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						| Nous avons déjà dans 
						plusieurs articles évoqué l'action de l'abbé Grégoire 
						pour l'abolition de l'esclavage, et son Mémoire en 
						faveur des gens de couleur. Le débat suscité sera vif, 
						comme on le voit dans les 
						Observations d'un 
						habitant des colonies reproduites ci-dessous 
						(non dénuées de mauvaise foi, de fort 
						préjugés, et de mépris, l'auteur qualifiant 
						systématiquement Grégoire de "curé d'Emberménil" et 
						jamais de député), et la
						
						réponse apportée par l'Abbé Antoine de Cournand. 
 Nous avons évoqué aussi le rétablissement de l'esclavage 
						dans les Antilles en 1802 (et la 
						circulaire du Duc de 
						Massa en 1803).
 En effet, après la signature de la paix d'Amiens le 27 
						mars 1802 (traité par lequel l'Angleterre restitue la 
						Martinique), le Corps législatif signe le 
						17 mai (27 
						floréal an X), les trois articles de la loi sur le 
						rétablissement de l'esclavage aux Antilles: Il s'agit 
						donc en 1802 du rétablissement du «  Code noir » 
						en Martinique, à Tobago et Sainte-Lucie. Dans le texte, 
						ce rétablissement ne s'applique pas à la Guadeloupe, en 
						Guyane et à Saint-Domingue, mais les faits et l'absence 
						de réaction des autorités y entraîneront son 
						application.
 
 Il a existé deux versions du Code Noir : la première 
						version, concernant la Guadeloupe et la Martinique, 
						préparée par le Ministre Jean-Baptiste Colbert 
						(1616-1683), a été promulguée à Versailles au mois de 
						mars 1685 par le roi Louis XIV. La seconde version a été 
						promulguée par Louis XV au mois de mars 1724 (voir
						copie 
						intégrale ci-dessous concernant la Louisiane).
 
 Pour l'abolition définitive de l'esclavage, il faudra attendre le 
						décret du 27 avril 1848 : «  L'esclavage sera entièrement 
						aboli dans toutes les colonies et possessions 
						françaises, deux mois après la promulgation du présent 
						décret dans chacune d'elles. A partir de la promulgation 
						du présent décret dans les colonies, tout châtiment 
						corporel, toute vente de personnes non libres, seront 
						absolument interdits. »
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				Observations d'un habitant des colonies sur le "Mémoire en 
				faveur des gens de couleur..." adressé à l'Assemblée nationale 
				par M. Grégoire,...16 déc. 1789
 
				OBSERVATIONS D'UN HABITANT DES COLONIES, SUR le Mémoire en faveur des GENS DE COULEUR, OU SANG-MÊLÉS, de 
				Saint-Domingue & des autres Isles Françoíses de l'Amérique, 
				adressé a l'ASSEMBLÉE NATIONALE, par M. Grégoire, Curé d'Emberménil, Député de Lorraine
 
				M. L'ABBÉ GRÉGOIRE, Curé d'Emberménil, Député de Lorraine, a 
				cru que les préceptes évangéliques lui prescrivoient d'écrire 
				pour les Gens de couleur des Colonies, & sa plumé, animée 
				d'une sainte indignation, a tracé leur panégyrique.Deux questions s'offrent à la pensée, lorsqu'on sait que M. le 
				Curé Grégoire est Membre du Comité de vérification des pouvoirs 
				à l'Assemblée Nationale; la première, s'il est convenable & 
				décent que celui qui est chargé de l'examen d'une réclamation, & des titres dont on veut l'autoriser, se hâte d'imprimer, avant 
				le rapport, une apologie du point qu'il est chargé d'éclaircir ? 
				La seconde, s'il est bien délicat que ce Membre du Comité de 
				vérification des pouvoirs, prenne dans des Mémoires faits par 
				ceux qui viennent s'y faire juger préparatoirement, les 
				matériaux de l'apologie, sans s'embarrasser s'il est trompé ou 
				non, & sans avoir les moindres notions sur les lieux dont il 
				affecte de parler avec assurance? Il paroît que la conscience de 
				M. Grégoire n'a point de ces doutes, qui décèlent peut-être une 
				foiblesse d'ame; il faut donc le suivre dans son plaidoyer,& 
				oublier qu'il étoit Juge.
 M. le Curé, s'adressant à l'Assemblée Nationale, débute par 
				cette phrase, tirée de M. Hìlliard d'Auberteuil : En aucun pays, il n'y a autant d'abus qu'à St-Domingue. Certainement 
				lorsqu'on dit aux Représentans de la Nation Françoise, assemblés 
				depuis plus de six mois, pour reformer des abus, & qui sont 
				infiniment éloignés d'avoir atteint le dernier, qu'il est un 
				lieu où il y en a plus qu'ailleurs, on leur offre un vaste champ, une étendue dont l'immensité pourroit effrayer l'imagination 
				la plus exercée ; mais, avec des génies tels que M. Grégoire, il 
				faut désirer les difficultés pour avoir la gloire de les 
				vaincre. Et, lorsqu'après s'être demandé (pag. 1.) par quelle 
				fatalité les abus les plus révoltans furent toujours les plus 
				tenaces ? il finit son Mémoire par le projet d'un Décret qui 
				doit, sur-le-champ, en déraciner un qu'il dénonce comme étant de 
				ce genre, c'est que rien ne doit résister à la foudroyante 
				logique de M le Curé.
 La féodalité, dit-il, pag. 2, n'a pas pénétré dans nos 
				Colonies. Ces expressions receloient sans doute un regret, parce 
				qu'alors M. Grégoire se promettoit moins de triomphe ; mais, 
				grâces aux secours qu'il a trouvés dans des Mémoires dont on lui 
				parlera tout-à-l'heure, il a pu dire (pag. 47) : La féodalité, heureusement détruite dans le Continent François, s'étoit 
				reproduite, sous une autre forme, dans nos Colonies.
 Laissons cette petite contradiction, pour recevoir une leçon de 
				M. le Curé : Il se fâche (pag. 48) de ce que les expressions 
				gens de couleur & sang-mêlés sont insignifiantes, parce 
				qu'elles peuvent également s'appliquer aux Blancs libres & aux 
				Nègres esclaves. Nous prendrons la liberté de remontrer à notre 
				Curé, que l'erreur pourroit être commise à Emberménil, où sans 
				doute la perspicacité du Pasteur n'appartient pas à tous., mais 
				qu'aux Colonies, où l'on appelle Blanc
				ce qui l'est, & Gens de couleur tout ce qui ne l'est pas, on 
				s'entend à merveille.
				On distingue ensuite les nuances par des noms différens, & la 
				liberté ou l'esclavage par les mots libres, affranchis, ou 
				esclaves.
 Pour résoudre les questions que la réclamation des Gens de 
				couleur offre à l'esprit de M. le Curé, il croit devoir examiner 
				préalablement ce qu'ils sont dans nos Colonies.
 Selon lui, ils supportent plus que les Blancs toutes les charges 
				de la Société ; ce qui se prouve, d'après son opinion, de 
				plusieurs manières.
 1°. Ils sont seuls le service de la Maréchaussée. Il est bon que 
				l'on sache d'abord que, dans la plupart des Colonies, il n'y a 
				point de Maréchaussée ; qu'au surplus, cette Maréchaussée, où 
				elle existe, a aussi des Blancs; que les Gens de couleur y sont 
				bien payés; & que ce qui les y attire encore plus, c'est, d'une 
				part, l'agrément d'aller à cheval, ce qui est le bonheur suprême 
				pour un Mulâtre libre, & de l'autre, la part dans les 
				captures, qui forme un objet considérable..
 Ici le Curé nous raconte que les Gens de couleur ne peuvent 
				cependant remplir tous leurs devoirs dans ce service, par la 
				crainte qui les porte a pallier les délits des Nègres, dont les 
				Maîtres blancs accableroient les captureurs du poids de leur 
				vengeance.
 Nous ne pouvons nous empêcher de placer en cet endroit une 
				petite confidence dont les Lecteurs ont besoin.
 En 1785, un nommé Raymond, homme de couleur, libre, du Quartier 
				d'Aquin, à St-Domingue, qui a été élevé en France, & a qui la 
				fortune & un long séjour dans le voisinage d'Angoulême ont donné 
				des idées supérieures à celles des individus de la classe, fit 
				faire plusieurs Mémoires en faveur des Gens de couleur. II les 
				adressa à M. le Maréchal de Castries, alors Ministre de la 
				Marine,, ayant le département des Colonies, qui les envoya aux 
				Administrateurs de St- Domingue, en les consultant sur ce 
				point. Raymond, n'ayant pas eu le succès qu'il s'étoit promis, a jugé que les circonstances actuelles pourroient être plus 
				favorables; & ses Mémoires, originaire ment destinés à rester 
				secrets, sont parvenus à M. le Curé d'Emberménil, qui les a 
				copiés dans tout ce qui sert de base à son Mémoire imprimé. 
				Voilà comment M. le Curé auroit paru, à ceux qui sont aussi 
				instruits que lui, très-savant sur les Colonies, si nous 
				n'avions connu cette petite source où il a puisé avec une 
				confiance qui l'honore.
 C'est là qu'il a pris (notes du premier Mémoire de Raymond) le 
				fait de la Maréchaussée. Mais, ce qui ne s'y lit point, c'est 
				que ce service de Maréchaussée est un des moyens d'acquérir 
				l'affranchissement ; c'est que les cavaliers de Maréchaussée, & 
				quiconque a été aux Colonies l'attestera, vexent étrangement les 
				Esclaves, & ne se sont pas de scrupule de déchirer les billets 
				qu'ils ont de leurs Maîtres, pour avoir le droit de les mettre 
				en prison, où le captureur reçoit 4 liv., monnoie de France, pour sa prévarication, sans préjudice de ce qu'il a pu 
				confisquer sur le malheureux qu'il a conduit, lié & garotté ; 
				c'est ce que prouve notamment un Arrêt du Conseil du Cap, du 14 
				Mars 1780.
 2°. Tous les hommes de couleur, poursuit le Curé, étoient encore 
				soumis, il y a peu, à la conscription militaire. Ils devoient 
				servir tous les trois ans, jusqu'à soixante.
				A l'appui de cela, vient l'anecdote d'une Mulâtresse, dont le 
				fils, arrivé de France pour consoler la douleur, est obligé 
				de 
				s'arracher a ses embrassemens, de revenir chercher dans la 
				Métropole une liberté qu'il ne trouve pas sous l'horison qui l'a 
				vu naître.
 La plainte & l'anecdote, tirés du troisième Mémoire de Raymond, 
				n'ont trait qu'à Saint-Domingue, & qu'à une Ordonnance, du 26 
				Mai 1780, qui avoit pour objet la formation de 5 Compagnies de 
				Gens de couleur, sous le titre de Chasseurs Royaux. Ceux qui atteindroient désormais l'âge de 16 ans, devoient être un an 
				dans ces Compagnies. Les Gens de couleur, libres à cette époque, 
				étoient tenus d'y servir trois mois, & les hommes mariés, & ceux 
				en état d'avoir un cheval, étoient dispenses de ce service, à 
				moins de cas forcés : cela est bien loin de ressembler à une 
				obligation qui devoit se renouveler tous les 3 ans, depuis 16 
				jusqu'à 60. Mais Raymond avoit besoin de ce tableau du fils 
				arraché à sa mère, & M. Grégoire, une fois décidé à prendre 
				Raymond pour son oracle, il n'a pas dû balancer ; d'ailleurs 
				c'est un mouvement oratoire qui donne de l'ame à un écrit. Il 
				est dommage que cette Ordonnance ait été sans exécution, car on 
				auroit vu bien des mères larmoyantes, dont M. le Curé auroit eu 
				à consoler la douleur. II reste tout bonnement une vérité qu'on 
				n'a pas dite, c'est que, dans les Colonies, tout individu 
				libre, blanc ou de couleur, est tenu de servir dans la milice, 
				depuis 15 jusqu'à 55 ans.
 3°. Vient le détail du service de piquet, obligeant durant une 
				semaine sur six, avec un cheval harnaché. Puis les doléances 
				sur le déplacement, la dépense, la vexation, &c. &c. &c.
 Ce fait, qui est répété au troisième & au quatrième Mémoire de 
				Raymond, a peu coûté à M. le Curé, auquel nous répondons que le 
				service de piquet n'a pas lieu dans toutes les Colonies ; qu'aux 
				lieux où on l'employe, c'est le plus souvent en tems de guerre, 
				& qu'alors il remplace celui des milices ; que c'est de ceux 
				même qui le sont, qu'est venue la convention de fournir une 
				semaine, au lieu de changer chaque jour ; que le tour de chacun 
				revient à peine de 15 en 15 mois, & qu'enfin cette sujétion 
				étant plus souvent un abus de l' autorité des Commandans, qu'une 
				chose utile, les Colons verroient avec plaisir quelle fût, ou 
				détruite, ou remplacée d'une manière qui ne grevât pas les Gens 
				de couleur.
 On a, dit-on, défendu certains métiers aux gens de couleur ; par 
				exemple, l'orfèvrerie : cela n'a lieu que pour une partie de 
				Saint-Domingue, & depuis 1780, seulement. Cela peut se changer, 
				& les Colons de cette Isle ne se présenteront pas plus pour s'y 
				opposer qu'ils ne l'ont fait pour le solliciter.
 Quant à la médecine & à la chirurgie, c'est un autre point. Dans 
				un pays d'esclaves, où les crimes occultes sont fréquens, il 
				doit être permis d'employer, à cet égard, une circonspection 
				qui éloigne de ces professions, pour ainsi dire privées de 
				surveillance aux Colonies, de nouveaux sujets d'alarmes. Les 
				hommes de couleur refuseroient difficilement à des esclaves, 
				avec lesquels des rapports de parenté les uniroient, une 
				confiance dont eux-mêmes deviendroient souvent les victimes.
 C'est assez pour répondre à ces deux reproches encore copiés du 
				3e. Mémoire de Raymond.
 Sur la défense de porter des noms Européens, & l'injonction d'en 
				prendre d'Africains, M. Grégoire dit : on m'a donné deux motif 
				de ce Décret ; & ces motifs, il les copie comme l'argument dans 
				la deuxième note du quatrième Mémoire de Raymond.
 Quoiqu'en dise le Pasteur d'Emberménil, qui veut que tous les 
				individus, soient sur la même ligne, il faut qu'il convienne 
				d'abord que la Loi civile, qui ne donne point de nom de famille 
				à des bâtards Blancs, n'en sauroit donner à des bâtards d'une 
				autre nuance, & par conséquent, que les Affranchis, dont plus 
				des 9 dixièmes sont illégitimes, ne peuvent en avoir ; que même 
				ceux qui seroient issus d'une union légitime de Gens de couleur 
				ne peuvent avoir de noms de famille, puisque l'esclave dont ils 
				descendent n'en a pas de semblable ; & qu'enfin s'ils avoient un 
				nom de famille, il seroit à coup-sûr Africain.
 Au surplus, l'Ordonnance de 1773, dont il s'agit, n'a été faite 
				que pour Saint-Domingue. Elle ne défend que de prendre le nom 
				d'aucune famille blanche de la Colonie, & elle ne porte que sur 
				les Gens de couleur non-mariés ; de forte qu'un Blanc qui épouse 
				une Mulâtresse, donne son nom à ses enfans.
 Il est très-sage de ne pas souffrir cette usurpation de noms qui 
				peut mettre du désordre dans les familles, & si les Gens de 
				couleur prétendent que c'est un avantage d'usurper un nom de 
				famille, il faut qu'ils confessent que c'est un droit que de 
				n'en pas souffrir l'usurpation. Il est cependant permis à M. 
				Grégoire de persister à n'être pas fort attaché au sien.
 Cet article est terminé par un mot sur le titre de Colons 
				Américains, dont les protégés du Curé se sont emparés. On est 
				bien aise de lui dire, que même tous les Blancs ne sont pas 
				reçus à s'en servir, & que, pour être Colon il faut être Citoyen 
				réel d'une Colonie.
 L'injonction faite aux Officiers publics de consigner dans leurs 
				actes les qualifications de Mulâtres, Quarterons, Sang-mêlés, 
				&c libres, affecte M. le Curé qui emprunte ses termes & sa 
				colère du troisième Mémoire de Raymond. Cette injonction, est 
				inutile, selon le Plaignant & l'Avocat, puisqu'elle n'a pas pour 
				objet de les distinguer des Esclaves, à l'égard desquels on ne 
				tient aucuns registres paroissiaux, mais elle est 
				très-injurieuse pour les Affranchis.
 Premièrement, M. Raymond & son copiste, violent une vérité 
				certaine, c'est que depuis 30 ans il a été ordonné à ceux des 
				Curés qui ne tenoient pas des registres relatifs aux Esclaves, 
				de le faire désormais ; c'est que ces reproches, comme beaucoup 
				d'autres, ne frappent que sur Saint-Domingue, & que M. le Curé 
				voit toute l'Amérique dans Saint- Domingue, parce que M. 
				Raymond, qui est son Appariteur, y est né.
 En second lieu, en quoi est-il donc étonnant que dans un pays où 
				il y a des Esclaves, en tout semblables aux Affranchis, on ait 
				pris des précautions pour empêcher que les premiers ne se 
				confondissent avec les autres, & ne parvinssent à usurper un 
				Etat qu'ils n'auroient pas légalement acquis. Il y a même une 
				chose que nous sommes obligés de révéler à M. le Curé, c'est que 
				ces qualifications, elles-mêmes, ne se donnent que sur la 
				représentation des titres qui constatent la liberté, & que cela 
				a été imaginé, en grande partie, pour arrêter la facilité avec 
				laquelle les Blancs faisoient des Affranchis, par des actes qui 
				tendoient à échapper au fisc qui exige une forte somme pour 
				chaque affranchissement.
 Quant aux distinctions Mulâtre libre, Quarteron libre, &c. &c., 
				elles ont été la suite de l'amour-propre de ceux-mêmes à qui 
				elles appartiennent. Si M. Grégoire étoit Curé d'une Paroisse 
				des Colonies, & qu'il s'avisât de dire d'un Quarteron libre, en 
				le mariant, qu'il n'est que Mulâtre libre, il verroit bientôt 
				que cette hiérarchie colorée, a aussi ses principes dans 
				l'orgueil comme toutes les autres.
 M. le Curé nous parle de la défense de manger avec les Blancs : 
				il a encore puisé ce trait dans le troisième Mémoire de Raymond, 
				qui le fait répéter dans le quatrième. Qu'il nous soit permis de 
				reprocher à M. Grégoire de n'avoir pas dit comme Raymond, que c'étoit 
				une défense verbale de M. d'Argout, alors Gouverneur de la 
				partie du Sud de St- Domingue. En outre, pourquoi a-t-ii évité 
				de citer l'anecdote du quatrième Mémoire, où Raymond a dit, 
				qu'un nommé Leclerc & sa femme, habitans au quartier d'Aquin, 
				à 
				la troisième génération de Blancs par légitimité, dînant chez le 
				sieur Pelletan, Capitaine de Navire aux Cayes, le Gouverneur de 
				la partie du Sud vint les en chasser. Seroit-ce qu'on a craint 
				d'être démenti sur ce fait ? Mais qu'importe aux Colons que des 
				Blancs donnent à dîner aux Gens de couleur ? Qu'importe à ceux 
				qui le veulent faire que d'autres les approuvent ? Comment ce 
				même Gouverneur, devenu ensuite celui de toute la Colonie, 
				a-t-il pu se décider à admettre à sa propre table le Capitaine 
				Vincent, Nègre Libre, en 1780, lui qui alloit chasser de la 
				table des autres des Affranchis à la troisième génération dé 
				Blanc par légitimité ; & quand la prétendue défense verbale seroit écrite, qu'importe aux Colons l'absurdité d'un Gouverneur 
				! Il y a un grand nombre de Colons qui ont mangé avec, & chez 
				des hommes de couleur, sans croire qu'ils dussent en rougir. 
				Mais en France tous les individus mangent-ils donc les uns avec 
				les autres? Comment supposer enfin que dans un pays où l'on dit 
				que le préjugé repouse avec horreur les Affranchis, il faille 
				une Ordonnance pour défendrece que tout le monde auroit honte de 
				faire ! Verisimilia singe Scriptor.
 On parle ensuite de la défense de danser après 9 heures, & sans 
				permission du Juge de Police, d'après le troisième Mémoire de 
				Raymond : mais on peut affirmer que cette Ordonnance est 
				complètement éludée. Quant à la permission du Juge de police ou 
				de l'Etat-Major, s'il y en a un, elle ne se prend que dans les 
				Villes & Bourgs : & en voici la raison que M. le Curé apprendra 
				avec quelque surprise.
 Dans plusieurs Colonies, & notamment à Saint-Domingue, les 
				Nègres libres ne sont point admis par les Affranchis des autres 
				nuances dans leurs bals. Les femmes de couleur dédaignent de 
				danser avec des hommes de couleur. Pour obvier aux désordres & 
				aux querelles que des jalousies de nuances font naître, & 
				rendent plus dangereuses qu'on ne croit, pour empêcher même que 
				de jeunes Blancs, qui s'en font quelquefois un plaisir malin, 
				n'aillent troubler ces bals, on prend une permission dont le 
				premier effet est de faire fournir une garde qui a la police du 
				bal, & qui n'y laisse entrer que les invités ; mais on danse 
				tant qu'on veut, & si, comme cela arrive le plus souvent, ce 
				sont des Blancs qui font danser des femmes de couleur, le maître 
				de la maison n'a pas besoin de permission.
 On a sûrement dit aussi à M. Grégoire que les Ordonnances 
				défendoient aux Es claves de s'assembler & de danser ; cependant 
				il est notoire qu'il n'est pas de Dimanche ou de Fête, que 
				plusieurs milliers d'entre eux ne dansent, & que même ils ont 
				des bals, où des sentinelles font la police ; sentinelles qu'ils 
				vont solliciter, parce que cela donne un air d'importance à 
				leurs Fêtes.
 Passons à la réclamation sur la défense d'user des mêmes étoffes 
				que les Blancs. Elle est tirée du troisième Mémoire de Raymond, 
				même quant à ces Archers de police, postés aux portes des 
				Eglises sur les places, pour arracher les vêtemens à des 
				personnes des deux sexes, qu'ils laíssoient sans autre voile 
				que la pudeur.
 Il n'y a eu qu'une Ordonnance de ce genre, & elle a été faite 
				pour Saint- Domingue, en 1779. On peut dire, qu'elle étoit 
				tout-à la-fois impolitique, mal adroite & inutile ; impolitique, parce qu'elle nuisoit au commerce ; mal-adroite, parce qu'elle 
				éveilloit l'amour-propre ; & inutile, parce qu'il n'y a pas de 
				distinction apparente, plus sûre entre les Blancs & ceux qui ne 
				le sont pas, que les nuances de la peau; aussi est elle tombée 
				dans, l'oubli dès sa naissance. Si M. Grégoire savoit bien à 
				quel état se consacrent les dix-neuf vingtièmes des femmes de 
				couleur, il sauroit aussi que leur parure & leurs moeurs 
				outragent la décence publique, & que si des Archers de police 
				les avoient dépouillées, comme il d'avance, d'après le guide qui 
				l'égare, elles seroient restées sans voile, puisque la pudeur 
				les a abandonnées précisément parce qu'elles sont trop bien 
				vêtues.
 On parle de défenses d'aller en voiture, Raymond s'en plaignoit 
				dans son troisième & son quatrième Mémoire ; aujourd'hui M. 
				l'Abbé Grégoire y ajoute le fait d'un Quarteron, que le sieur 
				Prodejac, Officier de Port au Petit-Goave, force à coups de 
				canne à descendre de sa voiture. La défense & le fait du sieur 
				Prodejac, s'ils sont vrais, ne peuvent avoir trait qu'à 
				Saint-Domingue, & ils sont propres à indigner les Blancs eux- 
				mêmes. On adjure quiconque a été à Saint-Domingue, de dire s'il 
				a rien vu
 de semblable. Au surplus, le Quarteron a été bien vengé du sieur 
				Prodejac, car un Major du Petit-Goave le fit mettre aux fers il 
				y a quelques années, & sa plainte aux Tribunaux a été déclarée 
				attentatoire à l'autorité despotique des Agens du Gouvernement, 
				par Arrêt du Conseil des Dépêches, du 27 Novembre 1784.
 Les Gens de couleur libres, dit-on, ne peuvent venir en France. 
				A la vérité cela leur est interdit, par des loix faites en 
				France, enregistrées dans les Parlemen, & qu'on peut changer 
				quand on voudra, sans que cela importe aux Colons, Il n'est 
				cependant pas inutile de dire en passant, qu'elles étoient mal 
				observées, puisqu'il s'en trouve beaucoup dans le Royaume, dont 
				les sept huitièmes y ont été amenés par les Blancs.
 L'exclusion des charges & emplois publics est plus certaine & 
				mieux observée. C'est à cet égard que le préjugé se montre dans 
				toute sa force, & il n'est pas possible de songer à le détruire 
				tout-à-coup, par une loi qui auroit certainement le sort de 
				l'Edit de 1685, qui avoit tout accordé aux Gens de couleur. Il 
				n'est pas possible que des êtres, qui étoient hier dans 
				l'esclavage, soient aujourd'hui dans les premiers rangs de la 
				société, chargés d'empiois, qui supposent l'éducation, les 
				moeurs, & la confiance générale. On fait que les motifs des affranchissemens prennent presque tous leur source dans des 
				sentimens que la nature inspire, mais que la morale n'approuve 
				pas toujours. Est-ce assez pour qu'on livre toutes les charges à 
				des individus, qui, ne pouvant s'élever jusqu'à elles, les 
				abaisseroient jusqu'à eux !
 L'affranchissement est utile à l'esclave qui rentre dans les 
				droits de l'humanité; au maître, parce qu'il satisfait sa 
				justice, & qu'il offre un espoir précieux à ses autres esclaves 
				; à l'Etat, parce qu'il ajoute à la force politique, mais il est 
				utile aussi, comme état mitoyen entre l'esclavage & la liberté.
 Il falloit, chez les Romains, une, génération entière pour 
				effacer la trace de la servitude; la loi qui avoit relégué les 
				Affranchis dans les tribus des Villes composées de la lie de la 
				nation, ôtoit toute espèce d'influence dans les délibérations 
				publiques, à ces hommes incapables de s'élever à ces sentirnens 
				de grandeur, qui caractérisoient le Peuple Roi. Cependant les 
				esclaves des anciens n'étoient que des prisonniers de guerre, 
				séparés de leurs vainqueurs seulement par leurs chaînes. Mais le 
				Nègre, dans l'état actuel des choses, est encore plus éloigné de 
				son maître par sa couleur que par la servitude ; la loi qui 
				l'affranchit, le soumet en même-temps au préjugé qui le note 
				d'une défaveur civile, & le sépare de la société. L'affranchi 
				romain étoit en tout semblable à son patron; la nature n'a pas 
				voulu que l'Affranchi de nos Colonies pût se confondre avec le 
				sien.
 Ainsi l'affranchissement fait donc, qu'un esclave cesse de 
				l'être, parce qu'il ne faut pour cela que la volonté du maître ; 
				mais l'aptitude à remplir les devoirs du citoyen-, ; & sur tout 
				à en exercer les droits, n'est pas aussi facile à créer. En 
				supposant que le tems y conduise la descendance des affranchis, 
				il faut avouer qu'on a peine à concevoir, que dans un pays ou 
				les 4 cinquièmes & plus de la population, sont formés par les 
				esclaves, les parens de ces derniers, à un degré quelquefois 
				très-prochain pussent maintenir l'autorité de la classe 
				dominante, sans laquelle il faut s'attendre à des désordres qui 
				amèneroient infailliblement, la destruction des Colonies. 
				Comment le maître, qui auroit affranchi un de ses esclaves, 
				pourroit-il tenir dans le devoir ceux qui étant les proches de 
				celui-ci, trouveroient en lui au besoin, un secours, un appui ? 
				Comment persuaderoit-on à l'esclave que son maître lui est 
				supérieur, s'il voit son compagnon sortir d'auprès de lui, pour 
				être à l'instant-même l'égal de son maître ? Si l'intervalle 
				entre la servitude & le titre de citoyen n'est plus rien, vous 
				détruisez le ressort qui maintient une constitution malheureuse 
				peut-être, mais nécessaire.
 Si cet intervalle est immense „ & si rien ne montre la 
				possibilité de le rendre moindre, vous excitez le désespoir. 
				C'est par cette dernière raison que les révoltes des esclaves 
				n'ont éclaté, d'une manière effrayante, que chez les nations 
				qu'on peut appeler républicaines; chez les Anglois à la 
				Jamaïque, chez les Hollandois, à Surinam.
 Ce préjugé de la couleur, il faut le dire, n'est pas même celui 
				des Blancs seuls. Le Nègre libre est regardé avec mépris par le 
				Quarteron esclave. Au- dessous de lui par la loi, mais plus près 
				de son maître par la couleur, il se croit supérieur à lui. Une 
				Mulâtresse se couvre d'opprobre si elle s'unit avec un Nègre : 
				ses mariages de ce genre sont presque sans exemple. Il n'est pas 
				un Nègre qui osât acheter un Mulâtre ou un Quarteron pour s'en 
				faire servir. Si cette tentative avoit lieu, le Quarteron 
				esclave préféreroit le parti le plus violent, la mort même à un 
				état qui le deshonoreroit dans sa propre opinion, & tous ceux de 
				sa caste se croiroient obligés de seconder ses projets, parce 
				qu'ils partageroient son infamie.
 Ainsi, une sorte de fierté qui s'accroît à mesure que la nuance 
				s'affoiblit, tend à donner une nouvelle force à ce préjugé qui 
				est le ressort caché de toute la machine coloniale. Il peut être 
				adouci, mais non pas anéanti; le temps peut, avec sa lime 
				sourde, détruire ce qu'il a de grossier, mais si on le coupe, la 
				machine se brisera avec fracas.
 On peut répondre à M. le Curé, qu'il n'y á plus de Gens de 
				couleur Officiers dans leurs Compagnies de Milices, depuis 
				l'époque où ils ont voulu eux-mêmes sortir tous de celle des 
				Blancs, ou ils n'étoient pas réputés les premiers. On les a vus, 
				à Saint-Domingue, en faire pour chaque nuance, & en interdire 
				l'entrée à ceux de la nuance, regardée comme au-dessous. D'un 
				autre côté les Blancs ont brigué davantage les emplois des 
				Milices, lorsqu'on y a attaché les récompenses militaires, qui 
				ont peut-être plus nui à l'esprit public, que n'auroit fait le 
				choix de quelques hommes de couleur, parce qu'elles ont rendu 
				les Colons instrumens du despotisme.
 Sur l'interdiction de l'entrée des Assemblées, paroissiales, les 
				Gens de couleur ont été les maîtres de s'y présenter lorsqu'ils 
				ont été propriétaires & susceptibles d'y avoir un intérêt à 
				soutenir, & cette règle est commune aux blancs qui n'y viennent 
				pas tous indistinctement. Et quand on pense à ce qu'étoient les 
				Assemblées paroissiales, présidées par des envoyés ou des 
				subordonnés du pouvoir exécutif, il est peu. regrettable de n'y 
				avoir pas participé. Malgré cela il n'est pas de Colonies ou les 
				Gens de couleur n'ayent été admis dans des Paroisses.
 Aux spectacles, les Gens de couleur sont dans des loges 
				particulières. Si M. le Curé avoit pu être témoin de la manière 
				dont ils s'y conduisent, s'il savoit que les Mulâtres libres ne 
				veulent pas s'y trouver à côté des Nègres libres, il seroit un 
				peu honteux d'avoir discouru en faveur de la Comédie. Il peut se 
				rassurer en sachant qu'on a abusé de sa bonne soi, quand on a 
				dit qu'aux Eglises, les Gens de couleur avoient des places 
				distinctes, & qu'à son tour il abuse de celle des autres,
 M. Grégoire est choqué de la défaveur qu'on marque aux blancs 
				qui épousent des femmes de couleur. II cite même, de plus que le 
				mémoire de Raymond, le fait d'un Marguillier révoqué à cause 
				d'une semblable alliance. Ce fait auroit besoin de preuves ; 
				mais on peut l'abandonner.
 D'après ce qui a déja été répondu à M. le Curé pour lui prouver 
				qu'il étoit impossible & même dangereux que tous les hommes de 
				couleur occupassent des charges publiques, il est tout simple 
				d'en conclure que le blanc qui épouse une femme de couleur & qui 
				par conséquent en adopte la famille, doit descendre au niveau 
				de celle-ci. Cette dégradation très-volontairement encourue est 
				un avantage du préjugé. Quand la vanité porte les Affranchis à 
				rechercher des mariages qui les honorent, il ne faut pas que la 
				cupidité & des motifs quelquefois plus vils, portent des blancs 
				à des mésalliances qui les enrichissent. M. le Curé ne sait pas 
				que depuis quelques années on trouve des blancs qui, pour une 
				somme plus ou moins forte, font avec des femmes de couleur, des 
				mariages dont les conditions principales sont que le mari 
				quittera l'épouse & légitimera des enfans actuels & futurs 
				auxquels il prête sa très-menteuse paternité. C'est 
				principalement dans la partie du Sud de St.-Domingue, que ces 
				contrats honteux sont en usage, & l'on prétend même qu'il est de 
				ces êtres qui se prêtent, sous des noms différens, à paroître & 
				pères & maris plusieurs fois.
 On laisse M. le Curé très-fort le maître de s'escrimer contre M. 
				Hilliard d'Auberteuil, qui a tort de vouloir que le mépris 
				accable la race des Noirs. Il nous semble que les raisons 
				impérieuses qui veulent qu'on maintienne une distance entre les 
				affranchis & les blancs, peuvent se passer du mépris. Il ne faut 
				mépriser que les vices. On peut & on doit estimer les vertus 
				par-tout où elles sont placées, & si des motifs politiques, si 
				des institutions sociales marquent des rangs, ce seroit une 
				grande faute que de ne pas laisser en commun les qualités qui 
				honorent l'homme dans quelque état que le Ciel l'ait fait 
				naître. Il est plus d'un homme de couleur à qui les Blancs 
				prouvent que ces principes sont bien connus, & qu'il est bon de 
				les fortifier.
 Mais écoutons M. l'Abbé Grégoire. Ainsi, dit-il, après s'être 
				indigné contre Hilliard, l'intérêt & la sûreté seront pour les 
				Blancs la mesure des obligations morales ! Nègres & Gens de 
				couleur souvenez-vous-en. Si vos Despotes persitent a vous 
				opprimer, ils vous ont tracé la route que vous pourrez suivre.
 Si le Mémoire n'étoit pas avoué par le Curé d'Emberménil, on. le 
				croiroit de quelque fanatique révolutionnaire, qui a cru utile 
				à la réputation d'exciter six cents mille hommes à 
				s'entr'égorger.
 Et quoi !... d'un Prêtre est-ce là le langage !
 Est-ce là le langage d'un, Représentant de cette belle Nation 
				qui vient de reprendre le pouvoir législatif & qui est 
				responsable à l'univers entier de l' usage qu'elle en fera ! 
				Est-ce là le langage du ministre d'une religion dont le 
				Fondateur a donné l'exemple de la sagesse & de la soumission! 
				Est-ce, enfin, la morale que l'Assemblée Nationale a chargé 
				l'Abbé Grégoire de prêcher aux Gens de couleur, lorsqu'ils 
				viendroient faire vérifier leurs pouvoirs au Comité dont il est 
				Membre !
 Pour ne rien omettre de ce que les Mémoires de Raymond lui ont 
				fourni, le Rédacteur du Mémoire impute au Procureur-Général du 
				Conseil du Port-au-Prince, d'avoir dit vers 1770 dans un 
				discours :
 «  Il existe parmi nous une classe naturellement notre ennemie & 
				qui porte encore sur son front l'empreinte de l'esclavage ; ce 
				n'est que par des loix de rigueur qu'elle doit, être conduite. 
				Il est nécessaire, d'appesantir sur elle le mépris & l'opprobre 
				qui lui est dévolu en naissant. Ce n'est qu'en brisant les 
				ressorts de leur ame qu'on pourra les conduire au bien ».
 Cette citation est copiée mot à mot du commencement du troisième 
				Mémoire pour M. Raymond, qui dit que ce discours fut prononcé à 
				la réception de M. le Comte de Nolivos, en qualité de 
				Gouverneur de St. Domingue.M. Grégoire a cru devoir ajouter par 
				une Note, page 49 :
 «  On prétend que l'auteur de cette affreuse assertion, a fait 
				retirer autant qu'il a pu, les exemplaires de ces affiches ».
 Hé bien, le discours a été imprimé dans la Gazette du 21 Février 
				1770, & voilà ce qu'on y copie :
 «  Vous les connoissez, Monsieur, les obligations importantes 
				de la place éminente dont le Roi vous honore. Concilier 
				l'intérêt de la Colonie avec ceux du Monarque..... maintenir 
				la supériorité nécessaire de la race libre & sans mélange sur 
				celle qui porte encore sur son front l'empreinte de l'esclavage 
				».
 En quoi cela ressemble-t-il, à la révoltante diatribe inventée 
				par Raymond et adoptée par M. le Curé Grégoire !
 Ensuite on a parlé d'attentats contre la majesté des moeurs, de 
				menaces, faites par des blancs aux hommes de S/couleur dont ils 
				convoitent les femmes ou les filles, de l'abus que font des 
				chefs de leur autorité pour lés écarter afin de parvenir à leurs 
				fins. Et ce sont ces tableaux qui exciteroient l'indignation des 
				blancs les moins délicats, que le Curé choisit dans le premier 
				Mémoire de Raymond pour en offrir la révoltante peinture ! 
				Pardon, Monseigneur, dit Raymond au Ministre de la marine dans 
				ce Mémoire, si je mets sous les yeux de votre Grandeur, un 
				tableau de pareilles turpitudes. Et M. Grégoire, son écho, s'écrie : Pardon, MM., si je vous retrace ici ces turpitudes qui 
				excitent l'indignation & non la surprise. C'est sur la foi de 
				Raymond, que le Curé calomnie tant qu'il lui plaît, & se permet 
				de dénoncer les Colons blancs comme les plus vils & les plus 
				lâches, corrupteurs.
 C'étoit le moment propice, après cela, d'assurer qu'un Mulâtre 
				doit avoir six fois raison pour avoir justice, qu'on ne punit 
				pas un Blanc, quelque chose qu'il lui ait fait, & qu'il ne peut 
				pas même se défendre s'il est attaqué. Cela est aussi sur que le 
				reste, car Raymond l'a dit en deux endroits de son premier 
				Mémoire. Cependant les Tribunaux retentissent tous les jours des 
				procès de Gens de couleur contre des Blancs ; cependant des 
				Blancs qui frappent des Gens libres, sont plus ou moins punis; 
				cependant on a accordé des lettres de grâce à des Affranchis 
				qu'on avoit forcés à défendre leur propre vie.
 Mais quel est celui qui a été aux Colonies, sans voir que les 
				Gens de couleur & sur-tout les. femmes trouvent trop facilement 
				des Blancs, qui prennent leur défense d'une manière qu'on peut 
				dire outrée ? Qui ma pas vu même l'esclave d'un homme en place 
				être la cause, de l'emprisonnement de quelques Blancs ? Qui n'a 
				pas vu. entre des Blancs des combats singuliers dont la cause 
				étoit la protection trop aveuglement accordée à des Affranchis 
				ou à des Esclaves ? Mais cela n'est pas dans les Mémoires de M. 
				Raymond & n'a pu par conséquent être mis dans celui de M. 
				Grégoire.
 II se hâte, par exemple, de citer le trait d'un Blanc qui 
				escroque au jeu un homme de couleur, le frappe & le fait pendre 
				en effigie pour s'être défendu. Et comment douter de cette 
				preuve, elle est rapportée au commencement du premier Mémoire de 
				Raymond !
 Il est vrai que depuis une quinzaine d'années les loix féroces 
				sont un peu moins énergiques, & les actions atroces moins 
				communes. Plusieurs Blancs sont même hommes.
 Mais M. Grégoire n'a pas pris gardé que pour éclairer 
				l'Assemblée Nationale qui doit prononcer à présent, il étoit 
				assez inutile de lui donner un tableau, qui ne ressemble plus 
				depuis quinze ans. S'il y a une tendance à la douceur, à la 
				modération, si elle s'est produite d'elle-même par le résultat 
				des lumières, par l'effet du tems, ces causes continuant à agir, 
				doivent donc amener un amélioration d'autant plus heureuse 
				qu'elle sera sans secousse, sans inconvénient ? Mais M. le Curé 
				s'empresse de prôner de peur que l'occasion ne lui échappe, il 
				n'a plus sans doute de conversion à faire à Emberménil, il va 
				chercher les habitans des Colonies pour les anathématiser.
 Une chose l'embarrasse néanmoins, c'est ce qu'il a entendu 
				assurer de toute part, que les Gens de couleur sont les maîtres 
				les plus durs envers les esclaves. Il dit que c'est une 
				récrimination, que des faits peu nombreux ne comportent pas une 
				induction générale, qu'il ne manque qu'une petite chose a 
				l'assertion, c'est d'en administrer les preuves. (pag. 15.)
 On répond à M. le Curé que le reproche fait aux Gens de couleur, 
				est tellement notoire, que lui seul peut le révoquer en doute. 
				La menace la plus forte que fasse un Blanc à son esclave est 
				celle de le vendre à un homme de couleur; le châtiment le plus 
				rigoureux, celui d'exécuter la menace. Quand on représente même 
				aux individus de cette classe qu'ils sont trop sévères, leur 
				réponse, toujours la même, est que les Blancs ne connoissent pas 
				toute la méchanceté de la race noire. Mais puisqu'il faut des 
				preuves à M. le Curé, en voici.
 Un Arrêt du Conseil Supérieur du Port-au-Prince de 1755, a 
				condamné une Négresse libre à perdre la liberté & à être vendue 
				comme esclave pour avoir fait mourir par ses cruautés sa 
				Négresse.
 Un Arrêt du Conseil Supérieur du Cap-François, du 9 Janvier 
				1783, a condamné le nommé Xavier, Nègre libre, à la chaîne 
				publique, à perpétuité, pour pour avoir fait périr par des traitemens barbares la Négresse Marthe son esclave.
 Si le Curé d'Emberménil s'étoit occupé d'étudier les hommes au 
				lieu de déclamer contre ceux qu'il lui plaît de choisir pour ce 
				dessein, il lui paroîtroit fort vraisemblable que les maîtres 
				privés d'éducation par leur état, soient les plus enclins à user 
				avec rigueur de ce titre.
 Qu'il voie autour de lui dans les dernières classes de la 
				société si les pères eux-mêmes ne traitent pas leurs enfans avec 
				une dureté que ceux des classes supérieures déplorent.
 II assure malgré cela que ce furent les Blancs qui seuls 
				étourdirent le Ministre par leurs remontrances contré l'Edit de 
				1784, qui vouloit qu'on traitât les esclaves plus humainement. 
				Si M. Grégoire avoit voulu s'instruire avant de hasarder cette 
				nouvelle fausseté, il auroit appris que cette Loi, ayant pour 
				effet principal de dégrader l'état de ceux qui administrent les 
				Habitations pendant l'absence des Propriétaires, elle a excité 
				les plus grands murmures. Il a été aisé de sentir que les 
				infidélités de ceux qui pouvoient s'en permettre, étoient 
				faites pour mériter une juste sévérité, mais qu'il étoit 
				contraire à tous les principes d' un bon Gouvernement 
				d'envelopper l'homme intègre & utile dans des dispositions 
				rigoureuses. Cela a été senti, puisque cette Loi a été modifiée 
				par une autre dès 1785, & quand on fait ce qu'il en coûtoit 
				alors au Ministère pour avouer qu'il s'étoit trompé, on sera 
				forcé de convenir que l'aveu de 1785, n'est pas aussi complet 
				qu'il auroit dû l'être.
 Mais dire que l'Edit de 1784 a excité les plaintes des Blancs, 
				parce qu'il amélioroit le sort des esclaves, c'est insulter à la 
				vérité. Les mesures qu'il prescrit ont été indiquées par des 
				Habitans.
 qui en avoient vu l'exemple presque partout., & s'il est tombé 
				en désuétude dès sa naissance, c'est qu'il n'étoit nouveau que 
				pour des choses impraticables, & inutile pour les autres, puisqu'elles l'avoient précédé.
 D'après le système que M. Grégoire a adopté, il prétend que les 
				Habitations des Blancs montrent plus d'instrumens de tourmens 
				que celles des Gens de couleur ; & l'on croiroit d'après lui, 
				qu'à chaque pas on trouve aux Colonies des gibets, des 
				échafauds, &c. Et voilà comme on se fait une réputation ! Et M. 
				le Curé écrit dans un Pays où un vol domestique de 10 sous est 
				puni de mort !
 Pour animer ce tableau, on lit (p. 16) : Tel Maître blanc fusilloit ses Nègres ; tel autre faisoit retentir la plaine des 
				hurlemens de ses esclaves déchirés par lambeaux, tel autre 
				cassoit une jambe a tout Nègre fugitif & attendoit la gangrène 
				pour qu'elle exigeât l'amputation. Tel autre..... mais le coeur 
				de M. Grégoire oppressé, déchiré, lui interdit d'autres 
				détails. Si telles sont les moeurs générales des Colonies, la 
				dépopulation doit y être effrayante.
 Cependant sur 400 mille Nègres qui sont à Saint-Domingue, il en 
				meurt environ cinq mille par an, c'est-à-dire, un sur 80. Il 
				est sans, doute des Maîtres trop rigoureux, & le mépris qui les 
				suit dans les Isles mêmes, prouve combien leur conduite offense. 
				Les choisir pour peindre tous les Maîtres, c'est comme si l'on 
				concluoit que la France n'est habitée que par des scélérats, 
				puisqu'elle a eu des Cartouche, des Mandrin, des
				Desrue, & que 
				des crimes atroces ont rendu célèbres les Forêts de Bondy, d'Orléans &c.
 Quand. M. le Curé d'Emberménil saura que les deux tiers des 
				Affrarichis sont du sexe féminin, & qu'il rapprochera cela des 
				moeurs de ce sexe, il verra que les causes de l'affranchissement 
				ne sont pas toujours sort dignes de l'éloge d'un Prêtre.
 Nous confessons avec plaisir que les hommes de couleur sont 
				propres à gravir les montagnes où plusieurs d'entr'eux sont 
				accoutumés à chercher leur subsistance & leur plaisir dans la 
				chasse. Ils servent à ramener les esclaves fugitifs, mais des 
				Blancs y vont également & à la tête des Affranchis. Les Gens de 
				couleur de Saint-Domingue ont marché à Savannah, & puisque M. le 
				Curé en fournit l'occasion, on lui dira que les Nègres libres 
				furent les seuls qui marchèrent avec une bonne volonté marquée & 
				constante. Les Affranchis des nuances plus foibles eurent besoin 
				d'incitation, d'être prêchés par le Capitaine Vincent, Nègre 
				libre, qui avoit été au Siège de Carthagêne en 1697 ; enfin les 
				Quarterons & Métiss qui formoient une Compagnie séparée au 
				quartier de Limonade, aimèrent mieux laisser supprimer cette 
				Compagnie, le 6 Avril 1779, & être incorporés à ceux d'une 
				nuance qu'ils jugeoient inférieure à la leur, plutôt que de 
				fournir un seul homme pour l'expédition de Savannah. Tous les 
				protégés, de M. le Curé ne sont pas des héros.
 Il est vrai qu'on ne peut reprocher un génie turbulent aux Gens 
				de couleur, car la sédition de quelques-uns d'eux à la 
				Guadeloupe en 1737, fut presque aussitôt appaisée que conçue. 
				Mais si beaucoup de Curés les endoctrinoient comme celui d'Emberménil, 
				il faudroit peut- être leur opposer une funeste résistance. Déjà 
				à la Martinique, à la fin du mois de Septembre dernier, ils 
				ont fait un mouvement d'insurrection, mais il faut dire que dès 
				le lendemain, les principaux d'entr'eux le désavouèrent & se 
				montrèrent dans des dispositions bien autres que celles de leurs 
				prétendus Mandataires à Paris.
 Le fait de la contribution de 9400 livres pour le don d'un 
				vaisseau au Roi par la Colonie de Saint-Domingue en 1783, de la 
				part des hommes de couleur du quartier d'Aquin, les honore, s'il 
				est vrai comme on aime à le croire ; & les Blancs sont sort 
				aises que M. Grégoire l'ait tiré des notes du premier Mémoire de 
				Raymond & de celles de son projet de Placet au Roi pour le 
				publier.
 Mais ce fait donne lieu d'observer que les quartiers, de 
				Cavaillon, de Saint- Louis & d'Aquin réunis, contiennent environ 
				1000 Gens de couleur, & que si leur offrande n'a été que de 9400 
				livres dans un des quartiers où sont les plus riches d'entr'eux, 
				il sera difficile que 30 mille Affranchis de toutes les Cor 
				Ionies, & ceux de Saint-Domingue sont les plus riches, trouvent 
				6 millions de don patriotique offert à l'Assemblée Nationale, 
				comme le quart de leurs revenus.
 La piété filiale, le respect pour la vieillesse, font un bel 
				effet dans le Mémoire de M. Grégoire, & il est dommage que la 
				vérité les démente. Les Affranchis consacrent à leurs plaisirs 
				ce qu'ils pourroient employer à tirer leurs proches de la 
				servitude, & quand ils ont leurs parens pour esclaves, ils s'en 
				font servir avec beaucoup de rigidité. On a vu Simon Camus, 
				Nègre très-riche de la Martinique, vendre son fils qui étoit son 
				esclave.
 Quant à l'hospitalité, plusieurs d'entr'eux l'exercent 
				noblement, & il faut même avouer que pour la faire éclater, ils 
				préfèrent les occasions que leur fournissent des Blancs. Cet 
				orgueil est louable du moins dans ses effets. II est trè-svrai, comme le dit M. Grégoire (en copiant le premier Mémoire de 
				Raymond) que des femmes de couleur exercent des actes d'une 
				générosité précieuse. Telle est la veuve Cottin, au Cap 
				François, où ses vertus la rendent l'objet de la vénération 
				publique. Celle-là ne réclamera pas à-coup-sûr contre un préjugé 
				qu'elle a fait taire. Son exemple indique la voie qu'il faut 
				suivre.
 On ne peut pas se mettre d'accord avec M. le Curé sur le reste 
				de l'éloge & on le dit à regret. L'attachement des sang-melés 
				pour les Blancs s'est souvent démenti. Plusieurs fois, ils ont 
				été auteurs complices d'empoisonnemens & de crimes de différens 
				genres, malgré l'assertion contraire répétée d'après le premier 
				Mémoire & dans le projet de Placet de Raymond.
 En 1766 il y eut une Procédure instruite au Fort-Royal de la 
				Martinique, contre le nommé Jacques Pain, Nègre libre, Magasinier du quartier du Trou-au-Chat, chez lequel se tenoient 
				depuis longtems des Assemblées où il professoit l'art exécrable 
				des empoisonnemens, & distribuoit des drogues dont les effets 
				ravagèrent la Colonie. Les complices de ce scélérat étoient 
				Jeanneton, Négresse lïbre, sa femme; Babo, Nègre libre ; Paul, 
				Nègre libre & Marguerite sa femme ; Mandave, Nègre libre, Nicolas,
				Mulâtre libre ; Boromée, Métis libre, & vingt-un 
				Esclaves.
 Par Arrêts du Conseil de la Martinique des 10 et 12 Mai 1766, exécutés le 13, Jacques Pain & sa femme furent condamnés, au feu 
				ainsi qu'un des esclaves ; & les autres accusés, à la chaîne 
				publique à perpétuité pu à d'autres peines ; mais les vingt-neuf 
				criminels furent tous livrés au bourreau.
 Hâtons-nous de tirer le rideau sur ces faits désastreux. 
				N'allons pas fouiller les Greffes Criminels pour prouver 
				davantage que les scélérats sont de toutes les classes, de 
				toutes les nuances ; mais que les seuls Arrêts cités apprennent 
				aux Gens de couleur & au Curé d'Emberménil, qu'il ne faut pas 
				tout choquer & tout démentir pour faire un éloge.
 D'après le premier Mémoire de Raymond, M. Grégoire attribue le 
				peu de moeurs des femmes de couleur à l'incontinence des Blancs. 
				Il est assez singulier que ce soient les Gens de couleur qui 
				s'élèvent contre un concubinage qui leur a procuré & l'existence 
				& les biens dont ils jouissent, & qu'ils reprochent aux Blancs 
				d'abjurer envers eux tes effusions de la paternité.
 Ce commerce illégitime qui offense les moeurs & la Religion, est un mal nécessaire dans les Colonies où les femmes blanches 
				sont en petit nombre, & où les mariages ne peuvent être nombreux 
				: il prévient de plus grands vices. Les foiblesses des Maîtres 
				les apprivoisent & l'esclavage est adouci. La population y gagne 
				parce que c'est moins le libertinage que le besoin qui préside à 
				ces unions illicites. La chaleur du climat qui irrite les désirs 
				& la facilité de les satisfaire, rendront inutiles les 
				précautions du Législateur pour remédier à ces abus, parce que 
				la Loi se tait, où la nature parle impérieusement.
 L'exemple des femmes esclaves influera toujours sur les moeurs 
				de celles qui sont libres. Elles viennent de la Côte d'Afrique 
				où, la polygamie est autorisée, & dans les Colonies une mère 
				esclave.
 sait, qu'elle s'élève par son commerce illégitime avec un Blanc; 
				elle améliore le sort de son enfant, & la nuance qui le 
				rapproche du Blanc est presque toujours le gage de sa liberté, & 
				souvens de celle de sa mère. L'influence du climat, le goût du 
				luxe, l'éloignement pour les époux de leur classe qui sont, 
				peut-être les maris les plus jaloux & les plus despotiques, tout 
				porte les femmes de couleur à fuir le mariage, & malgré qu'elles 
				n'aient pas plus de considération publique à espérer comme 
				femmes d'un Blanc, que d'un homme de couleur, elles préfèrent de 
				s'unir aux premiers. Les richesses des Affranchis sont toujours 
				versées par cette raison dans la classe dominante où la vanité 
				les, porte. C'est ainsi que le nombre des Gens de couleur 
				augmente, & que celui des Propriétaires de cette espèce 
				diminue.
 Par quelle bisarrerie, dit M. Grégoire (page 20) le François 
				méprise-t- il la même chosé en Amérique & pas en Asie. Le 
				préjugé contre les Gens de couleur n'infecte guères les 
				Comptoirs de l'Inde ni les Isles de France, de Bourbon & de 
				Gorée. N'est-il pas étrange que, même a Saint-Domingue, la ligne 
				de démarcation des posessions Espagnoles & Françoises soit aussi 
				celle des opinions.
 On a peine à concevoir qu'à la fin du dix-huitième siècle, M. 
				le Curé Grégoire sache assez peu de chose de l'Asie pour ignorer 
				que cette partie du monde n'a cessé d'avoir des Esclaves depuis 
				l'époque de l'antiquité la plus reculée, & que les Castes 
				Indiennes libres ne se mêlent jamais entr'elles. Comment M. 
				Grégoire ignore- t-il qu'à l'Isle de France les Laseards & les 
				Malabards sont traités avec hauteur par les Blancs, & que les 
				Affranchis sont au même rang que ceux des Antilles ? Comment 
				ignore-t-il qu'après deux siècles les Colons de Bourbon ne sont 
				pas encore parvenus à se convaincre que les femmes prises à 
				Madagascar par les premiers Habitans de l'Isle étoient des 
				ingénues & non pas des esclaves ? Comment ne sait-il pas qu'à 
				Gorée les Gens libres, qui sont des ingénus & non des 
				affranchis, disent en parlant, Nous autres Blancs, & qu'ils 
				sont regardés par eux-mêmes, ainsi que cette expression le 
				prouve, comme inférieurs aux Blancs & même aux Mulâtres. 
				Cependant là, nous sommes chez les Noirs.
 On avoue que dans quelques lieux la législation Espagnole 
				favorise les affranchissemens & tolère les mésalliances, quoique 
				dans des parties du Golfe du Mexique il soit défendu aux 
				Sang-mêlés de porter la perruque, & à leurs femmes d'employer 
				des dentelles ; mais les Créols Espagnols sont soumis à un autre 
				préjugé, c'est que les emplois publics leur, sont interdits & 
				accordés aux seuls Européens. Cette politique décourageante 
				n'est- pas la seule cause qui empêche les Gens, de couleur de la 
				partie Françoise d'érnigrer dans celle Espagnole de 
				Saint-Domingue, où il semble que l'analogie des moeurs, le 
				mélange des races & la douceur des Loix auroient dû les attirer. 
				Les Gens de couleur ont de l' aversion, pour les Espagnols. Elle 
				naît de l'espèce de mépris qu'inspire la paresse & la misère, qui en est le fruit. D'un autre côté une superstition outrée, 
				l'Inquisition & l'espece de subordination où les maris tiennent 
				leurs épouses, sont des obstacles à ce que les femmes de couleur 
				sur-tout ne tentent, le voyage, & les femmes de toutes les 
				couleurs influent autant sur les moeurs & sur les résolutions 
				que les hommes.
 M. l'Abbé Grégoire, sans doute dans le désespoir de ne pas 
				prouver lui-même que les Affranchis, sont en tout égaux aux 
				Blancs, va rechercher quels ont été les premiers Habitans des 
				Colonies, Les hommes étoient des Boucaniers, des Flibustiers, des Gens de couleur venus de Saint-Christophe ; les femmes 
				l'écume des carrefours, les restes de la débauche. Arrêtez 
				Pasteur d'Emberménil. Apprenez encore que la généalogie des 
				dix-neuf vingtièmes des Colons actuels ne remonte pas à plus de 
				trois générations Créoles, & que tout ce dont vous salissez 
				votre plume leur est étranger ; que même à l'époque des 
				Flibustiers & des Boucaniers, & des envois dé femmes qui ne 
				furent pas toutes prises, où votre aveuglement les fait ramasser 
				; il y avoit des hommes qui avoient eu un rang distingué en 
				France, des hommes & des femmes estimables fous tous les 
				rapports.
 Considérez néanmoins que, si malgré cette origine ils sont 
				devenus ce que sont tous les autres François, dans quelque 
				classe élevée que l'on cherche la comparaison, vous faites leur 
				éloge & non leur censure. Cela empêche-t-il que tout Affranchi 
				ne soit provenu d'un Africain, d'une Esclave ? Vous ajoutez que 
				Saint-Christophe a envoyé des Gens de couleur, dont la 
				descendance se dit Blanche ; vous avancez (faussement il est 
				vrai) que c'est M. de Larnage, Gouverneur de Saint- Domingue, qui déclara en 1746 que les descendans des Indigènes seroient 
				réputés Blancs, & que beaucoup de Sang-mêlés se firent déclarer 
				tels, en se disant fils de Caraïbes, qu'on ne fut pas 
				difficile sur les preuves. Hé bien, qu'en conclure ? Cela seul, 
				que le préjugé des Blancs n'est pas aussi inflexible que vous 
				cherchez à l'établir, & que les Gens de couleur peuvent devenir 
				quelquefois d'heureux usurpateurs.
 M. le Curé, qui parle de tout, parle aussi (page 26) d'une 
				objection qu'il annonce lui avoir été faite sur les mariages 
				mêlés qui feroient éclore le pian. En vérité, M. le Curé abusé 
				de la permission d'écrire. Puisqu'il sait si bien comment on 
				gagne le pian, il auroit bien dû ne se pas faire d'aussi 
				misérables objections pour avoir le plaisir de les détruire.
 M.. Grégoire ne veut pas que les Gens de couleur comptent sur la 
				bienveillance des Blancs. Le passé seroit, selon lui, une 
				mauvaise garantie. Ainsi, trente mille Affranchis répandus 
				dans 
				toutes les Colonies en moins d'un siècle, dont les Maîtres ont 
				abandonné la propriété, dont ils ont payé l'affranchissement au 
				fisc ; trente mille individus qu'ils ont fait sortir de 
				l'esclavage (ou qui sont le fruit de ceux qu'ils en ont retirés) 
				; trente mille individus qui disent avoir une fortune d'un 
				milliard, ne peuvent pas croire à la bienfaisance de ceux 
				auxquels ils doivent tous ces avantages ! Ils ne peuvent pas en 
				espérer dans l'avenir tout ce que le tems doit apporter 
				d'adoucissement à un préjugé qui s'est toujours affoibli ? Quel 
				est l'Esclave qui, avant d'accepter l'état d'Affranchi, a cru 
				qu'il seroit l'égal de son Maître ? Quel est le Maître qui n'a 
				pas pu apposer une limitation à son bienfait ? Quoi ! celui qui 
				a pu tout refuser, qui avoit par les Loix faites en France le 
				droit de ne rien accorder, est indigne de confiance, parce qu'il 
				ne consent pas que son Esclave soit tout-à-coup assimilé à lui, 
				au risque de perdre et sa fortune & sa vie ! Quelle logique !
 Et sur qui les Sang-mêlés peuvent-ils donc compter ? Sera-ce sur 
				les déclamations d'hommes qui se forment en sectes, en sociétés, 
				pour consommer à discourir sur ce qu'ils n'entendent pas, un 
				tems qu'ils enlèvent à leurs devoirs. Sera-ce sur les résultats 
				de certains Clubs, où des Ecrivains à tout prix, des Petits-Maîtres, des Femmes à vapeurs, consomment en frais de 
				logement, de secrétariat, d'impression, &cC. & c. des sommes 
				qui sauveroient la vie à des individus, que le froid & la faim 
				assassinent à la porté de leurs maisons, & dans les rues qu'ils 
				traversent avec des chars dorés, pour aller disserter sur des 
				maux imaginaires & lointains ? Sur qui compteront-ils ? Sera-ce 
				sur les hommes qui les promènent comme les Artisans insensés de 
				leur réputation éphémère, & qui leur vendent de la fumée & des 
				illusions? Qui peut passer pour les vrais protecteurs des Gens 
				de couleur, ou de ces êtres qui s'agitent en France sans qu'il 
				leur en coûte que des paroles ou quelques cottisations, ou des 
				Colons qui ont sacrifié des millions pour faire des Affranchis ? 
				Les déclamations d'un Curé de Lorraine méritent-t-elles donc 
				plus de foi que les sentimens des Colons qui ont du moins expié 
				leurs foiblesses par des bienfaits, tandis qu'ailleurs elles n'auroient 
				servi qu'à peupler des Hopitaux d'Enfans-trouvés, dévoués à la 
				misère & à l'infamie ?
 Lorsqu'on croit arrêter M, Grégoire par la crainte que les 
				Esclaves ne veuillent à leur tour devenir les égaux des Blancs, il répond (page 29) : Pauvre vanité ! je vous renvoye a la 
				déclaration des droits de l'Homme du Citoyen, tirez-vous-en, s'il se peut.
 Mais M. le Curé a-t-il pris garde lui-même que tout son Mémoire 
				ne roule que sur ce point, que la déclaration des droits de 
				l'homme n'est pas faite pour les Colonies. Il parle de la 
				richesse des Gens de couleur, de l'importance dont ils sont pour 
				retenir les Nègres dans le devoir ; il compte sur le quart de 
				leurs revenus, sur leur cautionnement. Eh ! que deviendra tout 
				cela si la déclaration des droits de l'homme est admise par-tout 
				?
 L'Assemblée Nationale moins hardie que le Curé d'Emberménil, n'a 
				pas tranché la question & on doit croire qu'elle ne la tranchera 
				pas, on en a sa prudence pour garant. Elle n'ignore pas que ce 
				n'est point avec du sang qu'il faut cimenter les révolutions 
				pour les rendre durables.
 Elle sait bien que la constitution qu'elle a faite a pour objet 
				la paix du Royaume & le bonheur de ses Habitans. Elle sait que 
				les millions d'hommes que le commerce des Colonies fait vivre, 
				sont persuades que le paìn est le premier article de toute 
				constitution, & que des droits ne suffisent pas & sont même 
				dangereux pour des hommes affamés. Elle fait qu'un Etat peuplé 
				de 26 millions d'hommes & qui dure depuis plus de treize 
				siècles, n'est pas un Etat à former, mais un Etat existant, qui 
				a, si l'on peut s'exprimer ainsi, un tempérament politique à 
				conserver.
 Enfin l'Assemblée Nationale qui sentira bien que la déclaration 
				des droits de l'Homme n'est pas une plante de tous les climats, 
				la gardera dans celui où elle ne peut produire que des fruits 
				utiles. Elle déclarera, à coup-sûr, que par ses décrets elle n'a 
				entendu rien innover à l'existence politique des Colonies, & 
				elle aura encore assez de bien à y réaliser, pour qu'il ne soit 
				pas indigne d'elle d'y faire préparer, par les Colons eux-mêmes, 
				la constitution qui leur est propre, & qu'ils soumettront 
				ensuite à son approbation.
 C'est lors du travail de cette constitution & à cette époque 
				seule qu'on pourra examiner dans les Colonies si le moment est 
				venu de faire pour les Gens de couleur quelque chose qui marque 
				encore mieux les sentimens des Colons pour eux. Le prescrire, c'est entamer cette constitution, c'est faire ce que 
				l'Assemblée Nationale veut éviter. C'est préparer sans utilité 
				des semences de division & de haine ; c'est préparer tous les 
				maux.
 M. le Curé est fort tranquille sur la perte des Colonies. Cette 
				partie de son Mémoire n'est pas un chef-d'oeuvre en 
				diplomatique. Il veut bien croire qu'elles ne songent point à 
				passer sous une domination étrangère ; mais au surplus elles ne 
				le pourroient pas, dit-il, car les Anglo-Américains ne veulent 
				que des libres, & les Anglois sont disposés à supprimer la 
				traite des Esclaves, de concert avec nous.
 On va répondre à cela, seulement pour montrer que par-tout M. le 
				Curé est aussi instruit & aussi fort en raisonnement.
 D'abord les Anglo-Américains ont des Esclaves dans leurs 
				Provinces méridionales. Quelques Particuliers y ont renoncé dans 
				les Provinces septentrionales, parce que par-tout où le climat 
				permet d'employer le Journalier blanc, il est préférable à 
				l'Esclave qu'il faut acheter fort cher. Ainsi cette Puissance ne 
				seroit pas assez extravagante pour refuser les Colonies à sucre, 
				où elle trouveroit ce qu'elle y cherche sans cesse par la 
				contrebande.
 Les Portugais que le Curé cite (p. 34) comme ne voulant plus 
				d'Esclaves depuis 1755, ont donné lieu, il y a six ans, à un 
				armement de la part de la France, pour aller détruire leur 
				Comptoir à Gabimgue, à la côte d'Angole. ils ont tous les ans 
				trente vaisseaux à la Côte d'Or, autant dans chacun des deux 
				ports de Saint-Paul de Loango & de Saint-Philippe de Benguela, & 
				dix à Bissao, sans compter ce que fournit le cabotage des Isles 
				du Prince & de Saint-Thomé.
 Les Anglois ne peuvent pas vouloir de Colonies, parce qu'ils 
				vont supprimer la traite de concert avec nous ! ... Comme on est 
				crédule à Emberménil ! Quoi ! M. Grégoire ignore qu'après des 
				débats fort longs, dont l'objet caché étoit de nous mener à une 
				grande faute, le Parlement d'Angleterre a ajourné, indéfiniment 
				la question ! Il ne fait pas que ce Parlement a fait des règlemens sur la traite ! 
				Mais cette traite s'épuise par les 
				exportations ne sauroit durer. Il y a déja disette de Nègres, elle est cause qu'on trafique des Indiens, (pag. 24). On traite 
				en Afrique sur sept cens lieues de côtes, & trois cens de 
				profondeur ; ce qui donne deux cens quarante mille lieues 
				quarrées.
 On en tire environ quatre-vingt mille Nègres par an ; c'est donc 
				un individu par trois lieues quarrées. Quant aux Indiens on en a 
				toujours eu d'Esclaves.
 Pour espérer lui-même tout ce qu'il promet, M. le Curé se repose 
				avec confiance (pag. 50) sur la parole de l'estimable M. Clarkson. Mais M. Clarkson, à qui la tête a tourné parce qu'un 
				discours de lui sur l'esclavage des Nègres, a été couronné par 
				l'université d'Oxford, ne règle pas plus les destins de 
				l'Angleterre, que ses Traducteurs & ses Mimes ne parviendront à 
				régler ceux de la France. Les applaudissemens qu'on obtient dans 
				une Séance Académique, les Comités qu'on excite & les cachets 
				touchans qu'on fait mettre sur des brochures, tout cela ne 
				donne pas le droit d'être le précepteur des Nations, le 
				régulateur des plans de gouvernement.
 On s'engage à prouver à M. Grégoire, quand il le voudra, que 
				l'ouvrage de l'inestimable Clarkson a plus d'erreurs encore que 
				son propre mémoire. Au surplus, on ne demande qu'une chose à M. 
				le Curé, c'est qu'il accorde la priorité à la Motion faite en 
				Angleterre ; il sera tems d'imiter nos ennemis s'il est écrit 
				que nous devions les singer.
 Ce sera un assez beau triomphé pour les Benezet, les Brissot de 
				Varville, que de marcher à leur suite, comme ils en ont 
				l'habitude. Quant au pauvre Las Casas, il n'auroit pas dû 
				s'attendre que son confrère associeroit son nom à celui de ces 
				grands Apôtres de la liberté, qui veulent changer l'univers, 
				lui qui a conseillé de prendre des Nègres esclaves pour cultiver 
				l'Amérique.
 A tant de raisons il étoit tout simple d'ajouter que les Blancs 
				ne pourroient se livrer à une Puissance étrangère sans les Gens 
				de couleur, que les Gens de couleur le pourroient sans eux. (pag. 
				30).
 M. le Curé Grégoire a compté écrire sans doute pour les 
				montagnards d'Auvergne ou pour les habitans des landes de 
				Bordeaux, & il ne faut pas les détromper.
 Pour ne rien oublier, le Curé menace de la réunion des 
				Sang-mêlés aux Esclaves (pag. 32). On lui a. sans doute dit que 
				ceux-ci détestoient plus les Sang- mêlés que les Blancs, 
				puisqu'il observe que si cette haine existe, elle a sa cause 
				dans l'emploi de punir, qu'ont plusieurs Mulâtres esclaves dans 
				des habitations, & encore dans le mépris dont les Blancs donnent 
				l'exemple. Mais, ajoute-t-il, les Gens de couleur nient 
				l'existence de cette haine.
 Si nier étoit une preuve, M. le Curé n'en manqueroit jamais. 
				Mais tous les faits qu'on lui a cités, établissent cette haine 
				& on n'a besoin que des expressions qu'il a prises dans le 
				premier Mémoire de Raymond. La conduite des Blancs est 
				concordante avec leurs principes, comme s'il ne leur suffisoit 
				pas de verser l'humiliation sur les Gens de couleur ils 
				inspirent les mêmes sentimens a leurs Nègres qui affectent 
				ensuite le ton de supériorité envers les esclaves des Mulâtres (pag. 
				32). Croira-t-on que des Esclaves qui trouvent même honteux pour 
				eux de servir des Affranchis plutôt que des Blancs les préfèrent 
				aux Blancs ?
 Qu'il me soit permis en outre de le demander à M. le Curé. Pour 
				quel but les Affranchis s'uniroient-ils aux Esclaves contre les 
				Blancs ? Quand on se confédére, c'est ordinairement pour un 
				intérêt commun ; mais il n'en existé pas entre eux. L'Esclave 
				révolté & triomphant, voudroit à coup sûr rester libre & l'égal 
				de l'Affianchi qui alors perdroit fa fortune avec ses propres 
				esclaves & ne seroit plus que le compagnon pauvre du Nègre, peu 
				avant son esclave, qui le domineroit bientôt parce que son 
				parti seroit le plus fort. Ainsi les Gens de couleur s'associeroient 
				pour perdre ! Ce calcul est bon seulement dans le Mémoire d'un 
				Curé de Lorraine. Dans la coalition des Blancs & des Gens de 
				couleur au contraire, l'intérêt commun est évident, il rassure 
				les Blancs.
 Tant de réflexions judicieuses sont les avant-coureurs d'une 
				explosion, contre les Blancs qui veulent du Sucre, du Café, du 
				Tafia au prix de tant de cruautés. Indignes mortels, mangez 
				plutôt de l'herbe & soyez justes ! On se rend à un pareil avis, & 
				certainement de toutes les manières d'abolir l'esclavage c'est 
				la plus sûre & la plus douce. Il seroit digne du zèle du Curé 
				d'aller évangéliser de cette manière par-tout le Royaume, & 
				notamment dans les Villes maritimes & dans celles où sont les 
				manufactures. Le moment est singulièrement favorable pour 
				conseiller de manger de l'herbe.
 M, Grégoire ne veut pas (pag. 37) que des convenances politiques 
				balancent la justice fléchissent la rigueur des loix, Le bonheur 
				des Empires, selon lui résulte de l'heureux accord des principes 
				politiques avec ceux de le justice. Il y a donc des principes 
				politiques ? Mais la probité d'une Nation veut-elle qu'on 
				dépouille des propriétaires de ce qu'ils ont acquis à prix 
				d'argent ? Si la Nation s'est trompée en le permettant, qu'elle 
				répare ses torts par des indemnités réelles, & non pas en 
				conseillant les meurtres & les assassinats contre ceux qui ont 
				compté sur sa foi. S'il doit se trouver des Othello & des
				Padrejean, que ce ne soient pas du moins des Prêtres qui les 
				invoquent, qui les conjurent & qui se délectent à aiguiser leurs 
				poignards ! Le calme succède enfin à cet orage pour rechercher 
				si les Gens de couleur qui sont à Paris, doivent avoir des 
				Députés à l'Assemblée Nationale, & M. le Curé conclut pour 
				l'affirmative. Ainsi l'on verroit à l'Assemblée Nationale, l'ordre des Mulâtres & quatre-vingt d'entre eux de tout âge, de 
				tout sexe, domestiques, esclaves, appelés de toute part, seroient chargés du choix de ces Députés, d'une espèce nouvelle 
				! L'Assemblée Nationale feroit former une députation pour trente 
				mille individus, séparés d'elle de deux mille & même de cinq 
				mille lieues, & séparés entre eux-mêmes, & ce seroit 
				quatre-vingt individus qui délibéreroient sur tout & viendroient, 
				par ce fait même, entamer la Constitution des Colonies ! Si cela 
				arrivoit, on pourroit dire que l'Assemblée Nationale a des 
				principes de toute couleur, & qu'elle en change avec les 
				circonstances.
 Mais, dit-on, les Gens de couleur n'ont point été appelés aux 
				Assemblées, & ils n'ont point choisi les Députés Colons. 
				D'abord, cela n'est pas vrai pour toutes les Colonies, ni pour 
				toutes les Paroisses ; mais au surplus qui les a empêchés de s'y 
				présenter ? le préjugé? il falloit au moins essayer ? En outre y 
				fussent-ils tous venus, ils ne pouvoient pas l'emporter sur la 
				pluralité formée par les Blancs. Mais les Gens de couleur ont un 
				intérêt tout différent de celui des Blancs. Il faudra donc qu'on 
				les tienne séparés, eux qui prétendent à être mêlés aux Blancs. 
				Mais qu'importe aux Députés d'en voir de couleur : cela 
				augmentera la Députation, comme eux-mêmes l'ont souhaité. On 
				assure qu'on a déjà répondu cent fois au Curé, quoiqu'il imprime 
				le contraire (p. 42), que cet argument étoit le plus misérable 
				de tous : 1°. parce que l'Assemblée Nationale a fixé le nombre 
				des Députés, & 2°. que s'il en falloir davantage, la préférence 
				appartient aux Suppléans choisis par des milliers de Colons, sur 
				des Suppléans pris à Paris, parmi 80 êtres, dont les 7 huitièmes 
				ne seroient pas Citoyens actifs, en France même. Enfin, on le repète, c'est toucher en France à la Constitution Coloniale, 
				c'est donner aux Colonies des Loix qu'elles n'auroient pas 
				consenties.
 Cela seroit d'autant plus impolitique, on le répète, qu'une 
				partie de la Colonie de la Martinique est actuellement en 
				insurrection contre son Gouverneur-Général, auquel on impute 
				d'avoir voulu assimiler sur le-champ tous les Gens de couleur 
				aux Blancs, dessein qu'il a désavoué sans succès, & que les Gens 
				de couleur, eux- mêmes qui s'en étoient autorisé, ont été forcés 
				de déclarer qu'ils ne prétendoient pas soutenir.
 Néanmoins, comme M. Grégoire est bien convaincu de l'inutilité 
				des Colonies pour la Métropole, il est bien aise, avant de les rejetter avec le dédain qu'elles lui inspirent, d'y faire passer 
				un Décret de sa façon. Le voici.
 1°. Les Gens de couleur quelconques seront assimilés en tout & 
				pour tout aux Blancs.
 2°. Les Maîtres pourront affranchir leurs Esclaves sans rien 
				payer ; les Esclaves pourront se racheter.
 3°. Tout Enfant de couleur sera libre de droit, il aura même une 
				pension.
 4°. Il sera défendu de reprocher aux Sang-mêlés leur origine 
				comme une injure.
 5°. Les Curés useront du crédit de leur ministère pour effacer 
				le préjugé.
 6°. Les Gens de couleur réunis, à Paris, choisiront cinq Députés 
				pour la présente Session de l'Assemblée Nationale.
 Cela mérite quelques réflexions.
 I°. L'assimilation parfaite des Gens de couleur aux Blancs fera 
				la répétition de l'Edit de 1685, & l'on a vu que le préjugé 
				avoit contrarié la Loi depuis 104 ans.
 2°. Il est probable que les Maîtres n'abuseront point de la 
				faculté d'affranchir sans rien payer, dès qu'ils verront qu'ils 
				n'ont fait que des ingrats.
 A l'égard de celle donnée à l'Esclave de se racheter, elle aura 
				le bon effet de lui conseiller le vol, & en outre si le Maître 
				ne veut pas céder sa propriété, il faut supposer que quelque 
				chose l'y forcera. Les Espagnols, qui seuls avoient autorisé cet 
				usage dans leurs Colonies, ont fini par sentir, en 1787, qu'il 
				s'opposoit à leur établissement, & par l'interdire ; mais il 
				est tout simple qu'en 1789 nous nous mettions au-dessous des 
				Espagnols.
 3°. Proposer d'affranchir de droit tout Enfant de couleur, c'est 
				peut-être les empêcher de naître, & l'on doit frémir de la seule 
				idée d'armer l'intérêt & la jalousie contre l'humanité. Cette 
				Loi seroit absurde, parce qu'elle puniroit le Maître d'une 
				faute dont il peut n'être pas coupable. Elle seroit attentatoire 
				aux droits de la propriété. Elle porteroit sur un enfant 
				innocent, qu'il faudroit peut-être arracher au sein maternel 
				pour sa conservation. Elle conseilleroit même l'avortement. 
				Telle étoit celle de 1685, qui confisquoit les enfans nés d'un 
				mélange illicite, au profit des Hôpitaux; elle fut invoquée à la 
				Martinique par un Religieux de la Charité, mais la mère lui 
				reprocha d'être le complice, l'auteur de la faute, & il fallut 
				arrêter le procès pour faire cesser le scandale.
 Qui sera tenu de la pension ? le Père ? Et qui le fera 
				reconnoître ? Que de recherches, que d'accusations contre les 
				bonnes moeurs ! Un Curé n'est pas toujours un bon Législateur.
 4°. Dire à un homme qu'il est noir, jaune ou blanc, ce n'est pas 
				une injure. Si c'est à l'intention qu'on en attache l'idée, il 
				faut convenir que ce sera une action judiciaire d'un genre assez 
				neuf.
 5°. Voilà donc les Curés, ces Ministres de paix, chargés de tout 
				bouleverser dans les Colonies, & spécialement départis pour y 
				faire une révolution. Il est des lieux où la Religion autorise 
				les Ministres à parler de l'égalité chrétienne ; mais l'égalité 
				civile n'est pas de leur mission. Un Capucin en a dit un mot à 
				la Martinique, & des Esclaves l'ont pris pour un signal de 
				révolte. Plusieurs d'entre- eux ont expié leurs erreurs, & la 
				tète du fanatique fugitif restera chargée du sang qu'il a fait 
				couler. L'Assemblée Natìonale pourra-elle voir tranquillement 
				qu'on lui propose de publier un manifeste, qui amèneroit des 
				convulsions capables d'ébranler le Royaume ?
 6°. Enfin, reste le choix des cinq Députés : on y a répondu. Ce 
				sera une perte, on l'avoue, pour l'Avocat qu'ils ont honoré de 
				leur Présidence, de ne pas recueillir le prix inappréciable 
				qu'il s'étoit promis, entr'autres, de ses soins & de ses 
				démarches multipliées, l'honneur de siéger dans l'Assemblée 
				Nationale, comme Député des Gens, de couleur, qui l'ont déja 
				nommé à tout évènement.
 Et que ce jeune Jurisconsulte se console, son zèle ardent peut 
				trouver des occasions de se signaler sans porter la désolation 
				dans le Nouveau-Monde. S'il a juré de défendre des malheureux, 
				il habite la Capitale, où chaque pas en fait trouver, dont les 
				maux très-réels valent bien ceux qu'on crée sur le papier. Il 
				pourra-même s'honorer davantage, parce que ses travaux seront 
				gratuits. Il est des couronnes de plusieurs genres, & on doit 
				préférer celles qui ne peuvent pas être ensanglantées, sur-tout 
				quand on ne doit pas partager les dangers auxquels on peut 
				livrer les autres.
 On le répète, toute loi qui aura pour objet de frapper 
				violemment le préjugé, sera affreuse dans ses conséquences. La 
				première qu'elle auroit, seroit d'empêcher les affranchissemens 
				; la seconde, de porter les Blancs à renvoyer les Affranchis 
				qu'ils emploient comme domestiques, comme ouvriers, & à leur 
				préférer des Blancs,. qu'on seroit plutôt venir exprès d'Europe, ce qui renforceroit une classe, & tourneroit au détriment de 
				l'autre. Les femmes, les enfans de couleur, qui, au moment 
				actuels espèrent tout des Blancs, seroient frustrés dans leur 
				attente, en un mot, l'amour-propre irrité, causeroit les plus 
				grands maux.
 Les Affranchis sont un genre de sauvegarde pour nos Colonies, contre les Esclaves, auxquels ils offrent une perspective 
				consolante ; mais, ils ne sont utiles qu'autant que leur intérêt 
				accroît leur attachement pour les Blancs. Cependant, si le grand 
				nombre des Esclaves a ses dangers pour la sûreté, celui des 
				Affranchis n'en a pas moins pour les moeurs & pour l'esprit 
				national, qui s'altèrent en passant par des hommes qui ont été 
				dégradés par la servitude. Il seroit donc dangereux, d'accorder 
				beaucoup d'affranchissemens à la fois. Il faut s'arrêter à cette 
				observation générale, que les Affranchis ne doivent pas être 
				aussi nombreux que les Ingénus, qui, avec les prérogatives, 
				doivent encore conserver la force qui les maintient.
 Tel est l'empire des préjugés lorsqu'ils tiennent à la 
				Constitution d'un Pays, qu'on ne doit y toucher qu'avec la plus 
				grande circonspection. Celui qu'on est obligé de montrer ici tel 
				qu'il existe, s'affoiblira sans doute, & pour le faire espérer 
				une observation s'offre naturellement. C'est qu'il a toujours 
				diminué, & même lorsque ceux de la Métropole acquéroient de la 
				force, quoiqu'ils sussent plutôt dépendans de l'opinion que de 
				la nature des choses.
 Ce qui se passe dans le Royaume ne sauroit manquer d'influer sur 
				ce qui peut avoir été exagéré, & qu'on peut adoucir ; mais le 
				tems, & le tems seul, peut achever son ouvrage. On peut dire 
				ici, comme les Administrateurs d'une Colonie le marquoient au 
				Ministre de la Marine, à la fin de 1786 : «  Une loi directe, 
				rendue en saveur des Affranchis, produiroit le seul effet de 
				révolter l'opiniâtreté des Blancs. Nul Corps dans la Colonie 
				dont tous les Membres ne prîssent désormais plus de soin pour 
				vérifier l'extraction des Candidats proposés, & ne fussent 
				fermement résolus à exclure les origines suspectes. Tous 
				souffriroient, sans qu'aucun en recueillît le fruit. L'autorité, soutenue du cri de la raison & de celui de l'humanité, ne seroit pas en état de combattre ouvertement cette opinion, & 
				d'en triompher ». Une meilleure éducation, une conduite plus 
				réservée, des moeurs plus épurées peuvent amener des changemens, 
				qui seront aidés & favorisés par ceux mêmes qui, dans cet 
				instant, les trouvent dangereux, à cause de la situation où des 
				écrits incendiaires ont mis des esprits, dont l'inquiétude 
				suffit pour inspirer la terreur.
 Et pourquoi M. Grégoire refuseroit-il de croire à ce besoin de 
				temporiser ; lui qui disoit, au mois d'Août 1788, dans son Essai 
				sur la régénération physique, morale & politique des Juifs : «  
				N'allons pas toutefois heurter de front leurs préjugés ; ils se cabreroient. Un article délicat, & cependant indispensable, c'est de préparer à cette réforme les Juifs & les Chrétiens La 
				réforme des Juifs n'est pas l'ouvrage du moment ; car on sent 
				qu'en général, la marche de la raison, comme celle de la mer, 
				n'est sensible qu'après des siècles Ordinairement les 
				révolutions morales sont » fort lentes « .
 Et pourquoi toutes ces vérités se sont- elles évanouies aux yeux 
				du Curé d'Emberménil ? Pourquoi préfère-t-il aujourd'hui, aux 
				moyens doux, & par cela même plus capables de succès, les 
				violences qu'il conseille, les révoltes qu'il excite? Que lui 
				ont fait les Colons ? En quoi lui semblent-ils moins aménager 
				que les Juifs ? Par quelle fatalité aime-t-il mieux tout 
				promettre aux Gens de couleur, en les trompant, que de leur 
				donner l'espérance d'obtenir un jour partie de ce qu'ils 
				souhaitent ? Est-il donc permis de changer de maxime au gré de 
				son caprice ? & n'en coûte-t-il rien pour se montrer fanatique, 
				quand on a cherché autrefois à paroître modéré? Si, dans ses 
				principes, l'Apôtre des Juifs., qu'il connoissoit, a cru devoir 
				employer la persuasion, pourquoi la dédaigne- t-il lorsqu'il 
				parle à des Colons qu'il ne connoît pas ?
 Ce ne sera pas d'après les Mémoires intéressés de Raymond que M. 
				Grégoire se formera une idée exacte des choses. Un Représentant 
				de la Nation ne doit pas livrer aveuglément sa confiance. Un 
				Prêtre doit se garantir d'un enthousiasme sanguinaire. Un 
				Citoyen doit aimer les intérêts de sa Patrie. Un Homme, quel 
				qu'il soit, doit frémir de l'idée d'une révolution où tout seroit malheur & rien avantage. Celui qui n'auroit pas cette 
				idée de ses devoir, ne seroit pas digne du rôle qu'une grande 
				Nation l'a chargé de remplir.
 
 Le 16 Décembre 1789.
 
 P. U. C. P. D. D. L. M.
 
 
				
				Réponse aux «  Observations d'un habitant des colonies »Abbé Antoine de Cournand, 
				(1747-1814)
 
				REPONSES AUX OBSERVATIONS D'UN HABITANT DES COLONIES, SUR le Mémoire en faveur des Gens de couleur, ou sang-mêlés, de 
				Saint-Domingue, & des autres Isles françoises de l'Amérique, 
				adressé à l'Assemblée Nationale, par M. GRÉGOIRE, Curé d'Emberménil, 
				Député de Lorraine.
 Par M. l'Abbé DE COURNAND,
 
 RÉPONSE AUX OBSERVATIONS D'UN HABITANT DES COLONIES,
 J'ai défendu les gens de couleur ; j'ai attiré pendant quelques 
				momens les regards de l'As semblée Nationale sur les oppressions 
				dont ils gémissoient. Une voix plus éloquente que la mienne 
				s'est élevée : M. Grégoire, Curé d'Emberménil, Député de 
				Lorraine, s'est déclaré le protecteur de cette cause 
				intéressante. Son Mémoire, rempli de faits aussi vrais que ses 
				raisonnemens sont solides & concluans, est attaqué aujourd'hui 
				par un anonyme. Son adversaire se dit habitant des Colonies : il 
				vise à être gai dans un sujet où il s'agit de savoir si des 
				hommes libres jouiront de leur liberté, ou continueront d'être 
				accablés des humiliations de l'esclavage. L'Anonyme a sans doute 
				bon coeur de trouver le mot pour rire à la situation de quarante 
				mille individus, qui regardent leur état actuel comme le plus 
				grand des malheurs. Il se permet d'outrager dans M. Grégoire un 
				nom cher à la Nation, une vertu connue, & des talens dignes des 
				plus grands éloges. Je rendrai à l'Anonyme ses insultes ; on ne 
				doit rien à qui ne respecte rien. Je ne m'embarquerai point dans 
				la discussion des faits qu'il dénie avec une insigne mauvaise 
				foi, & une impudence bien digne de lui. J'en croirai bien plutôt 
				le témoignage unanime des opprimés que l'insolence de leur 
				ennemi. II a pris la plume pour calomnier ; je m'en saisirai 
				pour le confondre.
 Est-il vrai que les gens de couleur ou sang-mêlés soient vexés 
				dans nos colonies, qu'ils y soient en butte aux mépris des 
				blancs, & quelquefois à leurs outrages ? Ce fait n'est pas 
				douteux ; les blancs de bonne-foi en conviennent ; ceux qui ont 
				de l'humanité désirent qu'on rende aux hommes libres de cette 
				classe les droits de citoyens, qui leur sont assurés par nos 
				anciennes loix. II est des gens qui nient ces oppressions; mais 
				est-il vraisemblable que tant de faits consignés en tant de 
				Mémoires., soient faux ? Est-il croyable qu'une classe si 
				nombreuse d'hommes libres se plaigne, s'indigne pont des 
				offenses imaginaires? A qui voudroit-on le persuader ? Hélas ! 
				il n'est que trop vrai que les torts sont réels, les 
				réclamations justes, & les efforts que l'on fait pour les 
				étouffer, un nouvel outrage. L'anonyme aura de la peine à se 
				tirer de là ; il a beau faire l'agréable aux dépens des gens de 
				couleur, rien n'est moins plaisant que ce qu'ils souffrent; & si 
				M. l'habitant des colonies avoit tant soit peu d'humanité, il n'employeroit 
				pas ses beaux talens à résilier des gémissemens par des 
				railleries, & des griefs douloureux par des sarcasmes.
 A-t-il daigné s'attendrir une seule fois sur le sort des gens de 
				couleur? Il lui paroît très-naturel qu'ils soient malheureux ; 
				il n'a garde de rien proposer qui tende à améliorer leur 
				situation. Il se retranche dans le préjugé, comme dans un fort 
				d'où il croit braver impunément, & les plaintes des gens de 
				couleur, & les raisons de leurs défenseurs, dont il ose faire 
				insolemment le sujet de ses railleries.
 Nos loix avoient marqué, il y a plus d'un siècle, la nature de 
				la liberté accordée aux gens de couleur dans nos colonies, égale 
				en tout à celle des blancs. Des réglemens vicieux, des vexations 
				habituelles ont restreint tantôt plus, tantôt moins, ce bienfait 
				précieux auquel, ni les loix, ni les bienfaiteurs n'avoient 
				prescrit de limites. Des nouveaux-venus, des Jurisconsultes 
				barbares, ont anéanti ou affoibli les dispositions de ces loix 
				humaines. Aujourd'hui encore l' oppression trouve des 
				apologistes ; tel est l'anonyme. On peut juger de sa raison, par 
				la manière dont il arrange les faits ; & de son coeur, par 
				l'esprit qui règne dans son écrit.
 Tous les honnêtes-gens désirent que les hommes de couleur, 
				libres, rentrent dans leurs droits; lui, il ne s'étonne ni de la 
				durée du préjugé, ni il n'indique le moyen de le faire finir ; 
				il le regarde presque comme une chose nécessaire. II ne pense 
				point sur ce sujet comme un assez grand nombre de propriétaires, 
				distingués par le rang qu'ils occupent dans la société, & par la 
				fortune dont ils jouissent. Sa manière de voir & de sentir le 
				jette dans la classe brutale de ces régions, parmi ces 
				aventuriers, qui n'ayant ni feu ni lien en Europe, vont porter 
				en Amérique la bassesse de leurs moeurs, & se croyent autorisés 
				par le préjugé à insulter les naturels du pays. Ce sont eux qui 
				déshonorent véritablement le nom Américain aux yeux des âmes 
				sensibles. Celui ci le flétrit encore davantage par sa lâcheté ; 
				il se cache de son Mémoire comme d'un mauvais coup, & soutient 
				la cause de l'oppression avec une plume d'esclave.
 Malheureux ! qui es-tu ? où as-tu pris ce ton d'ironie que tu te 
				permets envers le digne Curé d'Emberménil ! Ne sais-tu pas que 
				le plus grand crime qu'un homme puisse commettre contre la.
 société, c'est de chercher à tourner la vertu en ridicule ? Tu 
				as l'audace de ricaner, en prononçant le nom de ce courageux 
				défenseur de d'humanité ! Ta plume coupable ne respecte pas même 
				les morts illustres dont il rappelle, la mémoire ! Scélérat! tu 
				imputes au vertueux las Casas d'avoir conseillé de prendre des 
				nègres pour cultiver l'Amérique ! Dis-nous qui t'a fourni cette 
				anecdote infernale ? Ah ! pense ce que tu voudras des bourreaux 
				du genre-humain ; mais laisse-nous notre Culte pour ce 
				bienfaiteur de l'humanité ; sa vertu est à l'abri de tes 
				calomnies, comme le Curé Grégoire de tes mensonges.
 Que prétends-tu par tes fades railleries sur ce nom de Curé & de 
				Prêtre ? Ne serois-tu point gêné par le courage que ces qualités 
				donnent quelquefois ? Tu parois surpris qu'un simple Curé de 
				Lorraine porte un oeil curieux sur vos riches Habitations, & 
				qu'il aille jusqu'à la source de ces richesses. Tu ne conçois 
				pas les devoirs, d'un Ministre de paix ; tu ne sens pas la 
				noblesse de son caractère. Tu devrois au moins respecter la 
				dignité éminente dont il est revêtu, celle de Réprésentant de la 
				Nation ; je te parlerais de son ame, si tu pouvois l'apprécier, 
				& de sa raison, si la tienne pouvoit y atteindre.
 J'ai lu tes Observations avec le scandale d'un homme de bien, & 
				dès ce moment, j'ai pris le parti de te communiquer les miennes. 
				Je t'ai jugé dur & méchant; il y paroît par ton style froidement 
				compassé pour justifier les crimes de l'Amérique. Tu ne donnes 
				pas le moindre signe de compassion aux maux dont tu as été le 
				témoin ; tu applaudis aux mauvaises moeurs, comme si ton pays n'étoit 
				pas susceptible d'en avoir d'autres. Tu regardes la tyrannie 
				comme une chose naturelle.
 Félicite-toi de tes Observations ; elles auroient promis au 
				despotisme un suppôt de plus. Elles te dénonceront à la 
				postérité comme un calomniateur de l'espèce humaine. Mais je te 
				renvoie trop loin ; avec tes talens, que peux-tu attendre d'elle 
				? Que peut attendre de toi le Peuplé libre à qui tu présentes de 
				pareils principes ?
 Ose retourner en Amérique avec ton écrit : Assemble les Gens de 
				Couleur pour leur lire de que t'a dicté contr'eux ton humeur 
				railleuse & insolence. Ils te croiront un monstre sorti des 
				enfers pour éterniser sur leur tête la malédiction des siecles. 
				Tu seras témoin de leur frissonnement & de lents sanglots ; 
				mais, tu n'en seras point touché. Je te devine à ton style; tu 
				es barbare avec réflexion, & tu triomphes dans ton ame de les 
				savoir malheureux. De quel air de supériorité tu insultes à ce 
				Raymond, l'un de leurs plus intrépides défenseurs. ! Ta plus 
				douce jouissance seroit peut-être d'avoir contribué à prolonger 
				leurs misère ; mais désespére-toi : leur cause est trop bonne 
				pour craindre tes coups, & la justice éternelle conspire avec 
				leurs défenseurs contre ta lâche perversité.
 Ce n'est point par des projets criminels qu'ils veulent réussir 
				; tu leur prêtes ton ame en leur supposant des desseins 
				coupables. Hélas! si leur zele les avoit emportés au-delà des 
				bornes, leur enthousiasme seroit pardonnable ; il est si naturel 
				de s'échauffer pour les intérêts de l'humanité ! Tu ne connois 
				pas ces mouvemens de la vertu, aussi tu les calomnies ; mais à 
				qui persuaderas-tu que le bon droit est de ton côté, lorsque tu 
				combats avec des préjugés contre les plus saintes loix, & contre 
				des faits avérés avec des sophismes ?
 J'avois formé le projet de répondre pied à pied à tes 
				Observations; mais ma vertu s'est indignée d'une tâche qui m'eût 
				été facile (1), si j'avois eu à ramener une ame droite & 
				honnête. Je me suis dit à moi-même : qu'ai-je à faire de suivre 
				ce méchant dans le tortueux dédale où il s'embarrasse ? Non, il 
				y auroit trop de honte à réfuter ses mensonges qui le perdront 
				en se détruisant d'eux-mêmes.
 Le moment est venu de ne plus garder de ménagemens avec ces 
				hommes affreux qui se jouent de l'humanité souffrante, & osent 
				afficher hautement le mépris qu'ils ont pour elle. Que nous 
				serviroit d'être libres, si nous craignions de sentir & de 
				communiquer aux autres l'indignation de la vertu ? Aurions-nous 
				rompu nos chaînes pour voir indifféremment les méchans attrouper 
				la foule autour de leurs fausses doctrines ? Eh ! quand 
				l'oppression est leur droit public, notre devoir n'est-il pas 
				d'invoquer contr'eux l'opinion publique ?
 Gardons-nous de ces écrits anonymes qui calomnient notre 
				liberté, en attaquant sourdement celle de nos frères. 
				Estimons-nous heureux d'appeller de ce nom les sang-mêlés ; nous 
				n'avons pas les préjugés de l' habitant observateur ; mais nous 
				avons ces senrimens d'humanité qui valent bien mieux, & les âmes 
				dignes de nous imiter, nous entendent à merveille.
 Ne nous en rapportons pas non plus à l'Anonyme fut le chapitre 
				des moeurs. Écoutons ce que dit ce législateur d'un genre 
				nouveau sur le honteux concubinage des Colonies.
 'Ce commerce illégitime, qui offense, les moeurs & la Religion 
				(il va rougir de cet aveu] est un mal nécessaire dans les 
				Colonies, où les femmes sont en petit nombre, & où les mariages 
				ne peuvent être nombreux. II prévient de plus grands vices. Les 
				foiblesses des maîtres les apprivoisent, & l'esclavage est 
				adouci. La population, y gagne, (quelle population, grand Dieu!) 
				parce que c'est moins le libertinage que le besoin, qui préside 
				à ces unions illicites ; la chaleur du climat, qui irrite les 
				désirs, & la facilité de les satisfaire, rendent inutiles les 
				précautions du législateur, pour remédier à ces abus, parce que 
				la loi se tait où la nature parle impérieusement. »
 Voilà un échantillon de ses principes moraux. II sacrifie, comme 
				on voit, l'honnêteté des moeurs au préjugé qui défend les 
				mésalliances. Il ne se souvient plus des anciennes loix qui 
				avoient voulu arrêter cette corruption ; & de l'abus des sens, 
				il en fait un code réglementaire pour l'Amérique.. Eh ! qui 
				empêche que les mariages ne soient plus nombreux ? Celui qui n'a 
				pas eu honte de corrompre une fille de couleur, rougira donc de 
				légitimer ses enfans par le mariage, & augmentera sans remords, 
				les vices d'une population malheureuse? O terre maudite du ciel, 
				malgré toutes tes richesses ! continue d'écouter de pareils 
				Instituteurs. Et toi, pauvre Nation qu'on insulte par de tels 
				écrits, ose leur donner ton suffrage, & flatte-toi d'une 
				régénération. Mon ame s'étonne de l'immoralité de l'impudent 
				Anonyme ; mais à la matière dont il juge le Curé Grégoire, je 
				vois d'ici qu'il s'étonnera de ma réflexion.
 Il veut paroître léger, & il n'est que lourd ; ses plaisanteries 
				sont d'un mauvais ton, & sa fierté est de l'insolence. On le 
				prendroit pour un de ces Ecrivains à gage, que les méchans 
				payent pour outrager leurs ennemis, & qu'on méprise à proportion 
				de la bassesse du rôle où le vil intérêt les fait descendre. 
				Quel autre motif peut l'avoir engagé à insulter grossièrement un 
				vrai habitant de nos Colonies, un citoyen distingué par son 
				caractère moral, & qu'il traite bassement du nommé Raymond, 
				comme si les oreilles françoises étoient faites à ces 
				appellations insolentes ? M. Raymond, avantageusement connu à 
				Saint- Domingue, estimé en Europe, & au moment devoir les hommes 
				libres de sa classe, rentrer par ses soins dans tous les droits 
				de citoyens, a l'ame trop noble, pour sentir une insulte qui ne 
				déshonore que l'Anonyme. II se nomme, lui, & l'autre se cache 
				derrière un rideau épais, d'où il lui décoche bravement ses 
				coups. Mais M. Raymond a-t-il jamais pris contre personne le ton 
				de l'insulte & de la vengeance ? Peut-on lui reprocher des 
				observations du genre de celles de l'Anonyme ? O esclave ! plus 
				esclave cent fois que ceux dont tu accuses calomnieusement cet 
				honnête Américain d'être descendu; je te défie de te mesurer de 
				principes avec lui, & de mettre dans tes écrits la même sagesse, 
				le même bon sens qui brille dans les siens ; tu les lui 
				contestes avec son honnêteté ordinaire ; tu donnes à entendre 
				faussement, que d'autres lui ont prêté leur plume; mais s'il se 
				fût adressé à toi pour défendre ses droits, quel service auroit-il 
				pu espérer de la tienne ? Tu ne te serois pas excusé sur ta 
				qualité d'Américain ; ils sont loin la plupart de te ressembler 
				; mais sur la froideur de ton ame pour de pareils intérêts. Et 
				ne crois pas que je te calomnie: montre-moi une seule ligne dans 
				tes observations, qui annonce une ame sensible : je t'en 
				montrerai cent qui décèlent une ame cruelle !
 O le plus barbare des hommes ! tu saisis le moment où des 
				malheureux sollicitent ce que la loi ne peut leur refuser, pour 
				leur enfoncer le poignard dans le coeur ! Tu tourmentes leur 
				liberté par des railleries, & tu tâches d'être plaisant, lorsque 
				tes semblables s'agitent fous le poids de leurs longues 
				tribulations ! Est-ce ainsi que tu acquittes la dette de ton 
				pays envers tes compatriotes que tu as vu naître, qui habitoient 
				le même sol que toi, dont les uns sont peut-être tes frères, & 
				les autres tes enfans; car les privilèges de vos climats donnent 
				une grande extension à vos familles; Ces infortunés que tu 
				persifles si cruellement dans le cours de 68 mortelles pages, 
				que t'ont -ils fait ? par quel crime ont-ils mérité cette: 
				diatribe fastidieuse ? Tu vas fouiller dans les Greffes des 
				Colonies pour prouver
 qu'il y a eu des coupables parmi eux ; le moment est bien 
				choisi, si tu veux être leur bourreau &
 celui de leur postérité, en reculant l'instant où ils feront 
				proclamés libres par l'auguste Assemblée
 qui fie fera que déclarer ce qu'ils font déjà. Mais faudra-t-il, 
				avant ce moment,, qu'ils dévorent
 l'ennui de ton écrit, qu'ils en savourent lentement toute 
				l'amertume ? Les voilà déshérités à jamais de leurs justes 
				prétentions, si l'Assemblée consacre les tiennes. Mais ici le 
				doute seroit une injure ;
 ceux qui jugeront cette belle cause, sont humains comme la 
				nature, & impassibles comme la loi.
 À qui as-tu voulu plaire ? Choisis entre le peuple des colonies, 
				& les riches des mêmes contrées. Les uns te regarderont comme un 
				lâche ennemi qui prend ses avantages pour les outrager ; les 
				autres, s'ils ont de l'humanité te mépriseront ; il n'est pas 
				d'une ame noble d'insulter à des esclaves, ou à des hommes que 
				l'on croit tels.
 Aurois-tu adopté pour ton compte la maxime des Romains ?
 Parcere sujectis, & debellare superbos.
 Mais ici où sont les superbes, si ce n'est toi? Je doute que ton 
				écrit te fasse beaucoup de conquêtes ; ni les hommes, ni les 
				femmes de notre nation ne s'accommoderont de tes airs de 
				suffisance. Nous voulons plus de prévenance dans les manières, 
				plus de franchise dans les moeurs; c'est tout ce qui manque à ta 
				personne, si elle est calquée sur ton style. Je te parle 
				librement, comme tu vois ; suppose que c'est un mulâtre qui 
				répond à tes gentillesses ; il faut que la postérité sache qu'un 
				écrit où ils font si bien, traités, n'est pas absolument resté 
				sans réponse.
 Le curé Grégoire, le nommé Raymond, & l'avocat Joli que tu ne 
				nommes pas, & ce M. Clarkson dont tu fais un homme très-vain, 
				parce que tu l'es peut-être toi-même, & les comités, & les 
				petits-maîtres, & les femmes àvVapeurs, tout est saupoudré du 
				sel de tes plaisanteries. II faut espérer que j'aurai mon tour; 
				tu as, je l'imagine, des plaisanteries de toutes les couleurs, 
				pour me servir d'une de tes plus jolies expressions que tu 
				appliques aux femmes. Je t'attends pour ce moment- là, & je te 
				prie de te nommer : il y va de ta gloire de ne pas te renfermer 
				toujours sous l'enveloppe modeste de l'Anonyme. Le grand homme 
				ne risque rien de se montrer à découvert, sur-tout lorsqu'il 
				étale les grands principes d'administration, & qu'il les met en 
				contraste avec les droits imprescriptibles de l'homme. Je suis 
				curieux de voir comment tu te tireras de la déclaration des 
				droits, en l'appliquant à la cause que tu défends. C'est un 
				défi qu'on t'a fait, & tu n'y as pas répondu. Pardonne à la 
				liberté de mon style; la révolution m'a un peu gâté ; j'ai 
				appris à tutoyer en me trouvant quelquefois avec des mulâtres; 
				je te parle la langue du pays; tu m'entendras sans doute, 
				puisque tu parois en avoir si bien conservé les moeurs. 
				Cependant on m'assure que les principes commencent à changer, & 
				alors il faudra que tu fasses une autre Brochure pour corriger 
				les bévues & les absurdités innombrables de celle que j'attaque. 
				En attendant, je te conseille d'être un peu plus circonspect à 
				l'avenir, & d'apposer ta signature à tes livres, pour t'épargner 
				de rudes leçons. Un Anonyme qui insulte le bon sens & les 
				personnes, ne mérite point de grâce, & je me charge, de gré à 
				gré, d'une commission dont les Américains s'acquitteroient 
				encore mieux que moi.
 
 SUIVENT les bévues de l'Anonyme, dans les Observations sur le 
				Mémoire de M. GRÉGOIRE.
 
 L'ANONYME débute par sortir de la question (page 1ere). Il ne 
				s'agit pas ici du panégyrique des gens de couleur, mais de leurs 
				droits incontestables. La mauvaise foi cherche à éluder la 
				difficulté ; la raison l'y ramene avec sa force invincible.
 Les injures de l'Anonyme, répandues çà & là dans son écrit, 
				prouvent d'abord la foiblesse de la cause ; mais elles méritent 
				une petite observation. Si l'Auteur est homme de lettres, 
				pourquoi se cache-t il ? Qui le devinera dans les huit lettres 
				de l'alphabet qui terminent sa diatribe ? Qui cherchera à le 
				deviner, après l'avoir lu ? L'honneur demande, ce semble, que 
				l'on se nomme, quand on défend une bonne cause, & que l'on dit 
				vrai.
 Jugeons par les précautions clandestines de l'Auteur, & de la 
				cause, & de la foi qu'on doit à son dire,
 Ensuite, quoi de plus maladroit, que d'englober dans ses 
				épigrammes M. Clarkson, qu'il regarde comme un fou ? Qui le 
				croira, lorsqu'il s'engage à prouver que cet Auteur avance 
				encore plus de faussetés que M. l'Abbé Grégoire, surtout aptes 
				avoir lu ces notes qui lui donnent le démenti le plus formel ? 
				II s'acharne contre la société des amis des noirs, dans laquelle 
				on trouve les noms les plus respectables ; tout ce qui pense 
				avec humanité, tente la griffe crochue de l'observateur. Mais 
				qu'il prouve, avant tout, que les mulâtres sont inadmissibles 
				aux avantages de la société, & qu'il ne taxe plus de fanatisme 
				leur défenseur, en disant, méchamment, qu'il aiguise les 
				poignards, dans un ouvrage consacré à l'humanité, & qui en 
				respire les plus doux sentimens. L'attrocité de l'inculpation 
				retombe sur son auteur ; c'est en cela qu'il est aussi faux que 
				méchant ; à moins qu'il ne croye que le mensonge est nécessaire 
				à sa méchanceté, & que son écrit a besoin de ce double 
				passe-port.
 Il accuse M. Grégoire d'avoir imprimé son avis, étant membre du 
				Comité de vérification. Ce n'est pas ici un fait particulier, 
				mais une question de droit public qu'on agitoit dans 
				l'assemblée, & elle n'avoit pas défendu aux membres du Comité 
				d'imprimer sur les questions de droit public; elle ne pouvoit le 
				défendre. D'ailleurs, les Membres du Comité ne jugent pas, ils 
				donnent leur avis, & on en fait le rapport à l'Assemblée 
				Nationale : que veut donc dire l'Anonyme, par ce reproche 
				insignifiant ?
 II accuse M. Grégoire d'avoir été copiste des Mémoires de M. 
				Raymond. II ne les a pas cités ; car on ne cite que pour mettre 
				à portée de vérifier. Mais est-il défendu de consulter des 
				mémoires ? Et, les eût-on copiés, qu'est-ce que cela fait à une 
				cause ? Elle est bonne ou mauvaise, voilà à quoi il faut s'en 
				tenir. Mais il est de toute fausseté que M. l'Abbé Grégoire ait 
				été plagiaire ; l'Anonyme est un impudent de l'en accuser ; 
				qu'il se nomme, & qu'il justifie son assertion aux yeux du 
				public, en attendant, on le déclare fourbe & imposteur.
 (Page 4.) L'Anonyme ne peut pas ignorer que des personnes de 
				couleur n'ayent eu des arrêts qui les déclaraient blancs ; alors 
				on pouvoit les appeller blancs ; ils l'étoient au physique, & la 
				nature rend toujours de ces sortes d'arrêts à la troisieme ou 
				quatrième génération; mais le moral des blancs se refuse à leur 
				enregistrement. Lequel est plus raisonnable, de la Nature ou de 
				ces Messieurs ?
 (Page 4.) Les Maréchaussées existent dans la plus grande & la 
				première des colonies à St.-Domingue. On ignore s'il y en a ou 
				s'il n'y en a pas dans les autres colonies. Qu'importe cela ? 
				Mais il est de fait, qu'à St.-Domingue, il n'y a que des 
				personnes de couleur dans les Maréchaussées, à l'exception de 
				l'Exempt, dans la majeure partie des Paroisses, & du Brigadier, 
				dans peut- être six Paroisses. Remarquez l'attention des blancs 
				à se réserver toujours les bonnes places.
 Les mulâtres sont si bien payés, que beaucoup d'Exempts leur 
				retiennent & emportent leur appointemens, & quand ils veulent se 
				plaindre, les prisons ou les menaces les font taire.
 L'Anonyme nous fait envisager comme le bonheur suprême pour eux 
				d'aller à cheval. Cela seul prouve une horrible vexation, c'est 
				de les en empêcher en d'autres circonstances : est-il possible 
				que l'on présente de pareilles raisons pour appuyer une si 
				mauvaise cause ?
 Quant aux captures, l'Officier blanc s'empare de tout, & fait la 
				part qu'il juge à propos au? Cavaliers.
 (Page 5.) L'Anonyme, faute de pouvoir répondre, va chercher une 
				tierce personne, qu'il appelle le nommé Raymond. Eh bien ! ce 
				nommé Raymond est habitant à Aquin, isle St.-Domingue, 
				propriétaire d'une habitation assez considérable, plein de 
				probité & de moeurs. Il a été élevé en France, ainsi que sept de 
				ses freres & soeurs, tous établis ici ou à St.-Domingue. 
				L'historique de M. Raymond est aussi peu connu de l'Anonyme que 
				sa personne; car il ne se seroit pas permis de l'attaquer avec 
				tant d'effronterie.
 On offre de prouver par dés lettres des Administrateurs, des 
				Commandans, que M. Raymond a toujours été considéré dans son 
				pays.
 Qu'importe d'où il a tiré les faits consignés dans ses mémoires 
				? ce sont des faits que ne détruiront ni les assertions 
				hasardées, ni les plaisanteries manquées de l'Anonyme.
 (Page 8.) Ici l' Anonyme ne pouvant répondre, dit que le service 
				de piquet n'a pas lieu dans toutes les Colonies, mais il a lieu 
				à St.-Domingue, & il est si dur, que M. de Bellecombe l'avoit 
				détruit, & après lui il a recommencé. Puis M. de la Luzerne l'a 
				détruit encore, & on l'a encore rétabli. Qu'on interroge ces 
				deux Administrateurs : le premier est à Montauban, le second est 
				Ministre de la Marine.
 On fait le service du piquet & celui des milices. Il n'y a point 
				de change; car le même homme qui a fait le piquet pendant huit 
				jours, est obligé le lendemain de passer la revue, sans quoi en 
				prison.
 L'Anonyme dit que ce service n'arrive que tous les 15 mois. On 
				prouvera par des ordres donnés, qu'il arrive, pour le même 
				individu, toutes les sept semaines. Ici l'Observateur, pressé 
				par la vérité, confesse que c'est un abus ; en voilà donc un de 
				bon compte, parmi cent, mille autres.
 (Page 9.) Les hommes de couleur qui réclament, n'ont point tous 
				des parens esclaves. Il ne faudroit pas exclure de certaines 
				professions ceux qui sont exempts du doute, &, en général, ne 
				pas supposer à l'espece humaine la perversité gratuite de 
				l'Anonyme.
 (Page 10.) M. l'Abbé Grégoire ne prétend pas deviner des faits 
				qui se passent à deux mille lieues de lui ; mais ces faits sont 
				prouvés au ministere & à la Nation. Que l'Anonyme auroit beau 
				jeu, si les Plaignans en avoient imposé au ministere ! Il s'en 
				tire par des mensonges & des gambades ; mais il est un peu lourd 
				dans sa chûte.
 Par exemple, quand il dit que les bâtards ne doivent pas prendre 
				des noms européens. Un nom de famille à une origine, & cette 
				origine a différentes causes ; sans quoi nous nous appellerions 
				tous Adam, comme venant de lui. Mais un Européen a un enfant 
				avec une Africaine ; l'individu qui en vient peut prendre le nom 
				qu'il voudra, pourvu qu'en prenant ce nom il ne fasse, tort à 
				personne. Peut-on le forcer de prendre un nom d'un idiôme plutôt 
				que d'un autre, quand il seroit, dix mille fois bâtard ? c'est 
				toujours, une violence de plus. On dira que cette loi n'a été 
				faite que pour Saint-Domingue ; mais en a-t-on moins raison de 
				s'en plaindre ?
 (Page 11.) L'Observateur s'assimile aux colons américains ; 
				l'est-il ou ne l'est-il pas ? c'est ce que nous pourrons 
				vérifier aisément, lorsqu'il nous aura dit son nom. Toujours 
				est-il vrai qu'il ne doit point contester la qualité de colons 
				américains à ceux qui ont des possessions en Amérique. Si les 
				siennes n'étoient, par exemple, que sur les brouillards de la 
				Seine ou de la Loire, de quel droit se donneroit il la qualité 
				d'habitant des Colonies où ce mot signifie propriétaire ?
 En un mot, pour confondre l'Anonyme sur beaucoup de faits où il 
				mêle artificieusement les autres colonies, il suffit de lui 
				dire, s'il ne le sait pas, ou de dire au Public, s'il feint de 
				l'ignorer, que les reproches des gens de couleur roulent 
				principalement sur l'isle de Saint-Domingue, & que si les mêmes 
				abus existent ailleurs, ces points de l'Amérique ne sont presque 
				rien en comparaison de cette vaste Colonie ; mais les intérêts, 
				de l'humanité sont par-tout les mêmes.
 Les mensonges de l'Anonyme viennent au secours de sa maniere de 
				raisonner, quand il est trop évident que celle-ci, ne vaut rien. 
				Ainsi il attribue, page 13, de ses Observations, à l'amour 
				propre des gens de couleur eux-mêmes, la qualité de métif ou de 
				métive, & autres, données sur les registres de Baptême, tandis 
				qu'il est prouvé que c'est un sujet de vexation pour beaucoup de 
				gens de couleur, qui, à cause du préjugé, répugnent à laisser 
				ainsi épiloguer sur leur origine.
 Quant à là défense faite aux mulâtres de manger avec les blancs, 
				elle est vraie. Les Mémoires qui en parlent ont été envoyés aux 
				Administrateurs de Saint-Domingue. M. le Maréchal de Castries en 
				avoit prévenu M. Raymond, qui, le sachant, n'auroit pas manqué 
				de revenir sur cet article, s'il étoit dans son caractere 
				d'altérer jamais la vérité, & s'il avoit à cet égard, la 
				complaisance merveilleuse de l'Anonyme. Ainsi M. l'Abbé Grégoire 
				a été mieux instruit des faits par M. Raymond, que l'Anonyme ne 
				l'a été par ceux qui lui ont fourni des matériaux ; & on peut 
				donner hardiment un démenti à celui-ci sur ses défenses, & sur 
				la manière dont il sy prend pour mettre M. Raymond en 
				contradiction, avec lui-même.
 La défense d'user des mêmes étoffes que les blancs, défense 
				faite aux gens de couleur en 1779, est de l'aveu même de 
				l'Anonyme, impolitique, maladroite & inutile. Mais il ne parle 
				pas de la dureté, es avanies & des vexations qu'elle a 
				entraînées, il s'amuse à insulter ceux ou celles qui en sont 
				l'objet, sans dire un seul mot des oppresseurs dont ils ont à se 
				plaindre.
 Il ne laisse passer aucune occasion de les rappeller à l'ordre 
				des Colonies, qui n'est certainement pas le meilleur des ordres 
				possibles ; il tâche de ridiculiser à sa manière leurs 
				défenseurs ; & avec un oeil dont la sagacité n'est pas bien 
				connue, il cherche à démêler subtilement les nuances de leur 
				peau : mais pour la vérité, la raison, l'humanité & la justice, 
				il ne s'en embarrasse point : il voudroit nous persuader que ces 
				choses ne sont point, en Amérique, des fruits du climat. Ses 
				compatriotes réclameront contre : ils n'auront garde, je l'espere, 
				de l'avouer de ses sarcasmes contre les gens de couleur, & ce 
				caractère de la peau qui n'est pas indélébile après tout, ne les 
				empêchera pas de reconnoître les droits de ceux que l'Anonyme se 
				plaît à humilier, comme s'il avoit mission pour cela, & qu'il 
				entrât dans ses intérêts de combattre les réclamations légitimes 
				de 40000 individus.
 On parle de défenses d'aller en voiture ! pag. 17. Eh ! oui, 
				Monsieur, on en parle, parce que cela est vrai, & vous auriez dû 
				traiter un peu moins lestement une pareille défense. Cela ne 
				vous semble rien, à vous qui avez pris votre parti là dessus 
				comme sur beaucoup d'autres choses ; mais ceux que l'on vexe ne 
				sont pas de si bonne composition. Vous avez beau dire que ces 
				choses n'ont trait qu'à Saint-Domingue ; je vous le répete, 
				Saint-Domingue est presque tout, vu sa population & son étendue 
				; c'est-là que les outrages font plus multipliés & mieux sentis 
				: comment faites-vous pour ne vouloir pas comprendre, cela ?
 Les gens de couleur libres, du on, ne peuvent venir en France, 
				pag. 18. Il en convient, l'Anonyme ; mais il prétend que cela 
				leur est interdit par des loix faites en France. Qui les a 
				sollicitées, ces loix ? sont-ce des Picards, des Normands ou des 
				Lorrains ? Est-ce nous qui gênons la liberté des gens de 
				couleur, nous François, qui sentons parfaitement la justice de 
				leurs plaintes? Les blancs qui demandent ces défenses ne sont 
				point François à notre maniere, cela se sent ; ils sont injustes 
				envers ces hommes dont l'Anonyme met la liberté en caractere 
				italique, comme si, elle étoit d'une espece particulière. En 
				vérité, les moyens de l'Anonyme sont bien petits, & ses 
				raisonnemens sur les faits, d'une étrange nature. Est-il 
				embarrassé ? il a à sa main des si de doute; si le fait est 
				vrai, si, si. Est-ce ainsi que l'on satisfait des gens 
				raisonnables ? A qui croit-on en imposer par des défaites aussi 
				puériles ?
 L'exclusion des charges. & emplois publics est plus certaine & 
				mieux observée, pag. 18. L'Anonyme trouve ici la sublimité de la 
				sagesse & de la morale coloniale. Pour justifier l'exclusion, il 
				prend le dernier terme de l'esclavage, & le premier degré de la 
				liberté ; mais il ne réfléchit pas qu'il est des gens de couleur 
				libres depuis plusieurs générations, propriétaires, riches, bien 
				élevés, qui ont des moeurs, & des moeurs plus distinguées sans 
				doute que ceux qui les calomnient par leurs mémoires. Ceux-là, 
				peut-être, n'abaisseroient point les charges jusqu'au niveau de 
				ces ames vénales, qui ne parlent de liberté que pour se vendre, 
				& de servitude que pour opprimer des gens honnêtes. En vain pour 
				appuyer des principes faux & étrangers à nos moeurs, on veut 
				confondre tous ces affranchis sous la même dénomination ; c'est 
				reproduire le désordre des distinctions féodales. Il semble que 
				ce droit affreux, détruit par l'Assemblée Nationale, se cantonne 
				en Amérique, pour venir de nouveau affliger la France. Car si on 
				écoute les ennemis des gens de couleur, ils argueront bientôt 
				des décisions qu'on aura données en faveur de leur système 
				anti-social, pour rétablir, aussi en France différentes classes 
				de liberté, & différentes sortes de droits.
 L'Anonyme part toujours du préjugé pour sonder la justice de ses 
				raisons, comme les commentateurs de mauvais ouvrages s'escriment 
				à tout propos pour excuser ou justifier les sottises du texte. 
				Il appelle le préjugé de la couleur, le ressort caché de toute 
				la machine coloniale. Mais de bonne-foi, à qui fera-t il croire 
				que cette machiné ne puisse subsister que par des injustices 
				nées de la fantaisie & des caprices des individus à qui leur 
				vanité persuade que ceux qui sont libres ne le sont pas, & 
				doivent toujours être traités comme des espèces d'esclaves ? 
				Voilà sur quoi il faudroit frappés, pour abolir l'infamie d'un 
				tel préjugé véritablement contraire à la prospérité des 
				Colonies, quoiqu'en disent nos Adversaires.
 Il échappe de tems en tems des aveux à l'Anonyme. Vaincu par la 
				force de la vérité, il se laisse aller, mais d'un air à faire 
				penser que cela lui coûte. Quelques mensonges par-ci par-là, 
				salissent toujours ses aveux. Il nous dit qu'en 1768, les gens 
				de couleur voulurent tous sortir des compagnies de milices où 
				ils n'étoient pas les premiers. Voilà comme effrontément on 
				dénature les faits; Oui, ils voulurent en sortir, parce qu'on 
				leur ôtoit leurs commissions d'officiers, & même pour avoir 
				épousé des femmes de couleur; s'ils étoient nobles, on leur 
				défendoit de faire enregistrer leurs titres. A beau mentir qui 
				vient de loin; cela ne détruit pas la vérité, quand d'honnêtes 
				gens s'offrent d'en produire la preuve.
 L'Anonyme, page 25, ne se montre pas trop indulgent envers les 
				blancs, qu'il fait servir de prête-noms à ceux dont ils 
				légitiment les enfans par des mariages intéressés. Il se sert de 
				cette raison pour flétrir les mariages avec les filles de 
				couleur, ce qui est une atrocité révoltante. L'Anonyme a 
				beaucoup de goût pour ces fortes d'arrangemens qui n'engagent 
				pas à grand'chose, & il en fait sa cour à ses chers 
				compatriotes. Ce ne sont pas-là des moeurs pures, il faut en 
				convenir, & ce n'étoit pas la peine de revenir si souvent 
				là-dessus, comme si l'on eût douté des principes de l'Anonyme. 
				On m'a dit que les femmes blanches des colonies ne lui sauroient 
				pas beaucoup de gré de son extrême facilité à cet égard ; elles 
				font jalouses, & il paroît que notre homme leur donnera souvent 
				le sujet de l'être encore davantage, si l'on met à profit ses 
				savantes leçons. Que voulez- vous ? Les uns vantent le mariage, 
				& ceux-là sont du bon vieux tems ; les autres approuvent des 
				liens plus faciles, & ceux-ci ont leurs partisans ; mais ce 
				n'est point avec leur doctrine que l'on peut fonder ou affermir 
				des empires.
 (Page 26.) L'Anonyme approuve très-fort que la race des noirs 
				soit livrée au mépris. Nous attendons qu'il nous donne les 
				raisons impérieuses de ce systême benin. Ne nous fâchons pas 
				contre un homme assez absurde pour avancer un tel paradoxe, au 
				mois de Décembre de l'année 1789.
 Il faut qu'il soit bien étranger à la révolution, qu'il n'ait 
				rien vû ni rien lû de ce qui s'est passé sous nos yeux, & qu'il 
				ne connoisse du droit public françois que l'abus des usages de 
				l'Amérique. Fera-t-il fortune avec sa doctrine ? C'est ce qu'on 
				ne fait pas. Il est des aventuriers qui tâtent par-tout le 
				terrein, & qui après avoir éprouvé la mobilité d'un sol libre, 
				essayent s'ils pourront appuyer le pied dans le pays de 
				l'esclavage. Mais voilà de bon compte 40,000 ennemis qu'ils se 
				font en attendant, & qui sont de la race des noirs proscrite par 
				l'Auteur. La belle recommandation pour prospérer dans un pays ! 
				Il vaudroit mieux comme Sosie, quand on en a les sentimens, se 
				dire ami de tout le monde.
 L'Anonyme qui admet l'influence des femmes de toutes les 
				couleurs, ne devroit il pas sentir qu'il est des vertus dans 
				toutes les classes, & qu'un mépris accordé généralement à une 
				espèce d'hommes, peut bien diminuer le nombre des gens vertueux, 
				mais non les détruire tout-à-fait ? C'est bien lui qui complote, 
				avec ses principes, contre l'Amérique. Il y anéantit la vertu 
				par le mépris dont il est si libéral, si prodigue même, envers 
				les Africains & leur race. Que deviendroient les blancs, si les 
				noirs agissoient en conséquence du mépris auquel l'Auteur les 
				abandonne ? Heureusement pour nos Colonies, il est des vertus 
				dans cette classe, & même de très-distinguées. Qu'il ose nous 
				démentir !
 Que veut dire l'insolent Anonyme (page 26) par les mots de 
				fanatique-révolutionnaire appliqués à M. Grégoire? Est-ce qu'il 
				prétend donner du ridicule à l'heureuse révolution qui a délivré 
				la France du joug de tant d'aristocraties combinées pour nous 
				tenir dans les fers ? Le despotisme a ses hypocrites, auxquels 
				j'opposerai les fanatiques du bien, & certainement la victoire 
				ne restera pas aux premiers. Mais ces fanatiques ne tuent ni ne 
				veulent tuer personne, que les préjugés & les mauvaises raisons. 
				Garre à l'Anonyme ! Il est fort menacé de ce double genre de 
				mort. Il s'est gratté la tête pour trouver ce vers si peu connu 
				; eh quoi!... d'un Prêtre est-ce là le langage ? Il l'applique à 
				M. Grégoire ; il lui demande s'il y reconnoît un Représentant de 
				la Nation. Pauvre Anonyme ! Quelles visions vous vous mettez 
				dans la tête ? pour reprocher de pareils desseins à quelqu'un, 
				il faudroit en avoir la preuve ; & certainement, ni la morale, 
				ni les moeurs, ni les écrits de M. Grégoire ne feront rien 
				soupçonner de semblable à personne, pas même à l'Anonyme. Sa 
				bonhommie se sera sans doute indignée intérieurement lorsqu'elle 
				aura vû sa lourde plume laisses tomber sur le papier une si 
				grosse injure.
 (Page 28.) Toujours l'Anonyme est en défaut; toujours il 
				controuve les faits, toujours il veut des distinctions 
				humiliantes. Cela lui fait plaisir ; il croit qu'il y va de sa 
				dignité d'habitant des CoIonies, & il se rengorge, en pensant 
				que la Nature s'est épuisée en Afrique & aux Antilles, pour lui 
				donner un si grand nombre d'inférieurs. Que sais-je même si, à 
				force de s'échauffer la tête, il ne les regardera pas comme ses 
				sujets ? Il dira: c'est moi qui les ai fait rentrer dans leur 
				devoir, qui ai pulvérisé leurs raisons, anéanti leurs 
				prétentions. Lisez mon Mémoire. Quelles fines ironies ! comme je 
				mene le nommé Raymond & le Curé d'Emberménil ! Ce sont 
				soixante-huit pages d'or ; cela vaut tout ce qu'on a écrit sur 
				cette matière. Messieurs les Propriétaires-planteurs, cottisez-vous 
				pour me donner une belle habitation : justifiez le titre que 
				j'ai pris à la tête de mes savantes observations ; sans moi vous 
				perdriez vos prérogatives : vous aviez des égaux, & vous ne 
				devez point en avoir ; mais ne me contestez pas de vous être 
				supérieur ; si vous en doutez, lisez ma brochure.
 Continuons de le suivre, toujours avec la preuve de ses 
				infidélités & de ses mensonges. Il veut nier les attentats 
				contre la majesté des moeurs, & il regarde ce mot de majesté 
				donné par lui aux moeurs, comme une excellente plaisanterie. 
				Oui, nous adoptons l'expression. C'est la majesté des moeurs qui 
				fait celle des Empires : des misérables se permettent de les 
				insulter, & le mépris public ne les punit pas ! Mais les moeurs 
				sont-elles moins respectables en Amérique qu'en Europe ? Est-il 
				de l'essence de ce pays-là que chaque habitation soit un serrail, 
				& qu'on veuille faire de toutes les femmes de couleur, les 
				maîtresses de Messieurs les Blancs ? En favorisant ce 
				libertinage, que gagne-t-on ? la corruption, l'opprobre, la 
				destruction de la Colonie, & rien de plus.
 (Page 31.) On est un peu surpris d'entendre dire à l'Anonyme 
				qu'il y a à St.-Domingue une tendance générale à la douceur & à 
				la modération, lorsque l'on tient à la main toutes les 
				ordonnances faites depuis 1768, contre lesquelles on réclame. 
				Faut-il nommer les Blancs qui se sont permis de commettre des 
				atrocités? on les nomera. Ont-ils été punis ? non, ils éludent 
				tout. Mais que la Nation prenne sous sa sauve-garde celui qui 
				prouvera des traits odieux restés impunis, & l'on verra éclore 
				des infamies bien révoltantes. Vous me direz, cela ne regarde 
				que des particuliers : & où en serions-nous, bon Dieu ! si tout 
				le monde en usoit de même ! Nous voulons seulement prouver qu'un 
				mauvais régime engendre de mauvais exemples ; détruisez ce 
				régime vicieux, & les exemples ne subsisteront plus ; assurez 
				les droits de ceux qui sont libres, ils vous béniront, & vous 
				n'aurez plus besoin de faire mentir des Anonymes. Ceux qui s'élevent 
				contre vous, prendront alors la plume, non pour confondre des 
				mensonges, mais pour célébrer des vertus.
 L'Edit de 1784 vouloit qu'on traitât les esclaves plus 
				humainement : l'avarice & l'orgueil de beaucoup de Blancs ne le 
				vouloit pas : de là une multitude de réclamations, dont le 
				Ministre fut étourdi & indigné. Tout ce que l'Anonyme dit à ce 
				sujet, est obscur, insignifiant, faux, cruel, & ne détruit aucun 
				fait. Sa maniere favorite est de nier ; la nôtre de fournir des 
				preuves. Nous les avons, ces preuves; le Ministre les a ; 
				l'Assemblée Nationale les connoît, & peut-être qu'elles seront 
				bientôt mises sous les yeux de toute la France.
 (Page 37.) Il est plaisant que l'habitant observateur reproche 
				aux gens de couleur un génie turbulent. Ils sont connus pour 
				être les plus paisibles des hommes, & le courage dont ils ont 
				donné des preuves en tant de rencontres, n'est rien moins 
				qu'incompatible avec la douceur de leurs moeurs. Le génie 
				turbulent est celui qui s'expatrie par cupidité, qui tente 
				toutes les routes de l'ambition, qui aujourd'hui s'irrite comme 
				un tigre, & demain se glissera comme un serpent, qui, bouffi 
				d'orgueil & de prétentions, ne doute de rien pour chercher 
				d'arriver à tout, & souvent n'arrive à rien. Que d'aventuriers 
				nos colons américains n'ont-ils pas vu de ce genre, venir 
				mendier des secours dans leurs habitations, & les payer ensuite 
				de la plus noire ingratitude ! Eux turbulens ! Eux, laborieux 
				cultivateurs d'une terre, où tout invite à une paix qui n'est 
				troublée que par les vices de l'Europe ! Eux conspirateurs, & 
				toujours opprimés ! Ceux qui les défendent, sont donc aussi des 
				conspirateurs ! Il est des gens qui voudraient le faire croire ; 
				mais cela ne prend pas plus que l'Ecrit de l'Anonyme.
 (Page 34.) Ici l'Auteur invoque le 18e siecle contre M. 
				Grégoire, & il oublie lui-même que ses préjugés le reculent vers 
				le milieu du 15e, où commença la traite des Nègres, dont il fait 
				poliment & vertueusement honneur à l'illustre las Casas, connu 
				par des qualités bien différentes de celles d'un Capitaine 
				Negrier. Il met en doute si le préjugé de couleur est plus 
				faible dans l'Inde; il assure bien, que non, tant il a de 
				facilité à nier des faits sans en apporter les preuves ! qu'il 
				nie toujours;
 Poursuivons, ou plutôt finissons ; car rien de plus dégoûtant 
				que de répondre à l'Anonyme. Les faits attestés par le 
				témoignage de M.Grégoire, dans son Mémoire en faveur des gens de 
				couleur, restent dans toute leur force. Les raisons de 
				l'Adversaire font pitié, quand elles n'excitent point 
				l'indignation, On voit bien quel est son but, c'est d'empêcher 
				que les gens de couleur ne soient assimilés aux blancs, & qu'ils 
				n'ayent des Représentans à l'Assemblée Nationale. Ce sont-là les 
				conclusions d'un avocat d'une très mauvaise cause, qu'on ne peut 
				plaider sans choquer les principes de la raison, de la justice, 
				& même de l'honnêteté. Nous en avons assez donné de preuves, ce 
				me semble.
 Quant aux railleries de l'Auteur, elles seroient bonnes, que les 
				honnêtes gens auroient peine à les goûter dans ce moment-ci. On 
				ne fait pas rire aujourd'hui des François aux dépens de 
				l'humanité : elle est là, qui étouffe ses larmes ou qui les 
				essuie, & cela déconcerte un peu les mauvais plaisans. Rions, à 
				la bonne heure, quand nous serons sortis de nos abus & de tant 
				de prétentions misérables dont nos freres supportent le poids : 
				jusques-là, je commanderai le sérieux, même à ceux qui ont le 
				plus besoin de se divertir, & je leur serai toujours un crime de 
				chercher à provoquer le rire des méchans au sujet des 
				malheureux. Il fut un tems où l'on rioit de tout ; ce tems est 
				passé, je l'espere. Pour vous, infortunés Américains, vous 
				armerez pat vos plaintes l'indignation de la vertu contre vos 
				ennemis ; & le plus grand supplice que je souhaite à celui qui a 
				lancé contre vous ce lâche pamphlet, c'est de sortir de 
				l'embuscade de l'anonyme, & de se faire connoître.
 
 
 (1) Je me suis ravisé, & j'ai suivi en effet pied à pied, 
				l'Anonyme dans les notes portées à la fin de cet ouvrage.
 
 
				Loi relative à la traite des noirs et au régime des colonies.17 mai 1802 (27 floréal an X)
 
				Au nom du peuple français, Bonaparte, Premier consul, proclame 
				loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps 
				législatif le 30 Floréal an X, conformément à la proposition 
				faite par le Gouvernement le 27 dudit mois, communiquée au 
				Tribunat le même jour. 
					
					Art. 1er: Dans les colonies restituées à la France, en 
				exécution du traité d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage 
				sera maintenu, conformément aux lois et règlements antérieurs à 
				1789.
					Article 2: Il en sera de même dans les autres colonies 
				françaises au-delà du cap de Bonne-Espérance.
					Article 3: La traite des Noirs et leur importation dans les-dites colonies auront lieu conformément aux lois et 
				règlements existants avant ladite époque de 1789.
					Article 4. Nonobstant toutes les lois antérieures, le régime 
				des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui 
				seront faits par le Gouvernement.Collationné à l'original, par nous, Président et Secrétaires du 
				Corps législatif.
 A Paris, le 30 Floréal, an X de la République 
				française.
 Signé RABAUT le jeune, Président; THIRY, BERGIER, 
				TUPINIER, RIGAL,secrétaires.
 Soit la présente loi revêtue du sceau de l'Etat, insérée au 
				Bulletin des lois, inscrite dans les registres des autorités 
				judiciaires et administratives, et le ministre chargé d'en 
				surveiller la publication. A Paris, le 10 Prairial, an X de la 
				République.
 Signé BONAPARTE, Premier Consul, Contre-signé, le Secrétaire 
				d'Etat, HUGUES B. MARET. Et scellé du sceau de l'Etat.
 Vu, le Ministre de la Justice, signé ABRIAL
 
 
				
				LE CODE NOIR ou EDIT DU ROYservant de règlement pour 
				le Gouvernement & l'Administration de la Justice, Police, 
				Discipline & le Commerce des Esclaves Negres, dans la Province & 
				Colonie de Loüisianne.
 
				LOUIS, PAR LA GRÂCE DE DIEU ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE : À 
				tous, présens & à venir, salut. Les Directeurs de la Compagnie 
				des Indes nous ayant representé que la Province & Colonie de 
				Loüisianne est considerablement establie par un grand nombre de 
				nos Sujets, lesquels se servent d'Esclaves Negres pour la 
				culture des terres ; Nous avons jugé qu'il estoit de notre 
				authorité & de notre Justice, pour la conservation de cette 
				Colonie, d'y establir une loy & des regles certaines, pour y 
				maintenir la discipline de l'Eglise Catholique, Apostolique& 
				Romaine, & pour ordonner de ce qui concerne l'estat & la qualité 
				des Esclaves dans lesdites Isles. Et desirant y pourvoir, & 
				faire connoitre à nos Sujets qu'ils habitent des climats 
				infiniment éloignez, Nous leur sommes toujours presens par l'estendue 
				de nostre puissance, & par nostre application à les secourir. A 
				CES CAUSES, & autres à ce Nous mouvans, de l'avis de notre 
				Conseil, &t de notre certaine science, pleine puissance & 
				authorité Royale, Nous avons dit, statué & ordonné, disons, 
				statuons & ordonnons, Voulons & Nous plaist ce qui suit.
 Art. PREMIER
 L'Edit du feu Roy Loüis XIII, de glorieuse mémoire, du 23 Avril 
				1615, sera exécuté dans nos Provinces & Colonie de la Loüisianne 
				; ce faisant, enjoignons aux Directeurs generaux de ladite 
				Compagnie, & tous nos Officiers de chasser, dudit Pays tous les 
				Juifs qui peuvent y avoir establi leur résidence, ausquels, 
				comme aux ennemis declarez du nom chrétien, Nous commandons d'en 
				sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des 
				Presentes, à peine de confiscation de corps & de biens.
 
 II.
 Tous les Esclaves, qui seront dans nostredite Province, seront 
				instruits dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaines, & 
				baptisez : ordonnons aux Habitans qui acheteront des Negres 
				nouvellement arrivez, de les faire instruire & baptiser dans le 
				temps convenable, à peine d'amende arbitraire ; Enjoignons aux 
				Directeurs generaux de ladite Compagnie, & à tous nos Officiers, 
				d'y tenir exactement la main.
 
 III
 INTERDISONS tous exercices d'autre Religion que de la religion 
				Catholique, Apostolique & Romaine ; voulons que les contrevenans 
				soient punis comme rebelles & désobéissans à nos Commandemens ; 
				Deffendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles Nous 
				déclarons conventicules, illicites, séditieuses, sujettes à la 
				mesme peine, qui aura lieu mesme contre les Maîtres qui les 
				permettront ou souffriront à l'égard de leurs esclaves.
 
 IV.
 Ne seront préposez aucuns Commandeurs à la direction des Negres, 
				qu'ils fassent profession de la Religion Catholique, 
				Apostolique. & Romaine, à peine de confiscation desdits Negres 
				contre les Maîtres qui les auront préposez, & de punition 
				arbitraire contre les Commandeurs qui auront accepté ladite 
				direction.
 
 V
 ENJOIGNONS à tous nos Sujets de quelque qualité & conditions 
				qu'ils soient, d'observer regulierement les jours de Dimanches & 
				de Fstes ; leur deffendons de travailler, ni de faire travailler 
				les Esclaves ausdits jours, depuis l'heure de minuit jusqu'à 
				l'autre minuit, à la culture de la terre & tous autres ouvrages, 
				à peine d'amendes & de punition arbitraire contre les Maîtres & 
				de confiscation des Esclaves qui seront surpris, par nos 
				Officiers dans le travail : pourront néanmoins envoyer leurs 
				Esclaves aux Marchez..
 
 VI.
 DEFFENDONS à nos Sujets blancs de l'un & de l'autre sexe, de 
				contracter mariage avec les Noirs, à peine de punition & 
				d'amende arbitraire ; & à tous Curez, Prestres ou Missionnaires 
				seculiers ou reguliers, & mesmes aux Amôniers de Vaisseaux, de 
				les marier. Deffendons aussi à nosdits Sujets blancs, msme aux 
				Noirs affranchis ou nez libres, de vivre en concubinage avec des 
				Esclaves ; Voulons que ceux qui auront eû un ou plusieurs enfans 
				d'une pareille conjonction, ensemble les Maîtres qui les auront 
				soufferts, soient condamnez chacun en une amende de trois cent 
				livres : Et s'ils sont Maîtres de l'Esclave de laquelle ils 
				auront lesdits enfans, voulons qu'outre l'amende ils soient 
				privez tant de l'Esclave que des enfans, & qu'ils soit adjugez à 
				l'Hôpital des lieux sans pouvoir jamais estre affranchis. 
				N'entendons toutesfois le present Article avoir lieu, lorsque 
				l'homme noir, affranchi ou libre, qui n'estoit point marié 
				durant son concubinage avec son Esclave, épousera dans les 
				formes prescrites par l'Eglise ladite Esclave, qui sera 
				affranchie par ce moyen, & les enfans rendus libres & legitimes.
 
 VII.
 Les solemnitez prescrites par l'Ordonnance de Blois & par la 
				Declaration de 1639 pour les mariages, seront observées tant à 
				l'égard des Personnes libres que des Esclaves, sans néanmoins 
				que le consentement du pere & de la mere de l'Esclave y soit 
				necessaire, mais celuy du Maître seulement.
 
 VIII
 Deffendons tres expressément aux curés de procéder aux mariages 
				des Esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs 
				Maîtres : Deffendons aussi aux Maîtres d'user d'aucunes 
				contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.
 
 IX
 Les enfans qui naîtront des mariages entre Esclaves, seront 
				Esclaves & appartiendront aux Maîtres des femmes Esclaves & non 
				à ceux de leurs maris, si les maris & les femmes ont des Maîtres 
				differens.
 
 X
 VOULONS, si le mari Esclave a épousé une femme libre, que les 
				enfans, tant masles que filles, suivent la condition de leur 
				mere & soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur 
				pere ; & que si le pere est libre & la mère Esclave, les enfans 
				soient Esclaves pareillement.
 
 XI.
 Les Maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans 
				les Cimetières destinez à cet effet, leurs Esclaves baptisez ; & 
				à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçû le baptême, ils 
				seront enterrez la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils 
				seront décédez.
 
 XII
 DEFFENDONS aux esclaves de porter aucunes armes offensives ni de 
				gros bâtons, à peine de foüet & de confiscation des armes au 
				profit de celuy qui les en trouvera saisis ; à l'exception 
				seulement de ceux qui sont envoyez à la Chasse par leurs 
				Maîtres, & qui seront porteurs de leurs Billets ou marques 
				connuës.
 
 XIII
 DÉFENDONS pareillement aux esclaves appartenant à differens 
				Maîtres de s'attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de 
				nopces ou autrement, soit chez l'un de leurs Maîtres ou 
				ailleurs, & encore moins dans les grands chemins ou lieux 
				écartez, à peine de punition corporelle qui ne pourra estre 
				moindre que du fouet & de la fleur de Lys ; & en cas de 
				frequentes récidives & autres circonstances aggravantes, 
				pourront estre punis de mort ; ce que nous laissons à 
				l'arbitrage des Juges : Enjoignons à tous nos Sujets de courre 
				sus aux contrevenans, & de les arrester & de les conduire en 
				prison, bien qu'ils ne soient Officiers, & qu'il n'y ait contre 
				lesdits contrevenans aucun décret.
 
 XIV
 Les Maîtres qui seront convaincus d'avoir permis ou toléré de 
				pareilles assemblées, composées d'autres Esclaves que de ceux 
				qui leur appartiennent, seront condamnez en leur propre & privé 
				nom de reparer tout le dommage qui aura esté fait à leurs 
				voisins à l'occasion desdites assemblées, & en trente livres 
				d'amende pour la premiere fois, & au double en cas de récidive.
 
 XV.
 DEFFENDONS aux Esclaves d'exposer en vente au Marché, ni de 
				porter dans les maisons particulieres, pour vendre, aucune sorte 
				de denrées, mesme des fruits, legumes, bois à brûler, herbes ou 
				fourages pour la nourriture des Bestiaux, ni aucune espece de 
				grains ou autres Marchandises, hardes ou nippes, sans permission 
				expresse de leurs Maîtres par un billet ou par des marques 
				connuës ; à peine de revendication des choses ainsi venduës, 
				sans restitution de prix par les Maîtres, & de six livres 
				d'amende à leur profit contre les acheteurs par rapport aux 
				fruits, legumes, bois à brûler, herbes, fourages & grains. 
				Voulons que par rapport aux Marchandises, hardes ou nippes, les 
				contrevenans acheteurs soient condamnez à quinze cens livres 
				d'amende, aux déoens, dommage & interest, & qu'ils soient 
				poursuivis extraordinairement comme voleurs receleurs.
 
 XVI.
 Voulons à cet effet, que deux personnes soient préposées dans 
				chaque Marché, par less Officiers du Conseil superieur ou des 
				Justices inferieures, pour examiner les Denrées & Marchandises 
				qui y seront apportées par les Esclaves, ensemble les billets & 
				marques de leurs Maîtres dont ils seront porteurs.
 
 XVII.
 Permettons à tous nos Sujets habitans du Pays, de se saisir de 
				toutes les choses dont ils trouveront lesdits Esclaves chargez, 
				lorsqu'ils n'auront point de billets de leurs Maîtres, ni de 
				marques connuës, pour estre renduës incessamment à leurs 
				Maîtres, si leur habitation est voisine du lieu où leurs 
				Esclaves auront été surpris en délit : sinon elles seront, 
				incessamment envoyées au Magasin de la Compagnie le plus proche, 
				pour y estre en dépost jusqu'à ce que les Maîtres en ayent été 
				avertis.
 
 XVIII.
 VOULONS que les Officiers de nostre Conseil superieur de la 
				Loüisianne, envoyent leurs avis que la quantité de vivres & la 
				qualité de l'habillement qu'il convient que les Maîtres 
				fournissent à leurs Esclaves ; lesquels vivres doivent leur 
				estre fournis chaque semaine, & l'habillement par chacune année, 
				pour y estre statué par Nous : & cependant permettons ausdits 
				Officiers, de regler par provision lesdits vivres & ledit 
				habillemeet : deffendons aux Maîtres desdits Esclaves, de donner 
				aucune sorte d'eau de vie pour tenir lieu de ladite subsistance 
				& habillement.
 
 XIX.
 Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture & 
				subsistance de leurs Esclaves, en leur permettant de travailler 
				certain jour de la semaine pour leur compte particulier.
 
 XX.
 Les Esclaves qui ne seront point nourris, vêtus & entretenus par 
				leurs Maîtres, pourront en donner avis au Procureur general 
				dudit Conseil, ou aux Officiers des Justices inferieures, & 
				mettre leurs memoires entre leurs mains ; sur lesquels, & même 
				d'office si les avis leur viennent d'ailleurs, les Maîtres 
				seront poursuivis à la Requeste dudit Procureur general & sans 
				frais ; ce que Nous voulons estre observé pour les crimes & les 
				traitemens barbares & inhumains des Maîtres envers leurs 
				Esclaves.
 
 XXI.
 Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit 
				que la maladie soit incurable ou non, seront nourris & 
				entretenus par leurs Maîtres ; & en cas qu'ils les eussent 
				abandonnez, lesdits esclaves seront adjugez à l'Hôpital, auquel 
				les Maîtres seront condamnez de payer huit sols par chacun jour, 
				pour la nourriture & entretien de chacun Esclave ; pour le 
				payement de laquelle somme, ledit Hôpital aura privilege sur les 
				habitations des Maîtres, en quelques mains qu'elles passent.
 
 XXII.
 DECLARONS les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs 
				Maîtres, & tout ce qui leur vient par industrie ou par la 
				libéralité d'autres personnes ou autrement, à quelque titre que 
				ce soit, estre acquis en pleine propriété à leurs Maîtres, sans 
				que les enfans des Esclaves, leurs pere & mere, leurs parens & 
				tous autres, libres ou Esclaves, y puissent rien prétendre, par 
				successions, dispositions entre vifs, ou à cause de mort ; 
				lesquelles dispositions declarons nulles, ensemble toutes les 
				Promesses & Obligations qu'ils auroient faites, comme estant 
				faites par gens incapables de disposer & contracter de leur 
				chef.
 
 XXIII.
 VOULONS néanmoins que les Maîtres soient tenus de ce que leurs 
				Esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce 
				qu'ils auront géré & négocié dans leurs boutiques, & pour l'espece 
				particuliere de commerce à laquelle leurs Maîtres les auront 
				préposez ; & en cas que leurs Maîtres n'ayent donné aucun ordre, 
				& ne les ayent point préposez, ils seront tenus seulement 
				jusqu'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; & si 
				rien n'a tourné au profit des Maîtres, le pecule desdits 
				Esclaves, que leurs Maîtres leur auront permis d'avoir, en sera 
				tenu, après que leurs Maîtres en auront déduit par préference ce 
				qui pourra leur estre dû, sinon que le pecule consistât en tout 
				ou partie en Marchandises dont les Esclaves auroient permission 
				de faire trafic à part, sur lesquelles leurs Maîtres viendront 
				seulement par contribution au sol la livre avec les autres 
				Créanciers.
 
 XXIV.
 Ne pourront les Esclaves estre pourvûs d'Office ni de Commission 
				ayant quelque fonction publique, ni estre constitués Agens par 
				autres que leurs Maîtres, pour gérer & administrer aucun negoce, 
				ni estre arbitres ou experts : ne pourront aussi estre témoins, 
				tant en matieres civiles que criminelles, à moins qu'ils ne 
				soient témoins necessaires, & seulement ç defaut de Blancs : 
				mais dans aucun cas ils ne pourront servir de rémoins pour ou 
				contre leurs Maîtres.
 
 
 XXV.
 Ne pourront aussi les Esclaves, estre parties ni estre en 
				jugement en matière civile, tant en demandant qu'en deffendant, 
				ni estre parties civiles en matiere criminelle ; sauf à leurs 
				Maîtres d'agir & deffendre en matiere civile, & de poursuivre en 
				matière criminelle la reparation des outrages & excès qui auront 
				esté commis contre leurs Esclaves.
 
 XXVI
 POURRONT les Esclaves estre poursuivis criminellement, sans 
				qu'il soit besoin de rendre leurs Maîtres partie, si ce n'est en 
				cas de complicité ; & seront les Esclaves accusez, jugez en 
				premiere instance par les Juges Ordinaires s'il y en a, & par 
				appel au Conseil sur la mesme instruction, & avec les mesmes 
				formalitez que les personnes libres, aux exceptions cy après.
 
 XXVII.
 L'Esclave qui aura frappé son Maître, sa Maîtresse, le mari de 
				sa Maîtresse, ou leurs enfans, avec contusion ou effusion de 
				sang, ou au visage, sera puni de mort.
 
 XXVIII.
 Et quant aux excès & voyes de fait, qui seront commis par les 
				Esclaves contre les personnes libres, voulons qu'ils soient 
				sevèrement punis, mesme de mort s'il y échoit.
 
 XXIX.
 Les vols qualifiez, même ceux de Chevaux, Cavales, Mulets, 
				Boeufs ou Vaches, qui auront esté faits par les Esclaves ou par 
				les affranchis, seront punis de peine afflictive, mesme de mort 
				si le cas le requiert.
 
 XXX.
 Les vols de Moutons, Chevres, Cochons, Volailles, Grains, 
				Fourage, Poids, Feves, ou autres Legumes & Denrées, faits par 
				les Esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les 
				Juges, qui pourront, s'il y echoit, les condamner d'estre battus 
				de verges par l'Executeur de la haute Justice, & marquez d'une 
				Fleur de Lys.
 
 XXXI.
 Seront tenus les Maîtres, en cas de vol ou d'autre dommage causé 
				par leurs Esclaves, outre la peine corporelle des Esclaves, de 
				réparer le tort en leur nom, s'ils n'aiment mieux abandonner 
				l'Esclave à celui auquel le tort a esté fait ; ce qu'ils seront 
				tenus d'opter dans trois jours, à compter de celuy de la 
				condamnation, autrement ils en seront déchüs.
 
 XXXII.
 L'Esclave fugitif qui aura esté en fuite pendant un mois à 
				compter du jour que son Maître l'aura dénoncé à Justice, aura 
				les oreilles coupées, & sera marqué d'une Fleur de Lys sur une 
				épaule ; & s'il récidive pendant un autre mois, à compter 
				pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret 
				coupé, & il sera marqué d'un fleur de lys sur l'autre épaule ; & 
				la troisième fois, il sera puni de mort.
 
 XXXIII.
 VOULONS que les Esclaves qui auront encouru les peines du foüet, 
				de la Fleur-de-Lys, é des oreilles coupées, soient jugez en 
				dernier ressort par les Juges ordinaires, & executez sans qu'il 
				soit necessaire que de tels jugemens soient confirmez par le 
				Conseil superieur, nonobstant le contenu en l'Article XXVI. des 
				presentes, qui n'aura lieu que pour les jugemens portant 
				condamnation de mort ou de jarret coupé.
 
 XXXIV.
 Les affranchis ou Negres libres qui auront donné retraite dans 
				leurs maisons aux Esclaves fugitifs, seront condamnez par corps 
				envers le Maître, en une amende de trente livres par chacun jour 
				de retention ; & les autres personnes libres qui leur auront 
				donné pareille retraite, en dix livres d'amende aussi par chacun 
				jour de retention. ; & faute par lesdits Negres affranchis ou 
				libres, de pouvoir payer l'amende, ils seront reduits à la 
				condition d'Esclaves & vendus, & si le prix de la vente passe 
				l'amende, le surplus sera délivré à l'Hôpital.
 
 XXXV.
 PEMETTONS à nos Sujets dudit Pays qui auront des Escclaves 
				fugitifs, en quelque lieu que ce soit, d'en faire la recherche 
				par telles personnes & à telles conditions qu'ils jugeront à 
				propos, ou de la faire eux mesmes ainsi que bon leur semblera.
 
 XXXVI.
 L'Esclave condamné à mort sur la dénonciation de son Maître 
				lequel ne sera point complice du crime, sera estimé avant 
				l'exécution par deux des principaux Habitans qui seront nommez 
				d'office par le Juge, & le prix de l'estimation en sera payé ; 
				pour à quoi satisfaire, il sera imposé par nostre Conseil 
				superieur sur chaque teste de Negre, la somme portée par 
				l'estimation, laquelle sera réglée sur chacun desdits Negres, & 
				levée par ceux qui seront commis à cet effet.
 
 XXXVII.
 Deffendons à tous Officiers de nostredit Conseil, & autres 
				Officiers de Kustice establis audit Pays, de prendre aucune taxe 
				dans les procès criminels contre les Esclaves, à peine de 
				concussion.
 
 XXXVIII.
 DEFFENDONS aussi à tous nos Sujets desdits Pays, de quelque 
				qualité & condition qu'ils soient, de donner ou de faire donner 
				de le authorité privée la question ou torture à leurs Esclaves, 
				sous quelque pretexte que ce soit, ni de leur faire ou faire 
				faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des 
				Esclaves, & d'estre procédé contre eux extraordinairement : leur 
				permettont seulement, lorsqu'ils croyront que leurs Esclaves 
				l'auront merité, de les faire enchaisner & battre de verges ou 
				de cordes.
 
 XXXIX.
 ENJOIGNONS aux Officiers de Justice establis dans ledit Pays de 
				proceder criminellement contre les Maîtres & les Commandeurs qui 
				auront tué leurs Escales, ou leur auront mutilé les membres 
				estant sous leur puissance ou sous leur direction, & de punir le 
				meurtre selon l'atrocité des circonstances ; & en cas qu'il y 
				ait lieu à l'absolution, leur permettons de renvoyer tant les 
				Maîtres que les Commandeurs absous, sans qu'ils aient besoin 
				d'obtenir de Nous des Lettres de grâce.
 
 XL.
 VOULONS que les Esclaves soient reputez meubles, & comme tels 
				qu'ils entrent dans la Communauté, qu'il n'y ait point de suite 
				par hypothèque sur eux, qu'ils se partagent également entre les 
				Coheritiers sans Preciput & Droit d'ainesse, & qu'ils ne soient 
				point sujets au Doüaire coutumier, au Retrait Lignager ou 
				Féodal, aux Droits Féodaux & Seigneuriaux, aux formalitez des 
				Decrets, ni au retranchement des quatre Quints, en cas de 
				disposition à cause de mort ou Testamentaire.
 
 XLI.
 N'ENTENDONS toutefois priver nos Sujets de la faculté de les 
				stipuler propres à leurs personnes, & aux leurs de leur côté & 
				ligne, ainsi qu'il se pratique pour les sommes de deniers &t 
				autres choses mobiliaires.
 
 XLII.
 Les formalitez prescrites par nos Ordonnances, & par la Coutume 
				de paris, pour les Saisies des choses mobiliaires, seront 
				observées sans les Saisies des Esclaves : Voulons que les 
				deniers en provenans, soient distribuez par ordre des Saisies ; 
				& en cas de déconfiture, au sol la livre après que les dettes 
				privilégiées auront esté payées ; & généralement que la 
				condition des Esclaves soit réglée en toutes affaires comme 
				celle des autres choses mobiliaires
 
 XLIII.
 VOULONS néanmoins que le mary, sa femme & leurs enfans 
				impubères, ne puissent estre saisis & vendus separément, s'ils 
				sont tous sous la puissance d'un mesme Maître ; Déclarons nulles 
				les saisies & ventes séparées qui pourroient en estre faites, ce 
				que Nous voulons aussi avoir lieu dans les ventes volontaires, à 
				peine contre ceux qui feront lesdites ventes, d'estre privez de 
				celuy ou de ceux qu'ils auront gardez, qui sont adjugez aux 
				Acquereurs, sans qu'ils soient tenus de faire aucun supplément 
				de prix.
 
 XLIV.
 VOULONS aussi que les Esclaves âgez de quatorze ans & au dessus 
				jusquà soixante ans, attachez à des fonds ou habitations, & y 
				travaillant actuellement, ne puissent estre pour autres dettes 
				que pour ce qui sera dû du prix de leur achapt, à moins que les 
				fonds ou habitations fussent saisis réellement ; auquel cas Nous 
				enjoignons de les comprendre dans la Saisie réelle, & deffendons 
				à peine de nullité, de proceder par Saisie réelle & Adjudication 
				par décret sur des fonds ou habitations, sans y comprendre les 
				Esclaves de l'âge susdit, y travaillant actuellement.
 
 XLV
 Le Fermier judiciaire des fonds ou habitations saisies 
				réellement, conjointement avec les Esclaves, sera tenu de payer 
				le prix de son Bail, sans qu'il puisse compter parmi les fruits 
				qu'il perçoit les enfans qui seront nez des esclaves pendant 
				sondit Bail.
 
 XLVI.
 VOULONS, nonobstant toutes conventions contraires, que Nous 
				déclarons nulles, que lesdits enfans appartiennent à la partie 
				Saisie si les Creanciers, sont satisfaits d'ailleurs, ou à 
				l'Adjudicataire s'il intervient un Decret ; & à cet effet, il 
				sera fait mention dans la derniere affiche de l'interposition 
				dudit Decret, des enfans nez des esclaves depuis la Saisie 
				réelle, comme aussi des Esclaves décedez depuis la Saisie réelle 
				dans laquelle ils estoient compris.
 
 XLVII
 Pour éviter aux frais & aux longueurs de procedures, voulons que 
				la distribution du prix entier de l'Adjudication conjointe des 
				fonds & des Esclaves, & de ce qui proviendra du prix des Baux 
				judiciaires, soit faite entre les Creanciers selon l'ordre de 
				leurs Privileges & Hypotheques, sans distinguer ce qui est pour 
				le prix des Esclaves ; & néanmoins les Droits Féodaux & 
				seigneuriaux ne seront payez qu'à proportion des fonds.
 
 XLVIII.
 Ne seront reçûs les Lignagers & Seigneurs Feodaux, à retirer les 
				fonds decretez, licitez ou vendus volontairement, s'ils ne 
				retirent les Esclaves vendus conjointement avec les fonds où ils 
				travaillent actuellement ; ni l'Adjudicataire ou l'Acquereur, à 
				retenir les Esclaves sans les fonds.
 
 XLIX.
 ENJOIGNONS aux Gardiens nobles & bourgeois, Usufruitiers, 
				Amodiateurs, & autres jouissans des fonds auxquels sont attachés 
				des Esclaves qui y travaillent, de gouverner lesdits Esclaves 
				comme bons peres de famille, au moyen dequoy ils ne seront pas 
				tenus après leur administration finie de rendre le prix de ceux 
				qui seront décedez ou diminuez par maladie, vieillesse ou 
				autrement, sans leur faute : Et aussi ils ne pourront pas 
				retenir comme fruits à leur profit, les enfans nez desdits 
				Esclaves durant leur administration, lesquels Nous voulons estre 
				conservez & rendus à ceux qui en sont Maîtres & les 
				Propriétaires.
 
 L.
 Les Maîtres âgez de vingt-cinq ans pourront affranchir leurs 
				Esclaves par tous actes entre vifs ou à cause de mort : Et 
				cependant comme il se peut trouver des Mâitres assez mercenaires 
				pour mettre la liberté de leurs Esclaves à prix, ce qui porte 
				lesdits Esclaves au vol & au brigandage, deffendons à toutes 
				personnes de quelque qualité & condition qu'elles soient, 
				d'affranchir leurs Esclaves, sans en avoir obtenu la permission 
				par Arrest de nostredit Conseil superieur ; laquelle permission 
				sera accordée sans frais, lorsque les motifs qui auront esté 
				expediez par les Maîtres paroitront legitimes. Voulons que les 
				affranchissemens qui seront faits à l'avenir sans ces 
				permissions, soient nuls, & que les Affranchis n'en puissent 
				joüir, ni estre reconnus pour tels : Ordonnons au contraire 
				qu'ils soient tenus, censez é reputez Esclaves, que les Maîtres 
				en soient privez, & qu'ils soient confisquez au profit de la 
				Compagnie des Indes.
 
 LI.
 Voulons néanmoins que les Esclaves qui auront esté nommez par 
				leurs Maîtres, Tuteurs de leurs enfans, soient tenus & reputez 
				comme Nous les tenons & reputons pour affranchis.
 
 LII.
 DECLARONS les affranchissemens faits dans les formes cy-devant 
				prescrites, tenir lieu de naissance dans nostredites Province de 
				la Loüisianne, & les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos 
				Lettres de naturalité pour joüir des avantages de nos sujets 
				naturels de nostre Royaume, Terres & Pays de notre obéissance, 
				encore qu'ils soient nez dans les Pays estrangers : Declarons 
				cependant lesdits affranchis, ensemble le Negre libre, incapable 
				de recevoir des Blancs aucune donation entre vifs a cause de 
				mort ou autrement ; Voulons qu'en cas qu'il leur en soit fait 
				aucune, elle demeure nulle à leur égard, & soit appliquée au 
				profit de l'Hôpital le plus prochain.
 
 LIII.
 COMMANDONS aux affranchis de porter un respect singulier à leurs 
				anciens Maîtres, à leurs Veuves & à leurs Enfans ; ensorte que 
				l'injure qu'ils leur auront faite, soit punie plus grievement 
				que si elle était faite à une autre personne : les déclarons 
				toustefois francs & quittes envers eux de toutes autres Charges, 
				Services & Droits utiles que leurs anciens Maîtres voudroient 
				prétendre, tant sur leurs personnes que sur leurs Biens & 
				Successions, en qualité de Patrons.
 
 LIV.
 OCTROYONS aux affranchis les mesmes Droits, Privileges & 
				Immunitez dont joüissent les personnes nées libres ; Voulons que 
				le merite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs 
				personnes que pour leurs biens, les mesmes effets que le bonheur 
				de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets, le tout 
				cependant aux exceptions portées par l'Article LIII. des 
				presentes.
 
 LV.
 DECLARONS les Confiscations & les amendes qui n'ont point de 
				destination particulière, par ces Présentes, appartenir à ladite 
				Compagnie des Indes, pour estre payées à ceux qui sont préposez 
				à la Recette de ses Droits & Revenus ; Voulons néanmoins que 
				distraction soit faite du tiers desdites Confiscations & amendes 
				au profit de l'Hôpital le plus proche du lieu où elles auront 
				été adjugées.
 
 
 Si DONNONS en MANDEMENT à nos amez & feaux les Gens tenant notre 
				Conseil superieur de la Loüisianne, que ces Presentes ils ayent 
				à faire lire, publier & registrer, & le contenu en icelles, 
				garder & observer selon leur forme & teneur, nonobstant tous 
				Edits, Declarations, Arrests, Regelemens & Usages à ce 
				contraires, ausquels Nous avons dérogé & dérogeons par ces 
				Présentes ; CAR TEL EST NOSTRE BON PLAISIR. Et afin que ce soit 
				chose ferme & stable à toujours, Nous y avons fait mettre notre 
				Scel. DONNÉ à Versailles au mois de Mars, l'an de grace mil sept 
				cens vingt-quatre, & de notre Regne le neuvieme. Signé LOUIS.
   
					
						| Rédaction : 
						Thierry Meurant |    |