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Bail civil - Usage local à Avricourt - 1895
 


L’article 1736 du code civil est toujours en vigueur depuis sa rédaction de 1804 : « Si le bail a été fait sans écrit, l'une des parties ne pourra donner congé à l'autre qu'en observant les délais fixés par l'usage des lieux. »
Ce bail civil, dit aussi de droit commun, diffère aujourd’hui du bail classique, régi par la loi du 6 juillet 1989, qui s’impose désormais dans le cas d’une résidence principale (plus de 8 mois d’occupation par an). Mais le bail civil, défini aux articles 1713 à 1778 du code civil, peut toujours être utilisé dans le cas des bureaux, des entrepôts, des terrains à usage non agricole, de certains locaux commerciaux, des parkings et des garages, des résidences secondaires et des logements de fonctions destinés aux entreprises.

En 1895, la question du type de bail ne se pose pas : si aujourd’hui l’article 25-8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 s’avère plus protecteur pour le locataire en résidence principale, les seules dispositions du code civil continuent à s’appliquer aux cas évoqués ci-dessus, en l’absence notamment de bail écrit. On peut donc continuer à déduire du jugement ci-dessous :

  • que la notion d’ « usage des lieux » de l’article 1736 se réfère bien aux usages locaux, et non à l’usage qui est fait des lieux par le locataire. Ainsi, à Avricourt, il est d’usage pour les employés du chemin de fer, ou pour les douaniers, que le préavis du locataire soit réduit à un mois. Le tribunal considère ici qu’en terme d’équité du bail, « chacune des parties peut le faire cesser en donnant congé à l'autre, à condition de se conformer à l'usage des lieux ». Le bailleur dispose donc aussi d’un simple préavis d’un mois pour rompre le bail.

  • le paiement au trimestre du locataire ne change rien à l’application de l’usage local, puisqu’il n’est considéré ici que comme une facilité consentie par le bailleur à la demande expresse du locataire.

On ne sait comment serait tranché aujourd’hui un tel litige, mais il est envisageable que cet arrêt de la justice de paix de Blâmont, confirmé en appel par le tribunal de Lunéville, serait encore applicable dans le cas d’un logement de fonction loué, sans bail écrit, à un salarié qui disposerait par ailleurs d’une résidence principale dans une autre commune.


Bulletin spécial des décisions des juges de paix et tribunaux de simple police; recueil mensuel ... t.38-39 (1896-1897

Justice de paix du canton de Blâmont
(Meurthe-et-Moselle).
Président M. MARTIN, juge de paix.

21 juin 1895.
Louage - Congé. - Location verbale - Employé de chemin de fer. - Usage local. • Délai du congé. - Jardin accessoire de la location.

Lorsqu'il est d'usage constant et reconnu dans une localité que lorsqu'un douanier ou un employé de chemin de fer quitte son logement loué, non meublé, par suite de changement de résidence ou pour toute autre cause, il peut donner congé un mois d'avance, ce délai d'usage doit profiter aussi bien au bailleur qu'au preneur.
En conséquence, doit être validé le congé donné un mois d'avance par le propriétaire à son locataire, employé de chemin de fer, et ce, alors même que le locataire, pour ses convenances personnelles, paye son loyer par trimestre.
La location d'un jardin, simple accessoire du logement, cesse en même temps que celle de ce logement.
Ainsi décidé dans les circonstances que voici :
Le sieur Schmaltz, par exploit du 29 avril 1895, a signifié au sieur Guise, employé aux chemins de fer de l'Est, de sortir pour le 1er juin suivant d'un logement dans une maison sise à Igney-Avricourt, lui appartenant, et d'un jardin attaché à ce logement, et il a conclu aux fins suivantes :
« Attendu que ledit congé a été donné en temps utile, le bail verbal consenti à Guise étant par mois et moyennant un loyer mensuel de 25 francs; - Attendu que le défendeur a persisté à occuper son logement au mépris du congé à lui signifié; - Voir dire et ordonner que Guise sera tenu de vider les lieux, remettre les clefs, faire faire immédiatement les réparations nécessaires, sinon voir le (demandeur autorisé à faire procéder à l'éjection de ses meubles et effets, à séquestrer lesdits meubles et effets pour sûreté des réparations locatives qui seraient à faire et du payement des loyers courants; - Et attendu qu'il y a urgence, voir ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant opposition ou appel et sans caution; - Sous toutes réserves. »
Le défendeur a répondu et dit :
« Que le bail à lui consenti par Schmaltz l'a été pour une année, qui a commencé à courir le 1er octobre 1894 et moyennant un loyer annuel de 300 francs, payable par trimestre et non par mois, comme le prétend le demandeur, - Attendu, en effet, qu'il a payé jusqu'à ce jour son loyer par trimestre (75 francs), les 10 janvier et 14 avril derniers; Attendu que, s'il en était autrement, on ne s'expliquerait pas pourquoi Schmaltz n'a pas réclamé le loyer correspondant aux mois d'avril et de mai; - Attendu qu'il est impossible d'admettre qu'une portion de jardin puisse faire l'objet d'une location au mois ; qu'il est de toute équité que le locataire qui a cultivé et soigné le jardin puisse également le récolter; - Attendu que. toutes les circonstances de la cause démontrent jusqu'à l'évidence que le logement occupé par Guise ne lui a pas été loué au mois, mais bien à l'année, comme il le prouve; - Attendu qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de valider un congé qui n'a pas été valablement signifié, et qu'il ne peut être permis à l'une des parties contractantes d'un contrat synallagmatique de rompre, quand bon lui semble, les engagements qu'elle a valablement contractés; - Par ces motifs, déclarer Schmaltz autant non recevable que mal fondé en ses demandes, fins et conclusions, l'en débouter et le condamner aux dépens. »
Le demandeur a persisté dans ses conclusions et a répliqué que, s'il a été dérogé à la convention verbale. intervenue entre lui et Guise pour le payement des loyers, c'est sur la demande expresse de Guise, qui avait plus de facilité de payer par trimestre que par mois.
Le 28 juin 1895, jugement en ces termes :
« NOUS, JUGE DE PAIX : - Ouï les parties en leurs dires, explications et conclusions; - Vu notre jugement de remise du 21 juin 1895, dans lequel les faits sont suffisamment expliqués; - Vu l'article 1736 du Code civil et l'article 8 de la loi du 25 mai 1838; Attendu qu'il résulte des débats et des explications donnés par les deux parties, qu'au 1er octobre 1894 le défendeur est entré en jouissance d'un appartement non meublé, qu'il a loué verbalement du bailleur, moyennant un loyer de 25 francs par mois; - Attendu que Guise, contestant la validité du congé, prétend qu'il a loué de Schmaltz l'appartement qu'il occupe avec un jardin attenant à la maison, pour une année, moyennant un loyer annuel de 300 francs, payable par trimestre de 75 francs; - Attendu qu'il y a lieu d'examiner ce qui se passe dans les locations verbales faites entre propriétaires et préposés des douanes et employés de chemins de fer; - Attendu qu'il est d'usage bien établi dans le pays, et non contestable, que, lorsqu'un douanier ou employé de chemins de fer quitte son logement loué, non meublé, soit par suite de changement de résidence, soit même pour aller loger ailleurs dans le pays, il se contente de prévenir son propriétaire un mois avant son départ, et que, celui-ci, confiant dans l'usage du lieu, se conforme à cet usage à raison de la situation personnelle de ce locataire; - Attendu que, si l'usage des lieux, en Lorraine, qui est de donner congé trois mois à l'avance, a été généralement modifié pour la facilité des douaniers et employés de chemins de fer, assez nombreux dans le canton, il est de toute équité que cette modification profite également à chacune des parties; - Attendu qu'il résulte des débats de la cause et des renseignements fournis que le payement des loyers devait se faire mensuellement et que si Guise s'est libéré et se libère encore par trimestre, c'est pour ses facilités et ses convenances personnelles et sur la demande expresse qu'en a faite Schmaltz; - Attendu qu'à moins de conventions contraires, il est également d'usage dans le canton, que l'habitation étant le principal, la cessation de jouissance du jardin attenant aux maisons et habitation est la même que celle desdites maisons; - Attendu que le bail verbal mensuel consenti au profit de Guise a commencé à courir le 1er octobre 1894 et s'est continué ainsi de mois en mois par tacite reconduction, pour finir le 1er juin courant, en vertu du congé signifié par Schmaltz le 29 avril dernier; - Attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens; Par ces motifs, statuant contradictoirement et en premier ressort, déclarons valable le congé donné par exploit de Gobert, huissier à Blâmont le 29 avril dernier, à la requête de Schmaltz contre Guise; ordonnons à Guise, dans les vingt-quatre heures de la signification du présent jugement, de quitter les lieux qu'il habite encore au mépris du congé dont s'agit, sinon et faute de ce faire, ordonnons son expulsion par toutes les voies de droit, notamment par l'éjection de ses meubles et effets et le séquestre desdits meubles et effets pour sûreté des réparations locatives et du payement des loyers; ordonnons, en outre, que le présent jugement soit exécuté par provision, nonobstant appel, sans caution; - Condamnons Guise aux dépens, liquidés à..., ainsi qu'aux frais de timbre, enregistrement et signification du présent jugement. »

Observations. - Sur l'appel interjeté par le sieur Guise, le jugement qui précède a été, avec raison, confirmé par le Tribunal civil de Lunéville, en ces termes :
« Considérant que l'appel est régulier en la forme; qu'il y a donc lieu de le recevoir; - Au fond: - Considérant qu'aux termes de l'article 1736 du Code civil, quand le bail d'un appartement a été fait sans fixation de durée, chacune des parties peut le faire cesser en donnant congé à l'autre, à condition de se conformer à l'usage des lieux; Considérant qu'il est constant que le bail intervenu entre les parties avait été fait sans fixation de durée; - Que, s'il comprenait un petit jardin, ce jardin n'était que l'accessoire, et, par conséquent, devait suivre le principal; - Considérant qu'il est d'usage dans le canton de Blâmont que, si un douanier ou un employé de chemins de fer quitte le logement loué par lui, soit par suite de changement de résidence, soit même pour rester dans la même localité, il se contente de donner congé à son propriétaire un mois à l'avance; - Considérant qu'il est de toute équité que cet usage en vigueur à Igney-Avricourt et dans les localités voisines, en faveur du preneur, profite également au bailleur ; - Considérant que Schmaltz a donné congé à Guise le 29 avril 1895, en le prévenant d'avoir à quitter son appartement le 1er juin;-Qu'étant donné l'usage en vigueur pour les douaniers et employés de chemins de fer, ce congé était valable; qu'il en résulte que c'est avec raison que le premier juge a ordonné l'expulsion de Guise; - Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement dont est appel; - Sur les dépens : Considérant que la partie qui succombe doit supporter les dépens; - -Par ces motifs; - Le Tribunal, jugeant en matière sommaire et en dernier ressort, sur appel, après avoir entendu M. Wiriath, substitut, en ses conclusions conformes et en avoir délibéré; En la forme: Reçoit Guise appelant du jugement de M. le juge de paix de Blâmont, en date du 28 juin 1895; - Au fond: - Le déclare mal fondé dans son appel, l'en déboute; confirme ledit jugement, dit qu'il sortira son plein et entier effet; condamne Guise aux dépens; prononce la confiscation de l'amende. »


Rédaction : Thierry Meurant

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