41e année - n° 1 hebdomadaire - 1er janvier 1928
[Les fautes de frappe ont été conservées]
La Maison maternelle de Blâmont
Il y avait 18 ans que je n'avais pas revu Blâmont, cette charmante petite villette des bords de la Vezouse, qui fut jadis le
siège d'un comté florissant et célèbre, avec un formidable château-fort qui fut l'apanage et le domaine des duchesses-mères de Lorraine.
A cette époque, j'avait visité par lé détail les ruines, si pittorestes encore, de l'ancien castel féodal des Sires de Blâmont, et je revoyais en pensée Christine de Danemark et Marguerite de
Gonzague donnant des fêtes splendides en ces logis merveilleux, dont les souterrains et les tous colossales nous émeuvent toujours.
Mais où sont les dames d'antan?
Aujourd'hui, ce qui resté du vieux château-fort et qui fut transformé en maison opulente au XVIII° siècle, est devenu une
admirable institution de prévoyance, une Maison maternelle départementale, dirigée par l'Union des Femmes de France, ayant à sa tête une femme d'élite et toute une légion de dévouées infirmières, tout de blanc habillées.
Nous reviendrons tout à l'heure à cette institution de bienfaisance qui est aujourd'hui l'honneur et la gloire de la petite cité albimontaise.
Blâmont de Vezouse semble bien morte, même au-milieu du jour. La rue qui monte au château de nos duchesses, est bordée de superbes immeubles, construits au XVIIIe siècle, avec des façades nobles et imposantes et des portes cochères finement sculptées et qui valent mieux que nos modernes garages d'autos.
Les portes cochères - comme à Lunéville et comme à Nancy - étaient l'indice, des hôtels de la noblesse ou de la haute
bourgeoisie, avec leurs brillants et lourds carrosses. Quelques-unes de ces portes, à travers Blâmont, sont des merveilles de sculpture, qui ne seraient-pas déparées à Nancy, à quelques-uns de nos édifices du temps dé Léopold et de Stanislas.
Et je ne crois pas que Nancy possède des portes aussi fouillées que celles que l'on peut encore admirer à Blâmont.
Mais pourquoi donc tant de ces beaux immeubles sont-ils fermés et absolument clos? La dépopulation doit sévir à Blâmont, et je pensé que la crise des loyers ne s'y fait pas beaucoup sentir.
Une placette, grande comme un mouchoir de poche, devant la Maison de Ville, est entourée de beaux arbres bien taillés. Mais cette place solitaire, est entièrement nue, alors qu'on aurait très bien pu y installer l'élégant et tout menu Monument aux Morts qu'on a fort mal placé à un carrefour de rues étroites, menant à la Vezouse et à ses jardins clos.
L'église de Blâmont, dédiée à Saint Maurice avec ses deux tours élégantes, a été décapitée de la statue de son patron, jetée bas par un obus français pendant la guerre.
On sait que les Boches occupèrent Blâmont durant quatre ans et y firent beaucoup de mal aux habitants.
On a outrageusement blanchi (ô hérésie immobilière) tout l'intérieur de cette église à trois nefs, de style vautrino-gothique du milieu du XIX siècle.
C'est d'une blancheur éclatante - et révoltante, car on ne doit jamais badigeonner la pierre de taille. Des vitraux neufs de
faits de l'histoire de France, tandis que les fenêtres hautes de la nef centrale ont encore des carreaux blancs, légèrement teintés, et les immenses baies du transept et du choeur, des images à tonalités un peu disparates.
Au cimetière communal, assez proche, j'ai vainement cherché la tombé du célèbre Grand Jugé de Napoléon Ier, le ministre Régnier/duc de Massa-Carrare... et pour cause, car l'illustre enfant de Blâmont a été enterré dans les caveaux du Panthéon de Paris.
Ce cimetière de Blâmont, avec son buste d'un certain capitaine de pompiers Delabbeye. (qui le connaît aujourd'hui? sic transit!!) renferme de belles et nombreuses chapelles de fort bon style et qu'on ne rencontre même: pas à Nancy.
La Maison Maternelle de Blâmont est installée dans la belle et vaste maison des Burrus, gros industriels de naguère, tout à l'entrée du parc ducal et des ruines historiques, tourelles, fossés, pans de mur énormes et qu'on défié les siècles et le vandalisme de toutes les guerres.
Deux vieilles tours, habilement restaurées, donnent grand air à cette demeure, devenue un magnifique établissement hospitalier des Femmes de France..
Le tout, des souterrains antiques devenus de confortables sous-sols aux combles de ce château, est remarquable par son exquise propreté, la profusion de lumière qui entre à l'intérieur par de nombreuses baies.
La façade sur le parcs, avec perron monumental et treize fenêtres d'enfilée, a fort grand air. C'est le palais des enfants abandonnés, des pauvres petits que leurs mères - pour des raisons diverses - n'ont pu garder auprès d'elles ou dans leurs familles.
(A suivre). Emile BADEL.
42e année - n° 20 hebdomadaire (Mardi) 14 Mai 1929
NDLR : voir aussi la version
d'origine de 1908.
La Construction à Blâmont
Je n'étais pas retourné à Blâmont depuis ma visite à la splendide Maison maternelle, installée par les Femmes de France dans ce qui restait du château-fort des Sires de Blâmont exaltés par les auteurs modernes Ambroise et Dedenon.
Aux bords d'une jolie rivière de chez nous, au nom si poétique, l'aimable et gazouillante Vezouse, une délicieuse villette est assise, comme perdue au fin fond du département, entre Avricourt, Lorquin, Sarrebourg et Cirey. C'est Blâmont, l'Albus Mons, le Mont blanc d'autrefois, douaire de nos duchesses de Lorraine, dont les sires, puissants batailleurs en leur temps, eurent une brillante histoire qu'on ne relit jamais sans un légitime orgueil (dans le manuscrit encore inédit du savant abbé Dedenon).
Descendu de Gogney, un ruisseau aux eaux toutes crayeuses, vient affluer à cette Vezouse, et les bords de ce rupt sont une promenade ravissante parmi des sites reposants, où de vieux pêcheurs peuvent se livrer à leur plaisir favori, où le baron de Turckheim, nouveau Louis XIV de céans, fait monter l'eau jusqu'à ses bassins du joli Versailles blâmontois, à l'aide d'une nouvelle machine de Marly, mue par de très puissants moteurs.
Et, entre ces deux eaux peu claires, qui désagrègent les terrains de blanc calcaire, entre les collines boisées et le montet pittoresques où se dressent, majestueux, le donjon et les ruines du château-fort des sires à jamais disparus, la ville de Blâmont s'étend, avec ses maisons blanches au milieu des vergers en fleurs, avec ses placettes mangées de soleil, avec ses rues tournantes et grimpantes, avec ses faubourgs qui s'allongent, en manière de tentacules, dans toutes les directions et le long de tous les chemins de la vallée.
Des terrasses superbes du château neuf du baron de Turckheim, l'oeil plonge avec plaisir sur ce panorama de Blâmont de Lorraine.
Au premier plan, sous les galeries ajourées et les massifs de fleurs qu'on prépare, des bassins s'en vont sur ces hauteurs, alimentées par des eaux d'en bas, des bassins luxueux qui semblent des miroirs d'argent clair où vient se refléter le soleil.
Et puis, le coteau dévale à travers les sapins, les conifères, les vergers à fruits qui viennent de refleurir, tout blancs.
Alors, c'est Blâmont tout entier qui apparaît, depuis les ruines colossales démantelées, mais qui défieront les siècles, depuis l'énorme donjon découronné et la tour en poivrière, tapissée de lierre robuste, jusqu'aux belles maisons qui longent la Vezouse ou se cachent autour des rues calmes de l'ancien collège, jusqu'à la neuve église ogivale de Vautrin (1853-1856) aux deux tours si fines, si élancées, église qu'on vient de badigeonner odieusement à l'intérieur, depuis les dévastations des Boches.
De ces terrasses qui surplombent, il semblerait que Blâmont dut avoir au moins de quatre à cinq mille âmes. La petite cité paraît aussi étendue que Saint-Nicolas et pourtant elle ne compte pas 1.500 habitants, et la crise du logement ne doit pas s'y faire sentir, car nombre de très belles maisons sont closes, entièrement closes... que c'en est comme une cité morte et sans vie aucune.
Mais, quand on a fini de dénombrer les maisons et les rues de ce Blâmont si paisible - aux deux ou trois petites industries spéciales - il faut bien lever les yeux... les ouvrir bien grands... et regarder !!!
Un tableau féerique vient d'être accroché là, sur le ciel de chez nous, et c'est absolument sublime que cette vision des montagnes vosgiennes qui apparaissent, toutes, avec leurs sommets innombrables, leurs forêts, leurs puissantes croupes et leurs ballons chevauchant du sud au nord, comme une armée étrange de chevaliers géants.
La chaîne des Vosges, vue des hauteurs de Blâmont, comme c'est beau, comme c'est grandiose !
A. droite, à gauche, en face, ce sont des montagnes et encore des montagnes, des avancées et des reculées, et, dominant le tout de sa masse, le Donon au double sommet, qui porte, dit une vieille tradition de chez nous, le tombeau du premier roi franc, Pharamond le Chevelu.
Peut-on rêver plus glorieux tombeau pour l'ancêtre et le fondateur d'une race? pour le Frank d'où sortirent les conquérants et les maîtres de l'Austrasie et de la grande Lotharingie?
* * *
Blâmont n'est pas une de ces villes qui doivent arrêter et longtemps retenir les touristes, les architectes, les amateurs de choses curieuses de la construction.
Après les ruines si majestueuses de son château-fort millénaire, il n'y a guère à visiter que les châteaux modernes de MM. d'Hausen et de Turckheim et la splendide Maison Maternelle des Femmes de France, que j'ai récemment décrite ici et qui est dirigée par cette femme au grand coeur qu'est la surintendante, Mme Mouth.
Le château Sainte-Marie, à la famille d'Hausen, a fort grand air au faîte de sa colline; mais la palme revient certes au castel tout récent du baron; de Turckheim, construit en pierre et brique, au milieu d'un parc immense, avec de multiples dépendances pour les chiens, les chevaux, les vaches, les autos, les serres, la ferme, etc., le tout habilement disséminé en des bouquets de verdure.
Ce qui fait le charme de cette belle construction, c'est sa situation au-dessus de Blâmont, au milieu des sapins, dans le plus merveilleux des enclos. On s'y perd, le long de ces allées, et l'on retombe dans des terres labourées, où tant bien que mal, nous finissons par dévaler sur Repaix et sa maison franche des sires de Blâmont.
L'église Saint-Maurice de Blâmont (au saint bombardé durant la guerre et qu'on va rétablir pour 13.000 francs, alors qu'on aurait eu cette statue pour la moitié à Nancy), est une manière de petite cathédrale en miniature, avec deux tours, rappelant de très loin les clochers de Chartres ou de Cologne. C'est un élégant pastiche du style ogival tertiaire, malheureusement très mal placé à l'extrémité de la bourgade, au delà du ponceau sur Vezouse, avec un très haut perron regardant de fort élégantes maisons du XVIIIe siècle, aux portes cochères adornées de rinceaux exquis.
Cette église de Blâmont, malgré ce perron gigantesque et ses deux tours ajourées, est étriquée et manque de proportions.
A l'intérieur, les bas-côtés sont trop étroits, le transept à peine accusé avec des fenêtres immenses aux vitraux neufs de J. Benoît, des murailles reblanchies (sic!) et beaucoup trop froides.
Combien je préfère dans Blâmont certaine maison Renaissance, datée de 1588, avec sa porte monumentale et son écusson serrés d'entrelacs !
Combien je préfère aussi le cimetière de la jolie petite cité, établi pas très loin des dernières maisons, sur le chemin de
Barbas.
Il y a là des monuments splendides, oeuvres de l'architecte Urmès ; on y remarque les noms de nombreuses célébrités lorraines, qui se sont fait connaître dans l'histoire du XIX° siècle, notamment les deux sculpteurs Goeury, de Voyer, morts à Blâmont.
L'Hôtel de Ville de Blâmont est une honnête construction, d'assez grand air, avec ses arcades et son péristyle, sa grande salle des fêtes, en avant d'une gentille placette, aussi menue que la Place aux Hommes, dans Arles de Provence.
Les maisons de Blâmont sont vastes et profondes. Les unes sont de beaux immeubles, avec cours, jardins de plaisance et potagers; les autres sont les anciennes maisons lorraines de nos pères, dévalant vers Vezouse ou bien adossées solidement aux vieux remparts qui surplombent. Les chambres y sont immenses, mais généralement très basses.
Une vaste tannerie, une fabrique de velours, quelques menus commerces et industries, voilà toute l'activité blâmontoise d'aujourd'hui.
Et au milieu des ruines, blanche, accueillante et douce, la nouvelle Maison Maternelle des Femmes de France, où l'on élève admirablement une centaine de petits poussins humains, qui crient et piaillent sous les vérandas, exposées au clair soleil, en ce mois de mai printanier.
Emile
BADEL. |