Après l'affaire du Zeppelin de Lunéville le 3 avril 1913, un
nouvel incident de frontière survient le 3 février 1914 à Croismare, où un
biplan allemand se pose en catastrophe, perdu dans le brouillard.
L'Express du Midi - 4 février
1914
Lunéville, 3 février.
Un biplan monté par deux officiers aviateurs allemands a atterri brusquement
aujourd'hui, à midi et demi, sur les limites des territoires de Croismare et de
Champel, non loin de Luné ville.
L'un des officiers se rendit à la mairie de Croismare, pour réclamer du secours,
l'appareil ayant eu son arrière-train brisé dans la chute.
Le maire de Croismare a prévenu par téléphone les autorités civiles et
militaires de Lunéville.
Vers 2 heures, deux généraux de la garnison de Lunéville se sont rendus à
Croismare; les aviateurs militaires allemands ont exposé qu'ils étaient partis
dans la matinée de Strasbourg pour se rendre à Metz.
En cours de route, trompés par le brouillard, le pilote, arrivé à Sarrebourg,
suivit la voie ferrée conduisant à Lunéville ; s'étant aperçu de son erreur, le
pilote voulut atterrir, mais l'opération s'est faite brusquement.
C'est à la limite du territoire de Croismare. à sept kilomètres de Lunéville et
de Champel, hameau de la commune de Jolivet, à cinq kilomètres de Lunéville,
qu'a atterri le biplan allemand.
Croismare, commune de 1.090 habitants, est situé a neuf kilomètres environ de
la frontière allemande, à deux kilomètres du fort de Manonvillers, au-dessus
duquel, on se rappelle, était passé le Zeppelin qui avait atterri à Lunéville.
Le biplan était monte par le lieutenant Prestien, du 42e régiment d'infanterie,
à Mulhouse, détaché au centre d'aviation de Metz ayant à son bord, comme
observateur, le lieutenant Gerner, du 3e régiment d'artillerie à Thionville,
détaché également au centre de Metz.
Au sous-préfet de Lunéville qui les a interrogés, les officiers ont répondu
qu'ils avaient projeté d'aller de Strasbourg à Metz par la voie des airs.
Malheureusement, à partir de Sarrebourg, ils ont perdu leur route et ont dû
atterrir sans savoir où ils se trouvaient.
Au cours de leur enquête, les autorités militaires ont constaté que les
aviateurs étaient de bonne foi. Rien de suspect n'a été découvert à bord.
Elles ont aussitôt demandé au commandant du corps d'année l'autorisation de
laisser partir les deux aviateurs.
On a procédé au démontage de l'appareil et ce soir il partira par chemin de fer.
Les officiers reprendront également le train qui les conduira à Strasbourg.
Aucune manifestation ne s'est produite.
Le Matin - 4 février 1914
Descente en France
Encore un aéroplane allemand qui atterrit avec deux. officiers près de Lunéville
NANCY, 3 février. Du correspondant particulier du « Matin » (par téléphone). Un
aéroplane militaire allemand a atterri aujourd'hui à midi et demi sur le
territoire français, entre Chanteheux et Croismare. près de Lunéville. C'est, en
moins de quatre ans, la cinquième visite aérienne que font dans notre
département des officiers allemands, en aéroplane ou en dirigeable. On les vit
en effet tour à tour près de Custines, de Nomeny, d'Arracourt, à Lunéville, où
atterrit le Zeppelin L-Z-2.
Cette fois encore, ce fut le brouillard qui fut cause de leur apparition
imprévue sur le sol français,.
Vers midi et demi, l'appareil, un biplan Albatros, avait été aperçu évoluant
entre Chanteheux et Croismare, puis soudain il piqua droit vers le sol et
atterrit sur le territoire de cette dernière commune. L'appareil se posa un peu
brusquement sur le sol, le train avant d'atterrissage fut brisé et une pale de
l'hélice cassée.
Quelques habitants du pays, témoins de la. descente, donnèrent l'alarme et
bientôt deux cents personnes se trouvèrent réunies autour du biplan. Les deux
officiers portaient l'uniforme de leur régiment respectif et étaient coiffés
d'un casque d'aviateur. Ils ne parlent pas le français, mais, grâce à
l'obligeance de quelques personnes présentes sachant l'allemand, on connut leur
identité le lieutenant Fritz Prestein, du 42e régiment d'infanterie allemand, en
garnison à Mulhouse, pilote de l'appareil, et le lieutenant Jean Gerner, du 3e
d'artillerie, de Metz.
Les gendarmes de Lunéville, mandés par téléphone, accouraient bientôt, ainsi que
des officiers de la garnison, ayant à leur tête le général Varin, commandant
d'armes. M. Minier, sous-préfet, et Jouatte, secrétaire de la sous-préfecture,
arrivaient également sur les lieux.
Grâce à l'entremise d'un officier d'état- major, qui servit d'interprète, les
aviateurs allemands expliquèrent en détail aux autorités leur aventure.
Ils étaient partis à 11 h. 30, heure allemande, de Strasbourg, pour gagner Metz,
station d'aviation à laquelle ils sont affectés. Ils pensaient, après avoir
franchi les Vosges, se guider sur la ligne de chemin de fer Avricourt-Benestroff-Remilly-Metz,
pour regagner les hangars de Frascaty, en Lorraine annexée, mais quand ils
survolèrent Avricourt, le brouillard et le vent du sud les gênèrent. Ils
dévièrent, sans s'en rendre compte, de leur route aérienne et continuèrent leur
route au-dessus de la ligne Avricourt-Lunéville-Nancy.
Quand ils s'aperçurent de leur erreur, ils voulurent atterrir, craignant de
survoler l'une des zones interdites aux aéroplanes.
Leurs explications furent contrôlées, et après examen des papiers qu'ils avaient
à bord, la zone qu'ils avaient survolée n'étant pas interdite, l'autorisation de
quitter le territoire français leur fut donnée, mais il ne pourront, en vertu du
règlement, regagner leur point d'attache que par la voie de terre. Les:
lieutenants durent donc faire démonter leur appareil, qui a été ensuite chargé
sur des prolonges d'artillerie et ramené à Lunéville, où il est remisé au
quartier des batteries volantes du 8e d'artillerie.
Les deux officiers allemands se sont également rendus à Lunéville, d'où ils
regagneront l'Alsace-Lorraine.
[...]
L'atterrissage forcé du biplans allemand Lunéville
Lunéville, 3 février. De renvoyé spécial du « Matin » (par téléphone). C'est sur
le territoire de Croismare, _à 1.800 mètrès de Chanteheux, sur une crête qui
s'élève entre la ferme de Champel et celle de la Basse-Rappe, distantes de six
kilomètres de Lunévilie, qu'à midi moins dix un biplan militaire allemand, monté
par deux officiers en uniforme, vint atterrir en plein champ. L'atterrissage fut
violent. En prenant contact avec le sol français, le biplan a eu son avant-train
complètement brisé, ainsi qu'une pale de son hélice. Les aviateurs étaient
indemnes. Au grand étonnement d'un employé de la verrerie de Croismare, seul
témoin de leur arrivée, ils descendirent de l'appareil.
Auprès de l'employé de la verrerie, les deux officiers s'informèrent en allemand
du lieu ou ils se trouvaient. Mais l'employé ne parlant pas allemand et les
officiers ne comprenant pas le français, on ne put s'entendre. L'employé de la
verrerie s'empressa de courir prévenir M. Thomas, maire de Chanteheux D'autre
part, un des deux officiers, pendant que l'autre gardait l'appareil, se rendait
à Croismare. On le conduisit auprès du maire, M. Vuillemin.
Chacun de leur côté, MM. Thomas et Vuillemin s'empressèrent de téléphoner au
sous-préfet et aux autorités militaires de Lunéville. Après quoi, ils se
rendirent dans le champ où avait atterri le biplan. Ils furent bientôt rejoints
par MM. Minier, sous-préfet Jouatte, secrétaire de la sous-préfecture le général
Varin, commandant la brigade de Lunéville le lieutenant Coubé, de l'état-major
de la 2e division de cavalerie ; Coulru, procureur de la République ; Imbert,
commissaire de police, et de nombreux officiers.
Sur l'ordre du général Varin, des troupes étaient venues de Lunéville pour
garder l'appareil Cette mesure fut inutile. A peine deux cents personnes
attirées par la curiosité étaient-elles accourues dans le champ où se trouvait
le biplan allemand.
Par l'intermédiaire du lieutenant Coubé qui servit d'interprète, le général
Varin fit interroger les deux lieutenants. De bonne grâce, les aviateurs
étrangers déclinèrent leur identité. C'étaient le lieutenant Fritz Prestien, du
42e régiment d'infanterie. en garnison à Mulhouse, détaché au centre d'aviation
de Metz, pilote du biplan, et le lieutenant Hans Guerner, du 3e d'artillerie à
pied, en garnison à Thionville, élève pilote au même centre d'aviation.
L'appareil qu'ils montaient était un biplan Albatros à deux places, muni d'un
moteur de six cylindres à double allumage. Chaque pièce de l'appareil portait
sur une plaque l'inscription « Albatros werke militaer Flugsenge B. 7. A/18
Berlin Johannisthal. »
Conformément aux instructions ministérielles, le général Varin et M. Minier,
sous-préfet de Lunéville; informèrent aussitôt le préfet de Meurthe-et-Moselle,
le commandant du corps d'armée et le commissaire spécial d'Avricourt de
l'atterrissage du biplan et des déclarations faites par les officiers aviateurs.
A la demande des lieutenants allemands, un télégramme rédigé par eux fut envoyé
par les autorités francaises au centre d'aviation de Metz, pour informer le
commandant de la station de l'incident survenu aux aviateurs
Les officiers allemands déjeunèrent à côté de leur appareil. En raison des
avaries subies par le biplan au cours de l'atterrissage, avaries qui mettaient
les aviateurs dans l'impossibilité de regagner leur centre par la voie des airs,
le lieutenant Prestien sollicita le concours de techniciens pour démonter
l'appareil. L'autorité militaire mit à la disposition de l'officier allemand une
équipe de sept mécaniciens du 8e d'artillerie. L'appareil fut rapidement démonté
et chargé sur une fourragère du même régiment qui le transporta à la gare de
Lunéville.
Pour éviter tout incident, d'ailleurs bien improbable, et aussi par mesure de
courtoisie, les aviateurs furent conduits au château de Lunéville à l'hôtel de
la division de cavalerie, où ils ont dîné. C'est là qu'ils attendent la décision
des autorités militaires, seules compétentes pour statuer à leur égard.
L'arrivée des officiers allemands à Lunéville passa complètement inaperçue.
Pendant qu'on procédait au démontage du biplan, trois biplans militaires du
centre d'aviation de Nancy ont évolué au-dessus de la plaine où avait atterri
l'appareil allemand.
C'est à Avricourt que le biplan allemand a franchi la frontière française. Il
fut aperçu par M. Fischer, commissaire de police, qui immédiatement, par
télégramme, informa le préfet de Meurthe-et-Moselle, le sous-préfet de Lunéville
et le général commandant le 20e corps du passage de l'avion allemand.
A 1 h. 30 du matin, les officiers allemands sont toujours au château de
Lunéville, et leur biplan, démonté, reste à la gare, gardé par un poste du 8e
d'artillerie.
D'après les renseignements que j'ai recueillis, les aviateurs et leur appareil
ne quitteraient Lunéville qu'après l'enquête d'un officier délégué par le
ministère de. la guerre, et qui arriverait demain, venant de Paris.
L'impression à Strasbourg
STRASBOURG. 3 février. Du correspondant particulier du « Matin » (par
téléphone).
- La direction du service militaire d'aviation de Strasbourg publie ce soir une
note disant
« Ce matin, deux biplans appartenant à la section de Metz avaient reçu l'ordre
de se livrer à des reconnaissances dans les environs de Sarrebourg. L'un des
biplans, piloté par le lieutenant Thelen, est rentré à Metz dans le courant de
l'après-midi. L'autre biplan avait perdu la direction près. de Sarrebourg et a.
dû atterrir en France. »
On s'est refusé à fournir de plus amples renseignements, mais on se montre très
ennuyé de cette, nouvelle mésaventure.
Le bruit a couru ce soir dans-Strasbourg que de graves incidents s'étaient
produits à Lunéville et qu'un régiment de chasseurs à cheval - excusez du peu -
avait été mobilisé pour assurer la protection des aviateurs allemands !
Le Gaulois - 5 février 1914
Sur la frontière
L'incident de Croismare : Les officiers aviateurs allemands sont repartis hier - Les deux uhlans de Blâmont
(Par dépêche de notre correspondant particulier)
Lunéville, 4 février.
Contrairement à ce qui avait été dit, les deux officiers aviateurs allemands qui avaient atterri, hier, près de Croismare, n'ont pas été reconduits le soir même à la frontière ; l'autorisation de départ n'est parvenue que cet après-midi à Lunéville, et c'est à quatre heures que les lieutenants Fritz Priesten et Hans Guernersont partis pour Avricourt. Nos hôtes forcés avaient été consignés à la disposition de l'autorité militaire et conduits à Lunéville, où ils ont passé la nuit et la matinée dans un logement qui leur a été préparé au Château, dans le casernement des dragons.
Dans la matinée, quatre biplans de l'escadrille de Nancy sont arrivés à Lunéville et nos officiers aviateurs se sont rendus à Croismare, pour examiner l'appareil de leurs collègues allemands parmi les visiteurs se trouvait le lieutenant Camermann.
L'enquête ouverte par les autorités militaires n'a rien relevé de suspect à la charge des officiers allemands. Avisés aussitôt par télégraphe, les ministres de la guerre et de l'intérieur ont donné l'ordre de clore l'incident et de reconduire MM. Priesten et Guerner à la frontière. Le départ s'est effectué à quatre heures, cet après-midi ; les officiers allemands ont quitté Lunéville, en compagnie d'un commissaire spécial, dans une automobile appartenant à un officier de dragons, lequel conduisait lui-même la voiture. Aucun incident d'aucune sorte ne s'est produit. Quant à l'appareil, qui est à peu près complètement démoli, il a été démonté et expédié sur Strasbourg.
La Croix - 7 février 1914
A propos de l'entrée en France des aviateurs
allemands
Par téléphone de notre correspondant de Nancy
L'Eclair de l'Est publie ce soir une dépêche de son correspondant d'Avricourt
disant que,
mardi matin, à 11 h. 30, l'aéroplane allemand avait survolé pendant un temps
assez long
la gare française Igney-Avricourt. L'aéroplane était à une très faible hauteur
et l'atmosphère
était très pure.
Le commissaire spécial et les employés avaient parfaitement reconnu un avion
allemand et l'avaient signalé.
L'explication donnée par les aviateurs et d'après laquelle ils se seraient
égarés par suite du brouillard, n'est donc pas admissible. Il faisait un soleil
éclatant.
Note : sans doute les tensions d'un conflit approchant, et la
proximité géographique du fort de Manonviller, ont-elles contribué à l'ampleur
donnée nationalement à l'affaire de Croismare. Car de tels atterrissages, y
compris français en territoire allemand, s'étaient déjà produits sans une telle
notoriété, comme on le voit dans l'extrait ci-dessous du Journal de Genève
du 28 décembre 1912 :
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