L'Ancien Régime en Lorraine
et Barrois, d'après des documents inédits : 1698-1789
Cardinal François-Désiré Mathieu (1839-1908)
Ed. 1907
Les communications avec
l'Intendance était cependant fréquentes : c'est d'elle
qu'arrivaient les rôles des contributions, les ordres pour la
Corvée et la Milice, toutes sortes de prescriptions d'utilité
publique et la décision de toutes les affaires quotidiennes,
puisque, sans l'Intendant et les architectes de l'Intendant, on
ne pouvait toucher à un bâtiment communal, ni même, dit la
Commission intermédiaire, enlever un fumier sur une route (1).
Aussi de quel ton humble les pauvres gens parlent à cet homme
tout puissant, et que leurs fautes de français sont touchantes !
Les habitants de Chazelle (près Blâmont) lui exposent qu'ils
veulent rebâtir leur Église ; mais comme ils ne sont que
succursale, il faut qu'ils fassent tous les frais, et ils
veulent obtenir de traiter au rabais sans passer par
l'adjudication officielle et l'architecte de la Subdélégation :
« Les suppliants remontent humblement que leur Eglise est si
vieille et menace ruine si prochaine qu'ils n'y sont plus avec
tranquillité ; en conséquence ils ont eu recours à une personne
très instruite qui a bien voulu leur dresser un plan... M. le
Curé d'Herbéviller par sa grande bonté il nous l'a dressé
gratis. II a connu notre pauvre état et le cas qui nous oblige à
cette nouvelle construction. Espèrent de Monseigneur l'Intendant
la grâce de nous accorder le plan et devis joint à la présente
procuration. Ce sera une grande charité fait de la part de
mondit Seigneur; les habitants en auront une éternelle mémoire
et sera grâce et justice. » La requête obtient une réponse
favorable, que M. de la Porte (*) écrit en marge.
Les gens de Blémerey, hameau peu éloigné du précédent, sont
menacés d'un autre malheur : le pont qui conduit de la grande
route à leur village, vient de s'écrouler. Le conducteur des
Ponts et Chaussées de Lunéville est venu le constater, et il a
déjà fallu lui payer quarante-huit livres pour sa visite ; mais
il a fait un devis de douze cents livres, et ils expliquent
qu'ils ne pourront jamais trouver cette somme et qu'ils
aimeraient mieux passer dans la rivière « Notre communauté
n'est composée que de vingt-six habitants, point d'argent dans
la caisse, le petit bois de la communauté dégradé d'avoir bâti
une maison curiale, une tour, une sacristie, un quart du village
qui a été incendié, les deux cloches cassées, pour lesquelles
ils auront l'honneur au premier jour de vous présenter leur
requête pour être refaites, toutes ces choses exposées depuis
1780, les pauvres habitants sont abasourdis de toutes ces choses
s'ils n'ont le coeur de votre Grandeur. Les soussignés prieront
pour la conservation de votre santé. »
On regrette que pour toute réponse l'Intendant n'ait trouvé que
ces mots secs : « Nous disons qu'il n'y a pas lieu d'avoir
égard à la démarche des suppliants. »
Il faut bien reconnaître, toutefois, qu'il n'avait guère le
temps de se laisser émouvoir, car il succombait au nombre et à
la variété de ses occupations. Non content d'exercer constamment
sur les moindres affaires des villages cette tutelle minutieuse,
tous les ans, il voyait passer sous ses yeux les budgets des
deux mille communautés de sa Généralité.
1. L'Intendance avait ses courriers, que payaient
les communautés, et sur l'adresse de tous les plis officiels
étaient écrits ces mots : cinq sous (plus ou moins) au porteur.
(*) NDLR : La fonction
d'Intendant fut créée par les Français au XVIIe siècle et dura
jusqu'en 1698. Elle fut recrée pour Stanislas en 1737 et dura
jusqu'en 1789. La fonction a été occupée par
- M. de la Galaizière, père, de 1737 à 1758,
- son fils de 1758 à 1777,
- et M. de La Porte, de 1777 à 1790
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