Mignéville - Une
légion d'honneur à 104 ans
Joseph Zaleski
La Culture Physique
Août 1930
Un centenaire décoré de la Légion
d'honneur.
C'est M. Zalewski né en 1826 le 3 septembre, entrant
donc dans sa 105e année qui vient d'être décoré de la
Légion d'honneur au titre de l'Agriculture.
M. Zalewski est à Mignéville depuis sa naissance. Son
plus grand voyage fut pour aller de Bar-le-Duc à vingt
kilomètres de là... Il continue à cultiver sa terre, lit
son journal dorl bien, et mange et boit de même. Il n'a
jamais battu de record mais il a dépassé 104 ans. A cet
âge les recordmen ont coutume d'être morts depuis
longtemps et leurs os sont en poussière.
Le Quotidien de Monmartre
30 mars 1930
Sur le proposition du Ministre de l'Agriculture, on a
tout récemment décoré le doyen des ouvriers agricoles,
M. Joseph Zaleski,demeurant à Mignéville
(Meurthe-et-Moselle). La citation, qui commente et
motive cette distinction, nous apprend que le vénérable
légionnaire, actuellement âgé de 103 ans, est resté
depuis. son enfance attaché à son village et à la terre
natale qu'il cultive encore aujourd'hui avec ses
petits-enfants.
Comme on le voit, M. Zaleski a reçu le ruban rouge en
qualité de cultivateur mais surtout en tant que
centenaire. C'est, veuillez le croire, un titre qui en
vaut bien un autre et présente du moins l'avantage de ne
pas prêter à contestation. Si l'on prenait
l'habitude de décorer les Français à l'ancienneté au
lieu de les décorer à la faveur, chaque promotion de la
Légion d'honneur causerait moins de dépits, de
désillusions, de rancoeurs et ferait moins d'envieux.
Il est certain, au surplus, que le fait d'atteindre
l'âge de 103 ans sans rien devoir à personne, pas même
au docteur Voronoff, implique une dose de courage, de
ténacité et d'endurance quimérite bien sa récompense.
Mais ce n'est pas tout, M. Zaleski, qui travaille
d'arrache-pied depuis plus de quatre-vingt-dix ans,
n'est, dit-on, pas beaucoup plus riche à présent que le
premier jour. Pour arriver à un aussi beau résultat, il
faut incontestablement être un honnête homme, et cela,
c'est un phénomène assez rare pour qu'on ait bien fait
en le marquant d'une croix.
Le Mutilé de
l'Algérie
1er juin 1930
UN OUVRIER AGRICOLE
CENTENAIRE
est décoré de la croix de la Légion d'Honneur
Dans la promotion au Ministère de l'Agriculture, nous
relevons le nom de M. Zaleski Joseph, ouvrier agricole à
Mignéville (Meurthe-et-Moselle), qui est âgé de 103 ans.
Entré dans la culture comme domestique de ferme à l'âge
de 10 ans, il est resté depuis son enfance attaché à son
village et à sa terre natale et travaille encore
actuellement avec ses petits-enfants.
Il méritait d'être cité en exemple pour sa conscience
professionnelle et sa vie de labeur.
Le Petit Parisien
15 février 1930
LEGION D'HONNEUR
M. Joseph Zaleski légionnaire à 103 ans
IL FEND ET SCIE SON BOIS.
En apprenant sa nomination, il a vidé avec joie deux
coupes de champagne et a fumé un cigare !
Mignéville, 14 février (de not. env. spéc.)
Nous arrivons le soir à Mignéville, dans le canton de
Baccarat. Tout en nous conduisant chez le centenaire, le
maire nous parle du nouveau décoré.
- C'est un travailleur, nous dit-il, sobre. Mais, comme
les autres, quand il peut boire une bonne bouteille, il
ne la refuse jamais. Hier, lorsque je suis allé lui
annoncer la bonne nouvelle, il a vidé avec joie deux
coupes de champagne. Un cigare lui fait également
plaisir.
- Ça fait mieux aller la digestion, dit-il, et ça
n'empêche pas que j'aie toujours bon appétit.
La croix de notre centenaire sera remise en même temps
que celle de son fils, qui, lui aussi, vient d'être
promu chevalier de la Légion d'honneur, mais lui à titre
de lieutenant de réserve. Ce sera l'occasion d'une bien
belle fête pour le village.
Joseph Zaleski est de souche polonaise, son grand-père
vint à Lunéville comme domestique avec la suite du roi
de Pologne, Stanislas Leczinski. L'aïeul, après la mort
du roi, duc de Lorraine, conduisit une diligence. Il
partit un jour en voiture pour Rouen et l'on n'entendit
plus jamais parler de lui. Joseph Zaleski, est né à
Mignéville, le 3 septembre 1826. A neuf ans, il gardait
déjà les troupeaux et depuis lors, saut quelques mois,
en 1916, il n'a jamais quitté son pays natal, occupé
aussi depuis quatre-vingt-quatorze ans aux travaux des
champs.
II eut un fils et deux filles. Son fils, grand mutilé de
guerre de 1870, fut à Gravelotte, blessé aux jambes et
aux bras. Ses deux filles sont mortes. L'un de ses
gendres a plus de quatre-vingts ans. Il lui reste cinq
petits-enfants, douze arrière-petits-enfants et cinq
arrière-arrière-petits-enfants.
Chez le centenaire, une petite-fille de soixante ans et
un gendre de quatre-vingts ans nous accueillent. Le
Petit Parisien est un ami de la maison : un numéro du
journal git sur la machine à coudre. Nous demandons à
complimenter le centenaire, mais pour parvenir à sa
chambre, il nous faut grimper un escalier à pic aux
marches très étroites.
Un arrière-petit-fils de M. Zaleski, de la troisième
génération, nous éclaire :
- Le grand-père, dit-il, monte ici six fois par jour et
il ne faudrait pas changer son escalier !
Nous avions vu le père Zaleski le jour de son
centenaire. Le village lui avait fait fête. Il
paraissait quatre-vingts ans et aujourd'hui il ne paraît
pas beaucoup plus âgé. Trois jours avant, il venait de
recevoir la médaille agricole, après la médaille du
travail qu'il était allé chercher à Cirey, à 12
kilomètres de là, à pied.
La nouvelle de sa décoration ne l'a pas ému. Il nous
reçoit en riant
- Vous voyez, dit-il, j'ai mis mon passe-montagne,
j'allais me coucher !
Zaleski n'a rien de ces vieillards à la face ridée. Lui,
au contraire, possède un bon visage réjoui. Droit de
corps, râblé, il a bon pied, bon oeil. Mais « il n'est
pas causant parce qu'il entend « sourd ».
Le centenaire a encore bêché aujourd'hui le jardin de
ses petits-enfants. Ce matin, il a scié et fendu son
bois.
Comme un de ses arrière-petits fils lui disait de ne pas
se fatiguer. il lui répondit :
- Laisse-moi encore ce plaisir.
M. Zaleski a eu une vie très calme, mais traversée par
les guerres de 1870 et de 1914. Pendant la guerre, le
père Zaleski dut quitter Mignéville, mais il ne
s'éloigna que de quelques kilomètres et se rendit à
Vacqueville, puis Dombasles-sur-Meurthe. Il ne connaît
de l'Histoire que les répercussions qu'il en a
constatées autour de lui. Il a gardé de vifs souvenirs
qu'il résume fort gaiement. La révolution de 1848 lui
rappelle la démission du maire de Mignéville il le voit
encore jetant son écharpe et montant à cheval pour se
rendre à la sous-préfecture de Lunéville pour y donner
sa démission. De Napoléon III, le souvenir qui lui reste
c'est le voyage de l'impératrice Eugénie à Lunéville, où
de grandes fêtes furent données.
Il eut aussi deux grandes émotions. En 1913, pendant que
le barbier du village le rasait, sa maison se fendit en
deux, et la façade s'écroula sur le chemin. Le barbier
épouvanté se sauva, laissant Zaleski à moitié rasé dans
son fauteuil. Il en rit encore. En 1916, un obus
allemand détruisit complètement sa nouvelle maison,
alors qu'il se trouvait sur le seuil
- J'en suis resté sourd, dit-il.
Puis il ajoute :
- Mais je l'étais déjà avant...
Et il continue :
- Ah ! si j'avais pu tenir Guillaume II, je suis sûr
qu'il ne se serait pas remarié !
Sur la culture il nous dit aussi quelques mots. M.
Zaleski trouve que tout a bien changé. Dans le temps,
Mignéville avait son jour de vente de biens communaux.
Avant on avait plus de courage que maintenant. Pourtant,
maintenant, on gagne un argent fou, et dans son temps,
on n'avait que les mains pour travailler...
Et nous laissons le centenaire en le félicitant encore
une fois.
- Remerciez le Petit parisien, nous dit-il. Je suis
content je vais faire un beau rêve cette nuit !
P. HENRARD
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