Cahier de
doléances - 1789 - Vaucourt
Cahiers de
doléances des bailliages des généralités de Metz et de
Nancy pour les Etats généraux de 1789
Charles Etienne
Ed. 1907
Baillage de Vic
VAUCOURT
Procès-verbal.
20 mars 1789,
« Sont comparus en la maison de Nicolas Lecler, syndic
de la communauté de Vaucourt. »
Communauté composée de 77 feux.
Députés Nicolas Durant,
Nicolas Janin.
Signatures : Nicolas Lecler ; Jean-Claude Mengin, maire
; N. Janin ; Joseph Gallois ; Sébastien Dieudonné ;
Étienne Leclerc.
État des doléances faites par la communauté de Vaucourt,
suivant le désir du Roi
Ne point répondre aux vues bienfaisantes du Roi serait
tout à la fois ingratitude à son égard et cruauté au
nôtre il se montre en père, montrons-lui qu'il a en
chacun de ses sujets un enfant ; répondons à sa
tendresse par les témoignages les plus grands d'une
amitié sincère et d'un dévouement sans bornes ; ce
seront tous les sentiments que supposent ces titres qui
amèneront nos réflexions et, puisqu'il nous permet de
verser nos doléances dans son sein paternel, nous
userons avec la candeur la plus respectueuse et la plus
ingénue de cette douce liberté qui mettra un jour bien
clair sur la misère d'un peuple qui l'oublie toujours
quand il songe à son Roi, et à parer à ses besoins.
Pour mettre de l'ordre dans nos réflexions, il
conviendrait d'examiner Ordre par Ordre ce qu'il peut
faire pour établir et consolider le bien de l'État, et
ce que l'État pourrait faire et établir pour le bien
d'un chacun en particulier mais, persuadés, comme nous
le sommes, que chacun aura rempli cette tâche en ce qui
le concerne, nous nous bornerons à mettre ici ce qui
regarde le Tiers état dont nous sommes membres, et nous
examinerons ce que peut le Tiers état pour le rétablir
et consolider le bien de l'Etat puis, nous considérerons
ce que l'État a à faire pour établir et consolider le
bien du Tiers état.
Le Tiers état peut tout, et rien n'est impossible à son
dévouement à son Roi et au bien de l'État, quand on lui
laisse la faculté de suivre le mouvement de cette
loyauté qui caractérise le peuple français ; toujours
affectionné à ses rois, jamais il n'a tenté, pas même
songé à des voies de fait contraires à cette fidélité, à
cet attachement qu'il a voués à ses rois et si
quelquefois il s'est trouvé entraîné hors de ces
sentiments, il n'a du ses écarts qu'à la surprise, ou à
l'oppression de ceux qui le soulevaient contre
l'autorité légitime en lui faisant accroire que c'était
pour la soutenir qu'ils l'animaient ; mais, revenu
bientôt de sou erreur, il se rangeait avec empressement
à son devoir ; et sa religion, qu'on avait surprise, le
ramenait toujours au pied de celui qu'elle lui avait
donné pour roi et, s'il s'est jamais trouvé des
traîtres, ce n'est point de cette classe de son peuple
qu'ils sont sortis. Le Roi, qui a toujours été l'idole
de la nation française, quels secours de toute espèce
n'a-t-il pas tiré de cet Ordre de son peuple ? Argent,
biens, personnes se sont toujours et sans murmure prêtés
à ses volontés et au bien de son royaume et, si jamais
il a été trompé et pillé, ce n'a pas été du Tiers état
que sont sortis les monstres qui ont si mal servi leur
Roi et la Patrie.
On a donc tout à attendre du Tiers état, dira-t-on, pour
rétablir et consolider l'organisation du royaume.
Faut-il l'avouer ? S'il fut autrefois une source dans
laquelle on puisait librement et avantageusement, elle
est maintenant tarie pour ainsi dire on y puise par tant
de voies qu'elle ne suffit plus au désir de la l'ouïe
d'altérés qui y recourent et qui l'ont desséchée ; et,
avec les meilleures dispositions, sa volonté est
stérile. Pour que le Tiers état pût encore offrir les
mêmes ressources qu'autrefois, il faudrait que tant de
moyens de lui soutirer son argent en détail et de le
réduire à une indigence continuelle soient ôtés, et lui
permissent de commercer, vendre, changer, et, par ce
moyen, mander et amasser des espèces ; il faudrait qu'il
se vit encore possesseur de ces richesses dont la
majeure partie a passé entre les mains des deux autres
Ordres qui composent avec lui l'Etat, auxquels il a été
obligé de les céder, pour pouvoir trouver les deniers
qu'il fallait fournir à l'État ou satisfaire à leur
ambition ; il faudrait que le luxe, abîme qui engloutit
tout, poison qui se glisse partout, ne mît pas dans ceux
qui ont encore quelques possessions à louer cette dureté
et cette nécessité de tirer (pour y fournir) le gain
honnête qui laisserait l'aisance dans les campagnes.
Que reste-t-il donc au Tiers de cette ancienne faculté
avec laquelle il se portait au besoin de l'État et en
alimentait l'opulence ? Hélas qu'est devenu ce temps, où
nos bons et généreux ancêtres contestaient entre eux à
qui payerait plus au Roi et à l'État ? Les larmes
qu'arrache à nos yeux notre misère nous le font
regretter, tandis que les sanglots dont le souvenir
gonfle notre coeur nous en rappellent bien durement la
différence.
Ce n'est donc pas d'un Ordre affaibli, dénué et accablé
de besoins lui-même que l'État [a] à attendre de grands
secours pour parer aux siens et cet Ordre, qui est le
tronc sur lequel les deux autres sont entés, se trouve
sans sève pour se l'être vu sucer par les deux branches
qui sont sorties de lui, et qui voudraient encore lui
enlever la modicité qui lui en reste et l'obliger à les
vivifier.
Il est donc incontestable que tant que l'État n'aura pas
fait pour le Tiers des sacrifices et mis une autre
organisation, le Tiers sera toujours dans
l'impossibilité, non seulement de fournir à ses besoins,
mais même de se soutenir humainement, vu l'état actuel
des choses et l'accroissement de misères qui depuis
plusieurs années a pris son cours pour ne cesser, à ce
qu'il semble, qu'avec les victimes qu'elle sacrifiera si
on n'y met ordre.
Mais qne sont ces sacrifices ? quelle est l'organisation
que l'État a à établir pour revivifier le Tiers et tous
les Ordres du royaume, et en attendre pour la suite des
ressources solides et abondantes ? C'est ce que nous
allons exposer.
ART. 1. - Il parait essentiel que l'on ne mit et établît
aucun impôt, soit direct ou indirect, sans le
consentement de la Nation et que pour des temps limités.
La raison qui fait demander cela n'est point du tout la
méfiance que la Nation aurait de l'emploi juste que le
monarque ferait des deniers qui en viendraient mais
c'est pour obliger les ministres, gardiens du trésor de
l'État, à regarder les finances comme un dépôt sacré, et
ne plus voir, par des malversations, la tendresse du Roi
gémissante et la Nation obérée et épuisée : l'obligation
où seraient les ministres d'accuser à la Nation et au
Roi l'emploi raisonnable et nécessaire de ces deniers
les tiendrait dans la circonspection,, et les mettrait
dans le cas de montrer aux sollicitants puissants,
importuns et prodigues, l'impossibilité où ils sont de
se rendre à leurs poursuites ; de là quelle économie !
Nous demandons avec d'autant plus d'insistance
l'obtention de cet article, que, quoique éloignés de la
capitale, la rumeur nous a transmis une idée des
profusions qui épuisaient le Trésor, et par là les
citoyens.
ART. 2. - On demanderait que chaque province ait des
États provinciaux, et que les États fussent chargés de
la répartition des impôts mis par le Roi et la Nation
sur la province, et versassent eux-mêmes, aux frais de
la province et sous son cautionnement, les deniers
immédiatement dans les coffres du Roi : d'où naîtrait la
suppression des receveurs, et de cette foule de
personnes gagées très grassement et préposées à la
manipulation de ces deniers, et qui, par leurs gages, en
absorbent une bonne partie ;ce qui tournerait au profit
de l'État, parce qu'il recevrait sans diminution toute
la perception de ces deniers' dans la suppression des
gages des préposés.
ART. 3. - On demande que, chaque neuf ans révolus, il
entre dans la constitution de la monarchie que les trois
Ordres qui composent l'État portent chacun à part leurs
doléances au pied du Trône ; la raison qui fait faire
cette demande est que, [au] fur et à mesure que l'on
s'éloigne de ces époques heureuses qui ramènent l'ordre
et l'harmonie dans un État, les établissements sages et
bienfaisants se débilitent, se dénaturent et changent en
abus qui croissent et se multiplient ; d'ailleurs, le
Tiers état a son intérêt à le demander ; il est le seul
auquel les avenues du Trône soient fermées et empêchées
par une foule d'intéressés à ne pas laisser apercevoir
au monarque qui y est assis la situation affligeante où
cette portion la plus nombreuse et la plus intéressante
de son Etat est quelquefois réduite.
ART. 4. - On demande qu'en qualité de citoyens les
membres du Clergé, de la Noblesse et du Tiers fussent
imposés au prorata de leurs biens et fortunes et
bénéfices ce ne sont pas les personnes seules qui
doivent à l'État, mais les biens ; et on sait qu'une
bonne partie est entre les mains des deux premiers
Ordres qui, avec les privilèges et les distinctions
honorifiques et exemptions dont ils jouissent, sont les
corps les plus opulents et qui pèsent le plus sur le
Tiers. Cependant, on ne demande pas que tous ces Ordres
soient confondus dans les répartitions, mais qu'une fois
la cote d'imposition assignée à chaque Ordre, chaque
Ordre se la répartisse entre lui-même avec ces
précautions que demande toute impartialité, qui étouffe
tout intérêt personnel. De là, quel accroissement dans
les revenus de l'Etat
ART. 5. - On demande que les princes auxquels on donne
des apanages soient apanagés de manière qu'ils aient un
apanage répondant à l'éminente origine dont ils sortent
et au rang qu'ils occupent et doivent occuper mais que
ces apanages soient fixés une fois et ne varient plus.
ART. 6. - On demande que la noblesse ne soit accordée
dorénavant que du voeu et consentement des États généraux
; les exemptions, privilèges, prérogatives dont elle est
gratifiée, et qui pèsent sur la roture, semblent étayer
la demande qu'en fait le Tiers. On demanderait aussi
qu'elle ne soit plus affectée à certaines charges de
justice ou de finance, ce qui ouvre à l'orgueilleuse et
oisive opulence roturière, qui rougit du plus ancien et
laborieux Ordre du monde, les moyens de se singulariser
aux dépens de ses semblables et d'acquérir à prix
d'argent ce dont elle se sent quelquefois indigne par
son propre mérite.
ART. 7. - On demande que les parlements soient composés
des trois Ordres ; ils jugent les trois Ordres, n'est-il
pas raisonnable qu'ils soient composés des trois Ordres
? L'esprit et l'intérêt de corps sont toujours dangereux
à la justice et doivent être évités.
ART. 8. - On demande que les charges soient diminuées de
nombre et ne soient plus à finances, mais à gages, et
qu'on n'en exclue plus de certaines le Tiers, et qu'il
soit appelé par concours ou scrutin à ces charges, et
que les gages soient pris sur un tiers des revenus des
prieurés, commendes et chapelles que l'on supprimerait
(à l'article vingt-cinquième).
ART. 9. - Avant de demander une réforme dans la manière
de rendre justice dans les corps, parlements,
bailliages, etc., chose dont on a grand besoin, on
aurait désiré pouvoir donner un plan qui puisse
remplacer l'usage actuel ; mais c'est à des gens de loi,
et non à des cultivateurs, d'y pourvoir. Nous supplions
cependant qu'on y travaille ; les frais immenses que la
forme actuelle occasionne ruinent même ceux qui
remportent avantage dans les tribunaux.
ART. 10. - On demande instamment la suppression d'une
charge bien onéreuse pour le peuple, qui est celle des
huissiers-priseurs il n'y a qu'un cri là-dessus. Nous
n'avons à ajouter à tout ce qu'en ont dit tant de zélés
citoyens que nos plaintes et nos doléances sur
l'existence d'une semblable charge et si, après
l'étonnement où nous sommes que quelqu'un ait pu
imaqiner un moyen si ruineux pour la Patrie, la veuve et
l'orphelin, quelque chose peut encore nous surprendre,
c'est de la voir encore subsister ce qui nous ferait
douter que les plaintes multipliées que cette charge
occasionne ne seraient point parvenues jusqu'à la
tendresse du Roi pour ses peuples.
Art. 11. - On demande que le nombre et le taux des
pensions soient diminués. Combien de solliciteurs
adroits savent profiter d'une heureuse occasion, ou
poursuivre avec opiniâtreté pour obtenir une pension, et
quelquefois en réunir plusieurs à la fois sur une tête,
et qui l'ont mérité bien légèrement, ou qui pourraient
s'en passer ? Que de sangsues de cette espèce sucent le
corps exténué de l'Etat, pour avoir de quoi fournir plus
abondamment à un luxe ? De qui de pareils gens sont-ils
l'amis ? Est-ce du Roi qu'ils trompent ? Est-ce de
l'Etat qu'ils chargent et grèvent ? La suppression et
réduction de bon nombre de ces pensions grossiraient à
coup sûr le Trésor.
Art. 12. - On demande que la pension des ministres qui
se retirent ou qu'on renvoie soit diminuée, et qu'au
lieu d'en accorder à ceux qui malversent, ils soient
punis quel mérite y-a-t-il aux yeux de la Nation de ne
lui être utile dans un temps que pour dans la suite lui
être à charge ou s'enrichir à ses dépens ? Ce sont des
économies qu'il lui faut, et non des pensionnés.
ART. 13. - On demande qu'il soit permis aux communautés
de chasser et détruire avec des armes à feu, et en
corps, les bêtes sauvages dans le temps où les récoltes
sont prêtes à se faire la chasse dont sont si jaloux les
seigneurs, et pour le plaisir barbare de laquelle ils
conservent et font garder si soigneusement leurs forêts,
a nombre de fois fait gémir le pauvre cultivateur qui
voyait, sans oser se plaindre, ses moissons foulées, ses
champs renversés par les bêtes sauvages, sans espoir
d'indemnité (de la part du seigneur auquel la chasse
appartient) qui pût le dédommager de la perte qu'il fait
et des frais que ses maîtres lui occasionnent pour
poursuivre l'acquit d'un canon qu'il se trouve dans
l'impossibilité de leur payer par le ravage de ces
animaux.
ART. 14. - On demande ou la suppression des intendances
et subdélégations, ou qu'il soit établi un moyen de
pouvoir rappeler des opérations qui s'y font et en
montrer l'injustice : tous ces tribunaux, où le pouvoir
arbitraire est absolu, sont sujets à une quantité
d'opérations dont on a souvent à se plaindre ; et la
diligence que l'on est dans le cas d'attendre de ces
tribunaux n'a souvent lieu qu'après quelques dépenses
qui pèsent encore sur les communautés ou les
particuliers.
ART. 15. - On demande la suppression des corvées et
banalités. Quant aux corvées, nous avons à nous plaindre
que, sans avoir jamais vu de mandat de Monseigneur
l'intendant, ou nous ait, dans des temps impraticables
et chaque année, forcés, sous un simple ordre du
subdélégué, de conduire par corvée, à quatre lieues de
distance, le bois de l'état-major de Marsal ; jamais
nous ne refuserons de marcher à l'ordre du Roi ; et,
pour son service, nos vies, comme notre amour, lui sont
dévoués. Mais on sent à quoi nous serions exposés si
nous ne réclamions contre des voies de fait qui nous
grèvent, et exigées sans autorité légitime. Pour les
banalités, nous n'en sommes pas gênés à la vérité mais
ne devons-nous regarder que nous seuls ? Cette dure
servitude où sont de nos semblables ne nous
afflige-t-elle pas autant qu'elle les gêne ? Comment des
hommes qui se piquent d'humanité et de raison osent-ils
encore laisser subsister des droits qui nous retracent
l'odieuse servitude des siècles passés ? Quelle excuse
peut les innocenter ? Un bénéficier dira-t-il qu'il est
obligé de conserver et transmettre à ses successeurs des
droits qu'il a juré de ne point laisser dans l'oubli ?
Mais que pourront lui reprocher ses successeurs, quand
le Roi et la Nation les auront abrogés et anéantis ?
D'ailleurs, il est aisé de sentir que ce n'est pas tout
à fait le dessein de transmettre à un successeur ce
droit odieux, qui ne le fait pas supprimer par ceux à
qui il est dévolu ; le revenu qu'on en fixe et qu'on
stipule dans un acte, et qui diminuerait notamment, est
bien la cause de son existence. Hélas combien d'êtres
essayent de cacher ainsi leurs âmes intéressées sous des
voiles aussi transparents.
C'est à cet article que l'on peut joindre un juste sujet
de réclamation sur le droit que prétendent avoir les
gouverneurs de provinces de retirer à volonté le droit
de port d'armes qu'ils ont laissé à prix d'argent, et le
rendre moyennant le payement d'un écu qu'ils exigent de
nouveau pour leurs secrétaires ; si ce droit n'est pas
contestable, il ne dépendra donc que d'un gouverneur de
le supprimer autant de fois qu'il le voudra dans un an
ou un certain espace de temps, ou qu'il changera de
secrétaire, et le rétablir autant de fois moyennant
cette imposition, et, par ce moyen, soutirer autant
d'écus qu'il voudra au Tiers qui, seul, a besoin de
cette permission ne voit-on pas que c'est là une
singulière manière de le vexer ? Car, ou c'est la
nécessité qui oblige les individus du Tiers à le
demander, et la justice veut qu'il lui soit accordé
gratis pour sa défense et sûreté, ou c'est le seul
plaisir de jouir de la liberté de porter une arme, et,
dès lors, l'esprit de la loi est éludé, qui a interdit
l'usage des armes à tout être qui, pour des raisons de
sûreté, n'en a pas besoin: hélas ! que de servitudes
semblables lèsent et épuisent le Tiers
ART. 16. - Les salines feront aussi un objet de
réclamation bien pressant pour nous ; quand on considère
d'un côté leur inutilité pour la province et le royaume,
et de l'autre la gêne, la misère et les plaintes
qu'elles causent parmi nous, on serait tenté de croire
qu'en voulant les laisser subsister telles qu'elles
sont, on veut réduire l'espèce humaine, et dans quelque
temps, à souffrir au milieu des bois un tourment à peu
près semblable à celui que la fable nous rapporte de
Tantale au milieu des eaux. D'abord, on ne peut
disconvenir que ces salines ne soient inutiles à la
province et au royaume. 1° La province et le royaume
peuvent s'en passer ; on sait qu'il existe des moyens
moins dispendieux et moins onéreux à la province d'avoir
du sel ; on les indiquera quand on le désirera, et les
Assemblées provinciales l'ont déjà fait. 2° Le produit
et sel de ces salines ne se consomme pas tout dans la
province et le royaume ; il passe en grande partie à
l'étranger qui, sans qu'il lui en coûte d'autre
sacrifice, ne le paye qu'à raison de trois liards et un
sol la livre, et du gros sel, tandis que nous, auxquels
on prend nos bois, le payons à raison de huit sols, et
du sel menu. D'après cela, où est donc l'avantage pour
la province d'avoir des salines, ou pour le royaume ?
Hélas il ne faut que voir les étalages et dépenses de
ceux qui en sont les fermiers pour voir que ce n'est pas
l'État seul qui y gagne. Est-il donc raisonnable de
sacrifier le bonheur et la tranquillité de tant de
milliers d'âmes que renferme une province pour
satisfaire l'avide intérêt de quelques particuliers qui
viennent au milieu d'eux les narguer par leur opulence
et leur faste ? Mais, si d'un côté on voit l'inutilité
de ces salines pour la province et le royaume, chose que
nous n'avons pas mis dans tout son jour de peur d'être
trop diffus, on conçoit bien aussi la gêne, la misère et
les plaintes qu'elles occasionnent parmi nous : 1° gêne
du côté des employés destinés à parer à la contrebande
tant du sel que du tabac, dont le nombre exorbitant
effraye, tant par l'inquiétude et la terreur qu'ils
donnent à ceux même qui n'ont rien à se reprocher que
par l'argent prodigieux qu'il faut pour payer si
grassement les argus vigilants, mais inutiles,
persécutés et persécutants, et dont la conduite à
l'égard du peuple répond fort bien à l'intérêt de ceux
qui les entretiennent ; 2° gêne du côté de la
Réformation établie pour la conservation des bois
affectés à ces salines, et dont les gardes, qui ont part
aux rapports (chose inique) qu'ils peuvent faire, sont
intéressés à les multiplier, et à exercer une espèce de
petite tyrannie sur les habitants de nos campagnes,
auxquels ils mettent des entraves qu'il faut lever
souvent un peu chèrement et dont l'intérêt toujours
oppresseur soutire de toute manière au pauvre peuple ;
3° gêne du côté du bois, qui, étant tout affecté aux
salines, ne nous en laissent point pour parer aux
rigueurs d'un hiver et fournir aux besoins quotidiens
soit pour le feu, charronnage, charpente, ou autre chose
dont le besoin journalier et renaissant ne peut se
satisfaire ; 4° gène du côté du sel dont nous
abonderions et servirions à une foule de choses comme
engrais des bêtes, etc., et dont nous sommes obligés de
nous priver pour nous-mêmes, à raison de sa cherté et de
son poids qui fait qu'étant souvent humide, soit à
dessein ou accidentellement, diminue notablement la
quantité qu'on espérait en avoir.
Il ne faut pas, après cela, être surpris de la misère
qui se fait sentir à l'occasion de ces salines, misère
qui parait dans le dépérissement notable des individus
et qu'il est aisé de concevoir : il faut an corps une
chaleur, ou naturelle ou artificielle, sans laquelle les
pores se ferment, les fluides s'épaississent, les
organes s'engourdissent, et la nature dépérit ; le
naturel manquant, il faut, recourir à l'artificiel. Mais
quel moyen, quand, d'un côté, les salines qui
engloutissent et consument tout le bois ne nous en
laissent point, quand, d'un autre, la tyrannique
Réformation, ce tribunal voué entièrement à l'intérêt de
ceux qui eu ont obtenu l'établissement et qui le
rétribuent, nous fait payer en frais la triple valeur
d'un chétif fagot que la nécessité nous oblige à
chercher dans la forêt pour nous réchauffer, et notre
famille, dont la douleur et les cris, à un âge tendre
qui ne paraît pas encore fait pour souffrir, ajoutent
encore à notre misère ? Passe encore si elles se
contentaient des bois qui leur sont affectés ; mais,
portant leur ardente et brûlante voracité sur tout,
elles s'attribuent tous les bois et adjudications des
particuliers, qui sont hors même de leur arrondissement,
en vertu d'un privilège qu'elles disent leur être
accordé et qui, à coup sûr, a été surpris à la religion
du Conseil ; et défendent de façonner aucun bois de
chauffage de quatre pieds de longueur, de manière que
nous nous trouvons réduits à en manquer absolument,
attendu que, dans l'arrondissement qui leur est assigné,
elles s'emparent de tous les bois et que, passé cet
arrondissement, il ne se façonne de bois que de quatre
pieds de longueur, qui devient contrebande pour nous. Ah
! sans doute la tendresse du Roi n'a point encore été
informée de cette manière d'opprimer son peuple par un
monopole si odieux. Quel spectacle offre dans un hiver
rigoureux l'asile des indigents ? Qu'on se peigne, s'il
se peut, l'affreuse misère que respirent ces chaumières
dans lesquelles gît un pauvre, et qui, par surcroît
d'infortune, se trouve malade dans une saison dure telle
que cet hiver nous l'a donné ! Couché sur la paille,
couvert légèrement, dans une chambre où le froid, le
vent et l'indigence viennent fondre sur lui et sa
famille éplorée, dépourvue de feu qui corrige les
miasmes putrides qu'exhalent et la terre humide qui sert
de plancher et le malade lui-même, miasmes qu'il est
obligé d'aspirer et respirer mille lois, et qui, à coup
sûr, deviennent de plus en plus putrides : de quel
secours ne serait pas et quel bien ne ferait pas un feu
qui, en même temps qu'il réchaufferait l'atmosphère, en
corrigerait la malignité et égayerait un malade ? Mais
il faut aux salines ce qui rachèterait la vie et
rendrait la santé à un individu ; et, dans le calcul des
traitants, un muid de sel a une valeur supérieure à
celle d'un homme : ô soif inhumaine de gain, et que la
bienfaisance d'un roi réprimera sans doute !
Ce n'est pas la portion pauvre du peuple qui souffre
seulement, quoique la plus nombreuse, mais celle des
riches encore, dont les doléances s'expriment sur le
même ton d'où on conçoit que, si la réclamation est si
unanime et si pressante sur l'oppression et le tort que
font ces salines, chacun opinera à les supprimer, ou à
les réduire au point qu'il ne leur fallût que le tiers
de bois qu'ils consument ce qui aura lieu quand, dans
chacune, on aura diminué les deux tiers des bassins qui
servent à cuire le sel ; pour lors le bois, cette denrée
de première nécessité, deviendra suffisamment commune.
On dira peut-être que le Tiers état n'est pas
généralement si misérable qu'on voudrait le laisser voir
; mais la misère n'a- t-elle déjà pas assez de victimes
de ceux qui souffrent ? Voudrait-on donc qu'ils soient
tous soumis à la dure tyrannie et dure obsession où est
l'humanité ?
Dira-t-on aussi que les commissaires que le Roi a
envoyés pour examiner la forêt n'ont pas vu cette misère
et pénurie de bois ? Mais en leur montrant la quantité
de forêts qui nous environnent, on ne leur a pas dit que
les salines les dévoraient toutes. Ils ont vu
l'abondance dans l'asile qu'on leur a donné ; mais on ne
les a pas conduits où la misère elle-même gémissait ; on
n'en avait garde. D'après cela, il n'est pas surprenant
qu'ils aient fait un rapport favorable à l'intérêt de
ceux qui les éblouissaient par leur opulence. N'est-ce
pas le moyen qu'on emploie encore pour masquer à un
souverain, quand il voyage dans la province, l'infortune
de ses peuples ? On les oblige à faire des
réjouissances, et autre chose, pour lui laisser
entrevoir que la misère n'est pas aussi grande qu'elle
l'est, et rejeter les plaintes du malheureux ou ne pas
les écouter, et l'empêcher de découvrir les agents
barbares qui les vexent et les écrasent à son insu et
les punir comme ils le mériteraient. Si on demande à
quoi serviront pour lors leurs emplacements et bâtiments
en cas de suppression, il est aisé d'y établir des
manufactures de toutes espèces qui occuperont les mêmes
bras et répandront l'abondance.
ART. 17. - Les traites foraines, hauts-conduits, forment
encore un objet de plaintes. On sait ce que les traités
d'échange ont accordé à la province des Trois-Evêchés et
maintenant tous ces avantages ne sont plus conservés ;
la multiplicité des droits et des endroits où il faut
les acquitter exposent les personnes, même de la
meilleure foi, à se trouver délinquantes il faudrait une
étude de plusieurs années pour retenir et savoir à quoi
dans chaque bureau on est tenu, et pour quelle espèce de
denrées il faut payer ; les services mêmes que l'on est
dans le cas de se rendre mutuellement exposent à une
foule de désagréments ; que sur une voiture, charrette
ou hotte, etc., si nous portions par service et sans
rétribution d'un endroit voisin à un autre un meuble
qu'on nous a prié de transporter, si on a oublié un
acquit que l'on ne soupçonne pas nécessaire, alors la
Ferme nous fait payer cher ce service que nous rendons
et nous ôte toute envie d'être utile dans la suite.
A quoi donc servent de telles entraves entre sujets du
même prince ? N'est-ce pas là un joug insupportable et
ruineux et contraire à la tranquillité ? Cette foraine,
etc., est un labyrinthe dont on ne peut deviner l'objet,
sinon de tendre un piège à la bonne foi et à la
tranquillité Rien n'est exempt de cette cruelle et
gênante imposition. Elle renchérit tout et se perçoit
sur tout, cuirs, fers, etc. Tout cela est tellement
renchéri à raison des taxes que le tyrannique et despote
intérêt de la Ferme ne cesse d'augmenter, qu'on n'ose
plus se servir des choses de première nécessité : on
tire sur le pauvre peuple tout ce que l'on peut, et de
toute manière après cela, doit-on être surpris de son
extrême indigence et de ses réclamations ?
ART. 18. - On demande la suppression des Maîtrises dont
les gages et honoraires exorbitants absorbent la
meilleure partie du produit qu'ont à attendre les
communautés et, de leurs opérations, on peut adjuger aux
États ou Assemblées provinciales les fonctions de ces
tribunaux ruineux et inutiles.
ART. 19. - On demande l'établissement, canton par
canton, de chirurgiens-médecins. La distance de certains
villages des villes où il en réside expose souvent les
citoyens à périr faute de secours ; on demanderait
qu'ils soient stipendiés du produit de la suppression
des couvents, abbayes isolées, et non attenant à des
villes, bourgs et gros villages.
ART. 20. - On demande qu'en faveur de l'agriculture on
laissât aux cultivateurs un nombre de domestiques
proportionné à leur train, francs de la milice, et qu'on
ne soit plus à la merci d'un subdélégué qui agit
arbitrairement dans cette fonction, obligeant les uns,
dispensant les autres de tirer, selon son bon plaisir,
ou les motifs qui décident de son choix ou de son refus.
Art. 21. - On demanderait qu'il y ait dans chaque
province une école où les matrones fissent leur cours
d'apprentissage ; il est inconcevable combien de mères
et d'enfants souffrent, périssent ou sont estropiés, par
l'impéritie de ces personnes, d'ailleurs si
intéressantes à l'humanité.
Art. 22. - On demande que, pour éviter la cherté et
disette des blés et autres grains, on n'en permette
l'exportation d'une année qu'après la récolte de la
suivante faite, de manière que l'on ne se défasse des
grains de l'année précédente qu'après qu'on sera sûr de
la récolte de l'année courante et qu'elle soit libre à
chacun.
ART. 23. - On demanderait que le parcours soit libre sur
toutes les terres que cultive une communauté ; il y a de
ces communautés dont les finages sont tellement rétrécis
que les terres qu'elles cultivent sont en très grande
partie sur les bans voisins. De là, la pâture ôte les
moyens d'entretenir du bétail, seule et avantageuse
ressource dans les campagnes.
ART. 24. - On demanderait qu'au lieu de vingt-quatre
heures qui sont accordées aux décimateurs pour lever
leurs dîmes, il ne leur en soit accordé que douze ; quel
changement et détérioration douze heures ne
peuvent-elles pas amener dans une récolte, qui nuit au
grain et cause aux fermiers des dommages, des raisons de
la part de ses maîtres qui, en voyant un grain échauffé,
s'embarrassent peu si on n'a pu le lever et engranger
autrement ? On sait d'ailleurs que cela nuit à la
qualité des grains et, par conséquent, de la nourriture.
ART. 25. - On demande que les prieurés, commendes,
chapelles et bénéfices simples soient supprimés, et
qu'on emploie leurs revenus, un tiers à entretenir et
reconstruire les églises, le second tiers à solder les
gages des personnes. en place dans la province, le
troisième tiers à rétribuer suffisamment les maîtres
d'école, cette classe d'hommes si intéressante à
l'humanité et souvent indigente, et à entretenir dans un
certain district des chirurgiens-médecins, et à styler
des sages-femmes pour chaque endroit, et décharger par
là les communautés de ces frais.
ART. 26. - D'après les réflexions et demandes
précédentes, il est aisé de voir combien le Tiers état,
dans les campagnes surtout, est obéré et entravé, par
conséquent dans l'impossibilité de beaucoup concourir au
secours et rétablissement des finances, puisque les
siennes sont si minces.
Qu'il soit permis ici de donner encore une autre cause
de la pauvreté. On sait que, dans les campagnes, les
laboureurs sont les pères nourriciers, et que
l'abondance et l'opulence ne se fait sentir parmi le
peuple qu'autant qu'elle est établie chez eux ; c'est la
dure condition où eux-mêmes sont réduits qui augmente
encore la misère du village ; leur dure condition tire
sa source de la cherté avec laquelle on leur laisse les
fermes qu'ils cultivent ; un jour de terre, l'un portant
l'autre, rapporte quatre quartes de grains ; il faut
trois bichets pour l'ensemencer ; on exige deux quartes
de canon par jour, reste par conséquent cinq bichets de
blé à un cultivateur, gain sur lequel il est obligé de
vivre, faire vivre et entretenir sa famille et ses
domestiques, payer charron, maréchal, cordonnier,
tailleur, marchand, les impôts, etc. Un cultivateur,
serré de si près, craint de recourir à l'aide de
personnes avec lesquelles il serait obligé de partager
son chétif gain par te salaire qu'il serait. obligé de
donner à ses ouvriers ; ne faisant aucun profit,
s'entretenant très difficilement, il est obligé de
laisser dans l'inaction des personnes indigentes, dont
le nombre compose la majeure partie des habitants d'un
village ; ces personnes, ainsi sans occupation, n'ont
cependant d'autre ressource pour soutenir leur vie et
payer le Roi que ce qu'elles gagnent ; en ne gagnant
rien, à quoi donc les réduit-on ? A mendier, voler, ou
mourir de faim et de misère. Tel est, en peu, le tableau
affligeant qu'offrent les campagnes dans ces environs ;
où cette réflexion veut-elle nous mener ? Le voici.
C'est à arrêter le luxe qui ne trouve jamais assez pour
se soutenir, remplace l'humanité par la dureté. Que
conviendrait-il donc de faire ? Ce serait d'obliger tous
propriétaires à ne louer leurs fermes, biens, etc.,
qu'au tiers du produit de ces terres, fermes, etc. La
Nation le voulant, personne n'aurait rien à dire ; le
luxe se réglerait sur ce qu'il a à dépenser, et non sur
l'espoir d'un accroissement continuel et de rentes sur
les misérables cultivateurs qui trompent souvent le
maître, tandis qu'il ruine le fermier. On dira
peut-être: pourquoi ces insensés sont-ils si avides de
faire des entreprises qui les ruinent ? Ne serait-ce pas
le cas de répondre pourquoi votre dureté les y
oblige-t-elle ? Hélas que de saisies, depuis quelque
temps, ont montré l'impossibilité où l'on réduit les
cultivateurs de faire face à leurs affaires ! Les biens
eux-mêmes en valent pis ; ils se détériorent et se
décréditent ; ils se sentent du découragement où ils
jettent un cultivateur qui entrevoit sa faillite.
D'ailleurs, l'impossibilité où les salines mettent, en
cas d'incendie, d'avoir des bois pour reconstruire,
laisse une foule d'habitants entassés les uns sur les
autres ; les loyers augmentent avec la rareté de
logement et tout cela offre une misère complète que
l'usure judaïque vient encore aggraver. On sait que
c'est une ressource pire que le mal, que cette nation
que nous nourrissons au milieu de nous et qui se prête
bien chèrement au secours de ceux qui recourent à elle :
ses conventions usuraires écrasent le peuple, tandis que
sa finesse et son habileté dans cette manière
d'appauvrir ses débiteurs la met à l'abri de toute
poursuite par la jonction des rentes qu'ils joignent au
principal dans leurs billets, contrats. Qu'il serait
avantageux pour l'Etat que la Nation ne soit point vexée
par ce peuple, infortuné à la vérité, mais bien nuisible
; nous demanderions donc que les Etats généraux fissent
attention à cela. Dira-t-on encore pourquoi y recourir ?
On répondra pourquoi l'extrême cherté de toutes choses
ne laisse-t-elle pas au cultivateur et commerçant les
moyens de faire un gain honnête et suffisant ?
ART. 27. - On demanderait aussi que, pour éviter une
foule de contestations et d'entraves, il y ait pour tout
le royaume une seule et parfaite uniformité de poids,
mesure.
Telles sont les réflexions et doléances qu'a l'honneur
de soumettre aux opérations des États généraux la
communauté de Vaucourt, les suppliant de vouloir être
auprès de Sa Majesté les fidèles interprètes de son
respectueux et entier dévouement pour son auguste
personne, en même temps que les restaurateurs du bonheur
et de la tranquillité tant du monarque que des sujets
tâche bien flatteuse, et qui leur assurera la
reconnaissance, l'estime, non seulement de la génération
présente, mais de toutes celles qui, nous succédant,
éprouveront les douceurs des établissements et
redressements sages qui vont opérer l'heureuse
révolution que la France attend d'eux, et qui doit
couronner notre attente et les couvrir d'une gloire
immortelle.
Nicolas Lecler ; Jean-Claude Mengin, maire ; Joseph
Gallois Sébastien Dieudonné ; Etienne Leclerc ; N.
Janin. |