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Les atrocités allemandes en France
Rapport officiel de la commission d'enquête
(Journal officiel, 8 janvier 1915)


Par décret en date du 23 septembre, une Commission composée de : MM. Georges Pagelle, premier président de la Cour des comptes; Armand Mollard, ministre plénipotentiaire; Georges Maringer, conseiller d'État; Edmond Paillot, conseiller à la Cour de cassation, fut instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens.
La Commission a présenté à M. Viviani, président du conseil, son rapport dont voici le texte complet


Monsieur le Président du Conseil,

Chargés, en vertu d'un décret du 23 septembre dernier, d'aller procéder sur place à une enquête, relativement aux actes commis en violation du droit des gens, dans les parties du territoire français que l'ennemi a occupées, et qui ont été reconquises par les armées de la République, nous avons l'honneur de vous rendre compte des premiers résultats de notre mission.
Nous vous apportons déjà, monsieur le président, une ample moisson de renseignements. Elle ne comprend, cependant, qu'une part assez restreinte des constatations que nous aurions pu faire, si nous n'avions soumis à une critique sévère et à un contrôle rigoureux chacun des éléments d'information qui se sont présentés à notre examen. Nous n'avons cru devoir, en effet, retenir que les faits qui, irréfragablement établis, constituaient d'une façon certaine des abus criminels nettement caractérisés, négligeant ceux dont les preuves étaient insuffisantes à nos yeux, ou qui, si dommageables ou si cruels qu'ils fussent, pouvaient avoir été la conséquence d'actes de guerre proprement dits, plutôt que d'excès volontaires, imputables à l'ennemi.
Dans ces conditions, nous avons la ferme assurance qu'aucun des incidents dont nous avons fait état ne saurait être discuté de bonne foi. La preuve de chacun d'eux, d'ailleurs, ne résulte pas seulement de nos observations personnelles; elle se fonde principalement sur des documents photographiques et sur de nombreux témoignages reçus en la forme judiciaire, avec la garantie du serment.
La tâche à laquelle nous nous sommes appliqués tous les quatre, dans une étroite communauté d'impressions et de sentiments, nous a paru souvent pénible, devant les spectacles lamentables que nous avons eus sous les yeux. Elle eût été vraiment trop douloureuse, si nous n'avions trouvé un puissant réconfort dans la vue des troupes merveilleuses que nous avons rencontrées sur le front, dans l'accueil des chefs militaires, dont le bienveillant concours ne nous a jamais fait défaut, et dans l'aspect des populations admirables qui supportent avec la résignation la plus digne des cala-mités sans précédent. Dans les régions que nous avons traversées, et notamment dans ce pays de Lorraine qui fut si fréquemment victime des fléaux de la guerre, nous n'avons entendu ni une sollicitation, ni une plainte; et pourtant, les misères affreuses dont nous avons été les témoins dépassent en étendue et en horreur ce que l'imagination peut concevoir. De tous côtés, le regard se pose sur des décombres; des villages entiers ont été détruits par la canonnade ou par le feu ; des villes autrefois pleines de vie ne sont plus que des déserts remplis de ruines : et quand on visite les lieux désolés où la torche de l'envahisseur a fait son oeuvre, on a continuellement l'illusion de marcher parmi les vestiges d'une de ces cités antiques que les grands cataclysmes de la nature ont anéanties.
On peut dire, en effet, que jamais une guerre entre nations civilisées n'a eu le caractère sauvage et féroce de celle qui est en ce moment portée sur notre sol par un adversaire implacable. Le pillage, le viol, l'incendie et le meurtre sont de pratique courante chez nos ennemis; et les faits qui nous ont été journellement révélés, en même temps qu'ils constituent de véritables crimes de droit commun, punis par les codes de tous les pays des peines les plus sévères et les plus infamantes, accusent dans la mentalité allemande depuis 1870 une étonnante régression.
Les attentats contre les femmes et les jeunes filles ont été d'une fréquence inouïe. Nous en avons établi un grand nombre, qui ne représente qu'une quantité infime auprès de ceux que nous aurions pu relever; mais, par un sentiment très respectable, les victimes de ces actes odieux se refusent généralement à les révéler. Il en aurait été moins commis, sans doute, si les chefs d'une armée dont la discipline est des plus rigoureuses s'étaient inquiétés de les prévenir; on peut toutefois, à la rigueur, ne les considérer que comme les actes individuels et spontanés de brutes déchaînées ; mais il n'en est pas de même de l'incendie, du vol et de l'assassinat; le commandement, jusque dans ses personnifications les plus hautes, en portera, devant l'humanité, la responsabilité écrasante.
Dans la plupart des endroits où nous avons fait notre enquête, nous avons pu nous rendre compte que l'armée allemande professe d'une façon constante le mépris le plus complet de la vie humaine, que ses soldats et même ses chefs ne se font pas faute d'achever les blessés, qu'ils tuent sans pitié les habitants inoffensifs des territoires qu'ils envahissent, et qu'ils n'épargnent, dans leur rage homicide, ni les femmes, ni les vieillards, ni les enfants. Les fusillades de Lunéville, de Gerbéviller, de Nomeny et de Senlis en sont des exemples terrifiants; et vous lirez, au cours de ce rapport, le récit de scènes de carnage auxquelles des officiers eux-mêmes n'ont pas eu honte de prendre part.
L'esprit se refuse à croire que toutes ces tueries aient eu lieu sans raison. Il en est pourtant ainsi. Les Allemands, il est vrai, en ont toujours donné le même prétexte, en prétendant que des civils avaient commencé à tirer sur eux. Cette allégation est mensongère, et ceux qui l'ont produite ont été impuissants à la rendre vraisemblable, même en tirant des coups de fusil dans le voisinage des habitations, comme ils ont l'habitude de le faire pour pouvoir affirmer qu'ils ont été attaqués par les populations innocentes dont ils ont résolu la ruine ou le massacre. Nous en avons maintes fois recueilli les preuves; en voici une, entre bien d'autres : un soir, une détonation ayant retenti pendant que M. l'abbé Colin, curé de Croismare, se trouvait auprès d'un officier, celui-ci s'écria :
«  Monsieur le curé, en voilà assez pour vous faire fusiller ainsi que le bourgmestre, et pour faire brûler une ferme. Tenez, en voici une qui brûle.
- Monsieur l'officier, répondit le prêtre, vous êtes trop intelligent pour ne pas reconnaître le bruit sec de votre fusil. Pour moi, je le reconnais. »
L'Allemand n'insista pas.
De même que la vie humaine, la liberté des gens est, de la part de l'autorité militaire allemande, l'objet d'un absolu dédain. Presque partout, des citoyens de tout âge ont été arrachés à leurs foyers et emmenés en captivité. Beaucoup sont morts ou ont été tués en route.
Plus encore que le meurtre, l'incendie est un des procédés usuels de nos adversaires. Il est couramment employé par eux, soit comme élément de dévastation systématique, soit comme moyen d'intimidation. L'armée allemande, pour y pourvoir, possède un véritable matériel, qui comprend des torches, des grenades, des fusées, des pompes à pétrole, des baguettes de matière fusante, enfin des sachets contenant des pastilles composées d'une poudre comprimée très inflammable. Sa fureur incendiaire s'affirme principalement contre les églises et contre les monuments qui présentent un intérêt d'art ou de souvenir.
Dans les départements que nous avons parcourus, des milliers de maisons ont été brûlées ; mais nous n'avons constaté par nos procès-verbaux d'enquête que les incendies allumés dans une intention exclusivement criminelle, et nous n'avons pas cru devoir mentionner ceux qui, comme à Villotte-devant-Louppy, à Rembercourt, à Mognéville, à Amblaincourt, à Pretz, à Louppy-le-Château, etc., ont été occasionnés par les obus, au cours de combats violents, ou sont dus à des causes qu'il n'a pas été possible de déterminer d'une façon tout à fait certaine. Les quelques habitants qui sont restés au milieu des ruines nous ont fait, d'ailleurs, à cet égard, des déclarations pleines de loyauté.
En ce qui concerne le vol, nos constatations ont été incessantes, et nous n'hésitons pas à dire que partout où une troupe ennemie a passé elle s'est livrée, en présence de ses chefs et souvent même avec leur participation, à un pillage méthodiquement organisé. Les caves ont été vidées jusqu'à la dernière bouteille, des coffres-forts ont été éventrés, des sommes considérables ont été dérobées ou extorquées; une grande quantité d'argenterie et de bijoux, ainsi que des tableaux, des meubles, des objets d'art, du linge, des bicyclettes, des robes de femme, des machines à coudre et jusqu'à des jouets d'enfants, après avoir été enlevés, ont été placés sur des voitures, pour être dirigés vers la frontière.
Contre toutes les exactions, de même que contre tous les crimes, il n'y avait aucun recours ; et si quelque malheureux habitant osait supplier un officier de vouloir bien intervenir pour épargner une vie ou pour protéger des biens, il ne recevait d'autre réponse, quand il n'était pas accueilli par des menaces, qu'une invariable formule, accompagnée d'un sourire, et mettant sur le compte des fatalités inévitables de la guerre les abominations les plus cruelles.

[...]

MEURTHE-ET-MOSELLE

Nous sommes arrivés le 26 octobre dans le département de Meurthe-et-Moselle, et nous avons visité un très grand nombre de communes des arrondissements de Nancy et de Lunéville.
Nancy, ville ouverte, dans laquelle l'armée allemande n'a pas pu pénétrer, a été bombardée, sans avertissement préalable, dans la nuit du 9 au 10 septembre. Soixante obus environ sont tombés sur les quartiers du centre et dans le cimetière du sud, c'est-à-dire en des endroits où il n'existe pas d'établissement militaire. Trois femmes, une jeune fille et une fillette ont été tuées, treize personnes ont été blessées; les dégâts matériels sont importants.
Des avions ennemis ont survolé la ville à deux reprises. Le 4 septembre, l'un d'eux a jeté deux bombes, dont l'une a tué, sur la place de la Cathédrale, un homme et une petite fille et a blessé six personnes. Le 13 octobre, trois bombes ont été lancées sur la gare des marchandises. Quatre employés de la Compagnie des chemins de fer de l'Est ont été blessés.
Quand nous nous sommes rendus à Pont-à-Mousson, dans la matinée du 10 novembre, sept obus venaient d'y être envoyés par les batteries allemandes, quelques heures auparavant. C'était, depuis le 11 août, le vingt-quatrième jour de bombardement. La veille, une jeune fille de dix-neuf ans et un enfant de quatre ans avaient été tués dans leur lit par des éclats de projectiles. Le 14 août, les Allemands ont spécialement pris pour objectif l'hôpital, sur les tours duquel flottaient des drapeaux de la Croix-Rouge, visibles de fort loin. Cet édifice n'a pas reçu moins de soixante-dix obus. Nous avons constaté les dégâts qu'ils ont causés.
Quatre-vingts maisons environ ont été endommagées par les différents bombardements qui, tous, ont eu lieu sans avertissement. Quatorze personnes de la population civile, principalement des femmes et des enfants, ont été tuées. On compte à peu près le même nombre de blessés. Or Pont-à-Mousson n'est pas fortifié. Seul, le pont sur la Moselle avait été mis en état de défense, au début des hostilités, par le 26e bataillon de chasseurs qui tenait alors garnison dans la ville.
Nous avons éprouvé une véritable impression d'horreur, quand nous nous sommes trouvés en présence des ruines lamentables de Nomény. A part quelques rares maisons qui subsistent encore, auprès de la gare, dans un emplacement séparé par la Seille de l'agglomération principale, il ne reste de cette petite ville qu'une succession de murs ébréchés et noircis, au mi-lieu d'un amas de décombres, dans lequel se voient, çà et là, quelques ossements d'animaux, en partie calcinés et des débris carbonisés de cadavres humains. La rage d'une soldatesque en furie s'est déchaînée là implacablement.
Nomény, à raison de sa proximité de la frontière, avait, dès le début de la guerre, reçu de temps en temps la visite de cavaliers allemands. Des escarmouches avaient eu lieu dans ses environs et, le 14 août, dans la cour de la ferme de la Borde, située à une faible distance, un soldat ennemi avait, sans aucun motif, tué d'un coup de fusil le jeune domestique Nicolas Michel, âgé de dix-sept ans.
Le 20, alors que les habitants avaient cherché dans les caves un refuge contre le bombardement, des Allemands, après s'être, par suite d'une méprise, mutuellement tiré les uns sur les autres, pénétrèrent vers midi dans la ville.
D'après ce que l'un d'eux a raconté, leurs chefs leur avaient affirmé que les Français torturaient les blessés, en leur arrachant les yeux et en leur coupant les membres; aussi étaient-ils dans un état de surexcitation épouvantable. Jusque dans la journée du lendemain, ils se livrèrent aux plus abominables excès, pillant, incendiant et massacrant sur leur passage. Après avoir enlevé dans les habitations tout ce qui leur avait paru digne d'être emporté et avoir envoyé à Metz le produit de leurs vols, ils mirent le feu aux maisons avec des torches, des pastilles de poudre comprimée et aussi avec du pétrole qu'ils transportaient dans des récipients placés sur un petit chariot. De tous côtés des coups de fusil éclataient; les malheureux habitants, que la crainte de l'incendie chassait de leurs caves, étaient abattus comme un gibier, les uns dans leurs demeures et les autres sur la voie publique.
Les sieurs Sanson, Pierson, Lallemand, Adam Jean-Pierre, Meunier, Schneider, Raymond, Duponcel, Hazotte père et fils sont assassinés à coups de fusil dans la rue. Le sieur Killian, se voyant menacé d'un coup de sabre, place ses mains sur son cou pour se protéger; il a trois doigts tranchés et la gorge ouverte. Un vieillard de quatre-vingt-six ans, le sieur Petitjean, assis dans son fauteuil, est frappé d'une balle qui lui fracasse le crâne, et un Allemand met en présence du cadavre la dame Bertrand, en lui disant : «  Vous avez vu ce cochon-là! »
M. Chardin, conseiller municipal faisant fonctions de maire, est requis de fournir un cheval et une voiture. A peine a-t-il promis de faire tout son possible pour obéir, qu'il est tué d'un coup de feu. Le sieur Prévot, qui voit des Bavarois faire irruption dans la pharmacie dont il est le gardien, leur dit qu'il est le pharmacien et qu'il leur donnera tout ce qu'ils voudront; mais trois détonations retentissent et il tombe en poussant un grand soupir. Deux femmes qui se trouvaient avec lui se sauvent, poursuivies à coups de crosse jusqu'aux abords de la gare, où elles voient, dans le jardin et sur la route, de nombreux cadavres amoncelés.
Entre 3 et 4 heures de l'après-midi, les Allemands pénètrent dans la boucherie de la dame François. Celle-ci sort alors de sa cave avec son garçon Stub et un employé nommé Contal. Dès que Stub arrive sur le seuil de la porte d'entrée, il tombe grièvement blessé d'un coup de fusil; puis Conta], qui se sauve dans la rue, est immédiatement assassiné. Cinq minutes après, comme Stub râle encore, un soldat se penche sur lui et l'achève d'un coup de hache dans le dos.
L'incident le plus tragique de ces horribles scènes s'est produit chez le sieur Vassé, qui avait recueilli dans sa cave, faubourg de Nancy, un certain nombre de personnes. Vers 4 heures, une cinquantaine de soldats envahissent la maison, en enfonçant la porte ainsi que les fenêtres, et y mettent aussitôt le feu. Les réfugiés s'efforcent alors de se sauver, mais ils sont abattus les uns après les autres à la sortie. Le sieur Mentré est assassiné le premier. Son fils Léon tombe ensuite avec sa petite soeur de huit ans dans les bras. Comme il n'est pas tué raide, on lui met le canon d'un fusil sur la tête et on lui fait sauter la cervelle. Puis c'est le tour de la famille Kiefler. La mère est blessée au bras et à l'épaule; le père, le petit garçon de dix ans et la fillette, âgée de trois ans, sont fusillés. Les bourreaux tirent encore sur eux quand ils sont à terre. Kiefler, étendu sur le sol, reçoit une nouvelle balle au front; son fils a le crâne enlevé d'un coup de feu. Ensuite c'est le sieur Strieffert et un des fils Vassé qui sont massacrés, tandis que la dame Mentré reçoit trois balles, l'une à la jambe gauche, une autre au bras du même côté et la troisième au front, qui est seulement éraflé. Le sieur Guillaume, traîné dans la rue, y trouve la mort. La jeune Simonin, âgée de dix-sept ans, sort enfin de la cave avec sa soeur Jeanne, âgée de trois ans. Cette dernière a un coude presque emporté par une balle. L'aînée se jette à terre et feint d'être morte, restant pendant cinq minutes dans une angoisse affreuse. Un soldat jui porte un coup de pied, en criant : capout.
Un officier survient à la fin de cette tuerie. Il ordonne aux femmes qui sont encore vivantes de se relever et leur crie : «  Allez en France. »
Tandis que tant de personnes étaient massacrées, d'autres, suivant l'expression d'un témoin, étaient emmenées u en troupeau » dans les champs, sous la menace d'une exécution imminente. Le curé, notamment, n'a dû qu'à des circonstances extraordinaires de n'être pas fusillé.
D'après les dispositions que nous avons reçues, toutes ces abominations ont été commises surtout par les 2e et 4e régiments d'infanterie bavaroise. Pour les expliquer, les officiers ont prétendu que les civils avaient tiré sur leurs troupes. Ainsi que l'a formellement établi notre enquête, ce prétexte est mensonger; car, au moment de l'arrivée des ennemis, toutes les armes avaient été déposées à la mairie et la partie de la population qui n'avait pas quitté le pays s'était cachée dans les caves, en proie à la plus grande terreur. D'ailleurs, la raison invoquée, fût-elle vraie, ne suffirait assurément pas pour excuser la destruction de toute une cité, le meurtre des femmes et le massacre des enfants.
Une liste des personnes qui ont trouvé la mort au cours de l'incendie et des fusillades a été dressée par M. Biévelot, conseiller d'arrondissement. Elle ne comprend pas moins de cinquante noms. Nous ne les avons pas cités tous. D'une part, en effet, parmi les personnes dont le décès a été constaté, quelques-unes sont mortes dans des conditions mal précisées ; d'autre part, la dispersion des habitants de la ville, aujourd'hui anéantie, a rendu notre information assez difficile. Nos recherches seront continuées. En tout cas, ce que nous avons déjà pu établir d'une manière incontestable suffit pour qu'on se rende compte de ce qu'a été, dans la journée du 20 août, le martyre de Nomény.
Lunéville a été occupée par les Allemands du 21 août au 11 septembre. Pendant les premiers jours, ils se sont contentés de piller sans molester autrement les habitants. C'est ainsi, notamment, que, le 24 août, la maison de la dame Jeaumont a été dévalisée. Les objets volés ont été chargés sur une grande voiture, dans laquelle se tenaient trois femmes, l'une vêtue de noir, les autres portant des costumes de militaires et, nous a-t-on dit, paraissant être des cantinières.
Le 25, l'attitude des envahisseurs changea subitement. Le maire, M. Keller, s'étant rendu à l'hôpital, vers 3 heures et demie de l'après-midi, vit des soldats tirer des coups de fusil dans la direction du grenier d'une maison voisine et entendit siffler des balles qui lui parurent venir de l'arrière. Les Allemands lui déclarèrent que des habitants avaient tiré sur eux. Il leur offrit alors, en protestant, de faire avec eux le tour de la ville, pour leur démontrer, l'inanité de cette allégation. Sa proposition fut acceptée, et comme, au début de la tournée, on trouvait, dans la rue, le cadavre du sieur Crombez, l'officier qui commandait l'escorte dit à M. Keller :
«  Vous voyez ce cadavre, c'est celui d'un civil qu'un autre civil a tué, en tirant sur nous, d'une maison voisine de la synagogue. Aussi, comme notre loi nous l'ordonne, nous avons brûlé la maison et nous en avons exécuté les habitants. »
Il faisait allusion au meurtre d'un homme dont le caractère timide était connu de tous, le ministre officiant israélite Weill, qui venait d'être tué chez lui, avec sa fille, âgée de seize ans. Le même officier ajouta :
«  On a également brûlé la maison qui fait l'angle de la rue Castara et de la rue Girardet, parce que des civils avaient tiré de là des coups de feu. »
C'est de cet immeuble que, suivant les prétentions des Allemands, on aurait tiré sur la cour de l'hôpital; or la disposition des lieux ne permet pas d'admettre l'exactitude d'une telle affirmation.
Tandis que le maire et la troupe qui l'accompagnait poursuivaient leur reconnaissance, l'incendie éclatait de différents côtés ; l'hôtel de ville brûlait, ainsi que la synagogue et plusieurs maisons de la rue Castara, et le faubourg d'Einville était en flammes. En même temps, commençaient les massacres qui devaient se continuer jusque dans la journée du lendemain. Sans compter le sieur Crombez, le ministre officiant Weill et sa fille, dont nous avons déjà mentionné la mort, les victimes furent : les sieurs Hamman, Binder, Balastre père et fils, Vernier, Dujon, le sieur Kahn et sa mère; le sieur Steiner et sa femme., le sieur Wingerstmann ét son petil-fils, enfin les sieurs Sibille, Monteils et Colin.
Les meurtres furent commis dans les circonstances suivantes : le 25 août, après avoir tiré deux coups de fusil à l'intérieur de la tannerie Worms, pour faire croire qu'ils y étaient attaqués, des Allemands envahirent un atelier de cette usine, dans lequel travaillait l'ouvrier Goeury, en compagnie des sieurs Balastre père et fils. Goeury, traîné dans la rue, y fut dévalisé et brutalement maltraité, tandis que ses deux compagnons, découverts dans les cabinets d'aisances où ils avaient cherché un refuge, étaient tués à coups de feu.
Le même jour, des soldats vinrent appeler le sieur Steiner, qui était caché dans sa cave. Sa femme, redoutant un malheur, essaya de le retenir. Comme elle le pressait dans ses bras, elle reçut une balle au cou. Quelques instants après, Steiner, ayant obéi à l'injonction qui lui avait été adressée, tombait mortellement frappé dans son jardin. Le sieur Kahn fut, lui aussi, assassiné dans le jardin de sa maison. Sa mère, âgée de quatre-vingt-dix-huit ans, qui fut carbonisée dans l'incendie, avait été préalablement tuée dans son lit d'un coup de baïonnette, d'après ce qu'a raconté un individu qui servait d'interprète à l'ennemi. Le sieur Binder, qui sortait pour échapper aux flammes, fut également abattu. L'Allemand par lequel il a été tué a reconnu avoir tiré sur lui sans motif, alors que le malheureux se tenait tranquillement devant une porte. Le sieur Vernier eut le même sort que Binder.
Vers 3 heures, des Allemands firent irruption en brisant les fenêtres et en tirant des coups de fusil dans une maison où étaient la dame Dujon, sa fille âgée de trois ans, ses deux fils et un sieur Gaumier. La fillette faillit être tuée. Elle eut le visage brûlé par un coup de feu. A ce moment, Mme Dujon ayant vu son plus jeune fils, Lucien, âgé de quatorze ans, étendu sur le sol, l'invita à se lever pour prendre la fuite avec elle. Elle s'aperçut alors qu'il tenait à pleines mains ses entrailles qui s'échappaient. La maison était en feu; le pauvre enfant fut carbonisé, ainsi que le sieur Gaumier qui n'avait pas pu se sauver.
Le sieur Wingerstmann et son petit-fils, âgé de douze ans, qui étaient allés arracher des pommes de terre à peu de distance de Lunéville, au lieu dit «  les Mossus », territoire de Chanteheux, eurent le malheur de rencontrer des Allemands. Ceux-ci les placèrent tous deux contre un mur et les fusillèrent.
Enfin, vers 5 heures du soir, des soldats étant entrés chez la femme Sibille, au même lieu, s'emparèrent sans raison de son fils, l'emmenèrent à deux cents mètres de la maison et le massacrèrent, ainsi qu'un sieur Vallon, au corps duquel ils l'avaient attaché. Un témoin qui avait aperçu les meurtriers au moment où ils entraînaient leur victime, les vit revenir sans elle et constata que leurs baïonnettes-scies étaient pleines de sang et de lambeaux de chair.
Ce même jour, un infirmier, nommé Monteils, qui soignait à l'hospice de Lunéville un officier ennemi blessé, fut foudroyé d'une balle au front et pendant qu'il regardait par une fenêtre un soldat allemand tirant des coups de fusil.
Le lendemain 26, le sieur Hamman et son fils, âgé de vingt et un ans, furent arrêtés chez eux et traînés dehors par une bande qui était entrée en brisant la porte. Le père fut roué de coups. Quant au jeune homme, comme il essayait de se débattre, un sous-officier lui cassa la tête d'un coup de revolver.
A 1 heure de l'après-midi, M. Riklin, pharmacien, ayant été prévenu qu'un homme était tombé à une trentaine de mètres de son magasin, se rendit à l'endroit indiqué et reconnut dans la victime son beau-frère, le sieur Colin, âgé de soixante-huit ans, qui avait été frappé d'une balle au ventre. Les Allemands ont prétendu que ce vieillard avait tiré sur eux ; mais M. Riklin leur donne, à cet égard, un démenti formel. Colin, nous a-t-il dit, était un homme inoffensif, absolument incapable de se livrer à un acte d'agression et ignorant complètement le maniement d'une arme à feu.
Il nous a paru utile de relever aussi, à Lunéville, des actes moins graves, mais qui jettent un jour particulier sur la mentalité de l'envahisseur. Le 25 août, le sieur Lenoir, âgé de soixante-sept ans, fut, ainsi que sa femme, emmené dans les champs, les mains liées derrière le dos. Après que tous deux eurent été cruellement maltraités, un sous-officier s'empara d'une somme de dix-huit cents francs en or que Lenoir portait sur lui. Le vol le plus impudent semble bien, d'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit, être entré dans les moeurs de l'armée allemande, qui le pratique publiquement. En voici un exemple intéressant :
Pendant l'incendie d'une maison appartenant à la dame Leclerc, les coffres-forts de deux locataires avaient résisté aux flammes. L'un, appartenant à M. George, sous-inspecteur des eaux et forêts, était tombé dans les décombres; l'autre dont M. Goudchau, marchand de biens, était propriétaire, était resté scellé à un mur à la hauteur du second étage. Le sous-officier Weiss, qui connaissait admirablement la ville où il avait été maintes fois bien accueilli, quand il y venait avant la guerre pour son commerce de houblon, se rendit avec des soldats sur les lieux, ordonna qu'on fit sauter à la dynamite le pan de muraille resté debout et assura le transport des deux coffres à la gare, où on les plaça sur un wagon, à destination de l'Allemagne. Ce Weiss jouissait auprès du commandant d'une confiance et d'une considération particulières. C'est lui qui, installé à la kommandatur, était chargé d'administrer en quelque sorte la commune et de pourvoir aux réquisitions.
Après avoir commis de nombreux actes de pillage à Lunéville, y avoir fait brûler environ soixante-dix maisons avec torches, du pétrole et divers engins incendiaires, après y avoir, enfin, massacré de paisibles habitants, l'autorité militaire allemande a jugé à propos d'y faire afficher la proclamation suivante, dans laquelle elle a formulé des accusations ridicules pour justifier l'extorsion, sous forme d'indemnité, d'une contribution énorme :
Le 25 août 1914, des habitants de Lunéville ont fait une attaque par embuscade contre les colonnes et trains allemands. Le même jour, des habitants ont tiré sur des formations sanitaires marquées par la Croix-Rouge. De plus, on a tiré sur des blessés allemands et sur l'hôpital militaire, contenant une ambulance allemande. A cause de ces actes d'hostilité, une contribution de six cent cinquante mille francs est imposée à la commune de Lunéville. Ordre est donné à M. le maire de verser cette somme en or (et en argent jusqu'à 50.000 francs) le 6 septembre, à 9 heures du matin, entre les mains du représentant de l'autorité militaire allemande. Toute réclamation sera considérée comme nulle et non arrivée. On n'accordera pas de délai. Si la commune n'exécute pas ponctuellement l'ordre de payer la somme de 650000 fr., on saisira tous les biens exigibles. En cas de non-payement, des perquisitions domiciliaires auront lieu et tous les habitants seront fouillés. Quiconque aura dissimulé sciemment de l'argent ou essayé de soustraire des biens à la saisie de l'autorité militaire, ou qui cherche à quitter la ville, sera fusillé. Le maire et les otages pris par l'autorité militaire seront rendus responsables d'exécuter exactement les ordres sus-indiqués. Ordre est donné à la mairie de publier de suite ces dispositions à la commune.

Hénaménil, le 3 septembre 1914.
Le commandant en chef,
VON FOSBENDER.


Quand on a lu cet inimaginable document, on a le droit de se demander si les incendies et les meurtres commis à Lunéville, les 25 et 26 août, par une armée qui n'agissait pas dans l'excitation du combat, et qui pendant les jours précédents s'était abstenue de tuer, n'ont pas été ordonnés pour rendre plus vraisemblable l'allégation qui devait servir de prétexte à l'exigence d'une indemnité.
Situé tout à proximité de Lunéville, le village de Chanteheux ne fut pas plus épargné. Les Bavarois, qui l'occupèrent du 22 août au 12 septembre, y brûlèrent vingt maisons par leur procédés habituels et y massacrèrent, le 25 août, huit personnes : les sieurs Laventdanne, Toussaint, Parmentier et Bacheler, qui furent tués, les trois premiers à coups de fusil, le quatrième de deux coups de feu et d'un coup de baïonnette; le jeune Schneider, âgé de vingt-trois ans, qui fut assassiné dans une dépendance de la commune;le sieur Wingerstmann et son petit-fils, dont nous avons relaté plus haut la mort, en exposant les crimes commis à Lunéville; enfin, le sieur Reeb, âgé de soixante-deux ans, qui est certainement décédé à la suite des mauvais traitements qu'il a subis. Cet homme avait été emmené comme otage en même temps que quarante-deux de ses concitoyens, qui furent retenus pendant treize jours. Après avoir, d'abord, reçu de terribles coups de crosse au visage et un coup de baïonnette au flanc, il continuait à suivre la colonne, bien qu'il perdît beaucoup de sang et que sa face fût meurtrie au point de le rendre méconnaissable, quand un Bavarois, sans aucun motif, lui fit encore une large plaie, en lui lançant au front un seau en bois. Entre Hénaménil et Bures, ses compagnons s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Il est hors de doute qu'il a succombé.
Si ce malheureux a été plus cruellement martyrisé, tous les otages que les ennemis ont pris avec lui dans la commune ont eu aussi à subir des violences et des outrages. Avant de mettre le feu au village, on les avait adossés au parapet d'un pont, tandis que les troupes passaient en les brutalisant. Comme un officier les accusait d'avoir tiré sur les Allemands, l'instituteur lui donna sa parole d'honneur qu'il n'en était rien.
«  Cochon de Français, répliqua l'officier, ne parlez pas d'honneur, vous n'en avez point. »
Au moment où l'incendie de sa maison commença, la dame Cherrier, qui sortait de sa cave pour échapper à l'asphyxie, fut inondée d'un liquide inflammable par des soldats qui en arrosaient les murs. L'un de ces hommes lui dit : «  C'est de la benzine. » Elle courut alors se cacher avec ses parents, derrière un tas de fumier; mais les incendiaires la ramenèrent de force devant le brasier; et elle dut assister à la destruction de son immeuble.
De même que Nomeny, la jolie ville de Gerbéviller, au bord de la Mortagne, a été, dans des conditions effroyables, victime de la fureur allemande. Le 25 août, les troupes ennemies s'y heurtèrent à la résistance héroïque d'une soixantaine de chasseurs à pied, qui leur infligèrent de grosses pertes. Elles s'en vengèrent durement sur la population civile. Dès leur entrée dans la ville, en effet, les Allemands se livrèrent aux pires excès, pénétrant dans les habitations en poussant hurlements féroces, brûlant les édifices, tuant ou arrêtant les habitants, et n'épargnant ni les femmes ni les vieillards. Sur quatre cent soixante-quinze maisons, vingt au plus sont encore habitables. Plus de cent personnes ont disparu, cinquante au moins ont été conduites dans les champs pour y être fusillées; les autres ont été assassinées dans leurs demeures ou abattues au passage dans les rues, quand elles essayaient de fuir l'incendie. Trente-six cadavres ont été jusqu'à présent identifiés. Ce sont ceux de MM. Barthélémy, Blosse père, Robinet, Chrétien. Remy, Bourguignon, Perrin, Wuillaume, Bernasconi, Gauthier, Menu, Simon, Lingenheld père et fils, Benoît, Calais, Adam, Caille, Lhuillier, Regret, Plaid, âgé de quatorze ans, Leroi, Bazzolo, Gentil, Dehan (Victor), Dehan (Charles), Dehan fils, Brennevald, Paris, Yong, François, secrétaire de mairie ; de Mmes Perrot, Courtois, Gauthier et Guillaume et des demoiselles Perrin et Miquel.
Quinze de ces pauvres gens ont été enterrés par leurs concitoyens, le 12 ou le 15 septembre. Presque tous avaient les mains liées derrière le dos; quelques-uns avaient les yeux bandés; les pantalons de la plupart étaient rabattus jusque sur les pieds. Cette dernière circonstance, ainsi que l'aspect des cadavres, ont fait penser à des témoins que les victimes avaient subi une mutilation. Nous ne croyons pas devoir nous approprier cette opinion, l'état de décomposition très avancée des corps ayant pu causer une erreur. Il est possible que les meurtriers aient déboutonné les pantalons de leurs prisonniers pour mettre ceux-ci dans l'impossibilité de s'enfuir, en leur entravant les jambes.
Le 16 octobre, au lieu dit «  le Haut-de-Vormont », on a découvert, enfouis sous quinze ou vingt centimètres de terre, dix cadavres de civils portant des traces de balles et ayant tous les yeux bandés. On a trouvé sur l'un d'eux un laissez-passer au nom de Sever (Édouard), de Badonviller. Les neuf autres victimes sont inconnues. On croit que ce sont des habitants de Badonviller qui ont été amenés par les Allemands sur le territoire de Gerbéviller pour y être fusillés.
Dans les rues et dans les maisons, pendant la journée de carnage, les scènes les plus tragiques se sont produites.
Dans la matinée des ennemis pénétrèrent chez les époux Lingenheld, se saisissent du fils, âgé de trente-six ans, qui portait le brassard de la Croix-Rouge, lui lient les mains derrière le dos et le traînent dans la rue où ils le fusillent; puis ils reviennent chercher le vieillard de soixante-dix ans. La dame Lingenheld prend alors la fuite. En se sauvant, elle voit son fils étendu sur le sol. Comme le malheureux remue encore, des Allemands l'arrosent de pétrole, auquel ils mettent le feu, en présence de la mère terrifiée. Pendant ce temps, on conduit Lingenheld père à «  la Prèle », où il est exécuté.
Au même moment, des soldats frappent à la porte d'une maison occupée par le sieur Dehan, sa femme et sa belle-mère, la veuve Guillaume, âgée de soixante-dix huit ans. Celle-ci, qui va leur ouvrir, est fusillée à bout portant et tombe dans les bras de son gendre, qui accourt derrière elle.
«  Ils m'ont tuée, s'écrie-t-elle; portez-moi dans le jardin. »
Ses enfants lui obéissent, l'installent au fond du jardin, avec un oreiller sous la tête et une couverture sur les jambes, puis vont eux-mêmes s'étendre le long d'un mur pour éviter les projectiles. Au bout d'une heure, quand la dame Guillaume est morte, sa fille l'enveloppe dans sa couverture et lui place un mouchoir sur le visage. Presque aussitôt, les Allemands font irruption dans le jardin. Ils emmènent Dehan, pour le fusiller à «  la Prèle » et conduisent sa femme sur la route de Fraimbois, où elle trouve une quarantaine de personnes, principalement des femmes et des enfants, entre les mains de l'ennemi, et où elle entend un officier d'un grade élevé crier :
«  Il faut fusiller ces enfants et ces femmes. Tout cela doit disparaître ! »
La menace ne fut pourtant pas suivie d'effet. Rendue le lendemain à la liberté, Mme Dehan put rentrer à Gerbéviller vingt et un jour plus tard. Elle est convaincue, et tous ceux qui ont vu le cadavre partagent cette opinion, que le corps de sa mère a été profané. Elle l'a, en effet, retrouvé étendu sur le dos, les jupes relevées, les jambes écartées et le ventre ouvert.
A l'arrivée des Allemands, le sieur Perrin et ses deux filles, Louise et Eugénie, étaient allés se réfugier dans leur écurie. Des soldats y pénétrèrent et l'un d'eux, apercevant la jeune Louise, lui tire, à bout portant, un coup de fusil à la tête. Eugénie parvient à s'échapper; mais son père est arrêté dans sa fuite, placé parmi les victimes qu'on conduit à «  la Prèle» et fusillé avec elles.
Le sieur Yong, qui sort pour mettre son cheval au manège, est abattu devant chez lui. Les Allemands, dans leur fureur, tuent le cheval après le maître et mettent le feu à la maison. D'autres soulèvent la trappe d'une cave dans laquelle sont cachées plusieurs personnes et tirent des coups de fusil dans la direction de celles-ci. La dame Denis Bernard et le jeune Parmentier, âgé de sept ans, sont blessés.
Vers 5 heures du soir, la dame Rozier a entendu une voix suppliante crier : «  Pitié ! pitié! » Ces cris venaient de l'une des deux granges voisines, appartenant aux sieurs Poinsard et Barbier. Or, un individu qui servait d'interprète aux Allemands a déclaré à une dame Thiéhaut que ceux-ci s'étaient vantés d'avoir brûlé vif, dans l'une de ces granges, un père de famille de cinq enfants, malgré ses supplications et ses appels à leur pitié. Cette déclaration est d'autant plus impressionnante qu'on a trouvé dans la grange Poinsard les débris d'un corps humain carbonisé.
A côté de ce carnage, d'innombrables actes de violence ont été commis. La femme d'un mobilisé, le dame X..., a été violée par un soldat, dans le corridor de ses parents, tandis que sa mère, sous la menace d'une baïonnette était obligée de se sauver.
Le 29 août, la supérieure de l'hospice, soeur Julie, dont le dévouement a été admirable, s'étant transportée à l'église paroissiale pour se rendre compte, avec un prêtre mobilisé, de l'état intérieur de l'édifice, constata que la porte en acier du tabernacle avait été l'objet d'une tentative d'effraction. Les Allemands, pour parvenir à s'emparer d'un vase sacré, avaient tiré des coups de fusil autour de la serrure. La porte était traversée en plusieurs endroits et le passage des balles y avait formé des trous presque symétriques, ce qui prouvait qu'on avait
tiré à bout portant. Quand la religieuse l'ouvrit, elle trouva le ciboire perforé.
Les excès et les crimes qui ont été commis à Gerbéviller sont principalement l'oeuvre des Bavarois. Les troupes qui s'y sont livrées étaient sous le commandement du général Clauss, dont la brutalité nous a aussi été signalée ailleurs.
Le 22 août, les Allemands incendièrent une partie du village de Crévic, à l'aide de torches et de fusées. Soixante-seize maisons furent brûlées, notamment celle de M. le général Lyautey, que les incendiaires, sous la conduite d'un officier, avaient envahie, en réclamant à grands cris «  Mmc et Mlle Lyautey, pour leur couper le cou ». Un capitaine menaça le sieur Vogin, en lui mettant son revolver sur la gorge, de le fusiller et de le jeter dans les flammes, avec un habitant auquel, disait-il, «  on avait déjà fait sauter la cervelle ». Il faisait ainsi allusion à la mort d'un vieux rentier, M. Liégey, âgé de soixante-dix-huit ans, qui fut retrouvé dans les décombres, avec une balle sous le menton.
«  Venez voir, ajouta l'officier, la propriété du général Lyautey, qui est au Maroc, qui brûle. »
Pendant ce temps, un ouvrier, nommé Gérard, est contraint, baïonnette au dos, de monter dans son grenier. Là, des Allemands mettent le feu à un tas de fourrage et obligent le sieur Gérard à rester auprès de ce brasier. Quand les soldats, chassés par la chaleur intolérable, se furent retirés, il put s'échapper par une petite ouverture, mais il avait une joue fortement brûlée.
A Deuxville, où l'ennemi incendia volontairement quinze maisons, le maire Bajolet et le curé Thiriet furent arrêtés. L'abbé Marchal, curé de Crion, les ayant vus tous deux, dans sa paroisse, aux mains des Allemands, s'approcha de son confrère et lui demanda la raison de son arrestation. Celui-ci répondit : «  J'ai fait des signes. »
Après lui avoir donné un peu de pain, l'abbé Marchal se retira ; mais à peine avait-il fait une trentaine de pas, qu'il entendait une fusillade. C'étaient les deux prisonniers qu'on venait d'exécuter. Le lendemain, un officier qui parlait parfaitement notre langue et qui disait avoir été, pendant huit ans, attaché à l'ambassade d'Allemagne à Paris, déclara à l'abbé Marchal que le curé de Deuxville avait fait des signes, et l'avait avoué.
«  Quant au maire, ajouta-t-il, le pauvre diable, je crois bien qu'il n'avait rien fait. »
A Maixe, les Allemands ont incendié trente-six maisons et ont massacré, toujours sous prétexte qu'on avait tiré sur eux, les sieurs Gauçon, Demange, Jacques, Thomas, Marchal, Chaudre, Grand, Simonin Vaconet et la dame Reurton. Gauçon, arraché de chez lui, fut précipité sur un tas de fumier, où un soldat le tua d'un coup de fusil au ventre. Demange, blessé aux deux genoux, dans sa cave, parvint à se traîner jusqu'à sa cuisine. Les Allemands mirent le feu à la maison, empêchèrent la dame Demange de porter secours à son mari et laissèrent brûler leur victime dans l'immeuble incendié.
Mlle Beurton était, elle aussi, dans sa cave avec sa famille quand deux soldats, dont l'un portait une lanterne et l'autre un fusil, y descendirent. Le second tira au hasard sur le groupe et abattit la malheureuse femme. Vaconet fut frappé d'une balle au côté, au pied de l'escalier du sieur Rediger. Quant à Simonin, il fut emmené dans la direction de Drouville. Quelques jours après, une note faisant connaître qu'il avait fusillé et que ses dernières volontés étaient consignées dans un document placé entre les mains du commandant général de la 3e division bavaroise, fut remise par un officier allemand à M. Thouvenin, conseiller municipal de la commune. Cette note, dont une copie nous a été délivrée, porte la signature d'un officier du 3e régiment de chevau-légers. Les autres victimes de Maixe ont reçu la mort dans des circonstances qu'il ne nous a pas été possible de préciser.
Dans le même village, la demoiselle X..., âgée de vingt-trois ans, a été violée par neuf Allemands pendant la nuit du 23 au 24 août, sans qu'un officier, qui couchait au-dessous de sa chambre dans laquelle se passait cette ignoble scène, jugeât à propos d'intervenir, bien qu'il entendît certainement les cris de la jeune fille et le bruit fait par les soldats.
Le château de Beauzemont a été envahi le 22 août. Vers le quinzième jour de l'occupation, sont arrivées des automobiles dans lesquelles étaient installées plusieurs femmes d'officiers de l'état-major allemand. On y a chargé tout ce qui avait été volé dans le château, notamment l'argenterie, des chapeaux et des robes de soie. Le 21 octobre, le lieutenant-colonel commandant le régiment d'infanterie française a pris possession de cet édifice. Il l'a trouvé dans un état de désordre et de saleté repoussant. Les meubles étaient ouverts et fracturés, le plancher de la salle de billard était couvert de matière fécale. Dans la chambre à coucher qui avait été habitée par le général allemand, chef de la 7e division de réserve, régnait une odeur infecte. Le placard placé à la tête du lit contenait du linge de toilette et des rideaux de mousseline remplis d'excréments.
A Baccarat, l'armée ennemie n'a massacré personne; mais elle a effectué, le 25 août, un pillage général, après avoir, pour pouvoir opérer plus tranquillement, donné l'ordre à la population de se rassembler à la gare. Ce pillage a été dirigé par les officiers. Des pendules, des meubles divers et des objets d'art furent enlevés ; puis, quand les habitants furent rentrés chez eux, on leur enjoignit de nouveau d'en sortir au bout d'une heure, en les prévenant qu'on allait procéder à l'incendie de la ville. En effet, tout le centre de l'agglomération fut la proie des flammes. Le feu, qui fut mis à l'aide de torches et de pastilles, dévora cent douze immeubles. Quatre ou cinq seulement furent incendiés par les obus. Après le sinistre, des sentinelles empêchèrent les propriétaires d'approcher des ruines de leurs habitations, et quand les décombres furent refroidis, les Allemands les fouillèrent eux-mêmes pour dégager l'entrée des caves. Après cette opération, le général Fabricius, commandant l'armée du XIVe corps badois, dit à M. Renaud, qui faisait fonctions de maire : «  Je ne croyais pas qu'il y avait autant de vins fins à Baccarat. Nous en avons pris plus de cent mille bouteilles. »
Il est juste d'ajouter qu'à la cristallerie, nos ennemis ont bien voulu faire preuve d'une certaine probité relative, car ils se sont bornés, tout en jouant avec leurs revolvers, à exiger, sur le prix des marchandises dont ils se sont rendus acquéreurs, des réductions de 50 à 75 %.

A Jolivet, le 22 août, le sieur Villemin sortait de la maison de M. Cohan avec celui-ci et un sieur Richard, quand des soldats assaillirent ce dernier. Atteint d'un coup de crosse à la tête, Richard tomba, tandis que Cohan rentrait précipitamment chez lui. Après avoir suivi pendant un instant Richard, que ses agresseurs emmenaient, Villemin alla soigner son bétail. Vers 5 heures du soir, il sortit pour se rendre chez un voisin, mais fut immédiatement arrêté et fusillé. Les assassins lancèrent son corps dans un jardin par-dessus une palissade.
Le 25, dans la même commune, le logis de Mme Morin, rentière, a été pillé. Les Allemands y ont dérobé du linge, de l'argenterie, des fourrures et des chapeaux. Le surlendemain, ils ont incendié la maison en allumant des fragments de bois provenant de caisses d'emballage.
A Bonvillers, les 21, 23 et 25 août, ils ont mis le feu à vingt-six immeubles, en se servant de pétards et de bougies.
A Einville, le 22 août, jour de leur arrivée, ils ont fusillé un conseiller municipal, M. Pierson, qu'ils accusaient mensongèrement d'avoir tiré sur eux; Ils ont également exécuté sans motif les sieurs Bouvier et Barbelin qu'ils avaient emmenés à proximité de la commune.
Ils ont aussi massacré un braconnier nommé Pierre, qu'ils avaient trouvé porteur d'un sac contenant un épervier et un fusil démonté. Le malheureux a été, par eux, odieusement martyrisé. Après l'avoir traîné hors du village, ils l'ont ramené devant chez la dame Famôse. Cette femme l'a vu passer au milieu d'eux. Il avait le nez presque tranché. Ses yeux étaient hagards et, selon l'expression du témoin, il semblait avoir vieilli de dix ans en un quart d'heure. A ce moment, un officier a donné un ordre, huit soldats sont partis avec le prisonnier et, quand ils sont revenus sans lui, dix minutes après, l'un d'eux a dit en français : «  Il était mort avant. »
M. Dieudonné, maire d'Einville, a été emmené comme otage, avec son adjoint et un autre de ses concitoyens, le 12 septembre, par les troupes ennemies, au moment où elles ont battu en retraite. Elles l'ont envoyé en Alsace, puis en Allemagne, où on l'a gardé jusqu'au 24 octobre, ainsi que ses compagnons. Avant son arrestation, et pendant un combat qui avait lieu autour de sa commune, M. Dieudonné avait été obligé., malgré ses protestations, de requérir plusieurs de ses administrés pour procéder à l'inhumation des morts. Trois des habitants d'Einville, employés de force à cette besogne, ont été blessés par des balles; un autre, le sieur Noël, a été tué par un éclat d'obus.
La ferme de Remonville, située sur le territoire du même village, a été incendiée. Les femmes ont pu se sauver. Quant aux quatre hommes qui travaillaient dans ce domaine, ils ont dû être tous assassinés. Les cadavres de deux d'entre eux, Victor Chaudre et Thomas Prosper, ont été retrouvés, deux mois plus tard, enterrés ensemble à proximité des bâtiments brûlés. Tous deux étaient décapités et la tête de Thomas était broyée.
A Sommerviller, la passage de l'ennemi, le 23 août, a été marqué par le pillage des cafés, des épiceries, ainsi que de plusieurs maisons particulières, et par le meurtre des sieurs Robert, âgé de soixante-dix ans, et Harau, âgé de soixante-cinq ans, qui ont été tués à coups de fusil, Le second, au moment où il a reçu la mort, était tranquillement en train de manger un morceau de pain.
A Rehainviller, le 26 août, les Allemands ont empoigné dans la rue le curé Barbot ainsi que le sieur Noircier. Les cadavres de ces deux hommes ont été re-trouvés, longtemps après, enterrés dans les champs, à quelques centaines de mètres du village. Leurs corps étaient en pleine décomposition. On n'a pas pu, pour cette raison, relever les blessures que le curé avait reçues. Quant à Noircier, sa tête était placée dans la fosse à côté du reste de son corps, à la hauteur de la hanche.
Dans cette commune, vingt-sept maisons ont été brûlées. On n'a pas vu mettre le feu, mais on a ramassé, après le sinistre, un certain nombre de baguettes fusantes dont les Allemands se servent fréquemment pour allumer l'incendie et que les paysans appellent des macaronis.
A Lamath, le 24 août, les Bavarois ont fusillé un vieillard de soixante-dix ans, le sieur Louis, qui était sorti devant sa porte pour satisfaire un besoin naturel. Le malheureux a reçu au moins dix balles dans la poitrine. Son gendre, qui est atteint d'une tuberculose avancée, a été pris et emmené. On n'a de lui aucune nouvelle. Deux autres habitants de la commune, qui ont été faits prisonniers en même temps que lui, sont actuellement retenus en Bavière.
M. l'abbé Mathieu, curé de Fraimbois, a été arrêté le 29 août, sous le prétexte faux qu'on avait tiré sur les Allemands dans sa paroisse. Au cours de sa captivité, qui a duré seize jours, il a assisté à l'assassinat de deux de nos compatriotes, M. Poissonnier, de Gerbéviller, et M. Victor Meyer, de Fraimbois. Le premier, un infirme qui se tenait à peine sur ses jambes, était accusé d'avoir suivi les armées pour se livrer à l'espionnage; le second avait été arrêté parce que sa fillette avait ramassé un morceau de fil téléphonique brisé par des shrapnells. Un matin, vers 6 heures, les officiers bavarois procédèrent à un simulacre de jugement, en lisant un document rédigé en allemand et en faisant voter huit ou neuf jeunes lieutenants auxquels on avait remis des bulletins. Condamnés à l'unanimité, les deux hommes furent avertis qu'ils allaient mourir, et le prêtre fut invité à leur donner les secours de la religion. Ils protestèrent de leur innocence, en suppliant et en pleurant; mais on les contraignit à s'agenouiller contre un talus de la route, et un peloton de vingt-quatre soldats, placés sur deux rangs, fit feu sur eux par deux fois.
Le village de Fraimbois a été pillé et les objets volés ont été chargés sur des voitures. L'abbé Mathieu, s'étant plaint aux généraux Tanner et Clauss de l'incendie de son rucher, reçut du premier cette simple réponse : «  Que voulez-vous, c'est la guerre ! »
Le second ne lui répondit même pas.
A Mont, trois maisons ont été brûlées avec du pétrole. A Hériménil, le 29 août, l'ennemi, qui y était arrivé le 24, s'est rendu coupable de faits monstrueux. Les habitants ont été invités à se rendre dans l'église et y ont été maintenus pendant quatre jours, tandis que leurs maisons étaient pillées, et que les Français bombardaient le village. Vingt-quatre personnes ont été tuées par un obus, à l'intérieur de l'édifice. Comme une femme, qui avait pu à grand'peine sortir un instant, revenait avec un peu de lait pour les enfants, un capitaine, furieux de voir qu'on avait laissé passer cette prisonnière, s'écria :
«  Je ne voulais pas qu'on ouvrît la porte. Je voulais que les Français tirassent sur leur propre peuple. »
Ce même capitaine venait d'ailleurs de commettre, peu de temps auparavant, un acte de cruauté révoltante. Ayant assisté, le monocle à l'oeil, à la sortie jugée par lui trop lente de Mme Winger, jeune femme de vingt-trois ans, qui, pour obéir à l'ordre général, se dirigeait vers l'église, avec ses domestiques, une fille et deux jeunes hommes âgés tous trois de dix-huit ans, il avait, par un mot bref, commandé à ses soldats de faire feu, et les quatre victimes s'étaient abattues, mortellement frappées. Les Allemands laissèrent les cadavres dans la rue pendant deux jours.
Le lendemain, ils fusillèrent le sieur Bocquel, qui, ignorant les instructions données, était resté dans sa maison. Ils tuèrent également chez lui M. Florentin, âgé de soixante-dix-sept ans. Ce vieillard, qui reçut plusieurs balles dans la poitrine, fut probablement massacré à cause de sa surdité, qui l'empêcha de comprendre les exigences de l'ennemi.
Dans cette commune, vingt-deux maisons ont été brûlées avec du pétrole. Avant de mettre le feu à celle de la dame Combeau, des soldats, en piochant le sol de la cave, ont déterré une somme de six cents francs, qu'ils se sont appropriée.
Le 23 août, le jeune Simonin, âgé de quinze ans et demi, demeurant à Hadiviller, revenait de Dombasle, quand les Allemands, après l'avoir mis en joue, s'emparèrent de sa personne. Ils commencèrent par le rouer de coups, puis il fut emmené par un soldat, sur l'ordre d'un officier. Chemin faisant, il aperçut à une cinquantaine de mètres de lui son père qui l'appelait. Son gardien l'attacha alors à un poteau télégraphique et fit feu sur Simonin père, qui tomba en vomissant le sang et expira presque sur-le-champ. Le jeune homme put, pendant ce temps, se dégager de ses liens et parvint à prendre la fuite, non sans avoir essuyé plusieurs coups de fusil dont l'un lui déchira sa veste.
A Magnières, où un immeuble seulement fut brûlé, un Allemand armé de son fusil pénétra, vers la fin du mois d'août, dans la maison du sieur Laurent, et obligea la jeune X..., âgée de douze ans, qui y était réfugiée, à l'accompagner dans une chambre. A deux reprises il la viola, malgré les plaintes et les cris qu'elle ne cessait de faire entendre. La pauvre petite était absolument terrorisée. Le soldat, du reste, était si menaçant que le sieur Laurent n'osa pas intervenir.
A Croismare, le 25 août, quand les Allemands durent battre en retraite, furieux de leur échec, ils se mirent à tirer sur toutes les personnes qu'ils rencontrèrent. Un officier de uhlans, après avoir tué d'un coup de revolver, dans les champs, le sieur Kriegel, qui était allé arracher des pommes de terre, aperçut MM. Matton et Barbier revenant de leur travail. S'étant approché d'eux, sur son cheval, il leur ordonna de s'arrêter et de se placer contre un talus. Les deux paysans pensèrent d'abord qu'il voulait ainsi les mettre à l'abri des coups de fusil qui éclataient de divers côtés; mais leur illusion se dissipa quand ils le virent charger son revolver. Au cours de cette opération, trois cartouches tombèrent et le uhlan donna à Matton et à Barbier l'ordre de les ramasser. Ce dernier, en lui en remettant une, lui dit :
«  Ne nous faites pas de mal, nous venons de travailler dans les champs.
- Nitcht pardon, cochon de Franzoze, répondit l'officier; capout. »
Et il fit feu à deux reprises. Matton, qui s'était brusquement effacé, ne fut, grâce à ce mouvement, atteint qu'à l'épaule droite, au lieu de l'être en pleine poitrine.
Quant à Barbier une balle lui traversa les deux pouces et lui laboura l'index gauche.
A Réméréville, le 7 septembre, l'ennemi, prétendant faussement que du clocher les. habitants avaient tiré sur lui, a mis le feu aux maisons à l'aide de fusées Quelques immeubles seulement ont échappé aux flammes. Avant d'être incendié, le village a été bombardé par les Allemands, qui ont pris pour objectif une ambulance dont ils voyaient parfaitement le drapeau.
La commune de Drouville, occupée deux fois, a été fortement pillée. Le 5 septembre, l'envahisseur y a brûlé trente-cinq maisons à l'aide de torches et, sans doute aussi, avec du pétrole, car il a abandonné sur les lieux un bidon qui en contenait vingt-cinq ou trente litres.
A Courbesseaux, il y eut également, le 5 septembre, incendie et pillage. Dix-neuf maisons ont été brûlées. Le sieur Alix, qui s'efforçait d'éteindre le feu allumé chez lui dans un amas de luzerne, essuya plusieurs coups de fusil et fut obligé de se sauver.
Enfin, le 23 août, à Erbéviller, un capitaine saxon trouva un moyen très pratique de se procurer de l'argent. Ayant fait rassembler tous les hommes du village, il tenta vainement, d'abord en les menaçant de les faire fusiller, d'obtenir de quelqu'un d'entre eux la déclaration qu'on avait tiré sur ses sentinelles, bien qu'il sût pertinemment que le fait n'était pas exact; puis il les enferma dans une grange. Dans la soirée, il fit venir la femme du sieur Jacques, ancien instituteur, l'un des prisonniers, et lui dit :
« Je ne suis pas certain que ce soient ces hommes qui aient tiré. Ils seront libres demain matin, si vous pouvez nie verser 1000 francs dans quelques instants. »
Mme Jacques donna la somme. Sur sa demande, il lui en fut délivré un reçu, et les otages furent mis en liberté.
Le récépissé rédigé par l'officier est ainsi conçu : «  Erbéviller, 23 août 1914. Quittance. Pour pénitence d'être suspect d'avoir tiré sur des sentinelles allemandes, dans la nuit du 22-23 août, j'ai reçu de la commune Erbéviller 1000 francs (mille francs).
Baron (illisible) haupt. reit. regim. »


Dans une commune du département de Meurthe-et-Moselle, deux religieuses ont été, pendant plusieurs heures, exposées à la lubricité d'un soldat qui, en les terrorisant, les a obligées à se dévêtir, et, après avoir contraint la plus âgée à lui enlever ses bottes, s'est livré sur la plus jeune à des pratiques obscènes. Les engagements que nous avons pris ne nous permettent pas de faire connaître les noms des victimes de cette scène abominable, ni celui du village dans lequel elle a eu lieu; mais les faits nous ont été révélés, sous la foi du serment, par des témoins dignes de la plus entière confiance, et nous prenons la responsabilité d'en certifier l'exactitude.
Pendant nos séjours à Nancy et à Lunéville, nous avons eu l'occasion de recevoir plusieurs témoignages, relatifs à des crimes commis par les Allemands dans des localités que leurs troupes occupaient encore, et que la plupart des habitants avaient dû évacuer. Les plus cruels de ces faits ont eu pour théâtre le village d'Emberménil. A la fin d'octobre ou au commencement de novembre, une patrouille ennemie ayant rencontré dans les environs, de cette commune une jeune femme, Mme Masson, dont l'état de grossesse était très apparent, l'interrogea sur le point de savoir s'il n'y avait pas de soldats français à Emberménil. Elle répondit qu'elle l'ignorait, ce qui était vrai. Les Allemands, étant alors entrés dans le village, y furent reçus à coups de fusil par les nôtres. Le 5 novembre, un détachement du 4e régiment bavarois arriva et rassembla tous les habitants devant l'église, puis un officier demanda quelle était la personne qui avait trahi. Soupçonnant qu'il pouvait s'agir de la rencontre qu'elle avait faite quelques jours auparavant, et se rendant compte du danger que couraient ses compatriotes, Mme Masson, très courageusement, s'avança, répéta ce qu'elle avait dit et affirma qu'en le disant elle avait été de bonne foi. Immédiatement saisie, elle fut contrainte de s'asseoir sur un banc à côté du jeune Dime, âgé de vingt-quatre ans, qui avait été pris au hasard comme seconde victime. Toute la population demandait grâce pour l'infortunée; mais les Allemands furent inflexibles.
«  Un homme et une femme, dirent-ils, doivent être fusillés. Tel est l'ordre du colonel. Que voulez-vous, c'est la guerre. »
Huit soldats, placés sur deux rangs, firent alors feu à trois reprises sur les deux martyrs, en présence de tout le village. La maison du beau-père de Mme Masson fut ensuite livrée aux flammes. Celle du sieur Blanchin avait été incendiée quelques instants auparavant.
La dame Millot, de Domèvre-sur-Vezouze, nous a fait le récit du meurtre qui a été commis sur la personne de son neveu, Maurice Claude, âgé de dix-sept ans, et dont elle a été le témoin oculaire. Le 24 août, au moment de l'arrivée des Allemands à Domèvre, ce jeune garçon se trouvait, avec sa famille, au bas d'un escalier, dans la maison de ses parents, quand il s'aperçut que des soldats le mettaient en joue, de la rue. Il fit quelques pas pour se garer; mais il ne put se mettre à l'abri, et fut atteint de trois balles. Blessé au ventre, à la fesse et à la cuisse, il succomba trois jours plus tard, après avoir fait preuve d'une admirable résignation. Quand il se sentit perdu, il dit à sa mère désolée : «  Je puis bien mourir pour mon pays. »
Le même jour, les sieurs Auguste Claude et Adolphe Claude, ce dernier âgé de soixante-quinze ans, furent également tués, et cent trente-six maisons du village furent brûlées au moyen de cartouches incendiaires. Enfin deux habitants, les sieurs Breton et Labart, furent pris comme otages. On ne sait ce qu'ils sont devenus depuis.
M. Véron, ancien instituteur à Audun-le-Roman, arrondissement de Briey, a déposé devant nous dans les termes suivants :
«  Le 21 août, vers 5 heures du soir, les Allemands, qui occupaient depuis dix-sept jours le village d'Audun-le-Roman, se mirent, sans motif, à tirer sur les maisons des coups de fusil et de mitrailleuse. Quatre femmes, Mme Roux, Mme Tréfel, Mme Zapolli et Mlle Giglio ont été blessées. Mlle Tréfel a été atteinte pendant qu'elle donnait à boire à un soldat allemand. Trois hommes ont été tués : M. Martin, cultivateur, âgé de soixante-dix-huit ans, dont la maison a été brûlée, a été emmené hors de chez lui et fusillé dans la rue, en présence de sa femme et de ses enfants. M. Charry, âgé de cinquante-cinq ans, chef cantonnier, fuyait devant l'incendie, en tenant sa femme par la main, quand il a été tué à coups de fusil. J'ai vu son cadavre, qui était criblé de blessures. M. Sarnen (Ernest) a reçu cinq balles de revolver au moment où il était en train de fermer la porte de sa remise.
«  J'ai vu l'ennemi mettre le feu au café Matte, avec du pétrole. Mme Matte étant sortie, ayant à la main un petit sac qui contenait ses économies, environ deux mille francs, a été dévalisée par un officier allemand, qui lui a arraché son sac. »
Le témoin a ajouté que le maire avait dû être enlevé par une patrouille, qu'en tout cas il avait disparu.
A Arracourt, le sieur Maillard a été tué dans les champs par une balle qui l'a traversé de part en part, et cinq maisons ont été incendiées.
Le village de Brin-sur-Seille a été presque entièrement détruit par le feu allumé avec des cartouches et des rondelles fusantes. Enfin la femme d'un mobilisé de Raucourt, la dame X..., nous a déclaré qu'elle avait été violée chez elle, en présence de son petit garçon, âgé de trois ans et demi, par un soldat qui lui avait mis la pointe de sa baïonnette sur la poitrine, pour vaincre la résistance qu'elle lui opposait.
[...]

G. PAYELLE, président,
ARMAND MOLLARD,
G. MARINGER, PAILLOT, rapporteur.


(Journal officiel, 8 janvier 1915)

 

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