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				 Le 
				Petit-Journal 
				12 mai 1876 
				 
				LES ECUS NOIRS  
				COUR D'ASSISES DE MEURTHE-ET-MOSELLE  
				Présidence de M. le conseiller Benoît  
				Audience du 8 mai  
				C'est pour avoir l'argent et 
				les biens de son vieux beau-père que Prosper Louis a tenté 
				d'incendier sa maison. Singulier moyen d'hériter, que de brûleur 
				l'héritage !  
				Sans l'intervention des voisins, accourus à temps pour éteindre 
				les flammes, l'immeuble du pauvre Jeanjean était consumé tout 
				entier. Cela se passait le 10 novembre dernier. 
				Cinq semaines plus tard, le 17 décembre, Jeanjean était trouvé 
				sans vie dans une chambre du rez-de-chaussée de sa demeure. Les 
				médecins constatèrent que la mort était due à une congestion 
				cérébrale déterminée par des coups violemment assénés sur le 
				crâne. 
				Dès le premier instant, l'opinion accusa Prosper-Louis. 
				Mais, dès le premier instant aussi, Prosper Louis trouva un 
				chaleureux défenseur. 
				Ce défenseur, c'était sa femme, la propre fille du vieux 
				Jeanjean. 
				Elle avait, avant tout le monde, vu son père à l'état de 
				cadavre; mieux que tout le monde, par conséquent, elle était en 
				mesure d'éclairer la justice. 
				Voici quelles furent ses explications  
				Ce jour-là, vers midi, un négociant M. Lhuillier, pour le 
				compte duquel travaille une personne de ma famille, se 
				présentait chez' moi, n'ayant pu rencontrer ma parente, et me 
				pria de lui dire si je savais où était déposé l'ouvrage qu'elle 
				devait lui rendre et dont il avait un besoin immédiat. 
				Cet ouvrage était pris et déposé dans la maison de mon père. 
				J'en informai M. Lhuillier, et nous sortîmes ensemble pour 
				l'aller prendre. 
				En arrivant, je passe la première pour entrer, naturellement. 
				Mais, à peine ai-je ouvert la porte de la chambre dans laquelle 
				mon père avait l'habitude de se tenir que je reste pétrifiée en 
				face d'un épouvantable spectacle. 
				Mon pauvre père s'était pendu ! 
				Accroché a. une haute armoire, son corps se balançait 
				lugubrement. 
				J'éprouvai un saisissement si intense, que je restai sans voix; 
				mais je conservai assez de présence d'esprit pour intercepter le 
				passage et empêcher M. Lhuillier d'avancer. Je ne voulais pas 
				qu'il vit cela; un suicide ! ça aurait déshonoré ma famille  
				Vivement, donc, je refermai la porte, prétextant que je m'étais 
				trompée, que ce que nous cherchions ne se trouvait pas là....
				 
				Une demi-heure après, je revins seule. J'étais très bouleversée, 
				mais pas tellement que je n'eusse encore assez de force pour 
				accomplir le dessein que j'avais médité. 
				Je montai sur une chaise, et coupai la corde qui retenait mon 
				malheureux père. Dans mon trouble, je n'avais pas réfléchi que 
				la vigueur me manquait pour soutenir le poids du corps. Le corps 
				se détacha et tomba lourdement.  
				 
				Si, dans cette chute, la tête toucha terre, cette circonstance 
				justifierait les contusions violentes auxquelles les hommes de 
				l'art ont attribué la mort. 
				Il y avait quelque apparence de vraisemblance dans ces 
				déclarations de la femme Louis. 
				Ces apparences se fortifièrent même d'une circonstance qui 
				ajoutait à leur poids Jeanjean habitait Autrepierre, et Prosper, 
				le matin du 17 décembre, avait été vu à Blamont entre dix et 
				onze heures. 
				Il est vrai que l'autopsie fixait à huit heures ou huit heures 
				et demie le décès du vieillard il est vrai, d'autre part, qu'un 
				cultivateur d'Autrepierre avait, vers ce même moment, entendu un 
				cri de détresse partir de la demeure de Jeanjean. 
				Mais aucune preuve absolue, en somme, ne s'élevait contre 
				Prosper Louis, et le misérable était en droit d'attendre 
				l'impunité. 
				Il l'espérait sans doute, lorsqu'un hasard providentiel vint, 
				tout d'un coup dévoiler la fois et la certitude du crime et la 
				personnalité du criminel. 
				Dans une cachette pratiquée par le gendre, dans son jardin, un 
				chercheur intelligent découvrit sept pièces d'argent, sept écus 
				de cinq francs, salis, ternis, noircis par le feu, sept écus 
				qu'un témoin avait, la veille du meurtre, positivement vus entre 
				les mains du beau-père. 
				Elles étaient bien reconnaissables, ces pièces, puisque la fumée 
				qui les noircissait était une trace du désastre du 10 novembre, 
				c'est- à-dire du commencement d'incendie allumé par Louis 
				lui-même. 
				La preuve était écrasante; bien que jusqu'à la fin des débats il 
				ait persisté dans ses dénégations. 
				Prosper-Louis est condamné aux travaux forcés à perpétuité.  
				La Presse 
				9 juin 1876 TRIBUNAUX
				 
				COUR D'ASSISES DE MEURTHE-ET-MOSELLE  
				MEURTRE. - INCENDIE ET VOL. - L'acte d'accusation expose les 
				faits suivants  
				Le 10 novembre 1875, une maison, sise à Autrepierre, habitée par 
				le sieur Jeanjean, âgé de soixante-douze ans, était consumée par 
				un incendie, entre huit et neuf heures du soir. Le propriétaire 
				avait passé toute la journée à Blâmont, au mariage d'un de ses 
				fils ; on n'avait pas allumé de feu depuis la veille ; de toute 
				la famille, Prosper-Remy Louis, qui est le gendre de Jeanjean, 
				avait seul refusé d'aller à la noce de son beau-frère. Des 
				affaires d'intérêt l'avaient presque brouillé avec son beau-père 
				; sa femme est fille d'un premier lit de Jeanjean, et il 
				accusait celui-ci de vouloir avantager les enfants du second 
				lit. Dans la famille-on l'estimait si peu, qu'avant de partir 
				pour Barbas, le père Jeanjean, sur le conseil de ses enfants, 
				avait caché dans la cheminée une somme d'argent qu'il possédait, 
				pour la dérober aux recherches de Louis qu'on croyait capable de 
				venir la prendre. 
				Quelques minutes avant l'incendie, deux jeunes gens avaient vu 
				un homme de la taille et de l'apparence de Louis dans les 
				environs de la maison Jeanjean; cet homme avait des allures 
				suspectes. Quant à lui, il ne vint à l'incendie qu'une heure 
				après le commencement, et quand tout le village y était déjà, 
				ainsi que des habitants des communes voisines; il ne prit aucune 
				part au sauvetage. Enfin sa femme déclarait quelques jours après 
				à une autre fille de Jeanjean, la femme Gossner, que son mari se 
				réveillait presque toutes les nuits rêvant feu et maisons 
				incendiées. Toute la commune et le père Jeanjean, en tête, 
				accusaient Louis d'être l'auteur du désastre. 
				Le 17 décembre suivant, le père Jeanjean qui avait été habiter 
				chez les Gossner, fut laissé seul à la maison par ceux-ci, qui 
				allaient à Blâmont pour affaires. Gossner était parti à sept 
				heures du matin, après avoir déjeuné avec son beau-père. Vers 
				onze heures et demie, la femme Louis ayant eu affaire dans cette 
				maison avec un étranger, ouvrit la porte et la referma aussitôt 
				en poussant une exclamation : elle venait de voir le corps de 
				son père pendu à une clef d'armoire par un mouchoir qui lui 
				serrait le cou. Croyant à un suicide, elle écarta sous un 
				prétexte quelconque son compagnon, pour cacher, dit-elle, le 
				déshonneur de sa famille. Puis elle rentra, décrocha le cadavre 
				et retendit par terre dans la chambre après avoir caché le 
				mouchoir. L'examen du corps montra à la tète une fracture 
				considérable due à un instrument contondant, et qui avait suffi 
				pour occasionner la mort; les médecins rejettent toute idée de 
				suicide; la mort est certainement due à un meurtre. 
				Louis était entré chez son beau-père après le départ de Gossner. 
				L'opinion publique l'accusa aussitôt le lendemain, la justice 
				saisit chez lui une paire de sabots, dont l'un était taché de 
				sang; il ne put expliquer la présence de ce sang sur son sabot. 
				De plus, un gendarme le surprit au moment où il cachait des 
				pièces de 5 fr. qui provenaient de son beau-père, comme le 
				prouvent des taches produites par l'incendie du 10 novembre. 
				Louis était craint dans la commune ; en 1865,il avait essaye 
				d'étrangler un de ses oncles ; celui-ci, encore vigoureux, 
				s'était défendu, mais n'avait rien osé dire ensuite, si ce 
				n'est à quelques camarades que la crainte empêcha aussi de 
				parler. 
				Louis est un homme de taille moyenne, robuste, cheveux noirs, 
				teint bilieux; il a l'air sournois. Il nie froidement les faits 
				relevés contre lui. 
				Le verdict du jury est affirmatif sur les questions de meurtre 
				et de vol, négatif sur la question d'incendie. 
				La cour condamne Prosper-Remy Louis à la peine des travaux 
				forcés à perpétuité.  
				Le Droit 
				10 mai 1876 
				COUR D'ASSISES DE 
				MEURTHE-ET-MOSELLE (Nancy). 
				Présidence de M. Benoît. 
				Audience du 2 mai 1876. 
				(Correspondance particulière du Droit, journal des Tribunaux.) 
				ACCUSATION D'INCENDIE, DE MEURTRE ET DE VOL. 
				Une accusation exceptionnellement grave amène Louis devant le 
				jury. Cette affaire a causé la plus vive émotion dans le pays, 
				et l'opinion publique en attend la solution avec une anxiété 
				anxieuse. 
				L'accusé a le costume des paysans ; une blouse bleue. Sa tête 
				est insignifiante et sans expression. M. le greffier follet 
				donne lecture de l'acte d'accusation, lequel est ainsi conçu : 
				Le sieur Jeanjean, vieillard de soixante-douze ans, habitait à 
				Autrepierre une maison appartenant à ses enfants du premier lit, 
				le nommé Joseph Jeanjean, cordonnier à Blamont, et la femme de 
				l'accusé Prosper Louis, qui lui n'avaient laissé l'usufruit. 
				Le 10 novembre 1873, entre huit et neuf heures du soir, pendant 
				que le sieur Jeanjean était à Barbas au mariage de l'un de ses 
				enfants du second lit, un incendie consuma sa maison 
				momentanément déserte, ainsi qu'une maison voisine appartenant 
				au sieur Contal. 
				A partir de cette époque, Jeanjean vint demeurer chez un sieur 
				Gossner, qui avait épousé sa fille Octavie, issue du deuxième 
				mariage et dont la maison voisine était habitée par l'accusé 
				Prosper Louis. 
				Le 17 octobre 1875, c'est-à-dire cinq semaines environ après 
				l'incendie, la femme Louis, rentrant vers midi chez son 
				beau-père Gossner, trouva son père étendu sans vie dans une 
				chambre au rez-de-chaussée. Il portait à la partie postérieure 
				de la tête une fracture considérable et les médecins 
				constatèrent que la mort était due à une congestion cérébrale 
				déterminée par plusieurs coups assénés avec une extrême violence 
				à l'aide d'un instrument contondant. 
				L'opinion publique désigna aussitôt l'accusé Louis comme étant 
				l'auteur de l'incendie allumé criminellement dans la maison de 
				son beau-père, ainsi que du meurtre de ce dernier, et 
				l'information à laquelle il a été procédé ne tarda pas à établir 
				sa culpabilité. Louis avait épousé la demoiselle Jeanjean en 
				1870. Sournois, violent et cupide, il dirigeait toutes ses 
				pensées vers la passion du gain. Il avait avec son beau-père de 
				fréquentes discussions et il paraissait obsédé de l'idée que 
				celui-ci voulait avantager à son détriment les enfants du second 
				lit. A la fin du mois d'octobre 1875, il fut invité à aller 
				assister le 10 novembre suivant, dans la commune de Barbas, à la 
				noce de l'un de ses beaux frères, Alfred Jeanjean ; sans motif 
				plausible, il refusa de se rendre à l'invitation qui lui fut 
				cependant adressée avec instance, et son beau-père, soupçonnant 
				que son refus cachait un mauvais dessein, conseilla à son 
				beau-père, dont la maison devait être abandonnée pendant toute 
				la journée, de retirer son argent de l'armoire où il avait 
				l'habitude de le renfermer et de le cacher dans le mur de la 
				cheminée. 
				Le 10 novembre, jour du mariage, l'accusé Louis fut, à 
				l'exception de l'une de ses belles-sœurs alors en couches, le 
				seul membre de la famille qui restât à Autrepierre. Personne ne 
				l'aperçut dans la journée. Entre huit et neuf heures du soir, le 
				feu éclatait instantanément pour ainsi dire dans la maison de 
				son beau-père et la consumait entièrement, ainsi qu'une maison 
				voisine. Il n'y avait pas eu de feu allumé depuis la veille. 
				Quelques minutes auparavant, des voisins qui passaient n'avaient 
				pas aperçu de fumée. Louis n'arriva sur le lieu du sinistre que 
				plus d'une heure après l'appel du tocsin, et, comme on lui 
				reprochait de toutes parts sa lenteur et son indifférence, il 
				prétendit qu'il n'avait pas entendu les cloches dont le 
				tintement prolongé avait cependant réveillé depuis longtemps ses 
				voisins et les habitants des communes environnantes. Il ne prit 
				aucune part aux travaux du sauvetage et se retira même avant la 
				fin de l'incendie. 
				Une perquisition, opérée plus tard à son domicile amena la 
				découverte de deux mèches en étoffe cachées dans sa cuisine. 
				D'un autre côté, quelques jours après l'incendie, la femme Louis 
				confiait à la femme Gossner que son mari se relevait toutes les 
				nuits pendant plusieurs heures, et qu'il ne rêvait que de feu et 
				de maisons brûlées. 
				Enfin, dans la soirée du 10 novembre, peu d'instants avant 
				l'incendie, deux jeunes gens, les frères Martin aperçurent un 
				homme de la taille et de l'allure de Louis qui se glissait 
				furtivement dans une ruelle aboutissant aux maisons incendiées. 
				Le sieur Jeanjean père connaissait toutes ces circonstances, et 
				il était convaincu que son gendre était l'auteur du sinistre. Il 
				l'avait confié à plusieurs membres de sa famille, et notamment 
				dans la journée du 15 décembre, il aurait annoncé à sa femme sa 
				ferme résolution de lui dire ses vérités et de lui reprocher ses 
				méfaits à leur première entrevue. 
				De son côté, dans la soirée du 15 décembre, Louis, qui se 
				trouvait à la veillée chez un sieur Bernard, exprima son 
				intention d'aller trouver son beau-père le lendemain matin pour 
				se concerter avec lui au sujet d'un dégrèvement de 
				contributions. Le lendemain 17 décembre, vers sept heures du 
				malin, après avoir déjeuné avec le sieur Jeanjean, les époux 
				Gossner se rendirent à Blâmont pour passer un acte chez le 
				notaire Vanier. Ils avaient laissé leur père assis comme 
				d'habitude auprès du fourneau du poêle. La femme Louis prétend 
				qu'étant entrée vers midi dans la chambre, elle aperçut le 
				vieillard pendu à la clef de l'armoire. Comme elle était suivie 
				d'un étranger, le sieur Lhuillier, elle aurait refermé 
				brusquement la porte et se serait retirée pour ne pas laisser 
				voir, dit-elle, le déshonneur de la famille. Puis elle serait 
				revenue seule un peu plus tard et aurait placé son père dans la 
				position où il a été trouvé depuis, après avoir pris la 
				précaution de cacher le mouchoir ensanglanté à l'aide duquel il 
				se serait étranglé. 
				En supposant que la déclaration de la femme Louis fût sincère, 
				l'hypothèse d'un suicide ne peut pas se soutenir un instant en 
				présence des constatations faites sur le cadavre et des causes 
				incidentes de la mort. Il est donc certain que Jeanjean a été 
				frappé par une main criminelle, et l'auteur de ce meurtre n'est 
				autre que l'accusé Louis. 
				Interrogé sur l'emploi de son temps pendant la matinée du 17 
				septembre, Louis a prétendu qu'il était sorti vers sept heures 
				du matin pour donner à manger au bétail, et qu'il avait vu en ce 
				moment; près de sa demeure, son beau-père avec qui il avait 
				échangé quelques mots. Mais cette allégation est démentie par 
				plusieurs témoin, auxquels il a déclaré qu'il était entré le 
				matin chez son beau-père, comme il en avait manifesté 
				l'intention la veille ; il leur a même indiqué quelle position 
				le sieur Jeanjean occupait pendant leur entrevue. Vers huit 
				heures du matin, Louis serait parti pour Blâmont, afin de 
				déposer une somme d'argent chez le notaire Vanier. Il est, en 
				effet, allé à Blâmont; mais un témoin l'a vu prendre, au sortir 
				de chez lui, à travers champs, une direction opposée et l'a 
				perdu de vue au moment où il approchait d'un bois, où il a dû 
				cacher l'argent qu'il venait de dérober, ainsi que la blouse de 
				la victime, qu'il a sans doute fait disparaître parce qu'elle 
				portait les traces sanglantes de son crime. Il est du reste 
				établi que le meurtre de Jeanjean a été commis entre sept et 
				huit heures. Les médecins chargés de l'autopsie ont constaté que 
				la mort était survenue presque immédiatement après le repas; 
				d'un autre côté, un voisin, le sieur Bertrand, a entendu, vers 
				huit heures moins un quart, un cri étouffé et sinistre sorti de 
				la maison Gossner. 
				L'accusé Louis est arrivé à Blâmont entre dix et onze heures du 
				matin. Après avoir déposé chez le notaire Vanier une somme 
				d'environ 130 fr., il est allé déjeuner chez son beau-père 
				Joseph Jeanjean, et, contrairement à ses habitudes, il a amené 
				ce dernier au café où il a payé les consommations. Au sortir du 
				café, il rencontra le nommé Dedenon d'Autrepierre, qui venait 
				lui annoncer la mort de son beau père. Il ne manifesta alors 
				aucune émotion, et, au lieu de regagner immédiatement la 
				commune, il prétexta qu'il avait plusieurs commissions à faire 
				et rentra chez un épicier, le sieur Desfrères, à qui il acheta 
				des tablettes et du sucre pour 10 centimes. Il entretint avec le 
				sieur Desfrères une conversation qui ne dura pas moins d'un 
				quart d'heure et pendant laquelle il parla de son beau-père en 
				manifestant la crainte qu'il ne laissât son bien alors qu'il 
				venait précisément d'apprendre la mort de ce dernier. Puis il 
				revient lentement à Autrepierre, demandant aux personnes qu'il 
				rencontrait s'il n'y avait rien de nouveau et gardant la même 
				indifférence quand on lui apprenait le malheur foudroyant qui 
				venait de frapper sa famille et qu'il feignait d'ignorer. 
				Arrivé à Autrepierre, il se rendit d'abord à son domicile et ne 
				visita qu'au bout d'un certain temps le cadavre de son 
				beau-père. 
				Toutes ces considérations venant confirmer d'une façon 
				accablante l'accusation portée contre lui par l'opinion publique 
				se renforcèrent encore de circonstances précises qui établissent 
				jusqu'à l'évidence sa culpabilité. On saisit au domicile de 
				l'accusé la paire de sabots dont il était chaussé le 17 décembre 
				au matin, et l'un des sabots portait une tache de sang dont il 
				ne sut expliquer l'origine. 
				Quelque temps après les gendarmes quittaient chargés d'opérer 
				son arrestation le surprirent au moment où il cherchait à cacher 
				dans le fumier plusieurs pièces de cinq francs portant des 
				traces visibles de feu, et que son beau-père avait retirées des 
				décombres de l'incendie de sa maison. Déjà placé sous la main de 
				la justice il essayait ainsi de faire disparaître la preuve 
				palpable de l'attentat dont lui seul, sans doute, pouvait être 
				l'auteur, car le sieur Jeanjean, vieillard inoffensif et estimé 
				de tout le monde dans la commune n'avait pas un seul ennemi, et 
				personne en dehors de son gendre ne désirait sa mort et ne 
				devait en tirer profit. L'information a établi, en outre, qu'au 
				mois de juillet 1868 un sieur Thiébault, cultivateur à 
				Autrepierre, était occupé à extraire des souches dans un bois 
				lorsqu'à la suite d'une discussion avec l'accusé ce dernier vint 
				le frapper lâchement par derrière d'un violent coup de houe qui 
				lui fit à la tête une blessure profonde et entraîna une 
				incapacité de travail de plusieurs mois. La terreur inspirée par 
				l'accusé avait caché jusqu'à ce jour la révélation de ce fait. 
				Déjà en 1864 il avait voulu étrangler un de ses oncles qui était 
				venu demeurer chez ses parents, et qui fut obligé de se réfugier 
				à l'hospice pour se soustraire à ses violences et à ses menaces. 
				M. le président procède à l'interrogatoire de l'accusé. 
				D. Vous avez mauvaise réputation. Vous êtes économe jusqu'à 
				l'avarice ? - R. Je n'ai jamais été paresseux. 
				D. Vous ne passez pas pour probe ; vous passez pour maraudeur, 
				méchant, sournois, hypocrite. Vous affectez des sentiments 
				religieux qui ne servent qu'à cacher des actes mauvais. - R. Je 
				défie qu'on me reproche quoi que ce soit. Je n'ai jamais frappé 
				un enfant; je n'ai rien fait à personne.. 
				D. Une de vos voisines, deux fois incendiée, pense que vous avez 
				commis ce double crime par envie, parce que sa maison était plus 
				belle que la vôtre ; cependant elle n'en a pas la preuve. Elle 
				vous a vu pénétrer chez elle et commettre des larcins? - R. Je 
				ne sais ce que cela veut dire. 
				D. Vous n'êtes pas poursuivi pour ces faits. Mais arrivons à des 
				faits plus précis. En 1863, vous aviez un oncle nommé Louis, 
				vous étiez célibataire. Pourquoi votre oncle a-t-il quitté la 
				maison de votre mère? - R. Par suite de difficultés avec ma 
				mère. 
				D. Non. Il lui était dû 300 fr. restés entre le» mains d'un 
				tiers. N'avez-vous pas, une nuit, essayé de l'étrangler dans son 
				lit? - R. Non. 
				D. Il a dit à plusieurs personnes : «  Je viens de Réchapper 
				belle, a t-il dit, mon neveu a voulu m'étrangler et, sans la 
				vigueur de mon poignet, je ne sais ce qui serait arrivé. » Il 
				s'est sauvé de chez vous. - R. Non. Il est encore revenu chez 
				nous. 
				D. Mais il n'a plus osé y demeurer. Ce fait est prescrit, mais 
				il révèle à quel point vous êtes méchant et violent! Votre oncle 
				a dit que vous aviez fait cela pour hâter sa mort et hériter de 
				son petit avoir? - R. Ceux qui disent cela m'en veulent. 
				D. Vous avez une sœur qui s'est mariée, n'avez-vous pas eu des 
				difficultés avec elle à propos de ce mariage ? - R. Nous avons 
				eu le dessein de rester ensemble et de tester au profit l'un de 
				l'autre, mais après la mort de ma mère elle a voulu se marier. 
				D. Vous avez commis sur elle des actes de violence qui l'ont 
				déterminée à fuir la maison? - R. Non, je suis allé à la noce de 
				ma sœur. 
				D. Vers 1868, vous avez travaillé avec Didelot, de Verdenal, 
				dans le bois de Granseille. Il s'est plaint qu'on lui avait 
				enlevé ses outils avec lesquels il faisait un fossé ? - R. Il 
				les avait cachés en terre. Ils ont été retrouvés. 
				D. Il vous a reproché de les lui avoir pris. Quand les outils 
				ont été retrouvés en votre présence, vous l'avez terrassé sans 
				motif, en disant : «  Je ne sais ce que je vais faire de toi ! » 
				Vous disiez que votre mère vous avait conseillé de l'écraser. - 
				R. C'est inexact. 
				D. En 1868, en temps de neige, vous travailliez dans la forêt à 
				côte Thibaut? - R. Non, jamais je n'ai été près de lui au bois. 
				D. Il dit que vous vous êtes approché de lui; vous lui avez 
				cherché querelle; vous l'avez menacé avec votre outil; il s'est 
				défendu, et vous vous êtes retiré. Puis il s'est remis au 
				travail : tout à coup vous êtes sorti d'un buisson où vous vous 
				étiez caché; vous l'avez frappé à la tête avec un outil; il a 
				été fort maltraité ; il est tombé baigné dans son sang. Le coup 
				qu'il a reçu sur la tête l'a hébété et rendu malade pendant 
				plusieurs mois. Il n'a d'abord pas osé vous accuser, tant il 
				vous redoutait. - R. Je nie 
				cela. Thibaut m'accuse faussement. Je n'ai appris cela que par 
				M. le juge d'instruction. Je reconnais que Thibaut n'est pas mon 
				ennemi. Je n'ai jamais eu d'ennemi à Autrepierre. 
				D. Vous vous êtes marié le 15 novembre 1870 avec Marie Jeanjean. 
				Jeanjean s'est-il opposé à ce mariage? - R. Nullement, au 
				contraire. 
				D. Pourtant on dit qu'il a vu le mariage de mauvais œil car il 
				ne vous estimait pas ?- R. C'est la jalousie de mon petit 
				bien-être qui fait qu'on m'accuse. 
				D. Jeanjean avait eu deux enfants d'un premier mariage, dont 
				votre femme était l'un ; puis trois enfants d'un second mariage. 
				Tous ces enfants vivaient en parfaite intelligence. - R. Ils 
				étaient toujours fort intéressés. 
				D. A peine entré dans la famille, vous avez cherché à brouiller 
				vos beaux-pères et belles-sœurs. Vous avez prétendu que le père 
				de famille voulait avantager ses enfants du second lit ? - R. 
				Non; il aimait autant les uns que les autres. Il n'était pas 
				méchant. 
				D. Jeanjean ne vous avait-il pas promis des meubles lors de 
				votre mariage ? - R. J'ai défendu à ma femme de rien réclamer de 
				cela ; c'était si peu de chose ! 
				D. On croit cependant que cela a amené de grands mécontentements 
				entre vous et lui. En décembre 1873, il a fait entre ses enfants 
				le partage anticipé de ses biens. Vous avez eu votre part comme 
				les autres et chacun des enfants lui devait une rente annuelle 
				de 30 fr.?- R. Oui, je l'ai payé le premier. 
				D. Il était usufruitier d'une maison appartenant aux enfants de 
				sa première femme, à votre femme et à son frère. Cette maison a 
				été brûlée. Jeanjean ne vous a-t il pas abandonné l'indemnité 
				due par l'assurance, à charge par vous de lui payer une rente de 
				21 fr. 25 c.? - R. Oui. Je payais annuellement ainsi à mon 
				beau-père 51 fr. 25 c. Nous n'avons eu ensemble aucune 
				difficulté. 
				D. Ces arrangements fait, vous avez dit que votre beau-père 
				avait encore de l'argent avec lequel il voulait avantager les 
				enfants du second lit ? - R. Jamais je n ai dit cela. Jamais je 
				ne me suis plaint de mon beau-père. J'étais en bons termes avec 
				lui. 
				D. Votre beau-père a dit que vous aviez volé des betteraves chez 
				Boulanger? - R.. Il n'a jamais dit pareille chose. 
				D. II n'avait pour vous ni affection ni estime. La situation 
				entre vous deux était tendue, difficile, quoique vous continuiez 
				à vous voir un peu? - R. Du tout. Chaque fois qu'il venait à la 
				maison je lui faisais boire l'eau-de-vie. 
				D. Votre beau-père Alfred s'est marié à Barbas, il avait invité 
				sa famille. Vous avez refusé d aller à la noce ? - R. Il avait 
				prétendu que j'avais mal parlé de lui. Au reste, je suis allé 
				dîner à Barbas, le dimanche qui a suivi la noce. 
				D. Ah! si vous n'avez pas voulu aller à la noce, c est que vous 
				êtes sournois, hypocrite et méchant, vous vous plaignez des 
				avantages que le père voulait faire aux enfants du second lit. 
				Alfred a dit au vieux père : «  Il veut prendre votre argent, 
				profiter du moment où vous serez à la noce avec nous pour 
				prendre les 550 fr. que vous avez en réserve, ayez donc soin de 
				cacher cet argent. » Il l'a caché dans le trou d'une cheminée? - 
				R. Mon beau-père a toujours dit ne pas l'avoir caché. 
				D. Qu'avez-vous fait le soir? - R. Je me suis couché vers sept 
				heures et demie, après avoir pris un livre et fait une lecture. 
				D. Vers huit heures du soir, les voisins qui sont sortis n'ont 
				rien vu, tout était tranquille, aucune odeur de feu. - R. Je ne 
				suis pas sorti cette soirée là, si ce n'est à neuf heures, 
				lorsqu'on a sonné le tocsin. 
				D. Vers huit heures un quart, des passants ont vu un homme de 
				haute taille, comme vous, ayant votre aspect, s'enfuir et 
				disparaître dans une ruelle, se dirigeant vers église et la 
				maison de Jeanjean?- R. C'est un individu qui me ressemble. Il 
				faisait clair de lune, il eût été bien facile de me reconnaître 
				si c'eût été moi. 
				D. A huit heures et demie, un voisin de Jeanjean a vu la maison 
				de Jeanjean en flammes, le feu sortait de la toiture, le feu 
				avait dû être allumé avec une grande violence. Cette maison a 
				été brûlée ainsi qu'une maison voisine. Tout le monde est 
				accouru, même des villages voisins, au son de la cloche 
				d'alarme. Une seule personne de la commune manquait : c'était 
				vous? - R. On ne m'avait pas appelé. Je n'avais pas entendu 
				sonner. Le clocher n'est pas de mon côté. Dès que j'ai vu le feu 
				chez mon beau père, j'y ai couru tout de suite. 
				D. Il y avait une heure que la maison brûlait quand on vous à vu 
				sortir tranquillement de chez vous.et aller vers l'incendie sans 
				vous presser? - R. Quand je suis arrivé, le linge était sorti et 
				le toit allait tomber. 
				D. Tout le monde en a été surpris de votre impassibilité et de 
				votre inaction. Vous étiez le plus indiffèrent de tous. Vous 
				n'avez pris aucune part au sauvetage. Vous êtes rentré chez vous 
				avant même que le feu ne fût complètement éteint. - R. Je ne 
				suis rentré qu'à minuit un quart; j'ai rattaché une vache qui 
				s'était lâchée. Mon beau-père est venu coucher chez moi cette 
				nuit là. Quand j'ai quitté le lieu du sinistre on ne pouvait 
				plus rien sauver. 
				D. Tous les membres de votre famille ont pensé que vous aviez 
				mis le feu ; que vous aviez un mauvais dessein en refusant 
				obstinément d'aller à la noce. L argent a été retrouvé dans un 
				trou, quoiqu'un peu atteint par les flammes. Oh a retrouvé les 
				530 fr. en pièces qui portaient le cachet du sinistre par lequel 
				elles avaient passé. Mais ces pièces étaient toujours bonnes, 
				Lambert à Blâmont a rassuré Jeanjean à cet égard. - R. J'étais 
				présent à cette conversation. 
				M le président fait passer sous les yeux du jury sept pièces 
				noircies par l'incendie. L'accusé reconnaît que elles lui 
				viennent de son beau-père. 
				D. Jeanjean ne s'y est pas trompé ; il a pensé que vous aviez 
				mis le feu. Toutefois, il n'a pas osé vous accuser en face de la 
				gendarmerie ; il a dit que c'était un accident. Mais il n'y a 
				pas d'accident possible ; le père était parti dès le matin, 
				laissant tout en ordre. Le père Jeanjean a dit à tous ses 
				enfants et à d autres : «  C'est Louis qui a mis le feu ; je le 
				lui dirai en face. » - R. Non ; en arrivant chez nous le soir du 
				sinistre, mon beau-père disait qu'il soupçonnait un nommé 
				Vincent d avoir mis le feu parce qu'il aurait voulu marier sa 
				fille à Alfred Jeanjean. 
				D. Eh bien ! l'instruction a établi que jamais Vincent n'avait 
				songé à ce prétendu projet de mariage, et que le Vincent avait 
				été des plus empressés à éteindre l'incendie. - R. La mariage 
				n'avait pas été arrêté, mais il y avait eu un-projet en l'air. 
				D. Votre femme a révélé que depuis l'incendie vous vous 
				réveilliez la nuit en disant que vous voyiez des flammes et du 
				feu. Le remord» vous poursuivait? - R. Je me relève quelquefois 
				la nuit, mais pas de cette façon. 
				D.. Arrivons au meurtre de votre beau-père. Il ne vous estimait 
				pas et ne vous aimait pas. Vous ne l'aimiez pas non plus ?. - R. 
				Je l'aimais autant que s'il eût été mon opère. 
				D. Il vous croyait l'auteur de l'incendie de sa maison, et 
				disait vous avoir vu voler des betteraves à Boulanger? R. - Tous 
				les jours j'allais à la veillée chez lui; quand je n'y allais 
				pas il m'envoyait chercher. 
				D. Jeanjean avait 600 fr. déposés chez un notaire de Blâmont. Il 
				passait pour avoir aussi une petite réserve chez lui ; on a 
				trouvé chez lui moins d'argent qu'il n'en devait avoir Vous lui 
				deviez 51 fr. 25 c. de rente annuelle jusqu'à sa mort. Vous êtes 
				excessivement intéressé et cupide ; cette charge devait vous 
				gêner? - R. Jamais je n'ai eu aucune discussion avec lui 
				d'aucune manière. 
				D. Après l'incendie Jeanjean est allé demeurer chez son gendre 
				Gossner. Il avait soixante-douze ans, fumait sa pipe, vivait 
				fort tranquillement, aimé et respecté de tous, n'ayant pas un 
				ennemi dans la commune. Le 17 décembre, au matin, il fumait sa 
				pipe comme les autres jours; il s'était levé à sept hures du 
				matin. Saviez-vous que ce jour-là Gossner et sa femme devaient 
				aller à Blâmont dès le matin cour passer un contrat 
				d'acquisition d'une maison ? - R. Je ne le savais pas. 
				D. La veille, vous avez entendu parler de la vente de la maison. 
				Avait-on fixé le prix ? - R. Je ne le crois pas. Je ne savais 
				pas quel jour ils devaient passer contrat. 
				D. La femme Gossner est partie vers six heures du matin ; 
				Gossner a déjeuné avec le père Jeanjean, qui est parti vers sept 
				heures. Jeanjean était resté seul à la maison, à sa place 
				habituelle, fumant sa pipe sur sa chaise, entre le fourneau et 
				l'armoire. Qu'avez-vous fait ce matin là? - R. J'ai porté à 
				manger à mes porcs vers sept heures du matin. J'ai dit bonjour à 
				mon beau père sur sa porte, vers sept heures et demie du matin. 
				Je lui ai dit qu'il devrait se faire décharger des contributions 
				de la maisons brûlée. Je lui ai dit que j'allais à Blâmont. Il 
				m'a demandé de lui échanger des pièces de 5 fr. noircies. 
				D. Le beau-père savait que vous deviez lui parler de cette 
				décharge d'impôts, et il avait dit : «  Ah! le gueux, qu'il 
				vienne me parler de cela; je lui dirai qu'il a brûlé la maison ! 
				» - R. Du tout, mon beau-père a dît qu'il irait chez le maire 
				avec moi pour solliciter la décharge. Je ne suis pas entré dans 
				la maison. Notre conversation s'est passée devant la porte. Il 
				m'a remis sept pièces de 5 francs pour les échanger à Blâmont 
				contre d'autres pièces de 5 francs. Il a tiré ces pièces de sa 
				bourse. 
				D. Les filles de Jeanjean ont dit : «  Jamais il n'aurait chargé 
				Louis de faire cette commission ! Il ne l'aimait pas assez pour 
				cela. » - R. Il m'a donné une voiture de fumier en cachette de 
				ses enfants. 
				D. Il est étrange que Jeanjean n'ait pas chargé de cette 
				commission Gossner avec qui il demeurait, qui avait déjeuné avec 
				lui, et venait de partir pour Blâmont, et qu'il en ait chargé 
				vous, qu'il n'aimait pas. - R. Il m'aimait au moins autant que 
				les autres gendres. 
				D. Du reste, Jeanjean savait que ses pièces noircies étaient 
				aussi bonnes que les autres ; il n'avait pas besoin de les 
				échanger. Vous ne deviez pas aller à Blâmont ce jour. Qui vous a 
				décide tout à coup à partir? C'est une idée subite. Votre femme 
				était malade et vous avait dit de ne pas y aller ce jour-là ? - 
				R. Elle n'était presque pas malade, elle a pu travailler à la 
				maison après des sacs de blé. 
				D. Vous aviez de l'argent chez vous?- R. J'avais reçu un billet 
				de 100 fr. pour prix d'avoine ; j'avais aussi de l'argent chez 
				moi. 
				D. Alors pourquoi n'avez vous pas de suite remis à Jeanjean les 
				pièces qu'il désirait, puisque vous aviez les pièces sur vous? - 
				R. Jeanjean m'avait défendu de parler à ma femme de l'échange 
				dont il me chargeait. 
				D. Combien de temps avez vous causé avec votre beau-père sur la 
				porte ? - R. Trois ou quatre minutes tout au plus. Je suis 
				rentré chez moi déjeuner et j'ai remis notre horloge sur huit 
				heures, au moment où l'école a sonné. J'ai mis un peu de miel 
				dans mou panier, et je suis parti. J'avais d'abord songé à 
				passer par Verdenal, pour réclamer 1 fr. 50 pour prix de fruits 
				vendus il y a deux ans; je me suis d'abord dirigé sur Verdenal ; 
				puis réfléchissant que je n'arriverais pas à Blâmont pour onze 
				heures, j'ai regagné par un sentier la route de Blâmont. 
				D. Si vous avez fait ces détours, c'est que vous aviez intérêt à 
				vous dérober aux regards, à ce qu'on vous vît seulement plus 
				tard sur la route de Blâmont. Boulanger vous a vu prendre ce 
				chemin extraordinaire pour aller à Blâmont. Il y a quelque chose 
				de singulièrement louche dans tout cela? - R. Non, monsieur. 
				J'ai changé d'avis, voilà tout. 
				D. Avez vous été chez vous ou près de chez vous entre sept et 
				huit heures? Il y a trois quarts d'heures d'Autrepierre à 
				Blâmont. Vous êtes arrivé à Blâmont vers neuf heures. Y 
				avez-vous vu Didelon? - R. Non, j'ai porté le miel chez Didelon, 
				j'ai bu la goutte. Je suis allé chez le notaire porter 100 fr. 
				pour compléter 500 fr. 
				D. Pourquoi n'avez-vous pas donné au notaire les pièces noires 
				de Jeanjean ?-R. J'avais d'abord donné les autres pièces, je 
				n'ai pas voulu les retirer. J'ai vu les Gossner chez le notaire. 
				Je ne leur ai pas dit que j'étais chargé d'échanger 35 fr. Je 
				n'ai pas fait cet échange à Blâmont, parte que je devais 80 fr. 
				à un de mes oncles à Lunéville, je comptais les lui échanger en 
				même temps. 
				D. Gossner et sa femme disent que vous aviez l'air soucieux ; 
				vous ne causiez z pas?-R. On ne cause pas chez les notaires. 
				D. Vous êtes allé droit chez votre beau-père Joseph. Votre 
				belle-sœur Gossner y était. Avez-vous dit que vous aviez parlé 
				le matin au beau-père? - R. Je ne suis pas sûr de l'avoir dit là 
				; mais j'avais l'intention de le dire. 
				D. Après dîner, vous avez offert à Joseph de le conduire boire 
				une bouteille de bon vin ; ça l'a étonné. Au café, on a apporté 
				du mauvais vin ; vous avez voulu paye une seconde bouteille ; 
				vous étiez dans un moment de générosité. Au sortir du café, vers 
				une heure, la femme Redenon 
				d'Autrepierre a raconté à vous et à vos beaux-frères que le père 
				Jeanjean venait d'être trouvé mort dans sa chambre? - R. Oui, 
				elle a dit que ma femme l'avait trouvé mort. J'ai dit : Oh! la 
				pauvre femme. 
				D. Dedenon dit qu'il a annoncé que Jeanjean était mort ; que 
				Joseph a été bouleversé de cette nouvelle, et que cette nouvelle 
				ne vous a rien fait du tout à vous ; que vous avez demandé qui 
				avait trouvé mort, et que vous avez répondu : «  Oh ! la bougre 
				de bête !» - R. Je n'ai pas tenu ce propos ; j'ai, dit: «  Oh! la 
				pauvre femme ! ». 
				D. En disant : «  Oh ! la bougre de bête ! » vous manifestiez 
				votre mécontentement de ce que votre femme était allée découvrir 
				le cadavre avant l'arrivée de Gossner parce qu'alors on aurait 
				pu les soupçonner d'être les auteurs de cette mort. Au lieu de 
				retourner directement à Autrepierre, vous êtes allé chez 
				l'épicier acheter des pastilles pour deux sous ; vous n'avez pas 
				parlé à l'épicier de la mort de votre beau père ; vous lui avez 
				cependant parlé de votre beau-père, de l'espoir que vous aviez 
				d'hériter de lui, ajoutant toutefois que, s'il vivait longtemps, 
				il disposerait de son argent et que vous n'auriez rien? - R. Ce 
				n'est pas ce jour-là que j'ai tenu ce propos ; c'est une autre 
				fois. 
				D. C'est bien ce jour là. Vous saviez votre beau-père mort, et 
				vous parliez de lui comme s'il était vivant! Cette nouvelle eut 
				dû pourtant vous brûler la langue. Vous avez lentement repris la 
				route d'Autrepierre ; vous avez rencontré la femme Boxberger; 
				vous lui avez demandé s'il y avait du nouveau à Autrepierre? 
				Elle vous a dit que votre beau-père était toit. Vous avez dit : 
				«  Ah ! il est mort! » puis vous avez dit que Dedenon vous avait 
				appris sa mort. Elle dit ne pas vous avoir dit qu'elle avait 
				trouvé votre beau-père mort sur une chaise? - R. Elle m'a bien 
				dit : «  sur une chaise. » 
				D. Le facteur vous a dit : «  On a trouvé ton beau-père 
				assassiné. » Cela n'a pas eu l'air de vous impressionner : sur 
				le mot «  assassiné » vous êtes resté impassible? - R. Je ne sais 
				de quel mot le facteur s'est servi. Rentrant à Autrepierre à 
				cinq heures, j'ai demandé à ma femme comment elle avait trouvé 
				son père, et je lui ai reproché de l'avoir relevé sans appeler 
				le maire. 
				D. Il est étrange que vous ne soyiez pas d'abord entré chez 
				votre beau-père, où il y avait du monde. Vous n'êtes allé voir 
				ce cadavre qu'à six heures et demie, deux heures et demie après 
				votre retour? - R. Non, j'y suis allé presque immédiatement 
				après mon retour. 
				D. Vous craigniez d'entrer dans cette maison ou de voir ce 
				cadavre. Vous avez trouvé là des femmes, vous avez dit que le 
				matin vous étiez entré dans la maison ; qud vous aviez parlé à 
				votre beau-père, disant : «  Le pauvre homme, il était là à sa 
				place habituelle, je le vois encore ! » - R. Je n'ai pas dit que 
				j'étais entré ce jour-là dans la maison. J'ai toujours dit que 
				je lui avais parlé sur la porte. 
				D. Vous avez évité d'assister à l'autopsie, et toute la famille 
				y était. - R. C'est que ma sœur Octavie avait dit dans le 
				village qu'ils soupçonnaient sur moi (sic). 
				D. Jeanjean avait été laissé sur sa chaise vers sept heures du 
				matin, seul dans la maison. Depuis sept heures jusqu'à onze 
				heures et demie personne ne l'a plus vu. Lhuillier, qui fait 
				travailler la dame Gossner, est venu chercher de l'ouvrage qui 
				devait être confectionné ; il a trouvé la maison fermée, les 
				rideaux baissés, tandis que les Gossner les avaient laissés 
				entr'ouverts. Votre femme est alors entrée par derrière, a 
				poussé un cri, a refermé la porte et a dit à Lhuillier : «  Je ne 
				veux pas vous donner l'ouvrage de ma sœur. » Lhuillier a vu 
				votre femme rentrer chez elle. Puis elle est rentrée dans la 
				maison et en est ressortie en criant : «  Je viens de trouver mon 
				père mort dans la maison, il était pendu après l'armoire, je 
				l'ai décroché, il ne faut pas le dire ! » - R. Ils ne devaient 
				pas le décrocher. 
				D. Il était sûr le plancher, avait au crâne une blessure 
				terrible, avait reçu plusieurs coups des plus violents qui 
				avaient brisé un os appelé rocher; ils ont été portés avec un 
				corps contondant dont ils ne peuvent démontrer l'espèce. Les 
				coups ont été portés sur le derrière de la tête par-dessus le 
				bonnet de coton du malheureux vieillard. L'estomac a révélé que 
				la mort avait dû survenir avant dix heures du matin. On n'a vu 
				personne rôder autour de sa maison ni entrer là; on ne lui 
				connaît pas d'ennemi. Les premiers soupçons se sont portés sur 
				vous. Gossner, en rentrant, a dit : «  Je trouverai bien le 
				scélérat qui a fait ce coup ! » Votre femme présente a dit : «  
				N'accusez pas le mien! » C'est dire : mon mari. Personne encore 
				ne vous accusait nominativement à ce moment; mais l'accusation 
				était dans toutes les consciences. Un homme qui travaillait dans 
				un champ voisin, à huit heures du matin, a entendu un cri, un 
				râlement partant de la maison Jeanjean; c'était le cri de la 
				victime tombant sous les coups de son meurtrier. Voilà l'heure 
				précisée; à cette heure-là vous étiez là, et vous reconnaissez 
				vous même que vous n'avez quitté votre maison qu'à huit heures 
				et demie. Rien n'établit que vous n'étiez pas là au moment du 
				crime ; tout, au contraire, fait penser que vous y étiez ? - R. 
				Je suis bien innocent. 
				D. Il est improbable que Jeanjean vous ait remis les sept pièces 
				pour les échanger, commission que du reste vous n'avez pas 
				accomplie. Vous n'avez pas rendu ces 35 fr., vous n'avez dit 
				alors à personne que vous aviez été chargé de les échanger. Ces 
				sept pièces étaient dans la bourse de Jeanjan un instant avant 
				sa mort; on les trouve en votre possession après cette mort. 
				C'est seulement lorsque le gendarme vous a arrêté qu'il a 
				entendu un bruit de métal, vous étiez occupé à cacher les pièces 
				dans votre écurie? - R. Je ne les cachais pas. 
				D. Si! ces pièces ont été saisies parce que vous vouliez les 
				dissimuler, parce qu'elles prouvaient la part que vous aviez 
				prise à la mort de vôtre beau-père. Le vol ressort de cette 
				possession des pièces de 5 fr. Le jury examinera la valeur de 
				votre système. M. le juge d'instruction a saisi chez vous une 
				paire de sabots, vous avez convenu que vous les portiez dans la 
				matinée du 17, quand vous avez parlé à votre beau père; il a 
				constaté une petite tâche de sang? - R. Ou m'a montré cela 
				longtemps après. Je ne sais si c'était une tache de sang, je ne 
				le crois pas. 
				D. Vous avez dit que vous saigniez fréquemment du nez et que 
				cette tache pouvait provenir de cela.  
				On représente les sabots à l'accusé et à Me Contai, son 
				défenseur, puis au jury. 
				Sur la demande de M. Honnoré, substitut du procureur général, 
				l'accusé déclare avoir quitté Autrepierre à huit heures et demie 
				du matin. 
				Un de messieurs les jurés demande si la maison incendiée était 
				assurée. Elle l'était pour 1,500 fr., le mobilier et les 
				récoltes étaient assurés. Jeanjean a touché 850 fr. pour 
				l'indemnité de l'immeuble, il a abandonné cette somme aux deux 
				enfants du premier lit, à charge de lui en servir l'intérêt. 
				M. l'avocat général fait remarquer que la maison venait de la 
				première femme de Jeanjean, qui n'en était pas usufruitier. 
				Après ce long interrogatoire, que Louis a subi avec un 
				sang-froid remarquable, on commence l'audition des témoins, qui 
				sont au nombre de quarante et un. 
				Après leurs dépositions, qui n'ont en rien modifié les faits mis 
				en lumière par l'acte d'accusation et par l'interrogatoire, M. 
				Honnoré, substitut du procureur général, a soutenu l'accusation 
				avec une grande énergie. 
				Me Contal a présenté la défense de l'accusé. 
				Après une assez longue délibération, le jury a écarté le chef 
				d'incendie. Mais il a déclaré Louis coupable de coups avec 
				circonstances aggravantes de guet-apens et de maladie; il l'a 
				également déclaré coupable d'homicide volontaire sur la personne 
				de son beau-père et de vol simple au préjudice des héritiers de 
				ce dernier. 
				La Cour a condamné Louis aux travaux forcés à perpétuité. 
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