Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890)
Waterloo (suite du Conscrit de 1813) ; Histoire d'un homme du peuple
1865
Nous étions une quinzaine de Lorrains au bataillon ; nous partîmes ensemble de Montrouge, où se trouvait le quartier général, et nous passâmes par Ivry et Bercy, qui sont des endroits de toute beauté ; mais le chagrin nous empêchait de voir le quart de ce qu'il aurait fallu regarder. Les uns conservaient l'uniforme, d'autres n'avaient que la capote, d'autres avaient acheté une blouse.
Derrière Saint-Mandé, tout près d'un bois où l'on voit à gauche de hautes tours, et que l'on nous dit être Vincennes, nous trouvâmes enfin la route de Strasbourg. C'était le 6 au matin, et, depuis cet endroit, nous fîmes régulièrement nos douze lieues par jour. Le 8 juillet, on savait déjà que Louis XVIII allait revenir, et que Mgr le comte d'Artois ferait son salut. Toutes les voitures, les pataches, les diligences portaient déjà le drapeau blanc ; dans tous les villages où nous passions, on chantait des Te Deum ; les maires, les adjoints, louaient et glorifiaient le Seigneur du retour de Louis le Bien-Aimé.
Des gueux en nous voyant passer, nous appelaient Bonapartistes ! Ils excitaient même les chiens contre nous... Mais j'aime mieux ne pas parler de cela ; les gens de cette espèce sont la honte du genre humain. Nous ne leur répondions que par un coup d'oeil de mépris qui les rendait encore plus insolents et plus furieux. Plusieurs d'entre nous balançaient leur bâton comme pour dire :
« Si nous vous tenions dans un coin, vous seriez doux comme des moutons ! »
Mais les gendarmes soutenaient ces espèces de Pinacles ; dans trois ou quatre endroits, les cris de la mauvaise race nous firent arrêter. Les gendarmes arrivaient nous demander nos papiers ; on nous menait à la mairie, et les gueux nous forçaient de crier : Vive le roi !
C'était une véritable abomination ; les vieux soldats, plutôt que de crier, se laissaient conduire en prison. Buche voulut suivre leur exemple, mais je lui disais :
- Qu'est-ce que cela nous fait de crier : Vive Jean-Claude ou : Vive Jean-Nicolas ? Tous ces rois, ces empereurs, anciens ou nouveaux, ne donneraient pas un seul de leurs cheveux pour nous sauver la vie, et nous irions nous faire échiner pour crier d'une façon ou d'une autre ? Non, cela ne nous regarde pas. Puisque les gens sont si bêtes, et que nous ne sommes pas les plus forts, il faut les satisfaire. Plus tard, ils crieront autre chose, et plus tard encore autre chose... Tout change !... il n'y a que le bon sens et le bon coeur qui restent.
Buche ne voulait pas comprendre ces raisons, mais quand les gendarmes arrivaient, il obéissait tout de même.
À mesure que nous avancions, tantôt l'un, tantôt l'autre se détachait de la troupe et s'arrêtait dans son village ; de sorte qu'après Toul, Buche et moi, nous étions seuls.
C'est nous qui vîmes encore le plus triste spectacle : des Allemands et des Russes en foule, maîtres de la Lorraine et de l'Alsace. Ils faisaient l'exercice à Lunéville, à Blamont, à Sarrebourg, avec des branches de chêne, sur leurs mauvais shakos.
- Quel chagrin de voir des sauvages pareils vivre et se goberger au compte de nos paysans !... Ah ! le père Goulden avait bien raison de dire que la gloire des armes coûte cher...
Tout ce que je souhaite, c'est que le Seigneur nous en débarrasse pour les siècles des siècles.
Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890)
Histoire d'un paysan - 1792 - La Patrie en danger
1867
Ce 30 août 1790 et le lendemain 31 sont peut-être les plus chaudes journées que j'ai vues ; le soleil rouge, qu'on avait sur la nuque, vous abasourdissait, et la poussière vous étouffait. Et puis c'était la première marche militaire que nous faisions ; quand les hommes vont en troupes, c'est tout autre chose que d'aller seul ; tantôt il faut ralentir le pas et tantôt se dépêcher, ce qui fatigue beaucoup, et cette grande poussière qu'on avale vous dessèche la bouche.
Malgré cela nous étions à Sarrebourg vers onze heures. Pas un bourgeois n'était parti ; les gens s'étonnaient de nous voir. On fit halte pour se rafraîchir, et puis on redoubla l'étape jusqu'à
Blamont, où nous n'arrivâmes que sur les sept heures du soir.
Pendant cette route, maître Jean se repentit plus d'une fois d'avoir mis son bel uniforme au lieu d'une blouse, et le pauvre Jean Rat, sa caisse sur l'épaule et le nez presque à terre, tirait la langue comme s'il avait traîné la charrette du père Soudeur. Moi j'allais bien, la sueur me coulait dans la raie du dos, c'est vrai, et j'avais même ôté mes guêtres pour sentir un peu d'air autour de mes jambes, mais je supportais cela facilement et les autres garçons du village aussi.
Les jeunes gens de la ville furent bien contents, eux, de rencontrer des voitures qui s'en allaient à Blamont, et de grimper dessus moyennant quelques sous ; et Jean Rat se réjouit de pendre sa caisse au timon de derrière.
Enfin nous arrivâmes tout de même à Blamont, où le commandant Gérard et le capitaine Laffrenez furent logés chez le maire, qui s'appelait M. Voinon ; maître Jean et Létumier chez un officier municipal ; et Jean Rat, Jacques Grillot et moi, chez un marchand de vin, un bon patriote, qui nous fit souper à sa table et nous raconta que leur commandant, M. Fromental, était parti deux jours avant, avec les volontaires de Blamont et d'Herbéviller ; qu'ils manquaient presque tous de fusils, mais qu'on leur en avait promis pour là-bas.
Nous bûmes chez lui du bon vin de Toul, et, comme il fallait se lever le lendemain avant le jour pour profiter de la fraîcheur, après souper il nous conduisit dans une chambre à deux lits ; Jean Rat et Grillot prirent le plus grand ; moi je couchai seul dans l'autre, où je dormis tellement bien, qu'il fallut me secouer pour me réveiller. Jean Rat battait déjà le rappel dans la rue noire. Il pouvait être trois heures ; à quatre nous étions en route, et fort heureusement, car lorsque le soleil se leva derrière nous, rien qu'à voir la couleur du ciel, on comprenait que nous allions être comme dans un four jusqu'à Lunéville.
Nous en approchions vers neuf heures. Il fallut se mettre en rang, l'arme au bras et le tambour en tête, pour entrer.
Henty, George Alfred (1832-1902)
Les Jeunes francs-tireurs
ouvrage traduit de l'anglais par Mme L. Rousseau
Hachette (Paris) - 1873
PREMIER ENGAGEMENT.
Les nouvelles qu'apprit le commandant à Baccarat le déterminèrent à changer sa route et à pousser sans délai sur Halloville, petit hameau au pied des Vosges, à deux lieues de Blamont et dominant la vallée de la Vesouze, où était située cette dernière ville.
C'était là une longue journée de marche rendue plus pénible encore par la pluie, qui tombait depuis le malin fine et serrée.
Couverts de leurs légers manteaux et les pattes de leurs casquettes rabattues, nos hommes marchaient pourtant gaillardement, soutenus par l'espérance qu'avant vingt-quatre heures ils auraient à engager quelque action, car on leur avait dit qu'un corps de deux cents uhlans venait de quitter Sarrebourg et s'avançait vers Blamont. Ces uhlans allaient tranquillement, s'arrêtant à chaque village qui se trouvait sur leur route pour faire des réquisitions de tout genre, et il semblait probable qu'ils entreraient à Blamont le même soir où les Francs-Tireurs devaient atteindre Halloville. On supposait qu'ils se dirigeraient ensuite vers Lunéville, par la vallée de Vesouze, avec les moutons et les bestiaux qu'ils auraient enlevés. Malgré la pluie, la route se trouva bonne jusqu'à deux lieues d'Hallovilîe, mais à cet endroit il fallut prendre un chemin de traverse étroit et raboteux comme un sentier. En vain douze des hommes furent-ils envoyés au secours du chariot, en vain poussèrent-ils aux roues et par derrière, il fallut renoncer à le faire avancer; et voyant que tous les efforts étaient inutiles, cheval et chariot furent mis à l'abri dans un épais fourré et laissés à la garde de Tim Dayle, d'un caporal et de six hommes auxquels leurs pieds meurtris refusaient tout service. Tim était désespéré de voir ainsi lui échapper toute chance d'assister, même comme témoin, au combat prochain, et il ne se consola que par l'espoir que sans doute dès le lendemain une vacance dans les rangs lui permettrait d'échanger son fouet contre un fusil.
Le reste du corps poursuivit sa route jusqu'à ce que, longtemps après la brume, on atteignit les quelques maisons qui forment le village d'Halloville. Ils furent salués par les cris pleins d'effroi d'une femme suivie d'hommes, de femmes, d'enfants qui s'élancèrent hors de leurs maisons en prenant la fuite. On eut une peine infinie à leur faire comprendre que les hommes tombés si soudainement au milieu d'eux n'étaient pas les uhlans si redoutés, mais
bien des protecteurs et des amis.
Revenus de leur erreur, chacun des villageois fit de son mieux pour recevoir ses hôtes, mais leurs moyens étaient aussi restreints que leurs pauvres maisons. Pourtant en peu de temps les fagots flambèrent dans les foyers, non sans qu'on eût masqué d'abord les fenêtres avec des couvertures, afin que de la vallée aucune lumière ne pût s'apercevoir. On alloua un feu à chaque compagnie pour cuire son souper, dont les préparatifs allèrent grand train. Puis on s'occupa de la question du coucher ; deux granges garnies de paille furent mises à la disposition du commandant, qui les accepta avec joie. Après s'être rassasiés amplement, les hommes se serrèrent sur leurs lits improvisés et y oublièrent promptement la pluie et la fatigue. De nombreuses sentinelles préservaient les dormeurs de toute surprise; car les paysans avaient confirmé les renseignements reçus la veille, en ajoutant que les uhlans, au nombre de deux cents environ, étaient entrés à Blamont dans l'après-midi et avaient exigé vingt mille francs des habitants, outre des vivres de toutes sortes. A trois heures du matin, nos Francs-Tireurs, suffisamment reposés, se levèrent et virent avec satisfaction que la pluie avait cessé. Guidés par des villageois, ils se dirigèrent aussitôt vers un point resserré de la vallée où la route longeait une épaisse forêt.
Là le commandant. Tempe embusqua ses hommes dans le bois.
Ils avaient apporté plusieurs rouleaux de laiton qui furent solidement attachés d'arbre en arbre, à un demi-mètre du sol. A quarante mètres en arrière, on coupa de jeunes arbres et des branches vertes qui furent déposés en travers de la roule, entortillés de laiton, de manière à former un fouillis parfaitement impénétrable pour la cavalerie et très-difficile à traverser pour l'infanterie. Chacun travailla avec ardeur, et vers huit heures du matin tout était achevé. On avait laissé sur les hauteurs, prés d'Halloville, une petite escouade dont un homme se détachait toutes les demi-heures pour apporter des nouvelles. Au petit jour, on avait vu un groupe de uhlans quitter Blamont et se diriger vers Barbas et Harboue, deux villages dans la plaine au dessous de Blamont, puis se retirer en chassant devant eux des moutons et quelques bestiaux. A dix heures, les derniers messages arrivant d'Halloville annoncèrent que deux cents uhlans venaient de quitter Blamont et descendaient dans la vallée.
Chacun prit aussitôt son poste : trente hommes derrière les arbres près de la route, et le corps principal derrière les abatis, chacun d'eux ayant préalablement choisi sa place à un endroit d'où il pouvait faire feu, protégé par le feuillage, sans être aperçu de la route. La première compagnie se plaça à droite, et conséquemment vers Blamont ; Ralph et Percy se trouvaient au premier rang. On ne devait faire feu sous aucun prétexte avant l'ordre du commandant, et l'on enjoignit à tous de se coucher dans les broussailles sur un parcours de plus de cent mètres. Les manteaux, les couvertures et autres accessoires avaient été laissés à Halloville, afin de laisser à tous le libre usage de leurs bras.
Les fusils furent chargés, les cartouchières ramenées sur la poitrine afin d'y avoir un facile accès, et l'ordre ayant été donné de ne pas prononcer une parole, même à voix basse, le silence le plus parfait régna bientôt parmi nos hommes.
Ralph et Percy étaient côte à côte. Avant de se coucher dans les broussailles, ils avaient échangé un serrement de mains rapide, et le coeur palpitant, étreignant leurs fusils avec force, ils attendaient le signal.
Bien qu'ils ne fussent là que depuis un moment, le temps leur semblait avoir duré un siècle, lorsque soudain
un piétinement de chevaux, se rapprochant de minute en minute, vint les avertir que l'ennemi était là ! Bientôt ils entendirent le cliquetis des armes, et, à travers leur écran de feuillage, ils purent voir deux uhlans dont l'oeil scrutateur cherchait à pénétrer l'épaisseur du bois.
Mais le fourré était impénétrable; ils passèrent donc sans rien voir et continuèrent à avancer au petit pas. Il est probable qu'ils ne redoutaient aucune attaque, car les Francs-Tireurs de Dijon étaient les premiers à paraître sur le théâtre de l'action, et ils ne pouvaient craindre qu'un coup de feu perdu.
Quelques minutes s'écoulèrent; puis quatre uhlans passèrent encore, et après le même intervalle arriva enfin le reste de la troupe, chassant devant elle des moutons et du bétail. Le gros de cette troupe avait dépassé l'endroit où nos jeunes gens étaient couchés et se trouvait en face de toute la ligne occupée par nos Francs-Tireurs, quand le silence du bois fut soudain interrompu par le cri du commandant :
« Feu ! » Avant que les uhlans eussent eu le temps de se reconnaître ou même de rassembler les rênes de leurs chevaux, la foudre de trente fusils jaillit du milieu des arbres et abattit plusieurs cavaliers. Il y eut parmi les uhlans un moment de panique effroyable, suivi d'une décharge pressée de carabines vers l'invisible ennemi.
Le chef des uhlans, jeune et bel officier à l'abondante chevelure blonde, aux moustaches blondes aussi,, cria à ses hommes :
« Ferme ! ils ne sont qu'une poignée d'hommes, chargez ! » Quelque promptement que cette manoeuvre fût exécutée, les
Francs-Tireurs eurent le temps de faire feu une seconde fois, et alors, selon l'ordre qu'ils en avaient reçu, ils rejoignirent leurs camarades à travers les éclaircies laissées à dessein dans les fourrés.
Un instant après, les uhlans chargèrent, mais aussitôt la plus grande confusion régna parmi eux. Le fil de laiton avait rempli le but qu'on en attendait : hommes et chevaux s'abattaient l'un sur l'autre, tandis que trente fusils lançaient leur- grêle meurtrière, sur la masse confuse. L'arrière-garde des uhlans, qui n'avait pas chargé, répondit alors au feu de nos Francs-Tireurs, et quoique lancées au hasard, plusieurs de leurs balles portèrent juste.
Malgré la mêlée, rien ne pouvait égaler le calme des officiers des uhlans dont la voix et l'exemple raffermissaient les leurs. Protégés par le feu de leurs camarades, ces hommes parvinrent en partie à se dégager eux et leurs chevaux et se retirèrent derrière le bois.
Ils reçurent alors de leur chef l'ordre de mettre pied à terre, et, confiant leurs chevaux au nombre de quatre par homme à leurs camarades, ils s'avancèrent à pied contre leur invisible ennemi, en apparence bien inférieur à eux, continuant avec leurs carabines un feu bien nourri : c'est ce qu'avait espéré le commandant des Francs-Tireurs.
Le fil de laiton rompu par les pieds des chevaux avait livré passage aux Prussiens, qui s'avançaient sans crainte, n'entendant qu'un maigre feu répondre-à leurs fortes décharges. Mais arrivés à cinq pas du mur de feuillage, le feu de cent fusils éclata soudain sur eux.
L'effet fut terrible ; un cri de surprise et de rage jaillit des poitrines de ceux qui étaient restés debout. Évidemment ils étaient tombés dans une embuscade. Fou de colère et de confusion en voyant l'erreur qu'il venait de commettre, le chef des uhlans s'élança en avant secondé par les efforts héroïques de ses soldats. Eh vain cependant essayèrent-ils de séparer les branches entrelacées, tandis que pleuvaient sur eux drues et rapides les balles de nos Francs-Tireurs; soudain le jeune chef, levant les bras au ciel, tomba frappé au coeur. L'officier en second ordonna alors la retraite; on remonta à cheval, et, sous le feu de nos braves amis, la troupe, considérablement diminuée, reprit en galopant sa course vers Blamont.
Les Francs-Tireurs se mirent en devoir de quitter leur verte forteresse, dans la crainte d'un retour des uhlans. Une petite escouade remonta la vallée afin de les observer; une autre, plus considérable, se mit à la poursuite des bestiaux dispersés qui couraient effarés à travers monts et vaux ; le reste fut employé à relever les blessés-et les morts.
Les pertes pour les Francs-Tireurs étaient de huit morts et quatorze blessés; quant aux uhlans, quarante-sept morts et dix neuf blessés gisaient sur le sol. La disproportion qui existait entre les morts et les blessés de l'ennemi s'expliquait par ce fait que beaucoup de soldats légèrement atteints avaient pu regagner leurs chevaux.
Le premier mouvement des jeunes Barclay, après que le feu eut cessé, fut de se jeter dans les bras l'un de l'autre et de serrer les mains de leurs cousins, dont la bonne chance avait été égale à la leur : nul d'entre eux n'avait reçu la moindre égratignure.
Ils n'eurent pas le temps d'échanger une parole, car l'ordre du commandant vint aussitôt bref et précis : « Les armes en sautoir, Barclay, et vous aussi, Dubourg, vite, aidez à rassembler le bétail. Vous vous êtes bien conduits, mes enfants, je suis content de vous. » Rougissant de plaisir, les quatre jeunes gens coururent exécuter les ordres du commandant qui voulait ainsi leur épargner l'aspect terrible d'un champ de bataille.
Ce combat si court, mais si glorieux, leur semblait presque un songe. Occupés à charger leurs fusils, à tirer, puis entraînés dans la mêlée et le tumulte, ils avaient à peine eu le temps de penser au danger, car c'est rarement au milieu du combat que le soldat se laisse aller à la crainte. Le moment où son courage est soumis à la plus rude épreuve, c'est celui de l'attente, exposé au feu du canon, ou bien lorsqu'il s'avance à l'attaque sous une grêle de balles et de mitraille. Dans un combat corps à corps, il ne pense pas, il est exalté par le danger même, la mort ne le préoccupe pas. Il n'a pas d'autre idée que le coup de feu, pas d'autre pensée que celle de recharger son arme. Quant à nos jeunes gens, s'ils avaient eu un instant conscience du danger qu'ils couraient, ce n'avait pas été pour eux-mêmes, mais chacun en particulier pour son frère, et Ralph, quoique à peine abrité par les arbres, n'avait songé qu'à avertir Percy de se tenir mieux à couvert.
Il fallut du temps pour rassembler les animaux effrayés et les ramener au lieu du combat. Quand, enfin, on parvint à les réunir, les blessés étaient tous relevés et les chirurgiens avaient déjà pansé presque toutes leurs blessures.
Un chirurgien accompagnait le corps, aidé de deux élèves qui s'étaient enrôlés avec lui; tous trois avaient étanché le sang et posé un premier appareil sur les blessures. Quand cette triste besogne fut achevée, il n'y eut heureusement que quatre Francs Tireurs qui se trouvèrent hors d'état de marcher, et justement, alors, vinrent à passer deux chariots qui arrivaient du village de Douteppe, situé dans la vallée, à dix minutes du lieu du combat, et où, dès l'issue de l'affaire, le commandant avait envoyé un messager. On plaça les blessés dans l'un de ces chariots, dans l'autre on empila les armes et tout l'équipement des uhlans tombés dans l'action ; et un des jeunes élèves en chirurgie accompagna les blessés jusqu'à Baccarat, où ils devaient demeurer durant tout le temps où ils auraient besoin de soins. En faisant la chasse aux bestiaux, on avait capturé trente-trois chevaux appartenant aux
uhlans; quatre hommes furent aussitôt désignés pour les ramener à Épinal, et en disposer, ainsi que des harnachements, au profit de la caisse militaire du corps.
Alors s'éleva la question de décider ce qu'il fallait faire des Prussiens morts et blessés. Le commandant Tempe proposa d'envoyer à Blamont celui des prisonniers qui se trouvait le moins gravement atteint, pour avertir, les uhlans qu'ils pouvaient venir les enlever sans crainte, les Francs-Tireurs étant sur le point de partir. Chacun accepta cette proposition.
Restaient les morts qu'il fallait enterrer! Tous se réunirent autour d'une fosse creusée à cet effet, et où furent déposés, avec un triste respect, les restes des glorieuses victimes de ce premier combat. Le commandant Tempe prononça quelques paroles d'adieu, souhaitant une aussi belle mort à tous ceux qui tomberaient; puis, quand la fosse fut comblée et recouverte de mottes de gazon, les hommes, profondément émus de cette scène, quoi. que fiers de leur premier succès, se préparèrent à quitter le terrain.
Le romancier situe d'ailleurs
un peu plus tard une autre action dans la région, concernant un
pont ferroviaire sur la Vezouze (qui semble-t-il ne peut être
que celui entre Thiébauménail et Marainviller) :
X - LE PONT DE LA VESOUZE.
[...]
Les troupes françaises qui se trouvaient massées dans les Vosges devenaient chaque jour plus nombreuses, sans cesse des corps de Francs-Tireurs arrivaient les renforcer encore. Si toutes ces troupes eussent été animées du même élan patriotique qui distinguait les Francs-Tireurs de Dijon, si elles eussent agi de concert avec la même vigueur et la même intelligence, nul doute qu'elles n'eussent pu rendre à la France d'immenses services.
Malheureusement, il n'en était pas ainsi ! Beaucoup d'hommes avaient pris place dans leurs rangs uniquement pour éviter de faire partie de la garde mobile ou de la garde nationale mobilisée ; d'autres n'avaient agi que sous l'impulsion du premier moment et se sentaient peu disposés à se soumettre à une exacte discipline; d'autres, enfin, pleins de bonne volonté et de bons sentiments, étaient paralysés par la complète incapacité de leurs chefs. Certains corps de Francs-Tireurs ne se distinguaient donc pas autrement que par leur extrême adresse et leur grande précaution à se tenir à une distance prudente de l'ennemi. Quelques-uns aussi acquirent non-seulement à eux-mêmes, mais à l'institution entière des Francs-Tireurs le plus mauvais renom par leurs exigences à l'égard des paysans, auxquels ils prenaient sans façon tout ce qu'il leur fallait, se faisant craindre presque autant que les Allemands eux-mêmes.
Il faut dire en même temps que, dans bien des cas, les paysans ne devaient s'en prendre qu'à eux-mêmes des mesures sommaires adoptées parles Francs-Tireurs; car souvent, au lieu de venir en aide à ceux qui avaient pris les armes pour la cause de la France, les villageois ne les considéraient que comme des étrangers dont on devait obtenir la plus riche moisson possible, et ne leur fournissaient les objets de première nécessité qu'aux prix les plus exorbitants. Parfois même ils n'hésitaient pas à leur refuser des denrées à quelque prix que ce fût, craignant, disaient-ils, d'en manquer lorsque les Allemands opéreraient leurs réquisitions.
Cette apathie, ce manque de coeur et de patriotisme de la part des habitants de certaines petites villes et des villages, causaient des difficultés innombrables aux Francs-Tireurs* et le commandant devait parfois recourir aux mesures légales pour obtenir dès vivres ou des logements. Dans ces cas-là il réunissait le prêtre, le maître d'école et deux autres notables de l'endroit; il en formait avec lui-même et ses officiers un comité qui fixait un prix raisonnable pour les objets demandés. Alors le commandant faisait savoir à la ronde que si ces objets étaient fournis dans l'espace de deux heures, ils seraient payés au taux convenu ; mais qu'en cas contraire, il répartirait ses hommes chez les habitants selon l'importance de leur fortune et les y laisserait au moins une semaine, menaces qui ne manquaient jamais de produire leur effet. Il était rare cependant que le commandant rencontrât des difficultés de cette nature, le corps étant composé d'hommes qui ne manquaient pas d'argent. Il avait aussi fait vendre les moutons et les bestiaux pris à Blamont, à cause des inconvénients qu'il y avait à les faire voyager chaque fois que l'on avait besoin de viande. La prise de ces animaux et des chevaux capturés le même jour avait donné une fort jolie somme à la caisse du régiment, qui se trouvait donc en état de payer amplement tous les objets requis. En outre, la renommée des combats de Blamont et de Still s'était répandue au loin, et l'on aidait volontiers de tout son pouvoir un corps qui venait de donner tant de preuves de son courage et de son énergie.
Nos jeunes gens avaient reçu plusieurs fois des lettres de leurs parents, et ils en avaient éprouvé, comme on peut le penser, le plus vif plaisir. Le rapport officiel du commandant Tempe, sur les actions engagées par ses hommes, avait été publié dans les journaux de Dijon, et reproduit ensuite par tous ceux de la France, ce qui enorgueillissait passablement à leur endroit la population dijonnaise. Les jeunes Barclay étaient cités dans le rapport comme s!étant spécialement distingués, et leur père.leur en avait témoigné dans ses lettres toute sa satisfaction. Leur mère et Milly avaient aussi écrit, mais chez elles les expressions de plaisir s'unissaient à l'espoir que les jeunes gens ne s'exposeraient pas sans nécessité.
La troupe était bien amoindrie depuis son départ de Dijon. Plus d'une trentaine d'hommes avaient été tués ou mis hors de combat dans les affaires de Blamont et de Still ; quinze avaient été tués ou blessés dans des escarmouches moins importantes, et dix ou douze étaient retournés chez eux ou entrés à l'hôpital, hors d'état de supporter plus longtemps la fatigue et les intempéries de la saison. Il ne restait donc au corps qu'environ soixante hommes valides.
Schlestadt et Neuf-Brisach étaient en ce moment investis par les Allemands. Après avoir attendu quelques jours pour s'assurer de la direction à prendre, le commandant Tempe résolut, comme le général Cambriels formait une armée près de Besançon, de défendre les défilés supérieurs des Vosges en les traversant de nouveau pour aider à la défense contre une seconde armée allemande qu'on disait prête à s'avancer au sud de Nancy.
Trois journées de marches fatigantes amenèrent le corps à Épinal. Nos jeunes gens, selon leur promesse, allèrent droit à la maison où, à leur première visite, ils avaient reçu une si bienveillante hospitalité. On fut charmé de les revoir et désolé que l'un d'eux manquât à l'appel. Ils purent cependant donner de bonnes nouvelles d'après la dernière lettre qu'ils avaient reçue de Dijon ; on leur disait que Philippe était complètement hors de danger, sans qu'il pût toutefois espérer de les rejoindre, les chirurgiens croyant qu'un long repos lui était nécessaire. Leur hôte avait lu dans les journaux le l'apport relatif à nos Francs-Tireurs, et sa femme renouvela en riant ses excuses sur la remarque qu'elle avait faite, lors de leur arrivée, sur leur extrême jeunesse.
« Mes filles, leur dit-elle, n'ont parlé que de cela depuis la nouvelle de votre attaque contre les uhlans, près de Blamont. On croirait, à l'intérêt qu'elles portent à votre corps, que tout l'avenir de la France repose sur les Francs-Tireurs de Dijon. »
Les jeunes Barclay se mirent à rire; Percy murmura quelques mots que nul ne. put comprendre, tandis que Louis Dubourg répondait sérieusement qu'il espérait voir les Francs-Tireurs de Dijon mériter toujours le touchant intérêt des jeunes filles, phrase que Percy qualifia tout bas de
« fatras ».
Après deux jours de repos, les Francs-Tireurs se remirent en marche vers le nord. Leur destination précise était un secret pour les hommes eux-mêmes. Le commandant semblait si ardemment désirer que son projet ne fût pas cette fois traversé par la trahison, qu'après la première journée de marche, il quitta la route, et, prenant un paysan pour guide, il voyagea deux longues journées à travers les forêts et les montagnes, évitant même les petits villages. Quatre chevaux suivaient, l'un chargé de poudre et les trois autres de vivres, afin qu'on pût se passer des ressources locales. On bivouaquait chaque nuit dans les forêts ; mais comme le temps était beau, malgré le froid, il n'y avait pas là de privations réelles. Le matin du quatrième jour après le départ d'Épinal, le commandant annonça y avoir appris que la voie était moins bien gardée qu'autrefois, les Allemands étant persuadés de l'impuissance des Français à leur nuire. Le corps se trouvait à ce moment dans la forêt de Mondon, à une lieue de la ligne de Strasbourg, entre Lunéville et Réchicourt. Son intention était d'employer la journée à faire des reconnaissances, et, en cas de quelque probabilité dé succès, d'essayer le lendemain, dès l'aube, de faire sauter le pont du chemin de fer sur la Vesouze.
Ces nouvelles furent reçues avec une grande satisfaction par le corps, qui brûlait de se distinguer, et ne pouvait rendre de plus grand service à son pays que découper cette ligne de communication. Cependant, comme les Allemands n'étaient plus réduits à une seule ligne de chemin de fer, l'avantage de cette rupture ne devait pas être aussi grand que lors des premiers essais au tunnel de Saverne. Naturellement les Barclay furent choisis pour aller en reconnaissance, et leurs vêtements de rechange les ayant suivis à dos de cheval, par ordre du commandant, il n'y avait sur ce point aucune difficulté à craindre.
L'expédition n'eut pas d'incidents dignes d'être mentionnés.
Au village le plus rapproché du pont, ils achetèrent du fromage et d'autres menus articles; puis s'étant procuré, sans éveiller aucun soupçon, les informations qu'ils désiraient, ils se frayèrent un passage à travers champs jusqu'à un point assez proche du pont pour leur en permettre l'examen sans être vus. A chaque extrémité se tenait une sentinelle, dix soldats gardaient une chaumière qui se trouvait tout auprès, et vingt autres stationnaient dans le village que les jeunes gens venaient de quitter. La voie était aussi garnie de sentinelles assez éloignées toutefois les unes des autres pour qu'elles ne pussent empêcher à temps l'entreprise projetée. Munis de ces renseignements, nos jeunes gens regagnèrent la forêt.
On tint conseil, et il fut décidé que, les nouvelles étant satisfaisantes, l'attaque aurait lieu le lendemain au point du jour. Chaque Franc-Tireur reçut ses instructions particulières. Le lieutenant Houdin, avec trente hommes, devait surprendre la troupe allemande dans le village. Les autres, après un détour pour l'éviter, devaient être prêts à attaquer les postes près du pont au premier coup de feu tiré dans le village. Du pont au point le plus rapproché de la forêt, où son épaisseur peut offrir un sérieux abri, il y avait une distance d'une lieue.
Dès là tombée de la nuit on cessa d'entretenir les feux, et peu après tout le corps, à l'exception des sentinelles, était profondément endormi. A quatre heures, tous les hommes étaient sur pied et se mirent en marche dans la direction indiquée. A cinq heures, chaque détachement était à son poste; une demi-heure se passa dans l'attente. Les Barclay étaient près du pont avec l'escouade du commandant; Louis Dubourg et Tim Dayle opéraient du
côté du village.
L'attaque devait avoir lieu à cinq heures et demie. Les moments qui précédèrent le signal parurent à nos jeunes gens d'une longueur interminable. Enfin, le silence fut interrompu par le bruit, d'un coup de feu auquel trois ou quatre répondirent aussitôt.
« Voilà le coup de la sentinelle prussienne et notre réponse, dit
le commandant; maintenant, mes enfants, en avant! »
Comme il parlait encore, la sentinelle du pont tira son coup de fusil répété par la suivante, et ainsi de suite sur toute la voie, jusqu'à ce que le son s'éteignît dans le lointain. En même temps les Francs-Tireurs s'étaient élancés en avant. Ils furent reçus par une décharge mal assurée des Allemands, qui, à demi endormis, sortaient en hâte du corps de garde. Les Francs-Tireurs, ayant riposté, les cernèrent au même moment. Cinq Allemands tombèrent ; les autres, pris de panique, jetèrent bas les armes, furent faits prisonniers, et nos hommes s'emparèrent du pont. Le feu continuait encore dans les maisons, mais il cessa au bout de cinq minutes, et Louis Dubourg apporta la nouvelle que le village était en leur pouvoir. Les Allemands, surpris dans leur sommeil, n'avaient fait qu'une légère résistance. Il y avait seize prisonniers et quatre morts. Un Franc-Tireur seulement était légèrement blessé.
« Prenez deux hommes avec vous, dit le commandant, et escortez les prisonniers jusqu'au village. Remettez-les au lieutenant Houdin, et dites-lui de les envoyer, sous la garde de six hommes, dans la forêt, avec ses propres prisonniers. Qu'on leur lie les mains derrière le dos, car l'escorte est faible, et nous ne pouvons en donner une plus considérable. Dites au lieutenant de s'assurer que les armes soient chargées et les baïonnettes au canon. Dès qu'il aura expédié les prisonniers, qu'il vienne me rejoindre avec le reste de ses forces. »
Le lieutenant Ribouville se mit alors à inspecter le pont, et ordonna aux hommes munis des instruments nécessaires de creuser un trou jusqu'au couronnement de l'arche principale; C'était un travail plus pénible qu'ils ne l'auraient cru, la route étant solide, le terrassement comprimé avec force et le couronnement de l'arche couvert de ciment à une profondeur considérable. Quelques hommes seulement pouvaient travailler à la fois, et, après une demi-heure d'un labeur désespéré, le trou n'était pas, à beaucoup près, assez avancé pour y pouvoir loger une charge de poudre capable d'assurer la destruction du pont. En même temps, en amont et en aval de la ligne, les sentinelles prussiennes arrivèrent, et, quoique trop inférieures en nombre pour tenter l'attaque, elles avaient ouvert leur feu à distance.
« Cela ira-t-il, Ribouville? demanda Tempe.
- Non, commandant, répliqua le lieutenant. La poudre pourrait creuser un trou par le sommet de l'arche, mais je n'ose l'espérer ; sa force se perdrait plutôt en l'air. »
A ce moment, Ralph, qui avait achevé sa part de travail et était allé se.désaltérer à la rivière, revint en courant.
« Lieutenant Ribouville, dit-il, il y aune cavité dans la culée, juste au niveau de l'eau. On paraît l'avoir laissée à dessein pour l'écoulement des eaux qui tomberaient d'en haut. Je crois que la charge pourrait y tenir.
- C'est précisément ce qu'il nous faut, dit Ribouville enchanté; Comment n'ai-je pas songé à y regarder tout d'abord? Arrêtez le travail, mes amis, et portez les barils au bord de l'eau. »
L'officier du génie descendit dans l'eau, qui ne lui montait pas plus haut que la ceinture, pour examiner la profondeur de la cavité. Il la déclara merveilleusement adaptée à ce qu'ils voulaient en faire. Elle ne s'étendait pas, de part et d'autre, comme le supposait Ralph, mais il y avait deux cavités, dont une de chaque côté de la culée, presque au même niveau, et allant chacune jusqu'au centre. Elles cubaient l'une et l'autre environ un mètre.
On amena en hâte, sur le bord, les barils de coton-poudre; les hommes les transportèrent dans l'eau. Le lieutenant Ribouville d'un côté, et Ralph de l'autre, prirent le coton et l'enfoncèrent à l'aide de grands bâtons dans les deux cavités. En cinq minutes, le contenu des deux barils y fut logé, la mèche introduite, et l'on commença l'opération du tamponnement au moyen de sable sec, de terre et de pierres.
« Faites vite ! cria le commandant; le nombre de nos ennemis augmente; ils sont quinze à vingt sur chaque rive. »
Les coups de fusil, en effet, allaient leur train. Le jour s'était levé et les Francs-Tireurs, abrités par le parapet du pont, échangeaient avec l'ennemi un feu vif qui durait depuis trois quarts d'heure. Tout à coup un grondement lointain se fit entendre, auquel succéda, au bout de quelques secondes, un sifflement se rapprochant avec fracas; puis, un instant après, une explosion avait lieu près du pont.
« Qu'est-ce que cela, maître Percy? dit Tim Dayle. Je n'ai jamais de ma vie entendu un bruit plus désagréable.
- Je suis d'accord avec toi sur son peu d'agrément, car c'est une bombe. L'artillerie arrive de Lunéville. Le feu des sentinelles donnera l'alarme
dans une couple de minutes. Voici une seconde bombe.
- Êtes-vous prêt, Ribouville ? cria le commandant. Ils ont aussi de la cavalerie. Il faut partir si nous ne voulons être pris comme, dans une souricière.
--Je suis prêt, répondit le lieutenant. Barclay, allumez une allumette et tenez-la au bout de votre mèche jusqu'à ce qu'elle commence à griller. Est-elle allumée?
- Oui, lieutenant, dit Ralph un instant après.
- La mienne aussi, reprit Ribouville. Elles brûleront trois minutes à peu près. Maintenant, courons. »
Quelques instants après, les Francs-Tireurs se retiraient au pas de course, et ils n'étaient pas à plus de cent mètres, quand ils entendirent deux explosions formidables se suivant à peu d'intervalle. En se retournant, ils virent que la culée était détruite, et que le pont couvrait le cours d'eau de ses ruines.
« Bravo ! mes enfants, dit le commandant, voilà de bon ouvrage. Ceux qui sortiront de là sains et saufs pourront être contents de leur journée. Ne craignez pas les bombes, ajouta-t-il, comme il venait encore d'en éclater deux l'une après l'autre tout auprès deux ; elles font un vilain bruit, mais elles ne nous blesseront pas à cette distance. »
Les artilleurs allemands en avaient conclu de même apparemment, car ils cessèrent le feu, et le corps ne se trouva plus exposé en opérant sa retraite qu'à des coups de feu isolés tirés par l'infanterie qui les poursuivait depuis le pont.
|