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Fièvre typhoïde à Emberménil - 1838
 


Gazette médicale de Paris
Tome 6 - 1838

Correspondance médicale
Nouvelles remarques dur le mode de propagation et la nature de la fièvre typhoïde ; communiquées par M. le docteur PUTEGNAT, de Lunéville

[...] un jour viendra où, en dépit des vingt mille faits et de la conviction du professeur de la Charité. la contagion de la fièvre typhoïde (dans les petites localités) sera aussi évidente qu'aujourd'hui est absurde l'idée de la contagion des tubercules, en faveur de laquelle naguère on avançait des masses de faits.
Telles furent les preuves que je donnai, au mois d'août 1837. à l'Académie. Depuis cette époque appelé que je fus par le conseil municipal de la commune de Bénaménil où régnait la fièvre typhoïde pour donner des soins aux habitans de ce village, j'ai pu et j'ai dû nécessairement; ainsi que le voulaient ma curiosité et le bien de l'humanité, rechercher si des faits semblables aux précédens se représenteraient; voici ce que j'ai appris.

Obs. VII. - Un jeune homme, du nom de Laurent, gagne la fièvre typhoïde à Nancy qu'il habitait depuis peu, et revient à Bénaménil, éloigné de huit lieues de Nancy, et où ne règne aucune affection, et meurt. Bientôt les voisins du sieur Laurent qui l'avaient souvent visité tombent malades: c'est le nommé Leclerc et sa femme; c'est leur fille de 17 ans qui meurt; enfin c'est une soeur de celle-ci qui, quoique n'habitant pas sous le même toit que sa famille, est prise de fièvre typhoïde pour avoir prodigué ses soins à ses parens. Toute cette famille avait visité le sieur Laurent pendant le cours de sa maladie. En même temps, le sieur Gaspard dont la maison est voisine de celle du sieur Leclerc (et cela à tel point que son entrée est aussi celle de cette dernière) est pris de fièvre typhoïde; peu après ses deux filles s'alitent pour la même cause, ainsi que la belle-mère de Gaspard. la femme Simon qui a souvent visité son gendre.
Ainsi Il est blen évldent que le sieur Laurent a apporté la fièvre typhoïde de Nancy à Bénaménil; que c'est lui qui l'a transmise à ses voisins; remarquons encore que la demoiselle Leclerc, bien portante avant d'avoir donné des soins à sa famille avec laquelle elle n'habitait point. est tombée malade immédiatement après avoir porté des secours à ses parens.

Je viens de passer en revue les maisons voisines à l'ouest de celle du sieur Laurent, je passe maintenant à celles qui sont à l'est.
Immédiatement après la demeure de Laurent se trouve une maison habitée par deux familles: dans l'une, tombent malades le sieur Georget et ses trois enfans, dont un succombe; dans l'autre, Cuny, sa fille et ses deux garçons. s'alitent aussi pour la même fièvre.
Voilà donc Laurent qui communique encore sa maladie à ses voisins de l'est; bien plus, il la transmet à sa soeur qui, habitant un autre village, est venue à Bénaménil voir son frère.
Nous venons de voir Laurent donnant la fièvre typhoïde à ses voisins, ainsi qu'à sa famille; le voici maintenant répandant sa maladie dans son village.
Son parent, Je sieur Richard, le visite pendant le cours de son affection, tombe atteint de la fièvre typhoïde et succombe; peu après une de ses filles meurt; son fils, habitant la commune de Donjevin, vient le voir et tombe malade à son retour chez lui; une autre fille, d'une taille élevée et d'une constitution très robuste, comme les autres membres de sa famille, en maison à Emberménil, revient dans sa famille pour aider sa mère, s'alite au bout de huit jours et succombe six semaines après.
Evidemment Laurent est l'auteur des malheurs de la famille Richard. Qu'on n'oublie point de remarquer ces deux circonstances: un fils et une fille Richard qui habitent des villages voisins viennent à la maison paternelle pendant que la fièvre typhoïde y exerce ses ravages. et sont pris de cette maladie. Nier ici la contagion, ce serait ne pas croire aux choses les plus palpables; ce serait en un mot nier par système et non plus par conviction.
Je reviens aux faits. Dans les deux maisons voisines de celle de la malheureuse famille Richard, j'ai eu à soigner, dans celle de l'est, deux petits enfans Colas, leur mère et leur grand-père; dans celle de l'ouest, la veuve Dubois, une fille et deux jeunes enfans dont un a succombé. En face de Richard, la femme Pernot a été malade ainsi que ses deux filles,
Dans la maison Zabé, un fils succombeà la fièvre typhoïde; le second, qui arrive du séminaire, s'alite pour six semaines, pendant lesquelles sa mère tombe encore malade. A l'est de cette maison se trouve la famille Cherrière, dans laquelle j'ai eu à soigner le père, la mère et deux petits enfans. A l'ouest, se trouve celle de la famille Valentin qui perdit d'abord un petit garçon de douze ans, puis la mère. La jeune domestique de cette maison tombe malade, retourne chez sa mère qui demeure à l'autre extrémité du village où je n'ai encore personne à soigner, s'alite pour six semaines, donne sa maladie à l'une de ses soeurs. puis à sa mère qui succombe. Avant l'infection de la famille Valentin, un jeune homme. alité pour une fracture de la jambe gauche avant de succomber de la fièvre typhoïde. la donna à l'un de ses frères. Non loin de là, la femme Calame tomba malade, ainsi que deux filles Gasquard qui communiquèrent la fièvre à leur mère. Je dois dire que ces deux filles Gasquard furent malades pour avoir visité un nommé Voinot dont je parlerai bientôt.
Dans la maison en face de celle de Laurent (voir n. 21). non loin du sieur Pérette, une femme, dont le nom m'échappe, mourut de la 6èvre typhoïde; peu après. Pérette, beau-frère d'un nommé Vautrin qui eut aussi la fièvre typhoïde, fut pris de cette maladie, ainsi que son gendre. le jeune Voinot, habitant la même maison. Celui-ci vint à Lunéville où il succomba, Pendant qu'il était à Lunéville son frère vint le voir, resta près de lui, gagna la maladie et mourut à Bénaménil.
Près de la maison de ce dernier, j'ai soigné Léger, sa fille et son garçon; une nommée Cherriëre, une autre du nom de Stard; la famille Putegnat, composée du père, de la mère et de deux enfans; la nommée François et deux autres que je ne puis désigner par leur nom. Non loin de la fille Cherrière, j'ai trouvé un nommé Laurent qui donna sa maladie d'abord à deux filles ses proches voisines, puis à la fille Vautrin; d'ici la fièvre gagna la famille François.
De tous ces faits, il découle pour moi au moins une vérité irrécusable contre laquelle viennent se briser les vingt mille faits invoqués en faveur de la non contagion de la fièvre typhoïde; c'est que cette affection est contagieuse comme la grippe, le choléra-morbus. Autant j'al cru, sur le dire de mes maîtres, durant les cinq années que j'ai suivi les cliniques de Paris, que la fièvre typhoïde n'était pas contagieuse, autant aujourd'hui je suis forcément revenu de cette erreur, dont chaque praticien de petites localités pourra comme moi se garer, s'il prend la peine de se dégager de tout préjugé et de voir avec ses yeux.
Du moment qu'il est bien prouvé que la fièvre typhoïde est contagieuse, on est forcé de convenir que la lésion intestinale n'est point simplement de nature inflammatoire, qu'elle ne constitue point à elle seule la maladie. mais qu'elle est tout simplement un phénomène. Qu'est-ce donc alors que la fièvre typhoïde ? Je réponds : c'est une maladie générale, une affection inconnue du sang. Avec cette définition, on peut, ainsi que le dit M. Piorry, expliquer et comprendre la contagion, Ainsi une altération spéciale du sang, accompagnée d'une éruption particulière dans une certaine étendue du tube digestif constitue la fièvre typhoïde, maladie essentiellement contagieuse dans le petites localités. Parce que la contagion n'est point palpable à Paris. ce n'est point une raison pour qu'elle n'existe pas dans les petites localités, ainsi que je viens de le prouver : M. Rochoux s'est donc trompé en avançant le contraire. Bientôt j'indiquerai encore d'autres particularités niées par M. Louis ou ignorées.
Puisque, dit M. Rocboux, la fièvre typhoïde se déclare sons l'influence de causes générales, il est très-difficile de se prononcer sur son mode de propagation; il faut, dans ce cas, consulter l'expérience en grand et l'analogie : ainsi l'expérience a démontré que, quand une maladie est essentiellement contagieuse, on la multiplie en se rapprochant d'elle, et vice-versa.
Il me semble que les faits que j'ai exposés ci-dessus, et que je pourrais appuyer par un grand nombre d'autres, si je voulais encore rapporter ce qui se passe maintenant dans les villages de Réglonville et d'Augéviller, répondent à la première partie de cette objection. Voici ce que j'oppose à la seconde : d'après mon conseil, les familles A..., R..., P..., etc, etc., de Bénaménil, ont évité avec soin toute relation avec les malades; aussi n'ont-elles rien éprouvé. Ainsi, la fièvre typhoïde est contagieuse, puisqu'elle réunit les conditions de la contagion voulues par les non-contagionistes, c'est-à-dire puisqu'elle se donne par le contact, et qu'elle n'est point à craindre lorsqu'on fuit les malades.
Si toutes ces bonnes raisons ne pouvaient encore suffire, je dirais encore ceci: dans le village de Fraimbois (n° 4), la contagion était tellement évidente que les malades finirent par être abandonnés de leurs parens, de leurs amis et des gardes malades; je leur dirais qu'à Bénaménil on fuyait les malades, hormis cependant le jeune pasteur, dont le zèle, les bons soins sont au-dessus de tout éloge, surtout parce qu'il était convaincu, comme moi, de la contagion ; je dirais que dans les villages de Reglonville, d'Augéviller, actuellement ravagés par la fièvre typhoïde, tous les habîtans, et à leur tête leur curé, sont convaincus de la contagion de la fièvre typhoïde. Il m'en souvient encore, et M. l'abbé Rénaux l'a entendu comme moi, le sieur Voinot a souvent répété : «  Mon frère m'a empoisonné; j'ai senti son haleine pénétrer dans ma bouche, et c'est à partir de ce moment que je suis venu malade. » Aujourd'hui, 13 septembre, je soigne M. Régal, pâtissier à Lunéville, pour une fièvre ataxo-adynamique, qu'il a gagnée près de sa mère, à laquelle j'ai refusé de donner des soins, mais que je sais avoir succombé à la fièvre typhoïde, forme putride. Ce M. Régal est allé auprès de sa mère très souvent pendant le cours de sa maladie, et il l'a embrassée maintes et maintes fois. Ce n'est pas tout, l'épouse de ce M. Régal a eu, depuis la mort de sa belle-mère, qu'elle a très souvent visitée pendant sa maladie, une gastro-entérite. Elle était convalescente lorsque son mari s'alita; depuis lors, pour être restée près de lui, et surtout pour avoir couché quatre nuits dans son lit, elle a été reprise de sa maladie, qui, cette fois, a beaucoup de symptômes typhoïdeux.
Somme totale, la fièvre typhoïde se transmet dans les petites localités par le contact répété; donc elle est contagieuse, surtout si l'on réfléchit qu'on peut assurément l'éviter en fuyant les individus qui en sont atteints: la fièvre typhoïde est une altération sui generis du sang, accompagnée d'une lésion intestinale toute particulière.
Quand la fièvre typhoïde règne dans une famille, si elle est grave chez un malade, elle l'est aussi très souvent chez d'autres; et réciproquement, quand elle est bénigne chez l'un, elle l'est aussi chez les autres. Ce que j'ai dit des familles Humbert (n. 3), Dalstein (n. 9), Paillard (n. 15), Boulanger (n. 17), Leclerc (n. 21), Richard (n. 25), Colas (n. 27), Zabé (id.), Valentin (id.), Voinot, Putegnat, Ferrière (28), etc., etc., sert de preuve à cette proposition.
Lorsqu'un des membres d'une famille vient à succomber, il est rare que la mort ne frappe point une autre victime. Les familles Laurent, Richard, Valentin, le prouvent : il est bien entendu que cette proposition ne s'applique qu'aux malades bien soignés, et qui ne font point des imprudences comme le fils Humbert (n. 6), qui mourut pour avoir mangé de la pâtisserie.
Jusqu'alors, je n'ai pu déterminer laquelle des formes de la fièvre typhoïde est la plus apte à se transmettre par le contact; seulement je puis dire que je n'ai observé qu'une seule ataxique. qui donna une fièvre adynamique très grave (n. 17); que c'est dans la période des ulcérations que la contagion a eu lieu; que celle-ci agit facilement sur des individus malades au moral, très robustes. Je n'ai pas remarqué que les individus usés par des excès y fussent plus soumis que d'autres.
La fièvre typhoïde (forme muqueuse) peut transmettre le typhus gangréneux, et celui-ci causer à d'autres une lièvre adynamique très grave (n. 11 et 12).
La tuméfaction des parotides est assez rare dans les petites localités, attendu que je ne l'ai encore observée qu'une seule fois, et cela sur un malade de la commune de Rehainviller.
Les sudamines et les pétéchies sont rares aussi : je ne les ai rencontrés que sur un Voinot (n. 28), un nommé Laurent (id.), et sur une petite Merciol, de Lunéville, qui a succombé pour avoir mangé de la pâtisserie.
Si l'on s'en rapportait à ce que j'ai dit dans le n. 4, on croirait que, dans les. petites localités comme a Paris, la fièvre typhoïde épargne la vieillesse. Ce serait une erreur, car à Bénaménil j'ai soigné le vieillard Perette (n. 28), et le père de madame Colas (n. 27).
Très fréquemment aussi, dans les petites localités, cette maladie, contrairement encore à ce que l'on observe à Paris, attaque les enfans: témoin la petite Merciol (n. 39), les enfans Valentin, Putegnat, Cherrière, Colas, Dubois, Boulanger, Ferry, Paillard, Ducrey, Humbert, etc., etc.
La surdité ne m'a jamais paru être un signe heureux; je l'ai rencontrée également dans des cas légers, dans des circonstances graves, et dans des mortelles: à l'appui de cette proposition, je peux citer madame Anottin, moi-même, et les Voinot, etc.
Deux fois j'ai observé l'inflammation des vaisseaux lymphatiques du membre abdominal gauche, comme complication de la fièvre typhoïde; une fois elle se termina par la suppuration; chez madame Rochefort, de Xermaménil; chez moi, elle se termina par résolution, après avoir produit un oedème considérable.
La fièvre typhoïde peut, selon un fait que j'ai observé il y a quelque temps, attaquer deux fois le même individu : le docteur Lesaing, de Blâmont, est aussi de mon avis.
Dans les petites localités, la fièvre typhoïde n'attaque pas de préférence les individus non-acclimatés, ainsi que le veulent MM. Louis, Genest, Chomel, Littré. En effet, je n'ai trouvé qu'un seul malade non-acclimaté: c'est le sieur Laurent (n. 21).
Quand cette fièvre règne épidémiquement, elle attaque indistinctement les deux sexes, de préférence les adultes, les hommes faits; puis les enfans et les vieillards, qui, ordinairement, offrent, dès le début, des symptômes graves.
Cette maladie sévit également contre les individus sobres et contre les ivrognes; elle m'a paru épargner souvent les constitutions délicates, et être dangereuse chez les personnes robustes, comme madame Rochefort, la famille Richard, etc., etc. Chez les individus pauvres, malpropres et pusillanimes surtout, cette fièvre est toujours une maladie grave.
Dans les petites localités (du moins s'il faut en juger d'après ce que j'ai vu), dix-neuf fois sur vingt, la fièvre typhoïde s'annonce par des symptômes d'intoxication: ainsi la céphalalgie, la courbature, l'insomnie, etc. Après cette forme de début, la plus commune est celle qui annonce une irritation spéciale de la muqueuse gastrique; puis enfin une qui annonce une lésion intestinale particulière. Tout le monde sait qu'à Paris celle-ci est au contraire la plus fréquente. Souvent encore, on la voit s'annoncer de la manière suivante : toux sèche, opiniâtre, quinteuse, accompagnée d'un râle sibilant tout particulier et excessivement rare, céphalalgie susorbitaire continuelle, résistant à tout traitement, et une courbature extrême.
Je terminerai ce travail en disant qu'un médecin sage ne doit pas adopter exclusivement un seul traitement, pas plus les toniques du docteur Petit, que les saignées coup sur coup de M. Bouillaud; pas plus les émolliens que les chlorures du professeur Chomel et les purgatifs de M. Delaroque; qu'il doit savoir que, très souvent, il faut faire la médecine des symptômes. (Symptomata mitigantur, aphorisme 598e de Boerhaave.)

Lunéville, le 14 septembre 1838. (Meurthe.)

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