettres dès
mon enfance, j'ai vécu avec ceux qui les cultivent ; peu
d'hommes, en Europe, ont eu avec eux des correspondances
aussi étendues... Les gens de lettres ne sont guère que
des meubles de décoration, de vanité, dont par là même
on fait des meubles de garde-robe... En rédigeant cette
philippique, autrefois j'eusse excepté du blâme les
savants. Mais sous ma plume accourt le souvenir des
adulateurs... La probité politique est très rare, il en
est de même de la probité littéraire... Dans un ouvrage
sur les progrès de l'art social, je place en première
ligne les efforts concertés de tous les hommes qui
cultivent leur raison ou communiquent au public le fruit
de leurs recherches... Muratori a jeté quelques vues sur
une confédération des savants, il nomme des archontes...
La République des lettres frappe d'anathème quiconque
voudrait l'asservir... Les Français cultivent peu les
langues ; semblables au gentilhomme qui, à défaut de
mérite personnel, se targue de celui de ses ancêtres,
ils sont d'une ignorance grossière sur les littératures
étrangères... Mes correspondances en diverses contrées,
mes réunions hebdomadaires de savants étrangers et
nationaux sont pour moi une source intarissable de
jouissances pour l'esprit et pour le cœur.
« Ma vie politique. - La calomnie, qui affirme toujours
et qui ne prouve jamais, a répété que nous avions reçu
de l'argent des nègres... Je pardonne volontiers aux
colons de m'avoir, au Cap, pendu en effigie... J'avoue
que leur mauvaise foi et leur tyrannie m'ont attaché à
la cause des nègres... Toussaint-Louverture me suppliait
de faire moi-même le voyage de Saint-Domingue pour
organiser l'administration spirituelle... Ma haine pour
le despotisme m'a valu la haine de Calonne, de Bertrand
de Molleville... Louis XVI lui-même m'a accusé dans ses
lettres. - Un jour, dans le cours de ma présidence, je
portais, au roi, des décrets ; on me dit que le roi
était au Conseil et que je ne pouvais le voir... J'
exprimai mon indignation au grand-maitre de la
garde-robe... Une heure après, je retournai chez le roi,
l'appareil des honneurs rendus au président eut quelque
chose de plus solennel qu'à l'ordinaire. Mirabeau me
succéda... Je lui recommandai de ne pas se laisser
manquer par le Président du pouvoir exécutif...
Lorsqu'on eut la simplicité de ramener le transfuge,
qu'il fallait pousser hors des frontières, en lui
fermant à jamais les portes de la France, le peuple
avait encore le sentiment de sa dignité... Partout où
passait la voiture, défense était faite de se découvrir
et des secrétaires de bureau accourus sans leurs
chapeaux furent obligés d'y suppléer en nouant leurs
mouchoirs autour du cou. - Je ne connais rien de plus
fou, de plus impolitique que d'avoir voulu greffer le
républicanisme sur l'impiété, c'est-à-dire sur ce qui
lui est le plus opposé, au lieu de montrer partout la
sainte alliance du christianisme et de la démocratie.
Imperturbable dans mes principes politiques et
religieux, je suis détesté par ces individus, dont les
variations sont aussi nombreuses que celles dont Bossuet
a tracé le tableau... Se relèvera-t-elle jamais de son
ignominie cette France si avilie et si vile ?... Je vois
de toutes parts le despotisme. et le népotisme escortés
de l'ignorance applaudir à la secte des obscurants... La
plupart des hommes à talent qui nous restent, plus vils
que les individus qui remplissent les bagnes et les
repaires du libertinage, semblent confédérés pour
étouffer même la liberté de penser... Mais où me
conduisent ces réflexions amères ? à l'aurore de la
Révolution, je crus sourire à la liberté, je me livrais
à cet élan, avec la loyauté et le dévouement sans bornes
d'un cœur brûlant du désir de concourir au bien de ses
semblables, de ramener la vertu et le bonheur sur la
terre... Dans les dix-neuf siècles révolus depuis
dix-neuf ans, on a fait sur le cœur humain un cours
expérimental le plus complet, le plus désolant...
N'est-ce pas Racan (30) qui l'a dit :
Voulait ce que Dieu veut
Est la seule science
Qui nous mette en repos.
C'est la traduction versifiée de ces mots : Fiat
voluntas tua.
« Ma vie ecclésiastique. - Une éducation chrétienne et
raisonnée est un des plus grands bienfaits de la
Providence ; par là elle m'avait prémuni contre les
dangers à courir dans la société des gens de lettres...
Les incrédules ont attaqué la religion sur les abus que
l'ignorance et l'hypocrisie voudraient lui associer...
Aujourd'hui les hypocrites attaquent la philosophie sur
les égaremens de ceux qui se parent de sa livrée. Nous
n'imiterons pas les pharisiens modernes en imputant à
celle-ci les excès qu'elle désavoue ; mais nos ennemis
auront-ils jamais la loyauté de ne pas imputer au
christianisme les forfaits qu'il abhorre !... Le comte
Rœderer avait soutenu que le décadi mangerait le
dimanche, ignorait-il que la France abhorrait son
décadi, que les chevaux même et les autres bêtes de
somme n'en voulaient pas... Je suis très attaché à la
religion, très attaché au chef de l'Église, mais je
n'aspire pas à la barette, dont je laisse à d'autres
tout l'honneur, si c'en est un. - Aujourd'hui, 23 avril,
je termine ici mes Mémoires... En les relisant, je les
trouve très imparfaits, très incomplets... Mais je suis
bien aise d'avoir au moins cette rédaction informe...
Elle sera dépositaire de mes sentimens ; si Dieu
prolonge mes jours, je retravaillerai cet ouvrage, en y
joignant mon testament moral. Que Dieu répande ses
bénédictions sur moi, sur mes amis et sur mes ennemis,
pour lesquels je donnerais mon sang et ma vie. »
30 mai. - Il achète, au prix de 85,000 fr., en l'étude
de M Boulard, notaire à Paris, le domaine de
Grange-Neuve, arrondissement de Sens. Par bail
authentique, ce domaine, qui comprend 251h11a89c est
affermé pour 5,000 fr.
1808. 6 juin. - Membre de l'Académie étrusque de
Cortona, il reçoit un diplôme qui, gravé dans un
cartouche emblématique, est aussi remarquable par le
dessin du célèbre antiquaire N. Marcello Venuti que par
l'exécution de l'artiste Teodoro Vercinèse.
2 juillet. - La Société d'agriculture de Rostock lui
décerne un diplôme de membre honoraire.
25 juillet. - Par lettres patentes datées de Bayonne,
Napoléon confère le titre de comte à son cher et amé
Grégoire. Il ne proteste pas, mais il ne veut pas de
livrée ; il jette au fond d'une armoire le galon que Mme
Dubois lui présente ; il ne consent à le lui rendre que
lorsqu'elle promet de s'en servir pour border les
meubles du salon ; la scène est curieuse. Cependant, il
prend fort au sérieux les dignités qu'on lui confère, il
refuse une invitation du cardinal Caprera, parce qu'elle
est adressée au sénateur et non à l'évêque ; il aime
qu'on l'appelle monseigneur. Il trouve fort mauvais que
les voitures des sénateurs ne soient plus admises dans
la cour d'honneur aux Tuileries et à Saint-Cloud. La
bibliothèque de Nancy a remis au Musée lorrain ses
lettres patentes et son écusson. Il est d'argent, à la
croix palée de gueules, franc quartier des comtes
sénateurs, d'azur à un miroir d'or en pal, après lequel
se tortille un serpent d'argent brochant sur le tout.
2 octobre. - M. Coster, professeur de législation à
l'ancienne École centrale, prie le sénateur Grégoire de
lui faire obtenir la place de recteur, dans le cas où
Nancy deviendrait le siège d'une académie universitaire.
« Retiré dans sa belle campagne de Gentilly, avec une
pension de 3,000 fr., il est octogénaire, mais il veut
fuir l'ennui et les dégoûts de l'inutilité. »
1809. 20 janvier. - M. Haldat demande au grand-maitre de
l'Université la place de professeur de physique et de
chimie à l'Académie de Nancy ; il écrit à M. le sénateur
: « Oserai-je vous prier de me recommander. »
18 février. - Il est nommé membre honoraire du musée de
Francfort-sur-le-Mein.
16 avril. - La Société académique désire
l'établissement, à Nancy, d'une Université ; elle
exprime, à M. le sénateur, ses inquiétudes ; elle
réclame son puissant concours. Grégoire répond, le 21
avril : « Messieurs, hier, j'ai reçu votre lettre,
sur-le-champ j'ai écrit au chancelier de l'Université
pour savoir quel crédit mérite la nouvelle fâcheuse
qu'on vous a donnée. Je lui ai exposé rapidement les
raisons qui militent pour l'établissement d'une académie
dans une ville qui possédait une Université et qui, à
travers les orages de la révolution, conservant des
savants distingués et sa réputation littéraire, perpétue
les bonnes études avec autant de zèle que de succès. Je
reçois la réponse et je me hâte de vous l'envoyer. Le
départ très prochain du courrier ne me permet pas de
vous écrire plus longuement. Soyez persuadés, Messieurs,
que dans toutes les circonstances possibles, je me ferai
un devoir et un plaisir de prouver à mes compatriotes, a
la Société académique et à vous en particulier mes
sentimens d'estime et d'attachement. + L'ancien évêque
de Blois, sénateur, Grégoire. »
27 avril. - Le curé et le maire de Vého le prient de
recommander au préfet une pétition relative à la
réparation de l'église ; la lettre est adressée à
monseigneur l'évêque de Blois, l'un des premiers membres
du Sénat conservateur de France et membre de la Légion
d'honneur. » Le maire, Bister, son ancien camarade, « le
bon voisin de ses braves père et mère », lui donne des
nouvelles du pays ; il finit par ces mots : Je vous
salue avec amitié.
2 may. - Au nom de l'Académie, M. Haldat le remercie : «
Nous avons toute confiance en un patron aussi excellent
et aussi capable de défendre nos intérêts. »
1er juillet. - Voyage en Lorraine. Dans une série de
lettres conservées à la bibliothèque de Nancy (l. 534),
Grégoire rend compte à Mme Dubois des incidents de son
voyage. La première est datée de Nancy : « Je débute par
le journal de mon voyage : à Clayes, près Meaux, j'ai
visité une manufacture de poules blanches, elles étaient
par centaines dans une basse-cour... Leur plume est
préférée à celle des poules colorées, deux. ou trois
fois l'an, on la leur enlève ; à Clayes, on dépouille
les poules, à Paris, on dépouille tous les animaux et on
pille les pauvres humains. » A dix heures du soir, il
est arrivé, à Épernay, « chez ces braves gens qui vous
logèrent, il y a six ans, ainsi que votre aumônier ; on
s'est hâté de me parler de vous,... de votre santé. » Le
mardi, il est arrivé de bonne heure à Châlons, il y a
passé la journée avec des personnes qu'il a connues, il
y a vingt ans et plus... « Voilà ce que c'est que d'être
vieux...» Plus tard, il parle de son séjour à Lunéville,
à Vého, à Emberménil... M. et M Germain, à Réchicourt,
lui ont donné à diner, les curés des environs, l'abbé
Jennat, Mlles Marchal étaient au nombre des invités...
On voulait le retenir plus longtemps... ; à son passage
à Laneuveville-aux-Bois, à Marainviller, on a sonné les
cloches, il a été l'objet de démonstrations publiques
les plus bienveillantes... li a visité des tombeaux
chéris, il a satisfait à la tendresse amicale et
filiale... Il a été tellement attendri que son âme ne
suffisait plus à tant d'émotions, il a craint d'être
malade. Son voyage fut moins long qu'il ne l'avait
pensé, il voulait aller se concentrer dans une solitude
des Vosges, au milieu des lacs et des sapins, mais « ma
bourse me le défend... J'ajourne ce voyage à une autre
année, si je suis au monde ».
1er août. - Il publie des Observations sur le poème «
the Colombiadde Barlow ». (Paris, in-8°, 16 p.)
Psaume, de Commercy, le remercie d'avoir plaidé sa cause
auprès du préfet de la Moselle. Fachot, son
correspondant de Nancy, lui envoie des nouvelles et des
livres.
26 août. - Sermet, ancien métropolitain de Toulouse,
meurt à Paris. Grégoire prononce son oraison funèbre :
il rappelle aux pieu laques, au vénérables prêtres, aux
révérendissimes évêques rassemblés dans le temple, les
vertus du défunt, ses études dans l'ordre des Carmes
déchaussés, son ferme et vaillant caractère comme
catholique et comme évêque, durant cette persécution la
plus atroce qui ait désolé l'Église de France ; la
fureur de Dioclétien jointe à l'astuce de Julien...
profana, renversa nos autels, remplit les cachots de
victimes, fit ruisseler le sang et poursuivit les
chrétiens jusque dans l'asile de la pensée... ; elle
frappa les pasteurs pour disperser les fidèles.
15 décembre. - Le mariage de l'Empereur est annulé, par
défaut de formes, devant l'officialité diocésaine, en
première instance et devant l'autorité métropolitaine,
en seconde instance. « On a procédé, dit M. Thiers, avec
la décence convenable et la pleine observance du droit
canonique », on n'a pas eu recours à la forme du
divorce. Inflexible dans ses opinions, Grégoire proteste
; on a violé l'indissolubilité du mariage ; il
n'assistera pas à la cérémonie religieuse. Il tint
parole : il n'était pas aux Tuileries, le 2 avril
suivant.
A l'occasion de l'année séculaire de la destruction de
Port-Royal, il publie une seconde édition des Ruines de
ce monastère, il y retrace, avec émotion, l'influence de
l'école de messieurs de Port-Royal sur la pureté du
goût, l'amour des fortes études, la marche de l'esprit
humain vers le beau, l'honnête et le vrai. J'ai analysé
ce travail dans la première partie (38-39) (31).
1810. 11 janvier. - Il avait publié dans un recueil
intitulé : Cérémonies et coutumes religieuses, de
nombreux fragments d'une Histoire des sectes religieuses
au XVIIIe siècle. Mécontent des inexactitudes de cette
publication, il fait imprimer, en deux volumes in-8°,
une première édition de ce livre. Le chapitre sur la
basiléolatrie éveille l'attention du ministre de la
police, Fouché, qui fait saisir tous les exemplaires
chez l'imprimeur et chez les libraires ; il écrit à son
ancien collègue une lettre sèche, laconique, impérative
: « Votre ouvrage renferme sans doute quelques vues
utiles, mais aussi des opinions et des détails que je ne
puis approuver... Je prends encore plus .d'intérêt à
vote repos qu'à votre gloire littéraire. J'ai l'honneur
de vous saluer, le duc d'Otrante. »
27 septembre. - L'abbé Jennat, le mandataire de ses
libéralités, lui adresse une longue lettre ou plutôt un
décompte de ce qu'il a dépensé en dons et en aumônes. «
P. S. Présentés par vous, M. et Mme Dubois voudront bien
me faire l'honneur d'agréer mes respectueux hommages. »
15 novembre. - M. Noël, maire de Sommerviller, remercie
M. le sénateur d'avoir accueilli sa requête, il a remis
à son protégé « six napoléons et un paquet ».
1812. 22 janvier. - Marchal, maire d'Emberménil, a
représenté l'évêque comme parrain de l'une des cloches,
il le remercie de ses largesses : « je souhaite que
cette filleule puisse encore nous annoncer plusieurs
fois votre arrivée » ; il lui exprime la reconnaissance
des habitants et la sienne, il lui annonce la mort de sa
tante, qu'il recommande à ses prières.
3 février. - Le président de l'Académie ionienne de
Corfou envoie à l'ancien évêque de Blois, sénateur
Grégoire, un diplôme de membre correspondant. « Je
regrette, lui écrit Grégoire, de ne pouvoir vous
adresser mon Histoire des sectes religieuses, dans
laquelle j'ai inséré un très grand article sur l'état
actuel de l'Église grecque. J'ignore quand sera levé
l'embargo sur ce livre. »
15 juin. - Il envoie à Bégin, de Metz, un grand nombre
d'articles biographiques et de notices sur les martyrs
de la foi, prêtres de Lorraine, morts à Rochefort, et
aussi une note sur Lalande, de l'Oratoire, qui après
trois refus finit par accepter sa nomination d'évêque de
la Meurthe. (Cart. 345.)
L'Empereur a quitté la Russie, on s'agite a l'intérieur
; Grégoire prépare un projet de déchéance. Ce projet,
dit M. Carnot, est une diatribe singulièrement
passionnée contre Napoléon, un acte d'accusation ab
irato. Je n'analyse pas ce triste document, où il
insulte tous les corps constitués, le Tribunat, le Corps
législatif, les administrations, les tribunaux, le
clergé, l'Université, organisée de manière à jeter
toutes les têtes dans le moule pétri par le despotisme,
pour étouffer toutes les idées de liberté ; je me borne
à reproduire textuellement deux phrases : « En égorgeant
les peuples..., il voulait ne voir dans leurs chefs que
des esclaves, il eut même l'insolente prétention de
l'apprendre à la postérité. Des artistes, profanant le
marbre et l'airain, ont multiplié les monuments de son
orgueil, monument que la vengeance étrangère et
nationale doit réduire en poudre, et aussi cet article 9
de la déclaration : Le Sénat, au nom de la nation, vote
des remerciements solennels aux puissances alliées, dont
le courage victorieux l'a soustrait au joug de la
tyrannie. »
1813. 10 janvier. - Grégoire propose à l'Académie de
Nancy de continuer l'Histoire de Lorraine de Dom Calmet
; il a recueilli des documents, il est en relation avec
les hommes les plus compétents ; sa correspondance à ce
sujet est très instructive ; il y a surtout entre Fachot
et lui, un échange de notes sur les moeurs, les lois,
les coutumes de Lorraine ; le laborieux bibliothécaire a
rédigé pour le sénateur une notice sur les manuscrits et
les livres qui ont rapport à notre histoire.
20 janvier. - L'institutrice de Laneuveville-devant-Foug
remercie Grégoire du secours de cent francs qu'il lui a
envoyé.
21 janv. - Le curé de Gérardmer rappelle à Monseigneur
le bonheur qu'il a eu à le recevoir durant l'un de ses
voyages ; il réclame un service : il prépare quelques
élèves pauvres pour le sacerdoce. « J'ai été dénoncé au
recteur qui m'a fait écrire par le procureur impérial ;
j'espère, grâce à votre puissante intervention, n'être
plus troublé dans l'exercice d'une oeuvre si charitable.
»
1er juillet. - La santé de Mme Dubois est mauvaise,
Grégoire la conduit en Lorraine ; il nous a laissé le
récit de leur séjour à Vého, à Emberménil, à Nancy, où
sa vénérable amie reçoit l'hospitalité à la maison du
Refuge. L'évêque en garde une vive gratitude. Le 12
septembre, de Paris, il écrit à la sœur Clotilde : «
Madame, j'avais quelque envie de vous écrire en latin,
c'est la langue de votre diurnal, vous auriez compris ce
que je vous aurais dit, comme ce que vous dites à
Dieu... j'acquitte ma promesse en vous envoyant quelques
livres, dont la liste est ci-jointe,... ils doivent vous
arriver franc de port... Vous y trouverez entre autres
un Nouveau Testament et une Imitation en allemand... Votre
maison ayant des salles où sont enfermées des personnes
qui ont vécu dans le désordre, il importe de placer sous
leurs yeux des exemples de quelques convertis... Ces
livres ne sont pas neufs,... il ne faut pas juger les
livres par la couverture, pas plus que les hommes par
l'habit... Je me hâte d'arriver à ma mère adoptive, Mme
Dubois, à qui je lis ma lettre et qui s'impatiente de ce
que je ne vous ai pas encore parlé d'elle, de sa
reconnaissance pour les témoignages multipliés de bonté
que vous lui avez donnés... En passant à Saint-Dizier,
j'allai visiter la colonie de votre congrégation, et la
sœur Caroline, avec la doyenne, s'empressèrent de venir
à l'hôtel, voir notre chère malade... La bonté de cœur
est une heureuse épidémie pour les soeurs de
Saint-Charles... La santé de Mme Dubois ne s'est pas
empirée, sans être bonne... Vous savez qu'elle est
extrêmement grasse, nous aspirons à ce qu'elle devienne
aussi maigre que la sœur Euphémie... Certes, Madame, si
sa santé ne se rétablit pas et si la mienne ne se
fortifie pas, croyez-le bien, ce ne sera pas votre
faite, car vous nous avez munis de moyens curatifs et
conservateurs pour l'estomac et pour la poilrine... Les
souvenirs de Mme Dubois et les miens se reportent
souvent sur votre maison, où j'ai été édifié de l'union
qui y règne et de cette piété douce et franche, qui
sanctifie toutes les actions... Vous avez notre amitié,
Madame et chère soeur ; partagez-en l'assurance avec la
soeur Euphémie et avec toute votre communauté ; si de
quelque manière nous pouvons vous en donner des preuves,
disposez de nous par réciprocité de sentiment,... ne
nous oubliez pas dans vos prières. »
19 sept. - La réponse ne se fit pas attendre : «
Monseigneur, j'ai eu l'honneur de recevoir votre lettre
et les livres... je ne puis vous exprimer ma
reconnaissance,... nous ne pouvons nous venger qu'en
priant le Seigneur de vous accorder des jours longs et
heureux pour le bonheur de ceux qui vous connaissent et
qui, comme nous, profitent de l'exemple de vos vertus...
La communauté a appris avec joie votre heureux retour et
celui de la respectable Mme Dubois, qui nous avait donné
beaucoup d'inquiétudes,... nous ne l'avons pas oubliée
devant Dieu... Vous vous êtes rappelé, Monseigneur, que
j'aimais de prier en latin... Si j'allais à Paris, ma
plus grande jouissance serait de voir non la capitale,
mais vous, Monseigneur, et Mme Dubois... II suffit de
lavoir vue une fois, pour apprécier ses aimables
qualités ; je la prie d'agréer mon profond respect. ..
Vous nous comblez de joie en nous annonçant que nous
aurons l'honneur de vous voir dans le pays et surtout
dans notre chaumière... Permettez que mes compagnes et
moi nous ayons l'honneur de vous assurer de nos
sentiments du plus profond respect. Sœur Clotilde
Pothier. »
12 octobre. - M. Gley, principal du collège de
Saint-Dié, écrit à Monseigneur : « J'ai remis vos
lettres au bibliothécaire Fachot et à l'évêque de Nancy,
qui désire un petit séminaire à Saint-Dié. Il craint les
lycées, où les jeunes ecclésiastiques ont à entendre des
propos les plus indécents, souvent les plus obscènes. »
1814. 30 mars. - Le canon tonne sous Paris ; dans un
conciliabule politique chez Lambrecht, Grégoire propose
que l'on se borne à déclarer que « la nation française
choisit pour chef un membre de l'anciene dynastie, qui
aura préalablement accepté les bases d'une Constitution
libérale, qu'on lui soumettra ».
6 avril. - La déchéance est proclamée par le Sénat,
Grégoire signe l'acte constitutionnel ; il a vainement
réclamé qu'il fût d'abord imprimé, distribué et soumis à
l'acceptation du peuple. Il publie sous ce titre :
Constitution française de 1814, une brochure anonyme de
34 pages, trois fois réimprimée en quelques semaines : «
La France est sans doute le seul pays civilisé où, dans
trois jours, on rédige, on discute, on adopte, une
charte constitutionnelle... Puisse le nouveau
Gouvernement se pénétrer de l'idée qu'il importe à son
existence de ne pas concentrer ses affections dans un
cercle tracé par l'esprit de parti,... mais d'identifier
son intérêt avec celui de la grande famille ! L'âme est
profondément attristée à la vue des fourbes couverts
d'or et de crimes, qui par leur fortune, leur audace et
leurs places exercent un funeste ascendant. .. Louis XIV
disait tout haut : L'État, c'est moi », eux disent tout
bas : « La patrie, c'est moi...» Le moi est le
thermomètre secret de leurs actions... Plusieurs, après
avoir encensé Marat et Robespierre, entassèrent toutes
les malédictions sur la tombe de ceux dont ils avaient
été les complices... Les panégyristes de l'homme qui
vient de tomber déroulent actuellement le tableau des
forfaits de celui qu'ils déifiaient... Tenez pour
certain que les Séjan, les séides, les sicaires d'un
despotisme sont toujours portés à s'enrôler sous de
nouvelles bannières. »
La Chambre des Pairs remplace le Sénat, l'ancien évêque
d'Autun, ministre du roi, y admet en grand nombre les
sénateurs qui ont adhéré à la Charte ; il en exclut son
collègue à la Constituante, l'évêque de Blois. Grégoire
fort irrité écrit cette note : « Toutes les éditions de
la Charte attestent qu'elle a été mise sous les yeux du
Sénat ; on demande que, dans une édition nouvelle, on
indique le jour... ; on offre cent mille francs de
récompense à celui qui pourra le faire connaître. »
15 avril. - Il fait hommage à l'Académie de Nancy de la
nouvelle édition de son Histoire des sectes religieuses
(2 vol. in-8° avec figures). Le Gouvernement lui avait
rendu les exemplaires de l'édition saisie, en exigeant
cependant des cartons.
Son livre sur la Domesticité chez les peuples anciens et
modernes eut un grand succès ; il en avait lu des
extraits à l'Institut. Il y expose, avec méthode, l'état
des esclaves, des serfs, des domestiques dans les
diverses contrées : la dépravation des maitres est trop
souvent la cause de la dépravation des domestiques ; il
propose la création d'une société pour former de bons
serviteurs ; il a un système complet, il a tout prévu :
le recrutement, les encouragements, les récompenses, les
pensions de retraite ; il a étudié, à Londres,
l'organisation et les statuts d'une société de ce genre
fondée en 1792.
Dans l'intérêt de sa chère Église constitutionnelle, il
fait imprimer une traduction de la célèbre homélie
démocratique que le cardinal Chiaramonte, Pie VII, avant
d'être élevé à la papauté, avait prononcée dans sa
cathédrale d'Imola.
14 mai. - Les Bourbons sont rentrés, Grégoire n'a pas
quitté la France ; il écrit à Louis XVIII pour qu'il
prête son concours à un projet de fusion des Églises
chrétiennes, grecque et latine, au sujet duquel il a
adressé un mémoire à l'empereur Alexandre. Depuis 1810,
il est en correspondance suivie avec l'archevêque
métropolitain de Moscou. Ce mémoire est inséré dans
l'Histoire des sectes religieuses.
18 août. - Grégoire a exprimé à l'Académie de Nancy le
regret de ce que l'on n'a pas rendu hommage à la mémoire
de Durival, homme de bien, ancien chef de division au
ministère des affaires extérieures, qui a écrit sur
l'histoire de son pays. Lamoureux ainé fait l'éloge de
notre laborieux confrère. « Le vaste et précieux dépôt
qu'il a recueilli, sauvé, démêlé, classé, est
soigneusement conservé. »
1815. - 1er avril. Malgré les instances de Carnot,
l'Empereur refuse d'admettre Grégoire dans la Chambre
des Cent-Jours. Il n'a oublié ni sa protestation
adressée au Sénat contre l'établissement de l'Empire, ni
son projet de déchéance, à la date de 1812. A
l'Institut, Grégoire proteste contre l'acte additionnel
aux constitutions de l'Empire.
2 juillet. - « Après Waterloo, sous la remise, comme
aujourd'hui, écrivait-il en 1830, je crus devoir
adresser à la Chambre des députés une réclamation en
faveur des nègres. » Dans un nouveau mémoire, imprimé
(De la Traite et de l'esclavage des noirs et des
blancs), il proteste contre l'odieuse stipulation du
traité de 1814, qui rétablit la traite, et il plaide,
avec énergie, la cause des noirs et celle des
catholiques d'Irlande. Il fait hommage à l'Assemblée de
la collection de ses ouvrages.
1816. 30 janv. - L'un de ses correspondants de la Meuse,
le curé de Billy-les-Mangiennes, le remercie du don
gracieux qu'il lui a fait de son livre sur les ruines de
Port-Royal ; il offre à son aimable protecteur l'hommage
de sa reconnaissance, il se met complètement à ses
ordres pour des recherches ; il lui demande son
portrait.
21 mars. - L'ordonnance Vaublanc l'éloigne de
l'Institut... Je lis dans une note l'expression de sa
colère (c. 534) : « L'ordonnance est illégale. Il y a
plus d'un siècle, l'abbé de Saint-Pierre fut chassé de
l'Académie française, Fontenelle protesta... Dans les
quatre classes de l'Institut, pas un n'a imité cet
exemple... D'après l'ordonnance de Louis le Fourbe, tous
ont accepté la flétrissure et consenti à n'être plus que
des commis congédiables, comme ceux de la douane. » Ce
qui ajoutait à son indignation, c'est que Vaublanc, son
ancien collègue à la Convention, comme lui comte de
l'Empire, et de plus préfet de la Moselle, se montrait,
en 1816, le ministre le plus redouté pour ses
épurations. Une mesure plus grave diminue ses moyens
d'existence : il est privé de sa pension d'ancien
sénateur, fixée à 24,000 fr. par l'ordonnance du 14 juin
1814. Il se décide à quitter Paris, il se retire a
Auteuil, il réduit les dépenses de sa maison et il vend
une partie de sa bibliothèque. Forcé de se défendre
contre les attaques les plus violentes, il le fait avec
une colère mal contenue, dans une brochure de 24 pages
in-8°, publiée sous le titre de Réponse aux libellistes.
« Il n'a jamais voté la mort de personne,... il a été
dénoncé aux Jacobins pour n'avoir pas voté la mort du
roi... On a imprimé contre lui le Philanthrope dévoilé,
on l'a accusé d'avoir abandonné les prêtres, victimes de
la Terreur,... il a plaidé leur cause, il a obtenu la
liberté d'un grand nombre ; ... il s'étonne de n'avoir
pas eu plus de détracteurs, car il s'est voué à la
défense des persécutés, juifs, anabaptistes, serfs,
nègres, mulâtres... Nourri dès l'enfance des lois de la
piété, il est philanthrope ; ne pas l'être serait cesser
d'être chrétien. » Il cite toutes les circonstances où
il a affirmé ses convictions et bravé le péril ; 17
brumaire an II, 1er nivôse an III, 18 brumaire an V... «
L'artillerie des gazettes jouait un grand rôle dans le
gouvernement de Bonaparte, on l'accusait de conspirer !
! Tel de ses ouvrages qu'on attaque a été imprimé sans
son aveu... ; des correcteurs infidèles ont inséré des
phrases qui ne sont pas de lui... Persécuté toujours
pour ses sentiments religieux et son aversion pour la
tyrannie, il se console des persécutions passées,
présentes et futures, au sein de la religion, des
lettres et de l'amitié. »
1817. 1er avril.- Le Concordat de 1817 le blesse et
l'irrite, il proteste : son Essai historique sur les
libertés de l'Église gallicane, fut inscrit à Rome sur
l'lndex librorum prohibitorum,. C'est tout à la fois nn
manuel du clergé gallican et une histoire des rapports
de l'Église avec l'État depuis saint Louis. Cet Essai,
qui eut une certaine vogue, ne manquerait pas
aujourd'hui d'opportunité. (Paris, in-8°, au bureau du
Censeur, 6 fr.) Dix ans après, une nouvelle édition
coûte 6 fr. 50 c. ; une traduction en espagnol, 2 vol.
in-12, 6 fr.
13 mai. - Le recteur de l'Université de Cassano lui
adresse, avec une lettre en fort bon latin, un diplôme
de membre honoraire.
1818. - Il publie : 1° des Recherches historiques sur
les congrégations hospitalières des frères pontifes ou
constructeurs de ponts (in-8°). Cette savante
dissertation a une valeur réelle ; elle met en lumière
les services rendus à l'architecture en particulier par
ces pieuses associations de maçons, d'ouvriers, de
constructeurs ; 2° une troisième édition (in-8°, 30 p.)
de sa traduction de l'homélie du citoyen Chiaramonte,
actuellement pontife, adressée au peuple de son diocèse,
dans la république cisalpine, le jour de la naissance de
Jésus-Christ, l'an 1797. L'avant-propos attira
l'attention de la censure, on vit une ironie dans
l'éloge du bon père qui s'efforce de verser dans le
coeur des fidèles la piété aimable et la charité, dont
le sien abonde... les sentiments de Pie Vll sont, n'en
cloutons pas, ceux du cardinal ; il les aura portés sur
le premier siège de la catholicité... On prétendit que
l'homélie était apocryphe, on exigea l'exhibition du
texte italien, quelques expressions furent rayées
impitoyablement par les douaniers de la pensée. Le
traducteur reproduisait avec une certaine malice
quelques propositions du pontife : « La forme du
gouvernement démocratique adoptée chez nous n'est point
en opposition avec les maximes que je viens de vous
exposer... Soyez tous chrétiens et vous serez
démocrates,... les vertus chrétiennes font la gloire des
républiques. » La censure interdit au Journal de la
librairie d'annoncer cet ouvrage.
1819. 14 juillet. - Désigné pour candidat des patriotes,
par les chefs de l'opposition dans l'lsère, Grégoire
accepte, mais il n'adresse pas de profession de foi aux
électeurs, il écrit à un ancien député une lettre, qui
est un manifeste : « Il ne veut faire aucune démarche
pour appeler sur lui les suffrages,... il ne déviera pas
de la route qu'il a suivie dans sa longue et pénible
carrière,... dans les temps calmes comme dans les
tempêtes... Il a toujours concouru à faire élire des
hommes désignés par l'estime publique,... récemment dans
les élections de la Seine, il l'a bien prouvé... Le
refus de servir encore sa patrie serait un crime,... le
souvenir du jour où il écrit aggraverait sa culpabilité
: ... il a exposé ses sentiments avec la franchise innée
de son caractère,... religion, vertu, liberté, science,
amitié, voilà, digne citoyen, les objets, qui toujours
occuperont mon esprit cL mon cœur, tel je serai jusqu'au
tombeau, qui doit bientôt me recevoir. Je vous embrasse
arec estime et affection. »
13 septembre. - Il est nommé député à une très forte
majorité ; il y a eu coalition ; soa élection est tout à
la la fois un défi et une menace contre le trône et
contre ce ministère libéral, qu'il faut renverser. La
presse de toutes les nuances s'occupe du vieux
conventionnel, on le porte aux nues, on le traîne dans
la boue. Un modéré, M. de Staël, lui exprime, au nom de
son parti, le désir qu’il refuse le mandat qu'un lui
donne. La lettre est du 2 octobre : « Votre nomination,
Monseigneur, effraie les honnêtes gens... On croit au
retour des passions funestes d'une autre époque... Elle
alarme, elle irrite les nations étrangères,... elle
divise les libéraux... Vous feriez preuve, Monseigneur,
d'un patriotisme éclairé en refusant... Il y a
incompatibilité entre le ministère calme d'un
prédicateur de l’Évangile et les guerres de parti, dont
une assemblée est le théâtre. » Il invoque le témoignage
de sa mère, l'exemple de l'Angleterre et de l'Amérique.
« J’ose espérer, Monseigneur, que vous verrez dans la
franchise de cette lettre un hommage rendu à votre amour
de la liberté... M. de Broglie se joint à lui pour vous
adresser cette prière ; il vous remercie de l'envoi que
vous avez bien voulu lui faire.»
Grégoire est mécontent, il ne répond pas ; il écrit en
marge sur cette lettre : « Erreur, il y a le banc des
évêques au Parlement anglais. » Le ministère semble
disposé à payer son désistement par des faveurs, les
patriotes, d'autre part, le conjurent de ne pas les
abandonner, d'être leur illustre guide ; il répond à
Lafayette : « Monsieur et honorable collègue, ce début
vous atteste que je n'ai pas donné ma démission.
Assurément si je ne consultais que mon goût. .. et le
désir d'achever quelques ouvrages, depuis longtemps sur
le chantier, je préférerais ne pas rentrer dans la
carrière politique, mais en ce moment donner ma
démission serait un acte de lâcheté... une tache de
cette nature n'a jamais flétri mon caractère... » Le
même jour il adresse aux électeurs une lettre de
remerciements.
6 décembre. - .La rentrée de la Chambre a eu lieu,
Grégoire n'a pas reçu de lettre de convocation ;
l'extrême droite le repousse pour cause d'indignité, la
droite et le centre pour cause d'illégalité... On
invoque l'article de la Charte pour prouver la nullité
de l'élection. Ce jour-là, le député Becquez présente,
au nom du cinquième bureau, un rapport sur les
opérations du collège électoral de l'Isère : « le bureau
a pensé que M. Grégoire n'ayant aucun droit pour être
admis, nous étions dispensés de soumettre à votre examen
une question bien plus grave, qui agite tous les
esprits, depuis le jour où le bruit de cette nomination
a retenti dans le royaume, question de morale publique,
qui se rattache aux plus douloureux souvenirs,
puisqu'elle rappelle l'horrible attentat que la nation
en deuil va, chaque année, déplorer aux pieds des
autels. » Une très vive agitation se manifeste, à droite
et à gauche ; Lainé, qui est à la tribune, ne peut
obtenir le silence : le Président invite l'Assemblée à
rester calme, à conserver la dignité qui doit
caractériser la délibération, en présence de la France
et de l'Europe... Benjamin Constant, Manuel, de La
Bourdonnaye, Villèle, demandent la parole, le bruit et
l'agitation redoublent... Après le ministre Pasquier,
Manuel se présente à la tribune... La droite et le
centre se lèvent aux cris de : Non, non, descendez...En
vain Lainé réclame le silence, le tumulte est
effroyable, le Président se couvre, la séance est
suspendue et la Chambre, aux termes du règlement, se
retire, une heure, dans ses bureaux. A trois heures
moins un quart, le Président, M. Anglès, doyen d'âge,
monte au fauteuil ; il faut lire, au Moniteur, les
discours de Pasquier, de Lainé, de Benjamin Constant
surtout, qui supplie la Chambre d'écarter la question
d'indignité et de délibérer Sur la légalité... « C'est
au nom de la Charte, c'est au nom du Roi, qu'il demande
cet acte de justice. » M. Ravez établit que les deux
propositions tendant au même but, celle de l'illégalité,
comme celle de l'indignité, la Chambre n'a pas besoin de
motiver sa délibération. Une très forte majorité se
réunit à cet avis, la Chambre déclare la
non-admissibilité de M. Grégoire. Les cris de Vive le
Roi (32) ont retenti dans les tribunes et sur les bancs
de la droite (33).
Le même jour, Grégoire écrit à son ami Lambrechts, il
repousse les motifs d'indignité et d'illégalité, il
accuse la faiblesse, la lâcheté, la mauvaise foi de ses
adversaires ; ce qui surtout le blesse et l'irrite,
c'est la conduite du ministre, président du Conseil,
Decaze, pour lequel il a eu autrefois l'affection d'un
père. M. Carnot a trouvé dans ses papiers une note «
dont le décousu atteste la sincérité : « Ego, lié avec
lui et subito, brusquement rompu. Quare ? Nescio ; il a
de belles qualités, sed... »
1820. 25 janvier. - Grégoire adresse une seconde lettre
aux électeurs de l'Isère ; il explique les motifs de sa
conduite : « En refusant une démission qu'on sollicitait
avec bassesse, j'ai montré de quel peu de valeur sont à
mes yeux ma propre tranquillité et mon bonheur au prix
du salut de la patrie. » (In-8°, 31 p.)
10 juin,. - Il reçoit un diplôme de membre de la Société
historique de New-York.
1er juillet. - En vertu de la loi du 28 mai, le comte
Grégoire est inscrit sur la liste des pensions pour une
somme de 24,000 fr., avec jouissance du 22 décembre
1819. Dans toutes ses quittances, il ajoutait : « Sans
préjudice de ce qui m'est redu pour 2 ans et 3 mois,
dont je n'ai rien perçu et pour la diminution arbitraire
qui a eu lieu, pendant un autre laps de temps, ce qui
est formellement contraire à l'ordonnance du 4 juin 1814
et à la loi intervenue sur cet objet. »
3 juillet. - Il publie au tome V de la Chronique
religieuse un opuscule anonyme : Des Catéchismes qui
recommandent et prescrivent le paiement de la dîme et
l'obéissance aux seigneurs de paroisse, officiellement
imprimés depuis 1817. Ce pamphlet, réimprimé en 1822,
comprend 16 pages in-8°.
4 juillet.- Psaume, dans le Journal de la Meurthe, fait
l'éloge de la deuxième édition de l'Essai sur les
libertés de l'Église gallicane. L'évêque a retrouvé aux
archives apportées du Vatican à Paris, l'original de la
lettre qui l'invitait à résigner ses fonctions
épiscopales : « L'original est plus poli, plus chrétien
que l'injonction qui lui a été faite. »
15 septembre. - A l'inhumation du vénérable Maudru,
ancien évêque de Saint-Dié (34), jeté, en 1793, dans les
cachots de la Conciergerie, Grégoire, dans l'église de
Belleville, prononce une oraison funèbre, où l'on
retrouve, avec ses opinions sur l'Église
constitutionnelle, les plus belles pensées sur
l'immortalité de l'âme. « Ici-bas, nous ne sommes pas
chez nous, nous n'avons pas de cité permanente en ce
monde dont la figure passe... Une autre patrie nous
attend, le Dieu que nous servons ne sera pas toujours
invisible, la splendeur du jour éternel paraitra...
Appuyés sur l'espérance, ayons les yeux fixés sur
Jésus-Christ, l'auteur et le consommateur de notre foi ;
nous sommes en route pour l'éternité... que la fin du
voyage soit le commencement de notre bonheur... »
Certes, s'il n'a pas l'autorité de l'évêque, il en a
parfois le langage et, comme on l'a dit, s'il a les
mains d'Ésaü, il a souvent la voix de Jacob.
4 octobre. - Dans son ouvrage Du Gouvernement de la
France depuis la Restauration..., M. Guizot attaque les
jacobins, les républicains, les régicides et il n'oublie
pas M. Grégoire, dont le nom ne rappelle que des
souvenirs de sang et de terreur. « Un monsieur
Dubouchage, que l'évêque de Blois ne connaît pas et
qu'il ne désire pas connaitre », a fait imprimer une
lettre où plusieurs fois on lit ces mots : Le régicide
Grégoire ; aussitôt il adresse à tous les journaux une
violente protestation. « Dans plusieurs écrits, il a
gravé sur le front de ceux qui l'ont accusé d'avoir voté
la mort du roi, la qualité ineffaçable de lâches et
infâmes calomniateurs... vous entendez, Monsieur
Dubouchage, lâches et infâmes. Ce signalement vous est
commun avec ceux qui conseillent, qui ordonnent, qui
paient, qui répètent de pareilles impostures... avec
quelques députés... qui ont si souvent et si lâchement
outragé un homme qui n'était pas là pour se défendre. »
Depuis 1814, il vivait paisible, inoffensif, retiré du
monde, dans sa studieuse solitude et depuis seize mois
surtout il est en proie à toutes les fureurs de la
persécution... Il déclare à ses calomniateurs qu'il les
traduira au tribunal de l'histoire et de la postérité,
dont il ne craint pas le jugement. La censure, « qui a
permis d'insérer la lettre de l'infâme calomniateur,
interdit aux journaux. l'insertion de cette réponse ».
Grégoire écrit au duc de Richelieu, président du Conseil
; il se plaint de ce que tout récemment, par la petite
poste, il lui est arrivé une lettre de Lausanne,
indignement décachetée et découpée... Son âme inflexible
se roidira toujours contre la fourberie, la calomnie,
l'iniquité : « Je suis comme le granit, on peut me
briser, mais on ne me plie pas. Je réclame de votre
justice, avec confiance, l'ordre de faire insérer dans
le Moniteur et aux journaux ma réponse textuelle et
intégrale... Si mon attente était déçue, j'en serais
affligé pour moi et pour vous. » Le duc ne répondit pas,
mais immédiatement Benjamin Laroche, dans une brochure
de 9 pages, publia les deux lettres de Grégoire,
précédées et suivies de considérations critiques sur
l'ouvrage de M. Guizot, dont il constate les erreurs sur
les doctrines et sur les hommes. Les chapitres X, XI et
XII sont consacrés à M. Grégoire, à son élection, à la
séance du 8 décembre.
1821. - L'ancien évêque de Blois publie successivement
une Notice sur une association de prières (36) et une
brochure : De l'Influence du christianisme sur la
condition des femmes (35). Le christianisme améliore la
condition de la femme ; il a exercé une heureuse
influence sur la législation civile en leur faveur. La
loi de Beaumont-en-Argonne fut rédigée, en 1182, par
l'archevêque de Reims. Il a des paroles sévères pour les
fausses dévotes, il critique les abbesses de Remiremont
et de Fontevrault, mais il fait le plus bel éloge des
sœurs hospitalières, des filles de Saint-Vincent de Paul
; il exalte surtout l'héroïsme des femmes qui, sous la
Terreur, pénétraient dans les cachots... Il y a une page
sur l'éducation de la femme que Fénelon n'aurait pas
désavouée. La piété véritable console de tout, la femme
y trouve un appui qui tempère les souffrances du présent
par les espérances de l'avenir ; en général, elles
quittent la vie avec plus de résignation que les hommes,
quarante ans d'exercice dans le ministère m'ont procuré
l'occasion fréquente de faire celle remarque. « La
reconnaissance doit fortifier leur attachement au
christianisme,... la seule religion qui leur a rendu
leurs droits et la seule qui puisse les leur conserver.
Grégoire, dont l'érudition était immense, me semble
avoir profité de deux écrits fort rares, de Louis Machot,
archidiacre du Port, chanoine de Toul, qui, en 1640,
publiait : un « Discours ou sermon apologétique des
femmes, question nouvelle, curieuse et non jamais
soutenue » et un « Traité des différends politiques
entre les papes et les rois ».
1822. - L'indulgence des lois a provoqué des actes de
barbarie ; Grégoire public sons ce titre : Des Peines
infamantes à infliger aux négriers, une brochure pleine
de verve et d'indignation. II fait réimprimer son Manuel
de piété à l'usage des hommes de couleur et des nègres ;
le texte est orné de figures.
19 novembre. - Il refuse de remplir les conditions
exigées pour le renouvellement de son brevet de
commandeur de l'ordre royal de la Légion d'honneur ;
avec la franchise ou plutôt la crudité de son caractère,
il écrit une longue lettre au grand chancelier, le
maréchal Macdonald : il rappelle les honneurs qu'il a
reçus dans les trois hiérarchies, ecclésiastique,
politique, littéraire, et aussi « le plan systématique
d'impostures, d'outrages, de persécutions commandées,
soudoyées, ourdies... contre lui... repoussé de
l'Institut, repoussé du siège législatif, il n'enverra
pas les documents qu'on lui demande, il ne donnera pas
aux agents du pouvoir le plaisir de le faire révoquer...
arrivé aux confins de l'éternité, il n'a d'autre
ambition que de mériter un arrêt favorable au tribunal
de l'histoire et à celui du juge éternel. » Sa lettre
est énergique, mais il a dû entourer sa détermination
des motifs sur lesquels elle s'appuie... : « la vérité
les a tracés, il croit le maréchal digne de l'entendre
et cette déclaration est un hommage d'estime qu'il lui
présente. » Il publie sur cette abdication volontaire et
motivée du titre de commandeur une brochure in-8°.
1823.- Il fait imprimer des Considérations sur le
mariage et le divorce adressées ua citoyens d'Haiti. Il
y démontre la sainteté et l'indissolubilité du lien
conjugal. (In-12, 59 p. 1 1,25).
27 juin. - J.-B. Grégoire, de Baccarat, suppléant du
juge de paix, prie son parent de faire accorder à son
fils la bourse qu'il a fondée au séminaire : « Personne
n'ignore que votre pouvoir égale votre mérite,... si la
bourse n'est pas libre, vous pourriez foire admettre mon
fils dans tel séminaire il vous plairait. »
27 septembre. - Mélin de Château-Salins implore son
appui en faveur des soeurs d'un curé défunt, qui avait
été son confrère, en 1785. A la date de 1823, on trouve
[n° 2345] des notes manuscrites très importantes sur le
R. P. Fourier, sur R. Didier de la Cour, réformateur des
Bénédictins, sur les sœurs de la Providence, dont il
fait l'éloge, sur les hommes et les choses de l'histoire
de la Lorraine.
1824. - Les publications de cette année sont nombreuses,
quelques-unes fort importantes : 1° une notice sur les
irrégularités d'une lettre pastorale. C'est une
appréciation peu charitable du mandement d'un évêque
(Paris, in-8°) ; 2° un projet d'organisation de la
république des lettres soumis au jugement du public. Il
y développe l'idée d'une diète, qui serait la
représentation oecuménique de la république des lettres.
Cette république acéphale, dans le sens de ce mot qui
exclut la domination, admet des rangs déterminés par
l'admiration, l'estime, la reconnaissance... Là se
réuniraient des diverses contrées du globe, des savants,
des députés d'universités, d'académies, de corporations
littéraires et scientifiques... Outre ce congrès
général, chaque pays, chaque province pourrait
annuellement en tenir un, auquel seraient admis les
savants étrangers ; 3° un essai sur la solidarité
littéraire entre les savants de tous les pays. Il dédie
à Legendre, de l'Institut, cette brochure, où il expose
le plan d'un asile littéraire, où seraient recueillis
les savants de toutes les nations victimes de
l'injustice ou de l'infortune. L'un des fondateurs d'une
société en faveur des savants et des hommes de lettres,
il signe, avec François de Neufchâteau, un prospectus,
qui en précise le but : « Donner des encouragements et
des récompenses aux hommes de génie, aux auteurs, aux
inventeurs, aux jeunes gens, qui annonceraient de grands
talents..., provoquer la composition d'ouvrages utiles,
la traduction de bons écrits, les recherches, les
inventions,... qui auront pour but le perfectionnement
des connaissances humaines ; 4° une brochure intitulée :
De la Liberté de conscience et de culte, à Haiti. C'est
une réponse aux reproches d'intolérance formulés par
quelques missionnaires méthodistes contre les habitants
de Saint-Domingue, où lui-même il envoyait et il
entretenait des prêtres français ; 5° une Histoire des
confesseurs des empereurs, des rois et d'autres princes
(in-8°, 2 chapitres, 411 p.). Le chapitre premier est
une sorte d'introduction : la religion et la politique
furent joujours et toujours elles seront les plus
puissants mobiles de l'ordre social... On doit
poursuivre l'erreur et le vice jusqu'au pied du trône et
de l'autel... La littérature est présentement, comme la
nation, divisée en côté droit et en côté gauche Un livre
paraît, n'attendez pas une analyse raisonnée... C'est la
personne qu'on juge et non le livre... Il y a dans cet
ouvrage des anecdotes fort curieuses, j'en citerai
quelques-unes : « Un jour de fète, à Milan, Théodose
apporte son offrande à l'autel, il reste dans l'enceinte
du sanctuaire, Ambroise lui fait dire par l'archidiacre
: la pourpre ne fait pas le prêtre. L'empereur remercie
et va se placer à la tète des laïques ; je ne connais,
disait-il, qu'Ambroise qui justifie en tout son titre
d'évêque. En 1775, dans une contrée, qui compte des
sources salées multipliées et abondantes,... un pauvre
octogénaire avait puisé un peu d'eau pour préparer une
mauvaise soupe ; surpris par les agents du fisc, il fut
traîné dans une prison, où il trouva le terme de sa vie.
Là, étendu sur un triste grabat, il réclama les secours
de la religion, les reçut avec piété et dans les
transports d'une joie angélique, son âme s'exhala vers
le ciel ; le confesseur qui lui administra les sacremens
a parcouru les divers grades de la hiérarchie, mais de
toutes les fonctions qu'il a remplies, aucune ne lui a
laissé des souvenirs plus attendrissans et plus
honorables. » Il examine et critique les Monita secreta
de la Compagnie de Jésus, il fait un bel éloge des
oratoriens, où, selon l'expression de Bossuet, on
commandait sans empire, on obéissait sans dépendance...
Il loue les bénédictins, les prémontrés, les
doctrinaires, qui se concentraient dans les exercices
littéraires et religieux. Il analyse et résume le
principaux traités sur la direction de la conscience des
princes ; il accepte les doctrines politiques que
Bossuet tire de l'Écriture, il adopte un grand nombre de
propositions du Télémaque, mais il critique la
description très peu épiscopale de la grotte de Calypso.
Il est sévère pour les crimes politiques ; l'étal de la
religion dans les cours est déplorable, mais il réfute,
avec énergie, un livre publié, en 1618, sur la situation
des protestants en France ; l'auteur a prétendu « qu'il
s'établit une étroite intimité entre les confesseurs des
princes et leurs maitresses et cependant en une matière
si grave, il n'a articulé aucun fait. » Le secret de la
confession est prescrit par le droit naturel, le droit
divin et le droit ecclésiastique, aussi « depuis 35 ans,
parmi les scandales causés par des prêtres sans
vocation, dont les évêques de l'ancien régime avaient
encombré l'Eglise,... il est inouï qu'aucun n'ait violé
le secret de la confession. En 1202, l'impératrice
Constance appelle à Palerme l'abbé Joachim, qui avait un
renom de sainteté... Elle veut lui faire la confession
de toute sa vie. Introduit dans la chapelle, l'abbé voit
un trône magnifique élevé pour la princesse et plus bas
un tabouret pour le confesser... Madame, lui dit-il,
vous comparaissez ici en criminelle, descendez du trône,
faites votre confession dans une posture plus humble,
sinon, je me retire. Constance descend, s'agenouille sur
le pavé et se confesse avec de grands sentimens de
pénitence. » Après une longue énumération des
confesseurs des empereurs grecs, russes, allemands, des
princes et des princesses en Belgique, en Bourgogne, en
Lorraine, il arrive aux confesseurs des évêques, des
cardinaux et des papes... A quelques exceptions près, la
conduite des papes envisagés soit comme chefs de
l'Église, soit comme chefs d'une souveraineté temporelle
commande l'estime. Nulle part on ne trouve une
succession si ancienne, si nombreuse, si vénérable
d'hommes vertueux et savants. Les sept chapitres
consacrés aux confesseurs des rois et des reines de
France ont un intérêt particulier ; il fait un bel éloge
de saint Louis... qui sut résister respectueusement aux
exactions ultramontaines ; il connaissait les limites
qui séparent l'autorité légitime des abus que l'on en
peut faire. Il reproche à Louis XIV son luxe et ses
tendances mythologiques ; « il n'a pas élevé une statue
à l'héroïne qui sauva la France » ; il attaque Lachaise
et Letellier, provocateurs de la bulle Unigenitus... Il
flétrit la conduite scandaleuse de Louis XV et de ses
maitresses ; il sait gré au régent « d'avoir préféré à
tout autre le docte et sage abbé Fleury, prêtre séculier
et roturier, parce qu'il n'était ni janséniste, ni
moliniste, ni ultramontain.» Il apprécie et résume les
causes de la Révolution : les dilapidations et le
libertinage de la cour, le déficit et l'incrédulité. «
Sous Louis XV, la débauche et son alliée naturelle
l'impiété rompent les digues... Louis XVI fut un modèle
de fidélité conjugale... Il était sincèrement pieux...
Ses deux confesseurs furent massacrés dans les horribles
journées de septembre qui, suivant l'expression de
l'évêque Fauchet, seront l'épouvante de tous les
siècles... » Le conventionnel a oublié sa haine contre
le tyran ; il raconte, en termes émus, comment au Temple
et sur la place de la Révolution, l'abbé Edgeworth a
rempli son ministère sacré ; il parle de la reine avec
respect, il blâme Napoléon de n'avoir pas eu de
confesseur en titre. « Le Salomon, le Cyrus, le
Constantin, le nouveau Théodose fit supprimer dans le
cérémonial du sacre l'article qui portait que le roi,
après s'être confessé, devait communier sous les deux
espèces ; cependant il tient pour certain qu'à
Sainte-Hélène, « l'ex-empereur a réclamé et reçu les
secours spirituels ».
1825. 24 mai. - ll ajoute un codicille à son testament
de 1804 : « Je lègue pour les pauvres et pour les écoles
500 fr. à la paroisse de Vého, 500 fr. à celle d'Emberménil,
500 fr. à celle de Vaucourt, 400 fr. à celle de Marimont,
500 fr. à celle de Plessis-Saint-Jean, 500 fr. à la
paroisse où je mourrai. L'évangile du cinquième dimanche
après la Pentecôte a pour objet le pardon des ennemis,
je consacre une somme de 4,000 fr. à la fondation d'une
messe annuelle pour mes calomniateurs et mes ennemis
morts et vivants. » Je me borne à compléter ici les
détails que j'ai donnés dans la première partie (p. 27,
30, 62). « Je prie Mme Dubois d'étendre ses bienfaits à
ceux de mes calomniateurs et de mes ennemis qui seraient
dans le besoin et à leurs enfants. Je lègue 6,000 fr.
pour six prix à décerner au concours pour les questions
ci-après : 1° prouver par l'Écriture sainte et par la
tradition que le despotisme ecclésiastique ou politique
est contraire au dogme et à la morale de l'Église
catholique ; 2° quels seraient les moyens d'extirper le
préjugé injuste et barbare des blancs contre la couleur
des Africains et des sang-mêlés ; 3° quels seraient les
moyens d'inspirer aux savants, gens de lettres et
artistes du courage civil et de la dignité, de prévenir
ou de guérir la propension qu'ils ont presque tous à
l'adulation et à la servilité ; 4° quels seraient les
moyens les plus efficaces pour rendre aux libertés
gallicanes leur énergie et leur influence et de rétablir
en entier l'antique discipline ; 5° les militaires
assouplis par l'obéissance passive et par la force
physique ont une tendance à négliger ou à fouler aux
pieds les devoirs des citoyens, quels seraient les
moyens d'empêcher qu'ils ne les oublient et de les
porter à les remplir ? 6° les nations avancent beaucoup
plus en lumières et en connaissances qu'en morale
pratique ; rechercher les causes et les remèdes de cette
inégalité dans leurs progrès. » Ces dispositions ne
furent exécutées qu'en 1836, après la mort de Mme
Dubois, qui confia à son exécuteur testamentaire le soin
de régler le mode du concours. L'Académie de Stanislas,
en ce qui concerne la troisième question, déclara
qu'elle était bien loin de penser que les hommes de
lettres, plus que les autres, fussent dépourvus de
courage civil et de dignité ; en 1838, elle décerna à M.
Perrot un prix de mille francs pour un mémoire sur ce
sujet (37).
22 octobre. - Il rédige une note sur ce qu'il désire que
l'on fasse, s'il tombe malade, et dès qu'il aura expiré.
« J'ignore si la mort viendra m'atteindre inopinément
par un coup d'apoplexie, par un accident, par un
assassinat... Dans ce dernier cas, je pardonne à celui
qui m'ôterait la vie et je prie Dieu qu'il lui pardonne
.... Si, au contraire, une maladie précède mon trépas,
je supplie ma bonne mère adoptive de me procurer sans
délai les secours de la religion, plus importans que
ceux de la médecine, en priant de se rendre près de moi
mon confesser, M. Euvrard, prêtre de la paroisse
Saint-Séverin, rue de la Vieille-Boucherie, 24, pour me
disposer au passage de la vie à l'éternité, par les
sacremens de pénitence, d'extrême-onction et de
l'eucharistie comme viatique. Par respect pour le
caractère épiscopal dont, quoique indigne, j'ai
l'honneur d'être revêtu et pour me conformer aux
prescriptions du pontifical et du rituel, on me revêtira
du rochet, camail, étole, croix pastorale ; avant de
recevoir le corps sacré de Jésus-Christ, je
renouvellerai mes vœux de baptême et ma profession de
foi catholique. Je regarde comme un crime l'absurde
délicatesse de ceux qui craignent d'annoncer à un malade
le danger de sa situation ; je veux qu'on m'en instruise
sur-le-champ, c'est tout à la fois un ordre que je donne
et une grâce que je demande ; dès ce moment, je supplie
les personnes qui veulent bien s'intéresser à moi de
redoubler de ferveur pour demander à Dieu le salut de
mon âme. Que l'on fasse près de moi des prières, à voix
haute, afin que mon cœur s'y associe... Qu'on me
récite... l'hymne Urbs Jerusalem beata, qu'on me lise la
passion de Notre-Seigneur... Qu'on place le crucifix
entre mes mains... Quand on présumera que je suis près
d'expirer que l'on me récite les prières des agonisans,
que l'on m'étende, si ma situation le permet, sur la
paille ou sur la cendre, pour y rendre l'âme, en
pénitent. Je veux que ce soit un homme qui
m'ensevelisse... On trouvera dans mon testament mes
dispositions concernant mon inhumation, mais, au moment
où j'écris, les journaux retentissent du refus de
sacremens de la par d'évêques ignorans et fanatiques....
Le clergé insermenté, émigré, accorda les funérailles
chrétiennes à Lalande, qui professa l'athéisme le plus
révoltant, à Volney, mort décidément incrédule... Qui
sait si la haine du clergé, qui actuellement domine la
France, ne les refusera pas à l'évêque qui, dans la
Convention, au milieu des hurlemens de l'impiété, se
déclara catholique et évêque... Si, après tant de
calomnies, d'outrages, de persécutions, un dernier
outrage est réservé à ma dépouille mortelle, que Dieu
pardonne à ceux qui en seront les auteurs et les
approbateurs ! J'espère en la miséricorde de Dieu, par
les mérites de Jésus-Christ, mon Sauveur. »
30 novembre. - Je lis, dans les papiers de Grégoire (cart.
535), une note sur M. Noël, notaire à Nancy : « M. Noël
vient de publier des documens curieux sur les domaines
et sur l'état constitutionnel de la Lorraine, ils
éclairent des faits et fixent l'opinion... La Lorraine
était un pays d'États composés des trois ordres auxquels
le pouvoir du prince était subordonné ; à chaque
vacance, le duc devait se faire reconnaître par les
États, ce qui n'avait lieu qu'après avoir prêté serment
de maintenir les droits et franchises du pays. Le prince
ne pouvait sans leur consentement, ni établir, ni lever
des impôts. En 1561, les États assemblés à Nancy
refusent de payer les aides, c'était le budget du pays,
ils étaient mécontens de quelques ordonnances... La
conduite du fougueux, fourbe, libertin Charles IV ayant
attiré les troupes étrangères, ce beau pays (38) fut en
proie aux calamités de tout genre... Les États furent
assemblés pour la dernière fois, en 1629... En France,
la dernière assemblée est de 1614... Depuis cette époque
la Cour des comptes, la Cour souveraine, le Parlement de
Nancy, qui avaient la prétention de remplacer tes États,
refusèrent plusieurs fois d'enregistrer les édits... Il
est à désirer que des citoyens éclairés comme lui
s'occupent de recherches analogues à celles qu'il a
faites ; sûrement leur zèle y découvrirait des titres
enfouis par le despotisme, qui serviraient à constater
par des faits les droits imprescriptibles des peuples à
la liberté. M. Noël, à l'occasion d'un Résumé de
l'histoire de Lorraine publié par Henri Étienne,
rappelait « que M. l'évêque Grégoire s'était fort
intéressé à la publication de cet ouvrage », et qu'il
lui avait demandé des renseignements, entre autres sur
le supplice du curé de Ludres.
1826. - Deux publications : 1° De la Noblesse de la
peau, ou du préjugé des blancs contre la couleur des
Africains et celle de leurs descendants noirs et
sang-mêlés. Le manuscrit in-8° est à la bibliothèque de
l'Arsenal ; ° Histoire du mariage des prêtres en France,
particulièrement depuis 1789 (39). La préface mérite
d'être signalée : « La partie souterraine de la
Révolution n'est pas entièrement découverte... Des
personnages qui, dans ce drame étonnant, furent toujours
acteurs ou spectateurs, avouent que bien des choses ont
échappé à leurs investigations, comment donc des hommes
qui n'étaient pas nés pourraient-ils se flatter d'en
montrer tous les ressorts ? Les vétérans de la
Révolution remarquent l'ignorance et les préjugés de la
génération nouvelle sur les événemens accumulés depuis
1789. Les affaires ecclésiastiques et politiques sont
mal jugées : La génération présente n'a pas même l'idée
de ce que l'établissement d'un nouveau calendrier, les
fêtes sacrilèges de la Raison, les fêtes décadaires ont
coûté de sang, de larmes et d'argent. » Il raconte les
persécutions des proconsuls envoyés par la Convention,
des tribunaux et des sociétés populaires pour forcer les
prêtres à se marier. Charles Lacroix, en mission dans la
Meuse (21 fruct. an ll), arrête que tout prêtre non
marié sera mis en surveillance et chassé de la paroisse
où il aura exercé. Il rappelle les services rendus par
les filles de la Charité et par les curés, en faveur de
qui tous les cahiers de la noblesse et du Tiers
réclamaient en 1789. «C'est le clergé qui avait couvert
la France d'établissemens destinés à l'instruction et au
soulagement des malades, collèges, écoles, hôpitaux,
secours de bienfaisance... Tout cela a été détruit,...
et par qui ? » Il n'oublie pas les anathèmes des
conciles contre les prêtres mariés, il analyse les
causes et les résultats de ces unions scandaleuses, il
en donne le nombre et il blâme, avec aigreur, les
évêques de Nancy et de Meaux qui ont réintégré dans
leurs fonctions des prêtres mariés... Il déplore l'état
actuel de la France inondée par le jésuitisme, et il
termine cette .douloureuse histoire par cette phrase qui
montre bien les tristesses et les amertumes de son âme :
« Pauvre Église de France, qui du temps de Bossuet était
la plus illustre de la catholicité par les vertus et les
talens, à quel état déplorable elle est réduite ! »
Grégoire publie des observations critiques sur l'ouvrage
de M. de Maistre intitulé : De l'Église gallicane dans
ses rapports avec le souverain pontife. Le mémoire est
violent, il ne discute pas, il insulte ses
adversaires... « Ce sont d'aveugles et coupables
pharisiens qui calomnient l'Évangile. Ils se sont faits
chevaliers du trône et de l'autel... Qui pourrait ne pas
sourire de pitié, quand de Maistre adresse ses
condoléances au clergé concordaliste d'avoir été, sous
Napoléon, exposé aux antichambres... Son ouvrage sur
l'Église gallicane est un tissu de déclamations, de
contradictions, de paradoxes, de paralogismes... Les
exposer c'est les réfuter. »
1828. - Il fait imprimer, en 5 volumes in-8°, une
troisième édition de l'Histoire des sectes religieuses
qui sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans
les différentes contrées du globe, depuis le
commencement du siècle dernier Jusqu'à l'époque actuelle
(40). Ce livre, fruit de longues et intelligentes
recherches, est certainement l'œuvre de prédilection, l'oeuvre
maitresse de l'évèque. Durant plus de 30 années, il a
étudié, avec cette énergie, cette passion, qu'il apporte
à tout ce qu'il fait, la naissance, le développement,
les caractères, la ruine des diverses sectes ; son
immense érudition a réuni, dans un ordre plus ou moins
logique, une foule de documents inédits, d'anecdotes, de
citations du plus haut intérêt ; il y a des pages
éloquentes, des scènes dramatiques, des pensées élevées
et chrétiennes ; c'est l'histoire la plus complète, la
plus originale des erreurs et des superstitions qui ont
affligé l'humanité ; c'est le travail de ses dernières
années. Je me borne à citer, avec le titre des 10
livres, qui comprennent 163 chapitres, quelques
fragments relatifs aux contrées de l'Est et à l’évêché
de Blois : 1er livre, 12 chapitres : Athéisme. Fêtes de
la Raison. De l’Être suprême. Nouveau calendrier.
Institution et chute des fêtes nationales et décadaires.
« On tracera d'abord l'histoire de la subversion du
culte catholique, en 1793, l'athéisme érigé en système,
puis le culte prétendu de la raison remplacé par les
fêtes de l'Être suprême et les orgies décadaires... »
Que de révélations épouvantables sur les choses et les
personnes ! « Chaque commune était en proie à la
tyrannie d'une poignée de pervers, qui composait
rarement le centième de la population,... qui punissait
par les cachots ou la mort les soupirs des opprimés...
Partout les persécuteurs s'emparent des églises, les
dévastent, inscrivent au frontispice : « Temple de la
Raison », parce qu'on y boit, on y danse, on y chante
des couplets immondes... Barbier, agent national à
Dieuze, invite les communes du district à remplacer les
idoles des prêtres par les bustes de Marat et de
Robespierre... A Sarreguemines, l'agent écrit : «
Autrefois on s'engouait pour les calotins et leurs
orviettes, aujourd'hui l'aimable Raison, l'équerre à la
main, dirige les citoyens... » Vomis par les comités de
salut public et de sûreté générale, la plupart des
députés en mission, si justement appelés proconsuls,
parcourent les départements, précédés par la Terreur,
escortés par la hache des supplices... A Nancy, le 30
brum. an II, à la fête civique, au temple de la Raison,
Brisse, maire de la ville, fit l'éloge d'apostats
connus... Le député Faure prit le calice de l'évêque, le
fit remplir de vin et but. à la République, les corps
constitués en firent de même (41)... A
Châlons-sur-Marne, le char de la féodalité, rempli de
vêlements sacerdotaux, est trainé par des ânes
mitrés,... on y voit le pape et deux cardinaux ; des
hommes armés de haches enlèvent le pape, ils l'attachent
au char de la liberté, ils jettent au feu les ornements
du culte, en présence du proconsul ordonnateur de la
fête... Je n'ai pu m'assurer si, à Blois, on a fait
fouler l’Évangile aux pieds de la fille, qui joua le
rôle de déesse de la raison... A Lunéville (14 brum. an
II), Benoît, l'aîné, dresse le plan d'une fête civique,
il y rappelle l'existence de Dieu... Un garçon de 12
ans, le casque en tête, le sabre en baudrier, avec un
drapeau surmonté d'une hache et d'un coq, représentera
la France ; sur un char attelé de quatre chevaux, deux
jeunes filles, grandes et bien faites, couronnées de
roses et de feuilles de chêne..., représenteront la
liberté et l'égalité... Quatre desservants porteront
deux cassolettes de parfums à l'honneur de l'Éternel,...
douze autres, tous en lévites, un bramine ayant sur sa
poitrine une prière philanthropique, fera, à chaque
station, une prière à voix haute, après qu'on aura
chanté en chœur l'hymne national. - Chaque jour voyait
éclore un décalogue républicain, un credo républicain
tissu de blasphèmes ; l'administration de la Haute-Saône
envoyait à ses administrés le Pater de Félix Nogaret. -
Grandidier, de Moyen-Vic, publiait la messe nationale
des Français dédiée à Pie VI ; dans la pièce finale qui
correspond à l'Évangile saint Jean, Voltaire est
l'envoyé de Dieu (42) ... - Le journal républicain de la
Meurthe publie (29 flor. an II) une prière patriotique à
l’Être suprême : « O toi, à qui nous parlons debout pour
ne point avilir ton ouvrage et nous approcher de ces
globes célestes que tu fais rouler sur nos têtes ...» la
fête de Commercy (20 prair. an II), le maire Arnould
déclare que l'Être suprême ne prit jamais intérêt aux
gestes, aux génuflexions, aux habits des prêtres... A
l'issue de la fète, un exercice eut lieu à l'institution
littéraire ; un élève fit un discours dans lequel il dit
qu'en lisant Robespierre, Saint-Just, Collot d'Herbois,
on croit entendre des oracles ; la Grèce les aurait pris
pour des dieux. Le ministre de la police, Duval, avait
écrit au commissaire central de Loir-et-Cher pour
s'informer s'il était vrai que l'évêque Grégoire
défendait de transférer le dimanche... J'en fus informé
confidentiellement, je fis répondre qu'il circulait
contre la translation non pas un écrit, mais deux et
qu'au besoin ils seraient suivis d'un troisième... -
L'empereur Julien n'eût été qu'un novice sous la
Convention et sous le Directoire (43), qui a raffiné en
astuces et en perfidies... Quels moyens ont été employés
pour établir leurs fêtes ? Les promesses, les
flatteries, les menaces, la fourberie, l'imposture, le
pillage, les amendes, la confiscation, les cachots,
l'exil, la déportation, l'échafaud... Le message du
Directoire au Corps législatif dans la guerre contre le
dimanche accéléra leur chute... Le 7 thermidor an VIII,
un arrêté des consuls déclare que les décadis sont les
seuls jours fériés reconnus par l'autorité,... mais que
les simples citoyens ont le droit de vaquer à leurs
affaires et de choisir leurs jours de repos... Dès ce
moment, les décadis tombèrent en désuétude, ils furent
un objet de risée... Les cerbères décadistes, qui
grinçaient les dents, firent encore insérer quelques
diatribes a ce sujet dans les gazettes, mais
l'indignation générale les réduisit au silence et, grâce
au gouvernement consulaire, le décadi, après a voir
végété pendant sept ans, expira au mois d'août 1800...
Destiné à nous rappeler la résurrection de Jésus-Christ,
sorti victorieux du tombeau, le dimanche est sorti
victorieux d'une persécution auparavant inouïe dans les
fastes du christianisme. »
Livre II. 6 chap. - Histoire de la philanthropie depuis
sa naissance jusqu'à son extinction : « Ad nihilum
devenient tanquam aqua decurrens... Chap. Ier. Exposé de
doctrines : les incrédules ont voulu édifier et réduire
à des formes liturgiques ce qui n'avait été qu'une vague
théorie, on va lire les détails de cette entreprise...
Ch. II. Tentatives pour établir le déisme sous la forme
de culte public à Londres, à Berlin, à Rotterdam, en
Amérique... Ch. III. Le déisme à Paris. On fixe
communément à l'an V la naissance de la
théophilanthropie, quoique, sous un autre nom, elle eût
été introduite auparavant,... n'était-ce pas la même
chose que la fête du 20 prairial 1794, où Robespierre
pérora ? Les théophilanthropes veulent partager avec les
catholiques l'usage de Notre-Dame, un prêtre apostat
exhibe un arrèté de l'administration du département (6
pluv. an VI). Le comité des administrations catholiques
de Notre-Dame refuse, pénétré de ce principe qu'il n'y a
rien de commun entre Jésus-Christ et Bélial, il
abandonne le choeur et se retire dans la nef... Ch. IV.
Schisme parmi les théophilanthropes ; ils ont des écoles
des deux sexes, des feuilles périodiques...
L'ex-directeur Lareveillère-Lépeaux était le patriarche
de la secte, c'est à quoi Boulay faisait allusion dans
un discours aux Cinq-Cents : « Il n'y avait pas de
liberté religieuse, quand un fanatisme nouveau aussi
intolérant que le premier cherchait à élever sur les
ruines des idées reçues, une religion nouvelle, dont le
burlesque pontificat était dans le Directoire même. »
Ch. V. Le culte philanthropique dans. les départements.
A Metz, à Fontainebleau, dans presque toutes les villes,
on propose d'établir la théophilanthropie ; le
procureur-syndic, à Nancy, adresse aux citoyens une
circulaire où il déploie son éloquence contre le
fanatisme qui, depuis tant de siècles, a été la
plate-forme et la cuirasse d’un clergé despote,
tyrannique, scandaleux, hypocrite, charlatan, turbulent,
le foyer de toutes les atrocités, et il espère que, le
peuple n'hésitera pas à accepter la religion nationale,
que lui offrent la raison et nos lois nouvelles : ..
Malheureusement pour M. Jeandel, le peuple de Nancy et
des environs a voulu et il veut rester catholique...
Lorsque la secte cessa d'être appuyée par l'autorité
civile, son crédit s'éteignit comme un éclair et
l'opinion publique en fit une justice prompte et
méritée... Le Mercure français (20 niv. an VI) prétend
que, malgré les prédictions de Grégoire, la
théophilanthropie aura une longue durée... Le 29 vend.
an X, un arrêté des consuls défend aux théophilanthropes
de se réunir dans les édifices nationaux... Ainsi
s'éteignit, à Paris, sans trouble et sans bruit, après
cinq ans d'existence, ce culte qui, dans les
départements, n'eut qu'une consistance momentanée...
Pauvre raison humaine ! boussole qui décline sans cesse!
à quelles aberrations n'est-elle pas en proie, quand
l'orgueil veut secouer le joug de la Révélation ! »
Livre IlI. 29 chap. - Il y en a de très curieux. Ch. IV.
Sectes établies ou fomentées par les femmes. Ch. X. Les
fanatiques des Cévennes. Il est très sévère « pour les
extravagances sanguinaires des prétendus prophètes,
Vivens, Brousson, Cavalier, qui successivement gardeur
de porcs, puis garçon boucher, devint le chef le plus
redoutable du parti. » Ch. XI. Les cordicoles. Le
Sacré-Coeur est, pour lui, « l'emblème d'un parti, dont
les coryphées audacieux, dénaturant la religion, qui les
désavoue et. les condamne, veulent en faire un
instrument politique, pour consacrer le despotisme et
asservir les nations. » Ch. XX. Francs-maçons. « Les
sociétés secrètes ont causé de l'ombrage à la religion
et à la politique... est peut-être ce qui porta Frédéric
Il et d'autres princes à se faire initier. Les
francs-maçons, républicains en 1793, impérialistes sous
Bonaparte, sont royalistes depuis 1814. » (Ch.
XXI-XXIX). Anti-concordatistes ou blanchardistes,
clémentins, purs, puristes, parfaits, petite Église,
louisistes.
Livre IV. 42 chap.- C'est un essai sur l'idolâtrie
politique ou basileolâtrie. Il s'élève avec indignation
contre la déification des princes, le prétendu sacerdoce
des rois, les privilèges qu'on leur accorde au sujet des
mariages, des divorces, des baptêmes, des bâtards ; il
déplore le caractère adulateur du clergé, des savants,
des articles et gens de lettres envers Napoléon, puis à
l'égard des Bourbons.
Liv. V. 13 chap. - C'est une histoire complète des
sectes judaïques ; il y développe les idées de la thèse
qu'il a soutenue en 1779, il y expose l'état actuel du
judaïsme et il constate un grand nombre de conversions,
soit au protestantisme, soit au catholicisme.
Liv. VI. 26 chap. - État des églises grecque et russe ;
sectes qui en sont issues ; considérations sur les
sectes chrétiennes de l'Orient... Sévère pour les
missions protestantes, il exalte les services que la
congrégation catholique de la Propagande a rendus non
seulement à la religion, mais encore aux sciences et aux
lettres ; il fait un bel éloge des hommes apostoliques,
qui dévouent leur vie à répandre l'Évangile chez les
peuples barbares... Il expose l'organisation
hiérarchique du clergé grec non uni,... il raconte ses
tentatives pour réunir les Églises grecque et latine et
les causes qui ont fait échouer un projet d'une si haute
importance. Un sentiment de douleur profonde contriste
son cœur lorsqu'il cite la dernière phrase de la lettre
que lui adresse le métropolitain de Moscou : « Parvenu
au terme de ma carrière, il ne me reste qu'à former des
vœux pour la paix de l'Église et le salut des fidèles. »
Liv. XII. 15 chap. - Il retrace l'histoire de l'Église
anglicane, fille de Henri VIII, création politique plus
que religieuse ; il signale les préventions, la haine,
les calomnies anglaises contre les catholiques en
général et contre ceux des trois royaumes.
Liv. VIII. 15 chap. - Il passe en revue les doctrines
des dissidents ou séparatistes d'Angleterre, d'Écosse,
des Etats-Unis d'Amérique, les puritains, les
presbytériens, les quakers, les trembleurs ; il flétrit
surtout la corruption des vrais imitateurs du Christ,
dont « le titre ne peut être qu'une usurpation sacrilège
».
Liv. IX. 29 chap. - II décrit, avec les détails les plus
curieux, les sectes des baptistes, des anabaptistes, des
arméniens, des labadistes. « Comme prêtre catholique,
comme ministre protestant, Labadie avait montré toujours
beaucoup de propension à diriger les dévotes... Une
foule d'anecdotes scandaleuses prouvent qu'il commençait
par l'esprit et finissait par la chair... Il réunit une
petite église à Middelbourg... Anne-Marie Schurman,
suivit partout ce prêtre apostat., qui mourut entre
sesbras, à Altona, en 1674. L'histoire des mammillaires
et celle des consistoriaux terminent la longue série de
tant de sectes, « qu'on accuse d'avoir caché sous un
voile religieux les abominations de la lubricité ». Il
traite la question complète de tolérance religieuse et
de tolérance civile. - Ce livre comprend des
controverses sur les matières religieuses du XVIIIe
siècle, sur l'importance et la durée du christianisme,
sur la secte des incrédules. « Quelle garantie cet homme
sans religion aura-t-il de la fidélité de son épouse, de
l'obéissance de ses enfants, de la fidélité de ses
domestiques?... A la fin du siècle dernier, la France a
fait une terrible et lugubre expérience : les suicides
multipliés, les tribunaux révolutionnaires établis, les
cachots remplis d'innocents, la guillotine en
permanence, l'invitation légale aux prêtres de se
parjurer, l'autorité paternelle avilie, le libertinage
encouragé, 5,996 divorces dans la seule ville de Paris,
pendant les 29 premiers mois de la loi qui les
autorisait, en un mot, ce que le vice a de plus obscène
et la férocité de plus épouvantable, tout cela coïncide
avec l'époque où le culte public fut aboli. »
Liv. X. 8 chap. - Il affirme en terminant la perpétuité
de la foi chrétienne : Jésus-Christ était hier, il est
aujourd'hui, il sera de même dans tous les temps.
Enfants dociles de l'Église catholique, nous savons
qu'il a promis d'être toujours avec elle, jusqu'à la
consommation des siècles... «Le ciel et la terre
passeront, mais ses paroles ne passeront pas. » A la
page 350, on lit : « Il n'y a qu'un Seigneur, une foi,
un baptême, il ne peut exister qu'une religion
véritable, puisque la vérité est une comme l'a dit Celui
qui est la vérité même,... il n'y a qu'un bercail, dès
lors qu'une voie pour arriver au ciel,... l'unité
religieuse repoussera toujours cette tolérance
religieuse ou plutôt irréligieuse qui serait un amalgame
incohérent et coupable de l'erreur et de la vérité, de
la sagesse et de ]a folie, de la lumière et des
ténèbres... La conscience est une forteresse où le
magistrat ne peut pénétrer, l'orthodoxie et l'hérésie
sont hors de sa compétence, tout ce qu'il peul, tout ce
qu'il doit concernant le culte extérieur, c'est
d'empêcher qu'on ne le trouble et qu'il ne trouble...
Principe irréfragable que je proclamais au sein de la
Convention, où je fus assailli par une tempête
d'imprécations et d'outrages, le 1er novembre an III. »
1829. 5 janvier. - Le curé Simonin, l'un de ses
correspondants les plus intelligents, le tient au
courant des nouvelles ecclésiastiques ; il se plaint de
l'évêque de Forbin-Janson... « On fait de lui un
janséniste, un jacobin... La retraite, au séminaire, est
prêchée par un jésuite. » Il le remercie de ses
libéralités, de sa bienveillance ; il l'appelle « le
protecteur de la veuve, l'appui des infortunés, il
s'excuse d'abuser de sa bonté pour en faire un homme
d'affaires». Le curé d'Eulmont le prie de tenir sa
lettre secrète : « Oh ! si l'on savait que j'ai
l'honneur de vous écrire ! »
9 avril.- L'abbé Jennat, dans une lettre que je voudrais
citer en entier, lui rend compte de l'emploi des sommes
qu'il a reçues pour ètre consacrées à des bonnes œuvres.
Il entre dans les plus petits détails, c'est un décompte
en règle ; il lui reste 745 fr., il y a 50 fr. pour un
pauvre séminariste... Il parle de l'asile des vieillards
du Lunéville, auquel lui-même destine la majeure partie
de son avoir. J'ai dit, dans la première partie, mes
relations avec ce vénérable abbé, qui terminait ses
lettres à l'évêque par cette phrase : «Toujours et
toujours, très respectable ami, votre humble et bien
dévoué serviteur. »
1830. 9 janvier. - Il publie, dans la Gazette des
Cultes, un article fort curieux sur la légitimité du
serment civique, sous ce titre : « Appel à la raison par
un proscrit. »
7 février. - M. Quérard lui écrit qu'il a trouvé dos
publications que « le respectable prélat. ne lui a pas
signalées, dans l'article bibliographique qu'il a bien
voulu lui adresser ».
8 février. - M. Lerouge, un bibliophile de Commercy,
remercie l'évêque de lui avoir envoyé 100 fr. à partager
entre un pauvre prêtre et une pauvre religieuse, dont il
lui a signalé la misère.
29 juillet.- « A Passy, les balles de juillet faillirent
le tuer » , dit M. Carnot ; ce qu'il y a de certain,
c'est qu'elles réveillèrent chez lui les passions
révolutionnaires. Il ne fait pas partie de la Chambre
des pairs, on le craint, comme les conventionnels
proscrits, que l'on se borne à rappeler en France. Le 6
août, il écrit à l'estimable et savant Constancio,
ancien ministre du Portugal, en Amérique. Il rappelle
les mauvais jours de l'Empire, il insulte la
Restauration... « Au despotisme de la gloire payée
chèrement, succéda celui de la stupidité, et de
l'hypocrisie... J'applaudis, comme vous, à cette
jeunesse française radieuse de courage et de talens,
mais peu soucieuse de ceux qui l'ont précédée dans la
politique, elle les circonscrit dans ce qu'elle appelle
la gérontocratie et leur imprime une teinte de ridicule
contiguë au mépris... A quelques exceptions près, la
France est gouvernée par l'émigration ecclésiastique et
nobiliaire, par le jésuitisme et l'ultramontanisme, par
des hommes qui ont, sous toutes les bannières, arboré
toutes les couleurs et professé toutes les doctrines. »
Il n'est pas « parmi les faiseurs », il n'a pas foi dans
les hommes qui vont s'occuper de notre avenir, il voit
parmi eux une foule de gens qui, en 1819, ont abandonné
lâchement la cause du député de l'Isère ou l'ont accablé
d'outrages. « Vétéran d'âge et d'expérience, je suspens
mon jugement... Commencée à Passy, cette lettre que
j'achève à Paris, a été sept ou huit fois interrompue,
griffonnée à la hâte, c'est une marqueterie de pièces
incohérentes... » Je n'ose pas dire que cette
appréciation est sévère.
1er octobre. - Il publie des « Considérations sur la
liste civile ». Le régime républicain est le plus
économique,... « la liste civile doit, comme le budget,
être votée annuellement... Réconcilier la liberté avec
la royauté, c'est une tentative au succès de laquelle
j'applaudirais... Puisqu'on nous promet une monarchie
démocratique, tâchons d'en eflacer les anomalies et d'en
rectifier les imperfections ; tel est le but de cet
opuscule dicté par l'amour de la patrie et non par une
intention hostile. » Rien cependant de plus hostile que
cet opuscule, qui se vend au profit des blessés des 27,
28 et 29 juillet ; c'est le style de 1793 ! Une seule
citation : « Les décombres du Directoire, de l'Empire et
de la Royauté sont un mobilier qu'on peut acheter ou
louer... pour ces Janus à trente faces, un gouvernement
n'est qu'une ferme à exploiter, une cure à partager...
On a royalisé l'hypocrisie, la déception, le parjure,...
à tel point que parole de roi et parole punique sont à
peu près synonymes... »
6 décembre. - Lafayette donne sa démission de commandant
en chef de la garde nationale ; Grégoire lui écrit : «
Mon cher ancien collègue et ami, après avoir lu ce qui
vous concerne dans la séance d'avant-hier, à la Chambre
des députés, j'éprouve le besoin de vous exprimer mes
sentimens d'estime et d'amitié... Dans toute
organisation politique, autorité municipale et garde
nationale sont des élémens essentiels. » Le vieux
général vint visiter, à son lit de mort, l'ami qui ne
l'avait pas défendu, le 20 juin 1792, lorsqu'il fut mis
hors la loi pour avoir tenté de faire sortir le roi de
Paris.
1831. 2 mai. - Atteint d'une maladie cruelle, un
sarcocèle carcinomateux, le vieillard ne se fait aucune
illusion ; la mort est proche, il l'attend avec la
sérénité et la résignation d’un chrétien. Ici, les dates
ont une grande importance, je les suivrai exactement. On
appelle l'abbé Euvrard : l'évêque se confesse, il
exprime le désir de recevoir le Saint-Viatique et l'Extrèrne-Onction
des mains de son propre pasteur.
4 mai. - L'abbé Baradère, qui depuis quinze ans est le
familier de l'évêque, se rend au presbytère de
l'Abbaye-aux-Bois : le curé, accompagné de son vicaire,
M. Lacoste, accourt au chevet du malade ; il exige une
rétractation du serment, un acte spécial d'obéissance à
la discipline et à la doctrine de l'Église. Une
discussion théologique s'engage, le vicaire disserte
longuement et avec vivacité. Le vieillard réplique : il
signera la profession de foi de Pie VI, il répondra aux
questions du rituel, mais ce serait pour lui un péché
mortel de désavouer un acte accompli après mûr examen ;
il se plaint de l'attitude peu convenable du jeune abbé
: « Si la nécessité où vous me réduisez de recourir pour
les sacremens à un prêtre étranger, cause du scandale,
il retombera sur ceux qui y auront donné lieu. » Le curé
se retire en exprimant le regret que ses conditions
soient refusées. Une heure après, l'abbé Baradère,
absent au moment de l'entrevue, est à la cure ; on le
prie au nom de la religion, au nom de la paix publique,
d'obtenir une rétractation écrite ou du moins une copie
du testament, où Grégoire a affirmé sa soumission ; si
l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, il
sera impossible de l'administrer et d'ouvrir l'église à
sa dépouille mortelle. Baradère promet une copie du
testament et il dépose un celebret, délivré en 1804. «
Licentia celebrandi missam. Joannes-Baptista du Belloy
presbyter cardinalis... Archiepiscopus parisiensis
concedimus magistro Henrico Gregorio episcopo, licentiam
celebrandi missam in nostro diocesi, de consensu
rectorum... » Le vicaire va immédiatement soumettre la
question à l'archevêque ; la réponse ne se fera pas
attendre.
5 mai. - La nuit a été mauvaise ; le jour à peine
commencé, l'abbé Guillon, aumônier de la reine, est
introduit ; il a été appelé par le malade, qu'il ne
connaissait pas ; voici son récit : « Le vieillard,
épuisé par l'âge, par les souffrances, par les plus
pénibles émotions, mais toujours ferme dans son langage,
fixa sur moi ses yeux baignés de larmes, me tendit la
main, serra la mienne, je l'embrassai... Au récit
détaillé fait en sa présence des démarches tentées à
l'Abbaye et à l'archevêché, lui-mème mêlait ses
observations... Il protestait de sa ferme résolution de
vivre et mourir au sein de la religion catholique,
apostolique et romaine... Il parlait sans amertume du
refus persévérant opposé à ses instances, avec
attendrissement du bonheur qu'il aurait de voir son
premier pasteur et de recevoir de ses mains le gage de
la réconciliation... Je m'étais prononcé, dès cette
première entrevue, avec la franchise de mes principes
catholiques... Je bornai mes engagements à l'offre de
mes services auprès de mes supérieurs ecclésiastiques et
de Leurs Majestés. Ils furent agréés. »
Le même jour, le curé et son vicaire viennent apporter à
M. Grégoire un pli cacheté aux armes de l'archevêque ;
ils n'insistent pas pour entrer, Baradère se charge du
message, afin d'éviter au malade de nouvelles émotions.
Voici quelques extraits de la lettre de Mgr de Quélen :
Instruit de la stérilité des démarches du curé, il
voudrait sortir de sa retraite pour aller lui tendre la
main sur le bord de l'éternel abime ; il regrette, il
déplore la désolante assurance avec laquelle il refuse
d'abjurer des erreurs condamnées par l'Église
universelle ; il ne rentrera pas dans une discussion
plus d'une fois renouvelée et toujours inutile, il
attend de la seule grâce de Dieu une conversion, qui,
pour ètre tardive, n'en consolerait pas moins l'Église,
qu'il a si longtemps contristée. « Je me transporte en
esprit, auprès de votre lit de mort, je vous conjure à
genoux, les mains jointes et lès larmes aux yeux,
d'avoir pitié de votre âme, en rentrant dans le sein de
l'ÉgIise catholique... Les âmes les plus ferventes
prient pour obtenir pour vous cette grande
miséricorde... Vous ne pouvez a voir seul raison contre
le chef de l'Église et l'épiscopat tout entier... Priez
donc avec nous, en toute humilité, mon cher frère, et
vous verrez se dissiper les nuages qui jusqu'à cette
dernière heure vous dérobent la vérité. »
6 mai. - Le malade réclame avec instances le
Saint-Viatique. Voici le procès-verbal de la cérémonie
signé par Baradère et approuvé par Grégoire. « L'auguste
malade avait mis la mozette, le rochet, l'étole et la
croix pastorale quelques moments avant de recevoir le
Viatique... Après avoir humblement demandé à M. Baradère
s'il avait quelque chose à lui prescrire, il dit qu'il
était prêt à recevoir le bon Dieu... A près avoir récité
avec nous les prières du rituel de Paris, M. l'évêque,
sans y être invité, a fait, à haute et intelligible
voix, sa profession de foi, en voici les traits les plus
remarquables : Ministres des autels et vous chers
assistants, je renouvelle Jes vœux de mon baptême... Je
crois tout ce que l'Église catholique, apostolique et
romaine croit et enseigne... Je me soumets d'avance de
cœur et d'àme au jugement de l'Église sur mes écrits et
mes actes... J'ai toujours agi d'après les inspirations
de ma conscience, comme vicaire, comme curé, comme
évêque... J'avoue néanmoins que les jugemens de Dieu
m'effraient, mais ma confiance est entière quand je
songe à sa miséricorde et aux mérites infinis de
Jésus-Christ... Ici, M. Baradère a arrêté le malade
épuisé ; après un repos de quelques instants, il a
récité le Confiteor et a reçu le Saint-Viatique avec
tous les signes d'une parfaite componction ; les
assistants se sont mis à genoux et ont demandé la
bénédiction du mourant. »
7 mai. - Malgré les vives douleurs qu'il éprouve, le
vieil athlète dicte une longue réponse à la lettre de
l'archevêque ; il discute, il réfute, il y a de
l'ironie, de l'amertume, mais je me garde d'apprécier,
je cite : « Me tendre la main, quand vous me croyez sur
le penchant de l'éternel abime est un acte de charité
qui mérite toute ma reconnaissance... Je regrette
infiniment que la nature des conditions que le
respectable curé de l'Abbaye était chargé de me proposer
ait rendu stérile une démarche que je m'étais empressé
de solliciter...J'ai reçu le Saint-Viatique et j'ai
l'heureuse certitude qu'en cas de besoin.je recevrai
aussi l'Extrême-Onction... Je vois qu'il est impossible
de nous entendre sur ces prétendues erreurs,... que vous
me reprochez de soutenir avec une désolante assurance...
Comme vous, je suis convaincu que, dans le sein de
l'Église,... exclusivement, se trouvent les moyens
d'obtenir cette couronne immortelle, objet de tous mes
voux... Ma vie tout entière et mes ouvrages déposent
assez de l'intégrité de ma foi pour que je me croie
dispensé de l'injurieuse condition de proclamer de
nouveau... les vérités d'une religion que je n'ai cessé
de professer et de défendre et où j'ai la ferme
conviction que Dieu me fera la grâce de mourir... Le
pape et l'épiscopat n'ont pas condamné la constitution
civile,... le bref de juillet 1796 est plus politique
que religieux... Un grand nombre de pieux et savants
prélats m'ont sonné la qualité d'évêque, que vous avez
cru devoir supprimer dans vos lettres,... j'ai le droit
et le devoir de soutenir la légitimité et la catholicité
de mon serment jusqu'à ce que l'Eglise universelle ait
prononcé,... jusque-là, je reste invariablement attaché
à ma croyance comme à mon amour pour la chaire de
Saint-Pierre si étrangement défigurée par les fausses
décrétales et par les prétentions ultramontaines...
Soyez sûr qu'ainsi que vous, je suis loin d'obéir à des
considérations humaines,... pas plus qu'au temps où je
défendais à la tribune la religion attaquée avec
fureur,... et où le premier je réclamais l'ouverture de
ces mêmes temples, dont on repoussera peut-être ma
dépouille mortelle... Je voudrais m'arrêter là, mais
j'éprouve le besoin de vous dire un mot de mes opinions
politiques... Une circonstance de ma vie a été
odieusement dénaturée : je n'ai voté la mort de
personne... j'ai toujours cru et publiquement professé
que la religion de Jésus-Christ était l'amie de la
liberté... Ils sont bien coupables les ecclésiastiques
qui mêlent la politique à la religion... C'est aux
imprudences du clergé qu'il faut attribuer cette haine
implacable, qui poursuit des prêtres d'ailleurs dignes
de respect.... et ces destructions dont nous avons tant
à gémir... L'introduction clandestine des jésuites, le
fanatisme et l'ignorance du jeune clergé sont les
véritables plaies de la religion... L'humilité que vous
me recommandez me conduit à un rapprochement : deux
criminels furent crucifiés aux cotés de Notre-Seigneur,
votre modèle et le mien. L'un d'eux se tournant vers le
Christ mourant,... vous connaissez le reste,... mais
vous paraissez oublier que Jésus-Christ ne lui demanda
ni amende honorable ni rétractation... Je réclame de
l'un de ses disciples la même indulgence ; si elle
m'était refusée, je n'en resterais pas moins plein de
confiance dans l'infinie miséricorde de Dieu et j'en
serais fâché pour moi et pour vous. » P.S. « Au milieu
de mes souffrances, je n'ai pu donner à ces graves
questions qu'un trop court développement..., je m'en
réfère aux ouvrages où je les ai traitées à fond. » Il y
a certainement, dans cette réponse, un désaveu de tout
ce qui ne serait pas approuvé par l'Église, mais y
a-t-il ce repentir et cette humilité, qui en eussent
fait un acte vraiment chrétien ?
A la réception de cette lettre, dont Grégoire a paraphé
toutes les pages et écrit de sa main la formule d'usage,
l'archevêque adresse immédiatement à M. Baradère la note
suivante : « M. Grégoire allègue sans cesse qu'il a fait
par conviction tout ce qu'il a fait... On lui répond que
l'Église ne juge ni ses intentions ni sa bonne foi,...
elle en laisse le jugement à Dieu ; ... elle lui demande
de condamner des actes qu'elle a frappés de ses
censures... Qu'il se soumette non pour l'avenir, mais
pour le présent, à la conviction de l'Église, dont le
souverain pontife et les évêques sont les interprètes et
les organes... Il ne peut y avoir de péché dans cette
soumission, qui est un acte de foi. M. Grégoire ne
risque donc rien de reconnaitre purement et simplement,
d'esprit et de coeur, que, malgré ses intentions,... il
a en tort, puisque l'Église le lui dit et qu'il se
repent de lui avoir résisté... La règle tracée par le
chef de l'Église doit ètre suivie à l'égard de M.
Grégoire, sans âpreté,... mais sans faiblesse,... les
conséquences nous les abandonnons à Dieu... Toutes les
inventions de la charité doivent être employées, notre
vie même doit être offerte, mais la sincérité, la
franchise, doivent être aussi strictement observées...
Il faut non disputer une formule avec le malade, mais la
rédiger sans détour ; cette formule ne doit pas être
vague, mais précise,... explicite, qu'elle exprime le
repentir... Si Dieu, touché de nos prières et de nos
larmes, a changé le coeur de M. Grégoire, il lui aura
donné ces dispositions humbles et soumises qui prouvent
sa conversion ; si, au contraire, il n'y a dans tout
ceci que des négociations pour sauver les apparences,...
le ciel ne sera pas réjoui du retour d'un pécheur, la
terre ne sera pas pacifiée par un tour d'adresse... et
notre ministère en sera déshonoré... D'ailleurs, j'ai
une trop certaine opinion du caractère de M. Grégoire
pour penser qu'il se prête à une démarche équivoque...
Ah ! que ne peut-il lire tout ce que mon coeur éprouve
de sollicitude pour lui ! que ne puis-je aller lui
donner le baiser de paix et lui porter les paroles de la
réconciliation ! »
8 mai. - Le dimanche matin, le malade est à toute
extrémité, plusieurs journaux ont annoncé sa mort ; on
appelle en toute hâte l'abbé Guillon : « Chaque moment
pouvait être le dernier de cette longue et douloureuse
agonie, l'évêque demandait avec ardeur l'extrême-onction
; pressé par ses ardentes sollicitations et par la
déclaration explicite qu'il croit et approuve tout ce
que croit l'Église, qu'il condamne tout ce qu'elle
condamne, je ne vis plus dans le vieillard mourant que
l'homme près du naufrage à qui toute sorte de mains
jette la planche de salut, que le Samaritain tombé sur
la route de Jéricho, qu'une âme à fortifier par un des
plus puissants moyens de la religion. Je me rappelai et
citai le texte précis du pastoral parisien, si conforme
à la doctrine... de nos dix-huit siècles chrétiens : Si
quis tamen infirmus... M. Grégoire répondit à tout,
renouvela publiquement sa confession, prit Dieu à témoin
qu'il mourait soumis a l'Église, à son chef, plein de
foi, d'espérance et de charité. Une pareille profession
de foi en ce moment décisif... pouvait-elle laisser le
moindre doute ? Comment suspecter l'homme résigné, qui
se compare au larron mourant à côté du Sauveur... et
demande avec larmes à être déposé sur la paille et sur
la cendre ?... » La cérémonie terminée, l'abbé Guillon
en dresse un procès-verbal, dont les témoins, Baradère,
Duples, Dutrône et Mesnard, attestent et affirment la
sincérité, sur l'honneur et sous la foi du serment. « La
conduite de l'abbé Guillon leur a semblé en tout
conforme à la doctrine de l'Église, aux intérêts actuels
de l'ordre public, du trône, du ministère ecclésiastique
et de la religion. »
9 mai. - Par ordre de Grégoire, l'abbé Baradère informe
l'archevêque que sa note du 7 mai n'a rien change à sa
conviction : « Mr l'archevêque met en principe ce qui
est en question... Il n'a jamais prétendu que la
conviction et la bonne foi dispensent un catholique de
se soumettre à l'instant au jugement de l'Église
universelle... C'est par devoir et non pour sauver les
apparences, qu'il a fait appeler le curé de la
paroisse... Au terme d'une carrière de quatre-vingts
ans, il ne joue pas l'éternité pour un vain sentiment
d'amour-propre,... il a d'ailleurs reçu tous les
sacremens spirituels que l’on s'obstine à lui refuser...
Le salut du malade était le premier intérêt à consulter,
si la discipline peut en souffrir, la charité, dit saint
Augustin, devient alors la suprême loi. »
10 mai. - Par un dernier codicille, il institue Mme
Dubois sa légataire universelle, MM. Raidot, Duples et
Baradère, ses exécuteurs testamentaires : il lègue « au
respectable Guillon tous ses livres suspects en diverses
langues et son reliquaire ». Au sujet de ce codicille,
il me semble nécessaire d'établir le chiffre réel de la
fortune de Grégoire ; M. Dugast, l'un de ses biographes
(1833), parle de ses dons aux pauvres, aux églises, il
ne précise rien. M. Carnot, si bien informé d'ailleurs,
n'est pas plus explicite ; M. de la Saussaye m'a répété
ce qu'il a écrit dans son livre Blois et les environs,
qu'il a laissé plus de quatre cent mille francs à
l'Hôtel-Dieu de sa ville épiscopale (44). En présence de
ces données contradictoires, j'ai dû recourir à des
documents officiels et j'ai consulté les trois
testaments de Mme Dubois. Le 11 juin 1831, « quelques
jours après la perte douloureuse qu'elle a eu le malheur
de faire,... son premier soin a été de disposer tant des
biens qu'elle vient de recueillir, comme sa légataire
universelle, que de ceux qui composent sa fortune
personnelle. » L'acte est reçu par Mes Defresnes et
Chaudron, notaires à Paris. L'évêque de Blois a laissé
un mobilier d'une importance minime ; une somme de deux
mille francs en argent, un prorata de fermage et de
pension d'environ six mille francs ; un domaine affermé
cinq mille francs et une rente cinq pour cent de deux
cent quatre-vingt douze francs. Le 20 août 1831, Mme
Dubois, en désaccord avec les exécuteurs testamentaires,
« croit devoir révoquer les dispositions qu'elle a
prises, par un testament nouveau dicté à Me Vavin,
notaire à Paris. Un arrêt du tribunal de la Seine (10
avril 1833), confirmé par un arrêt de la cour d'appel
(11 avril 1834), décide que Mme Dubois peul disposer de
toute la succession de M. Grégoire, comme chose lui
appartenant en toute propriété. Le 12 mai 1836, par un
dernier testament dont j'ai une copie certifiée, Me
Dubois spécifie ce qui a appartenu à Grégoire. Une rente
de 292 fr. et un domaine estimé 148,472 fr., la valeur
totale de sa fortune est de 437,503 fr. qu'elle lègue,
par moitié, aux hôpitaux de Sens et de Blois, qui seront
chargés de quelques legs, qui reproduisent ceux de son
fidèle ami de 43 ans : à M. Wast, copiste de M.
Grégoire, une pension viagère de 600 fr. ; à la paroisse
de l'Abbaye-aux-Bois, 500 fr. en raison de ce que M.
Grégoire en a exprimé verbalement le désir à ses
derniers moments. Chacun de ces deux hôpitaux devra, à
perpétuité, faire célébrer deux messes hautes, l'une le
28 mai, l'autre au jour anniversaire du décès de Mme
Dubois ; ces deux messes, portées au registre des
fondations de l'hospice de Blois, y sont dites encore
chaque année. En 1881, le 17 février, à la commission de
l'hospice, un membre s'étonne de ne pas voir le nom de
Grégoire sur la liste des bienfaiteurs ; on lui répond
que « Grégoire n'a rien donné personnellement, mais
qu'une dame Dubois, originaire de l'Yonne, sa légataire
universelle, a cru simplement devoir, en souvenir de
lui, doter l'établissement d'environ deux cent mille
francs... Tous deux ont un droit égal à la
reconnaissance ; en conséquence, on décide que le nom de
M. Grégoire, député à la Constituante, à la Convention,
à l'Assemblée législative, ex-évêque constitutionnel de
Blois, sera inscrit sur la liste des bienfaiteurs et que
l'on apposera à la façade occidentale de l'hôpital, une
table de marbre, avec ces mots, en lettres d'or :
Pavillon Grégoire. Une polémique vive et passionnée
s'engagea dans les journaux blésois, le conseil
municipal refusa de donner le nom de Grégoire à la rue
qui longe le pavillon. Ces détails et. ces chiffres ont
une sérieuse importance, car on a accusé et on accuse
encore l'abbé Grégoire d'avoir été, en l'an IX,
l'associé des acquéreurs de l'abbaye de Saint-Martin
(Orne), d'avoir reçu de l'argent des colonies et une
pension de Saint-Domingue. La vérité, c'est qu'il a
vécu, intègre et sobre, avec une sage économie, chez Mme
Dubois ; à Passy, à Auteuil, à Paris, sa maison était
ouverte toujours à ses amis, à ses compatriotes surtout.
; il aimait à rendre service, il consacrait à de pieuses
libéralités, à des oeuvres de propagande religieuse ou
politique le chiffre de sa pension. Je n'ai pas connu
personnellement le curé d'Emberménil, mais j'ai entendu
toujours affirmer, par ceux qui avaient eu des relations
avec lui, la vérité de ce que M. Carnot a si bien
raconté de sa vie privée à la fois austère et douce : «
Le matin, lorsqu'il sortait de son oratoire... sa figure
était radieuse et enjouée, jamais il ne semblait si
heureux... Pendant tout le carême, il observait un jeûne
sévère, ne mangeait qu'à midi un peu de pain et quelques
fruits, à dîner son potage et un plat unique... Mais
cette rigidité n'était que pour lui-même ; il y avait
toujours sur sa table des plats au goùt de ses convives
(45)... »
11 mai. - L'archevêque adresse au malade une nouvelle
note ; il précise les conditions sans lesquelles il ne
peut lui accorder les sacrements de l'Église durant sa
vie et l'admettre à la participation des suffrages de
l'Église après sa mort : M. Grégoire devra « clairement,
formellement, sans déguisement, sans détour, abjurer les
erreurs de la Constitution civile du clergé, dont il a
été jusqu'à ce jour le fauteur, le propagateur et le
défenseur, et les condamner parce qu'elles ont été
condamnées par le Saint-Siège apostolique,... au
jugement duquel les évêques, sauf quelques exceptions,
qui ne sont d'aucun poids, ont adhéré,... en sorte que
ce jugement doit ètre regardé... comme un jugement de
l'Église universelle, encore qu'elle ne se soit pas
prononcée en concile oecuménique... - Déplorer le
schisme et l'intrusion dont il s'est rendu coupable... -
Demander pardon à l'Église et au Saint-Siège de sa trop
longue résistance... - Réclamer de leur indulgence la
levée des censures qll'il a encourues... - Se soumettre
à la pénitence qu'ils voudront lui imposer et réparer,
autant qu'il sera en lui, le mal qu'il a fait par ses
discours, ses écrits et ses actes... Puisse cette
explication franche et claire ne laisser aucun doute sur
les principes posés par M. l’archevêque... Daigne
surtout le Seigneur éclairer M. Grégoire par une lumière
de sa grâce,... de manière a ce qu'il se détermine à
remplir des conditions sans lesquelles... il demeure
toujours hors de la foi et de l'unité catholique, malgré
les protestations vagues et générales de foi et de
catholicité qu'il pourrait foire de vive voix ou par
écrit. » Dans un post-scriptum, l'archevêque affirme,
sons la foi du serment, qu'il a tenu la même conduite,
il y a 18 mois, à l'égard de l'évêque constitutionnel de
l'Aveyron, et qu'il a été approuvé par le Saint-Père.
L'abbé Baradère n'osa pas placer sous les yeux du malade
les termes de cette note ; il se borna a lui en faire un
résumé ; Grégoire fut d'avis de ne pas y répondre.
14 mai. - L'abbé Guillon se rend chez l'archevêque, il
lui expose les motifs de sa conduite, il lui offre de
l'introduire dans la chambre du moribond, dont la tête
est encore saine. - Mgr de Quélen y consent, mais,
durant ln nuit, il change d'avis, il charge le curé de
l'Assomption de le remplacer. La scène fut pénible, on
discuta, on ne décida rien : « Si je pouvais, dit le
curé, donner à Monseigneur quelques espérances, il
viendrait vous voir. Je suis très sensible a l'honneur
que M. l'archevêque voudrait me faire, je vous prie de
lui en témoigner ma reconnaissance,... mais je mourrai,
comme j’ai vécu, fidèle à mes principes... S'il vient je
le recevrai avec plaisir, mais je ne pourrai que lui
répéter ce que je viens de vos dire... Au surplus, il
est inhumain de tourmenter ainsi les derniers momens
d'un vieillard, à son lit de mort ! »
15 mai. - Rien n'a pu modifier la résolution de Grégoire
; il signe le procès-verbal rédigé, le 9 mai. par l'abbé
Guillon, mais il y ajoute cette note : « Je réitère au
respectable Guillon l'expression de ma profonde
reconnaissance et de mon attachement inviolable,...
reconnaissant le droit et le devoir qu'il a d'expliquer,
suivant ses sentimens et ses impressions personnelles,
sa charitable conduite à mon égard, je déclare ici...
qu'on n'en peut inférer de ma part aucune adhésion à ce
que M. l'archevêque aurait voulu exiger. »
17 mai. - Le refus de sacrements, la menace de fermer
l'église à la dépouille mortelle de l'ancien évêque de
Blois, agitent l'opinion publique ; on craint des
troubles, on parle de mesures pour maintenir l'ordre ;
ses amis politiques protestent contre l'intolérance du
clergé, ses ennemis insultent le vieux conventionnel,
rebelle au pape et à l'Église. L'abbé Desjardin, vicaire
général, écrit à M. Baradère : « M. l'archevêque est
tourmenté d'apprendre l'état d'angoisse et l'imminent
danger de M. Grégoire, il voudrait aller lui offrir
encore et de vive voix les secours et les consolations
de la charité la plus ardente et la plus compatissante.
J'allais porter au malade l'expression de cette
sollicitude... Mais on me représente qu'il est sans
connaissance, que je ne serais pas admis... Chargez-vous
donc de tout tenter pour obtenir son adhésion aux brefs
de Pie VI et de Pie VII... » L'abbé Baradère répond
sur-le-champ : « Il n'est que trop vrai, M. Grégoire est
mourant, sans connaissance depuis trois jours... Il ne
saurait correspondre à l'expression de votre
sollicitude, vos prières seules peuvent en ce moment lui
être utiles, devant Dieu... Les graves motifs qui ont
déterminé M. Guillon à lui administrer le sacrement des
mourants et le délire qui agite le malade, depuis trois
jours, pendant lesquels la grâce peut agir sur son ceur,
devraient vous porter à lui ouvrir les portes du temple
après sa mort... Il ne comparera pas à l'athée Lalande,
à l'impie Volney, qui ont été enterrés avec toutes les
cérémonies religieuses... un homme qui par ses vertus
chrétiennes a édifié, étonné tous ceux qui ont eu le
bonheur de l'approcher. »
28 mai. - L'anéantissement est complet, toutes les
facultés ont disparu, la nuit précédente ; la
respiration gênée présage une catastrophe ; à quatre
heures après midi, sans secousse, sans effort, Grégoire
s'éteint, à l'àge de 80 ans, 5 mois et 24 jours. «
Personne, dit l'abbé Baradère, n'a vu la mort avec plus
de sang-froid, plus de résignation... pas une plainte,
qui ne fût une prière, ses yeux baignés de larmes se
portaient d'eux-mêmes sur son crucifix... Il parlait de
sa mort comme d'un événement ordinaire... Il nous
pressait les mains... Mes amis ne vous attristez pas,
soyez les consolateurs de ma bonne mère adoptive... Ce
monde est un lieu de passage et d'exil. .. Je pouvais,
comme tant d'autres, disparaitre au milieu des orages
politiques, je meurs dans mon lit, entouré des secours
de la religion, de la médecine, de l'amitié... Dans les
plus fortes crises, il ne semblait occupé que de ceux
qui l'entouraient... Dans son délire, il parlait des
Haïtiens... Sa douloureuse agonie dura trois jours, on
n'a pu recueillir que des paroles incohérentes, quelques
versets de psaumes... Il répétait souvent : In manus
tuas commendo... Urbs Jerusalem beata... Ses yeux
éteints se portaient encore vers le crucifix, par fois
il tendait les mains vers le ciel. ..» On avait
religieusement exécuté tout ce qu'il avait demandé que
l'on fit durant sa maladie ; MM. Dutrône et Duplès,
conseillers à la cour, MM. Boyer père et fils,
Lherminier et Fabré-Palaprat, ses médecins ordinaires ,
secondaient l'abbé Baradère dans les soins qu'il
prodiguait au malade.
31 mai. - M. Carnot, qui a vécu dans l'intimité de
Grégoire, qui a admiré sa naive et profonde piété, nous
a raconté ses funérailles ; il a parlé de cette foule
silencieuse et triste, qui se porte durant deux jours au
domicile du défunt, qui, revêtu des habits épiscopaux,
est exposè, la face découverte, dans une chapelle
ardente, de ces amis de la liberté qui viennent rendre
hommage au noble et persévérant champion de leur cause,
- de l'imprudente opiniâtreté du clergé, qui n'a laissé
dans l'église que les ornements les plus usés, de la
vive fermentation qui règne dans la multitude, des
jeunes gens qui détellent les chevaux du char funèbre et
le trainent à bras jusqu'au cimetière, de ce cortège
d'au moins vingt mille personnes, ouvriers, étudiants,
décorés de Juillet, députés de l'opposition, anciens
proscrits, - il nous a conservé le discours prononcé sur
la tombe par le conventionnel Thibaudeau, qui l'appelle
son collègue, son ami, son honorable complice ; - il ne
semble pas frappé du contraste étrange qui résulte de
ces paroles de haine et des violences de cette harangue
impie, avec les pieuses espérances de ce vieillard, dont
les testaments, qui résument si bien la vie morale et
religieuse, affirment la charité et la foi, je ne dirai
pas orthodoxe, mais chrétienne.
En Lorraine, on célébra sans bruit plus d'une messe de
Requiem pour le salut de son âme ; j'ai vu des larmes
dans les yeux de ses vieux et fidèles amis, lorsque je
m'indignais devant eux contre les manifestations
sacrilèges qui se produisirent, le 31 mai, au cimetière
Montparnasse. A Haiti, à Saint-Domingue, sa mort fut un
deuil public ; le président Boyer ordonna des prières
solennelles dans toute l'étendue du pays.
La presse libérale attaqua l'archevêque avec violence ;
M. Carnot l'accuse de fanatisme, il est tenté de voir
dans sa conduite « une comédie politique : le clergé
ultramontain veut répondre par une victoire gagnée sur
l'illustre apôtre de la démocratie à l'aversion du
peuple de Paris (1) .» Soyons plus justes : M. de Quélen
épargne à son ministère une faiblesse coupable, il obéit
à sa conscience ; ce qu'il fait pour Grégoire, il le
fera sept ans plus tard pour l'un des chefs de l'Église
constitutionnelle, l'évèque d'Autun, et ici, je ne puis
m'empêcher de comparer la conduite du prince de
Talleyrand à son lit de mort avec celle de l'évêque de
Blois. - En 1823, l'archevêque avait en vain conjuré le
prince de retourner à la foi de l'Église ; en 1838,
l'heure de Dieu arrive. Plus heureux et plus habile que
l'abbé Baradère, l'abbé Dupanloup est l'instrument de
ses miséricordes. Au terme d'un grand âge, après une
longue expérience, le diplomate ne discute pas, il
adresse au souverain Pontife des déclarations brèves,
précises, complètes : il blâme l'égarement et les excès
du siècle auquel il a appartenu, il condamne franchement
les graves erreurs qui ont troublé l'Église de France et
auxquelles il a eu le malheur de participer... Jamais il
n'a cessé de se regarder comme un enfant de l'Église ;
il déplore les actes de sa vie, qui l'ont contristée,
ses derniers vœux sont pour elle et pour son chef
suprême... Le Saint-Père, dans sa justice, daignera
apprécier toutes les circonstances qui ont dirigé ses
actions... Il s'en rapporte en tout à l'indulgence et à
l'équité de l' Église et de son vénérable chef (46). -
1832. Un grave conflit s'élève entre les exécuteurs
testamentaires : Mme Dubois accuse Baradère d'avoir
soustrait la croix et l'anneau de Grégoire ; elle
obtient de faire ouvrir le cercueil ; le 17 février, au
cimetière du Sud, un commissaire de police dresse un
procès-verbal d'exhumation et de réinhumation du
corps... « l'anneau pastoral n'est pas au doigt du
défunt..., la croix est d'une forme différente de celle
dont il a le signalement... » Le dossier de cette triste
affaire est à la bibliothèque de Nancy (C. 534).
1832, mai. - Dans son rapport, le secrétaire de
l'Académie de Stanislas, à Nancy, annonce, en ces
termes, la mort de notre confrère : « Depuis sa dernière
communication, l'Académie a perdu M. Grégoire (le
comte), ancien évêque de Blois et sénateur, auteur d'un
grand nombre de savants écrits sur des sujets de
philanthropie, de religion et de politique. »
Ma tâche est terminée, Messieurs ; dans ce simple exposé
des discours, des écriys, des actes du célèbre abbé, je
me suis efforcé de ne rien omettre d'important, de ne
rien dire que de vrai. Plus tard, si vous le permettez,
je résumerai, en quelques pages, mon opinion
personnelle, et je vous dirai les divers jugements, dont
il a été l'objet.
(1). Suite
des deux Mémoires publiés en 1873 et 1883.
(2). Monit., 1794, n° 131.
(3). Mém., t. I, 341.
(4). Paris, Maison-Égalité, in-24, 68 p.
(5). Monit., 1794, n° 24.
(6). Il avait proposé à la commission des arts un projet
de jardin de géographie pratique. Mém., t. I, 119.
(7). Monit,, 1794, n° 258.
(8). Monit., 1794, n° 260.
(9). Mém., t. I, 345. « 0n faisait main basse de toutes
parts sur les livres, les tableaux, les monuments ... ;
tels furent les excès qu'enfin il me fut permis de
parler, on consentit au comité à ce que je présentasse à
la Convention un rapport contre le vandalisme, je créai
le mot pour tuer la chose. »
(10). Ce manuscrit de Richer est à la Bibliothèque
nationale. F. latin, 10016.
(11). Monit., 1794, n° 12.
(12). Mem., t. 1, 354-355.
(13). Arch. de Nancy, ventôse.
(14). Monit., 1794, n° 81.
(15). Gazier, Rev. hist., 1881.
(16). Mem., t. II, 54.
(17). Brochure in-8°, imp. chrétienne.
(18). Mém., t. II, 70.
(19). Hist. des sectes rel., t. I, chap. 2, 3, 5, 8.
(20). A Paris avant le 9 thermidor, 200 prêtres accusés
de propos fanatiques, sont guillotinés, 100 avaient
prêté le serment. Grégoire a écrit de sa main un
catalogue des curés et ecclésiastiques lorrains déportés
ou guillotinés ; il a classé ces martyrs de la foi, pat
lettre alphabétique ; il en compte 262 (Bibl. cart.
533.)
(21). Mem., t. I, 355, 20 fruct.
(22). Men., t. II, 9.
(23) V, 1re partie, 27-58.
(24). Taine, ch. III.
(25). Mém., t. II, 95-96.
(26). Mém., t. IV, 93.
(27). Mem., t. I, 436.
(28). J'ai réuni plus de cent documents imprimés ou
manuscrits relatifs à l'histoire du schisme en Lorraine
(1793 à 1802) : lettres pastorales, mandements,
discours, éloges funèbres, procès-verbaux des synodes de
la Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle, et
j'y ai constamment trouvé l'influence de l'évêque de
Blois.
(29). Mém., t. Ier, 117-125.
(30). Non, c'est Malherbe.
(31). Sainte-Beuve, dans son Histoire de Port-Royal est
injuste pour cette brochure « intéressante en somme,
mais pleine de raits entassés pêle-mêle ».
(32). Monit., 1819, 7 décembre.
(33). Jour, de Sonnini, 27 février 1791. « Au collège
électoral de Saint-Dié, l'opinion se réunit d'abord sur
M. l'abbé Grégoire, mais on apprit qu'il y avait unu
combat très vif entre plusieurs départements pour savoir
à qui resterait l'honneur de récompenser son civisme. »
Le même journal, le 10 avril 1790, publiait ces vers sur
l'abbé Grégoire
Des charmes de la bienséance
Il embellit tous ses momens,
Son coeur répond à sa science
Et ses vertus égalent ses talens.
(34). Paris, in-8°.
(35). In-8°,48 p., 1 fr. 50. En 1826, nouvelle édition
in-18. 1 fr. Traduction en toutes les langues, même en
russe.
(36). Mem. de l'Académie, 1838.
(37). Le chanoine de Toul, E. Machon, témoin des misères
de notre pays, exprime dans les mêmes termes son mépris
pour Charles IV.
(38). 1 vol. in-8°, 192 p., 3 fr, Traduit en espagnol,
in-12, 6 fr.
(39). En 1846, M. Carnot publia le VIe volume.
(40). Jai lu à la bibliothèque de Nancy un procès-verbal
de cette fète. (In-4° de 14 p.) V. aux archives de la
ville de nombreux documents sur ces orgies.
(41). Grandidier avait envoyé ce pamphlet à Grégoire qui
a écrit en marge : « Pièce impie. » Voici des extraits
du premier et du dernier évangile : « En ce temps-là, la
stupidité des peuples engendra les rois, la mollesse des
rois engendra le luxe... le luxe engendra le déficit, le
déficit engendra l'Assemblée nationale, l'Assemblée
engendra la prise de la Bastille, la prise de la
Bastille engendra l’abolition de la royauté, l'abolition
de la royauté engendra la République, de laquelle naitra
la félicité du peuple français. Il a été un homme envoyé
par le Seigneur, cet homme s'appelait Voltaire ; il
n'était pas la liberté, mais il en était le précurseur
et l'apôtre... »
(42). Il attaque surtout François de Neufchâteau qui,
ministre, envoie aux fonctionnaires la Contagion sacrée
du baron d'Holbach. « L'impiété, descendue aux excès les
plus immondes, inonda les départemens de productions
athées. On distribuait le Bon sens du curé Meslier, même
aux femmes de chambre et aux valets... »
(43). Guide historique à Blois. In-12, 1855.p. 135.
(44). Mem., t. I, 246-253.
(45). Mém., t. Ier, 280-286.
(46). Vie de Mgr Dupanloup, t. I, ch. XV. |