BLAMONT.INFO

Documents sur Blâmont (54) et le Blâmontois

 Présentation

 Documents

 Recherche

 Contact

 
 Plan du site
 Historique du site
 
Texte précédent (dans l'ordre de mise en ligne)

Retour à la liste des textes - Classement chronologique et thématique

Texte suivant (dans l'ordre de mise en ligne)


Histoires criminelles du Blâmontois (2)
Autrepierre - 1876

Voir aussi Histoires criminelles


Le Petit-Journal
12 mai 1876

LES ECUS NOIRS
COUR D'ASSISES DE MEURTHE-ET-MOSELLE
Présidence de M. le conseiller Benoît
Audience du 8 mai

C'est pour avoir l'argent et les biens de son vieux beau-père que Prosper Louis a tenté d'incendier sa maison. Singulier moyen d'hériter, que de brûleur l'héritage !
Sans l'intervention des voisins, accourus à temps pour éteindre les flammes, l'immeuble du pauvre Jeanjean était consumé tout entier. Cela se passait le 10 novembre dernier.
Cinq semaines plus tard, le 17 décembre, Jeanjean était trouvé sans vie dans une chambre du rez-de-chaussée de sa demeure. Les médecins constatèrent que la mort était due à une congestion cérébrale déterminée par des coups violemment assénés sur le crâne.
Dès le premier instant, l'opinion accusa Prosper-Louis.
Mais, dès le premier instant aussi, Prosper Louis trouva un chaleureux défenseur.
Ce défenseur, c'était sa femme, la propre fille du vieux Jeanjean.
Elle avait, avant tout le monde, vu son père à l'état de cadavre; mieux que tout le monde, par conséquent, elle était en mesure d'éclairer la justice.
Voici quelles furent ses explications
Ce jour-là, vers midi, un négociant M. Lhuillier, pour le compte duquel travaille une personne de ma famille, se présentait chez' moi, n'ayant pu rencontrer ma parente, et me pria de lui dire si je savais où était déposé l'ouvrage qu'elle devait lui rendre et dont il avait un besoin immédiat.
Cet ouvrage était pris et déposé dans la maison de mon père. J'en informai M. Lhuillier, et nous sortîmes ensemble pour l'aller prendre.
En arrivant, je passe la première pour entrer, naturellement. Mais, à peine ai-je ouvert la porte de la chambre dans laquelle mon père avait l'habitude de se tenir que je reste pétrifiée en face d'un épouvantable spectacle.
Mon pauvre père s'était pendu !
Accroché a. une haute armoire, son corps se balançait lugubrement.
J'éprouvai un saisissement si intense, que je restai sans voix; mais je conservai assez de présence d'esprit pour intercepter le passage et empêcher M. Lhuillier d'avancer. Je ne voulais pas qu'il vit cela; un suicide ! ça aurait déshonoré ma famille
Vivement, donc, je refermai la porte, prétextant que je m'étais trompée, que ce que nous cherchions ne se trouvait pas là....
Une demi-heure après, je revins seule. J'étais très bouleversée, mais pas tellement que je n'eusse encore assez de force pour accomplir le dessein que j'avais médité.
Je montai sur une chaise, et coupai la corde qui retenait mon malheureux père. Dans mon trouble, je n'avais pas réfléchi que la vigueur me manquait pour soutenir le poids du corps. Le corps se détacha et tomba lourdement.


Si, dans cette chute, la tête toucha terre, cette circonstance justifierait les contusions violentes auxquelles les hommes de l'art ont attribué la mort.
Il y avait quelque apparence de vraisemblance dans ces déclarations de la femme Louis.
Ces apparences se fortifièrent même d'une circonstance qui ajoutait à leur poids Jeanjean habitait Autrepierre, et Prosper, le matin du 17 décembre, avait été vu à Blamont entre dix et onze heures.
Il est vrai que l'autopsie fixait à huit heures ou huit heures et demie le décès du vieillard il est vrai, d'autre part, qu'un cultivateur d'Autrepierre avait, vers ce même moment, entendu un cri de détresse partir de la demeure de Jeanjean.
Mais aucune preuve absolue, en somme, ne s'élevait contre Prosper Louis, et le misérable était en droit d'attendre l'impunité.
Il l'espérait sans doute, lorsqu'un hasard providentiel vint, tout d'un coup dévoiler la fois et la certitude du crime et la personnalité du criminel.
Dans une cachette pratiquée par le gendre, dans son jardin, un chercheur intelligent découvrit sept pièces d'argent, sept écus de cinq francs, salis, ternis, noircis par le feu, sept écus qu'un témoin avait, la veille du meurtre, positivement vus entre les mains du beau-père.
Elles étaient bien reconnaissables, ces pièces, puisque la fumée qui les noircissait était une trace du désastre du 10 novembre, c'est- à-dire du commencement d'incendie allumé par Louis lui-même.
La preuve était écrasante; bien que jusqu'à la fin des débats il ait persisté dans ses dénégations.
Prosper-Louis est condamné aux travaux forcés à perpétuité.


La Presse
9 juin 1876

TRIBUNAUX
COUR D'ASSISES DE MEURTHE-ET-MOSELLE
MEURTRE. - INCENDIE ET VOL. - L'acte d'accusation expose les faits suivants
Le 10 novembre 1875, une maison, sise à Autrepierre, habitée par le sieur Jeanjean, âgé de soixante-douze ans, était consumée par un incendie, entre huit et neuf heures du soir. Le propriétaire avait passé toute la journée à Blâmont, au mariage d'un de ses fils ; on n'avait pas allumé de feu depuis la veille ; de toute la famille, Prosper-Remy Louis, qui est le gendre de Jeanjean, avait seul refusé d'aller à la noce de son beau-frère. Des affaires d'intérêt l'avaient presque brouillé avec son beau-père ; sa femme est fille d'un premier lit de Jeanjean, et il accusait celui-ci de vouloir avantager les enfants du second lit. Dans la famille-on l'estimait si peu, qu'avant de partir pour Barbas, le père Jeanjean, sur le conseil de ses enfants, avait caché dans la cheminée une somme d'argent qu'il possédait, pour la dérober aux recherches de Louis qu'on croyait capable de venir la prendre.
Quelques minutes avant l'incendie, deux jeunes gens avaient vu un homme de la taille et de l'apparence de Louis dans les environs de la maison Jeanjean; cet homme avait des allures suspectes. Quant à lui, il ne vint à l'incendie qu'une heure après le commencement, et quand tout le village y était déjà, ainsi que des habitants des communes voisines; il ne prit aucune part au sauvetage. Enfin sa femme déclarait quelques jours après à une autre fille de Jeanjean, la femme Gossner, que son mari se réveillait presque toutes les nuits rêvant feu et maisons incendiées. Toute la commune et le père Jeanjean, en tête, accusaient Louis d'être l'auteur du désastre.
Le 17 décembre suivant, le père Jeanjean qui avait été habiter chez les Gossner, fut laissé seul à la maison par ceux-ci, qui allaient à Blâmont pour affaires. Gossner était parti à sept heures du matin, après avoir déjeuné avec son beau-père. Vers onze heures et demie, la femme Louis ayant eu affaire dans cette maison avec un étranger, ouvrit la porte et la referma aussitôt en poussant une exclamation : elle venait de voir le corps de son père pendu à une clef d'armoire par un mouchoir qui lui serrait le cou. Croyant à un suicide, elle écarta sous un prétexte quelconque son compagnon, pour cacher, dit-elle, le déshonneur de sa famille. Puis elle rentra, décrocha le cadavre et retendit par terre dans la chambre après avoir caché le mouchoir. L'examen du corps montra à la tète une fracture considérable due à un instrument contondant, et qui avait suffi pour occasionner la mort; les médecins rejettent toute idée de suicide; la mort est certainement due à un meurtre.
Louis était entré chez son beau-père après le départ de Gossner.
L'opinion publique l'accusa aussitôt le lendemain, la justice saisit chez lui une paire de sabots, dont l'un était taché de sang; il ne put expliquer la présence de ce sang sur son sabot. De plus, un gendarme le surprit au moment où il cachait des pièces de 5 fr. qui provenaient de son beau-père, comme le prouvent des taches produites par l'incendie du 10 novembre.
Louis était craint dans la commune ; en 1865,il avait essaye d'étrangler un de ses oncles ; celui-ci, encore vigoureux, s'était défendu, mais n'avait rien osé dire ensuite, si ce n'est à quelques camarades que la crainte empêcha aussi de parler.
Louis est un homme de taille moyenne, robuste, cheveux noirs, teint bilieux; il a l'air sournois. Il nie froidement les faits relevés contre lui.
Le verdict du jury est affirmatif sur les questions de meurtre et de vol, négatif sur la question d'incendie.
La cour condamne Prosper-Remy Louis à la peine des travaux forcés à perpétuité.


Le Droit
10 mai 1876

COUR D'ASSISES DE MEURTHE-ET-MOSELLE (Nancy).
Présidence de M. Benoît.
Audience du 2 mai 1876.
(Correspondance particulière du Droit, journal des Tribunaux.)
ACCUSATION D'INCENDIE, DE MEURTRE ET DE VOL.
Une accusation exceptionnellement grave amène Louis devant le jury. Cette affaire a causé la plus vive émotion dans le pays, et l'opinion publique en attend la solution avec une anxiété anxieuse.
L'accusé a le costume des paysans ; une blouse bleue. Sa tête est insignifiante et sans expression. M. le greffier follet donne lecture de l'acte d'accusation, lequel est ainsi conçu :
Le sieur Jeanjean, vieillard de soixante-douze ans, habitait à Autrepierre une maison appartenant à ses enfants du premier lit, le nommé Joseph Jeanjean, cordonnier à Blamont, et la femme de l'accusé Prosper Louis, qui lui n'avaient laissé l'usufruit.
Le 10 novembre 1873, entre huit et neuf heures du soir, pendant que le sieur Jeanjean était à Barbas au mariage de l'un de ses enfants du second lit, un incendie consuma sa maison momentanément déserte, ainsi qu'une maison voisine appartenant au sieur Contal.
A partir de cette époque, Jeanjean vint demeurer chez un sieur Gossner, qui avait épousé sa fille Octavie, issue du deuxième mariage et dont la maison voisine était habitée par l'accusé Prosper Louis.
Le 17 octobre 1875, c'est-à-dire cinq semaines environ après l'incendie, la femme Louis, rentrant vers midi chez son beau-père Gossner, trouva son père étendu sans vie dans une chambre au rez-de-chaussée. Il portait à la partie postérieure de la tête une fracture considérable et les médecins constatèrent que la mort était due à une congestion cérébrale déterminée par plusieurs coups assénés avec une extrême violence à l'aide d'un instrument contondant.
L'opinion publique désigna aussitôt l'accusé Louis comme étant l'auteur de l'incendie allumé criminellement dans la maison de son beau-père, ainsi que du meurtre de ce dernier, et l'information à laquelle il a été procédé ne tarda pas à établir sa culpabilité. Louis avait épousé la demoiselle Jeanjean en 1870. Sournois, violent et cupide, il dirigeait toutes ses pensées vers la passion du gain. Il avait avec son beau-père de fréquentes discussions et il paraissait obsédé de l'idée que celui-ci voulait avantager à son détriment les enfants du second lit. A la fin du mois d'octobre 1875, il fut invité à aller assister le 10 novembre suivant, dans la commune de Barbas, à la noce de l'un de ses beaux frères, Alfred Jeanjean ; sans motif plausible, il refusa de se rendre à l'invitation qui lui fut cependant adressée avec instance, et son beau-père, soupçonnant que son refus cachait un mauvais dessein, conseilla à son beau-père, dont la maison devait être abandonnée pendant toute la journée, de retirer son argent de l'armoire où il avait l'habitude de le renfermer et de le cacher dans le mur de la cheminée.
Le 10 novembre, jour du mariage, l'accusé Louis fut, à l'exception de l'une de ses belles-sœurs alors en couches, le seul membre de la famille qui restât à Autrepierre. Personne ne l'aperçut dans la journée. Entre huit et neuf heures du soir, le feu éclatait instantanément pour ainsi dire dans la maison de son beau-père et la consumait entièrement, ainsi qu'une maison voisine. Il n'y avait pas eu de feu allumé depuis la veille. Quelques minutes auparavant, des voisins qui passaient n'avaient pas aperçu de fumée. Louis n'arriva sur le lieu du sinistre que plus d'une heure après l'appel du tocsin, et, comme on lui reprochait de toutes parts sa lenteur et son indifférence, il prétendit qu'il n'avait pas entendu les cloches dont le tintement prolongé avait cependant réveillé depuis longtemps ses voisins et les habitants des communes environnantes. Il ne prit aucune part aux travaux du sauvetage et se retira même avant la fin de l'incendie.
Une perquisition, opérée plus tard à son domicile amena la découverte de deux mèches en étoffe cachées dans sa cuisine.
D'un autre côté, quelques jours après l'incendie, la femme Louis confiait à la femme Gossner que son mari se relevait toutes les nuits pendant plusieurs heures, et qu'il ne rêvait que de feu et de maisons brûlées.
Enfin, dans la soirée du 10 novembre, peu d'instants avant l'incendie, deux jeunes gens, les frères Martin aperçurent un homme de la taille et de l'allure de Louis qui se glissait furtivement dans une ruelle aboutissant aux maisons incendiées.
Le sieur Jeanjean père connaissait toutes ces circonstances, et il était convaincu que son gendre était l'auteur du sinistre. Il l'avait confié à plusieurs membres de sa famille, et notamment dans la journée du 15 décembre, il aurait annoncé à sa femme sa ferme résolution de lui dire ses vérités et de lui reprocher ses méfaits à leur première entrevue.
De son côté, dans la soirée du 15 décembre, Louis, qui se trouvait à la veillée chez un sieur Bernard, exprima son intention d'aller trouver son beau-père le lendemain matin pour se concerter avec lui au sujet d'un dégrèvement de contributions. Le lendemain 17 décembre, vers sept heures du malin, après avoir déjeuné avec le sieur Jeanjean, les époux Gossner se rendirent à Blâmont pour passer un acte chez le notaire Vanier. Ils avaient laissé leur père assis comme d'habitude auprès du fourneau du poêle. La femme Louis prétend qu'étant entrée vers midi dans la chambre, elle aperçut le vieillard pendu à la clef de l'armoire. Comme elle était suivie d'un étranger, le sieur Lhuillier, elle aurait refermé brusquement la porte et se serait retirée pour ne pas laisser voir, dit-elle, le déshonneur de la famille. Puis elle serait revenue seule un peu plus tard et aurait placé son père dans la position où il a été trouvé depuis, après avoir pris la précaution de cacher le mouchoir ensanglanté à l'aide duquel il se serait étranglé.
En supposant que la déclaration de la femme Louis fût sincère, l'hypothèse d'un suicide ne peut pas se soutenir un instant en présence des constatations faites sur le cadavre et des causes incidentes de la mort. Il est donc certain que Jeanjean a été frappé par une main criminelle, et l'auteur de ce meurtre n'est autre que l'accusé Louis.
Interrogé sur l'emploi de son temps pendant la matinée du 17 septembre, Louis a prétendu qu'il était sorti vers sept heures du matin pour donner à manger au bétail, et qu'il avait vu en ce moment; près de sa demeure, son beau-père avec qui il avait échangé quelques mots. Mais cette allégation est démentie par plusieurs témoin, auxquels il a déclaré qu'il était entré le matin chez son beau-père, comme il en avait manifesté l'intention la veille ; il leur a même indiqué quelle position le sieur Jeanjean occupait pendant leur entrevue. Vers huit heures du matin, Louis serait parti pour Blâmont, afin de déposer une somme d'argent chez le notaire Vanier. Il est, en effet, allé à Blâmont; mais un témoin l'a vu prendre, au sortir de chez lui, à travers champs, une direction opposée et l'a perdu de vue au moment où il approchait d'un bois, où il a dû cacher l'argent qu'il venait de dérober, ainsi que la blouse de la victime, qu'il a sans doute fait disparaître parce qu'elle portait les traces sanglantes de son crime. Il est du reste établi que le meurtre de Jeanjean a été commis entre sept et huit heures. Les médecins chargés de l'autopsie ont constaté que la mort était survenue presque immédiatement après le repas; d'un autre côté, un voisin, le sieur Bertrand, a entendu, vers huit heures moins un quart, un cri étouffé et sinistre sorti de la maison Gossner.
L'accusé Louis est arrivé à Blâmont entre dix et onze heures du matin. Après avoir déposé chez le notaire Vanier une somme d'environ 130 fr., il est allé déjeuner chez son beau-père Joseph Jeanjean, et, contrairement à ses habitudes, il a amené ce dernier au café où il a payé les consommations. Au sortir du café, il rencontra le nommé Dedenon d'Autrepierre, qui venait lui annoncer la mort de son beau père. Il ne manifesta alors aucune émotion, et, au lieu de regagner immédiatement la commune, il prétexta qu'il avait plusieurs commissions à faire et rentra chez un épicier, le sieur Desfrères, à qui il acheta des tablettes et du sucre pour 10 centimes. Il entretint avec le sieur Desfrères une conversation qui ne dura pas moins d'un quart d'heure et pendant laquelle il parla de son beau-père en manifestant la crainte qu'il ne laissât son bien alors qu'il venait précisément d'apprendre la mort de ce dernier. Puis il revient lentement à Autrepierre, demandant aux personnes qu'il rencontrait s'il n'y avait rien de nouveau et gardant la même indifférence quand on lui apprenait le malheur foudroyant qui venait de frapper sa famille et qu'il feignait d'ignorer.
Arrivé à Autrepierre, il se rendit d'abord à son domicile et ne visita qu'au bout d'un certain temps le cadavre de son beau-père.
Toutes ces considérations venant confirmer d'une façon accablante l'accusation portée contre lui par l'opinion publique se renforcèrent encore de circonstances précises qui établissent jusqu'à l'évidence sa culpabilité. On saisit au domicile de l'accusé la paire de sabots dont il était chaussé le 17 décembre au matin, et l'un des sabots portait une tache de sang dont il ne sut expliquer l'origine.
Quelque temps après les gendarmes quittaient chargés d'opérer son arrestation le surprirent au moment où il cherchait à cacher dans le fumier plusieurs pièces de cinq francs portant des traces visibles de feu, et que son beau-père avait retirées des décombres de l'incendie de sa maison. Déjà placé sous la main de la justice il essayait ainsi de faire disparaître la preuve palpable de l'attentat dont lui seul, sans doute, pouvait être l'auteur, car le sieur Jeanjean, vieillard inoffensif et estimé de tout le monde dans la commune n'avait pas un seul ennemi, et personne en dehors de son gendre ne désirait sa mort et ne devait en tirer profit. L'information a établi, en outre, qu'au mois de juillet 1868 un sieur Thiébault, cultivateur à Autrepierre, était occupé à extraire des souches dans un bois lorsqu'à la suite d'une discussion avec l'accusé ce dernier vint le frapper lâchement par derrière d'un violent coup de houe qui lui fit à la tête une blessure profonde et entraîna une incapacité de travail de plusieurs mois. La terreur inspirée par l'accusé avait caché jusqu'à ce jour la révélation de ce fait. Déjà en 1864 il avait voulu étrangler un de ses oncles qui était venu demeurer chez ses parents, et qui fut obligé de se réfugier à l'hospice pour se soustraire à ses violences et à ses menaces.
M. le président procède à l'interrogatoire de l'accusé.
D. Vous avez mauvaise réputation. Vous êtes économe jusqu'à l'avarice ? - R. Je n'ai jamais été paresseux.
D. Vous ne passez pas pour probe ; vous passez pour maraudeur, méchant, sournois, hypocrite. Vous affectez des sentiments religieux qui ne servent qu'à cacher des actes mauvais. - R. Je défie qu'on me reproche quoi que ce soit. Je n'ai jamais frappé un enfant; je n'ai rien fait à personne..
D. Une de vos voisines, deux fois incendiée, pense que vous avez commis ce double crime par envie, parce que sa maison était plus belle que la vôtre ; cependant elle n'en a pas la preuve. Elle vous a vu pénétrer chez elle et commettre des larcins? - R. Je ne sais ce que cela veut dire.
D. Vous n'êtes pas poursuivi pour ces faits. Mais arrivons à des faits plus précis. En 1863, vous aviez un oncle nommé Louis, vous étiez célibataire. Pourquoi votre oncle a-t-il quitté la maison de votre mère? - R. Par suite de difficultés avec ma mère.
D. Non. Il lui était dû 300 fr. restés entre le» mains d'un tiers. N'avez-vous pas, une nuit, essayé de l'étrangler dans son lit? - R. Non.
D. Il a dit à plusieurs personnes : «  Je viens de Réchapper belle, a t-il dit, mon neveu a voulu m'étrangler et, sans la vigueur de mon poignet, je ne sais ce qui serait arrivé. » Il s'est sauvé de chez vous. - R. Non. Il est encore revenu chez nous.
D. Mais il n'a plus osé y demeurer. Ce fait est prescrit, mais il révèle à quel point vous êtes méchant et violent! Votre oncle a dit que vous aviez fait cela pour hâter sa mort et hériter de son petit avoir? - R. Ceux qui disent cela m'en veulent.
D. Vous avez une sœur qui s'est mariée, n'avez-vous pas eu des difficultés avec elle à propos de ce mariage ? - R. Nous avons eu le dessein de rester ensemble et de tester au profit l'un de l'autre, mais après la mort de ma mère elle a voulu se marier.
D. Vous avez commis sur elle des actes de violence qui l'ont déterminée à fuir la maison? - R. Non, je suis allé à la noce de ma sœur.
D. Vers 1868, vous avez travaillé avec Didelot, de Verdenal, dans le bois de Granseille. Il s'est plaint qu'on lui avait enlevé ses outils avec lesquels il faisait un fossé ? - R. Il les avait cachés en terre. Ils ont été retrouvés.
D. Il vous a reproché de les lui avoir pris. Quand les outils ont été retrouvés en votre présence, vous l'avez terrassé sans motif, en disant : «  Je ne sais ce que je vais faire de toi ! » Vous disiez que votre mère vous avait conseillé de l'écraser. - R. C'est inexact.
D. En 1868, en temps de neige, vous travailliez dans la forêt à côte Thibaut? - R. Non, jamais je n'ai été près de lui au bois.
D. Il dit que vous vous êtes approché de lui; vous lui avez cherché querelle; vous l'avez menacé avec votre outil; il s'est défendu, et vous vous êtes retiré. Puis il s'est remis au travail : tout à coup vous êtes sorti d'un buisson où vous vous étiez caché; vous l'avez frappé à la tête avec un outil; il a été fort maltraité ; il est tombé baigné dans son sang. Le coup qu'il a reçu sur la tête l'a hébété et rendu malade pendant plusieurs mois. Il n'a d'abord pas osé vous accuser, tant il vous redoutait. - R. Je nie
cela. Thibaut m'accuse faussement. Je n'ai appris cela que par M. le juge d'instruction. Je reconnais que Thibaut n'est pas mon ennemi. Je n'ai jamais eu d'ennemi à Autrepierre.
D. Vous vous êtes marié le 15 novembre 1870 avec Marie Jeanjean. Jeanjean s'est-il opposé à ce mariage? - R. Nullement, au contraire.
D. Pourtant on dit qu'il a vu le mariage de mauvais œil car il ne vous estimait pas ?- R. C'est la jalousie de mon petit bien-être qui fait qu'on m'accuse.
D. Jeanjean avait eu deux enfants d'un premier mariage, dont votre femme était l'un ; puis trois enfants d'un second mariage. Tous ces enfants vivaient en parfaite intelligence. - R. Ils étaient toujours fort intéressés.
D. A peine entré dans la famille, vous avez cherché à brouiller vos beaux-pères et belles-sœurs. Vous avez prétendu que le père de famille voulait avantager ses enfants du second lit ? - R. Non; il aimait autant les uns que les autres. Il n'était pas méchant.
D. Jeanjean ne vous avait-il pas promis des meubles lors de votre mariage ? - R. J'ai défendu à ma femme de rien réclamer de cela ; c'était si peu de chose !
D. On croit cependant que cela a amené de grands mécontentements entre vous et lui. En décembre 1873, il a fait entre ses enfants le partage anticipé de ses biens. Vous avez eu votre part comme les autres et chacun des enfants lui devait une rente annuelle de 30 fr.?- R. Oui, je l'ai payé le premier.
D. Il était usufruitier d'une maison appartenant aux enfants de sa première femme, à votre femme et à son frère. Cette maison a été brûlée. Jeanjean ne vous a-t il pas abandonné l'indemnité due par l'assurance, à charge par vous de lui payer une rente de 21 fr. 25 c.? - R. Oui. Je payais annuellement ainsi à mon beau-père 51 fr. 25 c. Nous n'avons eu ensemble aucune difficulté.
D. Ces arrangements fait, vous avez dit que votre beau-père avait encore de l'argent avec lequel il voulait avantager les enfants du second lit ? - R. Jamais je n ai dit cela. Jamais je ne me suis plaint de mon beau-père. J'étais en bons termes avec lui.
D. Votre beau-père a dit que vous aviez volé des betteraves chez Boulanger? - R.. Il n'a jamais dit pareille chose.
D. II n'avait pour vous ni affection ni estime. La situation entre vous deux était tendue, difficile, quoique vous continuiez à vous voir un peu? - R. Du tout. Chaque fois qu'il venait à la maison je lui faisais boire l'eau-de-vie.
D. Votre beau-père Alfred s'est marié à Barbas, il avait invité sa famille. Vous avez refusé d aller à la noce ? - R. Il avait prétendu que j'avais mal parlé de lui. Au reste, je suis allé dîner à Barbas, le dimanche qui a suivi la noce.
D. Ah! si vous n'avez pas voulu aller à la noce, c est que vous êtes sournois, hypocrite et méchant, vous vous plaignez des avantages que le père voulait faire aux enfants du second lit. Alfred a dit au vieux père : «  Il veut prendre votre argent, profiter du moment où vous serez à la noce avec nous pour prendre les 550 fr. que vous avez en réserve, ayez donc soin de cacher cet argent. » Il l'a caché dans le trou d'une cheminée? - R. Mon beau-père a toujours dit ne pas l'avoir caché.
D. Qu'avez-vous fait le soir? - R. Je me suis couché vers sept heures et demie, après avoir pris un livre et fait une lecture.
D. Vers huit heures du soir, les voisins qui sont sortis n'ont rien vu, tout était tranquille, aucune odeur de feu. - R. Je ne suis pas sorti cette soirée là, si ce n'est à neuf heures, lorsqu'on a sonné le tocsin.
D. Vers huit heures un quart, des passants ont vu un homme de haute taille, comme vous, ayant votre aspect, s'enfuir et disparaître dans une ruelle, se dirigeant vers église et la maison de Jeanjean?- R. C'est un individu qui me ressemble. Il faisait clair de lune, il eût été bien facile de me reconnaître si c'eût été moi.
D. A huit heures et demie, un voisin de Jeanjean a vu la maison de Jeanjean en flammes, le feu sortait de la toiture, le feu avait dû être allumé avec une grande violence. Cette maison a été brûlée ainsi qu'une maison voisine. Tout le monde est accouru, même des villages voisins, au son de la cloche d'alarme. Une seule personne de la commune manquait : c'était vous? - R. On ne m'avait pas appelé. Je n'avais pas entendu sonner. Le clocher n'est pas de mon côté. Dès que j'ai vu le feu chez mon beau père, j'y ai couru tout de suite.
D. Il y avait une heure que la maison brûlait quand on vous à vu sortir tranquillement de chez vous.et aller vers l'incendie sans vous presser? - R. Quand je suis arrivé, le linge était sorti et le toit allait tomber.
D. Tout le monde en a été surpris de votre impassibilité et de votre inaction. Vous étiez le plus indiffèrent de tous. Vous n'avez pris aucune part au sauvetage. Vous êtes rentré chez vous avant même que le feu ne fût complètement éteint. - R. Je ne suis rentré qu'à minuit un quart; j'ai rattaché une vache qui s'était lâchée. Mon beau-père est venu coucher chez moi cette nuit là. Quand j'ai quitté le lieu du sinistre on ne pouvait plus rien sauver.
D. Tous les membres de votre famille ont pensé que vous aviez mis le feu ; que vous aviez un mauvais dessein en refusant obstinément d'aller à la noce. L argent a été retrouvé dans un trou, quoiqu'un peu atteint par les flammes. Oh a retrouvé les 530 fr. en pièces qui portaient le cachet du sinistre par lequel elles avaient passé. Mais ces pièces étaient toujours bonnes, Lambert à Blâmont a rassuré Jeanjean à cet égard. - R. J'étais présent à cette conversation.
M le président fait passer sous les yeux du jury sept pièces noircies par l'incendie. L'accusé reconnaît que elles lui viennent de son beau-père.
D. Jeanjean ne s'y est pas trompé ; il a pensé que vous aviez mis le feu. Toutefois, il n'a pas osé vous accuser en face de la gendarmerie ; il a dit que c'était un accident. Mais il n'y a pas d'accident possible ; le père était parti dès le matin, laissant tout en ordre. Le père Jeanjean a dit à tous ses enfants et à d autres : «  C'est Louis qui a mis le feu ; je le lui dirai en face. » - R. Non ; en arrivant chez nous le soir du sinistre, mon beau-père disait qu'il soupçonnait un nommé Vincent d avoir mis le feu parce qu'il aurait voulu marier sa fille à Alfred Jeanjean.
D. Eh bien ! l'instruction a établi que jamais Vincent n'avait songé à ce prétendu projet de mariage, et que le Vincent avait été des plus empressés à éteindre l'incendie. - R. La mariage n'avait pas été arrêté, mais il y avait eu un-projet en l'air.
D. Votre femme a révélé que depuis l'incendie vous vous réveilliez la nuit en disant que vous voyiez des flammes et du feu. Le remord» vous poursuivait? - R. Je me relève quelquefois la nuit, mais pas de celle façon.
D.. Arrivons au meurtre de votre beau-père. Il ne vous estimait pas et ne vous aimait pas. Vous ne l'aimiez pas non plus ?. - R. Je l'aimais autant que s'il eût été mon opère.
D. Il vous croyait l'auteur de l'incendie de sa maison, et disait vous avoir vu voler des betteraves à Boulanger? R. - Tous les jours j'allais à la veillée chez lui; quand je n'y allais pas il m'envoyait chercher.
D. Jeanjean avait 600 fr. déposés chez un notaire de Blâmont. Il passait pour avoir aussi une petite réserve chez lui ; on a trouvé chez lui moins d'argent qu'il n'en devait avoir Vous lui deviez 51 fr. 25 c. de rente annuelle jusqu'à sa mort. Vous êtes excessivement intéressé et cupide ; cette charge devait vous gêner? - R. Jamais je n'ai eu aucune discussion avec lui d'aucune manière.
D. Après l'incendie Jeanjean est allé demeurer chez son gendre Gossner. Il avait soixante-douze ans, fumait sa pipe, vivait fort tranquillement, aimé et respecté de tous, n'ayant pas un ennemi dans la commune. Le 17 décembre, au matin, il fumait sa pipe comme les autres jours; il s'était levé à sept hures du matin. Saviez-vous que ce jour-là Gossner et sa femme devaient aller à Blâmont dès le matin cour passer un contrat d'acquisition d'une maison ? - R. Je ne le savais pas.
D. La veille, vous avez entendu parler de la vente de la maison. Avait-on fixé le prix ? - R. Je ne le crois pas. Je ne savais pas quel jour ils devaient passer contrat.
D. La femme Gossner est partie vers six heures du matin ; Gossner a déjeuné avec le père Jeanjean, qui est parti vers sept heures. Jeanjean était resté seul à la maison, à sa place habituelle, fumant sa pipe sur sa chaise, entre le fourneau et l'armoire. Qu'avez-vous fait ce matin là? - R. J'ai porté à manger à mes porcs vers sept heures du matin. J'ai dit bonjour à mon beau père sur sa porte, vers sept heures et demie du matin. Je lui ai dit qu'il devrait se faire décharger des contributions de la maisons brûlée. Je lui ai dit que j'allais à Blâmont. Il m'a demandé de lui échanger des pièces de 5 fr. noircies.
D. Le beau-père savait que vous deviez lui parler de cette décharge d'impôts, et il avait dit : «  Ah! le gueux, qu'il vienne me parler de cela; je lui dirai qu'il a brûlé la maison ! » - R. Du tout, mon beau-père a dît qu'il irait chez le maire avec moi pour solliciter la décharge. Je ne suis pas entré dans la maison. Notre conversation s'est passée devant la porte. Il m'a remis sept pièces de 5 francs pour les échanger à Blâmont contre d'autres pièces de 5 francs. Il a tiré ces pièces de sa bourse.
D. Les filles de Jeanjean ont dit : «  Jamais il n'aurait chargé Louis de faire cette commission ! Il ne l'aimait pas assez pour cela. » - R. Il m'a donné une voiture de fumier en cachette de ses enfants.
D. Il est étrange que Jeanjean n'ait pas chargé de cette commission Gossner avec qui il demeurait, qui avait déjeuné avec lui, et venait de partir pour Blâmont, et qu'il en ait chargé vous, qu'il n'aimait pas. - R. Il m'aimait au moins autant que les autres gendres.
D. Du reste, Jeanjean savait que ses pièces noircies étaient aussi bonnes que les autres ; il n'avait pas besoin de les échanger. Vous ne deviez pas aller à Blâmont ce jour. Qui vous a décide tout à coup à partir? C'est une idée subite. Votre femme était malade et vous avait dit de ne pas y aller ce jour-là ? - R. Elle n'était presque pas malade, elle a pu travailler à la maison après des sacs de blé.
D. Vous aviez de l'argent chez vous?- R. J'avais reçu un billet de 100 fr. pour prix d'avoine ; j'avais aussi de l'argent chez moi.
D. Alors pourquoi n'avez vous pas de suite remis à Jeanjean les pièces qu'il désirait, puisque vous aviez les pièces sur vous? - R. Jeanjean m'avait défendu de parler à ma femme de l'échange dont il me chargeait.
D. Combien de temps avez vous causé avec votre beau-père sur la porte ? - R. Trois ou quatre minutes tout au plus. Je suis rentré chez moi déjeuner et j'ai remis notre horloge sur huit heures, au moment où l'école a sonné. J'ai mis un peu de miel dans mou panier, et je suis parti. J'avais d'abord songé à passer par Verdenal, pour réclamer 1 fr. 50 pour prix de fruits vendus il y a deux ans; je me suis d'abord dirigé sur Verdenal ; puis réfléchissant que je n'arriverais pas à Blâmont pour onze heures, j'ai regagné par un sentier la route de Blâmont.
D. Si vous avez fait ces détours, c'est que vous aviez intérêt à vous dérober aux regards, à ce qu'on vous vît seulement plus tard sur la route de Blâmont. Boulanger vous a vu prendre ce chemin extraordinaire pour aller à Blâmont. Il y a quelque chose de singulièrement louche dans tout cela? - R. Non, monsieur. J'ai changé d'avis, voilà tout.
D. Avez vous été chez vous ou près de chez vous entre sept et huit heures? Il y a trois quarts d'heures d'Autrepierre à Blâmont. Vous êtes arrivé à Blâmont vers neuf heures. Y avez-vous vu Didelon? - R. Non, j'ai porté le miel chez Didelon, j'ai bu la goutte. Je suis allé chez le notaire porter 100 fr. pour compléter 500 fr.
D. Pourquoi n'avez-vous pas donné au notaire les pièces noires de Jeanjean ?-R. J'avais d'abord donné les autres pièces, je n'ai pas voulu les retirer. J'ai vu les Gossner chez le notaire. Je ne leur ai pas dit que j'étais chargé d'échanger 35 fr. Je n'ai pas fait cet échange à Blâmont, parte que je devais 80 fr. à un de mes oncles à Lunéville, je comptais les lui échanger en même temps.
D. Gossner et sa femme disent que vous aviez l'air soucieux ; vous ne causiez z pas?-R. On ne cause pas chez les notaires.
D. Vous êtes allé droit chez votre beau-père Joseph. Votre belle-sœur Gossner y était. Avez-vous dit que vous aviez parlé le matin au beau-père? - R. Je ne suis pas sûr de l'avoir dit là ; mais j'avais l'intention de le dire.
D. Après dîner, vous avez offert à Joseph de le conduire boire une bouteille de bon vin ; ça l'a étonné. Au café, on a apporté du mauvais vin ; vous avez voulu paye une seconde bouteille ; vous étiez dans un moment de générosité. Au sortir du café, vers une heure, la femme Redenon
d'Autrepierre a raconté à vous et à vos beaux-frères que le père Jeanjean venait d'être trouvé mort dans sa chambre? - R. Oui, elle a dit que ma femme l'avait trouvé mort. J'ai dit : Oh! la pauvre femme.
D. Dedenon dit qu'il a annoncé que Jeanjean était mort ; que Joseph a été bouleversé de cette nouvelle, et que cette nouvelle ne vous a rien fait du tout à vous ; que vous avez demandé qui avait trouvé mort, et que vous avez répondu : «  Oh ! la bougre de bête !» - R. Je n'ai pas tenu ce propos ; j'ai, dit: «  Oh! la pauvre femme ! ».
D. En disant : «  Oh ! la bougre de bête ! » vous manifestiez votre mécontentement de ce que votre femme était allée découvrir le cadavre avant l'arrivée de Gossner parce qu'alors on aurait pu les soupçonner d'être les auteurs de cette mort. Au lieu de retourner directement à Autrepierre, vous êtes allé chez l'épicier acheter des pastilles pour deux sous ; vous n'avez pas parlé à l'épicier de la mort de votre beau père ; vous lui avez cependant parlé de votre beau-père, de l'espoir que vous aviez d'hériter de lui, ajoutant toutefois que, s'il vivait longtemps, il disposerait de son argent et que vous n'auriez rien? - R. Ce n'est pas ce jour-là que j'ai tenu ce propos ; c'est une autre fois.
D. C'est bien ce jour là. Vous saviez votre beau-père mort, et vous parliez de lui comme s'il était vivant! Cette nouvelle eut dû pourtant vous brûler la langue. Vous avez lentement repris la route d'Autrepierre ; vous avez rencontré la femme Boxberger; vous lui avez demandé s'il y avait du nouveau à Autrepierre? Elle vous a dit que votre beau-père était toit. Vous avez dit : «  Ah ! il est mort! » puis vous avez dit que Dedenon vous avait appris sa mort. Elle dit ne pas vous avoir dit qu'elle avait trouvé votre beau-père mort sur une chaise? - R. Elle m'a bien dit : «  sur une chaise. »
D. Le facteur vous a dit : «  On a trouvé ton beau-père assassiné. » Cela n'a pas eu l'air de vous impressionner : sur le mot «  assassiné » vous êtes resté impassible? - R. Je ne sais de quel mot le facteur s'est servi. Rentrant à Autrepierre à cinq heures, j'ai demandé à ma femme comment elle avait trouvé son père, et je lui ai reproché de l'avoir relevé sans appeler le maire.
D. Il est étrange que vous ne soyiez pas d'abord entré chez votre beau-père, où il y avait du monde. Vous n'êtes allé voir ce cadavre qu'à six heures et demie, deux heures et demie après votre retour? - R. Non, j'y suis allé presque immédiatement après mon retour.
D. Vous craigniez d'entrer dans cette maison ou de voir ce cadavre. Vous avez trouvé là des femmes, vous avez dit que le matin vous étiez entré dans la maison ; qud vous aviez parlé à votre beau-père, disant : «  Le pauvre homme, il était là à sa place habituelle, je le vois encore ! » - R. Je n'ai pas dit que j'étais entré ce jour-là dans la maison. J'ai toujours dit que je lui avais parlé sur la porte.
D. Vous avez évité d'assister à l'autopsie, et toute la famille y était. - R. C'est que ma sœur Octavie avait dit dans le village qu'ils soupçonnaient sur moi (sic).
D. Jeanjean avait été laissé sur sa chaise vers sept heures du matin, seul dans la maison. Depuis sept heures jusqu'à onze heures et demie personne ne l'a plus vu. Lhuillier, qui fait travailler la dame Gossner, est venu chercher de l'ouvrage qui devait être confectionné ; il a trouvé la maison fermée, les rideaux baissés, tandis que les Gossner les avaient laissés entr'ouverts. Votre femme est alors entrée par derrière, a poussé un cri, a refermé la porte et a dit à Lhuillier : «  Je ne veux pas vous donner l'ouvrage de ma sœur. » Lhuillier a vu votre femme rentrer chez elle. Puis elle est rentrée dans la maison et en est ressortie en criant : «  Je viens de trouver mon père mort dans la maison, il était pendu après l'armoire, je l'ai décroché, il ne faut pas le dire ! » - R. Ils ne devaient pas le décrocher.
D. Il était sûr le plancher, avait au crâne une blessure terrible, avait reçu plusieurs coups des plus violents qui avaient brisé un os appelé rocher; ils ont été portés avec un corps contondant dont ils ne peuvent démontrer l'espèce. Les coups ont été portés sur le derrière de la tête par-dessus le bonnet de coton du malheureux vieillard. L'estomac a révélé que la mort avait dû survenir avant dix heures du matin. On n'a vu personne rôder autour de sa maison ni entrer là; on ne lui connaît pas d'ennemi. Les premiers soupçons se sont portés sur vous. Gossner, en rentrant, a dit : «  Je trouverai bien le scélérat qui a fait ce coup ! » Votre femme présente a dit : «  N'accusez pas le mien! » C'est dire : mon mari. Personne encore ne vous accusait nominativement à ce moment; mais l'accusation était dans toutes les consciences. Un homme qui travaillait dans un champ voisin, à huit heures du matin, a entendu un cri, un râlement partant de la maison Jeanjean; c'était le cri de la victime tombant sous les coups de son meurtrier. Voilà l'heure précisée; à cette heure-là vous étiez là, et vous reconnaissez vous même que vous n'avez quitté votre maison qu'à huit heures et demie. Rien n'établit que vous n'étiez pas là au moment du crime ; tout, au contraire, fait penser que vous y étiez ? - R. Je suis bien innocent.
D. Il est improbable que Jeanjean vous ait remis les sept pièces pour les échanger, commission que du reste vous n'avez pas accomplie. Vous n'avez pas rendu ces 35 fr., vous n'avez dit alors à personne que vous aviez été chargé de les échanger. Ces sept pièces étaient dans la bourse de Jeanjan un instant avant sa mort; on les trouve en votre possession après cette mort. C'est seulement lorsque le gendarme vous a arrêté qu'il a entendu un bruit de métal, vous étiez occupé à cacher les pièces dans votre écurie? - R. Je ne les cachais pas.
D. Si! ces pièces ont été saisies parce que vous vouliez les dissimuler, parce qu'elles prouvaient la part que vous aviez prise à la mort de vôtre beau-père. Le vol ressort de cette possession des pièces de 5 fr. Le jury examinera la valeur de votre système. M. le juge d'instruction a saisi chez vous une paire de sabots, vous avez convenu que vous les portiez dans la matinée du 17, quand vous avez parlé à votre beau père; il a constaté une petite tâche de sang? - R. Ou m'a montré cela longtemps après. Je ne sais si c'était une tache de sang, je ne le crois pas.
D. Vous avez dit que vous saigniez fréquemment du nez et que cette tache pouvait provenir de cela.
On représente les sabots à l'accusé et à Me Contai, son défenseur, puis au jury.
Sur la demande de M. Honnoré, substitut du procureur général, l'accusé déclare avoir quitté Autrepierre à huit heures et demie du matin.
Un de messieurs les jurés demande si la maison incendiée était assurée. Elle l'était pour 1,500 fr., le mobilier et les récoltes étaient assurés. Jeanjean a touché 850 fr. pour l'indemnité de l'immeuble, il a abandonné cette somme aux deux enfants du premier lit, à charge de lui en servir l'intérêt.
M. l'avocat général fait remarquer que la maison venait de la première femme de Jeanjean, qui n'en était pas usufruitier.
Après ce long interrogatoire, que Louis a subi avec un sang-froid remarquable, on commence l'audition des témoins, qui sont au nombre de quarante et un.
Après leurs dépositions, qui n'ont en rien modifié les faits mis en lumière par l'acte d'accusation et par l'interrogatoire, M. Honnoré, substitut du procureur général, a soutenu l'accusation avec une grande énergie.
Me Contal a présenté la défense de l'accusé.
Après une assez longue délibération, le jury a écarté le chef d'incendie. Mais il a déclaré Louis coupable de coups avec circonstances aggravantes de guet-apens et de maladie; il l'a également déclaré coupable d'homicide volontaire sur la personne de son beau-père et de vol simple au préjudice des héritiers de ce dernier.
La Cour a condamné Louis aux travaux forcés à perpétuité.
 

Mentions légales

 blamont.info - Hébergement : Amen.fr

Partagez : Facebook Twitter Google+ LinkedIn tumblr Pinterest Email