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La vie et les oeuvres de l'abbé Grégoire - 1794-1831
(notes renumérotées)

(voir aussi les autres documents sur l'abbé Grégoire - La vie et les oeuvres de l'abbé Grégoire - 1789-1793)

Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.


Mémoires de l'Académie de Stanislas
1884.


LA VIE ET LES ŒUVRES DE L'ABBÉ GRÉGOIRE (1)
1704-1831
Par M. Maggiolo

1794. 10 janv. (an II 21 nivôse). - Le brigandage, sous le masque du patriotisme, mutile les monumens, brise les statues, dépouille les temples, Grégoire fait adopter le décret suivant : « 1° Les inscriptions des monumens publics seront désormais en français ; 2° toutes les inscriptions des monumens antiques seront conservées ; 3° dans les monumens modernes les inscriptions qui ne sont pas consacrées à la royauté et à la féodalité seront conservées. » Ce décret, qui venait un peu tard, est précédé d'un rapport imprimé par ordre (in-8°, 14 p.) ; il examine la question au double point de vue du passé et de l'avenir, il s'élève contre « l'injuste mépris par lequel on voudrait flétrir des langues autrefois l'accent de la liberté ». Il y a du trait, de l'érudition, mais aussi d'étranges paradoxes : il cite l'inscription populaire de la place de la Bastille : « Ici, on danse. Sous le despotisme, le peuple était compté pour rien, actuellement, il est ce qu'il doit être, c’est-à-dire tout ; ... les monumens publics doivent donc lui rappeler son courage, ses triomphes, ses droits, sa dignité... Notre langue avait la timidité de l'esclavage, quand la corruption de la cour lui dictait des lois,... l'insolence féodale excluait du langage relevé les termes qui désignent les professions utiles. Les termes de vache, de fumier, par exemple, auront dans notre langue républicaine une valeur correspondante à celle que ces objets ont en réalité, tandis qu'on reléguera dans le style ridicule et abject les mots de princesse et de courtisan... Le vocabulaire de l'égalité s'enrichira en élaguant et en ajoutant ; nous en avons effacé le mot de protection, nous y avons honorablement placé celui de tyrannicide... Tout ce qui est beau, tout ce qui est bon entre dans la définition du sans-culottisme !! » On a raison de détruire tout ce qui porte l'empreinte du royalisme, mais pourquoi ce débordement d'écrits où la grossièreté et l'infamie du style le disputent à celle des sentiments ?... il s'irrite contre les propos immondes, « dont la contagion a gagné même un grand nombre de femmes ; cette dégradation du langage est vraiment contre-révolutionnaire ». Il termine par une insulte contre un tyran trop longtemps. vanté (Henri IV), « dont la prétendue bonté comparée à celle des autres despotes, n'est que dans le rapport de la méchanceté à la férocité... Il faut que les murs, le marbre, l'airain parlent à tous les sans-culottes contemporains et futurs le langage de la liberté. » A la mème époque, Turreau, de l'Yonne, accusait les prêtres de tous les crimes : « Ils se glissent dans les tribunaux révolutionnaires pour faire périr les patriotes et acquitter les aristocrates. »
22 janv. (4 pluv.) - Au nom du comité d'instruction, il dépose un rapport sur l'établissement d'un concours pour des ouvrages élémentaires : « Le corps social doit veiller à sa conservation et au bonheur des individus... Il faut que ses membres jouissent de leurs droits et s'acquittent de leurs devoirs. Comment le feront-ils s'ils ne les connaissent pas ? l'éducation seule donne des lumières et des vertus... L'instruction doit être soumise à l'autorité tutélaire du gouvernement... Un peuple ignorant et corrompu n'aura jamais qu'une liberté précaire... Si la théorie et la pratique de l'éducation étaient portées au point de perfection dont elles sont susceptibles, un code criminel sérait presque inutile... Il faut que l'éducation nationale s'empare de la génération qui nait, qu'elle aille trouver l'enfant au sein de la mère, dans les bras de son père... Le premier livre élémentaire doit embrasser la période. qui s'écoule du commencement. de la grossesse jusqu'à six ans ; tracer les règles de conduite pour le temps de la grossesse, des couches, de l'allaitement, du sevrage, parcourir toutes les phases de l'enfance, en ce qui concerne la nourriture, le sommeil, la veille, l'exercice, les maladies, combattre les abus...» Il discute les théories, il signale les erreurs. « On n'attache aucune importance à ce que l’enfant brise les œufs et le nid d'un oiseau... On le rend vindicatif, en l'exhortant à frapper la pierre contre laquelle il s'est heurté... On le forme au mensonge et à l'orgueil en lui disant qu'il est laid lorsqu'il pleure... Un enfant vêtu de drap se préfère à son camarade vêtu de bure ou de toile, voilà la première brèche à l'égalité, un premier pas vers le despotisme... La conduite des parens est un livre toujours ouvert... L'enfant acquerra-t-il le sentiment de la justice, quand, au lieu de le reprendre, de le châtier avec le calme de la raison, c'est en se livrant à des colères proportionnées toujours non à la grièveté de la faute, mais à la perte ou au désagrément que l'on éprouve... On se plaint. de la dépravation précoce des enfans, le ruisseau est impur, parce que la source est empoisonnée ...» Il est nécessaire de rédiger des instructions pour les parents, pour les instituteurs, qui doivent tour à tour pétrir le caractère de l'enfant, l'imprégner des mœurs républicaines ; il ne veut ni ouvrages volumineux, ni méthodes savantes : « laissons aux auteurs la plus grande latitude, bornons-nous à présenter des problèmes à résoudre ». Le programme des études primaires est bien simple : « Lire, écrire, parler la langue nationale... Les élémens du calcul, de l'arpentage, du toisé ; des notions sur la mesure du temps, sur les mesures linéaires, sur celle de superficie et de poids... » Il faut mettre l'enfant à portée d'apprécier les objets que la nature reproduit sans cesse... La Déclaration des droits, la Constitution, les annales du civisme, des instructions sur la morale républicaine, formeront les premiers ouvrages classiques... « Jusqu'ici, la plupart des livres élémentaires ont été très médiocres ; ils étaient le fruit de la médiocrité, le génie seul est capable de présenter des analyses... Aujourd'hui, ces ouvrages ont la plus haute importance, ils doivent, durant des siècles, concourir à la régénération d'une postérité républicaine et consolider par les vertus la liberté conquise par le courage... Une belle carrière est ouverte aux talents républicains, la Convention éprouvera la plus douce satisfaction en couronnant leurs efforts ; ce sera un jour de triomphe sur l'ignorance et les préjugés. » On ordonne l'impression du rapport et du projet de décret voté le 9 pluviôse (2). Le 18 messidor, on nomme un jury de quatorze membres pour juger du mérite des ouvrages envoyés au concours ; Grégoire n'en fait pas partie. Il avait pris part aux discussions, il avait protesté contre la corruption légale à laquelle on condamnait l'enfance ; il avait entendu tel membre du comité dire crûment que l'instruction publique était inutile, qu'il fallait se borner à faire lire les enfants dans le grand livre de la nature, et quand il les pressait de « développer cette sentence, d'en donner une traduction commentée, il était sûr d'entendre débiter des inepties, à moins qu'ils ne se fâchassent pour se dispenser de déraisonner ». Le mal était grand, ces livres classiques primés par la Convention prêchent la haine de la religion, le mépris du passé ; les manuels civiques posent aux enfants des deux sexes les questions les plus étranges : «Jeune citoyen, dis-moi quelles sont les précautions qu'une femme doit prendre lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle est enceinte ? » Aussi toutes les âmes honnêtes répugnent à envoyer leurs enfants à ces magisters, presque tous ignorants et crapuleux, qui occupent les presbytères et perçoivent un traitement sans fonctions. Ils ont grand soin de ne leur parler de religion que pour la ridiculiser, de ne pas prononcer le nom de Dieu, d'empêcher qu'ils 'apprennent à le prier... ; dans quelques écoles, on fait faire le signe de la croix au nom de Marat, de Lazouski (3)... L'appréciation est sévère, elle n'est que juste ; l'école modèle est celle où l'on joue le mieux au tribunal révolutionnaire ; le 21 janvier, les maitres du Collège des nations conduisent leurs élèves sur la place de la Révolution... « La barbarie, dit le conventionnel Daunou, a été semée dans les âmes délicates... » A Rennes, sous les fenêtres de Lanjuinais, proscrit, les élèves de l'école s'amusent à manier de petites guillotines ; après la chute de Robespierre, le conseil général, à Arras, fait saisir et briser les instruments avec lesquels les enfants guillotinent des oiseaux et des souris ; on a remarqué qu'il y avait de petites plumes enduites de sang attachées à la planche... » L'arrêté est du 16 fructidor an Il. La pudeur est proscrite, comme la religion ; on lit dans l'Observateur de l'esprit public (4 ventôse an II) : « Beaucoup de jeunes filles de dix à douze ans se prostituent avec des garçons du même âge ; hier, le palais-égalité en était rempli. » L'arbre a porté ses fruits : partout l'impiété et la démoralisation ! En 1802, Grégoire disait à l'Institut : « Autrefois, chaque commune avait un maitre, souvent aussi une maitresse d'école, tout cela n'est plus... La persécution a tout détruit... L'ignorance menace d'envahir les campagnes et les villes, avec tous les fléaux, qui en sont la suite. »
4 mars (14 vent.). Chargé de faire un rapport sur l'original d'une lettre « de l'un des Nérons de la France (Charles IX) au duc d'Epernon », il vérifie les faits et l'écriture à la Bibliothèque nationale : « Comme la publicité de cette lettre peut servir à augmenter encore l'horreur des peuples contre les rois », il en demande l'insertion au Bulletin et le dépôt aux archives.
12 germinal. - Barthélémy, adjoint au cabinet des médailles, adresse à l'Assemblée une médaille d'argent, qui, d'un côté, représente un bras armé d'une épée qui moissonne trois lys, avec cette légende : « Talem dabit ultio messem ; de l'autre, un bras lançant la foudre sur une couronne et un sceptre brisés, avec ces mots : « Flamma metuenda tyranis. » Grégoire lit la lettre qui accompagne l'envoi et il en conclut que dès le XVe siècle, la sève républicaine fermentait déjà dans quelques têtes fortes. Le même jour, il fait hommage à l'Assemblée d'un « Essai historique et patriotique sur les arbres de la liberté (4) » ; on lui décrète une mention honorable. Il y a dans cette brochure, heureusement fort rare, une exaltation démagogique vraiment effrayante ; il en exprima plus tard quelque regret : une note écrite de sa main, sur un exemplaire que M. Carnot possède, signale quelques passages à supprimer. Il accuse les protes d'avoir altéré le texte... Cette débauche d'esprit et la lettre qu'il adresse à chacun des membres du comité de salut public au sujet de ce pamphlet, sont, à mes yeux, ce qu'il y a de plus criminel dans ses écrits : « Tout ce qui est royal ne doit figurer que dans les annales du crime.., La destruction d'une bête féroce, la cessation d'une peste, la mort d'un roi sont pour l'humanité des motifs d'allégresse... Tandis que par des chansons triomphales nous célébrons l'époque où le tyran monta sur l'échafaud, l' Anglais avili porte le deuil de Charles Ier... Ah ! que les philosophes ne se découragent pas... La massue de la vérité est entre leurs mains, avec elle ils terrasseront les brigands de la cour de Saint-James et planteront sur les cadavres de la tyrannie l'arbre de la liberté, qui ne peut prospérer, s'il n'est arrosé du sang des rois. » Les notes sont dignes de l'œuvre : « Un vrai sans-culotte, Aristogiton, de concert avec son ami Armodius, tua le Capet d'Athènes, le tyran Pisistrate, qui avait à peu près l'âge et la scélératesse de celui que nous avons exterminé. » En 1792, Barère exprimait la même idée en d'autres termes : « la main impure de Capet avait déshonoré un arbre planté dans le jardin national, au nom de la liberté, qu'il voulait assassiner... Les peuples courront aux armes pour exterminer jusqu'au dernier rejeton de la race sanguinaire des rois. »
22 germinal. - Au nom du comité d'instruction, il rend compte d'un travail commencé depuis longtemps sur les livres appartenant à la nation : « Associé depuis peu aux commissaires chargés de surveiller cette opération » , il présente un aperçu des richesses, qu'il importe de répartir entre les provinces ; c'est une statistique curieuse, un document a consulter pour apprécier le mouvement intellectuel, sous l'ancien régime. Ces objets scientifiques proviennent : 1° des dépôts que la nation possédait avant la Révolution ; 2° des ci-devant châteaux des tyrans ; 3° de la suppression des corporations ecclésiastiques, judiciaires, académiques ; 4° des émigrés et des suppliciés. On procède à l'inventaire « des livres, manuscrits, cartes, plans, statues, tableaux, gravures, machines, médailles, pierres taillées en creux et en relief, herbiers, cabinets de physique, de chimie, d'histoire naturelle, et autres objets précieux accumulés, pour servir à l'ambition des nobles ; tel le dépôt de l'émigré Castries, composé de plus de vingt mille pièces, qui a sûrement coûté plusieurs millions... On enverra à la refonte tous les papiers inutiles, on mettra sous les yeux du public ce qui est utile, on placera sous la main exclusive du Gouvernement, ce qui ne doit ètre connu que de lui seul »... Le département de la guerre renferme plus de douze mille cartes, celui des affaires étrangères, à Versailles, environ quatorze mille volumes in-folio de manuscrits ; il flétrit, en termes énergiques, les dilapidations commises par des fripons. « On a vendu, à vil prix et au poids, des livres précieux malgré la loi du 10 octobre 1792. Dans un moment où la Révolution se moralise, des dénonciations civiques et le zèle des sociétés populaires vous mettront à même d'atteindre les coupables... Le département de Paris possède des richesses bibliographiques bien supérieures à celles des bibliothèques du Vatican et de Vienne ; elles sont la propriété indivise de la grande famille, qui, par l'organe de ses représentans, saura faire une répartition dictée par l'amour de la patrie et avouée par elle. » Il s'indigne contre l'ineptie des copistes, l'insouciance et l'ignorance des administrateurs qui « jugent les livres sur la couverture, comme les sots jugent les hommes sur l'habit... Les ouvrages dans lesquels le despotisme consignait ses extravagances et ses fureurs avaient presque toujours les honneurs du maroquin... Les livres d'Hubert Languet se réfugiaient dans les angles ignorés, les ouvrages qui révélaient les crimes des tyrans et les droits des peuples étaient les sans-culottes des bibliothèques. » L'énergie du gouvernement révolutionnaire imprimera de la célérité à la confection et à l'envoi des catalognes, un règlement et une instruction ont été rédigés ; « dans huit ou dix mois, le travail sera terminé... On y trouvera des résultats d'une utilité réelle sur l'imprimerie, ce bel art, qui n'eut pas d'enfance, qui ne vieillira pas, qui a fait notre révolution... et aussi des matériaux abondans pour l'histoire... Quand le catalogue général sera fait, nous appellerons le goût et la philosophie pour exploiter celle mine féconde... L'esprit de discernement présidera au triage, la justice en fera la répartition... Dans l'hypothèse que ce scrutin épuratoire réduise même à cinq millions le nombre des ouvrages à garder, ce serait encore plus de 55,000 volumes pour chaque département... L'instruction est le besoin de tous... Les bibliothèques et les musées sont en quelque sorte les ateliers de esprit humain ; que le jeune homme fréquente ces asiles, où sans cesse il pourra converser avec tous les grands hommes de tous les âges... Près d'eux l'art trouve toujours des modèles... La patrie repousse ces hommes qui étudient pour briller... Elle n'a voue pour ses enfans, que ceux qui s'occupent sans cesse de devenir meilleurs, pour la mieux servir. » La Convention adopte le projet de décret ; elle ordonne l'impression du rapport, et l'envoi aux administrations de district, qui, dans la décade qui suivra la réception, lui rendront compte de la confection des catalogues. La correspondance inédite de Grégoire est remplie de documents relatifs à ce sujet : le curé de Château-Salins, lui écrit : « Nous avons vu des livres de toute espèce entassés dans un coin... Le curé de Bellange, qui en gémissait comme moi, a témoigné qu'en les vendant, la nation en tirerait profit. .. Un administrateur lui a répondu : Oui, pour propager les principes du fanatisme, nous en ferons un autodafé... Ils ont été ensachés, nous ne les avons plus vus... .J'oubliais de vous dire que nous lisons vos rapports, avec joie et admiration... Je suis pour la vie. votre ami, Thomassin. »
1er juin (13 prairial). - Au nom du comité d'agriculture, de commerce et d'instruction, Grégoire fait adopter un décret qui affecte cent cinquante mille francs à la conservation et à l'entretien des jardins botaniques (5). Ce remarquable rapport fait ressortir l'utilité de ces établissements, « il faudrait les créer, s'ils n'existaient pas... Les végétaux les plus précieux à la nourriture de l'homme sont des étrangers naturalisés chez nous... Il importe de cultiver les plantes médicinales, dont l'acquisition est si dispendieuse ; un docteur a compté quatre mille maladies qui peuvent nous attaquer, elles sont pour les trois quarts les enfants de l'imprudence, du luxe, de l'immoralité, elles peuvent ètre réduites à un très petit nombre par l'effet d'une révolution, qui, au physique et au moral, reconstitue pour ainsi dire l'espèce humaine... Le moment est venu de former une pharmacie indigène... Déjà l'on peut citer d'heureux essais... Nos colonies nous offrent des ressources ; le Muséum est pour ainsi dire un réservoir commun, qui fournira aux autres jardins et recevra d'eux des échanges... » Il y a dans ce rapport fort peu de politique ; beaucoup d'idées pratiques, un courage réel à signaler le mal... « Il y a neuf mois, j'ai dénoncé ce dont j'avais été témoin, à Chantilly, une haute futaie de quelques centaines d'orangers a été convertie en bois de chauffage (6). »
16 prairial. - Au nom du comité d'instruction il lit un rapport sur « la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française (7) ». Le 8 pluviôse, un lettré, un poète, Barère, dans un plan tout à fait neuf d'éducation, avait soulevé la question : « Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les murs, les coutumes, le commerce et la pensée même, révolutionnons aussi la langue, qui en est l'instrument journalier... Il faut abolir, par une loi, ces idiomes populaires qui ont perpétué le règne du fanatisme, de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles, des praticiens... » L'idée était folle, le rapport de Grégoire esl en général plus sensé ; il contient une énumération très complète des trente patois, qui rappellent le nom des provinces. « Nous sommes encore pour le langage la tour de Babel, tandis que pour la liberté nous sommes l'avant-garde des nations... » Il repousse, comme chimériques, les utopies de ceux qui voudraient ramener les peuples à une langue unique, mais « on peut uniformer le langage... Le peuple français doit consacrer au plutôt, dans une république une et indivisible, l'usage unique et invariable de la langue de la liberté... L'ignorance de la langue empêche les citoyens de connaitre les lois, d'aimer la république... Il faut favoriser la propagation de la langue et du patriotisme. » Mais s'il est urgent d'établir sans délai l'unité d'idiome, qui est une partie intégrante de la révolution, il ne faut pas oublier que la connaissance des dialectes peut jeter du jour sur quelques monuments du moyen âge ; « l'histoire et les langues se prêtent un mutuel secours pour juger les habitudes et le génie d'un peuple... Il importe d'étudier les dialectes et dans ce moment favorable pour révolutionner notre langue, de leur dérober des expressions et des termes qui nous manquent... Presque tous ces idiomes ont des ouvrages qui jouissent d'une certaine réputation, la commission des arts recommande de recueillir ces monuments imprimés ou manuscrits, il faut chercher des perles dans le fumier d'Ennius... » Il propose ensuite quelques moyens pour faire disparaître graduellement les patois et exécuter une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau... « Si la Convention adopte les vues du comité, nous ferons une invitation aux citoyens, qui ont approfondi la théorie des langues pour concourir à universaliser la nôtre... » On décrète l'impression du rapport et l'envoi aux communes, mais on ajourne le projet.
Dans le même ordre d'idées, il publie une adresse au peuple français ; c'est une déclamation emphatique, violente, dont la réforme de la langue est le prétexte. « Cette race de brigands qu'on nomme rois et princes rend hommage à notre langue ; citoyens, vous détestez le fédéralisme politique, abjurez celui des langues ; la langue doit être une comme la république ! la Déclaration des droits que vous avez jetée sur les trônes est aussi redoutable aux despotes que nos boulets... Le style grossier était celui de Capet et d'Hébert ; le langage d'un tyran et d'un contre-révolutionnaire doit-il souiller les bouches républicaines ?... Les sociétés populaires furent de tout temps les sentinelles vigilantes de l'esprit public, le bien qu'elles ont fait garantit qu'elles vont en opérer encore et s'assurer de nouveaux titres à la reconnaissance de la patrie (8). »
28 juillet (10 thermidor). - La sainte guillotine, comme l'appellent ses fidèles de la place de la Révolution, a fait justice de « l'homme divin », Robespierre a expié ses crimes... L'Assemblée est divisée : les montagnards de la crête, les thermidoriens, les modérés, se comptent et se groupent, on se prépare à la lutte. Grégoire garde son indépendance ; il a refusé d'assister aux fêtes de la Raison, il n'a pas paru à celles de l'Être suprême et cependant il a échappé à la proscription. J'ai cherché dans le dossier des papiers de Robespierre publiés par le député Courtois, l'opinion du dictateur sur l'évêque de Blois : il n'en parle jamais ; il ne craignait pas en lui un rival ou peut-être il lui savait gré de sa haine féroce contre la royauté.
1er fructidor. Grégoire lit un premier rapport sur la dégradation des monuments des arts et fait adopter un décret sur les moyens de les réprimer. Le comité n'avait consenti qu'avec peine à cette lecture : « On me gratifia de l'épithète de fanatique, on prétendit que je voulais sauver les trophées de la superstition (9)... Il fallait ménager des députés provocateurs ou exécuteurs de dévastations... On rn' aura-il jeté à bas de la tribune, si j'avais révélé toutes leurs turpitudes... » Le décret, en quatre articles, fut imprimé au Bulletin des lois. On lit au Moniteur : « Nous donnerons le rapport dans un prochain numéro.» Je l'ai vainement cherché ; il fut, en 1828, imprimé dans le Bulletin du bibliographe. Aujourd'hui, on critique sa haine du vandalisme, M. Carnot lui-même l'accuse de s'être laissé entraîner par la passion, « d'avoir exagéré les faits et attribué aux désordres révolutionnaires des ruines antérieures ».
1794 (an II). 14 fructidor.- Grégoire veut parler encore sur les dévastations du vandalisme ; l'Assemblée est peu disposée à lui accorder la parole. Je demande, dit Lakanal, que Grégoire soit entendu, vous apprendrez avec indignation qu'on est allé jusqu'à mettre les scellés sur des ménageries. On sait que le député de l'Ariège avait proposé de consacrer un jour de fête en l'honneur des animaux compagnons de l'homme. La Convention écouta la lecture de ce rapport, qui contient les plus effrayantes révélations... « Le mobilier de la nation a souffert d'immenses dilapidations... Les fripons ont dit : La nation, c'est nous... La seule nomenclature des objets enlevés, détruits ou dégradés, formerait plusieurs volumes... Il n'est pas de jour où le récit de quelque destruction nouvelle ne vienne nous affliger... La Convention fera retentir le cri de son indignation contre les auteurs et instigateurs contre-révolutionnaires de ces délits pour les traîner sous le glaive de la loi... II y a cinq ans que le pillage a commencé par les bibliothèques... Les libraires ont acheté à vil prix les livres volés... Les moines, à Senones, ont enlevé un manuscrit unique (10)... Malgré la loi de 1792, on a continué à vendre... Les administrations n'ont pas répondu à notre circulaire du 22 germinal dernier... Malgré les instructions les plus formelles, quelques corps administratifs ont encore la fureur de détruire et de livrer aux flammes... C'est plus expéditif que d'inventorier... Quelques-uns ont formé un tribunal révolutionnaire qui proscrit et condamne. Horace et Virgile passeraient pour avoir préconisé un tyran... Beaucoup de bibliothèques de moines mendians renferment des éditions du premier âge de l'imprimerie... Le Missel de la chapelle de Capet allait être livré pour des gargousses... La matière, le travail, les vignettes et les lettres historiées de ce livre sont des chefs-d'œuvre. Rien n'est respecté, rien n'échappe à la cupidité, ni les antiques, ni les émaux, ni les bijoux. » Il dresse un long inventaire des vols et des mutilations, il attaque « l'aristocratie, la contre-révolution, les brigands de la Vendée et aussi Manuel, Chaumette, Chabot, Hanriot, qui voulait renouveler ici les exploits d'Omar, dans Alexandrie... Et surtout Robespierre, qui voulait ravir aux pères le droit sacré d'élever leurs enfants... Ce qui dans Lepelletier n'était qu'une grave erreur, était un crime chez le tyran... » Il retrace, avec une juste indignation, le tableau de la persécution dirigée contre les hommes de talent ; il cite le nom des victimes de l'échafaud et des prisons et il termine par une énumération des richesses de la nation avant 1789 : « II y a cinq mois, j'estimais à cinq millions le nombre des volumes, il est aujourd'hui de douze millions... Tirons enfin de la poussière ces milliers de manuscrits... On y trouvera une foule d'anecdotes, qui attesteront les forfaits du despotisme... Législateurs, l'intérêt national vous prescrit d'utiliser au plus tôt vos immenses et précieuses collections, en les faisant servir à l'instruction de tous... en organisant promptement l'éducation nationale, en formant surtout des écoles normales... Souvenez-vous, quand il s'agit d'éducation, que des vues mesquines sont des vues détestables. Il y a quinze mois que le comité de salut public vous disait que cette organisation était une mesure de sûreté générale et cependant rien n'a été fait. » Il expose la situation désolante des écoles, de la science, des murs et il conclut : « frappons sans pitié tous les voleurs, tous les contre-révolutionnaires... Puisque les tyrans craignent les lumières, il en résulte qu'elles sont nécessaires aux républicains... La liberté est fille de la raison cultivée, rien n'est plus contre-révolutionnaire que l'ignorance, on doit la haïr à l'égal de la royauté. » A la suite de ce rapport imprimé par ordre, la Convention adopte un projet de loi en six articles.
An Ill. 8 vendémiaire. - Au nom du comité de l’agriculture, des arts et de l'instruction, Grégoire lit un rapport sur l'organisation du Conservatoire des arts et métiers (11). « Dans tout pays où il y a une cour, les arts mécaniques sont avilis ; il y existe une classe dont l'immoralité privilégiée croirait se déshonorer en les cultivant... Depuis une quarantaine d'années seulement, l'art du tailleur est décrit, tandis que, depuis deux siècles, on imprime le Parfait confiseur, le Parfait cuisinier... Dans un pays libre, tous les arts sont libéraux... De bons vers sont infiniment moins utiles que de bons souliers... Celui qui le premier réunit les douves d'un tonneau ou qui forma la première voûte, celui qui rendit le pain plus digestif... ceux-là méritèrent mieux de l'humanité que celui qui écrivit la Henriade... Tous les arts sont frères... la Nation possède une quantité prodigieuse de machines ; je dis prodigieuse, car qui ne les a vues, aura difficilement une idée de leur nombre, de leur richesse, de leur perfection, de leur importance... Le perfectionnement de l'industrie n'enlève à l'ouvrier aucun moyen d'existence... Pour encourager et éclairer ceux qui cultivent les arts, il convient de réunir, en un local commun, toutes les collections anciennes... Il ne suffit pas d'avoir des modèles, il faut des démonstrateurs, pour enseigner la construction des outils et des machines, leur jeu, l'emploi des forces... Nous avons calculé les dépenses à la somme de 16,000 livres annuellement pour indemnité des membres du conservatoire ; il sera le réservoir, dont les canaux fertiliseront la France... Il faut répandre avec profusion des livres élémentaires sur l'industrie et leur attribuer des récompenses... Vous avez d'ailleurs, dans les cartons de l'ancienne administration du commerce et dans les papiers de l'Académie des sciences, une foule d'excellens mémoires inédits, qu'il est instant de faire paraitre... Il y aura une salle d'exposition, où toutes les inventions nouvelles viendront aboutir, tandis que l'orgueil des despotes élève des palais cimentés par le sang... vous vous occupez d'établissemens propres à faire naitre le bonheur dans les chaumières. » La Convention voie l'impression du rapport et l'ajournement du projet de décret, qui n'est adopté que le 28 vendémiaire.
15 vendémiaire. - Grégoire se plaint avec amertume des persécutions dont il est l'objet de la part des colons ; il lit une lettre de Saint-Domingue ; il offre sa démission de membre de la commission des colonies ; « il attend avec intrépidité ses accusateurs et avec calme le jugement de la Convention» ; on passe à l'ordre du jour.
17 vendémiaire. - Il lit un long rapport sur les encouragements et récompenses à accorder aux savants, aux gens de lettres, aux artistes (10 col. du Moiteur).
« Les despotes, depuis Auguste, ont senti l'importance d'attacher au char de leur ambition les talents capables d'ébranler leur puissance... C'est par là que les tyrans de la France ont empêché l'explosion révolutionnaire... Sanctifions par amour pour la liberté ce que les tyrans ont fait en haine de la liberté... Il est urgent de mettre la main à l'ouvre et de continuer les travaux commencés de plusieurs savants et des ci-devant académies ; l'Assemblée doit porter aussi sa sollicitude sur les voyages ; les belles époques à citer que celles de 1736, de 1760, de 1769 ! On ne voyage plus par ordre et aux frais du Gouvernement... Vous avez détruit les corporations, où la grandeur imbécile et fastueuse siégeait à côté du génie, mais vous favorisez les sociétés libres, qui commencent à s'organiser... Privés des faibles ressources que leur assuraient les fonds des académies, les savants, les gens de lettres n'ont obtenu que des promesses... Non, vous ne laisserez pas le génie dans l'attitude de la misère ; vous le dédommagerez des arrérages, vous le consolerez des outrages, des persécutions, qu'il vient d'essuyer... Nous serions déshonorés, si nos savants avaient plus à se louer des caresses du despotisme que de la justice républicaine. » Un décret affecte une somme de cent mille livres aux encouragements, récompenses et pensions à accorder aux savants ou aux artistes, dont les talents sont utiles à la patrie.
« Cette répartition aurait pu être mieux faite, mais ce n'est pas ma faute... Pour sauver ceux qui cultivent les lettres, on créa une commission des arts... Nous mettions en réquisition les gens de lettres cachés et endoloris... On avait dressé des listes, je leur faisais expédier des lettres pour les charger de missions littéraires, qui étaient des brevets de sécurité et qui établissaient avec le comité, ou plutôt avec moi, des correspondances utiles... Je consolais autant que possible les hommes éclairés... (12) » Grégoire reçut et conserva des lettres de remerciement en grand nombre ; il y en a à la bibliothèque de Nancy un carton (n° 534). Durival, de sa retraite de Heillecourt, rend grâces au savant citoyen représentant... , à son cher et respectable compatriote... Il ne rougit pas de recevoir des secours de sa patrie, il a travaillé pour elle... , il en a un pressant besoin. « .Je ne puis assez vous remercier de vos éloquentes philippiques contre les modernes vandales et les Verrès ; hélas ! je tremble encore de leur passage à Nancy (13).
3 brumaire. L'évêque d'Orange, vieux et infirme, est détenu à Provins ; il écrit à Grégoire qui obtient du comité de sûreté générale la liberté de son collègue.
7 brumaire. Membre de la Société d'économie rurale de Paris, Grégoire, par application de la loi sur les sociétés populaires, adresse au président un état indiquant son nom, son âge, sa profession, avant le 14 juillet 1789, la date de son admission... La pénalité est sévère : tout contrevenant sera arrêté et détenu comme suspect.
8 brumaire. - Au nom du comité, il fait connaitre les nouvelles dégradations qui lui sont signalées... « Nous avons pensé qu'il fallait dénoncer les coupables, placarder l'opprobre sur leurs fronts, prémunir les bons citoyens contre les erreurs de l'ignorance... » Il cite des lettres les agents nationaux ; « le mal est connu, avisons aux remèdes, répandons abondamment l'instruction, réitérons nos invitations aux. sociétés populaires... Les tribunaux manquent de vigilance... , tant de ravages ont été commis et l'on trouve à peine un jugement à citer contre cette classe de voleurs et de contre-révolutionnaires... Quand les lois répressives sont muettes, ceux qui en sont les dépositaires sont coupables et complices ; c'est une vérité que vous confirmerez par un décret. » En effet, un décret en trois articles rend les agents et administrateurs individuellement responsables des destructions, à moins d'une impossibilité absolue de les empêcher.
9 brumaire. Membre du comité d'instruction, il fait de sages observations au sujet de la durée des cours de l'École normale, qui échoua misérablement.
18 frimaire. Un officier de marine informe Grégoire des tortures infligées à plus de cinq cents prêtres entassés
sur deux vaisseaux... : « on les a jetés dans des cachots fétides et flottants..., on les a successivement tenus en
rade et en rivière... » En termes émus, l'évêque plaide leur cause devant l’Assemblée : « S'informe-t-on si un homme est médecin, procureur ou avocat, pour lui rendre justice ? et on ose demander si un homme est prêtre ! quel que soit un individu, s'il est mauvais citoyen, frappez-le ; s'il est bon, protégez-le... Tant que l'on suivra des principes contraires, on n'aura que le régime des sots, des fripons et des tyrans (14).» Il obtint le renvoi de l'affaire au comité de sûreté, où il la suivit jusqu'à ce que le succès eût couronné ses efforts. Certes, il fallait du courage pour élever la voix en faveur des prêtres. « Le fanatisme est alors du côté des persécuteurs ; le comité de salut public, ou siègent Robespierre, Carnot, Lindet, Saint-Just... , adressait aux autorités constituées et aux sociétés
populaires des instructions précises sur la manière d'interpréter le décret relatif à la liberté des cultes. « La Convention n'a voulu déroger en rien aux lois et aux précautions de salut public contre les prêtres, réfractaires ou turbulens, contre tous ceux qui, sous prétexte de religion, compromettraient la cause de la liberté. Partout les émissaires de la sainte Montagne organisent le gouvernement révolutionnaire conformément au décret de frimaire an II ; partout des bureaux de police, des comités de surveillance exécutent des incursions, des expéditions révolutionnaires, pour jeter l'épouvante dans l'âme des fanatiseurs et verser le baume dans l'âme des fanatisés... , aussi « les cultes étaient si peu libres, que toutes les églises furent fermées en quinze jours, sans que Robespierre en fit ouvrir une seule ; en 1794, il n'y avait pas, en France, cinquante paroisses où l'on dit publiquement la messe (15) ».
19 frimaire. - Grégoire plaide la cause de Lanjuinais qui, caché à Rennes, a échappé à la mort.
20 frimaire. - Il appuie la proposition de Clauzel, qui accuse les architectes, « partout on abîme et on brise ».
21 frimaire. - Il se plaint que l'on change, sans motif, le nom des sections, des communes ; il y a une déplorable confusion dans les titres de propriété et dans les monuments historiques.
24 frimaire. - Au nom du comité d'instruction, il rend le compte mensuel des dévastations : « A Strasbourg, au XVIIIe siècle, on a surpassé les Alains et les Sarrazins, l'immense et magnifique basilique est méconnaissable ; des statues par milliers sont tombées sous le fer destructeur... Il en a coûté une somme considérable pour payer les attentats de ceux qui ont dégradé ce monument, dont la bâtisse a duré 70 ans et que l'antiquité eût désigné comme la huitième merveille du monde... On a emprisonné des professeurs, on a mis les scellés sur la bibliothèque, une des plus belles et des plus fréquentées ; à côté, on a logé des porcs, il y en avait cinquante-deux, il en est résulté une infection... Il y a encore, dans la plupart des communes, un petit Robespierre, et, tandis que le moderne Catilina a expié sa férocité sur l'échafaud, ses lieutenans sont tranquilles... Dans cette année de terreur et de crimes, où la barbarie étendait son crêpe sur le berceau de la République, les amis de la France étaient désolés... » Le compte rendu remplit neuf colonnes du Moniteur ; on en vota l'impression. J'ai lu une lettre du curé d'Achain, le très cher ami, qui lui donne les détails les plus précis sur les dégradations et aussi des nouvelles de son vicaire Crousse.
21 décembre (1er nivôse). - « Persuadé que le règne de la cruauté et du délire devait avoir son terme, je n'allais pas aux séances sans avoir en poche mon discours sur la liberté des cultes ; je l'avais communiqué à mes collègues dans l'épiscopat. Une discussion sur les ridicules fêtes décadaires, dont l'établissement mort-né a coûté tant d'argent, de larmes et de sang, était l'occasion favorable, je la saisis... Vous avez fondé la République, il vous reste à en consolider l'existence et à porter remède aux troubles religieux qui agitent et désolent la France... Persécuter quelqu'un, parce qu'il est financier, ci-devant noble ou prêtre... , cette conduite est digne d'un roi... Le Gouvernement ne peut adopter, encore moins salarier aucun culte..., il doit les tenir tous dans la juste balance, empêcher qu'on ne les trouble et qu'ils ne troublent. .. Un peuple qui n'a pas de liberté des cultes, sera bientôt sans liberté... Les orages de la Révolution ont pu motiver quelques actes de rigueur..., ces mesures doivent céder avec le besoin... Ne parlons plus de l'inquisition, nous en avons perdu le droit, car la liberté des cultes est que dans les décrets, la persécution trouble toute la France... Lorsque, par votre ordre, nous sommes allés dans les Alpes-Maritimes et le Mont-Blanc, leur imprimer la forme républicaine, en votre nom, au nom de la loi, nous avons juré la liberté des cultes, dont ils redoutaient la perte, ils l'ont perdue, et je ne veux pas êlre parjure. » Il flétrit les mesures odieuses que l'on prend contre la religion, l'espionnage tyrannique exercé au sein des familles, les accusations insensées de fanatisme et de superstition... « Voltaire, qui croyait en Dieu, fut un jour traité de fanatique... choisirai-je, pour fixer le sens de ce terme, les discours merveilleux concernant les déesses de la Raison, ou ceux qui chantent le Dieu de la liberté, ou la harangue, dans laquelle Cloolz prêche l'athéisme, ou celle de Robespierre, qui fait à l'Être suprême l'honneur de le reconnaitre ? » Il oppose la conduite des prêtres « qui se sont élancés sur la brèche pour combattre le despotisme avec celle de ceux qui à la barre, il y a un an, ont renoncé à la prêtrise... En 1790, on persécutait les prêtres pour leur faire prêter le serment ; ensuite on les persécuta pour le leur foire abjurer... La faim, les injures, les cachots ont été leur partage et on ose parler de la Saint-Barthélemy ?... La persécution est toujours exécrable..., le culte catholique est celui d'une grande partie de la nation ; on l'a représenté comme incompatible avec la République... Lorsqu'une loi a supprimé le culte, j'ai recommandé le calme à ceux qui voulaient en réclamer la liberté... Charles IX et Louis XIV sont-ils ressuscités et faudra-t-il nous trainer sur des rives étrangères, en mendiant un asile et la liberté ? » Le président lui maintient la parole, malgré les interrupteurs. « Il faut assurer l'entière et indéfinie liberté de tous les cultes, sauf à rappeler, dans une adresse au peuple, les règles que commande cet ordre de choses... , le moyen de concilier les jours de travail et de repos consacrés par nos idées religieuses, avec ceux que la Convention a établis... La loi existe, la loi doit être exécutée..., pourquoi le même temple qui réunira successivement les citoyens des divers cultes pour leurs acles religieux ne les réunira-t-il pas simultanément autour de la statue de la Liberté pour les fêtes civiles et politiques ? » Il termine en proposant un décret qui oblige les autorités à garantir à tous l'exercice libre de leur culte, y compris celui des fètes décadaires. - Legendre (de Paris) ne doute pas des bonnes intentions de Grégoire, mais il croit que son discours peut faire beaucoup de mal ; il demande l'ordre du jour, qui est voté au milieu des plus vifs applaudissements. Le Moniteur a caché la vérité, Grégoire la rétablit... « Quand j'eus fini de parler, Legendre prétendit que la religion consiste à être bon époux, bon père, bon fils, bon ami... Après ces beaux raisonnemens, on passa à l'ordre du jour, en levant les chapeaux et en criant : « Vive la République ! » comme si l'on eût remporté une victoire... Pendant les trois quarts d'heure que j'occupais la tribune, les Montagnards étaient comme des patients sur la roue, je leur fis éprouver toutes les crispations de la rage, surtout en leur représentant l'admission à la barre des prêtres apostats ; d'une part, les interruptions multipliées de la Montagne, de l'autre, les applaudissemens prolongés des tribunes formèrent un contraste piquant (16).» J'ai peine à croire aux applaudissements prolongés, je lis dans le Tableau de la Révolution d'Ad. Schmid (2 nivôse) : « La motion de Grégoire sur le rétablissement du culte a fait la matière des conversations ; on applaudissait en général au parti pris par la Convention d'écarter cette motion. » Le comité de sûreté générale défendit au Journal des Débats de parler de ce discours. « Je ne trouvai personne qui osât imprimer mon discours ! et Crapelet, après avoir commencé, n'osa continuer... Maradan fut moins timide, le discours parut avec une préface vigoureuse, que j'y ajoutai (17).» On a prétendu que le carnaval inauguré par Chaumette, Hébert, Clootz et autres Jacobins a duré peu de temps ; on a nié le mal affreux fait a la France par la persécution religieuse ; on a dit que la Convention a décrété la liberté des cultes ; M. Carnot, dans un mémoire récent, vante sa tolérance en matière religieuse ; il répète que 32,214 églises étaient ouvertes aux fidèles... Écoutons son ami, le patriote Grégoire : « Ce serait une grande erreur de croire que le décret sur la liberté des cultes nous eût rendu la faculté d'exercer le nôtre... Le ministre protestant allait tranquillement de sa maison conservée à son temple ouvert, tandis que le prêtre catholique était chassé de son église vendue, fermée ou démolie... Sortis des cachots, sans pain, sans asiles... , courbés presque tous sous le poids des infirmités..., les infortunés ecclésiastiques avaient à lutter contre les menaces, les outrages, la férocité des agents du Gouvernement, irrités de voir rétablir le culte (18). » Les archives des villes renferment par centaines les procès- verbaux des violences excitées par les clubs, tolérées ou sanctionnées par les autorités constituées ; aux Archives nationales des liasses épaisses en sont remplies !
3 nivôse. - La Convention impose l'obligation des fêtes décadaires, Grégoire proteste au nom de la liberté ; sa voix est étouffée par le tumulte. Rien de plus triste, de plus instructif que les discussions, les motions, les projets et les contre-projets relatifs à ces fêtes ridicules, dont l’établissement mort-né a coûté à la France tant d'argent, de sang et de larmes ; l'évêque de Blois les a réunis, classés et souvent annotés avec une juste et impitoyable sévérité (19).
1795. 21 février. - Apres tant d'anarchie, la Convention ou plutôt, comme dit Grégoire : « L'opinion publique commanda ce que j'avais demandé, et, trois semaines après m'avoir outragé, on décréta la liberté des cultes, d'après un discours de Boissy d'Anglas, qui insultait à tous les cultes. » Ce principe de liberté profita aux insermentés, plus qu'au clergé constitutionnel ; la correspondance de Grégoire le prouve. « Votre loi, lui écrit l'évêque de Metz, parait plutôt érigée contre le culte qu'en sa faveur ; j'en prévois même des suites fâcheuses... Les réfractaires reviennent en foule et érigent autel contre autel... La Lorraine allemande en est pleine. »
Depuis la scène des abjurations (17 brumaire) jusqu'à la mort de Robespierre, Grégoire se montre peu a la Convention ; il a cessé de gouverner ostensiblement son diocèse ; le conventionnel Laurençot, en mission à Blois, a empêché tant rassemblement fanatique, il a emprisonné ou envoyé à l'échafaud (20) ceux qui, sous prétexte de liberté, voulaient ressusciter l'imbécile liturgie du sacerdoce. Le plus fidèle des vicaires épiscopaux écrivait à l'évêque : « La lutte est impossible, le silence est forcé... 32 ecclésiastiques seulement sur 300 gardent leurs principes religieux et républicains, malgré les persécuteurs..., 32 se sont mariés, les autres ont remis leurs lettres de prêtrise. » Les vrais sans-culottes veulent supprimer tous les prêtres ; ceux qui ont prêté le serment ne valent pas mieux que les autres ; ils ont entravé la marche de la révolution... L'hypocrisie comme le crime est un besoin chez eux, il faut extirper le fanatisme. - La situation est déplorable, Grégoire la connaît, mais il ne renonce pas à la lutte ; le 12 mars, il adresse aux fidèles de son diocèse une lettre pastorale de 17 pages in-4° : c'est l'histoire de la persécution dans le Blésois : « Mes frères, il y a longtemps que vous n'avez ouï la voix de votre évêque. La tyrannie étouffait nos pensées... Écrire, c'était compromettre inutilement sa liberté et sa vie dans cette année effroyable, où le sang, même celui des justes, ruisselait de toutes parts, où la France était couverte de victimes... A Blois, un homme, revêtu d'un grand pouvoir, trouvait étrange... qu'il y restât des prêtres... On se rappelle avec horreur que cinq furent égorgés..., l'un d'eux. était muni d'un certificat de civisme... La terreur était si grande que l'on n'osait leur donner la sépulture... Leurs corps sanglants, roulant dans les flots de la Loire épouvantée, allaient se réunir à ceux que l'on noyait à Nantes... Une troupe de brigands, composée, en partie, de prêtres apostats, se précipitait avec fureur dans les églises, pour détruire les chefs-d'oeuvre des arts... et vomit des blasphèmes... » Ce qui redouble sa tristesse, ce qui excite son indignation, c'est que le peuple repousse les prêtres jureurs, il réclame des insermentés, et cependant, dans ses visites des paroisses, il n'a rien négligé pour développer les vertus républicaines et inculquer la haine du despotisme... « Ce sont les royalistes qui fomentent les troubles ; il faut les repousser... Ne souffrez pas, dans vos assemblées religieuses, l'alliage impur d'hommes qui voudraient faire regretter le régime exécrable de la royauté... Qui n'aime pas la République, est un mauvais citoyen et conséquemment un mauvais chrétien. » Michelet, qui admire le ferme caractère de cet évêque, « resté seul libre à la Convention, pendant la Terreur, dans sa robe violette, personne n'osant s'asseoir près de lui », se trompe, lorsqu'il dit qu'il partageait, avec les insermentés, ses ornements et ses églises ; il était dur pour eux comme pour les prêtres mariés. - Le 24 germinal, il écrivait à son conseil épiscopal : « J'apprends que des apostats, des prêtres mariés veulent rentrer dans le ministère ; j'espère que vous ne les souffrirez pas... » Il écrit au curé de Chederny : « Comment vont vos Pâques ? » Le curé répond : « Cent paroissiens sur mille ont rempli leur devoir... » L'église constitutionnelle est menacée dans son existence, Grégoire le sait ; il faut lutter à la fois contre les indifférents, les décadaires, les insermentés ; il fonde lu société de philosophie chrétienne.
15 avril. - Il en indique clairement le but : « Combattre l'erreur par la science, publier des livres, des brochures, des dissertations pour éclairer les fidèles, les prémunir contre les assauts de l'impiété, pour exalter les bienfaits de la Révolution et resserrer les nœuds qui unissent l'amour de la religion à l'amour de la patrie. » Il fut l'âme de cette société, qui compta parmi ses membres résidents ou associés des hommes de valeur, jurisconsultes, ingénieurs, militaires et surtout des prêtres constitutionnels. « Un journal religieux était un levier puissant pour soulever l'opinion... Nous commençâmes la publication des Annales de la religion... Ce journal, dont je fus l'un des premiers et principaux rédacteurs, parut le samedi 1er mai 1795... , écrit pour les contemporains ; il fournira à l'histoire la connaissance exacte de l'Église gallicane... Nous peindrons l'état de misère et d'avilissement dans lequel, contre la foi des engagemens les plus solennels, on a précipité des hommes qui n'ont jamais cessé d'être utiles... » Imprimé d'abord chez Leclère, puis, à partir du 1er aout, à la Librairie chrétienne, fondée par Grégoire. et ses amis, ce journal hebdomadaire comprend 400 numéros réunis en 18 volumes. C'est là qu'il faut étudier l'histoire de cette Eglise constitutionnelle, dont un historien de la Révolution caractérise, en ces termes, le rôle aveugle : « Les innocents de l'Église constitutionnelle, dit M. Quinet, tels que Grégoire, ne travaillent jour et nuit que pour leurs ennemis, acharnés, implacables, les insermentés et les réfractaires, et ils ne s'en aperçoivent pas... ; ils rédigent des encycliques... , ils en appellent au Pape, qui les tient au bout de sa chaine... A un signe du Pape tombent et s'évanouissent pour jamais ces fantasmagories d'Église constitutionnelle, libérale, républicaine, révolutionnaire... , faux évêques, faux synodes, faux conciles, fausses encycliques... Le peuple ne les connaît plus... L'abbé Grégoire ouvre la porte à M. de Maistre ; il dépose, comme témoin, dans son vandalisme, contre une révolution à laquelle il s'est voué. »
15 avril. - Il reçoit une adresse de félicitation des citoyens de la Réole ; 116 républicains ont signé ; entre autres, Jean Jaubert, bon Çanculotte (sic).
23 avril. - Grégoire a la parole pour une motion d'ordre : il propose à l'Assemblée de faire une déclaration du droit des gens et il lit un projet en 21 articles. On décrète l'impression ; mais le lendemain, Merlin de Douai, au nom du comité de salut public, démontre les conséquences d'une pareille déclaration répandue en Europe. Il rend hommage, d'ailleurs, aux intentions qui ont dicté le projet ; « elles sont pures, comme l'âme de leur auteur ». Satisfait de cet éloge, Grégoire retire sa motion ; « il n'usera pas de la liberté de la presse pour la publier ». L'année précédente, il avait proposé de placer en tête du titre des rapports de la République avec les nations étrangères, une série d'articles formant une sorte de déclaration du droit des gens. Ce beau rêve, comme il l'appelait, fut classé, avec raison, parmi les utopies philanthropiques.
30 avril. - Dans une nouvelle lettre à son conseil épiscopal, il insiste sur la nécessité d'exclure les pasteurs dont les crimes ou les impiétés publiques ont scandalisé les fidèles ; il faut une pénitence publique, conforme à l'esprit et aux règles de la primitive Église... « Plutôt laisser une paroisse sans curé que lui en donner un mauvais.»
31 avril. - Sous la présidence du citoyen Lalande, la Société libre des sciences, lettres et arts de Paris admet Henry Grégoire au nombre de ses membres résidents (section des lettres).
4 prairial. - Les révolutions des 9 thermidor et 12 germinal ont reçu, aujourd'hui, leur complément, dit Fréron, qui voudrait détruire l'Hôtel de ville, « ce Louvre du tyran Robespierre » Grégoire réclame une répression énergique contre les assassins, les voleurs, qui, après avoir égorgé la Convention, voulaient le pillage des sections de Paris. « En révolution, frapper vite et frapper fort est un moyen de salut... Rappelez-vous le moment, où les poignards étaient levés sur vous... A cette tribune, je vois encore le sang de notre collègue..., des émigrés, des membres des commissions populaires... se sont mêlés aux factieux ; je demande qu'à l'instant on exécute le décret. » On applaudit.
25 juin (7 messidor). - Au nom des comités de marine, des finances, de l'instruction, il propose l'établissement d'un bureau des longitudes. Il en fait parfaitement ressortir l'utilité pour la marine ; le passé lui fournit des considérations du plus haut intérêt. Il y a beaucoup d'érudition ; la passion politique en diminue la valeur. « La royauté avait tout souillé, la République purifiera tout. » Le projet est adopté, il comprend 16 articles. « Dans une Histoire de l'astronomie, Lalande imprima que Lakanal avait établi le bureau des longitudes ; j'en ai ri et le nom de Lalande dispense de toutes réflexions. »
4 juillet (16 messidor) La constitution de 1793 tombe avec la Terreur ; Grégoire prend une part active à la discussion du nouveau pacte constitutionnel, qui la remplace, le 22 aoüt 1795. Il veut que la liberté de la presse soit illimitée ; les abus seront réprimés par les lois. « N'oubliez jamais, citoyens, que c'est la liberté de la presse qui nous a acquis la liberté. » La Montagne proteste, elle veut enchainer la presse renaissante ; Pastoret, comme Grégoire, ne conçoit pas « qu'un pays soit libre, quand la pensée ou la parole ne le sont pas ; quand il y a des pensées sujettes et une pensée souveraine » . Au Conseil des Cinq-Cents, Portalis, dans un rapport remarquable (26 germ. an V), établira les notions fondamentales que la loi doit consacrer sur la liberté et sur les délits de la presse.
11 juillet. - On discute le titre II, l'état politique des citoyens. Grégoire demande que les jeunes hommes de 16 à 18 ans soient, comme en quelques cantons de la Suisse, admis dans les assemblées primaires. « A 16 ans, un homme est en état de défendre la patrie, pourquoi lui refuser le droit de vote ? A 21 ans, il peut être père de famille..., c'est une garantie de sa moralité et de sa conduite. »
13 juillet (25 messidor). - Au nom du comité d'instruction, Grégoire a la parole : « Citoyens, dit-il, demain est l'anniversaire du 14 juillet..., souvenir cher à vos coeurs..., bientôt, le 10 août, qui vit écrouler le trône ; le 9 thermidor, qui renversa les 40,000 bastilles, dont un nouveau tyran avait couvert la France, et le 3 octobre, où nous rendions des honneurs funèbres à ces 22 représentants du peuple, à ces généreux patriotes assassinés par ceux qui organisaient les révoltes des 31 mai, 12 germinal et 1er prairial. » Le plan qu'il propose est simple, peu coûteux : « le 26 messidor, anniversaire du 14 juillet, à 10 heures précises du matin, les représentants en costume se rendront au lieu ordinaire des séances, l'Institut national de musique exécutera une symphonie suivie d'un chant républicain et, de suite, la Convention continuera de discuter la Constitution. »
21 juillet.- Le titre IV concerne les assemblées électorales ; Grégoire s'élève contre les fraudes, il veut « que le peuple soit mis en garde contre les corrupteurs ».
22 juillet (4 thermidor). - En réponse à une lettre de l'agent national de Dieuze, du 27 messidor, Grégoire, au nom du comité d'instruction, autorise le district à conserver les livres que le directoire de Sarreguemines lui réclame. La copie de cette lettre est au folio Ill du 1er registre de la municipalité.
27 juillet (9 thermidor). - Courtois a fait le tableau de la France sous Robespierre ; on chante l'hymne de Chénier : « Salut, neuf thermidor, jour de délivrance ! » (Moniteur 1795, n° 315.) Grégoire annonce que le comité s'occupe d'un rapport sur la fêle du 10 août ; « elle ne sera pas concentrée dans le lieu de vos séances, il faut qu'elle soit publique, afin d'en imposer aux royalistes, qui lèvent la tête... L'histoire des rois est le martyrologe de la nation, et les Français, après avoir écrasé leurs ennemis du dehors, prouveront qu'ils sont prêts à écraser ceux du dedans. » On applaudit.
2 septembre (18 fructidor). - Un décret de l'an lI a interdit le cumul. « Pourquoi, dit Grégoire, un maximum de traitement ?... » et il fait adopter le décret ci-après : « Les savans et gens de lettres et artistes qui rempliront plusieurs fonctions relatives à l'instruction publique, pourront en cumuler les traitemens. » Ce décret autorisait les gens de lettres a cumuler des traitements jusqu'à concurrence de 1,200 fr. « Le vénérable Pingré fut des premiers à jouir de cet acte de justice (21).»
20 fructidor.- Au nom du comité d'instruction, il présente un rapport sur le costume des deux conseils législatifs et de tous les fonctionnaires publics. L'exposé des motifs est curieux ; on y reconnaît le prêtre, qui n'a pas oublié la pompe des cérémonies sacrées. « En adoptant un costume..., vous rentrerez dans l'usage de presque tous les peuples civilisés... La suppression des ordres... entraîna la suppression des costumes, mais l'Assemblée eut tort de n'en pas substituer d'autres... Dès lors s'affaiblit la dignité de nos séances... , le mal empira jusqu'à l'époque où les tyrans qui opprimaient la Convention, mirent presque la propreté, la décence, au rang des crimes contre-révolutionnaires et se firent un mérite d'afficher jusque dans leur costume le mépris de la pudeur... Ils ont épuisé l'immense série des crimes, des vices, des sottises... Le costume commande au fonctionnaire le travail, l'humanité, l'intégrité... ; il dit aux citoyens : Voilà l'homme de la loi !. .. L'adoption d'un costume préparera peut-être un heureux changement dans celui des citoyens ...» On vote l'impression du rapport ; le 25 octobre seulement, Baissier présente un projet : « Veste et culotte blanches, habit gros bleu croisant sur la poitrine, manteau écarlate, descendant jusqu'au genou. » On se récrie, c'est un habit de Jacobin... Chénier fait l'éloge de la forme proposée par Grégoire ; c'est la plus belle et la plus commode ; elle est adoptée.
16 vendémiaire an IV. Grégoire demande que les comités examinent la question de savoir s'il est convenable que le Corps législatif s'assemble à Paris. Le renvoi est décrété.
1796. 20 octobre (4 brumaire). - La Convention se sépare ; il faut lire les jugements sévères que Grégoire consigne dans ses Mémoires (t. I, p. 423 à 428) : « Divisée en factions qui, tour à tour, s'envoyaient à l'échafaud..., elle contenait deux ou trois cents individus qu'il fallait bien n'appeler que scélérats, puisque la langue n'offre pas d'épithètes plus énergiques... Les impiétés, les injustices, les assassinats dérisoirement juridiques commis sous son règne, sont la source de tous nos maux... La majorité se composait d'hommes féroces, surtout d'hommes lâches... ; elle renfermait des hommes hideux, que l'enfer semblait avoir vomis, comme indignes de ce séjour d'horreur.» La Constitution de l'an IV, promulguée le 1er vendémiaire an IV, partageait l'unité du Corps législatif en deux branches : le Conseil des Anciens composé de 250 membres, le Conseil des Jeunes, appelé le Conseil des Cinq-Cents. Le Conseil des Jeunes propose les lois, le Conseil des Anciens les approuve ou les rejette. Grégoire est élu membre des Cinq-Cents ; « les deux conseils prètent le serment de haine, haine éternelle a la royauté. »
14 décembre (23 frimaire). - Grégoire appelle l'attention du Conseil sur les bibliothèques... La France possède plus de six millions de volumes ; Paris en a plus de seize cent mille ; « il faut distribuer ces richesses nationales de manière qu'elles soient utiles et qu'elles ne se dégradent pas. »
12 janvier 1796 (22 nivôse an IV). - Grégoire est nommé membre de l'Institut dans la classe des sciences morales et politiques.
31 janvier 1796 (11 pluviôse). - Il fait un rapport sur le changement du sceau de la République ; il établit l'utilité du sceau. « Le blason ne peut plus servir que pour l'histoire, il faut tout républicaniser ; il convient surtout que notre sceau représente l'emblème de la République... On a proposé trois modèles, ils sont exposés dans la salle, le Conseil choisira. » L'impression du rapport est ordonnée, le vote ajourné. (Monit. 1796, n° 136.)
9 ventôse. - La loi du 3 brumaire a fondé l'Institut, qui comprend membres répartis en trois classes. Elle a réalisé un projet inexécuté de Colbert, qui voulait, à la bibliothèque du roi, réunir, à chacun des jours de la semaine, les hommes les plus éminents dans les sciences et les lettres. Grégoire, en l'absence de Sieyès, préside une séance générale des trois classes. Il s'agit de fixer le règlement intérieur de la compagnie et le mode des élections. Naigeon « débite un discours, dans lequel il invite les géomètres et les chimistes à prouver que Dieu n'existe pas... Je ne lui ôtai pas la parole, afin de ne pas fournir le prétexte de crier à l'intolérance contre un évêque... Je crus que le parti le mieux calculé était de laisser l'assemblée faire justice de cette incartade. L'événement justifia ma présomption (22).»
1796 (an IV). 29 février. - Grégoire aurait voulu visiter son diocèse ; il manquait d'argent ; l'un de ses vicaires, Boucher, et les marguilliers de la cathédrale lui offrent de subvenir à ses dépenses ; il refuse. On craignait sa fougue révolutionnaire ; le 26 septembre, il écrit au vicaire épiscopal Dupont : « J'ai mon congé... je me réjouis d'arriver au milieu de vous et, en dépit de toute la vermine royaliste, je parlerai république, j'en parlerai hautement, souvent, intrépidement. » En effet, du 1er octobre au 21 décembre, il parcourt son diocèse, il recommande l'instruction chrétienne dans les écoles et dans les églises... Il a rendu un compte détaillé de cette visite, dans une réunion des évêques à Paris ; nous verrons tout à l'heure que ses efforts n'eurent d'autres résultats que de précipiter la ruine de son Église constitutionnelle.
1797. 15 juillet. - Grégoire se rend en Lorraine, il visite sa vieille mère au presbytère d'Emberménil et la tombe de son père à Vého (23). «A la demande de Maudru, évêque des Vosges, il porte la parole, le 26 juillet, dans la respectable réunion du synode convoqué à Saint-Dié pour réorganiser le culte divin et mettre en vigueur la
discipline. »
1797 (an IV). 15 août (28 thermidor). - Au jour de l' Assomption, un concile se réunit à Notre-Dame ; il s'agit de rétablir le culte, la discipline, de réorganiser les diocèses, la plupart privés d'évêques ; la tentative était hardie : « Sous les yeux d'un pouvoir ennemi, plus de cent évêques ou prêtres se trouvèrent assemblés ; ils étaient encore couverts des cicatrices de la persécution et des lambeaux de l'indigence, mais animés de l'esprit de Dieu, ils apportaient ici piété, courage, lumières et patriotisme. » Ce serait une grave erreur, écrit-il dans ses Mémoires, de croire que le décret sur la liberté des cultes nous eût rendu la liberté d'exercer le nôtre... Desbos, évêque d'Amiens, sortait des cachots, où, pour l'humilier davantage, on l'avait confondu avec des prostituées. - Ce concile par ses acclamations et ses canons déclare que l'Église gallicane reste invariablement attachée à la doctrine évangélique, à l'enseignement de l'Église Universelle... Il adopte le règlement et le plan de travail proposés par Grégoire, qui présente un traité sur la liturgie en langue vulgaire, des rapports sur l'érection de nouveaux sièges aux colonies, un résumé de ce que les évêques ont fait en faveur de la religion, et une proposition pour rendre commune à toute l'Église de France la fète du rétablissement du culte, qu'il a instituée dans son diocèse. Les non-conformistes convoqués refusent de se présenter ; on ferme le concile par cette acclamation : « Que Dieu les pénètre de l'esprit de paix ! »
Les fruits de ce concile furent amers pour l'évêque de Blois ; il y eut contre lui un redoublement de haine ; les philosophes le détestaient à cause de son dévouement à la superstition ; les catholiques comme régicide et schismatique... C'était un ambitieux, il aspirait à devenir patriarche de l'Église de France ; la proposition en avait été faite, Grégoire l'avait combattue, il redoutait un nouveau schisme ; on se borna à rendre à l'évêque de Lyon le titre de primat des Gaules. - L'année suivante, il publia un recueil des canons et décrets de ce concile et un compte rendu des travaux des évêques réunis (in-8°, 84 pages). La situation était déplorable, il est forcé de l'avouer : « Harcelés, outragés, calomniés sans cesse par les dissidens, les royalistes, les impies, les libertins, tous ligués contre nous, nous eûmes encore à lutter contre les préventions d'hommes bien intentionnés, mais à vues étroites, à conceptions timides et fausses. » Tous ses collègues ne partageaient pas ses opinions : « Avons-nous le droit, lui écrit l'évêque de l'Ardèche, d'exclure les prêtres mariés ? Nous nous sommes affranchis d'une grande partie de l'ancienne discipline respectée par nos pères, pouvons-nous exiger impérieusement le maintien d'une autre partie ? » Son ami, un ancien carme, Sermet, métropolitain de Toulouse, déclare que sur cent catholiques, soixante ont tourné le dos a l'Église constitutionnelle, et ceux-là ont tenu bon dans la foi ; sur les quarante autres, il faut compter au moins vingt-cinq apostats..., les anti-constitutionnels seuls font foule..., ils ont de l'argent en abondance..., les abjurations vont grand train, à la ville, à la campagne surtout. .. ; plus on s'aigrira contre le pape, plus il gagnera de terrain ; piano, piano, Rome ne meurt jamais! » Rien cependant ne saurait arrêter l'évêque de Blois ; il réunit, à Bourges, un concile provincial ; il faut rétablir le culte dans ce diocèse et dans ceux de Guéret et de Moulins. On y proclame un hommage solennel à la révélation, on y prononce anathème à la théophilantropie. - En 1803, Grégoire écrivait : « Théophilantropie, décadis, fêtes décadaires et toutes ces pantalonnades inventées par la haine, soutenues par les lois, le Gouvernement et la persécution ; tout cela n'existe plus que dans l'histoire, à laquelle j'adresse le récit de ces folies scandaleuses... » En 1697, on avait érigé le diocèse de Blois, pour combattre l'hérésie sur les bords de la Loire ; Grégoire institua une fête séculaire de cette fondation, afin de retracer des souvenirs chrétiens et de stimuler la ferveur des fidèles. « La fête fut célébrée, dit-il, d'une manière attendrissante » ; je n'ai rien trouvé à l'appui de cette assertion, mais sa dissertation est fort remarquable (in-8°, 36 p.). II a compulsé « les auteurs du pays et du voisinage, il y a trouvé une foule de témoignages propres à fixer les idées sur les contestations qui divisent les deux clergés ». Il y accuse son prédécesseur de l'avoir, dans ses lettres pastorales, dépeint sous les couleurs les plus noires, tandis que lui-même, en chaire et dans ses écrits, il a pris sa défense « en tous les points où il pouvait le faire et préconisé en lui des vertus et des talens ».
A la suite du concile, il fait rouler une circulaire sons le titre d'Observations sur les calomniateurs et les persécuteurs en matière religieuse (in-8°, Paris, chez Dubois, rue Saint-Jacques, et tous les marchands de nouveauté). C'est un acte d'accusation contre les dévastateurs des églises, une histoire de la persécution, une réponse aux attaques de Réal, dans le Journal des Patriotes. De concert avec les évêques restés à Paris, il publie deux encycliques pour exclure du ministère les prêtres apostats, mariés. traditeurs des livres saints, de leurs titres de prêtrise. - « La misère de la plupart des évêques les empêchant de faire imprimer des lettres pastorales, ils adoptaient les nôtres, toutes rédigées par moi et publiées à frais communs. »
15 décembre (25 frimaire). - Les administrateurs de la Sarthe écrivent à Rebwel : « Les prêtres recommencent à distribuer leurs poignards et leurs poisons, avec l'audace du crime et l'impudence du succès ; leur chef est Grégoire qui, avec d'autres évêques, désigne aux poignards des fanatiques les autorités et les fonctionnaires...» - « Les misérables qui mentaient sciemment, répond Grégoire, ne se doutaient pas que je révélerais leurs turpitudes,... en leur pardonnant de tout rnon cœur ; je veux cependant que justice se fasse et j'imprime la flétrissure sur le front de MM. les commissaires du directoire exécutif... Noms illustres, je vous adresse à l'histoire où est votre poteau. »
18 fructidor. - A la séance du soir, le Conseil arrête définitivement la liste de déportation ; 800 prêtres sont déportés à la Guyane, 1,200 internés à Oléron ; on les traque, on les fusille à Lyon, à Marseille, à Nancy ; ... Grégoire cherche vainement à faire rayer de la liste des proscrits le nom de Siméon, successivement professeur de droit a Aix, membre du Tribunat, comte de l'Empire et ministre de la justice, sous la Restauration.
1797 (an VI.) 4 vend. - Le Conseil adopte le projet de Grégoire sur le costume des représentants.
27 vend. - Il publie une notice sur son voyage des Vosges (in-8°, 12 p.). « Je vais vous promener seulement sur quelques points... » Il a vu à Moyen-Moutier « un manuscrit original des Mémoires du cardinal de Retz, qui avait plus de talent pour bien écrire que pour écrire lisiblement. .. Si quelques faits incohérens, quelques réflexions superficielles ont pu vous amuser un moment et vous inspirer le désir de voir les Vosges, mon but est rempli ; une autre fois, je vous promènerai sur un plus grand théâtre... Les montagnes appellent la méditation, elles invitent l'homme à se replier sur lui-même... »
7 nivôse. - L'administration de l'Allier accuse Grégoire d'avoir « relevé les espérances du fanatisme et rallumé ses torches ». L'évêque déclare qu'il n'a fait que réclamer l'exécution de la loi, il invoque la liberté ; il attaque aussi l'administration de Cambray, qui a prescrit des mesures vexatoires. Une discussion s'élève dans l'assemblée : Baraillon rend hommage au patriotisme de Grégoire, mais il s'étonne « qu'il corresponde d'un bout de la République à l'autre, comme évêque, tandis qu'il ne devrait être que législateur ».
1798. 15 et 16 mai. - A la suite de deux rapports de Grégoire, une résolution du Conseil des Cinq-Cents décide que le Conservatoire des arts et métiers sera installé dans l'ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs. On y réunit les machines, outils, dessins et instruments disséminés dans trois dépôts, au Louvre, à la rue de Charonne, à la rue de l'Université.
7 therm. - Une loi ordonne aux autorités constituées et aux écoles de chômer seulement les décadis et les jours de fète ; Grégoire proteste inutilement : « ces pauvres enfans furent condamnés à dévorer l'ennui pendant des heures entières que durait la lecture des lois. »
15 août. - Le secrétaire de la Société libre d'agriculture, arts et commerce des Ardennes lui adresse, avec une lettre très flatteuse, un diplôme de membre externe.
27 sept. - Il est nommé membre de la Société libre d'agriculture de la Seine. Le règlement a 8 articles ; la cotisation annuelle est de 72 fr., le jeton de présence vaut 3 fr.
1799 (an VII). - Il publie dans les Annales de la religion une lettre à l'archevêque de Burgos, grand inquisiteur d'Espagne. « Cette lettre me valut trois ou quatre volumes de réfutations et de diatribes. » Privé depuis longtemps de son traitement d'évêque, il avait dù « vendre à vil prix sa bibliothèque composée de livres, dont plusieurs à peu près introuvables ». Il expose lui-même les causes de sa pauvreté : il a fait de grands sacrifices pour distribuer des écrits religieux dans son diocèse, en France, à l'étranger. « Je soumis aux évêques réunis le total des dépenses, on me trouva créancier de quelques milliers de francs, dont j'ai fait avec plaisir le sacrifice. La friponnerie des remboursemens en papier fit une nouvelle brèche à ma très modique fortune, dont les débris s'ensevelirent sous une pile d'assignats, le naufrage fut complet...» Il avait songé à cultiver un petit domaine affermé, mais il fallait des avances, et sa santé altérée par la lutte l'empêchait de se livrer au travail des champs... « Ce qui ajoutait à mon chagrin, c'est qu'il fallait, pour ne pas contrister la plus tendre des mères, lui dérober la connaissance de ma détresse et lui procurer le superflu, même en me privant du nécessaire...» L'épreuve fut cruelle, il eut à se défendre contre les persécuteurs, qui croyaient avoir trouvé l'occasion de l'écraser : « Hérode et Pilate se donnaient la main... » Le ministre de la justice, Duval, écrivait à Blois, pour s'informer de ce qu'il faisait comme évêque... « Ma correspondance avec mes coopérateurs ne fut jamais interrompue... Dans une clandestinité forcée, ils avaient toujours, comme leur évêque, exercé le culte. » On mettait les scellés sur les presses des Annales de la religion... « A chaque instant de nouveaux actes arbitraires » ; le Directoire, qui n'eût jamais tenu les rênes sans le clergé constitutionnel, était un peu honteux de sa conduite envers l'évêque de Blois ; il fut question de lui proposer une ambassade,... « mais, disait l'un des directeurs, peutêtre voudra-t-il dire la messe ou y assister ? Et moi, lui répondai-je, je ne te demande rien,... mes sentimens religieux sont invariables. » Son compatriote François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur, créa tout exprès pour lui une place de conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal, avec un traitement de 4,000 fr. Une des vertus les plus chéres à son cœur, disait-il, c'est la reconnaissance ; aussi, il légua à cette bibliothèque sa riche collection de livres et de documents relatifs la traite et à l'esclavage des nègres, plusieurs manuscrits, sa correspondance avec Haïti (6309-6573), des suppléments au Bréviaire blésois (2165-2167), un mandement sur le jeûne et l'abstinence (2103) et surtout les deux manuscrits de ses Mémoires, que j'ai consultés avec le plus vif intérêt (5290-5291).
11 nivôse. - Mort de la mère de Grégoire, à la cure d'Emberménil.
15 therm. - L'évêque de Blois fait un second voyage dans les Vosges ; il y rétablit sa santé et rédige, jour par jour, un manuscrit qu'il intitule : Promenade dans les Vosges. Ce manuscrit , conservé à la bibliothèque de Nancy (n° 532), comprend 8 feuilles de préliminaires et 126 feuilles de relation. Rien de plus curieux que ses notices sur les chants populaires, les kyrioles, sur Plombières, sur Gérardmer, sur la coiffure des femmes, leur respect du lien conjugal, leur fécondité, leur économie, le soin qu'elles apportent à la culture des fleurs et des jardins. Il fait un bel éloge du père Fourier, de Jameray Duval, de Dom Calmet, du pasteur Oberlin ; il raconte des anecdotes sur le séjour de Voltaire à Senones, sur les Dames de Remiremont. Il a recueilli des renseignements sur la façon de faire les fromages, le Kirswasser, la glu ; il y a des notes souvent illisibles ou abrégées..., par exemple : « Couvents..., Almanach des Vosges dit hermites venus, les uns par oisiveté, alii par suite de libertinage et débauches (p. 30)... Je demande preuves... Senones, Voltaire ibi, avec Calmet, hypocrite, dévot, à procession Fête-Dieu, a fait vers pour bas de son portrait... hospitalité de moines, outragés par qui en profitait. » A la suite de ce voyage, Grégoire reçut un grand nombre de lettres : 18 vend. an VIII. Simon, curé de Fougerolles, lui envoie une recette pour confectionner la glu... Un pharmacien de Remiremont lui adresse un traité sur les oiseaux du pays et sur la manière dont on leur fait la chasse ; le chapitre relatif à la pauvre petite mésange mérite d'être lu.
J'ai vu à la Bibliothèque nationale (n° 11422, f. français) un manuscrit petit in-folio de 343 millim. sur 230, intitulé : « Observations sur l'état actuel de l'instruction publique, des bibliothèques, des archives, des monumens dans les départements de la Haute-Marne, de la Saône, des Vosges, de la Meurthe », que Grégoire remit à l'Institut. « J'arrive d'un voyage... J'ai porté un œil observateur sur les murs, les usages, l'influence de la Révolution sur l'agriculture, les manufactures, les bibliothèques, les archives, les écoles... Il y a dix. ans que chaque commune de ces départemens avait un maître, souvent aussi une maitresse ; la méthode était bonne, surtout dans les Vosges et la Meurthe... De toutes parts on stimulait le zèle des parens ; l'émulation de tout cela n'est plus, la persécution a tout détruit, l'ignorance menace d'envahir la campagne, les villes mêmes... On a beaucoup raisonné et même déraisonné sur l'établissement des écoles et les écoles sont encore à naitre... » Il trace un tableau fort triste des écoles centrales : « l'ignorance continue à détruire... Depuis trois ans, le Gouvernement a dépensé certainement des millions pour persécuter les opinions, tourmenter les citoyens, faire haïr la République ; avec la moitié de ce qu'on a de cette sorte volé au peuple pour lui faire du mal, on eût fait chérir la liberté, activé l'industrie nationale et donné l'impulsion aux sciences et aux arts. »
1799 (an VIII). 18 brum. - Le Conseil des Cinq-Cents est brusquement dissous. Le journal rédigé par Grégoire (les Annales de la religion) voit, dans ce coup d'État, un espoir de salut pour la liberté religieuse.
1800 (30 janvier). - Grégoire écrit aux professeurs de l'École centrale de Nancy : « Votre école est citée parmi celles dont la composition et le succès sont des plus éclatans. » Il sera heureux de les aider à obtenir tout ce qui leur manque.
Il lit à l'Institut une « Apologie de Barthélemy de Las-Casas. Le vénérable évêque de Chiappa n'a ni introduit ni favorisé la traite des nègres.
2 sept. - Il préside à Blois un synode qu'il a convoqué, dès le 20 juillet, par une circulaire de 8 pages in-8°. « Il y invite les dissidens à se présenter, à quitter leurs oratoires clandestins... On ne parlera de politique que pour affirmer l'obéissance aux lois, l'attachement au Gouvernement. » Cinquante ecclésiastiques à peine répondent à son appel ; les champions de la nouvelle Église gallicane, les prêtres jureurs n'ont plus pour les soutenir les sociétés de chasse (24), on les repousse partout, on accueille avec faveur les insermentés, aucun ne se présente au synode.- Grégoire irrité publie les actes du synode (4 vol. in-8° de 94 pages), avec une violente réfutation des pamphlets dirigés contre lui... « La fille qui, à Blois, joua le rôle de la déesse Raison, signala sa conversion, en recevant la bénédiction nuptiale de la main d'un prêtre dissident, plus traitable que ces constitutionnels, qui auraient certainement exigé une réparation publique du scandale. »
15 sept. - Il assiste au concile métropolitain de Bourges ; au retour, il adresse au premier Consul, qui le lui avait demandé, un « mémoire sur la manière de négocier avec la Cour de Rome, pour faire cesser les troubles religieux de la France ». II établit la situation, il oppose aux crimes de la Convention et du Directoire, « la conduite sage et mesurée du général Bonaparte, qui partout respectant le culte, veut, du sein même de la religion faire sortir cette force morale propre à consolider les républiques » ; il expose la politique de la Cour romaine : « ses brefs séditieux sur les affaires de France... Que les négociateurs se tiennent en garde contre l'astuce et les prétentions de Rome... Le pape ne fera rien sans les individus influents du Sacré-Collège... Le levier qui ébranle la France est à Rome ; les évêques émigrés dirigent le mouvement. .. La France est placée entre deux écueils : d'une part, les préventions de l'ambition aigrie, la cupidité irritée ; de l'autre, la discorde religieuse, qui agite la République... On exagère la puissance du clergé dissident... Le Gouvernement doit encourager le clergé assermenté ; le passé le prouve... Sous le gouvernement monarchique, nos libertés furent défendues d'une manière éclatante ; aurions-nous moins à espérer du gouvernement de la République ? » Il résume en quelques articles les mesures préliminaires ou concomitantes des négociations ; ce document a été imprimé in, extenso au sixième volume de l'Histoire des sectes religieuses. A la même époque et dans le même ordre d'idées, il rédige un « mémoire sur l'établissement d'une commission consultative pour les affaires de la religion ». Il appelle le passé au conseil de l'avenir ; « la persécution religieuse a été l'une des plaies les plus profondes qu'on ait faites à la société... Quand il y a collision entre la religion et l'Etat, celle-là y perd souvent, celui-ci y perd toujours... la religion est une enclume sur laquelle viendront éternellement frapper et se briser tous les marteaux... L'expérience de quarante siècles atteste que les points de contact entre la religion et l'Etat sont la partie d'administration la plus délicate,... de là la nécessité de créer une commission qui s'occuperait de l'examen des rapports permanens et journaliers de la religion avec l'État... Depuis Constantin jusqu'à nos jours, on en trouve l'analogue chez presque toutes les nations chrétiennes... Dans le siècle dernier, un conseil de conscience existait même sous le régent. Cette mesure ne produira que du bien, elle n'occasionnera pas de dépenses, les frais de bureau seront presque nuls ; un local, un secrétaire, quelques livres faciles à trouver dans les dépôts. La commission devra en outre s'occuper de l'instruction de la jeunesse, une lacune de dix ans est un des dangers les plus imminens qui puissent menacer la société. Elle se composerait de dix membres choisis parmi les hommes de loi, les magistrats, les ecclésiastiques... L'auteur de ce mémoire invariablement attaché à la République n'a pas le désir de se donner une importance politique, à laquelle il n'aspire pas, ni la prétention de tracer des règles à l'autorité gouvernante... faire le bien et le bien faire, telle est sa devise et quand même le premier Consul n'adopterait pas le projet, le motif qui l'a dicté obtiendrait encore son approbation. » Dans un diner chez Joseph Bonaparte, « l'aménité du maitre de la maison me mit à portée de converser longtemps avec Spina, un des agents de la Cour romaine venus à Paris... Il désirait une entrevue avec moi..., des intermédiaires furent chargés d'en provoquer une, entre autre, Savoye, de Gérando (de l'Institut) et même Lalande, qui dans ses ineptes et abominables brochures, distribue des brevets d'athéisme. Si M. Spina désire me voir, répondit Grégoire, il peut venir... L'entrevue eut lieu... Spina sortit, je pense, plus pénétré d'estime que d'amitié. Les gazettes m'envoyaient en ambassade à Rome, une foule de gens sollicitaient des places dans ma légation, elles me décoraient du cardinalat, qui n'est qu'une superfétation étrangère à la hiérarchie et surtout inconnue de la primitive Église (25). »
1801 (an IX). 28 vend.- Le ministre de l'intérieur nomme le citoyen Grégoire membre du Conseil du Conservatoire des arts et métiers.
25 frim. - Il reçoit un diplôme de membre associé correspondant du lycée des sciences et arts de Marseille.
27 niv. - On lui adresse le diplôme d'associé correspondant de la Société libre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.
31mars. - La situation de son diocèse est déplorable ; les vicaires généraux de l'évêque de Thémines ont publié un mandement ; son vicaire Boucher est mort, Dupont s'est rétracté, il y a plus de soixante prêtres insermentés dans la seule ville de Blois, il ne reste pas quatre-vingts prêtres constitutionnels.
29 juin (10 mess.).- Au jour de la fête de Saint-Pierre, en l'église métropolitaine de Paris, l'évêque de Blois prononce le discours d'ouverture du deuxième concile national : il signale les efforts tentés depuis le premier concile pour rétablir le culte ; il voudrait inscrire sur le frontispice du siècle qui vient de s'ouvrir : accroissement de la foi, régénération des murs, union des cœurs ; il insiste sur l'utilité, la nécessité des conciles et des synodes, il fait une revue rétrospective des concordats, il flétrit les tentatives impies pour substituer le décadi au dimanche, il déplore, avec amertume, la lâcheté, la mauvaise foi des dissidents, qui refusent de prendre part à des conférences sur les points controversés ; un gouvernement sage accueillera ses efforts ; ... dans un État républicain, la religion doit être l'indispensable supplément de la loi,... seule la religion avait créé, en France, une multitude d'établissements ouverts à l’instruction et d'hôpitaux ouverts au malheur... « Nous défendrons avec la même intrépidité les prérogatives du Saint-Siège et les libertés de l'Église gallicane. » Sa péroraison est chrétienne : « Que le Dieu de paix et de charité répande ses dons sur vous et sur vos pasteurs ! fidèles à notre vocation, marchons courageusement vers la montagne d'Horeb, vers cette terre promise éclairée par les splendeurs des jours éternels, où la fin du voyage sera le commencement du bonheur ! . »
Des considérations politiques abrégèrent la durée de ce concile, à la suite duquel Grégoire fit imprimer un programme de conférences publiques sur le schisme de France (1 vol. in-8°) et aussi un mémoire, que lui avait demandé Joseph Bonaparte, sur les moyens de réunir l'Église grecque schismatique au centre de la catholicité. Évidemment Grégoire espérait que le premier Consul ferait triompher l'Église constitutionnelle : « Rien n'était plus facile que de maintenir en place ce clergé constitutionnel, ami de la paix, composé d'évêques et de prêtres triés par la persécution (26). »
A Auteuil, chez la veuve d'Helvétius, Bonaparte lui avait témoigné une confiance et des sentiments auxquels il était fort sensible : « Sur son invitation, plusieurs fois je m'étais rendu à la Malmaison ; dans nos conversations prolongées, au milieu des bosquets, nous avions longuement discuté les moyens de pacifier l'Église de France.» Aux mémoires, dont j'ai parlé déjà, il faut ajouter des rapports et des notes, qui prouvent qu'il avait sérieusement étudié la question : « De l'État du clergé constitutionnel. - De l'Esprit religieux en France. - De l'Élection des pasteurs par le clergé et le peuple. - Du Droit des métropolitains pour instituer les évêques. » Le premier Consul admirait l'intelligence de Grégoire, son courage, sa lutte contre l'impiété, mais il redoutait l'opiniâtreté de ses idées ; il craignit le retour des anciennes querelles, aussi confia-t-il à l'abbé Bernier la mission de négocier avec Spina et le cardinal Conzalvi le Concordat de l'an IX, qui fut signé le 15 juillet 1801. Une nouvelle circonscription des diocèses fut faite, de concert avec le Saint-Siège ; le pape demanda aux évêques anciens et nouveaux de donner leur démission.
16 vendém. an X. - Surpris et attristé, Grégoire, dans une lettre, à Mme Dubois, attaque Paris : « Cette ville sale, puante, malsaine ; ces inconvéniens ne sont rien comparativement a ceux qui résultent de l'accumulation de toutes les folies, de tous les vices, de tous les crimes. » Il se console de tout le mal qu'il a éprouvé, en retour du bien qu'il a tenté de faire,.. heureusement il va sortir de cette tourmente, il sera plus heureux dans sa retraite... « Gardez toutes ces confidences pour vous, soignez votre santé, ayez confiance en Dieu, vous avez quelquefois j'ai presque dit souvent des impatiences, qui ne sont pas chrétiennes. Salut, respect et attachement. Grégoire, év. de Blois et bientôt évêque tout court. » En effet, son rôle dans l'Église constitutionnelle, sa haine contre la royauté l'exclurent de l'épiscopat, où douze de ses collègues furent admis. Il envoie sa démission à l'évêque de Bourges, son métropolitain, et non pas au pape. Puisse cette démarche, lui écrit-il, donner lieu au choix d'un pontife qui fasse le bonheur de mes diocésains... qui réunisse tous les cours dans les liens de la charité !... Il se désiste volontairement, librement, spontanément de tout droit et juridiction, mais il persiste invariablement dans les principes qu'il a toujours professés. Sa lettre pastorale est empreinte, au début surtout, d'un sentiment d'amertume et de dépit : « Je ne vous connaissais pas, vous vîntes m'arracher au repos,... aux auteurs de mes jours,... à la contrée où j'ai pris naissance, où sont les tombeaux de mes ancêtres... » Il retrace les difficultés qu'il a rencontrées ; il en accuse « la faiblesse, la lâcheté, la versatilité de la plupart des hommes... Combien j'en pourrais citer dont le caractère aussi variable que les nuages agités par les vents, aussi mobile que l'empreinte tracée sur le sable avaient des masques adaptés à toutes les phases de la Révolution ! » Le clergé n'est pas épargné. « Retracerai-je la conduite de ces turbulens, que j'ai peints dans une foule d'écrits ? Menaces, mensonges, calomnies, lettres anonymes, libelles, tels furent leurs moyens... » Il flétrit ces prêtres rétractés et apostats, qui passèrent des tentes d'Israël sous les tentes des Philistins. Il rappelle ce qu'il a fait comme évêque et comme homme politique, il explique sa nomination à la Convention, qui laissa passer aux mains du crime, le sceptre du pouvoir. Ce qui le console, c'est qu'il a été aimé des bons et honoré de la haine des méchants. Il fait allusion à l'époque où il a connu l'indigence, « que vous avez ignorée ou feint d'ignorer » . Mieux inspiré, il trouve en finissant des paroles émues et chrétiennes : « Puissiez-vous, bien-aimés coopérateurs, dans l'exercice d'un ministère désormais plus paisible, goûter les consolations les plus douces !... Quelles soient, en attendant les récompenses éternelles, un dédommagement pour tout ce que vous avez souffert pour Jésus-Christ ! En offrant l'auguste sacrifice, rappelez-vous de celui.... qui fut votre évêque,... qui se souviendra toujours de vous avec l'émotion de l'estime et de l'amitié, recevez mes tendres embrassemens et mes adieux. Et vous, mes diocésains, entendez, pour la dernière fois, les exhortations de celui qui, par votre choix et sur vos instances, devenu votre évêque, fut en cette qualité consacré et institué légitimement... Soyez fidèles aux vérités saintes... Soyez bons, justes, charitables, chastes... Respectez vos pasteurs et les dépositaires de l'autorité... Veillez sur l'éducation de vos enfans... Nous nous retrouverons dans l'éternité... Pour rendre compte, moi de mon ministère, vous du bon usage ou de l'abus que vous en aurez fait... Que le Dieu de miséricorde reçoive dans son sein les pasteurs et les ouailles... Paix à l'Église, paix au peuple des villes et des campagnes, de la part de Dieu Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il ! » Sa démission fut accueillie avec indifférence, il réclama une partie des registres et des actes de son épiscopat et il fit insérer, dans son journal, une prière ou plutôt une défense aux curés de correspondre avec lui. Il publia, en 3 volumes in-8°, les actes du deuxième concile national.
3 frim. - Président du Corps législatif, orateur de la députation envoyée au Gouvernement, il rend en fort bons termes, un juste hommage aux consuls : « Le tableau de la situation intérieure et extérieure de la République a inspiré au Corps législatif le plus vif intérêt et les plus douces espérances... La paix, qui fut toujours l'objet de nos désirs, arrive sur les ailes de la victoire... Échappée aux orages, qui ont assiégé son berceau, aux malheurs qui ont tourmenté son enfance .., la République, tranquille au dedans, respectée au dehors,... fait son entrée solennelle dans l'univers et s'assied majestueusement au rang des premières puissances... Treize ans de révolutions ne sont donc pas perdus pour les amis de la liberté ! Puissent-ils désormais oublier les erreurs et les torts de quelques frères égarés !... Aux fureurs de la Ligue, aux délires de la Fronde succéda un siècle illustré par les monumens du génie... Retrempé au milieu des tempêtes révolutionnaires, le caractère national va développer son énergie et s'élancer vers tout ce qui est utile et juste... Les arts consolateurs... s'élèveront aux conceptions les plus hardies... L'histoire classera les matériaux accumulés autour d'elle et remplira la tâche immense que le premier Magistrat lui a imposée... L'industrie et l'agriculture vivifieront toutes les parties du corps social. La sagesse et le courage du Gouvernement ont amené cet ordre de choses : recevez, citoyens consuls, les félicitations du Corps législatif... Pénétré de la dignité et de l'importance de ses fonctions, il s'empressera de seconder les vues du Gouvernement pour conduire la République au plus haut degré de félicité... La confiance et l'amour du peuple seront la plus douce récompense des dépositaires de l'autorité. »
5 frim. - Notre plus belle colonie, Saint-Domingue, est en révolte ; Bonaparte réunit des conseillers, des membres des Corps législatifs pour conférer sur les mesures à prendre ; la plupart réclament une énergique répression, seul Grégoire plaide la cause des nègres : « Vous êtes incorrigible », lui dit le futur empereur. Par 211 voix contre 65 l'esclavage est rétabli. A la prière de l'évêque de Blois, Mauviel, sacré évêque de Saint-Domingue, était parti sous les auspices du premier Consul ; Toussaint-Louverture refusa de le recevoir. Il faut lire dans les Mémoires (t. Ier, 289 à 300), un résumé de tout ce que Grégoire a dit, a écrit et a fait en faveur des colonies.
1801 (an X). 8 frim. Grégoire est élu membre du Sénat au lieu et place du citoyen Crassous. Sa candidature a été fort discutée, il a échoué, le 9 et le 21 ventôse an IX. M. Carnot prétend que Bonaparte en est cause, l'évêque est plus juste : « Mon caractère épiscopal et ma conduite religieuse étaient mis en avant pour me repousser. » A la veille de l'élection, il avait adressé au président une lettre très digne : « Il importe à ma conscience, à ma délicatesse, à mon honneur, à mon repos qu'elle vous soit remise avant la séance du vote. » Il y affirme l'invariabilité de ses principes religieux, sa résolution d'y joindre comme ecclésiastique, les actes extérieurs, qu'il considère comme des devoirs ; il sait souffrir, il ne sait pas s'avilir, il gardera jusqu'à son dernier soupir sa fierté et son indépendance. « A ma grande surprise, je fus élu sénateur, par le concert généreux des patriotes ; Clément de Ris, malade, se fit porter à la séance... L'amitié reconnaissante n'oublie jamais un trait de ce genre (27). Le traitement de sénateur varia de 24,000 à 36,000 fr.
25 frirn. - Il est nommé membre de l'Institut de jurisprudence et d'économie politique.
15 pluv. - La Société académique des sciences, dont les séances sont fixées, à 7 heures du soir, au Louvre, Je primidi de chaque décade, l'admet au nombre de ses membres.
8 germ. - L'évêque de Metz écrit « à son très honoré collègue et très cher ami » pour se plaindre de la mauvaise conduite des prêtres rentrés... « Leur soumission n'est que jésuitique. »
22 floréal. - Le curé du Tholy le prie « de lui faire obtenir la grâce de conserver, comme vicaire, un de ses amis, qui a 57 ans et qui a professé, pendant 14 ans, à l'école militaire de Pont-à-Mousson. »
9 prairial. - Il reçoit un diplôme de membre associé de la Société de l'Afrique intérieure et de découvertes, dont le siège est à Marseille.
18 prair. - Grégoire adresse à « son révérendissime confrère », M. Osmond, évêque de Nancy, une lettre confidentielle, à laquelle il donnera, s'il le faut, la publicité la plus éclatante. Il chérit la paix et la religion, mais il déteste les abus et il ne craint pas le combat. Il expose ses motifs d'inquiétude et il formule ses plaintes. Il a, sous les yeux, une lettre dans laquelle l'évêque exige des rétractations... Il aurait pu la dénoncer an ministre de la police générale, il s'est contenté de signaler au premier Consul, ces jongleries scandaleuses et ridicules... L'époque n'est pas éloignée peut-être où éclatera sa juste indignation... Si les ennemis de la paix religieuse tentent encore d'agiter les esprits, « à l'instant, je taille ma plume et je rentre dans la carrière politique... Si consurgat adversus me proelium, in hoc ego sperabo... »
Après une attaque contre l'ultramontanisme et des menaces, il prend Dieu à témoin que « dans tout ce qu'il a dit, il n'a pas la moindre intention de choquer ni d'affliger le révérendissime évêque ; il voudrait même concourir à rallier autour de lui l'affection de son vaste diocèse. Il fait l'éloge de la piété, des murs, des lumières du clergé, il vante le mérite des préfets de la Meurthe, de la Meuse et des Vosges, il rappelle le bien opéré par les évêques Maudru et Nicolas et il termine par ces mots : « J'ose croire que cette franchise mérite de votre part une réponse animée du même esprit et que bientôt elle m'arrivera, les événemens prochains diront si je me suis trompé. Salut et respect. » L'évêque de Nancy ne répondit pas, « soit par manque de bonnes raisons, dit Grégoire, soit par défaut d'honnêteté, ou par ce double motif ».
A la même époque, il écrit au P. Collin, son successeur à la cure d'Emberménil : « Si un Dosmond ou tout autre avait l'insolence de vous parler de rétractation, annoncez-lui que vous allez dénoncer ce fait au ministre de la police générale, et dites que c'est moi qui vous ai donné ce conseil ; en même temps, vous me préviendrez pour que j'en parle au ministre... les réfractaires sont enragés, parce qu'ils voient leur cause perdue... Publiez ma lettre sur les toits. Vous aurez vu dans les Annales un morceau de ma façon sur cet objet (28) ... »
26 messidor. - Voyage en Angleterre. « J’ai toujours aimé les voyages à l'étranger, dit-il en ses Mémoires, peut-être en publierai-je des fragmens. » ll a laissé des manuscrits, des notes, des lettres, que l'on consulte avec intérêt : il écrit, de Londres à Mme Dubois : « Bonne et respectable mère, aujourd'hui, je reçois enfin vos deux lettres des 8 et 16 messidor ; il était temps qu'elles arrivassent, votre silence m'inquiétait cruellement... Il serait trop long de vous détailler tout ce que nous avons fait... Visites aux établissemens de bienfaisance, aux monumens, aux savans... Tous nos momens sont employés utilement... Les journaux parlent, d'une manière honorable, de nos occupations littéraires en ce pays... J'ai lieu de me louer beaucoup de l'accueil que je reçois. » Mme Dubois lui a parlé de sa mère, il en exprime sa pieuse reconnaissance : « Vous avez donc la bonté de penser à votre Henri et surtout à une tendre mère qui est au ciel. J’espère aussi y arriver... Je fais les mêmes veux pour vous, qui avez pour moi la tendresse d'une mère. » Il a visité les magnifiques établissements et les fermes du duc Belford, il est fier de s'être promené, en habit violet, au parc de Saint-James ; à son retour, il lit à l'Institut une réfutation de la théorie de Godwin sur la reconnaissance. Il avait, à Londres, refusé de se rencontrer avec cet écrivain, « qui dans sa justice politique, prétend établir par de spécieux paralogismes que la reconnaissance est un vice » . Il ajoute cependant que « les amis ressemblent presque tous aux cadrans solaires : ils ne sont d'usage que dans les beaux jours. »
Il résume dans un mémoire déposé à l'Institut ses « observations sur l'état actuel de l'instruction publique, des bibliothèques, des archives dans les départemens de la Haute-Marne, de la Haute-Saône, des Vosges, de la Meurthe et du Bas-Rhin ». En 1871, je copiais, à la Bibliothèque nationale, ce manuscrit important lorsqu'on m'informa que M. Ulysse Robert le mettait sous presse.
13 vendém. (an XI). - Le professeur Mollevaut lui écrit : « Citoyen, sénateur et cher compatriote, vous recevrez par ce courrier, des imprimés relatifs à une société libre des sciences, lettres et arts, qui vient de se former. à Nancy, par mes soins et ceux de mes fils... II y a ici des hommes instruits, qui ont de bonnes vues, mais l'isolement est funeste, nous voulons le faire cesser... Nous avons besoin de votre secours puissant... La sociélé vous prie de l'honorer du titre de son associé. » La réponse ne se fit pas attendre ; Mollevaut le remercie de « sa lettre aimable et de ses démarches singulièrement bienveillantes ». Il le charge de ses remerciements et de mille civilités pour M. et Mme Dubois.
Le secrétaire de la même société, Vilmette, écrit aussi à son vénérable et très respectable compatriote, il est heureux qu'il ait accepté le titre d'associé ; « vous aimez les Nancéiens et les Nancéiens vous aiment... servez-leur de protecteur, ainsi que vous l'avez témoigné en tout temps.»
6 frim. - Un vieux prêtre, Oudin, rue de la Harpe, 26, expose à l'évêque son extrême infortune : « Pour sortir des prisons de la Terreur et sauver sa vie, j'ai pris une personne pour compagne : serait-ce un obstacle insurmontable à tout espoir d'être secouru ? Votre coeur, pénétré de cette divine charité qui embrasa le cœur des premiers apôtres, se refusera-t-il à me tendre une main secourable ? Le Saint-Père me l'a tendue pour le spirituel... Agréez, respectable prélat, l'hommage de mon respect et de ma reconnaissance. »
13 germ. - Le secrétaire de la Société académique libre du Bas-Rhin lui exprime sa reconnaissance, son respect, son admiration : « Continuez, Monsieur le Sénaleur, à combattre avec une égale force l’intolérance et l'irréligion, »
4 nivôse. - Le citoyen Haldat, secrétaire de l'Académie de Nancy, rend hommage à Napoléon Bonaparte, protecteur de la Société, et il donne lecture de l'adhésion de M. Grégoire, l'un de nos compatriotes, sénateur et membre de l'Institut : « Je suis extrêmement flatté d'être membre d'une société établie pour le progrès des connaissances utiles, dans la contrée qui m'a donné le jour. Mon agrégation se lie à une foule de souvenirs chers à mon cœur. L'émotion que j'éprouve acquiert plus d'énergie, en parcourant la liste de mes nouveaux collègues... Si je puis seconder les efforts de votre Société, en acquittant un devoir, je goûterai un plaisir. »
20 germinal. - Voyage en Belgique et en Hollande. Il écrit de Bruxelles à Mme Dubois : « Je suis arrivé, hier soir, un peu las de poussière et de chaleur, mais bien portant, je partirai probablement mardi pour Anvers. » Son épître sera courte, car il a beaucoup à courir, à voir, à prendre des notes... « Tâchez, bonne mère, de faire tout pour votre santé, promenades, bains ; courez le voisinage avec nos amis, que j'embrasse... Je regrette nos soirées charmantes du dimanche... Il y a au jardin, sur le grand abricotier, un nid de chenilles, que nous avons oublié de détruire ; hâtez-vous de faire la guerre à cette légion vorace... J'embrasse M. Dubois et je salue respectueusement la bonne mère, dont j'espère trouver des lettres à Utrecht. »
1er floréal. - De Rotterdam. Il est arrivé lundi ; il a voyagé par terre et par eau, il a écrit six lettres, il n'en a reçu que trois ; il se plaint du froid, du vent, de la pluie... Les villes et les villages sont d'une propreté qui enchante, la propreté règne partout : « Je crois qu'à cet égard la bonne mère descend de quelque famille hollandaise... La statue d'Érasme est en face de notre auberge, je parie que vous ne connaissez pas le citoyen Érasme ?... Dans ses écrits il a parsemé sur le compte des femmes quelques vérités qu'elles appelleront méchancetés, il faut lui accorder grâce, le sujet est si abondant... D'un autre côté, il était distingué par ses vertus, sa piété, ses talens. » A Utrecht, il a eu grand soin de visiter la maison où naquit Adrien VI : « Si à la place de Pie VII, un autre Adrien eût occupé la chaire de Saint-Pierre, nous aurions eu moins de peines pour les affaires du clergé. » Il achève sa lettre dans le bateau qui le conduit à Delft, fondée par un duc de basse Lotharingie ; «i l est à merveille dans le roef, chambre d'honneur, avec coussins, tables et miroirs... Une espèce de boudoir flottant. »
A Amsterdam, il visite les synagogues, il reçoit les félicitations et les remerciements des rabbins, son nom est intercalé dans les strophes hébraïques d'un cantique sacré... « Cette effusion de bienveillance envers un évêque catholique est un trait auquel applaudiront également la religion et la philosophie. »
An XII. 19 vend. - Son ancien bienfaiteur, Sanguiné, curé de Saint-Epvre, lui écrit : « Très cher et très fidèle ami », il lui recommande plusieurs affaires, il se loue du citoyen préfet : « A vous, salut, respect, tout le coeur de votre ami. »
15 nivôse. - Dulaure lui écrit : « J'ai reçu le catalogue manuscrit et votre lettre, je vous envoie les quatre volumes... Trop heureux de posséder quelque chose qui puisse vous faire plaisir... Recevez mes salutations amicales et faites agréer mes respects à Mme Dubois. »
21 germ. - Un prêtre de Blois se recommande à lui : « Vous connaissez mieux que moi, l'ingratitude des Blaisois. »
10 floréal. - Consulté ainsi que ses collègues sur les changements à apporter au pacte constitutionnel, il adresse à la commission des dix établie par un décret du 6 floréal, une déclaration en 23 articles ; il est opposé à tout système héréditaire dans le pouvoir exécutif, à tout changement de dénomination dans le titre de la suprême magistrature ; néanmoins, il promet « la soumission la plus sincère au vœu que la nation aura librement émis sur l'organisation de son gouvernement ». Le 18 floréal, dans une lettre à la commission, il développe sa pensée : « Quand le peuple, devant la majesté duquel tout doit s'incliner et de la souveraineté duquel dérivent tous les pouvoirs, aura parlé, chacun doit obéissance loyale et entière. » Comme on pourrait un jour travestir son opinion, il demande que sa lettre soit déposée aux archives du Sénat ; lorsqu'on vola sur l'impérialité, Bonaparte eut toutes les voix, excepté deux billets blancs et trois non. « Lorsque la question de l'hérédité fut soumise au scrutin, seul je réitérai mon opposition... J'ai prêté le serment et l'on peut compter sur ma fidélité plus que sur celle des flagorneurs, qui assiègent la puissance pour capter sa faveur... J'obéis à ma conscience... Si, ce qu'à Dieu ne plaise, et ce qui heureusement n'arrivera pas, les Bourbons rentraient en France, à l'instant, je la quitterais pour me soustraire à leur vengeance. »
1803. 1er août. - Il conduit sa respectable amie en Lorraine. - J'ai raconté dans la première partie les incidents de ce voyage. - Le 30 thermidor, Mgr Osmond écrit au Conseiller d'État Portalis : « Dans ce moment, nous ressentons la funeste influence du passage du sénateur Grégoire, qui a été choqué de la tranquillité dont nous jouissons... , de mon silence sur les lettres indécentes de l'an dernier et du peu de besoin que l'on avait de ses avis.» Plus tard, il ajoute : « Je vous ai prévenu, il y a un mois environ, que le passage et le séjour d'un homme influent, dans ce pays, allaient lui devenir funeste ; depuis, les notes de M. Georgel, mon représentant dans les Vosges, sont remplies de doléances... L'on est devenu encore plus audacieux dans la Meurthe... Un inamovible a été détaché vers moi pour me faire des remontrances. » La situation du nouvel évêque était réellement très difficile ; aux funérailles de l'évêque Nicolas, il y eut des troubles ; le ministre exigea des explications, Mgr Osmond offrit sa démission. Dans un mémoire (18 déc. 1807), il signale M. le sénateur Grégoire comme l'auteur principal des diatribes imprimées contre lui, et des difficultés qu'il éprouve.
4 messidor. - Grégoire fait son testament. J'en ai indiqué, dans la première partie (26-30), les dispositions essentielles ; il me semble nécessaire d'en reproduire textuellement quelques autres : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je soussigné, Henri Grégoire, évêque de Blois et sénateur, incertain de l'heure à laquelle il plaira à Dieu de m'appeler à lui, après m'être prosterné en sa présence pour invoquer ses grâces, j'ai cru devoir par ce testament manifester mes sentimens sur divers objets et régler mes affaires temporelles... Les divisions qui ont affligé l'Église gallicane ont contristé mon cœur, j'ai tâché de rendre service à mes frères dissidens, je leur ouvris toujours les bras de la charité, mais je gémis de voir que la plupart d'entre eux... tourmentent ce clergé constitutionnel toujours attaché à la patrie et sans les efforts duquel la religion eût été peut-être exilée de France. Tout évêque a droit d'avoir chez soi une chapelle... la mienne est le lieu où j'ai presque toujours rempli mes devoirs religieux et non à Saint-Sulpice, ma paroisse... En voici les raisons... Les évêques démissionnaires ne sont pas admis, dans les églises, sous le costume qui leur est propre, j'ai cru, non par un sentiment d'orgueil, mais par respect pour l’épiscopat, qu'il valait mieux ne pas fréquenter habituellement les églises, que d'y être en quelque sorte confondu avec des laïcs... Dans les diverses fonctions que j'ai remplies, comme vicaire, curé, évêque, législateur, sénateur..., j'ai tâché d'acquitter mes devoirs, mais je n'ai pas la présomption de croire que je n'y ai pas fait de fautes, je prie Dieu de me les pardonner... Avec sa grâce je mourrai bon catholique et bon républicain... Je veux que l'on acquitte fidèlement tout ce que je pourrai devoir ; on trouvera dans mes papiers la note de ce qui m'est dû. Je travaille à l'histoire de l'Église gallicane pendant la Révolution... Si je meurs avant de l'achever, j'espère qu'elle le sera par le révérendissime Moyse, mon ami... Il m'a promis de me suppléer... En conséquence, je veux qu'on lui remette mes manuscrits, extraits, notes, lettres authentiques et autres papiers..., déposés dans mes archives, ainsi que les registres originaux des deux conciles nationaux, dont le double a été par moi déposé à la Bibliothèque nationale... Le manuscrit contenant mon testament moral et les mémoires de ma vie ecclésiastique seront remis à Mme Dubois ; elle m'a promis de les faire imprimer... Je prie M. Lanjuinais, sénateur, et M. Silvestre de Sacy, de l'Institut, de vouloir bien être mes exécuteurs testamentaires ; ces deux savants chrétiens et citoyens me sont attachés ; ils ne me refuseront pas ce dernier acte d'amitié... Fait à Paris, le 1er messidor mil huit cent-quatre de Jésus-Christ, an XII de la République. » Cet acte institue son héritière unique et légataire universelle, Mme Marie-Anne Brenier, épouse de M. Dubois, qui, depuis quinze ans s'occupe de ses affaires temporelles.
La même année, il commence la rédaction de ses Mémoires, qu'il termine en 1808, et il publie un Essai sur l'agriculture, en Europe, au seizième siècle. Cette étude sérieuse des procédés de l'agriculture, en Lorraine surtout, fut insérée dans les Mémoires de la Société d’agriculture d'abord et ensuite dans une édition du Théâtre d'agriculture, d'Olivier de Serres, réimprimé par Bosc, en 1804. » En l'an Ill, il avait réclamé les honneurs du Panthéon pour le célèbre agronome, dont le buste fut placé dans la salle des séances de la Convention.
1er fructidor.- Le Pape est à Paris, pour le sacre de l'Empereur ; malgré les instances du cardinal Fesch, de l'abbé Émery, du ministre de la police, du secrétaire des Brefs, M. Devoti, Grégoire ne fait pas visite à Pie VII. « Certes, je n'avais aucune répugnance à visiter le chef de l'Église, il fut et sera toujours l'objet de ma tendre vénération, mais j'avais mis pour condition que me présentant, non comme sénateur, mais comme évêque, je serais reçu en cette qualité : avec moi serait quelqu'un qui pût certifier mes discours et ma conduite... que si l'on osait tirer de cette visite une induction contre l'immutabilité de mes principes, à l'instant je reprendrais la plume pour démentir l'imposture. L'affaire en resta là. »
28 fruct. - Le sous-bibliothécaire Fachot, de Nancy, le remercie de ce qu'il a fait pour lui ; il lui rend compte du triage des 50,000 volumes entassés dans les maisons de la Visitation et des Minimes. On a fait des parts pour les bibliothèques du préfet, de l'évêque, de la Cour d'appel, de la mairie et du lycée, le reste sera vendu ou échangé. Fachot envoie sa lettre, par occasion ; il y joint les Mémoires de la Société royale de Nancy (1750-1754), comme une marque d'estime et de reconnaissance pour son cher compatriote.
1805 (an XIII). 7 vent. - En réalité, l'évêque de Blois regrette de ne pas voir le Pape ; il cherche une occasion de lui écrire : un protestant, M. Hausseman, la lui procure, en le priant de demander au Saint-Père, comme une grâce, de baptiser ses six enfants. La lettre de Grégoire à Pie VII est fort longue (29) ; après avoir exposé la requête du père de famille, il retrace la part qu'il a prise dans les événements relatifs à l'Église de France et il ne dissimule pas les considérations qui l'empêchent d'aller lui-même offrir au pontife ses respectueux hommages : « J'aurais pu saisir cette occasion pour présenter à Votre Sainteté quelques vues qui me paraissent aussi utiles à la religion et au Saint-Siège, que faciles à exécuter... Pour qu'il ne s'élève aucun nuage sur la pureté de ma foi, je me fais un devoir de répéter ici ce que j'ai sans cesse énoncé de vive voix et consigné dans mes écrits ; enfant de l'Église catholique, apostolique et romaine, dans laquelle je suis né, je vis et je veux mourir, croyant tout ce qu'elle enseigne, condamnant tout ce qu'elle condamne, soumis, suivant ses canons, au Saint-Siège, centre de l'unité, à Pie VII, chef visible de l'Église et successeur de Pierre, rempli de vénération pour son éminente dignité et pour ses vertus personnelles, je rends l'hommage le plus sincère à sa primauté d'honneur et à sa juridiction. » II espère que Sa Sainteté ne lui refusera pas une réponse paternelle et sa bénédiction apostolique. M. Devoti, chargé de la réponse verbale du pontife déclara qu'il ne pouvait, en raison de son départ prochain, déférer au voeu de M. Hausseman, vu surtout la nécessité d'une enquête préalable sur les dispositions des catéchumènes. « Il est d'autant plus fâcheux, disait M. Dervoti, que M. Grégoire s'obstine a refuser au Pape la consolation de rétracter son serment, qu'il n'attend que cela pour lui faire part de ses bontés. On rend justice à ses bonnes qualités, à son attachement à la religion, qu'il défend avec énergie, contre les incrédules et les libertins. »
5 prairial. - Il reçoit un diplôme de membre de la Société d'agriculture, sciences, commerce et arts de la Haute-Saône, avec une lettre très respectueuse du secrétaire. « M Dubois jouit-elle présentement d'une bonne santé ? Présentez-lui mon respectueux hommage. »
7 fruct. - Diplôme de la Société départementale des sciences et des arts de Mayence, avec un extrait très flatteur du procès-verbal de son admission.
Le citoyen Fauriel s'excuse, dans les termes les plus respectueux, de n'avoir pas rendu assez vite le livre que M. le sénateur a eu la complaisance de lui prêter ; il exprime ses remerciements et son vif regret.
An XIV. 10 nivôse. - Diplôme de membre correspondant de la Société d'émulation de la ville de Cambrai.
Août et septembre. - Voyage en Allemagne. Il visite successivement Francfort-sur-le-Mein, Berlin, Dessau, Scezen, où il constate, dans une école ou plutôt un lycée exclusivement réservé aux juifs, les talents des maitres et les progrès des élèves. A Goettingen, le 30 août, il assiste à une séance de la Société royale des sciences ; on lui décerne le titre de membre associé ; le diplôme, que j'ai copié à la bibliothèque de Nancy, contient cette phrase : « Sodalium ex suffragiis... virum doctissimum Henricum Grégoire illustrissimum imperii Galliuarum senatorem, instituti... socium... quem nominis, doctrine, virtutisque ac prudentiae civilis fama coluimus praesentem admiramur ac veneramur.» Au retour, il publie, sous le titre d'Observations nouvelles, divers opuscules, qui furent traduits en hollandais, en allemand, en italien. Il critique un règlement du Prince-Primat, qui soumet les rabbins à l'examen du consistoire luthérien : « pour être juste, il fallait soumettre celui-ci à l'examen des rabbins... cette ordonnance dictée par l'intolérance luthérienne est digne de la stupidité du moyen âge, sous un prince qui est en avant de son siècle. »
7 oct. - Diplôme de membre honoraire de la Société ducale minéralogique d'Iéna.
16 décembre. - Une lettre de part : « M. Geoffroy Saint-Hilaire a l'honneur de vous annoncer que Mme Geoffroy Saint-Hilaire est heureusement accouchée ce matin d'un garçon ; la mère et l'enfant se portent bien. » Dans le même dossier, je lis de semblables communications de la part du maréchal Lannes, de Portalis, des invitations à diner, des billets d'enterrement : « Vous êtes prié d'assister au service qui se fera, lundi prochain, à 10 heures du matin, en l'église Saint-Séverin, pour le repos de l'âme de discrète et scientifique personne Messire Nicolas Leroy. De profundis. »
26 décembre. - Grégoire assiste à une séance de l'Institut, convoqué extraordinairement pour entendre la lecture d'une lettre de l'Empereur au ministre de l'intérieur, avec injonction de la communiquer à la docte assemblée ; il nous en a conservé le texte : « Si M. Lalande continue à professer l'athéisme, je serai obligé de me rappeler que mon premier devoir est d'empêcher que l'on n'empoisonne la morale de mon peuple. » M. de Lalande présent à la séance, écrit Grégoire, pria l'Institut de recevoir sa déclaration, qu'il se conformerait aux intentions de l'Empereur.
1807. - Il publie un ouvrage intitulé : De la Littérature des nègres, ou recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature.
2 avril. - Diplôme de membre associé étranger de la Société académique de Besançon, délivré à M. le sénateur Grégoire, évêque démissionnaire, membre de l'Institut. Le secrétaire, un de ses anciens amis, lui écrit : « N'allez pas nous refuser, je vous excommunierais, j'attends même que vous me ferez une petite lettre ostensible portant votre acceptation... Malgré un carême à feu et à sang, je me porte assez bien... Conservez précieusement votre santé et donnez le même avis à Mme Dubois, que je prie d'accepter mes hommages, ainsi que vous et M. Dubois ; je vous embrasse tendrement. »
1808. 12 mars. - Seul, il refuse de voter l'adresse de félicitations à l'Empereur au sujet du rétablissement des majorats, d'une noblesse héréditaire et des titres héraldiques. On le dénonce, il écrit : « Je suis persuadé que l'Empereur a un profond mépris pour les délateurs et de l'estime pour l'homme courageux, qui se montre aussi intrépide dans l'énoncé de ses opinions que fidèle à ses serments envers lui... Ma fidélité n'est pas un calcul d'intérêt, mais le dictamen de ma conscience, qui sans approuver se soumet et qui a promis non d'aimer, mais d'obéir. » Il faut lire dans ses Mémoires, surtout dans les notes privées, ses boutades sur le Sénat, sur la noblesse ; il y a des phrases mêlées de latin, inachevées. « Le Sénat a septembrisé les principes... Armoiries, ego une croix... Nova noblesse, insolence... Noblesse, fruit d'adultère... Sénat conservateur, oui conservateur de ses traitements... »
2 avril. - Diplôme de membre de l'Académie royale de Munich.
23 avril. - Il termine ses Mémoires, qu'il conserva durant 23 ans ; ils devaient être publiés après sa mort, « comme une confession et un testament ». Les deux manuscrits sont déposés à la bibliothèque de l'Arsenal. Je les y ai tous deux consultés : le premier (n° 259) comprend 333 pages in-4°. Grégoire a écrit sur le verso des lettres et des notes, qui m'ont fourni les plus utiles renseignements sur sa vie privée, ses relations. Le second (n° 5291) est une copie mise au net de cet important travail, auquel M. Carnot déclare avec raison « qu'il n'y a pas été changé une ligne ». L'épigraphe est de saint Jérôme : « Hoc mihi proestiterunt amici mei, ut si tacuero reus, si respondero inimicus judicer, dura utraque conditio, sed e duobus eligam quod levius est. Le bonheur a fui loin de moi, depuis mon entrée dans les affaires publiques... toujours moi et n'appartenant à aucun parti, j'ai été en proie à la rage de tous... L'homme probe doit repousser l'imposture des accusations, comme celle des éloges... J'écris sous les yeux de celui qui voit tout et dont la providence tutélaire m'a comblé de grâces... Je n'ai jamais compté que sur Dieu, je me confie à sa miséricorde et j'abandonne à l'injustice ou à la justice des hommes ces Mémoires, qui ne paraîtront qu'après ma mort. » Jai publié dans la première partie de nombreux fragments sur le chapitre II, relatif à son enfance, à son adolescence, à ses premiers travaux. Voici quelques extraits des autres : « Ma vie littéraire. Lorsque la Convention, livrée au brigandage, ne permit plus à la raison l'accès de la tribune, lorsque le blasphème, les déclarations furibondes et les paroxysmes de la frénésie y remplacèrent le langage de l'humanité et de la sagesse, le comité d'instruction publique me parut le seul où quelque bon sens s'était réfugié... Mais là aussi était l'ombre au tableau... J'ai mentionné ailleurs l'histoire de ce calendrier nouveau inventé par Romme pour détruire le dimanche... D'après ses calculs, il découvrit que, dans 3,600 ans, l'année ne devait pas être bissextile... Il nous fit un rapport sur cet objet et il présenta au comité un projet de loi... Je demandai l'ajournement à 3,600 ans ; l'ajournement fut adopté et le rapport imprimé. Au comité, j'étais réduit sans cesse à lutter contre des projets dictés par la haine antireligieuse... Plus d'une fois... on fit admettre des propositions hideuses ou absurdes, lorsque j'étais forcément absent par maladie ou pour intercéder, au comité de sûreté générale, en faveur de malheureux persécutés... gens de lettres ou prêtres dissidents... Pour sauver les gens de lettres, je fis créer une commission des arts... Nous mettions ou faisions mettre en réquisition les gens de lettres cachés ou endoloris dans les divers coins de la France... J'en avais dressé des listes... A l'Institut, j'ai lu : 1° une réfutation de la théorie de Godwin sur la reconnaissance ; 2° un voyage dans les Vosges ; 3° des recherches sur la domesticité ; 4° un traité sur les facultés et la littérature des nègres ; 5° l’apologie de Barthélémy de Las-Casas ; 6° un mémoire sur Sierra-Leone ; 7° un essai sur le progrès des sciences politiques ; 8° une histoire de l'agriculture au XVIe siècle... Voué aux lettres dès mon enfance, j'ai vécu avec ceux qui les cultivent ; peu d'hommes, en Europe, ont eu avec eux des correspondances aussi étendues... Les gens de lettres ne sont guère que des meubles de décoration, de vanité, dont par là même on fait des meubles de garde-robe... En rédigeant cette philippique, autrefois j'eusse excepté du blâme les savants. Mais sous ma plume accourt le souvenir des adulateurs... La probité politique est très rare, il en est de même de la probité littéraire... Dans un ouvrage sur les progrès de l'art social, je place en première ligne les efforts concertés de tous les hommes qui cultivent leur raison ou communiquent au public le fruit de leurs recherches... Muratori a jeté quelques vues sur une confédération des savants, il nomme des archontes... La République des lettres frappe d'anathème quiconque voudrait l'asservir... Les Français cultivent peu les langues ; semblables au gentilhomme qui, à défaut de mérite personnel, se targue de celui de ses ancêtres, ils sont d'une ignorance grossière sur les littératures étrangères... Mes correspondances en diverses contrées, mes réunions hebdomadaires de savants étrangers et nationaux sont pour moi une source intarissable de jouissances pour l'esprit et pour le cœur.
« Ma vie politique. - La calomnie, qui affirme toujours et qui ne prouve jamais, a répété que nous avions reçu de l'argent des nègres... Je pardonne volontiers aux colons de m'avoir, au Cap, pendu en effigie... J'avoue que leur mauvaise foi et leur tyrannie m'ont attaché à la cause des nègres... Toussaint-Louverture me suppliait de faire moi-même le voyage de Saint-Domingue pour organiser l'administration spirituelle... Ma haine pour le despotisme m'a valu la haine de Calonne, de Bertrand de Molleville... Louis XVI lui-même m'a accusé dans ses lettres. - Un jour, dans le cours de ma présidence, je portais, au roi, des décrets ; on me dit que le roi était au Conseil et que je ne pouvais le voir... J' exprimai mon indignation au grand-maitre de la garde-robe... Une heure après, je retournai chez le roi, l'appareil des honneurs rendus au président eut quelque chose de plus solennel qu'à l'ordinaire. Mirabeau me succéda... Je lui recommandai de ne pas se laisser manquer par le Président du pouvoir exécutif... Lorsqu'on eut la simplicité de ramener le transfuge, qu'il fallait pousser hors des frontières, en lui fermant à jamais les portes de la France, le peuple avait encore le sentiment de sa dignité... Partout où passait la voiture, défense était faite de se découvrir et des secrétaires de bureau accourus sans leurs chapeaux furent obligés d'y suppléer en nouant leurs mouchoirs autour du cou. - Je ne connais rien de plus fou, de plus impolitique que d'avoir voulu greffer le républicanisme sur l'impiété, c'est-à-dire sur ce qui lui est le plus opposé, au lieu de montrer partout la sainte alliance du christianisme et de la démocratie. Imperturbable dans mes principes politiques et religieux, je suis détesté par ces individus, dont les variations sont aussi nombreuses que celles dont Bossuet a tracé le tableau... Se relèvera-t-elle jamais de son ignominie cette France si avilie et si vile ?... Je vois de toutes parts le despotisme. et le népotisme escortés de l'ignorance applaudir à la secte des obscurants... La plupart des hommes à talent qui nous restent, plus vils que les individus qui remplissent les bagnes et les repaires du libertinage, semblent confédérés pour étouffer même la liberté de penser... Mais où me conduisent ces réflexions amères ? à l'aurore de la Révolution, je crus sourire à la liberté, je me livrais à cet élan, avec la loyauté et le dévouement sans bornes d'un cœur brûlant du désir de concourir au bien de ses semblables, de ramener la vertu et le bonheur sur la terre... Dans les dix-neuf siècles révolus depuis dix-neuf ans, on a fait sur le cœur humain un cours expérimental le plus complet, le plus désolant... N'est-ce pas Racan (30) qui l'a dit :
Voulait ce que Dieu veut
Est la seule science
Qui nous mette en repos.
C'est la traduction versifiée de ces mots : Fiat voluntas tua.
« Ma vie ecclésiastique. - Une éducation chrétienne et raisonnée est un des plus grands bienfaits de la Providence ; par là elle m'avait prémuni contre les dangers à courir dans la société des gens de lettres... Les incrédules ont attaqué la religion sur les abus que l'ignorance et l'hypocrisie voudraient lui associer... Aujourd'hui les hypocrites attaquent la philosophie sur les égaremens de ceux qui se parent de sa livrée. Nous n'imiterons pas les pharisiens modernes en imputant à celle-ci les excès qu'elle désavoue ; mais nos ennemis auront-ils jamais la loyauté de ne pas imputer au christianisme les forfaits qu'il abhorre !... Le comte Rœderer avait soutenu que le décadi mangerait le dimanche, ignorait-il que la France abhorrait son décadi, que les chevaux même et les autres bêtes de somme n'en voulaient pas... Je suis très attaché à la religion, très attaché au chef de l'Église, mais je n'aspire pas à la barette, dont je laisse à d'autres tout l'honneur, si c'en est un. - Aujourd'hui, 23 avril, je termine ici mes Mémoires... En les relisant, je les trouve très imparfaits, très incomplets... Mais je suis bien aise d'avoir au moins cette rédaction informe... Elle sera dépositaire de mes sentimens ; si Dieu prolonge mes jours, je retravaillerai cet ouvrage, en y joignant mon testament moral. Que Dieu répande ses bénédictions sur moi, sur mes amis et sur mes ennemis, pour lesquels je donnerais mon sang et ma vie. »
30 mai. - Il achète, au prix de 85,000 fr., en l'étude de M Boulard, notaire à Paris, le domaine de Grange-Neuve, arrondissement de Sens. Par bail authentique, ce domaine, qui comprend 251h11a89c est affermé pour 5,000 fr.
1808. 6 juin. - Membre de l'Académie étrusque de Cortona, il reçoit un diplôme qui, gravé dans un cartouche emblématique, est aussi remarquable par le dessin du célèbre antiquaire N. Marcello Venuti que par l'exécution de l'artiste Teodoro Vercinèse.
2 juillet. - La Société d'agriculture de Rostock lui décerne un diplôme de membre honoraire.
25 juillet. - Par lettres patentes datées de Bayonne, Napoléon confère le titre de comte à son cher et amé Grégoire. Il ne proteste pas, mais il ne veut pas de livrée ; il jette au fond d'une armoire le galon que Mme Dubois lui présente ; il ne consent à le lui rendre que lorsqu'elle promet de s'en servir pour border les meubles du salon ; la scène est curieuse. Cependant, il prend fort au sérieux les dignités qu'on lui confère, il refuse une invitation du cardinal Caprera, parce qu'elle est adressée au sénateur et non à l'évêque ; il aime qu'on l'appelle monseigneur. Il trouve fort mauvais que les voitures des sénateurs ne soient plus admises dans la cour d'honneur aux Tuileries et à Saint-Cloud. La bibliothèque de Nancy a remis au Musée lorrain ses lettres patentes et son écusson. Il est d'argent, à la croix palée de gueules, franc quartier des comtes sénateurs, d'azur à un miroir d'or en pal, après lequel se tortille un serpent d'argent brochant sur le tout.
2 octobre. - M. Coster, professeur de législation à l'ancienne École centrale, prie le sénateur Grégoire de lui faire obtenir la place de recteur, dans le cas où Nancy deviendrait le siège d'une académie universitaire. « Retiré dans sa belle campagne de Gentilly, avec une pension de 3,000 fr., il est octogénaire, mais il veut fuir l'ennui et les dégoûts de l'inutilité. »
1809. 20 janvier. - M. Haldat demande au grand-maitre de l'Université la place de professeur de physique et de chimie à l'Académie de Nancy ; il écrit à M. le sénateur : « Oserai-je vous prier de me recommander. »
18 février. - Il est nommé membre honoraire du musée de Francfort-sur-le-Mein.
16 avril. - La Société académique désire l'établissement, à Nancy, d'une Université ; elle exprime, à M. le sénateur, ses inquiétudes ; elle réclame son puissant concours. Grégoire répond, le 21 avril : « Messieurs, hier, j'ai reçu votre lettre, sur-le-champ j'ai écrit au chancelier de l'Université pour savoir quel crédit mérite la nouvelle fâcheuse qu'on vous a donnée. Je lui ai exposé rapidement les raisons qui militent pour l'établissement d'une académie dans une ville qui possédait une Université et qui, à travers les orages de la révolution, conservant des savants distingués et sa réputation littéraire, perpétue les bonnes études avec autant de zèle que de succès. Je reçois la réponse et je me hâte de vous l'envoyer. Le départ très prochain du courrier ne me permet pas de vous écrire plus longuement. Soyez persuadés, Messieurs, que dans toutes les circonstances possibles, je me ferai un devoir et un plaisir de prouver à mes compatriotes, a la Société académique et à vous en particulier mes sentimens d'estime et d'attachement. + L'ancien évêque de Blois, sénateur, Grégoire. »
27 avril. - Le curé et le maire de Vého le prient de recommander au préfet une pétition relative à la réparation de l'église ; la lettre est adressée à monseigneur l'évêque de Blois, l'un des premiers membres du Sénat conservateur de France et membre de la Légion d'honneur. » Le maire, Bister, son ancien camarade, « le bon voisin de ses braves père et mère », lui donne des nouvelles du pays ; il finit par ces mots : Je vous salue avec amitié.
2 may. - Au nom de l'Académie, M. Haldat le remercie : « Nous avons toute confiance en un patron aussi excellent et aussi capable de défendre nos intérêts. »
1er juillet. - Voyage en Lorraine. Dans une série de lettres conservées à la bibliothèque de Nancy (l. 534), Grégoire rend compte à Mme Dubois des incidents de son voyage. La première est datée de Nancy : « Je débute par le journal de mon voyage : à Clayes, près Meaux, j'ai visité une manufacture de poules blanches, elles étaient par centaines dans une basse-cour... Leur plume est préférée à celle des poules colorées, deux. ou trois fois l'an, on la leur enlève ; à Clayes, on dépouille les poules, à Paris, on dépouille tous les animaux et on pille les pauvres humains. » A dix heures du soir, il est arrivé, à Épernay, « chez ces braves gens qui vous logèrent, il y a six ans, ainsi que votre aumônier ; on s'est hâté de me parler de vous,... de votre santé. » Le mardi, il est arrivé de bonne heure à Châlons, il y a passé la journée avec des personnes qu'il a connues, il y a vingt ans et plus... « Voilà ce que c'est que d'être vieux...» Plus tard, il parle de son séjour à Lunéville, à Vého, à Emberménil... M. et M Germain, à Réchicourt, lui ont donné à diner, les curés des environs, l'abbé Jennat, Mlles Marchal étaient au nombre des invités... On voulait le retenir plus longtemps... ; à son passage à Laneuveville-aux-Bois, à Marainviller, on a sonné les cloches, il a été l'objet de démonstrations publiques les plus bienveillantes... li a visité des tombeaux chéris, il a satisfait à la tendresse amicale et filiale... Il a été tellement attendri que son âme ne suffisait plus à tant d'émotions, il a craint d'être malade. Son voyage fut moins long qu'il ne l'avait pensé, il voulait aller se concentrer dans une solitude des Vosges, au milieu des lacs et des sapins, mais « ma bourse me le défend... J'ajourne ce voyage à une autre année, si je suis au monde ».
1er août. - Il publie des Observations sur le poème « the Colombiadde Barlow ». (Paris, in-8°, 16 p.)
Psaume, de Commercy, le remercie d'avoir plaidé sa cause auprès du préfet de la Moselle. Fachot, son correspondant de Nancy, lui envoie des nouvelles et des livres.
26 août. - Sermet, ancien métropolitain de Toulouse, meurt à Paris. Grégoire prononce son oraison funèbre : il rappelle aux pieu laques, au vénérables prêtres, aux révérendissimes évêques rassemblés dans le temple, les vertus du défunt, ses études dans l'ordre des Carmes déchaussés, son ferme et vaillant caractère comme catholique et comme évêque, durant cette persécution la plus atroce qui ait désolé l'Église de France ; la fureur de Dioclétien jointe à l'astuce de Julien... profana, renversa nos autels, remplit les cachots de victimes, fit ruisseler le sang et poursuivit les chrétiens jusque dans l'asile de la pensée... ; elle frappa les pasteurs pour disperser les fidèles.
15 décembre. - Le mariage de l'Empereur est annulé, par défaut de formes, devant l'officialité diocésaine, en première instance et devant l'autorité métropolitaine, en seconde instance. « On a procédé, dit M. Thiers, avec la décence convenable et la pleine observance du droit canonique », on n'a pas eu recours à la forme du divorce. Inflexible dans ses opinions, Grégoire proteste ; on a violé l'indissolubilité du mariage ; il n'assistera pas à la cérémonie religieuse. Il tint parole : il n'était pas aux Tuileries, le 2 avril suivant.
A l'occasion de l'année séculaire de la destruction de Port-Royal, il publie une seconde édition des Ruines de ce monastère, il y retrace, avec émotion, l'influence de l'école de messieurs de Port-Royal sur la pureté du goût, l'amour des fortes études, la marche de l'esprit humain vers le beau, l'honnête et le vrai. J'ai analysé ce travail dans la première partie (38-39) (31).
1810. 11 janvier. - Il avait publié dans un recueil intitulé : Cérémonies et coutumes religieuses, de nombreux fragments d'une Histoire des sectes religieuses au XVIIIe siècle. Mécontent des inexactitudes de cette publication, il fait imprimer, en deux volumes in-8°, une première édition de ce livre. Le chapitre sur la basiléolatrie éveille l'attention du ministre de la police, Fouché, qui fait saisir tous les exemplaires chez l'imprimeur et chez les libraires ; il écrit à son ancien collègue une lettre sèche, laconique, impérative : « Votre ouvrage renferme sans doute quelques vues utiles, mais aussi des opinions et des détails que je ne puis approuver... Je prends encore plus .d'intérêt à vote repos qu'à votre gloire littéraire. J'ai l'honneur de vous saluer, le duc d'Otrante. »
27 septembre. - L'abbé Jennat, le mandataire de ses libéralités, lui adresse une longue lettre ou plutôt un décompte de ce qu'il a dépensé en dons et en aumônes. « P. S. Présentés par vous, M. et Mme Dubois voudront bien me faire l'honneur d'agréer mes respectueux hommages. »
15 novembre. - M. Noël, maire de Sommerviller, remercie M. le sénateur d'avoir accueilli sa requête, il a remis à son protégé « six napoléons et un paquet ».
1812. 22 janvier. - Marchal, maire d'Emberménil, a représenté l'évêque comme parrain de l'une des cloches, il le remercie de ses largesses : « je souhaite que cette filleule puisse encore nous annoncer plusieurs fois votre arrivée » ; il lui exprime la reconnaissance des habitants et la sienne, il lui annonce la mort de sa tante, qu'il recommande à ses prières.
3 février. - Le président de l'Académie ionienne de Corfou envoie à l'ancien évêque de Blois, sénateur Grégoire, un diplôme de membre correspondant. « Je regrette, lui écrit Grégoire, de ne pouvoir vous adresser mon Histoire des sectes religieuses, dans laquelle j'ai inséré un très grand article sur l'état actuel de l'Église grecque. J'ignore quand sera levé l'embargo sur ce livre. »
15 juin. - Il envoie à Bégin, de Metz, un grand nombre d'articles biographiques et de notices sur les martyrs de la foi, prêtres de Lorraine, morts à Rochefort, et aussi une note sur Lalande, de l'Oratoire, qui après trois refus finit par accepter sa nomination d'évêque de la Meurthe. (Cart. 345.)
L'Empereur a quitté la Russie, on s'agite a l'intérieur ; Grégoire prépare un projet de déchéance. Ce projet, dit M. Carnot, est une diatribe singulièrement passionnée contre Napoléon, un acte d'accusation ab irato. Je n'analyse pas ce triste document, où il insulte tous les corps constitués, le Tribunat, le Corps législatif, les administrations, les tribunaux, le clergé, l'Université, organisée de manière à jeter toutes les têtes dans le moule pétri par le despotisme, pour étouffer toutes les idées de liberté ; je me borne à reproduire textuellement deux phrases : « En égorgeant les peuples..., il voulait ne voir dans leurs chefs que des esclaves, il eut même l'insolente prétention de l'apprendre à la postérité. Des artistes, profanant le marbre et l'airain, ont multiplié les monuments de son orgueil, monument que la vengeance étrangère et nationale doit réduire en poudre, et aussi cet article 9 de la déclaration : Le Sénat, au nom de la nation, vote des remerciements solennels aux puissances alliées, dont le courage victorieux l'a soustrait au joug de la tyrannie. »
1813. 10 janvier. - Grégoire propose à l'Académie de Nancy de continuer l'Histoire de Lorraine de Dom Calmet ; il a recueilli des documents, il est en relation avec les hommes les plus compétents ; sa correspondance à ce sujet est très instructive ; il y a surtout entre Fachot et lui, un échange de notes sur les moeurs, les lois, les coutumes de Lorraine ; le laborieux bibliothécaire a rédigé pour le sénateur une notice sur les manuscrits et les livres qui ont rapport à notre histoire.
20 janvier. - L'institutrice de Laneuveville-devant-Foug remercie Grégoire du secours de cent francs qu'il lui a envoyé.
21 janv. - Le curé de Gérardmer rappelle à Monseigneur le bonheur qu'il a eu à le recevoir durant l'un de ses voyages ; il réclame un service : il prépare quelques élèves pauvres pour le sacerdoce. « J'ai été dénoncé au recteur qui m'a fait écrire par le procureur impérial ; j'espère, grâce à votre puissante intervention, n'être plus troublé dans l'exercice d'une oeuvre si charitable. »
1er juillet. - La santé de Mme Dubois est mauvaise, Grégoire la conduit en Lorraine ; il nous a laissé le récit de leur séjour à Vého, à Emberménil, à Nancy, où sa vénérable amie reçoit l'hospitalité à la maison du Refuge. L'évêque en garde une vive gratitude. Le 12 septembre, de Paris, il écrit à la sœur Clotilde : « Madame, j'avais quelque envie de vous écrire en latin, c'est la langue de votre diurnal, vous auriez compris ce que je vous aurais dit, comme ce que vous dites à Dieu... j'acquitte ma promesse en vous envoyant quelques livres, dont la liste est ci-jointe,... ils doivent vous arriver franc de port... Vous y trouverez entre autres un Nouveau Testament et une Imitation en allemand... Votre maison ayant des salles où sont enfermées des personnes qui ont vécu dans le désordre, il importe de placer sous leurs yeux des exemples de quelques convertis... Ces livres ne sont pas neufs,... il ne faut pas juger les livres par la couverture, pas plus que les hommes par l'habit... Je me hâte d'arriver à ma mère adoptive, Mme Dubois, à qui je lis ma lettre et qui s'impatiente de ce que je ne vous ai pas encore parlé d'elle, de sa reconnaissance pour les témoignages multipliés de bonté que vous lui avez donnés... En passant à Saint-Dizier, j'allai visiter la colonie de votre congrégation, et la sœur Caroline, avec la doyenne, s'empressèrent de venir à l'hôtel, voir notre chère malade... La bonté de cœur est une heureuse épidémie pour les soeurs de Saint-Charles... La santé de Mme Dubois ne s'est pas empirée, sans être bonne... Vous savez qu'elle est extrêmement grasse, nous aspirons à ce qu'elle devienne aussi maigre que la sœur Euphémie... Certes, Madame, si sa santé ne se rétablit pas et si la mienne ne se fortifie pas, croyez-le bien, ce ne sera pas votre faite, car vous nous avez munis de moyens curatifs et conservateurs pour l'estomac et pour la poilrine... Les souvenirs de Mme Dubois et les miens se reportent souvent sur votre maison, où j'ai été édifié de l'union qui y règne et de cette piété douce et franche, qui sanctifie toutes les actions... Vous avez notre amitié, Madame et chère soeur ; partagez-en l'assurance avec la soeur Euphémie et avec toute votre communauté ; si de quelque manière nous pouvons vous en donner des preuves, disposez de nous par réciprocité de sentiment,... ne nous oubliez pas dans vos prières. »
19 sept. - La réponse ne se fit pas attendre : « Monseigneur, j'ai eu l'honneur de recevoir votre lettre et les livres... je ne puis vous exprimer ma reconnaissance,... nous ne pouvons nous venger qu'en priant le Seigneur de vous accorder des jours longs et heureux pour le bonheur de ceux qui vous connaissent et qui, comme nous, profitent de l'exemple de vos vertus... La communauté a appris avec joie votre heureux retour et celui de la respectable Mme Dubois, qui nous avait donné beaucoup d'inquiétudes,... nous ne l'avons pas oubliée devant Dieu... Vous vous êtes rappelé, Monseigneur, que j'aimais de prier en latin... Si j'allais à Paris, ma plus grande jouissance serait de voir non la capitale, mais vous, Monseigneur, et Mme Dubois... II suffit de lavoir vue une fois, pour apprécier ses aimables qualités ; je la prie d'agréer mon profond respect. .. Vous nous comblez de joie en nous annonçant que nous aurons l'honneur de vous voir dans le pays et surtout dans notre chaumière... Permettez que mes compagnes et moi nous ayons l'honneur de vous assurer de nos sentiments du plus profond respect. Sœur Clotilde Pothier. »
12 octobre. - M. Gley, principal du collège de Saint-Dié, écrit à Monseigneur : « J'ai remis vos lettres au bibliothécaire Fachot et à l'évêque de Nancy, qui désire un petit séminaire à Saint-Dié. Il craint les lycées, où les jeunes ecclésiastiques ont à entendre des propos les plus indécents, souvent les plus obscènes. »
1814. 30 mars. - Le canon tonne sous Paris ; dans un conciliabule politique chez Lambrecht, Grégoire propose que l'on se borne à déclarer que « la nation française choisit pour chef un membre de l'anciene dynastie, qui aura préalablement accepté les bases d'une Constitution libérale, qu'on lui soumettra ».
6 avril. - La déchéance est proclamée par le Sénat, Grégoire signe l'acte constitutionnel ; il a vainement réclamé qu'il fût d'abord imprimé, distribué et soumis à l'acceptation du peuple. Il publie sous ce titre : Constitution française de 1814, une brochure anonyme de 34 pages, trois fois réimprimée en quelques semaines : « La France est sans doute le seul pays civilisé où, dans trois jours, on rédige, on discute, on adopte, une charte constitutionnelle... Puisse le nouveau Gouvernement se pénétrer de l'idée qu'il importe à son existence de ne pas concentrer ses affections dans un cercle tracé par l'esprit de parti,... mais d'identifier son intérêt avec celui de la grande famille ! L'âme est profondément attristée à la vue des fourbes couverts d'or et de crimes, qui par leur fortune, leur audace et leurs places exercent un funeste ascendant. .. Louis XIV disait tout haut : L'État, c'est moi », eux disent tout bas : « La patrie, c'est moi...» Le moi est le thermomètre secret de leurs actions... Plusieurs, après avoir encensé Marat et Robespierre, entassèrent toutes les malédictions sur la tombe de ceux dont ils avaient été les complices... Les panégyristes de l'homme qui vient de tomber déroulent actuellement le tableau des forfaits de celui qu'ils déifiaient... Tenez pour certain que les Séjan, les séides, les sicaires d'un despotisme sont toujours portés à s'enrôler sous de nouvelles bannières. »
La Chambre des Pairs remplace le Sénat, l'ancien évêque d'Autun, ministre du roi, y admet en grand nombre les sénateurs qui ont adhéré à la Charte ; il en exclut son collègue à la Constituante, l'évêque de Blois. Grégoire fort irrité écrit cette note : « Toutes les éditions de la Charte attestent qu'elle a été mise sous les yeux du Sénat ; on demande que, dans une édition nouvelle, on indique le jour... ; on offre cent mille francs de récompense à celui qui pourra le faire connaître. »
15 avril. - Il fait hommage à l'Académie de Nancy de la nouvelle édition de son Histoire des sectes religieuses (2 vol. in-8° avec figures). Le Gouvernement lui avait rendu les exemplaires de l'édition saisie, en exigeant cependant des cartons.
Son livre sur la Domesticité chez les peuples anciens et modernes eut un grand succès ; il en avait lu des extraits à l'Institut. Il y expose, avec méthode, l'état des esclaves, des serfs, des domestiques dans les diverses contrées : la dépravation des maitres est trop souvent la cause de la dépravation des domestiques ; il propose la création d'une société pour former de bons serviteurs ; il a un système complet, il a tout prévu : le recrutement, les encouragements, les récompenses, les pensions de retraite ; il a étudié, à Londres, l'organisation et les statuts d'une société de ce genre fondée en 1792.
Dans l'intérêt de sa chère Église constitutionnelle, il fait imprimer une traduction de la célèbre homélie démocratique que le cardinal Chiaramonte, Pie VII, avant d'être élevé à la papauté, avait prononcée dans sa cathédrale d'Imola.
14 mai. - Les Bourbons sont rentrés, Grégoire n'a pas quitté la France ; il écrit à Louis XVIII pour qu'il prête son concours à un projet de fusion des Églises chrétiennes, grecque et latine, au sujet duquel il a adressé un mémoire à l'empereur Alexandre. Depuis 1810, il est en correspondance suivie avec l'archevêque métropolitain de Moscou. Ce mémoire est inséré dans l'Histoire des sectes religieuses.
18 août. - Grégoire a exprimé à l'Académie de Nancy le regret de ce que l'on n'a pas rendu hommage à la mémoire de Durival, homme de bien, ancien chef de division au ministère des affaires extérieures, qui a écrit sur l'histoire de son pays. Lamoureux ainé fait l'éloge de notre laborieux confrère. « Le vaste et précieux dépôt qu'il a recueilli, sauvé, démêlé, classé, est soigneusement conservé. »
1815. - 1er avril. Malgré les instances de Carnot, l'Empereur refuse d'admettre Grégoire dans la Chambre des Cent-Jours. Il n'a oublié ni sa protestation adressée au Sénat contre l'établissement de l'Empire, ni son projet de déchéance, à la date de 1812. A l'Institut, Grégoire proteste contre l'acte additionnel aux constitutions de l'Empire.
2 juillet. - « Après Waterloo, sous la remise, comme aujourd'hui, écrivait-il en 1830, je crus devoir adresser à la Chambre des députés une réclamation en faveur des nègres. » Dans un nouveau mémoire, imprimé (De la Traite et de l'esclavage des noirs et des blancs), il proteste contre l'odieuse stipulation du traité de 1814, qui rétablit la traite, et il plaide, avec énergie, la cause des noirs et celle des catholiques d'Irlande. Il fait hommage à l'Assemblée de la collection de ses ouvrages.
1816. 30 janv. - L'un de ses correspondants de la Meuse, le curé de Billy-les-Mangiennes, le remercie du don gracieux qu'il lui a fait de son livre sur les ruines de Port-Royal ; il offre à son aimable protecteur l'hommage de sa reconnaissance, il se met complètement à ses ordres pour des recherches ; il lui demande son portrait.
21 mars. - L'ordonnance Vaublanc l'éloigne de l'Institut... Je lis dans une note l'expression de sa colère (c. 534) : « L'ordonnance est illégale. Il y a plus d'un siècle, l'abbé de Saint-Pierre fut chassé de l'Académie française, Fontenelle protesta... Dans les quatre classes de l'Institut, pas un n'a imité cet exemple... D'après l'ordonnance de Louis le Fourbe, tous ont accepté la flétrissure et consenti à n'être plus que des commis congédiables, comme ceux de la douane. » Ce qui ajoutait à son indignation, c'est que Vaublanc, son ancien collègue à la Convention, comme lui comte de l'Empire, et de plus préfet de la Moselle, se montrait, en 1816, le ministre le plus redouté pour ses épurations. Une mesure plus grave diminue ses moyens d'existence : il est privé de sa pension d'ancien sénateur, fixée à 24,000 fr. par l'ordonnance du 14 juin 1814. Il se décide à quitter Paris, il se retire a Auteuil, il réduit les dépenses de sa maison et il vend une partie de sa bibliothèque. Forcé de se défendre contre les attaques les plus violentes, il le fait avec une colère mal contenue, dans une brochure de 24 pages in-8°, publiée sous le titre de Réponse aux libellistes. « Il n'a jamais voté la mort de personne,... il a été dénoncé aux Jacobins pour n'avoir pas voté la mort du roi... On a imprimé contre lui le Philanthrope dévoilé, on l'a accusé d'avoir abandonné les prêtres, victimes de la Terreur,... il a plaidé leur cause, il a obtenu la liberté d'un grand nombre ; ... il s'étonne de n'avoir pas eu plus de détracteurs, car il s'est voué à la défense des persécutés, juifs, anabaptistes, serfs, nègres, mulâtres... Nourri dès l'enfance des lois de la piété, il est philanthrope ; ne pas l'être serait cesser d'être chrétien. » Il cite toutes les circonstances où il a affirmé ses convictions et bravé le péril ; 17 brumaire an II, 1er nivôse an III, 18 brumaire an V... « L'artillerie des gazettes jouait un grand rôle dans le gouvernement de Bonaparte, on l'accusait de conspirer ! ! Tel de ses ouvrages qu'on attaque a été imprimé sans son aveu... ; des correcteurs infidèles ont inséré des phrases qui ne sont pas de lui... Persécuté toujours pour ses sentiments religieux et son aversion pour la tyrannie, il se console des persécutions passées, présentes et futures, au sein de la religion, des lettres et de l'amitié. »
1817. 1er avril.- Le Concordat de 1817 le blesse et l'irrite, il proteste : son Essai historique sur les libertés de l'Église gallicane, fut inscrit à Rome sur l'lndex librorum prohibitorum,. C'est tout à la fois nn manuel du clergé gallican et une histoire des rapports de l'Église avec l'État depuis saint Louis. Cet Essai, qui eut une certaine vogue, ne manquerait pas aujourd'hui d'opportunité. (Paris, in-8°, au bureau du Censeur, 6 fr.) Dix ans après, une nouvelle édition coûte 6 fr. 50 c. ; une traduction en espagnol, 2 vol. in-12, 6 fr.
13 mai. - Le recteur de l'Université de Cassano lui adresse, avec une lettre en fort bon latin, un diplôme de membre honoraire.
1818. - Il publie : 1° des Recherches historiques sur les congrégations hospitalières des frères pontifes ou constructeurs de ponts (in-8°). Cette savante dissertation a une valeur réelle ; elle met en lumière les services rendus à l'architecture en particulier par ces pieuses associations de maçons, d'ouvriers, de constructeurs ; 2° une troisième édition (in-8°, 30 p.) de sa traduction de l'homélie du citoyen Chiaramonte, actuellement pontife, adressée au peuple de son diocèse, dans la république cisalpine, le jour de la naissance de Jésus-Christ, l'an 1797. L'avant-propos attira l'attention de la censure, on vit une ironie dans l'éloge du bon père qui s'efforce de verser dans le coeur des fidèles la piété aimable et la charité, dont le sien abonde... les sentiments de Pie Vll sont, n'en cloutons pas, ceux du cardinal ; il les aura portés sur le premier siège de la catholicité... On prétendit que l'homélie était apocryphe, on exigea l'exhibition du texte italien, quelques expressions furent rayées impitoyablement par les douaniers de la pensée. Le traducteur reproduisait avec une certaine malice quelques propositions du pontife : « La forme du gouvernement démocratique adoptée chez nous n'est point en opposition avec les maximes que je viens de vous exposer... Soyez tous chrétiens et vous serez démocrates,... les vertus chrétiennes font la gloire des républiques. » La censure interdit au Journal de la librairie d'annoncer cet ouvrage.
1819. 14 juillet. - Désigné pour candidat des patriotes, par les chefs de l'opposition dans l'lsère, Grégoire accepte, mais il n'adresse pas de profession de foi aux électeurs, il écrit à un ancien député une lettre, qui est un manifeste : « Il ne veut faire aucune démarche pour appeler sur lui les suffrages,... il ne déviera pas de la route qu'il a suivie dans sa longue et pénible carrière,... dans les temps calmes comme dans les tempêtes... Il a toujours concouru à faire élire des hommes désignés par l'estime publique,... récemment dans les élections de la Seine, il l'a bien prouvé... Le refus de servir encore sa patrie serait un crime,... le souvenir du jour où il écrit aggraverait sa culpabilité : ... il a exposé ses sentiments avec la franchise innée de son caractère,... religion, vertu, liberté, science, amitié, voilà, digne citoyen, les objets, qui toujours occuperont mon esprit cL mon cœur, tel je serai jusqu'au tombeau, qui doit bientôt me recevoir. Je vous embrasse arec estime et affection. »
13 septembre. - Il est nommé député à une très forte majorité ; il y a eu coalition ; soa élection est tout à la la fois un défi et une menace contre le trône et contre ce ministère libéral, qu'il faut renverser. La presse de toutes les nuances s'occupe du vieux conventionnel, on le porte aux nues, on le traîne dans la boue. Un modéré, M. de Staël, lui exprime, au nom de son parti, le désir qu’il refuse le mandat qu'un lui donne. La lettre est du 2 octobre : « Votre nomination, Monseigneur, effraie les honnêtes gens... On croit au retour des passions funestes d'une autre époque... Elle alarme, elle irrite les nations étrangères,... elle divise les libéraux... Vous feriez preuve, Monseigneur, d'un patriotisme éclairé en refusant... Il y a incompatibilité entre le ministère calme d'un prédicateur de l’Évangile et les guerres de parti, dont une assemblée est le théâtre. » Il invoque le témoignage de sa mère, l'exemple de l'Angleterre et de l'Amérique. « J’ose espérer, Monseigneur, que vous verrez dans la franchise de cette lettre un hommage rendu à votre amour de la liberté... M. de Broglie se joint à lui pour vous adresser cette prière ; il vous remercie de l'envoi que vous avez bien voulu lui faire.»
Grégoire est mécontent, il ne répond pas ; il écrit en marge sur cette lettre : « Erreur, il y a le banc des évêques au Parlement anglais. » Le ministère semble disposé à payer son désistement par des faveurs, les patriotes, d'autre part, le conjurent de ne pas les abandonner, d'être leur illustre guide ; il répond à Lafayette : « Monsieur et honorable collègue, ce début vous atteste que je n'ai pas donné ma démission. Assurément si je ne consultais que mon goût. .. et le désir d'achever quelques ouvrages, depuis longtemps sur le chantier, je préférerais ne pas rentrer dans la carrière politique, mais en ce moment donner ma démission serait un acte de lâcheté... une tache de cette nature n'a jamais flétri mon caractère... » Le même jour il adresse aux électeurs une lettre de remerciements.
6 décembre. - .La rentrée de la Chambre a eu lieu, Grégoire n'a pas reçu de lettre de convocation ; l'extrême droite le repousse pour cause d'indignité, la droite et le centre pour cause d'illégalité... On invoque l'article de la Charte pour prouver la nullité de l'élection. Ce jour-là, le député Becquez présente, au nom du cinquième bureau, un rapport sur les opérations du collège électoral de l'Isère : « le bureau a pensé que M. Grégoire n'ayant aucun droit pour être admis, nous étions dispensés de soumettre à votre examen une question bien plus grave, qui agite tous les esprits, depuis le jour où le bruit de cette nomination a retenti dans le royaume, question de morale publique, qui se rattache aux plus douloureux souvenirs, puisqu'elle rappelle l'horrible attentat que la nation en deuil va, chaque année, déplorer aux pieds des autels. » Une très vive agitation se manifeste, à droite et à gauche ; Lainé, qui est à la tribune, ne peut obtenir le silence : le Président invite l'Assemblée à rester calme, à conserver la dignité qui doit caractériser la délibération, en présence de la France et de l'Europe... Benjamin Constant, Manuel, de La Bourdonnaye, Villèle, demandent la parole, le bruit et l'agitation redoublent... Après le ministre Pasquier, Manuel se présente à la tribune... La droite et le centre se lèvent aux cris de : Non, non, descendez...En vain Lainé réclame le silence, le tumulte est effroyable, le Président se couvre, la séance est suspendue et la Chambre, aux termes du règlement, se retire, une heure, dans ses bureaux. A trois heures moins un quart, le Président, M. Anglès, doyen d'âge, monte au fauteuil ; il faut lire, au Moniteur, les discours de Pasquier, de Lainé, de Benjamin Constant surtout, qui supplie la Chambre d'écarter la question d'indignité et de délibérer Sur la légalité... « C'est au nom de la Charte, c'est au nom du Roi, qu'il demande cet acte de justice. » M. Ravez établit que les deux propositions tendant au même but, celle de l'illégalité, comme celle de l'indignité, la Chambre n'a pas besoin de motiver sa délibération. Une très forte majorité se réunit à cet avis, la Chambre déclare la non-admissibilité de M. Grégoire. Les cris de Vive le Roi (32) ont retenti dans les tribunes et sur les bancs de la droite (33).
Le même jour, Grégoire écrit à son ami Lambrechts, il repousse les motifs d'indignité et d'illégalité, il accuse la faiblesse, la lâcheté, la mauvaise foi de ses adversaires ; ce qui surtout le blesse et l'irrite, c'est la conduite du ministre, président du Conseil, Decaze, pour lequel il a eu autrefois l'affection d'un père. M. Carnot a trouvé dans ses papiers une note « dont le décousu atteste la sincérité : « Ego, lié avec lui et subito, brusquement rompu. Quare ? Nescio ; il a de belles qualités, sed... »
1820. 25 janvier. - Grégoire adresse une seconde lettre aux électeurs de l'Isère ; il explique les motifs de sa conduite : « En refusant une démission qu'on sollicitait avec bassesse, j'ai montré de quel peu de valeur sont à mes yeux ma propre tranquillité et mon bonheur au prix du salut de la patrie. » (In-8°, 31 p.)
10 juin,. - Il reçoit un diplôme de membre de la Société historique de New-York.
1er juillet. - En vertu de la loi du 28 mai, le comte Grégoire est inscrit sur la liste des pensions pour une somme de 24,000 fr., avec jouissance du 22 décembre 1819. Dans toutes ses quittances, il ajoutait : « Sans préjudice de ce qui m'est redu pour 2 ans et 3 mois, dont je n'ai rien perçu et pour la diminution arbitraire qui a eu lieu, pendant un autre laps de temps, ce qui est formellement contraire à l'ordonnance du 4 juin 1814 et à la loi intervenue sur cet objet. »
3 juillet. - Il publie au tome V de la Chronique religieuse un opuscule anonyme : Des Catéchismes qui recommandent et prescrivent le paiement de la dîme et l'obéissance aux seigneurs de paroisse, officiellement imprimés depuis 1817. Ce pamphlet, réimprimé en 1822, comprend 16 pages in-8°.
4 juillet.- Psaume, dans le Journal de la Meurthe, fait l'éloge de la deuxième édition de l'Essai sur les libertés de l'Église gallicane. L'évêque a retrouvé aux archives apportées du Vatican à Paris, l'original de la lettre qui l'invitait à résigner ses fonctions épiscopales : « L'original est plus poli, plus chrétien que l'injonction qui lui a été faite. »
15 septembre. - A l'inhumation du vénérable Maudru, ancien évêque de Saint-Dié (34), jeté, en 1793, dans les cachots de la Conciergerie, Grégoire, dans l'église de Belleville, prononce une oraison funèbre, où l'on retrouve, avec ses opinions sur l'Église constitutionnelle, les plus belles pensées sur l'immortalité de l'âme. « Ici-bas, nous ne sommes pas chez nous, nous n'avons pas de cité permanente en ce monde dont la figure passe... Une autre patrie nous attend, le Dieu que nous servons ne sera pas toujours invisible, la splendeur du jour éternel paraitra... Appuyés sur l'espérance, ayons les yeux fixés sur Jésus-Christ, l'auteur et le consommateur de notre foi ; nous sommes en route pour l'éternité... que la fin du voyage soit le commencement de notre bonheur... » Certes, s'il n'a pas l'autorité de l'évêque, il en a parfois le langage et, comme on l'a dit, s'il a les mains d'Ésaü, il a souvent la voix de Jacob.
4 octobre. - Dans son ouvrage Du Gouvernement de la France depuis la Restauration..., M. Guizot attaque les jacobins, les républicains, les régicides et il n'oublie pas M. Grégoire, dont le nom ne rappelle que des souvenirs de sang et de terreur. « Un monsieur Dubouchage, que l'évêque de Blois ne connaît pas et qu'il ne désire pas connaitre », a fait imprimer une lettre où plusieurs fois on lit ces mots : Le régicide Grégoire ; aussitôt il adresse à tous les journaux une violente protestation. « Dans plusieurs écrits, il a gravé sur le front de ceux qui l'ont accusé d'avoir voté la mort du roi, la qualité ineffaçable de lâches et infâmes calomniateurs... vous entendez, Monsieur Dubouchage, lâches et infâmes. Ce signalement vous est commun avec ceux qui conseillent, qui ordonnent, qui paient, qui répètent de pareilles impostures... avec quelques députés... qui ont si souvent et si lâchement outragé un homme qui n'était pas là pour se défendre. » Depuis 1814, il vivait paisible, inoffensif, retiré du monde, dans sa studieuse solitude et depuis seize mois surtout il est en proie à toutes les fureurs de la persécution... Il déclare à ses calomniateurs qu'il les traduira au tribunal de l'histoire et de la postérité, dont il ne craint pas le jugement. La censure, « qui a permis d'insérer la lettre de l'infâme calomniateur, interdit aux journaux. l'insertion de cette réponse ». Grégoire écrit au duc de Richelieu, président du Conseil ; il se plaint de ce que tout récemment, par la petite poste, il lui est arrivé une lettre de Lausanne, indignement décachetée et découpée... Son âme inflexible se roidira toujours contre la fourberie, la calomnie, l'iniquité : « Je suis comme le granit, on peut me briser, mais on ne me plie pas. Je réclame de votre justice, avec confiance, l'ordre de faire insérer dans le Moniteur et aux journaux ma réponse textuelle et intégrale... Si mon attente était déçue, j'en serais affligé pour moi et pour vous. » Le duc ne répondit pas, mais immédiatement Benjamin Laroche, dans une brochure de 9 pages, publia les deux lettres de Grégoire, précédées et suivies de considérations critiques sur l'ouvrage de M. Guizot, dont il constate les erreurs sur les doctrines et sur les hommes. Les chapitres X, XI et XII sont consacrés à M. Grégoire, à son élection, à la séance du 8 décembre.
1821. - L'ancien évêque de Blois publie successivement une Notice sur une association de prières (36) et une brochure : De l'Influence du christianisme sur la condition des femmes (35). Le christianisme améliore la condition de la femme ; il a exercé une heureuse influence sur la législation civile en leur faveur. La loi de Beaumont-en-Argonne fut rédigée, en 1182, par l'archevêque de Reims. Il a des paroles sévères pour les fausses dévotes, il critique les abbesses de Remiremont et de Fontevrault, mais il fait le plus bel éloge des sœurs hospitalières, des filles de Saint-Vincent de Paul ; il exalte surtout l'héroïsme des femmes qui, sous la Terreur, pénétraient dans les cachots... Il y a une page sur l'éducation de la femme que Fénelon n'aurait pas désavouée. La piété véritable console de tout, la femme y trouve un appui qui tempère les souffrances du présent par les espérances de l'avenir ; en général, elles quittent la vie avec plus de résignation que les hommes, quarante ans d'exercice dans le ministère m'ont procuré l'occasion fréquente de faire celle remarque. « La reconnaissance doit fortifier leur attachement au christianisme,... la seule religion qui leur a rendu leurs droits et la seule qui puisse les leur conserver. Grégoire, dont l'érudition était immense, me semble avoir profité de deux écrits fort rares, de Louis Machot, archidiacre du Port, chanoine de Toul, qui, en 1640, publiait : un « Discours ou sermon apologétique des femmes, question nouvelle, curieuse et non jamais soutenue » et un « Traité des différends politiques entre les papes et les rois ».
1822. - L'indulgence des lois a provoqué des actes de barbarie ; Grégoire public sons ce titre : Des Peines infamantes à infliger aux négriers, une brochure pleine de verve et d'indignation. II fait réimprimer son Manuel de piété à l'usage des hommes de couleur et des nègres ; le texte est orné de figures.
19 novembre. - Il refuse de remplir les conditions exigées pour le renouvellement de son brevet de commandeur de l'ordre royal de la Légion d'honneur ; avec la franchise ou plutôt la crudité de son caractère, il écrit une longue lettre au grand chancelier, le maréchal Macdonald : il rappelle les honneurs qu'il a reçus dans les trois hiérarchies, ecclésiastique, politique, littéraire, et aussi « le plan systématique d'impostures, d'outrages, de persécutions commandées, soudoyées, ourdies... contre lui... repoussé de l'Institut, repoussé du siège législatif, il n'enverra pas les documents qu'on lui demande, il ne donnera pas aux agents du pouvoir le plaisir de le faire révoquer... arrivé aux confins de l'éternité, il n'a d'autre ambition que de mériter un arrêt favorable au tribunal de l'histoire et à celui du juge éternel. » Sa lettre est énergique, mais il a dû entourer sa détermination des motifs sur lesquels elle s'appuie... : « la vérité les a tracés, il croit le maréchal digne de l'entendre et cette déclaration est un hommage d'estime qu'il lui présente. » Il publie sur cette abdication volontaire et motivée du titre de commandeur une brochure in-8°.
1823.- Il fait imprimer des Considérations sur le mariage et le divorce adressées ua citoyens d'Haiti. Il y démontre la sainteté et l'indissolubilité du lien conjugal. (In-12, 59 p. 1 1,25).
27 juin. - J.-B. Grégoire, de Baccarat, suppléant du juge de paix, prie son parent de faire accorder à son fils la bourse qu'il a fondée au séminaire : « Personne n'ignore que votre pouvoir égale votre mérite,... si la bourse n'est pas libre, vous pourriez foire admettre mon fils dans tel séminaire il vous plairait. »
27 septembre. - Mélin de Château-Salins implore son appui en faveur des soeurs d'un curé défunt, qui avait été son confrère, en 1785. A la date de 1823, on trouve [n° 2345] des notes manuscrites très importantes sur le R. P. Fourier, sur R. Didier de la Cour, réformateur des Bénédictins, sur les sœurs de la Providence, dont il fait l'éloge, sur les hommes et les choses de l'histoire de la Lorraine.
1824. - Les publications de cette année sont nombreuses, quelques-unes fort importantes : 1° une notice sur les irrégularités d'une lettre pastorale. C'est une appréciation peu charitable du mandement d'un évêque (Paris, in-8°) ; 2° un projet d'organisation de la république des lettres soumis au jugement du public. Il y développe l'idée d'une diète, qui serait la représentation oecuménique de la république des lettres. Cette république acéphale, dans le sens de ce mot qui exclut la domination, admet des rangs déterminés par l'admiration, l'estime, la reconnaissance... Là se réuniraient des diverses contrées du globe, des savants, des députés d'universités, d'académies, de corporations littéraires et scientifiques... Outre ce congrès général, chaque pays, chaque province pourrait annuellement en tenir un, auquel seraient admis les savants étrangers ; 3° un essai sur la solidarité littéraire entre les savants de tous les pays. Il dédie à Legendre, de l'Institut, cette brochure, où il expose le plan d'un asile littéraire, où seraient recueillis les savants de toutes les nations victimes de l'injustice ou de l'infortune. L'un des fondateurs d'une société en faveur des savants et des hommes de lettres, il signe, avec François de Neufchâteau, un prospectus, qui en précise le but : « Donner des encouragements et des récompenses aux hommes de génie, aux auteurs, aux inventeurs, aux jeunes gens, qui annonceraient de grands talents..., provoquer la composition d'ouvrages utiles, la traduction de bons écrits, les recherches, les inventions,... qui auront pour but le perfectionnement des connaissances humaines ; 4° une brochure intitulée : De la Liberté de conscience et de culte, à Haiti. C'est une réponse aux reproches d'intolérance formulés par quelques missionnaires méthodistes contre les habitants de Saint-Domingue, où lui-même il envoyait et il entretenait des prêtres français ; 5° une Histoire des confesseurs des empereurs, des rois et d'autres princes (in-8°, 2 chapitres, 411 p.). Le chapitre premier est une sorte d'introduction : la religion et la politique furent joujours et toujours elles seront les plus puissants mobiles de l'ordre social... On doit poursuivre l'erreur et le vice jusqu'au pied du trône et de l'autel... La littérature est présentement, comme la nation, divisée en côté droit et en côté gauche Un livre paraît, n'attendez pas une analyse raisonnée... C'est la personne qu'on juge et non le livre... Il y a dans cet ouvrage des anecdotes fort curieuses, j'en citerai quelques-unes : « Un jour de fète, à Milan, Théodose apporte son offrande à l'autel, il reste dans l'enceinte du sanctuaire, Ambroise lui fait dire par l'archidiacre : la pourpre ne fait pas le prêtre. L'empereur remercie et va se placer à la tète des laïques ; je ne connais, disait-il, qu'Ambroise qui justifie en tout son titre d'évêque. En 1775, dans une contrée, qui compte des sources salées multipliées et abondantes,... un pauvre octogénaire avait puisé un peu d'eau pour préparer une mauvaise soupe ; surpris par les agents du fisc, il fut traîné dans une prison, où il trouva le terme de sa vie. Là, étendu sur un triste grabat, il réclama les secours de la religion, les reçut avec piété et dans les transports d'une joie angélique, son âme s'exhala vers le ciel ; le confesseur qui lui administra les sacremens a parcouru les divers grades de la hiérarchie, mais de toutes les fonctions qu'il a remplies, aucune ne lui a laissé des souvenirs plus attendrissans et plus honorables. » Il examine et critique les Monita secreta de la Compagnie de Jésus, il fait un bel éloge des oratoriens, où, selon l'expression de Bossuet, on commandait sans empire, on obéissait sans dépendance... Il loue les bénédictins, les prémontrés, les doctrinaires, qui se concentraient dans les exercices littéraires et religieux. Il analyse et résume le principaux traités sur la direction de la conscience des princes ; il accepte les doctrines politiques que Bossuet tire de l'Écriture, il adopte un grand nombre de propositions du Télémaque, mais il critique la description très peu épiscopale de la grotte de Calypso. Il est sévère pour les crimes politiques ; l'étal de la religion dans les cours est déplorable, mais il réfute, avec énergie, un livre publié, en 1618, sur la situation des protestants en France ; l'auteur a prétendu « qu'il s'établit une étroite intimité entre les confesseurs des princes et leurs maitresses et cependant en une matière si grave, il n'a articulé aucun fait. » Le secret de la confession est prescrit par le droit naturel, le droit divin et le droit ecclésiastique, aussi « depuis 35 ans, parmi les scandales causés par des prêtres sans vocation, dont les évêques de l'ancien régime avaient encombré l'Eglise,... il est inouï qu'aucun n'ait violé le secret de la confession. En 1202, l'impératrice Constance appelle à Palerme l'abbé Joachim, qui avait un renom de sainteté... Elle veut lui faire la confession de toute sa vie. Introduit dans la chapelle, l'abbé voit un trône magnifique élevé pour la princesse et plus bas un tabouret pour le confesser... Madame, lui dit-il, vous comparaissez ici en criminelle, descendez du trône, faites votre confession dans une posture plus humble, sinon, je me retire. Constance descend, s'agenouille sur le pavé et se confesse avec de grands sentimens de pénitence. » Après une longue énumération des confesseurs des empereurs grecs, russes, allemands, des princes et des princesses en Belgique, en Bourgogne, en Lorraine, il arrive aux confesseurs des évêques, des cardinaux et des papes... A quelques exceptions près, la conduite des papes envisagés soit comme chefs de l'Église, soit comme chefs d'une souveraineté temporelle commande l'estime. Nulle part on ne trouve une succession si ancienne, si nombreuse, si vénérable d'hommes vertueux et savants. Les sept chapitres consacrés aux confesseurs des rois et des reines de France ont un intérêt particulier ; il fait un bel éloge de saint Louis... qui sut résister respectueusement aux exactions ultramontaines ; il connaissait les limites qui séparent l'autorité légitime des abus que l'on en peut faire. Il reproche à Louis XIV son luxe et ses tendances mythologiques ; « il n'a pas élevé une statue à l'héroïne qui sauva la France » ; il attaque Lachaise et Letellier, provocateurs de la bulle Unigenitus... Il flétrit la conduite scandaleuse de Louis XV et de ses maitresses ; il sait gré au régent « d'avoir préféré à tout autre le docte et sage abbé Fleury, prêtre séculier et roturier, parce qu'il n'était ni janséniste, ni moliniste, ni ultramontain.» Il apprécie et résume les causes de la Révolution : les dilapidations et le libertinage de la cour, le déficit et l'incrédulité. « Sous Louis XV, la débauche et son alliée naturelle l'impiété rompent les digues... Louis XVI fut un modèle de fidélité conjugale... Il était sincèrement pieux... Ses deux confesseurs furent massacrés dans les horribles journées de septembre qui, suivant l'expression de l'évêque Fauchet, seront l'épouvante de tous les siècles... » Le conventionnel a oublié sa haine contre le tyran ; il raconte, en termes émus, comment au Temple et sur la place de la Révolution, l'abbé Edgeworth a rempli son ministère sacré ; il parle de la reine avec respect, il blâme Napoléon de n'avoir pas eu de confesseur en titre. « Le Salomon, le Cyrus, le Constantin, le nouveau Théodose fit supprimer dans le cérémonial du sacre l'article qui portait que le roi, après s'être confessé, devait communier sous les deux espèces ; cependant il tient pour certain qu'à Sainte-Hélène, « l'ex-empereur a réclamé et reçu les secours spirituels ».
1825. 24 mai. - ll ajoute un codicille à son testament de 1804 : « Je lègue pour les pauvres et pour les écoles 500 fr. à la paroisse de Vého, 500 fr. à celle d'Emberménil, 500 fr. à celle de Vaucourt, 400 fr. à celle de Marimont, 500 fr. à celle de Plessis-Saint-Jean, 500 fr. à la paroisse où je mourrai. L'évangile du cinquième dimanche après la Pentecôte a pour objet le pardon des ennemis, je consacre une somme de 4,000 fr. à la fondation d'une messe annuelle pour mes calomniateurs et mes ennemis morts et vivants. » Je me borne à compléter ici les détails que j'ai donnés dans la première partie (p. 27, 30, 62). « Je prie Mme Dubois d'étendre ses bienfaits à ceux de mes calomniateurs et de mes ennemis qui seraient dans le besoin et à leurs enfants. Je lègue 6,000 fr. pour six prix à décerner au concours pour les questions ci-après : 1° prouver par l'Écriture sainte et par la tradition que le despotisme ecclésiastique ou politique est contraire au dogme et à la morale de l'Église catholique ; 2° quels seraient les moyens d'extirper le préjugé injuste et barbare des blancs contre la couleur des Africains et des sang-mêlés ; 3° quels seraient les moyens d'inspirer aux savants, gens de lettres et artistes du courage civil et de la dignité, de prévenir ou de guérir la propension qu'ils ont presque tous à l'adulation et à la servilité ; 4° quels seraient les moyens les plus efficaces pour rendre aux libertés gallicanes leur énergie et leur influence et de rétablir en entier l'antique discipline ; 5° les militaires assouplis par l'obéissance passive et par la force physique ont une tendance à négliger ou à fouler aux pieds les devoirs des citoyens, quels seraient les moyens d'empêcher qu'ils ne les oublient et de les porter à les remplir ? 6° les nations avancent beaucoup plus en lumières et en connaissances qu'en morale pratique ; rechercher les causes et les remèdes de cette inégalité dans leurs progrès. » Ces dispositions ne furent exécutées qu'en 1836, après la mort de Mme Dubois, qui confia à son exécuteur testamentaire le soin de régler le mode du concours. L'Académie de Stanislas, en ce qui concerne la troisième question, déclara qu'elle était bien loin de penser que les hommes de lettres, plus que les autres, fussent dépourvus de courage civil et de dignité ; en 1838, elle décerna à M. Perrot un prix de mille francs pour un mémoire sur ce sujet (37).
22 octobre. - Il rédige une note sur ce qu'il désire que l'on fasse, s'il tombe malade, et dès qu'il aura expiré.
« J'ignore si la mort viendra m'atteindre inopinément par un coup d'apoplexie, par un accident, par un assassinat... Dans ce dernier cas, je pardonne à celui qui m'ôterait la vie et je prie Dieu qu'il lui pardonne .... Si, au contraire, une maladie précède mon trépas, je supplie ma bonne mère adoptive de me procurer sans délai les secours de la religion, plus importans que ceux de la médecine, en priant de se rendre près de moi mon confesser, M. Euvrard, prêtre de la paroisse Saint-Séverin, rue de la Vieille-Boucherie, 24, pour me disposer au passage de la vie à l'éternité, par les sacremens de pénitence, d'extrême-onction et de l'eucharistie comme viatique. Par respect pour le caractère épiscopal dont, quoique indigne, j'ai l'honneur d'être revêtu et pour me conformer aux prescriptions du pontifical et du rituel, on me revêtira du rochet, camail, étole, croix pastorale ; avant de recevoir le corps sacré de Jésus-Christ, je renouvellerai mes vœux de baptême et ma profession de foi catholique. Je regarde comme un crime l'absurde délicatesse de ceux qui craignent d'annoncer à un malade le danger de sa situation ; je veux qu'on m'en instruise sur-le-champ, c'est tout à la fois un ordre que je donne et une grâce que je demande ; dès ce moment, je supplie les personnes qui veulent bien s'intéresser à moi de redoubler de ferveur pour demander à Dieu le salut de mon âme. Que l'on fasse près de moi des prières, à voix haute, afin que mon cœur s'y associe... Qu'on me récite... l'hymne Urbs Jerusalem beata, qu'on me lise la passion de Notre-Seigneur... Qu'on place le crucifix entre mes mains... Quand on présumera que je suis près d'expirer que l'on me récite les prières des agonisans, que l'on m'étende, si ma situation le permet, sur la paille ou sur la cendre, pour y rendre l'âme, en pénitent. Je veux que ce soit un homme qui m'ensevelisse... On trouvera dans mon testament mes dispositions concernant mon inhumation, mais, au moment où j'écris, les journaux retentissent du refus de sacremens de la par d'évêques ignorans et fanatiques.... Le clergé insermenté, émigré, accorda les funérailles chrétiennes à Lalande, qui professa l'athéisme le plus révoltant, à Volney, mort décidément incrédule... Qui sait si la haine du clergé, qui actuellement domine la France, ne les refusera pas à l'évêque qui, dans la Convention, au milieu des hurlemens de l'impiété, se déclara catholique et évêque... Si, après tant de calomnies, d'outrages, de persécutions, un dernier outrage est réservé à ma dépouille mortelle, que Dieu pardonne à ceux qui en seront les auteurs et les approbateurs ! J'espère en la miséricorde de Dieu, par les mérites de Jésus-Christ, mon Sauveur. »
30 novembre. - Je lis, dans les papiers de Grégoire (cart. 535), une note sur M. Noël, notaire à Nancy : « M. Noël vient de publier des documens curieux sur les domaines et sur l'état constitutionnel de la Lorraine, ils éclairent des faits et fixent l'opinion... La Lorraine était un pays d'États composés des trois ordres auxquels le pouvoir du prince était subordonné ; à chaque vacance, le duc devait se faire reconnaître par les États, ce qui n'avait lieu qu'après avoir prêté serment de maintenir les droits et franchises du pays. Le prince ne pouvait sans leur consentement, ni établir, ni lever des impôts. En 1561, les États assemblés à Nancy refusent de payer les aides, c'était le budget du pays, ils étaient mécontens de quelques ordonnances... La conduite du fougueux, fourbe, libertin Charles IV ayant attiré les troupes étrangères, ce beau pays (38) fut en proie aux calamités de tout genre... Les États furent assemblés pour la dernière fois, en 1629... En France, la dernière assemblée est de 1614... Depuis cette époque la Cour des comptes, la Cour souveraine, le Parlement de Nancy, qui avaient la prétention de remplacer tes États, refusèrent plusieurs fois d'enregistrer les édits... Il est à désirer que des citoyens éclairés comme lui s'occupent de recherches analogues à celles qu'il a faites ; sûrement leur zèle y découvrirait des titres enfouis par le despotisme, qui serviraient à constater par des faits les droits imprescriptibles des peuples à la liberté. M. Noël, à l'occasion d'un Résumé de l'histoire de Lorraine publié par Henri Étienne, rappelait « que M. l'évêque Grégoire s'était fort intéressé à la publication de cet ouvrage », et qu'il lui avait demandé des renseignements, entre autres sur le supplice du curé de Ludres.
1826. - Deux publications : 1° De la Noblesse de la peau, ou du préjugé des blancs contre la couleur des Africains et celle de leurs descendants noirs et sang-mêlés. Le manuscrit in-8° est à la bibliothèque de l'Arsenal ; ° Histoire du mariage des prêtres en France, particulièrement depuis 1789 (39). La préface mérite d'être signalée : « La partie souterraine de la Révolution n'est pas entièrement découverte... Des personnages qui, dans ce drame étonnant, furent toujours acteurs ou spectateurs, avouent que bien des choses ont échappé à leurs investigations, comment donc des hommes qui n'étaient pas nés pourraient-ils se flatter d'en montrer tous les ressorts ? Les vétérans de la Révolution remarquent l'ignorance et les préjugés de la génération nouvelle sur les événemens accumulés depuis 1789. Les affaires ecclésiastiques et politiques sont mal jugées : La génération présente n'a pas même l'idée de ce que l'établissement d'un nouveau calendrier, les fêtes sacrilèges de la Raison, les fêtes décadaires ont coûté de sang, de larmes et d'argent. » Il raconte les persécutions des proconsuls envoyés par la Convention, des tribunaux et des sociétés populaires pour forcer les prêtres à se marier. Charles Lacroix, en mission dans la Meuse (21 fruct. an ll), arrête que tout prêtre non marié sera mis en surveillance et chassé de la paroisse où il aura exercé. Il rappelle les services rendus par les filles de la Charité et par les curés, en faveur de qui tous les cahiers de la noblesse et du Tiers réclamaient en 1789. «C'est le clergé qui avait couvert la France d'établissemens destinés à l'instruction et au soulagement des malades, collèges, écoles, hôpitaux, secours de bienfaisance... Tout cela a été détruit,... et par qui ? » Il n'oublie pas les anathèmes des conciles contre les prêtres mariés, il analyse les causes et les résultats de ces unions scandaleuses, il en donne le nombre et il blâme, avec aigreur, les évêques de Nancy et de Meaux qui ont réintégré dans leurs fonctions des prêtres mariés... Il déplore l'état actuel de la France inondée par le jésuitisme, et il termine cette .douloureuse histoire par cette phrase qui montre bien les tristesses et les amertumes de son âme : « Pauvre Église de France, qui du temps de Bossuet était la plus illustre de la catholicité par les vertus et les talens, à quel état déplorable elle est réduite ! »
Grégoire publie des observations critiques sur l'ouvrage de M. de Maistre intitulé : De l'Église gallicane dans ses rapports avec le souverain pontife. Le mémoire est violent, il ne discute pas, il insulte ses adversaires... « Ce sont d'aveugles et coupables pharisiens qui calomnient l'Évangile. Ils se sont faits chevaliers du trône et de l'autel... Qui pourrait ne pas sourire de pitié, quand de Maistre adresse ses condoléances au clergé concordaliste d'avoir été, sous Napoléon, exposé aux antichambres... Son ouvrage sur l'Église gallicane est un tissu de déclamations, de contradictions, de paradoxes, de paralogismes... Les exposer c'est les réfuter. »
1828. - Il fait imprimer, en 5 volumes in-8°, une troisième édition de l'Histoire des sectes religieuses qui sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les différentes contrées du globe, depuis le commencement du siècle dernier Jusqu'à l'époque actuelle (40). Ce livre, fruit de longues et intelligentes recherches, est certainement l'œuvre de prédilection, l'oeuvre maitresse de l'évèque. Durant plus de 30 années, il a étudié, avec cette énergie, cette passion, qu'il apporte à tout ce qu'il fait, la naissance, le développement, les caractères, la ruine des diverses sectes ; son immense érudition a réuni, dans un ordre plus ou moins logique, une foule de documents inédits, d'anecdotes, de citations du plus haut intérêt ; il y a des pages éloquentes, des scènes dramatiques, des pensées élevées et chrétiennes ; c'est l'histoire la plus complète, la plus originale des erreurs et des superstitions qui ont affligé l'humanité ; c'est le travail de ses dernières années. Je me borne à citer, avec le titre des 10 livres, qui comprennent 163 chapitres, quelques fragments relatifs aux contrées de l'Est et à l’évêché de Blois : 1er livre, 12 chapitres : Athéisme. Fêtes de la Raison. De l’Être suprême. Nouveau calendrier. Institution et chute des fêtes nationales et décadaires. « On tracera d'abord l'histoire de la subversion du culte catholique, en 1793, l'athéisme érigé en système, puis le culte prétendu de la raison remplacé par les fêtes de l'Être suprême et les orgies décadaires... » Que de révélations épouvantables sur les choses et les personnes ! « Chaque commune était en proie à la tyrannie d'une poignée de pervers, qui composait rarement le centième de la population,... qui punissait par les cachots ou la mort les soupirs des opprimés... Partout les persécuteurs s'emparent des églises, les dévastent, inscrivent au frontispice : « Temple de la Raison », parce qu'on y boit, on y danse, on y chante des couplets immondes... Barbier, agent national à Dieuze, invite les communes du district à remplacer les idoles des prêtres par les bustes de Marat et de Robespierre... A Sarreguemines, l'agent écrit : « Autrefois on s'engouait pour les calotins et leurs orviettes, aujourd'hui l'aimable Raison, l'équerre à la main, dirige les citoyens... » Vomis par les comités de salut public et de sûreté générale, la plupart des députés en mission, si justement appelés proconsuls, parcourent les départements, précédés par la Terreur, escortés par la hache des supplices... A Nancy, le 30 brum. an II, à la fête civique, au temple de la Raison, Brisse, maire de la ville, fit l'éloge d'apostats connus... Le député Faure prit le calice de l'évêque, le fit remplir de vin et but. à la République, les corps constitués en firent de même (41)... A Châlons-sur-Marne, le char de la féodalité, rempli de vêlements sacerdotaux, est trainé par des ânes mitrés,... on y voit le pape et deux cardinaux ; des hommes armés de haches enlèvent le pape, ils l'attachent au char de la liberté, ils jettent au feu les ornements du culte, en présence du proconsul ordonnateur de la fête... Je n'ai pu m'assurer si, à Blois, on a fait fouler l’Évangile aux pieds de la fille, qui joua le rôle de déesse de la raison... A Lunéville (14 brum. an II), Benoît, l'aîné, dresse le plan d'une fête civique, il y rappelle l'existence de Dieu... Un garçon de 12 ans, le casque en tête, le sabre en baudrier, avec un drapeau surmonté d'une hache et d'un coq, représentera la France ; sur un char attelé de quatre chevaux, deux jeunes filles, grandes et bien faites, couronnées de roses et de feuilles de chêne..., représenteront la liberté et l'égalité... Quatre desservants porteront deux cassolettes de parfums à l'honneur de l'Éternel,... douze autres, tous en lévites, un bramine ayant sur sa poitrine une prière philanthropique, fera, à chaque station, une prière à voix haute, après qu'on aura chanté en chœur l'hymne national. - Chaque jour voyait éclore un décalogue républicain, un credo républicain tissu de blasphèmes ; l'administration de la Haute-Saône envoyait à ses administrés le Pater de Félix Nogaret. - Grandidier, de Moyen-Vic, publiait la messe nationale des Français dédiée à Pie VI ; dans la pièce finale qui correspond à l'Évangile saint Jean, Voltaire est l'envoyé de Dieu (42) ... - Le journal républicain de la Meurthe publie (29 flor. an II) une prière patriotique à l’Être suprême : « O toi, à qui nous parlons debout pour ne point avilir ton ouvrage et nous approcher de ces globes célestes que tu fais rouler sur nos têtes ...» la fête de Commercy (20 prair. an II), le maire Arnould déclare que l'Être suprême ne prit jamais intérêt aux gestes, aux génuflexions, aux habits des prêtres... A l'issue de la fète, un exercice eut lieu à l'institution littéraire ; un élève fit un discours dans lequel il dit qu'en lisant Robespierre, Saint-Just, Collot d'Herbois, on croit entendre des oracles ; la Grèce les aurait pris pour des dieux. Le ministre de la police, Duval, avait écrit au commissaire central de Loir-et-Cher pour s'informer s'il était vrai que l'évêque Grégoire défendait de transférer le dimanche... J'en fus informé confidentiellement, je fis répondre qu'il circulait contre la translation non pas un écrit, mais deux et qu'au besoin ils seraient suivis d'un troisième... - L'empereur Julien n'eût été qu'un novice sous la Convention et sous le Directoire (43), qui a raffiné en astuces et en perfidies... Quels moyens ont été employés pour établir leurs fêtes ? Les promesses, les flatteries, les menaces, la fourberie, l'imposture, le pillage, les amendes, la confiscation, les cachots, l'exil, la déportation, l'échafaud... Le message du Directoire au Corps législatif dans la guerre contre le dimanche accéléra leur chute... Le 7 thermidor an VIII, un arrêté des consuls déclare que les décadis sont les seuls jours fériés reconnus par l'autorité,... mais que les simples citoyens ont le droit de vaquer à leurs affaires et de choisir leurs jours de repos... Dès ce moment, les décadis tombèrent en désuétude, ils furent un objet de risée... Les cerbères décadistes, qui grinçaient les dents, firent encore insérer quelques diatribes a ce sujet dans les gazettes, mais l'indignation générale les réduisit au silence et, grâce au gouvernement consulaire, le décadi, après a voir végété pendant sept ans, expira au mois d'août 1800... Destiné à nous rappeler la résurrection de Jésus-Christ, sorti victorieux du tombeau, le dimanche est sorti victorieux d'une persécution auparavant inouïe dans les fastes du christianisme. »
Livre II. 6 chap. - Histoire de la philanthropie depuis sa naissance jusqu'à son extinction : « Ad nihilum devenient tanquam aqua decurrens... Chap. Ier. Exposé de doctrines : les incrédules ont voulu édifier et réduire à des formes liturgiques ce qui n'avait été qu'une vague théorie, on va lire les détails de cette entreprise... Ch. II. Tentatives pour établir le déisme sous la forme de culte public à Londres, à Berlin, à Rotterdam, en Amérique... Ch. III. Le déisme à Paris. On fixe communément à l'an V la naissance de la théophilanthropie, quoique, sous un autre nom, elle eût été introduite auparavant,... n'était-ce pas la même chose que la fête du 20 prairial 1794, où Robespierre pérora ? Les théophilanthropes veulent partager avec les catholiques l'usage de Notre-Dame, un prêtre apostat exhibe un arrèté de l'administration du département (6 pluv. an VI). Le comité des administrations catholiques de Notre-Dame refuse, pénétré de ce principe qu'il n'y a rien de commun entre Jésus-Christ et Bélial, il abandonne le choeur et se retire dans la nef... Ch. IV. Schisme parmi les théophilanthropes ; ils ont des écoles des deux sexes, des feuilles périodiques... L'ex-directeur Lareveillère-Lépeaux était le patriarche de la secte, c'est à quoi Boulay faisait allusion dans un discours aux Cinq-Cents : « Il n'y avait pas de liberté religieuse, quand un fanatisme nouveau aussi intolérant que le premier cherchait à élever sur les ruines des idées reçues, une religion nouvelle, dont le burlesque pontificat était dans le Directoire même. » Ch. V. Le culte philanthropique dans. les départements. A Metz, à Fontainebleau, dans presque toutes les villes, on propose d'établir la théophilanthropie ; le procureur-syndic, à Nancy, adresse aux citoyens une circulaire où il déploie son éloquence contre le fanatisme qui, depuis tant de siècles, a été la plate-forme et la cuirasse d’un clergé despote, tyrannique, scandaleux, hypocrite, charlatan, turbulent, le foyer de toutes les atrocités, et il espère que, le peuple n'hésitera pas à accepter la religion nationale, que lui offrent la raison et nos lois nouvelles : .. Malheureusement pour M. Jeandel, le peuple de Nancy et des environs a voulu et il veut rester catholique... Lorsque la secte cessa d'être appuyée par l'autorité civile, son crédit s'éteignit comme un éclair et l'opinion publique en fit une justice prompte et méritée... Le Mercure français (20 niv. an VI) prétend que, malgré les prédictions de Grégoire, la théophilanthropie aura une longue durée... Le 29 vend. an X, un arrêté des consuls défend aux théophilanthropes de se réunir dans les édifices nationaux... Ainsi s'éteignit, à Paris, sans trouble et sans bruit, après cinq ans d'existence, ce culte qui, dans les départements, n'eut qu'une consistance momentanée... Pauvre raison humaine ! boussole qui décline sans cesse! à quelles aberrations n'est-elle pas en proie, quand l'orgueil veut secouer le joug de la Révélation ! »
Livre IlI. 29 chap. - Il y en a de très curieux. Ch. IV. Sectes établies ou fomentées par les femmes. Ch. X. Les fanatiques des Cévennes. Il est très sévère « pour les extravagances sanguinaires des prétendus prophètes, Vivens, Brousson, Cavalier, qui successivement gardeur de porcs, puis garçon boucher, devint le chef le plus redoutable du parti. » Ch. XI. Les cordicoles. Le Sacré-Coeur est, pour lui, « l'emblème d'un parti, dont les coryphées audacieux, dénaturant la religion, qui les désavoue et. les condamne, veulent en faire un instrument politique, pour consacrer le despotisme et asservir les nations. » Ch. XX. Francs-maçons. « Les sociétés secrètes ont causé de l'ombrage à la religion et à la politique... est peut-être ce qui porta Frédéric Il et d'autres princes à se faire initier. Les francs-maçons, républicains en 1793, impérialistes sous Bonaparte, sont royalistes depuis 1814. » (Ch. XXI-XXIX). Anti-concordatistes ou blanchardistes, clémentins, purs, puristes, parfaits, petite Église, louisistes.
Livre IV. 42 chap.- C'est un essai sur l'idolâtrie politique ou basileolâtrie. Il s'élève avec indignation contre la déification des princes, le prétendu sacerdoce des rois, les privilèges qu'on leur accorde au sujet des mariages, des divorces, des baptêmes, des bâtards ; il déplore le caractère adulateur du clergé, des savants, des articles et gens de lettres envers Napoléon, puis à l'égard des Bourbons.
Liv. V. 13 chap. - C'est une histoire complète des sectes judaïques ; il y développe les idées de la thèse qu'il a soutenue en 1779, il y expose l'état actuel du judaïsme et il constate un grand nombre de conversions, soit au protestantisme, soit au catholicisme.
Liv. VI. 26 chap. - État des églises grecque et russe ; sectes qui en sont issues ; considérations sur les sectes chrétiennes de l'Orient... Sévère pour les missions protestantes, il exalte les services que la congrégation catholique de la Propagande a rendus non seulement à la religion, mais encore aux sciences et aux lettres ; il fait un bel éloge des hommes apostoliques, qui dévouent leur vie à répandre l'Évangile chez les peuples barbares... Il expose l'organisation hiérarchique du clergé grec non uni,... il raconte ses tentatives pour réunir les Églises grecque et latine et les causes qui ont fait échouer un projet d'une si haute importance. Un sentiment de douleur profonde contriste son cœur lorsqu'il cite la dernière phrase de la lettre que lui adresse le métropolitain de Moscou : « Parvenu au terme de ma carrière, il ne me reste qu'à former des vœux pour la paix de l'Église et le salut des fidèles. »
Liv. XII. 15 chap. - Il retrace l'histoire de l'Église anglicane, fille de Henri VIII, création politique plus que religieuse ; il signale les préventions, la haine, les calomnies anglaises contre les catholiques en général et contre ceux des trois royaumes.
Liv. VIII. 15 chap. - Il passe en revue les doctrines des dissidents ou séparatistes d'Angleterre, d'Écosse, des Etats-Unis d'Amérique, les puritains, les presbytériens, les quakers, les trembleurs ; il flétrit surtout la corruption des vrais imitateurs du Christ, dont « le titre ne peut être qu'une usurpation sacrilège ».
Liv. IX. 29 chap. - II décrit, avec les détails les plus curieux, les sectes des baptistes, des anabaptistes, des arméniens, des labadistes. « Comme prêtre catholique, comme ministre protestant, Labadie avait montré toujours beaucoup de propension à diriger les dévotes... Une foule d'anecdotes scandaleuses prouvent qu'il commençait par l'esprit et finissait par la chair... Il réunit une petite église à Middelbourg... Anne-Marie Schurman, suivit partout ce prêtre apostat., qui mourut entre sesbras, à Altona, en 1674. L'histoire des mammillaires et celle des consistoriaux terminent la longue série de tant de sectes, « qu'on accuse d'avoir caché sous un voile religieux les abominations de la lubricité ». Il traite la question complète de tolérance religieuse et de tolérance civile. - Ce livre comprend des controverses sur les matières religieuses du XVIIIe siècle, sur l'importance et la durée du christianisme, sur la secte des incrédules. « Quelle garantie cet homme sans religion aura-t-il de la fidélité de son épouse, de l'obéissance de ses enfants, de la fidélité de ses domestiques?... A la fin du siècle dernier, la France a fait une terrible et lugubre expérience : les suicides multipliés, les tribunaux révolutionnaires établis, les cachots remplis d'innocents, la guillotine en permanence, l'invitation légale aux prêtres de se parjurer, l'autorité paternelle avilie, le libertinage encouragé, 5,996 divorces dans la seule ville de Paris, pendant les 29 premiers mois de la loi qui les autorisait, en un mot, ce que le vice a de plus obscène et la férocité de plus épouvantable, tout cela coïncide avec l'époque où le culte public fut aboli. »
Liv. X. 8 chap. - Il affirme en terminant la perpétuité de la foi chrétienne : Jésus-Christ était hier, il est aujourd'hui, il sera de même dans tous les temps. Enfants dociles de l'Église catholique, nous savons qu'il a promis d'être toujours avec elle, jusqu'à la consommation des siècles... «Le ciel et la terre passeront, mais ses paroles ne passeront pas. » A la page 350, on lit : « Il n'y a qu'un Seigneur, une foi, un baptême, il ne peut exister qu'une religion véritable, puisque la vérité est une comme l'a dit Celui qui est la vérité même,... il n'y a qu'un bercail, dès lors qu'une voie pour arriver au ciel,... l'unité religieuse repoussera toujours cette tolérance religieuse ou plutôt irréligieuse qui serait un amalgame incohérent et coupable de l'erreur et de la vérité, de la sagesse et de ]a folie, de la lumière et des ténèbres... La conscience est une forteresse où le magistrat ne peut pénétrer, l'orthodoxie et l'hérésie sont hors de sa compétence, tout ce qu'il peul, tout ce qu'il doit concernant le culte extérieur, c'est d'empêcher qu'on ne le trouble et qu'il ne trouble... Principe irréfragable que je proclamais au sein de la Convention, où je fus assailli par une tempête d'imprécations et d'outrages, le 1er novembre an III. »
1829. 5 janvier. - Le curé Simonin, l'un de ses correspondants les plus intelligents, le tient au courant des nouvelles ecclésiastiques ; il se plaint de l'évêque de Forbin-Janson... « On fait de lui un janséniste, un jacobin... La retraite, au séminaire, est prêchée par un jésuite. » Il le remercie de ses libéralités, de sa bienveillance ; il l'appelle « le protecteur de la veuve, l'appui des infortunés, il s'excuse d'abuser de sa bonté pour en faire un homme d'affaires». Le curé d'Eulmont le prie de tenir sa lettre secrète : « Oh ! si l'on savait que j'ai l'honneur de vous écrire ! »
9 avril.- L'abbé Jennat, dans une lettre que je voudrais citer en entier, lui rend compte de l'emploi des sommes qu'il a reçues pour ètre consacrées à des bonnes œuvres. Il entre dans les plus petits détails, c'est un décompte en règle ; il lui reste 745 fr., il y a 50 fr. pour un pauvre séminariste... Il parle de l'asile des vieillards du Lunéville, auquel lui-même destine la majeure partie de son avoir. J'ai dit, dans la première partie, mes relations avec ce vénérable abbé, qui terminait ses lettres à l'évêque par cette phrase : «Toujours et toujours, très respectable ami, votre humble et bien dévoué serviteur. »
1830. 9 janvier. - Il publie, dans la Gazette des Cultes, un article fort curieux sur la légitimité du serment civique, sous ce titre : « Appel à la raison par un proscrit. »
7 février. - M. Quérard lui écrit qu'il a trouvé dos publications que « le respectable prélat. ne lui a pas signalées, dans l'article bibliographique qu'il a bien voulu lui adresser ».
8 février. - M. Lerouge, un bibliophile de Commercy, remercie l'évêque de lui avoir envoyé 100 fr. à partager entre un pauvre prêtre et une pauvre religieuse, dont il lui a signalé la misère.
29 juillet.- « A Passy, les balles de juillet faillirent le tuer » , dit M. Carnot ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles réveillèrent chez lui les passions révolutionnaires. Il ne fait pas partie de la Chambre des pairs, on le craint, comme les conventionnels proscrits, que l'on se borne à rappeler en France. Le 6 août, il écrit à l'estimable et savant Constancio, ancien ministre du Portugal, en Amérique. Il rappelle les mauvais jours de l'Empire, il insulte la Restauration... « Au despotisme de la gloire payée chèrement, succéda celui de la stupidité, et de l'hypocrisie... J'applaudis, comme vous, à cette jeunesse française radieuse de courage et de talens, mais peu soucieuse de ceux qui l'ont précédée dans la politique, elle les circonscrit dans ce qu'elle appelle la gérontocratie et leur imprime une teinte de ridicule contiguë au mépris... A quelques exceptions près, la France est gouvernée par l'émigration ecclésiastique et nobiliaire, par le jésuitisme et l'ultramontanisme, par des hommes qui ont, sous toutes les bannières, arboré toutes les couleurs et professé toutes les doctrines. » Il n'est pas « parmi les faiseurs », il n'a pas foi dans les hommes qui vont s'occuper de notre avenir, il voit parmi eux une foule de gens qui, en 1819, ont abandonné lâchement la cause du député de l'Isère ou l'ont accablé d'outrages. « Vétéran d'âge et d'expérience, je suspens mon jugement... Commencée à Passy, cette lettre que j'achève à Paris, a été sept ou huit fois interrompue, griffonnée à la hâte, c'est une marqueterie de pièces incohérentes... » Je n'ose pas dire que cette appréciation est sévère.
1er octobre. - Il publie des « Considérations sur la liste civile ». Le régime républicain est le plus économique,... « la liste civile doit, comme le budget, être votée annuellement... Réconcilier la liberté avec la royauté, c'est une tentative au succès de laquelle j'applaudirais... Puisqu'on nous promet une monarchie démocratique, tâchons d'en eflacer les anomalies et d'en rectifier les imperfections ; tel est le but de cet opuscule dicté par l'amour de la patrie et non par une intention hostile. » Rien cependant de plus hostile que cet opuscule, qui se vend au profit des blessés des 27, 28 et 29 juillet ; c'est le style de 1793 ! Une seule citation : « Les décombres du Directoire, de l'Empire et de la Royauté sont un mobilier qu'on peut acheter ou louer... pour ces Janus à trente faces, un gouvernement n'est qu'une ferme à exploiter, une cure à partager... On a royalisé l'hypocrisie, la déception, le parjure,... à tel point que parole de roi et parole punique sont à peu près synonymes... »
6 décembre. - Lafayette donne sa démission de commandant en chef de la garde nationale ; Grégoire lui écrit : « Mon cher ancien collègue et ami, après avoir lu ce qui vous concerne dans la séance d'avant-hier, à la Chambre des députés, j'éprouve le besoin de vous exprimer mes sentimens d'estime et d'amitié... Dans toute organisation politique, autorité municipale et garde nationale sont des élémens essentiels. » Le vieux général vint visiter, à son lit de mort, l'ami qui ne l'avait pas défendu, le 20 juin 1792, lorsqu'il fut mis hors la loi pour avoir tenté de faire sortir le roi de Paris.
1831. 2 mai. - Atteint d'une maladie cruelle, un sarcocèle carcinomateux, le vieillard ne se fait aucune illusion ; la mort est proche, il l'attend avec la sérénité et la résignation d’un chrétien. Ici, les dates ont une grande importance, je les suivrai exactement. On appelle l'abbé Euvrard : l'évêque se confesse, il exprime le désir de recevoir le Saint-Viatique et l'Extrèrne-Onction des mains de son propre pasteur.
4 mai. - L'abbé Baradère, qui depuis quinze ans est le familier de l'évêque, se rend au presbytère de l'Abbaye-aux-Bois : le curé, accompagné de son vicaire, M. Lacoste, accourt au chevet du malade ; il exige une rétractation du serment, un acte spécial d'obéissance à la discipline et à la doctrine de l'Église. Une discussion théologique s'engage, le vicaire disserte longuement et avec vivacité. Le vieillard réplique : il signera la profession de foi de Pie VI, il répondra aux questions du rituel, mais ce serait pour lui un péché mortel de désavouer un acte accompli après mûr examen ; il se plaint de l'attitude peu convenable du jeune abbé : « Si la nécessité où vous me réduisez de recourir pour les sacremens à un prêtre étranger, cause du scandale, il retombera sur ceux qui y auront donné lieu. » Le curé se retire en exprimant le regret que ses conditions soient refusées. Une heure après, l'abbé Baradère, absent au moment de l'entrevue, est à la cure ; on le prie au nom de la religion, au nom de la paix publique, d'obtenir une rétractation écrite ou du moins une copie du testament, où Grégoire a affirmé sa soumission ; si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, il sera impossible de l'administrer et d'ouvrir l'église à sa dépouille mortelle. Baradère promet une copie du testament et il dépose un celebret, délivré en 1804. « Licentia celebrandi missam. Joannes-Baptista du Belloy presbyter cardinalis... Archiepiscopus parisiensis concedimus magistro Henrico Gregorio episcopo, licentiam celebrandi missam in nostro diocesi, de consensu rectorum... » Le vicaire va immédiatement soumettre la question à l'archevêque ; la réponse ne se fera pas attendre.
5 mai. - La nuit a été mauvaise ; le jour à peine commencé, l'abbé Guillon, aumônier de la reine, est introduit ; il a été appelé par le malade, qu'il ne connaissait pas ; voici son récit : « Le vieillard, épuisé par l'âge, par les souffrances, par les plus pénibles émotions, mais toujours ferme dans son langage, fixa sur moi ses yeux baignés de larmes, me tendit la main, serra la mienne, je l'embrassai... Au récit détaillé fait en sa présence des démarches tentées à l'Abbaye et à l'archevêché, lui-mème mêlait ses observations... Il protestait de sa ferme résolution de vivre et mourir au sein de la religion catholique, apostolique et romaine... Il parlait sans amertume du refus persévérant opposé à ses instances, avec attendrissement du bonheur qu'il aurait de voir son premier pasteur et de recevoir de ses mains le gage de la réconciliation... Je m'étais prononcé, dès cette première entrevue, avec la franchise de mes principes catholiques... Je bornai mes engagements à l'offre de mes services auprès de mes supérieurs ecclésiastiques et de Leurs Majestés. Ils furent agréés. »
Le même jour, le curé et son vicaire viennent apporter à M. Grégoire un pli cacheté aux armes de l'archevêque ; ils n'insistent pas pour entrer, Baradère se charge du message, afin d'éviter au malade de nouvelles émotions. Voici quelques extraits de la lettre de Mgr de Quélen : Instruit de la stérilité des démarches du curé, il voudrait sortir de sa retraite pour aller lui tendre la main sur le bord de l'éternel abime ; il regrette, il déplore la désolante assurance avec laquelle il refuse d'abjurer des erreurs condamnées par l'Église universelle ; il ne rentrera pas dans une discussion plus d'une fois renouvelée et toujours inutile, il attend de la seule grâce de Dieu une conversion, qui, pour ètre tardive, n'en consolerait pas moins l'Église, qu'il a si longtemps contristée. « Je me transporte en esprit, auprès de votre lit de mort, je vous conjure à genoux, les mains jointes et lès larmes aux yeux, d'avoir pitié de votre âme, en rentrant dans le sein de l'ÉgIise catholique... Les âmes les plus ferventes prient pour obtenir pour vous cette grande miséricorde... Vous ne pouvez a voir seul raison contre le chef de l'Église et l'épiscopat tout entier... Priez donc avec nous, en toute humilité, mon cher frère, et vous verrez se dissiper les nuages qui jusqu'à cette dernière heure vous dérobent la vérité. »
6 mai. - Le malade réclame avec instances le Saint-Viatique. Voici le procès-verbal de la cérémonie signé par Baradère et approuvé par Grégoire. « L'auguste malade avait mis la mozette, le rochet, l'étole et la croix pastorale quelques moments avant de recevoir le Viatique... Après avoir humblement demandé à M. Baradère s'il avait quelque chose à lui prescrire, il dit qu'il était prêt à recevoir le bon Dieu... A près avoir récité avec nous les prières du rituel de Paris, M. l'évêque, sans y être invité, a fait, à haute et intelligible voix, sa profession de foi, en voici les traits les plus remarquables : Ministres des autels et vous chers assistants, je renouvelle Jes vœux de mon baptême... Je crois tout ce que l'Église catholique, apostolique et romaine croit et enseigne... Je me soumets d'avance de cœur et d'àme au jugement de l'Église sur mes écrits et mes actes... J'ai toujours agi d'après les inspirations de ma conscience, comme vicaire, comme curé, comme évêque... J'avoue néanmoins que les jugemens de Dieu m'effraient, mais ma confiance est entière quand je songe à sa miséricorde et aux mérites infinis de Jésus-Christ... Ici, M. Baradère a arrêté le malade épuisé ; après un repos de quelques instants, il a récité le Confiteor et a reçu le Saint-Viatique avec tous les signes d'une parfaite componction ; les assistants se sont mis à genoux et ont demandé la bénédiction du mourant. »
7 mai. - Malgré les vives douleurs qu'il éprouve, le vieil athlète dicte une longue réponse à la lettre de l'archevêque ; il discute, il réfute, il y a de l'ironie, de l'amertume, mais je me garde d'apprécier, je cite : « Me tendre la main, quand vous me croyez sur le penchant de l'éternel abime est un acte de charité qui mérite toute ma reconnaissance... Je regrette infiniment que la nature des conditions que le respectable curé de l'Abbaye était chargé de me proposer ait rendu stérile une démarche que je m'étais empressé de solliciter...J'ai reçu le Saint-Viatique et j'ai l'heureuse certitude qu'en cas de besoin.je recevrai aussi l'Extrême-Onction... Je vois qu'il est impossible de nous entendre sur ces prétendues erreurs,... que vous me reprochez de soutenir avec une désolante assurance... Comme vous, je suis convaincu que, dans le sein de l'Église,... exclusivement, se trouvent les moyens d'obtenir cette couronne immortelle, objet de tous mes voux... Ma vie tout entière et mes ouvrages déposent assez de l'intégrité de ma foi pour que je me croie dispensé de l'injurieuse condition de proclamer de nouveau... les vérités d'une religion que je n'ai cessé de professer et de défendre et où j'ai la ferme conviction que Dieu me fera la grâce de mourir... Le pape et l'épiscopat n'ont pas condamné la constitution civile,... le bref de juillet 1796 est plus politique que religieux... Un grand nombre de pieux et savants prélats m'ont sonné la qualité d'évêque, que vous avez cru devoir supprimer dans vos lettres,... j'ai le droit et le devoir de soutenir la légitimité et la catholicité de mon serment jusqu'à ce que l'Eglise universelle ait prononcé,... jusque-là, je reste invariablement attaché à ma croyance comme à mon amour pour la chaire de Saint-Pierre si étrangement défigurée par les fausses décrétales et par les prétentions ultramontaines... Soyez sûr qu'ainsi que vous, je suis loin d'obéir à des considérations humaines,... pas plus qu'au temps où je défendais à la tribune la religion attaquée avec fureur,... et où le premier je réclamais l'ouverture de ces mêmes temples, dont on repoussera peut-être ma dépouille mortelle... Je voudrais m'arrêter là, mais j'éprouve le besoin de vous dire un mot de mes opinions politiques... Une circonstance de ma vie a été odieusement dénaturée : je n'ai voté la mort de personne... j'ai toujours cru et publiquement professé que la religion de Jésus-Christ était l'amie de la liberté... Ils sont bien coupables les ecclésiastiques qui mêlent la politique à la religion... C'est aux imprudences du clergé qu'il faut attribuer cette haine implacable, qui poursuit des prêtres d'ailleurs dignes de respect.... et ces destructions dont nous avons tant à gémir... L'introduction clandestine des jésuites, le fanatisme et l'ignorance du jeune clergé sont les véritables plaies de la religion... L'humilité que vous me recommandez me conduit à un rapprochement : deux criminels furent crucifiés aux cotés de Notre-Seigneur, votre modèle et le mien. L'un d'eux se tournant vers le Christ mourant,... vous connaissez le reste,... mais vous paraissez oublier que Jésus-Christ ne lui demanda ni amende honorable ni rétractation... Je réclame de l'un de ses disciples la même indulgence ; si elle m'était refusée, je n'en resterais pas moins plein de confiance dans l'infinie miséricorde de Dieu et j'en serais fâché pour moi et pour vous. » P.S. « Au milieu de mes souffrances, je n'ai pu donner à ces graves questions qu'un trop court développement..., je m'en réfère aux ouvrages où je les ai traitées à fond. » Il y a certainement, dans cette réponse, un désaveu de tout ce qui ne serait pas approuvé par l'Église, mais y a-t-il ce repentir et cette humilité, qui en eussent fait un acte vraiment chrétien ?
A la réception de cette lettre, dont Grégoire a paraphé toutes les pages et écrit de sa main la formule d'usage, l'archevêque adresse immédiatement à M. Baradère la note suivante : « M. Grégoire allègue sans cesse qu'il a fait par conviction tout ce qu'il a fait... On lui répond que l'Église ne juge ni ses intentions ni sa bonne foi,... elle en laisse le jugement à Dieu ; ... elle lui demande de condamner des actes qu'elle a frappés de ses censures... Qu'il se soumette non pour l'avenir, mais pour le présent, à la conviction de l'Église, dont le souverain pontife et les évêques sont les interprètes et les organes... Il ne peut y avoir de péché dans cette soumission, qui est un acte de foi. M. Grégoire ne risque donc rien de reconnaitre purement et simplement, d'esprit et de coeur, que, malgré ses intentions,... il a en tort, puisque l'Église le lui dit et qu'il se repent de lui avoir résisté... La règle tracée par le chef de l'Église doit ètre suivie à l'égard de M. Grégoire, sans âpreté,... mais sans faiblesse,... les conséquences nous les abandonnons à Dieu... Toutes les inventions de la charité doivent être employées, notre vie même doit être offerte, mais la sincérité, la franchise, doivent être aussi strictement observées... Il faut non disputer une formule avec le malade, mais la rédiger sans détour ; cette formule ne doit pas être vague, mais précise,... explicite, qu'elle exprime le repentir... Si Dieu, touché de nos prières et de nos larmes, a changé le coeur de M. Grégoire, il lui aura donné ces dispositions humbles et soumises qui prouvent sa conversion ; si, au contraire, il n'y a dans tout ceci que des négociations pour sauver les apparences,... le ciel ne sera pas réjoui du retour d'un pécheur, la terre ne sera pas pacifiée par un tour d'adresse... et notre ministère en sera déshonoré... D'ailleurs, j'ai une trop certaine opinion du caractère de M. Grégoire pour penser qu'il se prête à une démarche équivoque... Ah ! que ne peut-il lire tout ce que mon coeur éprouve de sollicitude pour lui ! que ne puis-je aller lui donner le baiser de paix et lui porter les paroles de la réconciliation ! »
8 mai. - Le dimanche matin, le malade est à toute extrémité, plusieurs journaux ont annoncé sa mort ; on appelle en toute hâte l'abbé Guillon : « Chaque moment pouvait être le dernier de cette longue et douloureuse agonie, l'évêque demandait avec ardeur l'extrême-onction ; pressé par ses ardentes sollicitations et par la déclaration explicite qu'il croit et approuve tout ce que croit l'Église, qu'il condamne tout ce qu'elle condamne, je ne vis plus dans le vieillard mourant que l'homme près du naufrage à qui toute sorte de mains jette la planche de salut, que le Samaritain tombé sur la route de Jéricho, qu'une âme à fortifier par un des plus puissants moyens de la religion. Je me rappelai et citai le texte précis du pastoral parisien, si conforme à la doctrine... de nos dix-huit siècles chrétiens : Si quis tamen infirmus... M. Grégoire répondit à tout, renouvela publiquement sa confession, prit Dieu à témoin qu'il mourait soumis a l'Église, à son chef, plein de foi, d'espérance et de charité. Une pareille profession de foi en ce moment décisif... pouvait-elle laisser le moindre doute ? Comment suspecter l'homme résigné, qui se compare au larron mourant à côté du Sauveur... et demande avec larmes à être déposé sur la paille et sur la cendre ?... » La cérémonie terminée, l'abbé Guillon en dresse un procès-verbal, dont les témoins, Baradère, Duples, Dutrône et Mesnard, attestent et affirment la sincérité, sur l'honneur et sous la foi du serment. « La conduite de l'abbé Guillon leur a semblé en tout conforme à la doctrine de l'Église, aux intérêts actuels de l'ordre public, du trône, du ministère ecclésiastique et de la religion. »
9 mai. - Par ordre de Grégoire, l'abbé Baradère informe l'archevêque que sa note du 7 mai n'a rien change à sa conviction : « Mr l'archevêque met en principe ce qui est en question... Il n'a jamais prétendu que la conviction et la bonne foi dispensent un catholique de se soumettre à l'instant au jugement de l'Église universelle... C'est par devoir et non pour sauver les apparences, qu'il a fait appeler le curé de la paroisse... Au terme d'une carrière de quatre-vingts ans, il ne joue pas l'éternité pour un vain sentiment d'amour-propre,... il a d'ailleurs reçu tous les sacremens spirituels que l’on s'obstine à lui refuser... Le salut du malade était le premier intérêt à consulter, si la discipline peut en souffrir, la charité, dit saint Augustin, devient alors la suprême loi. »
10 mai. - Par un dernier codicille, il institue Mme Dubois sa légataire universelle, MM. Raidot, Duples et Baradère, ses exécuteurs testamentaires : il lègue « au respectable Guillon tous ses livres suspects en diverses langues et son reliquaire ». Au sujet de ce codicille, il me semble nécessaire d'établir le chiffre réel de la fortune de Grégoire ; M. Dugast, l'un de ses biographes (1833), parle de ses dons aux pauvres, aux églises, il ne précise rien. M. Carnot, si bien informé d'ailleurs, n'est pas plus explicite ; M. de la Saussaye m'a répété ce qu'il a écrit dans son livre Blois et les environs, qu'il a laissé plus de quatre cent mille francs à l'Hôtel-Dieu de sa ville épiscopale (44). En présence de ces données contradictoires, j'ai dû recourir à des documents officiels et j'ai consulté les trois testaments de Mme Dubois. Le 11 juin 1831, « quelques jours après la perte douloureuse qu'elle a eu le malheur de faire,... son premier soin a été de disposer tant des biens qu'elle vient de recueillir, comme sa légataire universelle, que de ceux qui composent sa fortune personnelle. » L'acte est reçu par Mes Defresnes et Chaudron, notaires à Paris. L'évêque de Blois a laissé un mobilier d'une importance minime ; une somme de deux mille francs en argent, un prorata de fermage et de pension d'environ six mille francs ; un domaine affermé cinq mille francs et une rente cinq pour cent de deux cent quatre-vingt douze francs. Le 20 août 1831, Mme Dubois, en désaccord avec les exécuteurs testamentaires, « croit devoir révoquer les dispositions qu'elle a prises, par un testament nouveau dicté à Me Vavin, notaire à Paris. Un arrêt du tribunal de la Seine (10 avril 1833), confirmé par un arrêt de la cour d'appel (11 avril 1834), décide que Mme Dubois peul disposer de toute la succession de M. Grégoire, comme chose lui appartenant en toute propriété. Le 12 mai 1836, par un dernier testament dont j'ai une copie certifiée, Me Dubois spécifie ce qui a appartenu à Grégoire. Une rente de 292 fr. et un domaine estimé 148,472 fr., la valeur totale de sa fortune est de 437,503 fr. qu'elle lègue, par moitié, aux hôpitaux de Sens et de Blois, qui seront chargés de quelques legs, qui reproduisent ceux de son fidèle ami de 43 ans : à M. Wast, copiste de M. Grégoire, une pension viagère de 600 fr. ; à la paroisse de l'Abbaye-aux-Bois, 500 fr. en raison de ce que M. Grégoire en a exprimé verbalement le désir à ses derniers moments. Chacun de ces deux hôpitaux devra, à perpétuité, faire célébrer deux messes hautes, l'une le 28 mai, l'autre au jour anniversaire du décès de Mme Dubois ; ces deux messes, portées au registre des fondations de l'hospice de Blois, y sont dites encore chaque année. En 1881, le 17 février, à la commission de l'hospice, un membre s'étonne de ne pas voir le nom de Grégoire sur la liste des bienfaiteurs ; on lui répond que « Grégoire n'a rien donné personnellement, mais qu'une dame Dubois, originaire de l'Yonne, sa légataire universelle, a cru simplement devoir, en souvenir de lui, doter l'établissement d'environ deux cent mille francs... Tous deux ont un droit égal à la reconnaissance ; en conséquence, on décide que le nom de M. Grégoire, député à la Constituante, à la Convention, à l'Assemblée législative, ex-évêque constitutionnel de Blois, sera inscrit sur la liste des bienfaiteurs et que l'on apposera à la façade occidentale de l'hôpital, une table de marbre, avec ces mots, en lettres d'or : Pavillon Grégoire. Une polémique vive et passionnée s'engagea dans les journaux blésois, le conseil municipal refusa de donner le nom de Grégoire à la rue qui longe le pavillon. Ces détails et. ces chiffres ont une sérieuse importance, car on a accusé et on accuse encore l'abbé Grégoire d'avoir été, en l'an IX, l'associé des acquéreurs de l'abbaye de Saint-Martin (Orne), d'avoir reçu de l'argent des colonies et une pension de Saint-Domingue. La vérité, c'est qu'il a vécu, intègre et sobre, avec une sage économie, chez Mme Dubois ; à Passy, à Auteuil, à Paris, sa maison était ouverte toujours à ses amis, à ses compatriotes surtout. ; il aimait à rendre service, il consacrait à de pieuses libéralités, à des oeuvres de propagande religieuse ou politique le chiffre de sa pension. Je n'ai pas connu personnellement le curé d'Emberménil, mais j'ai entendu toujours affirmer, par ceux qui avaient eu des relations avec lui, la vérité de ce que M. Carnot a si bien raconté de sa vie privée à la fois austère et douce : « Le matin, lorsqu'il sortait de son oratoire... sa figure était radieuse et enjouée, jamais il ne semblait si heureux... Pendant tout le carême, il observait un jeûne sévère, ne mangeait qu'à midi un peu de pain et quelques fruits, à dîner son potage et un plat unique... Mais cette rigidité n'était que pour lui-même ; il y avait toujours sur sa table des plats au goùt de ses convives (45)... »
11 mai. - L'archevêque adresse au malade une nouvelle note ; il précise les conditions sans lesquelles il ne peut lui accorder les sacrements de l'Église durant sa vie et l'admettre à la participation des suffrages de l'Église après sa mort : M. Grégoire devra « clairement, formellement, sans déguisement, sans détour, abjurer les erreurs de la Constitution civile du clergé, dont il a été jusqu'à ce jour le fauteur, le propagateur et le défenseur, et les condamner parce qu'elles ont été condamnées par le Saint-Siège apostolique,... au jugement duquel les évêques, sauf quelques exceptions, qui ne sont d'aucun poids, ont adhéré,... en sorte que ce jugement doit ètre regardé... comme un jugement de l'Église universelle, encore qu'elle ne se soit pas prononcée en concile oecuménique... - Déplorer le schisme et l'intrusion dont il s'est rendu coupable... - Demander pardon à l'Église et au Saint-Siège de sa trop longue résistance... - Réclamer de leur indulgence la levée des censures qll'il a encourues... - Se soumettre à la pénitence qu'ils voudront lui imposer et réparer, autant qu'il sera en lui, le mal qu'il a fait par ses discours, ses écrits et ses actes... Puisse cette explication franche et claire ne laisser aucun doute sur les principes posés par M. l’archevêque... Daigne surtout le Seigneur éclairer M. Grégoire par une lumière de sa grâce,... de manière a ce qu'il se détermine à remplir des conditions sans lesquelles... il demeure toujours hors de la foi et de l'unité catholique, malgré les protestations vagues et générales de foi et de catholicité qu'il pourrait foire de vive voix ou par écrit. » Dans un post-scriptum, l'archevêque affirme, sons la foi du serment, qu'il a tenu la même conduite, il y a 18 mois, à l'égard de l'évêque constitutionnel de l'Aveyron, et qu'il a été approuvé par le Saint-Père. L'abbé Baradère n'osa pas placer sous les yeux du malade les termes de cette note ; il se borna a lui en faire un résumé ; Grégoire fut d'avis de ne pas y répondre.
14 mai. - L'abbé Guillon se rend chez l'archevêque, il lui expose les motifs de sa conduite, il lui offre de l'introduire dans la chambre du moribond, dont la tête est encore saine. - Mgr de Quélen y consent, mais, durant ln nuit, il change d'avis, il charge le curé de l'Assomption de le remplacer. La scène fut pénible, on discuta, on ne décida rien : « Si je pouvais, dit le curé, donner à Monseigneur quelques espérances, il viendrait vous voir. Je suis très sensible a l'honneur que M. l'archevêque voudrait me faire, je vous prie de lui en témoigner ma reconnaissance,... mais je mourrai, comme j’ai vécu, fidèle à mes principes... S'il vient je le recevrai avec plaisir, mais je ne pourrai que lui répéter ce que je viens de vos dire... Au surplus, il est inhumain de tourmenter ainsi les derniers momens d'un vieillard, à son lit de mort ! »
15 mai. - Rien n'a pu modifier la résolution de Grégoire ; il signe le procès-verbal rédigé, le 9 mai. par l'abbé Guillon, mais il y ajoute cette note : « Je réitère au respectable Guillon l'expression de ma profonde reconnaissance et de mon attachement inviolable,... reconnaissant le droit et le devoir qu'il a d'expliquer, suivant ses sentimens et ses impressions personnelles, sa charitable conduite à mon égard, je déclare ici... qu'on n'en peut inférer de ma part aucune adhésion à ce que M. l'archevêque aurait voulu exiger. »
17 mai. - Le refus de sacrements, la menace de fermer l'église à la dépouille mortelle de l'ancien évêque de Blois, agitent l'opinion publique ; on craint des troubles, on parle de mesures pour maintenir l'ordre ; ses amis politiques protestent contre l'intolérance du clergé, ses ennemis insultent le vieux conventionnel, rebelle au pape et à l'Église. L'abbé Desjardin, vicaire général, écrit à M. Baradère : « M. l'archevêque est tourmenté d'apprendre l'état d'angoisse et l'imminent danger de M. Grégoire, il voudrait aller lui offrir encore et de vive voix les secours et les consolations de la charité la plus ardente et la plus compatissante. J'allais porter au malade l'expression de cette sollicitude... Mais on me représente qu'il est sans connaissance, que je ne serais pas admis... Chargez-vous donc de tout tenter pour obtenir son adhésion aux brefs de Pie VI et de Pie VII... » L'abbé Baradère répond sur-le-champ : « Il n'est que trop vrai, M. Grégoire est mourant, sans connaissance depuis trois jours... Il ne saurait correspondre à l'expression de votre sollicitude, vos prières seules peuvent en ce moment lui être utiles, devant Dieu... Les graves motifs qui ont déterminé M. Guillon à lui administrer le sacrement des mourants et le délire qui agite le malade, depuis trois jours, pendant lesquels la grâce peut agir sur son ceur, devraient vous porter à lui ouvrir les portes du temple après sa mort... Il ne comparera pas à l'athée Lalande, à l'impie Volney, qui ont été enterrés avec toutes les cérémonies religieuses... un homme qui par ses vertus chrétiennes a édifié, étonné tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher. »
28 mai. - L'anéantissement est complet, toutes les facultés ont disparu, la nuit précédente ; la respiration gênée présage une catastrophe ; à quatre heures après midi, sans secousse, sans effort, Grégoire s'éteint, à l'àge de 80 ans, 5 mois et 24 jours. « Personne, dit l'abbé Baradère, n'a vu la mort avec plus de sang-froid, plus de résignation... pas une plainte, qui ne fût une prière, ses yeux baignés de larmes se portaient d'eux-mêmes sur son crucifix... Il parlait de sa mort comme d'un événement ordinaire... Il nous pressait les mains... Mes amis ne vous attristez pas, soyez les consolateurs de ma bonne mère adoptive... Ce monde est un lieu de passage et d'exil. .. Je pouvais, comme tant d'autres, disparaitre au milieu des orages politiques, je meurs dans mon lit, entouré des secours de la religion, de la médecine, de l'amitié... Dans les plus fortes crises, il ne semblait occupé que de ceux qui l'entouraient... Dans son délire, il parlait des Haïtiens... Sa douloureuse agonie dura trois jours, on n'a pu recueillir que des paroles incohérentes, quelques versets de psaumes... Il répétait souvent : In manus tuas commendo... Urbs Jerusalem beata... Ses yeux éteints se portaient encore vers le crucifix, par fois il tendait les mains vers le ciel. ..» On avait religieusement exécuté tout ce qu'il avait demandé que l'on fit durant sa maladie ; MM. Dutrône et Duplès, conseillers à la cour, MM. Boyer père et fils, Lherminier et Fabré-Palaprat, ses médecins ordinaires , secondaient l'abbé Baradère dans les soins qu'il prodiguait au malade.
31 mai. - M. Carnot, qui a vécu dans l'intimité de Grégoire, qui a admiré sa naive et profonde piété, nous a raconté ses funérailles ; il a parlé de cette foule silencieuse et triste, qui se porte durant deux jours au domicile du défunt, qui, revêtu des habits épiscopaux, est exposè, la face découverte, dans une chapelle ardente, de ces amis de la liberté qui viennent rendre hommage au noble et persévérant champion de leur cause, - de l'imprudente opiniâtreté du clergé, qui n'a laissé dans l'église que les ornements les plus usés, de la vive fermentation qui règne dans la multitude, des jeunes gens qui détellent les chevaux du char funèbre et le trainent à bras jusqu'au cimetière, de ce cortège d'au moins vingt mille personnes, ouvriers, étudiants, décorés de Juillet, députés de l'opposition, anciens proscrits, - il nous a conservé le discours prononcé sur la tombe par le conventionnel Thibaudeau, qui l'appelle son collègue, son ami, son honorable complice ; - il ne semble pas frappé du contraste étrange qui résulte de ces paroles de haine et des violences de cette harangue impie, avec les pieuses espérances de ce vieillard, dont les testaments, qui résument si bien la vie morale et religieuse, affirment la charité et la foi, je ne dirai pas orthodoxe, mais chrétienne.
En Lorraine, on célébra sans bruit plus d'une messe de Requiem pour le salut de son âme ; j'ai vu des larmes dans les yeux de ses vieux et fidèles amis, lorsque je m'indignais devant eux contre les manifestations sacrilèges qui se produisirent, le 31 mai, au cimetière Montparnasse. A Haiti, à Saint-Domingue, sa mort fut un deuil public ; le président Boyer ordonna des prières solennelles dans toute l'étendue du pays.
La presse libérale attaqua l'archevêque avec violence ; M. Carnot l'accuse de fanatisme, il est tenté de voir dans sa conduite « une comédie politique : le clergé ultramontain veut répondre par une victoire gagnée sur l'illustre apôtre de la démocratie à l'aversion du peuple de Paris (1) .» Soyons plus justes : M. de Quélen épargne à son ministère une faiblesse coupable, il obéit à sa conscience ; ce qu'il fait pour Grégoire, il le fera sept ans plus tard pour l'un des chefs de l'Église constitutionnelle, l'évèque d'Autun, et ici, je ne puis m'empêcher de comparer la conduite du prince de Talleyrand à son lit de mort avec celle de l'évêque de Blois. - En 1823, l'archevêque avait en vain conjuré le prince de retourner à la foi de l'Église ; en 1838, l'heure de Dieu arrive. Plus heureux et plus habile que l'abbé Baradère, l'abbé Dupanloup est l'instrument de ses miséricordes. Au terme d'un grand âge, après une longue expérience, le diplomate ne discute pas, il adresse au souverain Pontife des déclarations brèves, précises, complètes : il blâme l'égarement et les excès du siècle auquel il a appartenu, il condamne franchement les graves erreurs qui ont troublé l'Église de France et auxquelles il a eu le malheur de participer... Jamais il n'a cessé de se regarder comme un enfant de l'Église ; il déplore les actes de sa vie, qui l'ont contristée, ses derniers vœux sont pour elle et pour son chef suprême... Le Saint-Père, dans sa justice, daignera apprécier toutes les circonstances qui ont dirigé ses actions... Il s'en rapporte en tout à l'indulgence et à l'équité de l' Église et de son vénérable chef (46). - 1832. Un grave conflit s'élève entre les exécuteurs testamentaires : Mme Dubois accuse Baradère d'avoir soustrait la croix et l'anneau de Grégoire ; elle obtient de faire ouvrir le cercueil ; le 17 février, au cimetière du Sud, un commissaire de police dresse un procès-verbal d'exhumation et de réinhumation du corps... « l'anneau pastoral n'est pas au doigt du défunt..., la croix est d'une forme différente de celle dont il a le signalement... » Le dossier de cette triste affaire est à la bibliothèque de Nancy (C. 534).
1832, mai. - Dans son rapport, le secrétaire de l'Académie de Stanislas, à Nancy, annonce, en ces termes, la mort de notre confrère : « Depuis sa dernière communication, l'Académie a perdu M. Grégoire (le comte), ancien évêque de Blois et sénateur, auteur d'un grand nombre de savants écrits sur des sujets de philanthropie, de religion et de politique. »
Ma tâche est terminée, Messieurs ; dans ce simple exposé des discours, des écriys, des actes du célèbre abbé, je me suis efforcé de ne rien omettre d'important, de ne rien dire que de vrai. Plus tard, si vous le permettez, je résumerai, en quelques pages, mon opinion personnelle, et je vous dirai les divers jugements, dont il a été l'objet.


(1). Suite des deux Mémoires publiés en 1873 et 1883.
(2). Monit., 1794, n° 131.
(3). Mém., t. I, 341.
(4). Paris, Maison-Égalité, in-24, 68 p.
(5). Monit., 1794, n° 24.
(6). Il avait proposé à la commission des arts un projet de jardin de géographie pratique. Mém., t. I, 119.
(7). Monit,, 1794, n° 258.
(8). Monit., 1794, n° 260.
(9). Mém., t. I, 345. « 0n faisait main basse de toutes parts sur les livres, les tableaux, les monuments ... ; tels furent les excès qu'enfin il me fut permis de parler, on consentit au comité à ce que je présentasse à la Convention un rapport contre le vandalisme, je créai le mot pour tuer la chose. »
(10). Ce manuscrit de Richer est à la Bibliothèque nationale. F. latin, 10016.
(11). Monit., 1794, n° 12.
(12). Mem., t. 1, 354-355.
(13). Arch. de Nancy, ventôse.
(14). Monit., 1794, n° 81.
(15). Gazier, Rev. hist., 1881.
(16). Mem., t. II, 54.
(17). Brochure in-8°, imp. chrétienne.
(18). Mém., t. II, 70.
(19). Hist. des sectes rel., t. I, chap. 2, 3, 5, 8.
(20). A Paris avant le 9 thermidor, 200 prêtres accusés de propos fanatiques, sont guillotinés, 100 avaient prêté le serment. Grégoire a écrit de sa main un catalogue des curés et ecclésiastiques lorrains déportés ou guillotinés ; il a classé ces martyrs de la foi, pat lettre alphabétique ; il en compte 262 (Bibl. cart. 533.)
(21). Mem., t. I, 355, 20 fruct.
(22). Men., t. II, 9.
(23) V, 1re partie, 27-58.
(24). Taine, ch. III.
(25). Mém., t. II, 95-96.
(26). Mém., t. IV, 93.
(27). Mem., t. I, 436.
(28). J'ai réuni plus de cent documents imprimés ou manuscrits relatifs à l'histoire du schisme en Lorraine (1793 à 1802) : lettres pastorales, mandements, discours, éloges funèbres, procès-verbaux des synodes de la Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle, et j'y ai constamment trouvé l'influence de l'évêque de Blois.
(29). Mém., t. Ier, 117-125.
(30). Non, c'est Malherbe.
(31). Sainte-Beuve, dans son Histoire de Port-Royal est injuste pour cette brochure « intéressante en somme, mais pleine de raits entassés pêle-mêle ».
(32). Monit., 1819, 7 décembre.
(33). Jour, de Sonnini, 27 février 1791. « Au collège électoral de Saint-Dié, l'opinion se réunit d'abord sur M. l'abbé Grégoire, mais on apprit qu'il y avait unu combat très vif entre plusieurs départements pour savoir à qui resterait l'honneur de récompenser son civisme. » Le même journal, le 10 avril 1790, publiait ces vers sur l'abbé Grégoire
Des charmes de la bienséance
Il embellit tous ses momens,
Son coeur répond à sa science
Et ses vertus égalent ses talens.
(34). Paris, in-8°.
(35). In-8°,48 p., 1 fr. 50. En 1826, nouvelle édition in-18. 1 fr. Traduction en toutes les langues, même en russe.
(36). Mem. de l'Académie, 1838.
(37). Le chanoine de Toul, E. Machon, témoin des misères de notre pays, exprime dans les mêmes termes son mépris pour Charles IV.
(38). 1 vol. in-8°, 192 p., 3 fr, Traduit en espagnol, in-12, 6 fr.
(39). En 1846, M. Carnot publia le VIe volume.
(40). Jai lu à la bibliothèque de Nancy un procès-verbal de cette fète. (In-4° de 14 p.) V. aux archives de la ville de nombreux documents sur ces orgies.
(41). Grandidier avait envoyé ce pamphlet à Grégoire qui a écrit en marge : « Pièce impie. » Voici des extraits du premier et du dernier évangile : « En ce temps-là, la stupidité des peuples engendra les rois, la mollesse des rois engendra le luxe... le luxe engendra le déficit, le déficit engendra l'Assemblée nationale, l'Assemblée engendra la prise de la Bastille, la prise de la Bastille engendra l’abolition de la royauté, l'abolition de la royauté engendra la République, de laquelle naitra la félicité du peuple français. Il a été un homme envoyé par le Seigneur, cet homme s'appelait Voltaire ; il n'était pas la liberté, mais il en était le précurseur et l'apôtre... »
(42). Il attaque surtout François de Neufchâteau qui, ministre, envoie aux fonctionnaires la Contagion sacrée du baron d'Holbach. « L'impiété, descendue aux excès les plus immondes, inonda les départemens de productions athées. On distribuait le Bon sens du curé Meslier, même aux femmes de chambre et aux valets... »
(43). Guide historique à Blois. In-12, 1855.p. 135.
(44). Mem., t. I, 246-253.
(45). Mém., t. Ier, 280-286.
(46). Vie de Mgr Dupanloup, t. I, ch. XV.

 

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