Journal des Débats - 19 novembre 1819
FRANCE.
Paris, 18 novembre
Si quelques personnes s'étonnent que depuis le jour où cinq
cents électeurs, forts d'une loi anti-sociale ont osé insulter à
ma majorité royale, en choisissant pour son mandataire un
régicide, en plaçant comme intermédiaire entre le Roi et le
peuple un homme qui, à la fois odieux au peuple qu'il a égaré
d'une manière si coupable, et au Roi pour qui sa présence est le
plus affreux souvenir et la plus cruelle injure, nous n'avons
pas cessé de poursuivre M. Grégoire, l'histoire de sa vie à la
main, nous leur répondrions qu'il est des temps où indifférence
devient un crime, où ceux qui se sont chargés d'éclairer leurs
concitoyens doivent vaincre leur répugnance à fouiller dans les
annales de cette époque dégouttante de crimes et d'absurdités.
Ces annales, qui déjà nous ont présenté M. Grégoire animé de
tout te délire révolutionnaire, ce prêtât « charitable et
vertueux » insultant cruellement au malheur le plus auguste et
le plus résigné, vont nous le montrer encore dans une occasion
moins importante, saisissant le prétexte d'un sujet indifférent
pour exprimer sa haine furieuse contre la royauté.
M. Grégoire fut chargé, en l'an II, d'un rapport à la Convention
sur les inscriptions des monumens publics. Quel autre que lui
auroit cherché, dans cette question académique, un texte aux
plus violentes diatribes contre un ordre; de choses qui
h'existoit plus, et aux apologies les plus basses et les plus
absurdes de ce qui existoit alors à la honte de la France. Hé
bien ! écoutez le langage de cet homme, que l'on représente
aujourd'hui comme un exempte de modération:
« Notre langue, dit-il, avoit la timidité de l'esclavage quand
la cour lui dictoit des lois. Et comment le génie auroit-it
secoué ce joug avilissant à l'époque de Racine avoit la sottise
de mourir de chagin, parce qu'un desposte l'avait regardé de
travers ? L'insolence feodale qui flétrissoit les professions
utiles, excluant du tangage les termes qui les désignent. Elle
eût sifflé l'orateur et le poëte qui auroient parlé de
cordonner, de charpentier. Mais la raison, qui classe les hommes
et les choses suivant leur degré d'utilité, doit avoir la même
mesure quand elle en parte. Et sans doute il approche le moment
où tes termes de vache et de fumier, par exemple, auront dans
notre langue républicaine une valeur correspondante à celle que
ces objets ont en réalité, tandis qu'on reléguera dans le style
ridicule et abject les mots de princesses et de courtisans. Le
vocabulaire de l'égalité s'enrichira en élaguant et en ajoutant
: nous en avons effacé le mot protection ; nous y avons
honorablement placé celui de tyrannicide. »
Si l'on voutoit relever toutes les extravagances de ce- passage,
même sous le rapport littéraire, il faudroit s'arrêter à toutes
les phrases. Racine, il est vrai dans l'âge d'or de la
république, une et indivisible, n'auroit pas eu la sottise de
mourir parce qu'un Roi l'auroit regardé de travers; mais il
auroit sans doute éprouvé le sort d'André Chénier, de Roucher et
de tant d autres, s'il eût osé regarder en face M. Grégoire, ou
ses dignes collègues Marat et Robespierre. Et que dire de ce bel
éloge de la valeur réelle de la vache et du fumier ? Comme on
serait tenté de rire de toutes ces folies, si la dernière phrase
ne rappeloit a des sentimens d'horreur et d'indignation! Mais
continuons:
« Cette dégradation du tangage du goût et de la morale, est
vraiment contre-révolutionnaire. Un langage décent et soigné est
seul digne des sentimens d'un républicain Il faut que tout ce
qui est beau, tout ce qui est grand, entre dans la définitiondu
« sans-culottisme »
Et c'est celui qui voit dans le sans-culottisme l'abrégé de tout
ce qui est beau, de tout ce qui est grand, que l'on ose
présenter à la nation, comme le modèle des loyaux députés; et la
même bouche qui a prononcé ce panégyrique du sans-culottisme,
prononcera en présence du Roi le serment de fidélité à la
dynastie des Bourbons!
« S'il étoit permis, ajoute M. Grégoire, de supposer un moment
que pour nos neveux la liberté dût vieillir, qu'ils pussent
jamais cesser de haïr la royauté, nous formerions le souhait
anticipé de leur destruction. »
Il est venu ce temps; la liberté, comme vous l'entendiez alors,
cette liberté sanguinaire que vous choisissiez tant, a vieilli
depuis tong-temps. Vous appeliez sur la tête de vos descendans
toutes les vengeances du ciel, s'ils cesssoient de haïr la
royauté ;et c'est vous qui allez jurer un amour inviolable au
Roi et à sa famille ! Je vous le demande à vous-même, quelles
sont les plus sincères de vos imprécations d'alors ou de vos sermens d'aujourd'hui ?
Dans sa haine pour les tyrans, M. Grégoire n'enveloppe pas
seulement les Rois à venir, il la fait remonter jusqu'à ceux
qui, par leurs vertus et leur bonté se sont acquis à l'amour de
leurs peuples, à l'admiration au respect du genre humain, des
droits que le républicain Grégoire pouvoit seul contester.
Entendez-le parler de Louis XII et de Henri IV:
« Quant aux monumens actuels, la Convention Nationale a sagement
ordonné la destruction de tout ce qui portoit l'empreinte du
royalisme et de la féodalité. Les beaux vers de Borbonius
inscrits sur la porte de l'Arsenal, n'ont pas dû trouver grâce
ils étoient souillés de mythologie, et la poésie doit se
contenter désormais des richesses de la nature : surtout ils
étoient souillés par la flatterie envers un tyran, Henri IV,
trop long temps vanté par les Français, et dont la prétendue
bonté, comparée à celle des autres despotes, n'est que dans le
rapport de la méchanceté à la scélératesse.
« On vantoit aussi Louis XII, ce prétendu père du peuple, qui
fit périr tant d'hommes pour la conquête du Milanais. Il étoit
né à Blois. Avant la destruction de la royauté les républicains
de cette ville avoient fait justice de sa statue, qui fût brisée
et jetée dans la Loire aux cris répétés le Roi boit. »
Nous n'ajouterons plus ici qu'une réflexion. Que la populace
égarée par les discours de quelques orateurs factieux, brise des
statues que la veille elle adorait ; que dans sa frénétique
ingratitude elle s'en prenne à de vaines images et à un marbre
insensible, c'est un spectacle que l'histoire nous présente
souvent. Mais M. Grégoire, autorisant ces excès par son
approbation dans la ville même où il étoit évêque, et venant
ensuite à la tribune d'une assemblée publique, les vanter comme
un effort sublime de la raison humaine, voilà sans doute ce qui
dut paroître étonnant, même à cette époque où rien n'étonnoit
plus.
[...]
M. Grégoire a fait remettre avant-hier à la questure de la
Chambre des députes son acte de naissance. Il avoit offert de le
remplacer par ses lettres de prêtrise, prétextant de n'avoir pas
d'autres pièces pour justifier de son âge, qui, au reste, ne
pouvoit laisser de doutes. La réponse a été que la loi exigeait
l'acte de naissance, et ne parloit point de pièces desquelles
l'âge pouvoit s'induire. D'après cette réponse, M. Grégoire a
fait déposer, son acte de naissance en bonne forme ; il constate
qu'il est fils de Basile Grégoire manouvrier à Veho, département
de la Meurthe, et qu'il est né dans cette commune, le 4 décembre
1750. |