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Claude-Ambroise Régnier, Duc de Massa - Compléments
Voir aussi Claude-Ambroise Régnier, Duc de Massa
 


Mémoires de la société d'archéologie lorraine - 1910
L'élection aux Etats-Généraux
Christian Pfister

REGNIER.- Claude-Ambroise Regnier était né à Blâmont, le 5 novembre 1716 (1), d'Ambroise Regnier, aubergiste, et de Françoise Thiry. Son père était fils d'un procureur général au bailliage de Saint-Dié et mourut à Blâmont à 87 ans, le 28 décembre 1806.
Regnier fit ses études secondaires sous la direction d'un oncle, curé de Saint-Dié, et suivit les cours de l'Université catholique de Strasbourg, puis ceux de l'Université de Pont-à-Mousson, ou il prit le titre de licencié en droit. En juillet 1765, à 19 ans, il se fit inscrire comme avocat au barreau de Lunéville. En 1769, il fut appelé par le prince régnant Louis de Salm-Salm à Senones et, en qualité de procureur général, il dirigea les affaires de la principauté. En 1773, il quitta Senones pour s'installer à Nancy comme avocat au Parlement. et y remporta de grands succès oratoires. Aussi fut-il, en 1789,  désigné par les avocats de la ville, comme l'un de leurs représentants à l'assemblée de la ville; il fut l'un des principaux rédacteurs du cahier de la cité, fut choisi comme député électeur à l'assemblée du bailliage le 5 avril et élu définitivement par l'assemblée de réduction le 6. Il prit, à l'Assemblée nationale, une grande part à la discussion sur la nouvelle organisation judiciaire, se prononça contre l'institution du jury en matière civile. Il défendit la municipalité de Nancy contre ceux qui incriminaient sa conduite lors de l'insurrection du 31 août 1790 et approuva la conduite du marquis de Bouillé. Il fut envoyé, après la fuite du roi, comme commissaire dans le département des Vosges, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. pour apaiser les troubles qui y avaient éclaté. Sous la Législative, il revint à Nancy, reprit sa profession d'avocat, fit partie, à la fin de 1791 du corps municipal, puis fut nommé président du tribunal de district mais, destitué en 1793, il se retira en sa maison de campagne de Maxéville, songea il émigrer et fut arrêté du 17 ventôse an II (7 mars 1794) au 9 thermidor. Le 20 vendémiaire an IV (13 octobre 1795), il fut élu député de la Meurthe au Corps législatif - l'un des deux députés du nouveau tiers - et le tirage au sort l'appela le 5 brumaire au Conseil des anciens. Il fut réélu membre de ce Conseil aux élections complémentaires de l'an VII, il en devint secrétaire, puis président. Il se prononça contre le retour des prêtres exilés ou déportés. En 1799, il se rapprocha de Bonaparte, trempa dans le coup d'état du 18 brumaire : c'est lui qui présenta le décret transférant les deux Conseils à Saint-Cloud ce fut l'origine de sa haute fortune. Il présida la commission législative intermédiaire d'où sortit la constitution de l'an VIII. Il entra au Conseil d'État et fut l'un des principaux rédacteurs du Code civil. Le 14 septembre 1802, le premier consul le nomma grand juge et ministre de la justice, et il cumula pendant un certain temps avec ses fonctions celles de ministre de la police, lors de la disgrâce de Fouché (1802-1804). Grand officier de la Légion d'honneur le 14 juin 1804, grand cordon le 2 février 1805, il devint, le 24 avril 1808, comte de l'Empire, et, le 15 août 1809, par un décret signé de Schoenbrunn, il reçut le titre de duc de Massa di Carrara. En 1813, très fatigué, il donna sa démission de grand juge; mais il fut nommé par Napoléon président du Corps législatif, quoiqu'il n'appartint pas à cette assemblée; aussi fut-il accueilli très froidement. Le duc de Massa, comblé de bienfaits par l'Empereur, fit adhésion au gouvernement des Bourbons il ne tarda du reste pas à mourir en son hôtel de la rue de Choiseul, le 25 juin 1814, en sa 68e année, Il s'était marié à Lunéville le 5 avril 1769 avec Charlotte Lejeune (2) il en eut 10 enfants. Un fils, le comte de Gronau, et une fille, la baronne Thiry, seuls survécurent mais ils ont laissé une nombreuse descendance.
Cf. L. ADAM, Etude sur trois gardes des sceaux de France, nés en Lorraine (Regnier, comte de Serre, Henrion de Pansey), Discours prononcé le 4 novembre 1872, à l'audience de rentrée de la Cour d'appel, Nancy, 1871 ALEXANDRE, Notice sur Claude-Ambroise Regnier, duc de Massa, Discours à l'audience solennelle de rentrée du 3 novembre 1853 PAUL DELAVAL, Le grand-juge Regnier; duc de Massa, dans le Pays lorrain, 1909, pp. 738-745 et tirage et part. 

(1) Registres de l'état civil de Blâmont. Cf. J. S. A. L., 1888, p. 134
(DE MARTIMPREY), et 1898, p. 12 (ÉMILE DUVERNOY.)
(2) Il avait alors 23 ans et était encore mineur. Charlotte Lejeune était fille mineure de Nicolas-François Lejeune, conseiller du roi, greffier en chef du bailliage, et de Claude Persil. CH. Denis lnvent. des registres de l'état civil de Lunéville, p. 509


Mémoires de la société d'archéologie lorraine - 1911
Les députés du département de la Meurthe sous la révolution
Christian Pfister

REGNIER (Claude-Ambroise). - Nous renvoyons, comme pour Salle, à la notice que nous a vous donnée dans les Mémoires de la Société d'archéologie, 1910, p. 99. Nous ajoutons seulement quelques renseignements ou faisons les rectifications suivantes.· Il fit ses études à l'Université protestante de Strasbourg, non à l'Université catholique qui n'avait pas de Faculté de droit; il fut immatriculé le 11 novembre 1763et inscrit sur la liste des candidats le 10 mai 1765 (G. KNOD, o.c. t. II, p. 433 et 618. Regnier est dit Albimontanus, de Blâmont). C'est à Strasbourg, non à Pont-à-Moussson, qu'il prit le titre de docteur en droit. En juillet 1765, il est inscrit comme avocat sur les registres de la Cour souveraine de Nancy (L. MENGIN, Notice historique sur le barreau lorrain, dans les M.S.A.L., 1873, p. 53). A la Constituante, il demanda un décret d'accusation contre le vicomte de Mirabeau, qui avait enlevé les cravates tricolores des enseignes de son régiment. Il fit partie du Comité de constitution où il fut très écouté. Il parla sur l'organisation du tribunal de cassation ; il réclama une indemnité pour les accusés acquittés. Il se fit inscrire à la Société des Amis de la Constitution et il dut s'y défendre, le 5 février 1791, d'accusations portées contre lui par les exaltés de Haguenau *. Il avait fait à la Constituante les 30 octobre et 2 novembre précédents deux rapports sur les troubles qui avaient éclaté en cette commune et en avait fait arrêter l'instigateur, le greffier Westermann : d'où la colère des Jacobins. Le 22 juin 1791, il fut envoyé dans les départements du Haut et Bas-Rhin et dans celui des Vosges, pour y prévenir les troubles qu'aurait pu causer la fuite de Louis XVI. Après l'Assemblée constituante, Regnier fut nommé, le 21 novembre 1791, officier municipal de Nancy, au troisième tour de scrutin, par 198 voix sur 605 votants. Il habitait alors rue Mirabeau (rue des Tiercelins), 17. En février 1792, il fut candidat à la mairie de Nancy et Dusquenoy réussit à l'emporter sur lui au troisième tour de scrutin. Aux élections du 27 novembre 1792, il est nommé premier juge du tribunal du district de Nancy, par suite président de ce tribunal, par 56 voix sur 63 votants ; il reste à ce poste pendant l'année 1793, mais fut destitué le 26 pluviôse an II (14 février 1794), quand les représentants Lacoste, Baudot et Bar «  épurèrent » le tribunal. Aux élections de la municipalité des 9-21 décembre 1793, il avait été choisi comme notable. Après les journées de thermidor qui le délivrèrent de prison, il fut renommé président du tribunal du district par le représentant Genevois le 24 frimaire an III (14 décembre 1794.) Les citoyens de la 2e section de Nancy le désignèrent le 22 fructidor an III (8 septembre 1795) comme électeur, et, à l'assemblée électorale le 23 vendémiaire an IV (15 octobre 1795), il fut élu second député du «  nouveau tiers », à la pluralité des voix sur 277 votants, Il termina ses trois législatures au Conseil des Anciens et fut réélu le 23 germinal an VII (12 avril 1799) à ce Conseil par 280 voix sur 339 votants. Il devint secrétaire le 2 frimaire an IV, président en ventôse an IV et en prairial an VI. Il fit partie d'un très grand nombre de commissions (radiation de la liste des émigrés, successions, examen du nouveau code pour les délits et peines des troupes de la République, délits de presse, etc.) Il prit la parole au nom de ces commissions et en son propre nom, En l'an IV, il vota la résolution qui confiait au Directoire diverses nominations, celle contre les dépréciateurs des mandats territoriaux ; en l'an V, il s'efforça d'atténuer les effets du coup d'État du 18 fructidor ; en l'an VI, il appuya la résolution contre les ci-devant nobles, s'éleva contre les scissions dans les assemblées électorales, fit admettre au Corps législatif Lucien Bonaparte et Aréna pour les lieux départements de la Corse, le Liamone et le Golo. En l'an VII, il défendit Reubell contre les inculpations de Dubois du Bais et appuya la dénonciation de Courtois contre les Jacobins. Il s'efforça ainsi de maintenir certaines conquêtes de la Révolution et soutint avec mollesse le Directoire, prêt à l'abandonner, en alléguant l'intérêt supérieur de l'ordre, Après le coup d'état du 18 brumaire, il présida la Commission législative intermédiaire du Conseil des Anciens ; il entra au Conseil d'État le 3 nivôse an VIII (24 décembre 1799), dans la section des finances. Il fut l'un des conseillers d'État auquel Bonaparte soumit l'acte du 16 thermidor an X (4 août 1802), qui modifiait profondément la Constitution, et il fut encore, le 3 floréal an XII (7 avril 1804), du Conseil privé où fut décidée la transformation du Consulat en Empire. Pendant un certain temps, avant de devenir grand-juge, il fut chargé du contentieux des domaines nationaux, Le 14 pluviôse an XII (4 février 1804), le collège électoral du département de la Meurthe, réuni sous la présidence de Duroc, présenta comme candidats au Sénat conservateur : «  Son Excellence M. Regnier, grand-juge, ministre de la justice », et «  M. Boulay, conseiller d'État, ayant le département des domaines nationaux » ; mais Napoléon préféra les garder au ministère et au Conseil d'État. Le 1er floréal an XIII (21 avril 1805), le mme collège, réuni sous la présidence de Boulay remplaçant Duroc, présentait les mêmes candidats et aussi, pour le Corps législatif, Thiry et Bouteiller, que le Sénat nomma aux fonctions législatives pour cinq ans. Regnier reçut le titre de comte d'Empire le 24 avril 1808 (1). «  Le duc de Massa ne survécut guère à l'adhésion qu'il donna à la déchéance de Napoléon; frappé pour la troisième fois d'apoplexie, il y succomba la nuit du 24 au 25 juin 1814; il fut inhumé au cimetière du Père Lachaise ; le duc de Tarente, maréchal de France, jeta des fleurs sur sa tombe (2). » Son fils, Nicolas-François-Sylvestre Regnier, qui avait reçu, le 15 septembre 1811, le titre de comte de Gronau (seigneurie prussienne), hérita à la mort de son père du titre de duc de Massa, Il mourut à Paris le 20 août 1851 ; il avait eu quatre enfants.

[A ajouter a la bibliographie : Biographie moderne (Breslau, 1806), t. IV. p. 140 ; Les assemblées électorales du département de la Meurthe ; Alcide GEORGEL, Armorial des familles de Lorraine, pp. 550-552; DE GIRONCOURT, Histoire manuscrite de Nancy, Bibl. de Nancy 885 (341), fol. 368-371. - Il existe de Regnier un grand nombre de portraits gravés; nous renvoyons, pour la nomenclature, à Soliman LIEUTAUD, Liste alphabétique de portraits de personnages nés en Lorraine, 2e édition.]

(1) Ses armoiries de comte sont : D'hermines à la fasce de sable chargée de trois alérions d'or. Franc-quartier de comte-ministre, brochant au 9e de l'écu. Ces armoiries de duc sont les mêmes; mais, au lieu du franc-quartier, le chef des ducs de l'Empire, qui est de gueules semé d'étoiles d'argent,
(2) De Gironcourt, Le Journal de la Lorraine et du Barrois (La Meurthe) du 1er juillet 1814, annonce sa mort en quelques lignes assez inexactes.

* NDLR : le texte ci-dessous éclaircit le détail de cette affaire de Haguenau


Dictionnaire historique ou biographie universelle :
des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu'a nos jours :
François-Xavier de Feller
1836

REGNIER (Claude - Ambroise), duc de Massa Carrara, ministre de la justice, etc., né à Blamont, département de la Meurthe, le 6 avril 1736, se consacra au barreau, et était avocat à Nanci y à l'époque de la révolution. Il en embrassa les principes, et en 1789, cette ville le nomma député aux états généraux, et ensuite à l'assemblée nationale. Regnier se rangea du côté gauche, mais il parut peu à la tribune, et s'occupa beaucoup de judicature et d'administration. Il s'éleva contre l'institution des jurés en matière civile ; et lorsque le vicomte de Mirabeau enleva les cravates de son régiment, il proposa de le mettre en accusation ; cependant il défendit la municipalité de Nanci contre les reproches des jacobins, lors de l'insurrection de cette ville, et approuva la conduite de M. de Bouillé. La fuite du roi, 20 juin 1791, ayant causé quelque tumulte dans les départements du Rhin et des Vosges, on y envoya Regnier pour les calmer. Il sut vivre ignoré pendant le règne de la terreur, jusqu'à ce qu'il fut nommé par le département de la Meurthe au conseil des anciens. A cette époque, il s'opposa vigoureusement à l'admission de Job Aymé, et à la rentrée des prêtres réfractaires. Il devint secrétaire, puis président du conseil, et y fut réélu en 1799, à l'époque où devaient cesser ses fonctions. Il se prononça plus ouvertement encore qu'il ne l'avait fait-contre les jacobins, s'opposa en même temps à l'impression d'une adresse des habitants de Grenoble contre Schérer, et combattit la permanence des séances après le 30 prairial ; il se déclara aussi avec Courtois contre le Manége. Regnier eut une part très-active dans la révolution du 18 brumaire, et fut un de ceux qui se réunirent, le 17 septembre au matin, chez Lemercier, président du conseil des anciens. On y arrêta les mesures définitives qui pouvaient assurer le succès de cette conspiration ; Regnier présenta le projet de décret qui transférait les conseils à Saint-Cloud, et fut nommé président de la commission intermédiaire. Après l'établissement du régime consulaire, Buonaparte n'oublia pas les services de Regnier ; il le nomma conseiller d'état dans la section des finances, le combla de dignités et de faveurs, et le 15 septembre 1802, Regnier réunit, sous la dénomination de grand-juge, les deux ministères de la justice et de la police générale. Il se démit de cette seconde place lorsque Fouché fut appelé à l'occuper : il conserva cependant son titre de grand-juge et le ministère de la justice. Nommé grand-officier de la Légion-d'honneur, il en obtint, en février 1805, le grand cordon, et fut créé duc de Massa-Carrara. En novembre 1813, il remit le portefeuille de la justice pour remplir la place de ministre d'état ; et ensuite celle de président du corps législatif, où il ne reçut pas un accueil bien flatteur. Buonaparte, de retour de sa désastreuse expédition de Moscou, avait besoin de mettre à la tète de cette assemblée un homme entièrement dévoué à ses projets. II y plaça Regnier. La dissolution du corps législatif, le 31 décembre 1813, mit un terme à la fortune de Régnier. Lors de la première abdication, il écrivit, le 8 avril 1814, au gouvernement provisoire, pour savoir s'il était encore président du corps législatif; il ne reçut point de réponse. Il ne survécut que deux mois et demi à sa disgrâce, et mourut à Paris le 24 juin 1814. Assez bon jurisconsulte, médiocre orateur et peu habile ministre, il fut, comme le comte Regnault de Saint Jean d'Angely, un des hommes le plus attachés à Napoléon, et la plus souple de ses créatures; il parut sensiblement affecté quand celui-ci abdiqua et se retira à l'île d'Elbe. Son intérêt personnel était sans doute pour quelque chose dans l'affliction que lui causa cet évènement. Son fils a été nommé pair de France par Louis XVIII.


"L'affaire de Haguenau" 

Journal des Et́ats généraux, convoqués par Louis XVI le 27 avril 1789, aujourd'hui Assemblée Nationale permanente
Ed. 1791

3 février 1791

M. Voidel : Je crois qu'il est de mon devoir de vous prévenir, avant de commencer mon rapport de l'affaire de Haguenau, que ce matin il m'a été remis une lettre adressée a l'assemblée nationale par le sieur Westermann, actuellement à l'hôtel de la Force, en vertu d'un décret de prise-de-corps. Il étoit ci-devant député extraordinaire de la commune d'Haguenau, sur laquelle ce rapport est dirigé. Il demande à être transféré, sous bonne et sûre garde, au comité des recherches au moment de la délibération, pour s'expliquer sur les intérêts de cette commune. Veut-on un rapport sur paroles ou sur pièces constatées ? (Sur pièces, lui crie-t-on.) Qu'on veuille donc bien faire mention de ma demande dans le procès-verbal.
M. de Murinais : Je crois que nous ménagerons le tems de l'assemblée, si vous voulez bien permettre que M. le rapporteur entende au comité des recherches l'individu qui demande à être entendu, parce que, si par hasard cet homme qui demande à être entendu a des choses utiles, intéressantes à dire, et qu'il faille les redire encore, vous serez obligés d'entendre un autre rapport, et vous perdrez de nouveaux instans. Vous avez assez d'objets importans à l'ordre du jour.
M. ... : Je n'empêche pas qu'on prenne les éclaircissemens dont le comité des recherches a besoin ; mais je vais instruire l'assemblée d'un fait qui est très - intéressant, et qui regarde un malheureux détenu dans les prisons. M. de Riolles est enfermé... (on interrompt). Je demande pourquoi M. Voydel a défendu de sa propre autorité à la fille de M. de Riolles, de voir son père, et au fils de M. de Riolles de parvenir jusqu'à lui. Je demande encore pourquoi l'avocat de M. de Riolles n'a pas la liberté de lui parler.
L'assemblée décrète la proposition de M. Voydel.
M. Voydel: J'observe que M. Westermann demande à être entendu sur les intérêts de la commune de Haguenau, qui à d'autres députés ici, et que le rapport n'est point du tout dirigé contre M. Westermann. Si cependant l'assemblée croit que M. Westermann, ayant ici des co-députés chargés des intérêts de la commune de Hagueneau, doive être entendu sur une affaire qui concerne cette commune, je ne m'y oppose pas ; mais j'observe qu'il s'agit dans cette affaire de l'honneur d'un membre de cette assemblée, gravement inculpé, et qu'il est triste pour un représentant de la nation, d'être sous le sceau d'une pareille inculpation. L'assemblée, d'après cela, peut décider ce qu'elle voudra.
L'assemblée ordonne que le rapport sera continué.
M. Voydel : Une accusation grave est portée contre un de nos collègues, il vous est dénoncé comme prévaricateur ; et c'est au nom d'une commune que vous est faite cette dénonciation. L'infidélité d'un rapport est le titre de l'accusation ; ce rapport n'existe que par lambeaux dans les papiers publics. Son auteur n'avoit pas même écrit le décret qui, étant la conséquence recueillie dans les mêmes feuilles, altéré dans ses principales dispositions, est présenté comme la preuve de d'une prévarication. Cette preuve est tirée de faits altérés. On reproche de l'inexactitude dans les faits, un silence affecté et perfide sur des pièces importantes, et de 75 pièces que l'on dit avoir été déposées au comité, il est prouvé par l'extrait des registres, que 23 seulement ont été données. On dit enfin que le rapporteur a fui les éclaircissemens, qu'il a fui la lumière ; et le rapport a a été fait au comité dont il est membre, y a été discuté devant les députés du département, dans lequel se trouve la commune qui en étoit l'objet. Cependant l'accusation est formelle ; elle a été déposée sur votre bureau, et vous en avez envoyé l'examen à votre comité des recherches, que vous avez chargé de vous en rendre compte. S'il y a prévarication, vous devez aux accusateurs la plus prompte et la plus sûre justice de celui qui en seroit l'auteur. Plus ses fonctions étoient augustes, plus ses devoirs étoient sacrés ; s'il est calomnié, vous devez à lui, à la sainteté de son caractere et au peuple qu'il représente, la plus entiere et la plus éclatante réparation. Vous avez ici à juger tout-à la fois, la conduite du rapporteur du comité des rapports dans l'affaire de la commune de Hagueneau, et celle de ce comité lui-même, qui revendique le travail de son rapporteur, qui l'avoue et qui en garantit l'intégrité. Voici les faits.
Depuis long-tems des dissentions intestines désoloient la ville de Hagueneau. Plusieurs fois vous aviez pris dans votre sagesse des moyens que vous jugiez propres à y rétablir la paix ; ils avoient tous été sans succès. Le pillage des effets de cette commune, arrivé les 16 et 17 juin dernier ; la municipalité abusant a l'excès des pouvoirs qui lui avoient été confiés, tous ces faits avancés donnerent lieu à un rapport et au décret au 5 juillet, qui ordonne, 1°. l'information et la poursuite de ces délits ; 2°. l'envoi d'un régiment de cavalerie françoise destiné à maintenir les officiers municipaux dans le libre et paisible exercice de leurs fonctions; 3°. la dissolution d'un corps de milice, nationale qu'on disoit être nouvellement formé, avec la faculté aux citoyens qui le composoient d'entrer dans celui qui, ayant été formé d'après les principes de la constitution, en remplissoient les formalités prescrites. Ce corps particulier de milice nationale, touché des sentimens d'égalité et de fraternité qui se développoient avec tant d'énergie dans certains pays, et voulant détruire tout sujet d'inquiétude et de crainte dans la ville de Hagueneau, s'incorpora volontairement le 17 juin. Alors M. de Vorgelat avoit été nommé commandant de la garde nationale ; il avoit accepté par le désir qu'il avoit de réunir ces deux corps, et il y travailla avec activité. Le 15, y trouvant de trop grandes difficultés, il donna sa démission. Le 16, la municipalité, en refusant la démission, donne de plus à M. de Vorgelat, et par ecrit, l'autorisation de former un corps privilégié, sous le nom de compagnie martiale, et il s'y refusa. L'incorporation, se fit le 17 ; et sur le copie représentée par la municipalité de la démission donnée par M: de Vorgelat le 15, le chifre se trouve altéré et remplacé par le chifre 7 ; ce qui produit l'horrible effet de faire soupçonner que l'incorporation avoit été la cause de la démission qui n'avoit eu pour motif que la difficulté même de cette incorporation. Arriva bientôt, après la fédération générale, brillante époque de notre histoire, l'honneur de la révolution, et dont il étoit si important et si facile de saisir l'occasion pour rallier les prétentions discordantes des citoyens. La municipalité ne l'envisagea, pas ainsi; et sous le prétexte de danger qui n'existoit pas, et qu'elle exagéroit, contre la teneur expresse de vos décrets, arrêta que cette cérémonie seroit retardée à Hagueneau, et remise du 14 au 28. Elle y mit tous les obstacles qui étoient en son pouvoir ; elle en avoit déjà apporté à l'envoi des députés de la garde nationale à la fédération générale ; et cette garde n'auroit pas eu de représentans à cette auguste cérémonie, sans l'activité de quelques districts, et la générosité de quelques bons citoyens....
En exécution du décret de prise-de-corps lancé par le prévôt de Strasbourg, à la suite de la journée du 24 juillet, où, comme l'on sait, la ville fut ensanglantée, le sieur Westermann, fut arrêté à Paris, et constitué prisonnier à l'hôtel de la Force, d'où il devoit être incessamment transféré dans les prisons criminelles de Strasbourg. Il vous présenta, messieurs, une pétition, où il vous exposa que l'envoyer à Strasbourg c'étoit l'envoyer à la mort, parce que les juges étoient ses ennemis. Ce fut là l'objet d'un premier rapport que vous fit, le 30 octobre dernier, M. Regnier, au nom de votre comité des rapports. M. Regnier, aujourd'hui attaqué, au nom de la commune de Haguenau, sans ménagemens et sans pudeur, aujourd'hui accusé de prévarication, oubliant alors, en faveur de M. de Westermann, la rigueur des principes sur l'ordre judiciaire, vous proposa de décréter qu'il seroit sursis à la translation de M. de Westermann; mais sur ce vous décrétâtes qu'il n'y avoit lieu a délibérer.
Trois jours après ce premier rapport, M. Regnier vous en fit un second, dans lequel, en rentrant dans l'esprit du décret du 30 octobre, il écarta les pieces des deux instructions criminelles commencées, l'une par la municipalité de Strasbourg, sur les événemens des 16 et 17 juin, l'autre par le prévôt des maréchaux, sur celui du 24 juillet.
Je ne m'arrêterai pas discuter les reproches nombreux faits au second rapport par la commune de Haguenau, et qui font la base de sa dénonciation. Je vous ai déjà observé, messieurs, que ce rapport n'est point écrit, il n'en existe que des fragmens épars, et aussi infidelement rendus dans les papiers publics que dans le décret du rapporteur, dont cependant il étoit si facile de se procurer une copie exacte.
Je ne puis m'empêcher de faire remarquer l'insolence des expressions contre le rapporteur, dans un mémoire de 71 pages in-4°, distribué avec profusion dans les départemens voisins du département du Bas-Rhin. Les épithetes d'homme atroce, de traitre, perfide, prévaricateur y sont répandues avec une profusion dégoutante et cruelle ; mon devoir étoit, au défaut d un corps de délit qui n'existoit pas, de rechercher des traces fugitives, d'erreurs ou de négligence qu'on attribue au rapporteur ; mais comment tirer de cet examen un résultat satisfaisant. Voici la marche que j'ai suivi, et qui m'a paru dictée par le bon sens. Le décret proposé doit être la conséquence, soit des faits, soit des décrets précédens ; voyons si celui-ci est justifiés par les faits. Je lis ce décret, non pas dans le mémoire des accusateurs, où il est ainsi rendu : L'assemblée nationale, considérant que la municipalité d'Haguenau a excité, par sa conduite, une partie des troubles qui sont arrivés dans cette ville, et qu'elle a depuis donné sa démission entre les mains du commissaire du roi, déclare qu'elle improuve la conduite de la municipalité, qu'elle est satisfaite de celle de garde nationale et du commandant de la place, décrete que le roi sera supplié de donner des ordres pour la nomination d'une nouvelle municipalité.
Décrete en outre qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la pétition de quelques citoyens d'Haguenau, et que M. Westermann sera transféré dans les prisons de Strasbourg.
Je prends ensuite le procès-verbal du 2 novembre, et voici le décret :
L'assemblée nationale, considérant que la municipalité d'Haguenau a, par sa conduite, entretenu tous les troubles qui ont eu lieu dans cette ville, tandis que son devoir étoit de les Calmer ; que cette conduite est devenue plus répréhensible encore, d'après la lettre de son comité des rapports, en date du z3 juillet, et qu'enfin elle est devenue tout-a-fait inexcusable par sa démission illégale du 28 du même mois, dans laquelle elle a persévéré, malgré le refus fait par les commissaires du département du Bas-Rhin de l'accepter, déclare qu'elle improuve la conduite de la municipalité d'Haguenau, et qu'elle est satisfaite de celle de la garde nationale et du sieur de Borghstal, son commandant.
Décrete que le roi sera prié de donner les ordres nécessaires pour faire procéder à l'élection d'une nouvelle municipalité.
Décrete en outre qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les diverses pétitions d'une partie des citoyens composans la commune de Haguenau, et que la procédure commencée en exécution du décret du .... sera continuée.
Je m'étonne ensuite de voir un décret falsifié, extrait d'un papier public, servir de titre à une accusation principale. Je trouve dans celui-ci des sens faux et des reticences coupables. Le texte original porte : que la municipalité a par sa conduite entretenu tous les troubles qui ont eu lieu, tandis qu'il étoit de son devoir de les calmer. Le texte altéré porte : qu'elle a excité par sa conduite une partie des troubles. Celui-ci dit qu'elle a donné sa démission entre les mains du commissaire du roi; et l'autre n'en dit pas un mot. La version littérale parle de la lettre du comité des rapports : la version falsifiée n'en parle pas. Celle-ci parle des éloges donnés au commandant de la place : celle-là de ceux donnés au sieur Borgshtal commandant de la garde nationale. Enfin, le véritable décret énonce : qu'il n'y a plus lieu à délibérer sur les diverses pétitions d'une partie des citoyens de la ville de Haguenau, et que la procédure criminelle commencée en exécution du décret du 3 juillet dernier, sera continuée. Le décret faux exprime qu'il n'v a pas lieu à délibérer sur la pétition de quelques citoyens de Haguenau, et que M. Westermann sera transféré dans les prisons criminelles de Strasbourg.
Ces nombreuses variantes pourroient être regardées comme minutieuses et indifférentes ; mais-elles deviennent très-graves, quand on voit que chacune d'elles fait le texte particulier d'un chef d'accusation. Les citoyens, la municipalité, les
commissaires de département, le département..., le district, tout a été successivement attaqué par la municipalité de Haguenau : elle ne parle que de son patriotisme, comme si le patriotisme ne consistait pas dans le respect des loix. On est également surpris et indigné de la stupidité et de l'audace avec lesquelles, au nom d'une commune, quelques hommes actuellement sous le glaive de la loi se sont efforcés de flétrir la réputation de l'un de nos plus vertueux collègues. (Applaudissemens). Mais elle fut toujours à l'épreuve de pareilles atteintes : son ame honnête et pure feroit sans doute soustraire les calomnies et les calomniateurs à la loi. Satisfait de votre estime, et sachant bien qu'il la mérite, elle seroit à ses yeux la plus flatteuse récompense de ses travaux; mais l'accusation a été publique, et vous devez, MM., au rôle qu'il a joué dans cette affaire, et à la dignité de son caractere une réparation solennelle.
Après avoir entendu la preuve de l'intégrité de M. Regnier, votre comité a examiné quel genre de satisfaction convenoit le mieux à un représentant du peuple calomnié avec scandale. Il a pensé, messieurs, qu'il falloit saisir cette occasion de donner à la France et aux législatures qui suivront un grand exemple de modération et de sagesse ; qu'il ne falloit pas écarter par des peines séveres des accusations qui mettent la conduite de chacun de nous, et celle de nos successeurs sous la censure plus immédiate de l'opinion, qui nous commande une plus grande attention, et présente ainsi un appui des plus à la liberté publique. (Vifs applaudissemens). En conséquence, voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter :
L'assemblée nationale, après avoir entendu le rapport fait au nom de son comité des recherches, déclare que Claude Ambroise Regnier, député à l'assemblée nationale, est honorablement déchargé des inculpations qui lui avoient été faites au nom de la commune de Haguenau. (On applaudit et on demande unanimement à aller aux voix).
M. de Folleville : Cela est suffisant pour la réputation de M. Regnier ; mais cela ne l'est pas pour la satisfaction de la loi. Je demande en conséquence que ceux qui ont imprimé et distribué les mémoires dont M. le rapporteur a parlé, soient livrés à la justice, et poursuivis rigoureusement.
On demande la question préalable.
M. Regnier demande la parole avec instance. M. le Président : Je vous demande la permission de vous refuser la parole, monsieur, afin que nous ayons la douceur de vous voir absous sans vous avoir entendu.
Le projet de décret est mis aux voix et adopté : l'impression du rapport est également accordée.

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