Mémoires de la société d'archéologie lorraine
- 1910
L'élection aux Etats-Généraux
Christian Pfister
REGNIER.- Claude-Ambroise Regnier était né à
Blâmont, le 5 novembre
1716 (1), d'Ambroise Regnier, aubergiste, et de Françoise Thiry. Son père était fils d'un procureur général au bailliage de Saint-Dié et mourut à Blâmont à 87 ans, le 28 décembre 1806.
Regnier fit ses études secondaires sous la direction d'un oncle, curé de Saint-Dié, et suivit les cours de l'Université catholique de Strasbourg, puis ceux de l'Université de Pont-à-Mousson, ou il prit le titre de licencié en droit. En juillet 1765, à 19 ans, il se fit inscrire comme avocat au barreau de Lunéville. En 1769, il fut appelé par le prince régnant Louis de Salm-Salm à Senones et, en qualité de procureur général, il dirigea les affaires de la principauté. En 1773, il quitta Senones pour s'installer à Nancy comme avocat au Parlement. et y remporta de grands succès oratoires. Aussi fut-il, en
1789, désigné par les avocats de la ville, comme l'un de leurs représentants à l'assemblée de la ville; il fut l'un des principaux rédacteurs du cahier de la cité, fut choisi comme député électeur à l'assemblée du bailliage le 5 avril et élu définitivement par l'assemblée de réduction le 6. Il prit, à l'Assemblée nationale, une grande part à la discussion sur la nouvelle organisation judiciaire, se prononça contre l'institution du jury en matière
civile. Il défendit la municipalité de Nancy contre ceux qui incriminaient sa conduite lors de l'insurrection du 31 août 1790 et approuva la conduite du marquis de Bouillé. Il fut envoyé, après la fuite du roi, comme commissaire dans le département des Vosges, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. pour apaiser les troubles qui y avaient éclaté. Sous la Législative, il revint à Nancy, reprit sa profession d'avocat, fit partie, à la fin de 1791 du corps municipal, puis fut nommé président du tribunal de district mais, destitué en 1793, il se retira en sa maison de campagne de Maxéville, songea il émigrer et fut arrêté du 17 ventôse an II (7 mars 1794) au 9 thermidor. Le 20 vendémiaire an IV (13 octobre 1795), il fut élu député de la Meurthe au Corps législatif - l'un des deux députés du nouveau tiers - et le tirage au sort l'appela le 5 brumaire au Conseil des anciens. Il fut réélu membre de ce Conseil aux élections complémentaires de l'an VII,
il en devint secrétaire, puis président. Il se prononça contre le retour des prêtres exilés ou déportés. En 1799, il se rapprocha de Bonaparte, trempa dans le coup d'état du 18 brumaire : c'est lui qui présenta le décret transférant les deux Conseils à Saint-Cloud ce fut l'origine de sa haute fortune. Il présida la commission législative intermédiaire d'où sortit la constitution de l'an VIII. Il entra au Conseil d'État et fut l'un des principaux rédacteurs du Code civil. Le 14 septembre 1802, le premier consul le nomma grand juge et ministre de la justice, et il cumula pendant un certain temps avec ses fonctions celles de ministre de la police, lors de la disgrâce de Fouché (1802-1804). Grand officier de la Légion d'honneur le 14 juin 1804, grand cordon le 2 février
1805, il devint, le 24 avril 1808, comte de l'Empire, et, le 15 août
1809, par un décret signé de Schoenbrunn, il reçut le titre de duc de
Massa di Carrara. En 1813, très fatigué, il donna sa démission de grand juge; mais il fut nommé par Napoléon président du Corps législatif, quoiqu'il n'appartint pas à cette assemblée; aussi fut-il accueilli très froidement. Le duc de Massa,
comblé de bienfaits par l'Empereur, fit adhésion au gouvernement des Bourbons il ne tarda du reste pas à mourir en son hôtel de la rue de Choiseul, le 25 juin 1814, en sa 68e année, Il s'était marié à Lunéville le 5 avril 1769 avec Charlotte Lejeune
(2) il en eut 10 enfants. Un fils, le comte de Gronau, et une fille, la baronne Thiry, seuls survécurent mais ils ont laissé une nombreuse descendance.
Cf. L. ADAM, Etude sur trois gardes des sceaux de France, nés en Lorraine (Regnier, comte de Serre, Henrion de Pansey), Discours prononcé le 4 novembre 1872, à l'audience de rentrée de la Cour d'appel, Nancy, 1871 ALEXANDRE, Notice sur Claude-Ambroise Regnier, duc de Massa, Discours à l'audience solennelle de rentrée du 3 novembre 1853 PAUL DELAVAL, Le grand-juge Regnier; duc de Massa, dans le Pays lorrain, 1909, pp. 738-745 et tirage et part.
(1) Registres de l'état civil de Blâmont. Cf. J. S. A. L., 1888, p. 134
(DE MARTIMPREY), et 1898, p. 12 (ÉMILE DUVERNOY.)
(2) Il avait alors 23 ans et était encore mineur. Charlotte Lejeune était fille mineure de Nicolas-François Lejeune, conseiller du roi, greffier en chef du bailliage, et de Claude Persil. CH. Denis lnvent. des registres de l'état civil de Lunéville, p. 509
Mémoires de la société d'archéologie lorraine
- 1911
Les députés du département de la Meurthe sous la révolution
Christian Pfister
REGNIER (Claude-Ambroise). - Nous renvoyons, comme pour Salle, à la notice que nous a vous donnée dans les Mémoires de la Société d'archéologie, 1910, p. 99. Nous ajoutons seulement quelques renseignements ou faisons les rectifications suivantes.· Il fit ses études à l'Université protestante de Strasbourg, non à l'Université catholique qui n'avait pas de Faculté de droit; il fut immatriculé le 11 novembre 1763et inscrit sur la liste des candidats le 10 mai 1765 (G.
KNOD, o.c. t.
II, p. 433 et 618. Regnier est dit Albimontanus, de Blâmont). C'est à Strasbourg, non à Pont-à-Moussson, qu'il prit le titre de docteur en droit. En juillet 1765, il est inscrit comme avocat sur les registres de la Cour souveraine de Nancy (L. MENGIN, Notice historique sur le barreau lorrain, dans les M.S.A.L., 1873, p. 53). A la Constituante, il demanda un décret d'accusation contre le vicomte de Mirabeau, qui avait enlevé les cravates tricolores des enseignes de son régiment. Il fit partie du Comité de constitution où il fut très écouté. Il parla sur l'organisation du tribunal de cassation ; il réclama une indemnité pour les accusés acquittés. Il se fit inscrire à la Société des Amis de la Constitution et il dut s'y défendre, le 5 février 1791, d'accusations portées contre lui par les exaltés de
Haguenau *. Il avait fait à la Constituante les 30 octobre et 2 novembre précédents deux rapports sur les troubles qui avaient éclaté en cette commune et en avait fait arrêter l'instigateur, le greffier Westermann : d'où la colère des Jacobins. Le 22 juin 1791, il fut envoyé dans les départements du Haut et
Bas-Rhin et dans celui des Vosges, pour y prévenir les troubles qu'aurait pu causer la fuite de Louis XVI. Après l'Assemblée constituante, Regnier fut nommé, le 21 novembre
1791, officier municipal de Nancy, au troisième tour de scrutin, par 198 voix sur 605 votants. Il habitait alors rue Mirabeau (rue des Tiercelins), 17. En février 1792, il fut candidat à la mairie de Nancy et Dusquenoy réussit à l'emporter sur lui au troisième tour de scrutin. Aux élections du 27 novembre 1792, il est nommé premier juge du tribunal du district de Nancy, par suite président de ce tribunal, par 56 voix sur 63 votants ; il reste à ce poste pendant l'année
1793, mais fut destitué le 26 pluviôse an II (14 février 1794), quand les représentants Lacoste, Baudot et Bar
« épurèrent » le tribunal. Aux élections de la municipalité des 9-21 décembre 1793, il avait été choisi comme notable.
Après les journées de thermidor qui le délivrèrent de prison,
il fut renommé président du tribunal du district par le représentant Genevois le 24 frimaire an III (14 décembre 1794.) Les citoyens de la 2e section de Nancy le désignèrent le 22 fructidor an III (8 septembre 1795) comme électeur, et, à l'assemblée électorale le 23 vendémiaire an IV (15 octobre 1795), il fut élu second député du
« nouveau tiers », à la pluralité des voix sur 277 votants, Il termina ses trois législatures au Conseil des Anciens et fut réélu le 23 germinal an VII (12 avril 1799) à ce Conseil par 280 voix sur 339 votants. Il devint secrétaire le 2 frimaire an IV, président en ventôse an IV et en prairial an VI. Il fit partie d'un très grand nombre de commissions (radiation de la liste des émigrés, successions, examen du nouveau code pour les délits et peines des troupes de la République, délits de presse, etc.) Il prit la parole au nom de ces commissions et en son propre nom, En l'an IV, il vota la résolution qui confiait au Directoire diverses nominations, celle contre les dépréciateurs des mandats territoriaux ; en l'an V, il s'efforça d'atténuer les effets du coup d'État du 18 fructidor ; en l'an VI, il appuya la résolution contre les ci-devant nobles, s'éleva contre les scissions dans les assemblées électorales, fit admettre au Corps législatif Lucien Bonaparte et Aréna pour les lieux départements de la Corse, le Liamone et le Golo. En l'an VII, il défendit Reubell contre les inculpations de Dubois du Bais et appuya la dénonciation de Courtois contre les Jacobins. Il s'efforça ainsi de maintenir certaines conquêtes de la Révolution et soutint avec mollesse le Directoire, prêt à l'abandonner, en alléguant l'intérêt supérieur de l'ordre, Après le coup d'état du 18 brumaire, il présida la Commission législative intermédiaire du Conseil des Anciens ; il entra au Conseil d'État le 3 nivôse an VIII (24 décembre 1799), dans la section des finances. Il fut l'un des conseillers d'État auquel Bonaparte soumit l'acte du
16 thermidor an X (4 août 1802), qui modifiait profondément la Constitution, et il fut encore, le 3 floréal an XII (7 avril 1804), du Conseil privé où fut décidée la transformation du Consulat en Empire. Pendant un certain temps, avant de devenir grand-juge, il fut chargé du contentieux des domaines nationaux, Le 14 pluviôse an XII (4 février 1804), le collège électoral du département de la Meurthe, réuni sous la présidence de Duroc, présenta comme candidats au Sénat conservateur :
« Son Excellence M. Regnier, grand-juge, ministre de la justice », et
« M. Boulay, conseiller d'État, ayant le département des domaines nationaux » ; mais Napoléon préféra les garder au ministère et au Conseil d'État. Le 1er floréal an XIII (21 avril 1805), le mme collège, réuni sous la présidence de Boulay remplaçant Duroc, présentait les mêmes candidats et aussi, pour le Corps législatif, Thiry et Bouteiller, que le Sénat nomma aux fonctions législatives pour cinq ans. Regnier reçut le titre de comte d'Empire le 24
avril 1808 (1). « Le duc de Massa ne survécut guère à l'adhésion qu'il donna à la déchéance de Napoléon; frappé pour la troisième fois d'apoplexie, il y succomba la nuit du 24 au 25 juin 1814; il fut inhumé au cimetière du Père Lachaise ; le duc de Tarente, maréchal de France, jeta des fleurs sur sa tombe (2). » Son fils, Nicolas-François-Sylvestre Regnier, qui avait reçu, le
15 septembre 1811, le titre de comte de Gronau (seigneurie prussienne), hérita à la mort de son père du titre de duc de Massa, Il mourut à Paris le 20 août 1851 ; il avait eu
quatre enfants.
[A ajouter a la bibliographie : Biographie moderne (Breslau, 1806), t. IV. p. 140 ; Les assemblées électorales du département de la Meurthe ; Alcide GEORGEL, Armorial des familles de Lorraine,
pp. 550-552; DE GIRONCOURT, Histoire manuscrite de Nancy, Bibl. de Nancy 885 (341), fol. 368-371. - Il existe de Regnier un grand nombre de portraits gravés; nous renvoyons, pour la nomenclature, à
Soliman LIEUTAUD, Liste alphabétique de portraits de personnages nés en Lorraine, 2e édition.]
(1) Ses armoiries de comte sont : D'hermines à la fasce de sable chargée de trois alérions d'or. Franc-quartier de comte-ministre, brochant au 9e de l'écu. Ces armoiries de duc sont les mêmes; mais, au lieu du franc-quartier, le chef des ducs de l'Empire, qui est de gueules semé d'étoiles d'argent,
(2) De Gironcourt, Le Journal de la Lorraine et du Barrois (La Meurthe) du 1er juillet 1814, annonce sa mort en quelques lignes assez inexactes.
* NDLR : le texte ci-dessous
éclaircit le détail de cette affaire de Haguenau
Dictionnaire historique ou biographie universelle :
des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu'a nos jours :
François-Xavier de Feller
1836
REGNIER (Claude - Ambroise), duc de Massa Carrara, ministre de la justice, etc., né à Blamont, département de la Meurthe, le 6 avril 1736, se consacra au barreau, et était avocat à Nanci y à l'époque de la révolution. Il en embrassa les principes, et en 1789, cette ville le nomma député aux états généraux, et ensuite à l'assemblée nationale. Regnier se rangea du côté gauche, mais il parut peu à la tribune, et s'occupa beaucoup de judicature et d'administration. Il s'éleva contre l'institution des jurés en matière civile ; et lorsque le vicomte de Mirabeau enleva les cravates de son régiment, il proposa de le mettre en accusation ; cependant il défendit la municipalité de Nanci contre les reproches des jacobins, lors de l'insurrection de cette ville, et approuva la conduite de M. de Bouillé. La fuite du roi, 20 juin 1791, ayant
causé quelque tumulte dans les départements du Rhin et des Vosges, on y envoya Regnier pour les calmer. Il sut vivre ignoré pendant le règne de la terreur, jusqu'à ce qu'il fut nommé par le département de la Meurthe au conseil des anciens. A cette époque, il s'opposa vigoureusement à l'admission de Job Aymé, et à la rentrée des prêtres réfractaires. Il devint secrétaire, puis président du conseil, et y fut réélu en 1799, à l'époque où devaient cesser ses fonctions. Il se prononça plus ouvertement encore qu'il ne l'avait fait-contre les jacobins, s'opposa en même temps à l'impression d'une adresse des habitants de Grenoble contre Schérer, et combattit la permanence des séances après le 30 prairial ; il se déclara aussi avec Courtois contre le Manége. Regnier eut une part très-active dans la révolution du 18 brumaire, et fut un de ceux qui se réunirent, le 17 septembre au matin, chez Lemercier, président du conseil des anciens. On y arrêta les mesures définitives qui pouvaient assurer le succès de cette conspiration ; Regnier présenta le projet de décret qui transférait les conseils à Saint-Cloud, et fut nommé président de la commission intermédiaire. Après l'établissement du régime consulaire, Buonaparte n'oublia pas les services de Regnier ; il le nomma conseiller d'état dans la section des finances, le combla de dignités et de faveurs, et le 15 septembre 1802, Regnier réunit, sous la dénomination de grand-juge, les deux ministères de la justice et de la police générale. Il se démit de cette seconde place lorsque Fouché fut appelé à l'occuper : il conserva cependant son titre de grand-juge et le ministère de la justice. Nommé grand-officier de la Légion-d'honneur, il en obtint, en février 1805, le grand cordon, et fut créé duc de Massa-Carrara. En novembre 1813, il remit le portefeuille de la justice pour remplir la place de ministre d'état ; et ensuite celle de président du corps législatif, où il ne reçut pas un accueil bien flatteur.
Buonaparte, de retour de sa désastreuse expédition de
Moscou, avait besoin de mettre à la tète de cette assemblée un homme entièrement dévoué à ses projets. II y plaça Regnier. La dissolution du corps législatif, le 31 décembre 1813, mit un terme à la fortune de Régnier. Lors de la première abdication, il écrivit, le 8 avril 1814, au gouvernement provisoire, pour savoir s'il était encore président du corps législatif; il ne reçut point de réponse. Il ne survécut que deux mois et demi à sa disgrâce, et mourut à Paris le 24 juin 1814. Assez bon jurisconsulte, médiocre orateur et peu habile ministre, il fut, comme le comte Regnault de Saint Jean d'Angely, un des hommes le plus attachés à Napoléon, et
la plus souple de ses créatures; il parut sensiblement affecté quand celui-ci abdiqua et se retira à l'île d'Elbe. Son intérêt personnel était sans doute pour quelque chose dans l'affliction que lui causa cet évènement. Son fils a été nommé pair de France par Louis
XVIII.
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