DANS LES COMMUNES ÉPROUVÉES
L'invasion des Barbares. - Les Allemands volent. pillent, tuent,
brûlent
Ruines et meurtres. - La bête teutonne déchaînée. - Un maire
héroïque.
Le poteau-frontière de Deutsch-Avricourt au musée de Nancy.
Vive la France.
M. L. Mirman, préfet de
Meurthe-et-Moselle, s'est rendu hier à Badonviller pour remettre
la croix de la légion d'honneur à M. le maire Benoît.
M. le Préfet était accompagné comme dans toutes les visites déjà
faites par lui dans l'arrondissement, par M. Méquillet, député,
et Minier, sous-préfet.
Il était cette fois accompagné aussi de Mme L. Mirman, laquelle
avait en ce jour une mission à remplir : celle de porter, au
nom de toutes les femmes de France, un souvenir ému aux femmes
françaises assassinées par les Allemands et de déposer sur ces
tombes des gerbes de fleurs nouées de rubans tricolores. Ce
pieux pèlerinage, auquel, en chaque commune, se joignirent les
autorités locales, eut lieu :
1° A Badonviller, sur la tombe de Mme Benoit, femme du maire,
fusillée alors qu'elle ouvrait, sur les ordres des autorités
allemandes, les fenêtres de sa maison,
2° A Badonviller, sur la tombe provisoire, en plein champ, où
reposent les restes de Mme George et de son mari, fusillés dans
leur maison même avec une atroce cruauté ;
3° A Bréménil, sur la tombe de Mme barbier, brûlée dans sa
propre maison, et qui y fut probablement d'abord assassinée au
chevet de son fils, blessé et alité dont les restes furent aussi
retrouvés dans les décombres ;
4° A Blâmont, sur la tombe de Mlle Cuny, tuée dans les champs
près du village et sur qui les Allemands tirèrent comme sur une
alouette.
Tel est dressé jusqu'à ce jour le martyrologue des femmes
françaises en cette région de Lunéville.
A Badonviller, pendant que le pieux pèlerinage s'accomplît sur
les tombes de Mmes Benoit et George, la foule s'est massée sur
la place. Un officier commandant des troupes de passage, avisé
de la cérémonie qui doit avoir lieu, commande un piquet pour
rendre les honneurs. M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle
s'exprime en ces termes :
« Je viens au nom de la France saluer à Badonviller la commune
martyre et le maire héroïque »
« Ici, les barbares ont donné toute leur mesure. Sans la moindre
provocation, sans qu'un coup de feu ait été tiré, une menace
faite, une insulte proférée, une imprudence commise par la
population civile, disciplinée sous l'autorité ferme et sage de
son maire, sans la moindre raison, sans le moindre prétexte de
guerre, ils ont ici accumulé toutes le violences possibles. Ils
ont emmené quinze otages, dont à l'heure actuelle aucune
nouvelle ne nous est connue. Ils ont saccagé, ils ont pillé, ils
ont volé, volé non seulement les liqueurs dont ils s'enivrèrent,
mais aussi l'argenterie et les bijoux. Ce n'est pas tout. Avec
calme, méthode et sang-froid se servant de cartouches et fusées
spéciales, ils ont brûlé 28 maisons. Ce n'est pas tout encore.
Quand ils se retirèrent, leur artilleurs situés sur une commune
voisine, virent devant eux la belle église de Badonviller,
magnifique cible plus facile à atteindre et moins dangereuse à
viser qu'une batterie française. Alors qu'il n'y avait pas un
seul soldat français dans l'église, dans le village, ni aux
alentours, leurs artilleurs canonnèrent, démolirent et
incendièrent l'église ; on eut dit que ces bavarois les plus
catholiques parmi les Allemands, avaient conçu l'extravagante
idée de vouloir punir Dieu de n'avoir pas béni leurs armes !
Plus de dix personnes, dont deux femmes, furent lâchement
assassinées.
« Tel est le biland e ruines et de meurtres. Si je n'étais
entouré d'enfants qui pleurent les pères et mères de fusillés,
j'éprouverais une âpre joie à dresser ce tableau tragique et
dirais : Oui, il fallait que quelque part en une commune de
France marquée pour ce martyre - et cette commune devait être en
Lorraine - il fallait que le barbare imprimât la marque totale
de son génie, qu'il offrit au monde un échantillon de ce qu'il
sait faire, qu'il fit comprendre par quelque exemple éclatant ce
dont est capable la bête teutonne quand elle est déchainée.
« Je viens, mes chers amis, d'abord vous dire ceci : cette bête
teutonne que vous avez vue à l'oeuvre, elle ne reviendra jamais
sur notre terre de France. Sut toutes les parties du monde elle
est traquée, traquée au sud par la race vaillante des Serbes et
Monténégrins qui n'ont pas reculés d'une semelle, traquée à
l'Est par les Russes qui avancent, traquée au Nord-Ouest par les
Belges héroïques qui leur apprennent en ce moment ce dont est
capable un peuple fier et libre ; elle est traquée, la bête
teutonne, sur tous les Océans et sur tous les continents du
monde par les Anglais ; de Liège à Belfort, elle recule ; près
d'ici, sous les baïonnettes françaises, elle a été chassée des
cols et sommets des Vosges, elle dévale en hurlant de rage dans
les plaines d'Alsace ; bientôt, pantelante, elle repassera le
Rhin, la bête teutonne contre laquelle se dressent, avec une
mâle énergie, toutes les nations du monde qui veulent vivre dans
la paix, le travail et la bonté. Elle est traquée, vous dis-je,
plus d'angoisse ! Oubliez vos épreuves, gardez le souvenir
impérissable de vos chères victimes, dont les noms seront écrits
bientôt en lettres d'or sur des plaques de marbre dressées aux
portes de vos mairies, mais relevez la tête, et contemplant ce
destin supérieur à njos espérances, à l'aurore de cette ère
nouvelle où la Patrie rayonnante va imposer au monde le règne de
la Justice, pleurons de joie en acclamant la douce France
éternelle !
« Mais le spectacle de ces ruines fumantes m'impose le devoir :
habitants de Badonviller et des communes éprouvées de Lorraine,
je prends devant vous un double et solennel engagement :
d'abord, vos maisons vous seront rendues, reconstruites, aux
frais du pillard et de l'incendiaire ; puis vos églises seront
restaurées et si elles doivent l'être par souscription publique,
je prends l'engagement au nom de ma race dont je connais bien
l'âme, qu'à cette souscription pas un Français ne manquera,
catholique, ou libre penseur, protestant ou israélite, puisque
tous aujourd'hui forment contre le Barbare comme un bloc de
ciment armé.
« Il me reste une mission à accomplir. »
M. L. Mirman rappelle la conduite du héroïque maire Benoît : il
insiste sur les vertus morales dont il a fait preuve, lorsque,
le lendemain, il a sauvé, par sa courageuse intervention, la vie
d'un prisonnier allemand. Et aux acclamations enthousiastes de
de toute la foule, il épingle sur le modeste veston du maire
Benoît la croix de chevalier de la Légion d'honneur.
***
Après une courte visite à
Bréménil et à Blâmont, M. le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est
rendu à Nonhigny, où un affreux spectacle l'attendait. Sur 60
maisons, 45 et les plus importantes sont brûlées, l'église en
ruines, qutre hommes assassinés, dont l'adjoint faisant fonction
de maire, M. Jeanjean. M. Mirman réunit les quelques hommes
valides présents dans le village ; sur leur indication désigne
M. Gérard Arsène pour faire fonction de maire, distribue des
secours d'extrême urgence, donne des indications sur le
ravitaillement en farine et diverses autres questions d'intérêt
immédiat, et fait, par M. le juge de paix du canton, présent sur
les lieux, adresser un secours à la commune de Parux, également
bouleversés, visitée antérieurement.
La commune voisine de barbas est moins éprouvée. 2 hommes tués,
5 otages emmenés. Il est entendu que la population de Barbas va
aider les habitants plus malheureux de Nonhigny.
A Remoncourt, le maire, M. Scherer, et M. Beaudoin, conseiller
municipal, ont été emmené come otages et ne sont point revenus.
Pas d'assassinat. Pas de maison incendiée. Mais le village est à
sac. L'adjoint Chatel se multiplie. La population pleure de joie
en apprenant les bonnes nouvelles, en écoutant les paroles
réconfortantes que lui rapporte M. le préfet de
Meurthe-et-Moselle.
A Xousse, 3 maisons brûlées, 1 otage emmené. Xousse, où il resta
quelques vieux chevaux, ira se ravitailler en farine pour son
compte et pour Remoncourt.
Vaucourt offre, comme Nonhigny, un spectacle de désolation :
une trentaine de maisons incendiées, incendiées non comme
l'église par le bombardement et par accident de guerre, mais
incendiées à la main, froidement, comme à Badonviller. Trois
otages emmenés. Le village est à sac. La population réunie sur
la place, au milieu des ruines, accueille les déclarations du
préfet par une acclamation unanime de « Vive la France ! », et
sur ces visages éprouvés coulent aussi des larmes de joie et de
fierté. Il est entendu qu'on fêtera l'an prochain dans un
banquet l'inauguration des nouvelles maisons reconstruites aux
frais des barbares.
M. le préfet a visité en rentrant à Nancy les municipalités de
Xures et Einville, et il était 7 heures à la mairie de Nancy, où
Mme Mirman faisait connaître à M. le maire Laurent qu'elle était
heureuse d'apporter et d'offrir à la ville de Nancy le poteau
frontière allemand de Deutstch-Avricourt. M. Paquet sortit avec
peine de l'auto la lourde et vilaine masse de bronze et la remit
à M. le maire, qui se propose de la faire déposer ultérieurement
au musée de la ville.
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