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Voyage en France - Victor-Eugène Ardouin-Dumazet
 


59eme Série - LES VOSGES
Paris- Berger-Levrault - Ed. 1914-1917


LES PETITES VOSGES

La vallée de la Verdurette. - La culture de l'osier. - L'industrie céramique. - Badonviller. - Les plantes méridionales en caisses. - Les forêts. - Un chemin de fer forestier. - Dans la forêt des Élieux. - Le col de la Chapelotte. - De la Blette à la Vezouse. - Val-et-Chàtillon. - Cirey. - La manufacture des glaces. - Blâmont. - Avricourt. - Le fort de Manonviller.

Lunéville. Août.

Le chemin de fer de Badonviller, en quittant Baccarat, longe les murs de la belle caserne Haxo, et s'élève lentement sur les collines riveraines de la Meurthe, pour pénétrer sur un plateau verdoyant, égayé par les toits rouges des hameaux et des fermes. Le paysage serait assez monotone sans le majestueux rideau des Vosges, déroulant au premier plan de belles futaies de hêtres et, plus haut, la nappe sombre des sapinières. Une petite rivière, la Verdurette, étroite et paresseuse, se forme de maigres ruisselets descendus de ces bois. Une de ses sources est à Pexonne, sur une sorte de seuil dominant au nord le vallon de la Blette et la petite ville de Badonviller.
La Verdurette, au nom d'un charme à la fois si pimpant et rustique, a pour vallée un des terroirs de prédilection de l'osier. Le centre principal pour la culture et le commerce est le village d'Ogéviller, au confluent de la Blette.
Tous les vallons aboutissant à la Vezouse : ruisseaux d'Albe et du Gué de Convey, Blette, etc., offrent des terrains favorables à l'oseraie. Dans une trentaine de communes des cantons de Lunéville, Blâmont, Badonviller, Baccarat et Gerbéviller, cette culture a une réelle importance, mais elle ne couvre que des champs exigus, et demeure le lot des petits cultivateurs et des ouvriers agricoles. La rareté de la main-d'oeuvre n'a pas permis à la grande propriété de s'y adonner.
D'après des renseignements recueillis à la Chambre de Commerce de Nancy, les oseraies de la région de Lunéville couvrent environ 400 hectares. Le premier établissement est coûteux : 1.000 francs par hectare, et l'exploitation demande un travail intense. C'est pourquoi les petites exploitations paraissent seules possibles. La production, en 1905, atteignait 160.000 kilogrammes d'osier sec valant de 700.000 à 800.000 francs. Un quart de ces quantités est employé sur place à confectionner des objets de vannerie commune, en osier gris, c'est-à-dire non pelé, qui se vendent en France, dans les pays annexés, et jusqu'en Angleterre. Les villages occupent à cette fabrication de 400 à 500 personnes. Une partie, rougie par une certaine cuisson, est vendue à des vanniers du Luxembourg. Plus importante est la préparation de l'osier blanchi, obtenu par la séparation de l'écorce. Il n'y a pas moins de 1.500 hommes, femmes ou enfants employés au pelage des brins. Les 1.200.000 kilogrammes d'osier blanchi ne se vendent pas seulement en France ; la Suisse, l'Angleterre, l'Amérique en demandent de grandes quantités.
Après les Ardennes, dont les oseraies de Vouziers sont fameuses et alimentent la vannerie de la Thiérache, après l'Aisne qui a les mêmes débouchés, la Haute-Marne, qui a Fayl-Billot pour centre de transformation, et la Gironde, Meurthe-et-Moselle tient la tête de l'industrie agricole de l'osier. Comme on l'a vu, les plantations sont concentrées dans une zone fort restreinte à laquelle elles procurent le bien-être.
Pexonne, un des villages osiéristes, forme, avec Fenneviller, un bourg unique, habité en partie par les ouvriers d une vaste tuilerie ; une cité a été construite pou: les travailleurs venus du dehors.
La céramique se développe dans cette région. Près de la gare de Badonviller s'étendent les bâtiments d'une faïencerie, occupant, me dit-on, 400 ouvriers. Plusieurs individus chargés de ballots descendent des wagons. Ils viennent chercher du travail dans la nouvelle manufacture. Parmi ces immigrants, je remarque une famille, le père, la mère, un garçonnet et une fillette ; celle-ci, en sortant de la station, aperçoit des pâquerettes et des boutons d'or au revers d'un fossé; elle se précipite vers les fleurs et cueille un bouquet, pendant que les parents soulèvent avec peine la malle renfermant leurs nippes. Joie intense et profonde d'une enfant venue de quelque faubourg misérable, où les fleurs doivent être inconnues.
Badonviller n'a qu'une large artère et, au centre, une autre rue circulaire, indiquant sans doute le tracé de remparts disparus. Une voie courte, mais ample, conduit à une grande église de grès rouge, aux allures de petit Panthéon. Cet embryon de place publique est bordé de maisons bourgeoises ayant toutes des plantes en caisses : figuiers couverts de fruits, grenadiers, lauriers -roses, yuccas, lauriers -sauce. C'est comme une évocation de la Provence. Dans chaque quartier on retrouve ce goût pour les plantes méridionales, le figuier surtout.
On aime la campagne en ce coin de Lorraine. Tout autour de la ville ce ne sont que vergers et jardins bien entretenus, couvrant de riants coteaux étages jusqu'aux grands bois qui séparent Badonviller de la vallée de la Plaine, si profondément vosgienne. Ici le département de Meurthe-et-Moselle possède ses véritables montagnes dans le massif compris au nord de la rivière de la Plaine. Région accidentée, sauvage, couverte de forêts, dont le point culminant, le Roc de Taurupt, atteint 732 mètres.
Ces forêts alimentent de nombreuses scieries; beaucoup sont de grandes usines; un chemin de fer forestier, unique exemple d'une telle organisation, avec la petite ligne de la Coubre dans les dunes de Royan, permet de transporter les bois à une distance considérable du point d'abatage et de centraliser ainsi le débit en planches et madriers, puis d'amener facilement les produits à la gare. Cette voie ferrée est étroite, ses wagonnets sont conduits par des chevaux, mais elle a un développement de 12 kilomètres jusqu'à la scierie de Thiaville, près de laquelle une retenue du torrent de France sert à l'élevage des truites. Cet étang aux eaux vives est peuplé d'une multitude de ces salmonidés. La forêt est admirable, les hêtres y atteignent des proportions superbes. Du sommet des petits monts on découvre toute la plaine lorraine et une grande partie des Vosges alsaciennes.
Le réseau des routes forestières, bien conçu, très complet, permet de multiplier les excursions dans ces montagnes plissées en une foule de vallons offrant sans cesse de nouveaux aspects, où la colonnade des hêtres atteint une extrême splendeur. La plus importante de ces voies est une chaussée large, bien tracée, conduisant de Lunéville à Strasbourg par la base du Donon et Schirmeck. Elle passe au pied de la pente où le chemin de fer forestier de Thiaville est tracé pour s'élever au sein de la forêt des Elieux, peuplée pour la plus grande part de sapins et de hêtres. Vaste de plus de 2.000 hectares, elle n'est qu'une partie très modeste de l'immense massif couvrant dans cette région les deux versants des Vosges.
La route est charmante, ses détours offrent à chaque instant sous de nouveaux aspects les grands bois, jusqu'à la dépression ou col de la Chapelotte, qu'elle atteint par de brusques lacets. La Chapelotte, située à 446 mètres seulement, moins de 100 mètres au-dessus de la vallée de la Plaine, est la clé du passage entre le versant de la Vezouse et celui de la Plaine, où la chaussée descend à travers des pentes couvertes de pins.
Moins pittoresque, mais charmant encore, est le pays traversé entre Badonviller et Cirey. D'un côté les forêts, de l'autre un plateau très ondulé, couvert de prairies et de cultures. Le chemin est égayé par une double rangée de beaux cerisiers en plein rapport, dont les fruits servent à la fabrication du kirsch. Ces plantations appartiennent au département, qui afferme chaque année la cueillette.
A partir du hameau des Carrières, le paysage se fait plus varié et riant, de petits vallons se creusent entre les bois, des ruisseaux murmurent. Cette base de la grande chaîne est d'un charme agreste. Les habitations participent de cette douceur ; si les rues de Bréménil sont encore encombrées de fumier, des vignes tapissent les façades, des fleurs sourient aux fenêtres. Les montagnes s'élèvent de croupe en croupe, revêtues de hêtres et de sapins. Le bois de Quimont, traversé par la route, offre d'admirables hêtres, hauts, droits et minces, dominés par la ramure plus puissante encore des chênes. La sortie est une surprise. Profonde se creuse la vallée de la Vezouse ; sur une colline s'étale Petitmont ; au-dessous, Val est gracieusement allongé au bord de la rivière. La vue est immense vers le nord, sur une contrée traversée par la frontière nouvelle ; mais le ciel, transparent tout à l'heure, s'est soudainement embrumé, les détails sont voilés.
Rapidement le chemin dévale vers la Vezouse aux flancs de la gorge assombrie par la verdure des pins. Voici le village, chef-lieu de la commune de Val-et-Châtillon. Les constructions, les bâtiments indiquent un riche terroir. En ce moment on édifie presque à chaque pas de grandes fontaines de grès rouge avec lavoirs et abreuvoirs destinées à remplacer les anciennes, cependant abondantes déjà et dont plus d'une ville serait fière. Plusieurs scieries, une filature avec tissage de coton, donnent de la vie à ce bourg sans cesse parcouru par les chars amenant les planches débitées dans l'immense sylve dont la foret de Bousson n'est qu'un quartier. Au-dessous de Val, la vallée est fraîche, mais va buter contre un énorme et noir talus de déjections industrielles, derrière lequel montent les fumées épaisses de grandes usines. Au delà de ce triste monticule débouche une autre branche de la Vezouse, venue de la frontière par le vallon de Châtillon.
Ces manufactures sont les établissements de Cirey, dépendant de Saint- Gobain. Comme pour les autres usines de la compagnie, il y a interdiction de visiter. Je n'ai pas essayé de violer la consigne et me suis borné à regarder de loin ces murs noirs derrière lesquels un millier d'ouvriers produisent les vastes glaces destinées aux boutiques des villes et aux larges fenêtres des maisons modernes. La petite cité, enrichie par la cristallerie, est coquette; elle étale ses toits rouges au fond du vallon, entre les deux bras de la Vezouse. La gare est un gigantesque chantier de bois, toutes les forêts de cette partie des Vosges y envoient des planches, des madriers, des poutres. Le cocher qui me conduit est fier de cet amoncellement :
«  Une planche, ça vaut vingt-trois sous en premier choix, me dit-il, et il y en a des planches ! »
J'aurais mauvaise grâce à m'inscrire en faux contre cette assertion ; il y a beaucoup de planches, en effet; il semble que le chemin de fer ne pourra jamais emporter ces prodigieux amas.
Cirey est au pied même des Vosges. Echappée des monts et des forêts, la Vezouse coule désormais dans une vallée sans grand caractère, aux pentes revêtues de champs de houblon, mais, en amont, la chaîne des Vosges, ou plutôt le massif du Donon, se dresse avec majesté.
Le coeur de la vallée est la petite ville de Blâmont, gentiment groupée au pied d'une colline à l'endroit où la Vezouse descend un moment au sud pour se diriger vers Domèvre et Lunéville. Le promontoire qui domine la miqnonne cité est couronné de belles ruines féodales. Du milieu des toits s'élèvent les deux flèches de L'église. Les ruines, la ville, les usines, sont encadrées dans un paysage tranquille et doux : des jardins, des vergers, des houblonnières.
Blâmont est un petit centre industriel où se file et tisse le coton, des ateliers produisent des outils pour l'agriculture : bêches, fourches, tridents et haches.
Le chemin de fer conduit à Avricourt, à travers des campagnes ondulées où passe la frontière ; un instant, la limite est formée par la voie elle-même; une des stations, Foulcrey, porte le nom d'une commune aujourd'hui allemande et dont les maisons apparaissent à un kilomètre à peine. A la halte de Foulcrey, un poteau porte ce mot : Frontière ; à côté se montre l'écusson allemand. La plupart des villages de la plaine ont des noms bien français encore : Richeval, Ibigny, Faye-des-Allemands, Attigny, Réchicourt-le- Château. Et une poignante tristesse saisit à la pensée que ces terres qui furent nôtres, où battent encore des coeurs français, sont tombées sous le joug germanique.
A l'endroit où la grande ligne de Paris à Strasbourg franchit la nouvelle frontière, le village d'Avricourt est lui-même allemand; un quartier nouveau s'est formé sur le territoire de Meurthe-et-Moselle, dans la commune d'Igney; il sert de résidence aux employés de la vaste gare et aux douaniers. Cette station d'Igney-Avricourt est le point de départ de la ligne de Cirey. Au delà s'étend la gare allemande, Deutsch-Avricourt, qui, elle aussi, a fait naître un hameau habité par les douaniers et les employés du chemin de fer. De cette station se détache un embranchement vers Château-Salins et Metz.
Ce noeud de chemins de fer semble destiné aux grandes luttes de l'avenir. De chaque côté l'on s'y est préparé. En France, un fort puissant défend le passage, mais en arrière, à 12 kilomètres. Il couvre un massif de collines nues dressé entre la Vezouse et la vaste forêt de Parroy et porte le nom du village de Manonviller. Depuis que de nouveaux explosifs ont rendu précaire la situation des forts construits au lendemain de la guerre, celui de Manonviller a été recouvert d'une épaisse carapace de béton d'où émergent les coupoles cuirassées. La forteresse à laquelle est dévolu le rôle glorieux de premier obstacle contre l'invasion se distingue à peine, tant elle est basse, tant elle se confond avec le renflement de terrain dont elle occupe le sommet. Si l'on ne connaissait son existence, on ne la devinerait pas; bien des voyageurs passent chaque jour sur le chemin de fer de Strasbourg sans se douter qu'il y a là une citadelle.
 

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