Mémoires de la
Société d'archéologie lorraine
1886
LES SEIGNEURS, LE CHATEAU, LA
CHATELLENIE ET LE VILLAGE DE TURQUESTEIN
M. Henri LEPAGE
II
A part une des chartes du
comte Albert de Dabo, aucun des titres que je viens de rappeler
ne fait mention du lieu dont les sires de Turquestein portaient
le nom, ni du château où l'on peut supposer qu'ils faisaient
leur résidence. C'est seulement à partir des premières années du
XIIIe siècle qu'il commence à en être question.
On lit, à ce sujet, dans l'Histoire de Metz par les Bénédictins
(t. II p. 428) « Après la mort d'Albert, comte de Dasbourg de
Metz et de Moha, décédé vers l'an 1214, sans avoir laissé
d'enfants mâles les fiefs masculins qu'il tenoit de l'Evêché de
Metz devoient naturellement retourner au domaine de cette
Eglise. Gertrude, sa fille, mariée dès l'an 1206 à Thiébaut I,
duc de Lorraine fit tant par ses instances et par les
sollicitations de ceux qu'elle employa auprès de l'évêque
Conrad, que ce prélat consentit enfin à ce qu'elle jouît de ses
fiefs avec le duc son mari, mais sous la condition expresse que,
s'ils mouroient sans enfans màles, les fiefs retourneroient à
leur origine.
» Gertrude, devenue veuve en 1220, épousa Thiébaut, comte de
Champagne, qui, au bout de deux ans de mariage, prit le parti de
la quitter, soit, comme le dit l'abbé (le moine) Richer, à cause
qu'elle doit stérile, ou plutôt parce que ce mariage, ayant été
contracté dans les degrés défendus, fut déclaré nul. Des bras du
comte de Champagne elle passa dans ceux de Simon comte de
Linanges, et mourut sans enfans en 1225.
» Jean d'Apremont (qui avait succédé à Conrade) saisit
l'occasion pour rentrer dans tous les biens des comtes de
Dasbourg, comme anciens fiefs de l'Eglise de Metz (5). Il appela
à son secours le comte de Bar, et, par son moyen, il se mit en
possession des terres de Hernestein (6) et de Turquestein des
villes de Saralbe et de Sarbourg, et des autres terres que les
comtes de Sarbourg (lisez Dasbourg) avoient autrefois possédées
à titre de fiefs de son Evêché ; mais Hugues, frère d'Albert,
comte de Dasbourg et oncle de Gertrude empêcha que l'évêque se
rendit maitre du château de Dasbourg et s'en empara lui-même à
main armée... »
Les Bénédictins ne disent pas sur quels documents ils s'appuient
pour formuler ces assertions, et ceux que l'on connaît, pour
l'époque dont ils parlent, ne viennent pas tout à fait les
confirmer.
Par une charte donnée « dans l'octave du Seigneur » de l'année
1215, Thiébaut, duc de Lorraine, comte de Metz et de Dagsbourg,
reconnaît que l'évêque de Metz et de Spire, chancelier de la
Cour impériale, a, sur sa prière, rendu à lui et à la duchesse
Gertrude, sa femme, le comté de Dagsbourg et ses dépendances,
tel que le père de ladite duchesse l'a possédé en fief, à
condition que si lui, duc, meurt sans hoirs de son corps, la
duchesse confèrera à Saint-Etienne (7) l'alleu de Turquestain,
en tant qu'il lui appartient, l'abbaye de Hesse et le château de
Thiecourt (8).
Par lettres datées du mois de septembre 1224 la comtesse de
Dagsbourg déclare que du gré de son mari, elle accroît le fief
qu'elle tient de l'Evêché de tout ce qu'elle a à Turquestein, à
Thiecourt dans l'abbaye de Hesse et à Sarralbe « Ego, comitissa
de Daborch, notum facio... quod ego, laude et assensu mariti mei,
accrevi feodum quod a domino meo episcopo Metensi tenere debeo,
de his omnibus que habeo apud Turrkestein et apud Tihecort et in
abbacia de Hesse et in Alba, cum appendiciis eorum... (3) »
Dom Calmet ne mentionne pas plus ces chartes que les
Bénédictins, mais il rapporte les mêmes faits, avec quelques
légères variantes. Le château et la seigneurie d'Albe, dit-il à
un endroit (4), furent donnés en fief par les évêques de Metz
aux comtes de Limbourg, avec Sarrebourg; et, après l'extinction
de la race de ces comtes, Jean d'Apremont, vers 1230, réunit à
son domaine les quatre châtellenies de Sarrebourg, Sarralbe,
Turkestein et Arestein. » - Et, plus loin (9) « Gertrude... mourut
en 1225, sans enfants et sans héritiers.
Après sa mort, Jean d'Apremont, évêque de Metz, prétendit
rentrer dans tous les biens des comtes de Dasbourg, comme ayant
été autrefois fiefs de son Eglise. D'autres seigneurs
s'emparèrent des autres biens de cette riche succession... »
Un autre auteur (10) s'exprime encore d'une manière différente «
Quelque temps après qu'il (Jean d'Apremont) eût pris possession
de ceste chaire, le Comte de Lambourg (lisez Dagsbourg) vint à
mourir sans hoirs masles, et laissa seulement une fille qui
employa quantité de Princes et de Seigneurs pour obtenir de ce
Prélat la jouyssance des fiefs desquels son père avoit joüy, qui
dépendoient de l'Evesché de Metz. Jean d'Aspremont, porté en
partie de compassion à l'endroit de ceste orpheline, et, d'autre
costé sollicité par les prières de tant de gens de qualité, luy
octroya ce qu'elle demandoit, à condition que si elle venoit à
mourir sans hoirs masles de son corps, ces mesmes fiefs
retourneroient à l'Evesché. Ce traité se passa par devant de
bons tesmoins, et fut authentiquement escrit, signé et scellé de
part et d'autre. Il arriva cependant que ceste fille mourut sans
hoirs masles, et, incontinent après sa mort, un nommé Watier,
comte de Lambourg, le Comte de Luxembourg (le sire de
Lutzelbourg ?) et plusieurs autres Seigneurs du pays se mirent
en possession de ces beaux fiefs, avec intention de les retenir
tousjours. Nostre Evesque ne pouvant point souffrir ceste
usurpation, se mit aussi tost en devoir de ranger ces Messieurs
à la raison. Si bien qu'en peu de temps, il retira quatre beaux
Chasteaux de leurs mains, qui sont Sarrebourg, Turquestain,
Harestain et Albain avec toutes leurs appartenances et
dépendances... »
Il est probable qu'au milieu de ces transmissions de fiefs, les
châteaux avaient souffert des dégradations de plus d'un genre
c'est pourquoi, vers 1252, le successeur de Jean d'Apremont,
Jacques de Lorraine, l'établit les fortifications de Sarralbe,
de Herrenstein et de Turquestein, et y fit creuser de nouvelles
citernes (11).
Dix ans environ plus tard le duc de Lorraine Ferry III, répétant
à l'évêque de Floranges de grandes sommes qu'il disait avoir
dépensées pour son service, s'empara de Hombourg et de
Turquestein mais il les abandonna bientôt, dans la crainte que
le comte de Bar, qui s'était déclaré protecteur des terres de l'Evèché,
ne le recherchât à cause de ses usurpations (2).
Les auteurs auxquels sont empruntées ces particularités, disent
plus loin (12) : « Pendant la vacance du siège épiscopal (après
la mort de Bouchard d'Avesnes), le Chapitre avoit donné à
Frideric de Liechtemberg, archidiacre de Metz et prévôt de
Strasbourg, la garde des principales forteresses de l'Evêché.
Aussitôt après sa nomination, Gérard de Relanges l'envoya prier
de la continuer jusqu'à son arrivée à Metz. C'est ce que nous
apprenons de deux actes de Frideric, conservés dans un ancien
cartulaire déposé à la Chancellerie de Vic (2). Par le premier,
il déclare qu'il restitue aux administrateurs et vice-gérans de
Gérard les châteaux de Lutzelbourg, de Turquestein, de Castres
et de Liechtemberg, dont le Chapitre lui avoit d'abord confié la
garde et ensuite l'évêque Gérard lui-même. Cet acte est daté de
la veille de l'Assomption 1297. Par le second, en date du samedi
après l'Epiphanie 1298, il donne avis aux officiers et
commandans de ces châteaux qu'il les a remis au nouvel évêque,
et leur recommande de lui obéir, de lui rendre compte des
revenus, et de le servir avec fidélité. »
Les possessions des évêques de Metz dans le territoire dont je
m'occupe ne se bornaient pas au château de Turquestein; elles
comprenaient un certain nombre de villages qui formaient une
circonscription féodale ou seigneuriale, désignée sous le nom de
châtellenie à partir du XIVe siècle ; en outre, de vastes forêts
avoisinant celles de l'abbaye de Saint-Sauveur et des sires de
Blâmont. Leurs limites n'étant pas régulièrement tracées, ces
forêts donnèrent lieu à des contestations qui furent cause de
plusieurs traités entre leurs co-propriétaires. Le premier fut
signé le mardi après la Saint- Remy 1306, entre l'évêque Renauld
de Bar et Henri de Blâmont; il contient, en dehors de sou objet
principal, quelques dispositions intéressantes relatives à ce
qu'on appelait « entrecours » c'est-à-dire le traité fait entre
deux seigneurs, en vertu duquel les sujets de chacun d'eux
pouvaient aller s'établir sur les terres de l'autre (13).
« ...Et est à savoir, y est-il dit, que nos et li sires de
Blanmont nous sumes escordei que tous les bois où nous partons
ensemble, qui sont de la chastelerie de Tirkesteiu et de celle
de Blanmont qu'il soient parti par quatre homes, par quoy nos
evesque; en aiens nostre pairt... sans le signour de Blanmont, à
plux près de Tirkestein,... et le sires de Blanmont en ait sa
pairt.... à plus près de Blanmont et de Saint Salvour... Et est à
savoir que nos évesques desus dis et li sires de Blanmont ne
devons avoir nulz entrecours entre nos homes et les suens. Et
volons et outroions que li home et les femmes qui estoient venui
desous nos en nostre esvachié de meix en meix et qui estoient
parti de desous le signour de Blanmont pus (depuis) le jour de
la paix faite entre l'esvesque Bouchairt (15) et le signour de
Blanmont, desus dis, aient congiet de nos et railent arriers
desous le signour de Blanmont... ; et ensi tel semblant, que tuit
li home et les femmes qui sunt parti de nostre éveschié, de
desous nos,... et aleis desous le signour de Blanmont, de meix en
meix, aient congiet dou dit signour. et reveingnent arriers
desous nos... Et avons acordei, nos et li sires de Blanmont, qua
desi en avant que tuit cil homes et femmes qui se partiroient de
nostre esvachié, de desous nos, et iroieut desous le signour de
Blanmont ou desous ses hors, persent lour remenance de mueble et
de hiéritaige entièrement qu'il aroient en leus et ens bans dont
il partiroient. Et en senblant menière, li home et les femmes
qui se partiroient de desous le signour de Blanmont ou de ses
hors et wanroient desous nos, en nostre éveschié, perdiroient
ausi leur remenance entièrement, mueble et hiéritaige qu'il
averoient ens leus et ens bans dont il partiroient... (14) »
Ce traité n'ayant pas mis fin aux différends qui existaient
entre Renauld et Henri de Blâmont, ils en firent un nouveau, le
dimanche après les octaves Saint-Pierre et Saint-Paul de l'année
1314. En vertu de cet accord, l'évêque eut tous les bois qui
étaient entre les rivières de Sarre, de Vezouse et « de Donnom »
(le Donon ?) jusqu'au ruisseau, suivant les bornes; et Henri de
Blâmont, les bois par deçà la Vezouse et ceux du ban de
Bon-Moutier vers l'abbaye de Saint-Sauveur, jusqu'au bois de
ladite abbaye et de celle de l'abbaye de Saint-Symphorien de
Metz, suivant les bornes (1). » L'acte porte que le partage a
été fait par « monsignor Liétart de Brouville, chevalier ;
monsignor Mathelin de Hatineix (Hattigny), chevalier ; par
Martin et Guelechoy de Turkestein, etc.
En vertu d'un compromis passé, le 23 août 1344, par l'entremise
de Jean, roi de Bohème, entre Adémare, évêque de Metz, et Raoul,
duc de Lorraine, au sujet des différends qui existaient entr'eux,
il fut convenu que les lettres de 15,000 livres dues par
l'évêque au duc, ensemble les gagères, resteraient en leur
force, et qu'au lieu des gagères de Rambervillers et de Moyen
Adémare délivrerait à Raoul « le chaisteil de Durkestain et
toutes les appartenances et appandizes, en fourteresse et on
terre plainne, en toutes haultours et signories » (16).
Pour des raisons qui ne sont pas connues, le comte de Deux-Ponts
ayant mis empêchement à la délivrance de Turquestein entre les
mains du duc, l'évêque lui donna les château et châtellenie de
Fribourg, en attendant qu'il pût remplir ses engagements. Cela
ne tarda guère puisque, le jour de la Saint-Michel ou 29
septembre de la même année 1344, il adressait le mandement
ci-après (17) à ses sujets de la châtellenie de Turquestein :
« Ademars, par la grâce de Deu et dou Sainct Siège de Rome
évesques de Mets. A tous nous officiers, maiours, eschavins,
doiens et sergens, et aussy à tous nos hommes, nous femmes et
subgis des villes de Durkestein, de Boin Mostier, de Bartrimont,
de Vallois, de Mesnilz, de Cyreis, de Sainct Curien, de Hatigney,
de Warcoville, de Nidrehowe, de Landenges, de Lorcheuges, de
Arspach, de Giversin, de Rammerspach, de Wilre, de Scwaihesenges,
de Haille et de Hermelingne, et à tous ceauls qui, pour cause
des choses dessusdictes et de la chastellerie de nostre chastel
de Durkestein sont et doient estre obéissans et subgis, saluit.
Pour certaines et justes causes, nos avons tout le droit que
nous aviens ès choses dessusdictes transpourtei à nostre amei
cousin, monsr Raoul, duc de Loherenne et marchis, pour luy et
pour ses hoirs. pour coi nous vous mandons et commandons que
tantost, sans délai, à la requeste dou pourtour de ces lettres,
vous obéys plenuement et entièrement à nostredit cousin et à son
commandement en tout et par tout, tout ensi et en la manière que
vous avez fait à nous et à nous prédécesseurs évesques de Metts
et li délivrez toutes les rentes, yssues et émolumens de loute
la chastellerie de Durkestein et des appendises. Et pour ce que
vous en soiens plus certeiu, avons nous faict seeller ces
présentes lettres de nostre seel pendant. Que furent faictes
l'an de grâce Nostlre Seignour mil trois cens quarante et quatre
ans, le jour ne la sainct Michiel l'archaingle (18). »
Afin de donner encore plus de solennité à l'acte qu'il venait
d'accomplir, l'évêque adressa un second mandement en langue
latine aux ecclésiastiques de son diocèse :
« Ademarius, Dei et Sancte Sedis Apostolice gralia, Metensis
episcopus universis abbatibus, abbatissis, prioribus, priorissis,
presbiteris, mercennariis, vicarüs et clericis, necnon et
omnibus alii,, utriusque sexus cujuscunque status sive
conditionis existant ad nostrum episcopatum ad castellariam
castri Durkelstein et ad ejus appertinencias quoquomodo
spectantibus, sive sub dominio ipsius castri residentibus,
salutem et dilectionem. Vobis ey cuilibet vestrum mandamus et
precipimus quatenus dilecto nostro consanguineo Rodulpho, duci
Lothoringie et marchioni, et suis heredibus sive successoribus
ducibus Lothoringie, in omnibus mandatis, servieiis,
consueludinibus, juribus, tam ratione custodie quam quibuslibet
aliis causis quibus nobis astrieti estis et esse deberitis, si
dictum castrum cum suis appertinenciis haberemus et possideremus,
eisdem tanquam nobis per omnia et in omnibus obediatis, et hiis
mediantibus vos de premissis mandatis, serviciis et aliis quibus
libet causis que nobis facera deberetis integraliter quittamus,
volentes quod si vos vel alter vestrum in premissis contra
nostrum mandatum, in parte vel in toto, erga dictum
consanguineum nostrum in aliquo extiteritis rebelles sive
inobedientes, vel erga suos heredes et successores duces
Lothoringie, quod absit, quod idem consanguineus noster et sui
heredes seu successores vos ad premissa possint choartare
quoquomodo ipsis placuerit, homines vestros, bona vestra et res
et bona hominum et subjectorum vestrorum sasire et recipere que
vos tenetis sive tenebatis ante confectionem presentium
litterarum in locis supradictis. Datum sub sigillo nostro, anno
Domini m. ccc. quadragesimo quarto. »
On voit, par la première des chartes d'Adémare, que la
châtellenie de Turquestein comprenait dix-neuf localités. dont
quelques-unes assez éloignées du château, qui devait en être le
chef-lieu.
Raoul n'en resta pas bien longtemps possesseur. En 1346, voulant
récompenser Thiébaut de Blâmont de ses bons et agréables
services et l'indemniser des dommages qu'il avait éprouvés
durant ses guerres contre l'évêque de Metz et le comte de Bar,
il lui donne « le chestel de Durkestein, lai chastelerie awec
toutes les villes et bans appandans et appartenans » à charge
d'en reprendre ligement de lui devant tous hommes, après
l'évêque de Metz, et sous la condition qu'il pourra les
racheter, lui ou ses successeurs, moyennant la somme de 2,000
livres de petits tournois. Cet acte stipule, en outre, qu'il
sera loisible à l'évêque de faire ce rachat, en payant les 2,000
livres (19).
C'est ce qui eut lieu, quelques années après (1350), du
consentement de Marie de Blois, régente pendant la minorité du
duc Jean, son fils (20). Presque en même temps, l'évêque engage
de nouveau au seigneur de Blâmont, envers lequel il se reconnaît
redevable de 2,000 livres qu'il lui avait prêtées pour faire le
rachat ci-dessus, plus, de 2,000 florins à l'écu, de bon or, du
coin du roi de France ses « chastel et chastellerie de
Durquestain » et tout ce qu'il peut avoir aux villes ci-après,
savoir « en la ville de Durquestain, en la ville de Lorchoinge,
en la ville de Landoinge, en la ville d'Arspac, en la ville de
Hategney, ceu quil (qui) appartient audit chastel et
chastellerie d'anciennetei ; en la ville de Warconville, en la
ville de Nydrehowe, en la ville de Sainct Curien, en la ville de
Walpreixewilre, en la ville de Xewobrehusre, en la ville de
Hermelingre ceu quil appartient d'anciennetei audit chastel et
chastellerie ; en la ville de Framonville ceu quil appartient
audit chastel et chastellerie ; à Remmenixepat ceu quil
appartient d'anciennetei audit chastel et chastellerie ; on
Mesny deley Halloville ceu quil appartient audit chastel et
chastellerie ; on vaul de Boinmostier, c'est assavoir en la
ville de Boinmostier, en la ville de Bertimont en la ville de
Vallay », ce qui appartient et a appartenu d'ancienneté auxdits
château et châtellenie de Durquestain, et toutes les gardes et
maisons de religion en dépendant, etc. (21).
A la mort de Thiébaut, sa succession fut partagée entre ses
enfants par les arbitres que ceux-ci avaient choisis, lesquels
disent, dans l'acte dressé à cet effet le 2 mars 1379:
« ...Ordenons et rappourtons que le chaistel et fourteresse de
Durkestain, avec toutes les villes et appartenances quelconques,
bans et finaiges appartenans audit chaistel et fourteresse,
soient et appartengnent de plain droit à damezelle Marguerite de
Blanmont, seur desdis frères, pour sa partie et enchoite
desdites successions, et vuillons que lesdis frères la maintient
dez maintenant en paixible et raielz et corporelz possession,
sans ceu qu'eulx ne autres pour eulx y mettient et faissient
mectre empeschement. Et on cas que ladicte fourteresse de
Durkestain, villes et appartenances d'icelle, seroient
raichetées vuillons et rappourtons que l'argent paiez et
délivrez pour ledit raichet soit et appartengne à ladicte
damezelle Marguerite de Blanmont pour lui et pour sui hoirs...
(22) »
Il paraît que les évêques de Metz firent, peu après, ce rachat,
car, le 22 décembre 1402, Raoul de Coucy assigna à Henry de
Blâmont, par manière de gagère, pour 1,000 florins vieux dont il
lui était redevable, les château et châtellenie de Durquestain
(23).
Non loin du château de Turquestein s'élevait celui de Chatillon,
qui était aussi un fief de l'Evêché de Metz, et le chef-lieu
d'une châtellenie. Il avait été construit, avant l'année 1324
(24) par Henri de Blâmont, qui en fit ses reprises, cette année,
de l'évêque Henri Dauphin. Cette terre passa ensuite à d'autres
seigneurs, qui eurent, à plusieurs reprises des contestations
avec ceux de Turquestein au sujet de « l'entrecours » de leurs
hommes de ces châtellenies. Un premier accord eut lieu à ce
sujet, en 1390, entre Henri de Blâmont et Jean de Vergy, par
l'entremise de Thiébaut de Blâmont, sire de Velesson, qu'ils
avaient choisi pour arbitre et qui rendit sa sentence en ces
termes : « Que tous les hommes et femmes de la signorie de
Chaistillon, qu'est à signour Jehan de Vergy, qui sont allez par
contreman ou entrecourt desoubz le signour de Blanmont, tant à
sa signorie de Trukestain, qu'il tient à présent, comme à sa
signorie de Blanmont, dès le temps que ledit signour Jehan de
Vergy ait esteit signour de la dite Chaistillon, doient revenir
et reviennent paisiblement, dès maintenant, à dessusdit signour
Jehan de Vergy... Que tous contremans que sont et ont esteit
d'ancienne- teit entre lesdites signories de Trukesten et de
Blanmont et les villes de ladite signorie de Chaistillon, sont
et doient demoreir en lour usaiges, en lour estat et en lour
force, einsi comme il est useit ez dessusdites signories d'ancienneteit...
(25) »
En 1408, le mardi après l'Annonciation Notre-Dame, les seigneurs
dont il vient d'être parlé firent un nouvel accord dans le même
sens, mais plus explicite que le précédent. « ...Que nous nos
hommes, y est-il dit, que sont de morte main et de serve
condition, tant des chastelleries de Durquelstein et de Blanmont,
comme de Chastillon, ne se puelent ne porront contremander
desoubz l'un de nos ne l'autre ne nos ne l'un de nos ne les
porrons retenir, mois vollons et consentons, pour nos et nos
hoirs, que si tost qu'il viendra à la cognissance de nos ou l'un
de nos que aucuns des dis hommes de ladite condicion avera fait
contremant, que celuy de desoubz cuy il serai partis, par lui,
ses gens ou officiers le puissent prendre ou faire prendre en
quelque lieu qu'il serait trouvez, de sa propre auctoriteit,
hors fourteresse, et l'en remenner ou faire menner au lieu et
condicion dont il serait partis ; et se aucunement aucuns de
yceulx hommes et condicion que dessus vienent ou sont en alcunes
de nos forteresses, nos ne les soustendrons point l'un contre
l'autre, mais incontinant les boutterons chascun de nos en droit
soy hors de nos fourteresses et masons si tost qu'il vendra à
nostre cognissance. Et tous ceulx que on temps passez se sont
contremandez, nos et chascun de nos en levons la main l'un de
nos à l'autre pour les prendre et remenner demourer chascun en
droit soy au lieu dont ilz sont partis (26)... »
Les sires de Blâmont restèrent détenteurs, à titre de gagère, de
la châtellenie de Turquestein jusque dans la première moitié du
XVe siècle : en 1432, Conrard Bayer de Boppart leur ayant versé
la somme de 2,000 livres de petits tournois et celle de 1,000
florins du Rhin pour lesquelles cette gagère avait eu lieu, ils
rendirent à ce prélat les lettres contenant les traités passés
pour cet objet avec ses prédécesseurs, et celui-ci les déclara
quittes de tout ce qu'ils pouvaient avoir levé des reverus de la
châtellenie depuis qu'elle était entre leurs mains (27).
Quoique les lettres de Conrard stipulent formellement le
paiement fait par lui aux seigneurs de Blâmont, il ne parait pas
qu'il eût été entièrement libéré envers eux ; c'est, du moins,
ce qu'on peut supposer d'après de nouvelles lettres datées du
jour de la Saint-Laurent (10 août) 1433 (28). Elles font voir
que le domaine de Turquestein s'était notablement amoindri entre
les mains de ses engagistes, et que ceux-ci avaient peu
fidèlement rempli les devoirs qui leur étaient imposés à titre
de fieffés des évêques de Metz.
Après y avoir rappelé les gagères faites à Thiébaut et Henri de
Blâmont, en 1350 et 1402, l'évêque ajoute : « Comme il soit que,
pour les guerres que ledit Thiébaut, et ses hoirs après lui,
aient eues avec les seigneurs des marches d'Allemagne, et aussi
pour les pestilences et mortalité qui ont régné ès marches par
deçà, les villes, terres, rentes et revenus des châtels et
châtellenies qui pouvaient valoir chacun an au temps où elles
furent mises en gage ès mains dudit seigneur Thiébaut, la somme
de 4 ou 500 livres, monnaie de Metz, ont été tellement détruites
et diminuées, ruinées et amoindries, qu'elles ne valent pas plus
de 100 livres de censive annuelle et de droits, et que la plus
grande partie des villages qui en dépendaient sont détruits et
inhabitables, spécialement les villes de Turquestein, Lorquin.
Landange, Aspach, Warcoville Niderhoff, Vasperviller,
Schowbrehusre, Hemehusre, èsquelles n'a homme ne femme
demeurant, ne n'y a point d'espérances que, au temps advenir, y
doive venir demeurer personne, pour quoi sont déserts les
champs, prés, terres arables qui sont converties en bois et
haies, et aussi pour ce que le peuple va, chacun jour, en
diminuant ;
» Et il soit encore ainsi que messire Henri de Blâmont,
dernièrement trépassé, ait fait guerre ouverte au seigneur Raoul
de Coucy, jadis évêque de Metz, et à l'Evêché, et, en faisant
ladite guerre, ait fait plusieurs gros et griefs dommages,
issant de ladite forteresse de Turquestein et rentrant en
icelle, comme feux boutés, prises de corps d'homme, bêtes et
biens meubles, et autrement ce qu'il ne devait faire par raison
tenant ladite forteresse en fief et hommage de l'Evêché de Metz.
» Et depuis le trépassement dudit seigneur, Henri, son fils et
héritier ait pareillement fait faire plusieurs dommages,
déplaisirs et injures, de noire temps, à plusieurs de nos hommes
et sujets, issant de ladite Turquestein et rentrant dans icelle
comme de toutes ces choses sommes dernièrement été informé
pourquoi nous était de nécessité de racheter et retraire ladite
forteresse et châtellenie de Turquestein avec leurs
appartenances, des mains des seigneurs de Blâmont, afin que tels
dommages, déplaisirs et injures ne fussent faits dorénavant, de
ladite forteresse, à nous ni à nos successeurs. Mais pour ce que
plusieurs desdits villages appartenant à ladite Turquestein et
châtellenie sont allés à néant et inhabitables, et que les
rentes et revenus d'icelles sont amoindris, et spécialement que
le maisonnement et les murs de ladite forteresse ont été
petitement maintenus eu édifice, et tellement que, pour les
remettre en état, comme ils étaient, nous faudrait trop grosses
sommes, n'avons mie trouvé en conseil de racheter et retraire
lesdits châtel et châtellenie pour telles grosses sommes
ci-dessus déclarées, qui peuvent monter à la valeur de 6,200
vieux florins du Rhin, de bon or et de juste poids... »
Jean d'Haussonville, seigneur de Chatillon, et Irmengarde d'Elter,
sa femme, ayant offert à l'évêque de racheter des mains de Ferry
de Blâmont et de ses frères, enfants de feu Thiébaut, et de
Marguerite de Lorraine, veuve de ce dernier, les château et
châtellenie de Turquestein, pour les sommes ci-dessus, Conrad
leur permit de faire ce rachat ; ils promirent de les tenir à
toujours de lui en fief rendable et receptble, de remettre le
château en bon et suffisant état de tous édifices, pour l'en
aider au besoin et à sa volonté.
Ils firent ratifier cet engagement, quelques jours après (24
août), par Jacques, leur fils, et par le mari de leur fille,
Jacques de Savigny. En 1453, Nicolas Sturm, de Sarrebourg, bailli des frères Gaspard et Balthazar d'Haussonville à
Turquestein, renouvelant un acte du même genre, dressé en 1450,
déclare que l'évêque de Metz est libre de se servir des
ouvertures à lui accordées dans cette forteresse, comme le lui
ont reconnu Jean d'Haussonville et sa femme.
Ce dernier, parait-il, avait traité avec les seigneurs de
Blâmont, pour le rachat de la seigneurie de Turquestein, plus
tôt qu'il n'a été dit précédemment, car, dès l'année 1430, il
vendait au comte de Linange-Réchicourt et au jeune comte Rudolf,
son fils, le quart de la seigneurie et le château de Turquestein
pour la somme de 25,000 florins, se réservant toutefois le droit
de rachat (29).
Ce fait fournirait l'explication d'un titre, en allemand, daté
du lundi après l'Assomption Notre-Dame 1490, dont l'inventaire
du Trésor des Charles (30) donne l'analyse suivante : « Lettres
de Wecker, comte de Linange, Réchicourt et Dabo, portant que,
n'ayant point d'enfants de dame Mahant des Armoises, comtesse de
Linange, sa femme, et la plupart de ses seigneuries situées de
l'autre côté de la Sarre étant fiefs masculins mouvant de
l'Evêché de Metz et y reversibles, et pour les services qu'il a
reçus de Georges et Henri, évêques de Metz, il cède à toujours,
en tout droit de propriété, auxdits évêques (31), la moitié du
comté de Réchicourt, ville et château,... SA PART aux châteaux de
Molsprich (Marimont), Turquestein, Chatillon (zu Turckstein und
zu Chastillon) et de Marmoutier,... sa part au château de Saareck,..
et tous ses biens de franc alleu,... sans en rien réserver. »
Ce titre parait en contradiction avec deux autres que rapporte
M. Fischer d'après les Archives de Lorraine, fonds de l'Evêché
de Metz: le premier est un acte du 11 septembre 1460, par lequel
Balthazar d'Haussonville se reconnaît vassal de l'évêque de Metz
à cause de la forteresse de Turquestein le second, du 10 avril
1464, une promesse de son bailli, Cugnin Boutefeu, de sortir de
cette forteresse à la première réquisition de l'évêque.
Balthazar, que la Généalogie de la maison d'Haussonville (32)
qualifie baron dudit lieu et de Turquestein, eut de son mariage
avec Anne d'Anglure, entr'autres enfants: Gaspard, baron d'Haussonville,
gouverneur des ville et comté de Blâmont, etc. Simon d'Haussonville,
chevalier, baron dudit lieu; d'Ornes et de Turquestein, etc.,
mort en 1526; Jean d'Haussonville, chevalier, seigneur
d'Essey-lès-Nancy, d'Haussonville et de Tonnoy en partie,
sénéchal de Lorraine et bailli de l'Evêché de Metz, marié, en
1535, avec Catherine de Heu, dame d'Essey, laquelle était veuve
en 1548, lui laissant un fils et trois filles, savoir : 1°
Balthazar d'Haussonville, chevalier, baron d'Essey, gouverneur
de Nancy, grand maître de l'hôtel du duc Charles III, marié, en
1561, à Anne de Salm, et mort sans postérité; 2° Claude, mariée
à Gaspard de Marcossey, seigneur dudit lieu et de Goin, grand
écuyer de Lorraine et bailli de Clermont ; 3° Jeanne, dame d'Essey
et de Tonnoy en partie, mariée, en 1586, à Jean de Savigny,
seigneur de Rosnes, grand écuyer de Lorraine et bailli de Nancy;
4° Anne d'Haussonville, abbesse de Saint-Pierre de Metz.
La qualification de baron de Turquestein, aussi bien que celle
de baron d'Essey, sont de pure fantaisie : Jean d'Haussonville
prend simplement celle de seigneur dudit lieu, d'Essey-lès-Nancy
en partie et de Turquestein dans l'acte par lequel, le 6 février
1535 il fonda dans le château de ce dernier lieu, conjointement
avec Catherine de Heu sa femme, une chapelle qui devait être
desservie par les religieux de Haute-Seille (33).
En 1541, les domaines de Turquestein et de Chatillon
appartenaient par indivis au même Jean d'Haussonville, à Claude
d'Haussonville, chevalier, baron dudit lieu et d'Ornes, premier
pair de l'Evèché de Verdun; à Philippe des Salles, chevalier,
seigneur de Gombervaux, à cause de Renée d'Haussonville, sa
femme; à Georges de Nettancourt, chevalier, seigneur de
Vaubecourt, à cause de Marguerite d'Haussonville, sa femme, «
et, tous par ensemble seigneurs de Turquestain et de Chatillon
».
Quoique les d'Haussonville fussent bien possesseurs de ces
terres, la duchesse régente de Lorraine Christine de Danemark, à
qui le comté de Blâmont avait été donné pour douaire lors de son
mariage avec le prince François, qui régna sous le nom de
François Ier, eut l'idée, en 1549, de soulever des prétentions
sur la châtellenie de « Triquestaiu », comme douairière de
Blâmont, bien que les seigneurs de ce nom na l'eussent jamais
tenue qu'à titre de gagère. Elle nomma pour procureur, à l'effet
de faire valoir ses droits, Me Michel Bouvet, licencié en lois,
procureur général au bailliage de Bar, et choisit pour arbitres
l'abbé de Saint-Martin de Metz, sieur de Sorcy, et le sieur de
Bassompierre, bailli de Vosge ceux des sieurs de Turquestein,
Chatillon et Hattigny,
« leurs hommes et sujets », furent l'abbé de Bouzonville et
messire Michel de Gournays, chevalier; le procureur du cardinal
de Lorraine joint « pour le regard de ladite seigneurie de
Triquestain » sans doute en sa qualité d'évêque de Metz (34).
Il ne paraît pas que les prétentions de la régente, nonobstant
l'influence dont elle jouissait, eussent été déclarées
admissibles, car nous voyons, en 1561 et 1565 (35), Balthazar d'Haussonville,
conseiller et grand maître de l'hôtel de Charles III, qui avait
épousé Anne comtesse de Salm, et African d'Haussonville (36),
baron dudit lieu et d'Ornes, continuer à prendre la qualité de
seigneurs de Turquestein (37).
En 1575, Chrétien de Savigny, seigneur dudit lieu, de Rosnes et
de Tonnoy, Essey-lès-Nancy, Turquestain, etc., et Antoinette
d'Anglure, son épouse, donnent procuration à leur receveur au
lieu d'Essey pour vendre à Pierre de Chastenoy, seigneur de
Lanty, deux tiers du gagnage de Hambourg, les gagnages de
Landange et celui d'Aspach, « le tout scis et scitué en la terre
et seigneurie de Turquestain ». Cet acte est scellé du « scel du
tabellionnaige Monsp.igneur de Haussonville de sa seigneurye de
Turquestain » (38).
M. Fischer rapporte, d'après les Archives de la Basse-Alsace et
celles de la ville de Strasbourg des événements sur lesquels nos
historiens gardent le silence le plus absolu. En 1569, dit-il,
les passages des troupes auxiliaires qui furent enrôlées pour le
compte de la France, et des lansquenets soudoyés parles
huguenots, causèrent beaucoup de désordres et donnèrent même
lieu à des hostilités tant en Alsace qu'en Lorraine. Le duc
Charles III, sentant la nécessité de se fortifier davantage,
s'empara sans bruit des châteaux de Turquestein et de Chatillon.
Mais le comte palatin Jean da. Veldenz, seigneur de Latzelstein
(39), l'accusa près de l'empereur d'un acte qu'il regardait
comme une invasion sur les terres de l'Empire, et pria celui-ci
de rassembler une armée pour reprendre ces deux forteresses,
ainsi que la ville de Metz.
Cette démarche ne paraît pas avoir eu de résultat immédiat mais,
en 1514, un corps de tireurs gascons, que le comte s'apprêtait à
conduire en France, envahit la Lorraine, dévasta les terres de
l'Evêché de Metz, détruisit le château de Moersperg, chassa les
Lorrains de ceux de Turquestein et de Chatillon, et les remit au
comte. A la nouvelle de ces événements, l'évêque Louis de
Lorraine, cardinal de Guise, envoya une troupe à Réchicourt pour
protéger le territoire épiscopal. On ne dit pas ce qu'il advint
des deux forteresses dont il vient d'être question.
Quoique les terres de Turquestein et de Chatillon fussent des
fiefs de l'Evêché de Metz, les comtes palatins y jouissaient de
certains droits à cause de leur seigneurie de Phalsbourg ; ils
passèrent au duc Charles III lorsqu'il fit l'acquisition de
cette seigneurie sur le comte Georges-Jean, en 1583. Ces droits
sont ainsi énumérés dans le compte du domaine de Phalsbourg pour
l'année 1589 (40) :
« Les maisons, seigneuries, monastère; et villages qui suyvent...
sont en la sauvegarde et protection de Son Altesse et payent par
chacun an les sommes cy après, lesquelles le maire des
sauvegardes, demeurant à Hattigny, lève
» Et premier.
» La seigneurie de Durckstein.
» Les subjectz appartenantz à Monsieur de Haussonville aux
villages deppendans dudit Durckstein, qui sont Hettigny, St
George, Landlingen, Hablutzel, Rogern, Bertramboys et Farren
doibvent, par chacun an d'ordinaire, à Son Altesse, la somme de
six florins quattre batz trois creutz.
» Les subjectz appartenaus à Messieurs de Marcoussey (41) et de
Rosne, deppandant de la seigneurie de Durckstein, qui sont
Lorquin, Feckelfing, Niderhan, la Neuve ville, le Neu Moullin et
Leffelhron doivent rendre d'ordinaire, pour ledict droict de
sauvegarde, la somme de six florins quinze batz trois creutz
(42) ».
Il est à noter qu'il n'est pas question ici de Turquestein, en
tant que village et qu'il n'en est fait mention dans aucun
document postérieur.
Au commencement du XVIIe siècle, la terre de Turquestein cessa
d'être dans l'état d'indivision où nous venons de la voir : elle
n'eut plus qu'un seul possesseur, des mains duquel elle passa
dans le domaine particulier des ducs de Lorraine. Ce possesseur
fut François de Lorraine, comte de Vaudémont, père de Charles
IV. On ignore le motif qui put l'engager à en faire
l'acquisition, les pièces qui la précédèrent ayant toutes
disparu (43) ; ce fut peut-être la proximité des domaines qui
appartenaient à sa femme, Christine de Salm.
A défaut de ces pièces, je crois devoir en donner l'indication,
d'après l'Inventaire, suivant l'ordre qu'elles y occupent, afin
que l'on puisse juger de l'intérêt qu'elles présenteraient.
Sans date. - Rapport du gruyer de Nancy et de Didier Desjardins,
maître maçon (44), de la value et estimation de la maison ou
château de la baronnie de Turquestein.
1599, 7 avril. - Visite faite par Millot, prévôt de Vaxy, du
château de Turquestein.
1599, 24 avril. - Lettres de François de Lorraine, comte de
Vaudémont, et de Christine, comtesse de Salm (sa femme), qui
donnent pouvoir au sieur de Vuillermin et à Jean Terrel de
s'informer exactement des revenus de la terre de Turquestein et
en faire l'achat. - Ensuite est le recueil des rentes dudit
Turquestein.
1601, 25 septembre. - Lettres de François de Lorraine qui commet
Jean Terrel pour prendre possession des château, terre et
seigneurie de Turquestein et gérer ses affaires pendant son
voyage en France.
1601, 17 octobre. - Acte de prise de possession par Jean Terrel.
Celui-ci était secrétaire des commandements trésorier et
receveur général des finances du comte de Vaudémont, et il nous
apprend, dans son compte de l'année 1600 (45), à quel prix
s'était faite l'acquisition qu'il avait été chargé de conclure
« Le trésorier fait dépense de la somme de 72,450 fr. qu'il a
payés, le dernier août de cette année, à M. le vicomte d'Estoges
(46), sur et en tant moins de celle de 172,622 fr. 9 gros, à
quoi monte le contrat de vendition de la terre et seigneurie de
Turquestain faite à Monseigneur par ledit sieur vicomte, tant en
son nom que de ses frères et soeurs; le surplus payable en deux
années suivantes, savoir en 1601, 79,000 fr., et en 1602, 21,172
fr. 9 gros. »
Si l'on en juge par le chapitre du compte de l'année 1603 (47)
intitulé : « Recette de deniers provenant de la baronnie de
Turquestein », le revenu de cette terre aurait été bien minime
comparé au prix d'acquisition, puisque la rente ne s'élève qu'à
la somme de 3,704 fr.
1 gros 13 deniers « obol et demi ».
Peul- être faut-il ajouter à la recette de ce qu'on appelait le
domaine, celle de la gruerie ou des bois qui, bien qu'indivis
entre plusieurs possesseurs (48), devaient donner des produits
considérables; de plus, l'amodiation des cours d'eau, des
scieries et des étangs (49).
Pour le domaine, il y avait un receveur, qui était en même temps
châtelain ou gardien du château (50) pour les forêts, un gruyer
il y avait, en outre, sous le titre de procureur d'office ou
procureur fiscal, un troisième officier, chargé de l'intérêt
public et de celui du seigneur.
Au nombre des recettes du domaine figuraient les « tailles à
volonté ». Un état de celles qui furent payées, en 1615, par les
sujets de la baronnie de Turquestain et de St. George (51),
donne le rôle des villages qui la composaient et le chiffre
auquel les habitants furent « eschaqués », le fort portant le
faible, savoir : Niderhoff, 170 fr. ; Fraquelfing, 155 ;
Neuf-Moulin, 150 ; Aspach, 120 ; Lafrimbolle, 45 ; Saint-Quirin,
50 ; Saint- Georges, 472 ; Hattigny, 520 ; Landange, 880;
Bertrambois, 130 ; Hablutz, 80 ; Richeval 130 ; Petit- Mont, 240
; en tout, 2,642 fr.
Voulant. donner plus de lustre à son nouveau domaine, le comte
de Vaudémont demanda, en 1613, à l'empereur Mathias d'accorder
aux baronnies de Saint- Georges et de Turquestein, au territoire
d'Angomont et à une partie de celui de Chatillon, qu'il avait
nouvellement acquis, les mêmes droits régaliens que ceux dont il
jouissait dans le comté de Salm, notamment le pouvoir d'y
frapper monnaies d'or et d'argent comme faisaient les ducs de
Lorraine et les évêques de Metz dans leurs états (52). Cette
requête parvint bien à sa destination, témoin le cachet impérial
qui y est apposé, mais on ne voit pas qu'il y ait été fait
droit.
Le seul monument sigillographique qui se rapporte à la
possession des baronnies par le comte de Vaudémont, est un sceau
en cuivre du tabellionnage de Turquestein, portant aux 1 et 4 de
Lorraine, aux 2 et 3 de France, qui étaient les armoiries de
François de Lorraine comme de Vaudémont.
Charles IV hérita des droits de son père sur les baronnies, mais
il ne jouit pas longtemps de ce domaine. Les montagnes et les
forêts qui semblaient devoir lui servir de rempart, ne le mirent
pas à l'abri de l'invasion étrangère l'année qui suivit la mort
du comte de Vaudémont, arrivée en 1632, la terre de Turquestein
était envahie par des bandes armées (53), qui comme partout
ailleurs sans doute, pillaient et incendiaient les lieux qui se
trouvaient sur leur passage. Vint ensuite, pour mettre le comble
à la misère des habitants, le logement des gens de guerre de
l'armée lorraine (54). Les châteaux ne furent pas plus épargnés
que les villages : en 1634, sur l'ordre du roi, ou plutôt du
cardinal de Richelieu, on détruisit celui de Turquestein et
probablement aussi ceux de toute la contrée.
L'état misérable auquel le pays fut réduit est attesté par les
comptes des receveurs, dont les mentions sont plus éloquentes
que des phrases. Ainsi, en 1651 les domaines de Turquestein et
Saint-Georges étaient affermés pour la modique somme de 50
risdallers ou 200 fr. (55); et encore ne les payait-on pas. Le
comptable remontre, en 1659, que « le domaine des lieux de
Turquestein et St Georges a esté cy devant laissé à feu Monsieur
le conseiller Humbert à charge d'en rendre cinquante risdallers
par chacun an ; mais, pour l'an cinquante quatre et les
suivantes, il n'en a pu estre tiré aucune chose; et, ayant
interpellé le sieur colonnel de Bellerose, comme héritier dudict
sieur Humbert, il a faict responce qu'il ne jouyssoit dudict
domaine, ains les François, et que par conséquent, il ne devoit
rien (56). »
L'occupation dura jusqu'au traité de Vincennes, par lequel, en
1661, Charles IV fut remis en possession de ses Etats. Il confia
l'administration des baronnies à un officier spécial, dont on
possède les comptes pour les années 1665 et 1666 j'en
reproduirai les passages les plus intéressants.
« Compte premier de la baronnie de Turquestain, en ce qui
regarde le dommaine, provenant d'acquest fait de feu l'Altesse
de Monseigneur le duc (57), obvenu par partage à Son Altesse,
que rend Pierre de La Haye, capitaine, hault officier, gruyer et
recepveur des baronnies de Turquestain et Sainct George (58),...
commenceant au 1er janvier 1665 et finissant à pareil jour de
l'an 1666.
« Et premier.
» Déclaration des droits et authorités de la baronnie de
Turquestain à la parte (59) de Son Altesse.
» A luy seul appartient le chasteau de Turquestain, qui estoit,
auparavant les guerres, d'une belle et ample surcuit; mais, par
ordre de Sa Majesté, a esté desmoly en l'an 1634 (60), au desoub
duquel il y a une cense ruinée, servant de basse court,
accompagnée de grande quantité de terres labourables et preys,
qu'est le dommaine dudict chasteau.
» Lesquelles terres et preys tous les subjectz laboureurs des
villages cy après desnommés sont tenus labourer, tant aux bleds
qu'aux avoines, et en faire les charrois.
» Pour la garde ordinaire du chasteau y a (61) quinze
harquebusiers subjectz de Sainct Quirin, qui s'eslisent
annuellement par un commandeur d'entr'eux, ausquels l'on donne
la simple nourriture, faisans la garde.
» Comme aussy le surplus des subjectz dudict Sainct Quirin sont
tenus au guet nocturne, et, lorsqu'ils n'y sont employés, payent
dix frans annuellement.
» Et, en temps de guerre, tous autres subjectz de Sadicte
Altesse sont responsables audict chasteau et tenus à la garde d'iceluy,
sauf ceux de Dongevin qui sont encore par indivis avec Sadicte
Altesse et les sieurs du Chastellet.
» Tous les laboureurs et manouvriers sont tenus de faire et
mettre en cordre le bois nécessaire pour l'affouage du chasteau,
et charroyer ledict bois, en donnant à chacune personne
travaillant et charroyant, une michette de pain à chacune fois.
» Aussy sont les laboureurs et manouvriers subjectz de
travailler, faire les charrois des matériaux nécessaires aux
reffections dudict chasteau, bassecourt et autres maisons,
moulins et estangs de ladicte barronnie, ensemble de charroyer
tous bois nécessaires aux reffections du chasteau de Tounoy
jusqu'à Donjevin, en donnant, par chacun char, dix gros; et les
subjectz de Sadicte Altesse à Donjeviu tenus de les mener audict
Tonnoy moyennant leur nourriture, comme au charrois des grains,
cy après;
» Item, S. A. est seigneur hault justicier, moyen et bas, sans
parte d'autruy, et en tiltre de baronnie, ès villages de
Niderhoff, Fraquelfing, Aspach, Neuf Moulin et Lafrembonne, en
matière civile seulement, des causes qui s'audiancent et des
sentences qui se rendent pardevant les juges ordinaires desdicts
villages y ayante appellation, elles viennent au buffect et
appartiennent à Sadicte Altesse, pour l'amende de chacune
appellation cinq frans.
» Le signe patibulaire de laquelle baronnie est érigé sur le ban
de Lorquin (62), à trois pilliers, avec un carquant posé contre
un pillier de la halle de Lorquin, où et auquel signe
patibulaire Sadicte Altesse, de sa seule authorité peut faire
toutes sortes d'exécutions comme des autres villages cy devant,
si bon luy semble.
» Est Sadicte Altesse haulte justicier seul au lieu de Sainct
Quirin, ayant instruction de procès privativement de tous
autres, se traitans, iceux procès, devant la justice dudict
Sainct Quirin, au chasteau de Turquestain ; en vertu de laquelle
haulte justice appartiennent à S. A. toutes confiscations,
espaves et attrahières; et auquel lieu Sadicte Altesse a un
signe patibulaire.
» Aussy est Son Altesse hault justicier, moyen et bas pour un
quart en totalité au village de Dongevin, d'où deppend la
sauvegarde du Chaunoy, mouvant du prioré de Manonviller.
» Sadicte Altesse à cause de sadicte baronnie a droit de
tabellionnage, qui se commet entre luy et M. le marquis d'Haraucourt
par moictié.
» Aussy S. A. a droict de passage, à cause de sondict chasteau,
au destroict des montagnes dict ès deux noms, où S. A. prend la
moictié à cause d'acquest faict de Phalzbourg.
» En ladicte baronnie y a rivière où S. A. a droict de pesche,
et sur icelle des moulins battans ; comme aussy y a sept estangs
qui appartienuent en partie à S. A.
» La chassa est commune entre S. A. et les sieurs de Chastillon.
»
Suit la liste des villages dont les habitants devaient la
taille, les corvées et autres redevances seigneuriales :
Niderhoff (deux laboureurs), Fraquelfing (trois laboureurs),
Neuf-Moulin (village entièrement brûlé, désert et inhabité),
Aspach (deux laboureurs et demi, c'est-à-dire une veuve),
Lafrimbolle (un laboureur), Saint- Quirin (six laboureurs),
Hesse, appartenant pour un quart au marquis d'Haraucourt;
Domgevin, pour un quart aux sieurs des Thons et du Châtelet; la
Neuveville au Bois, indivis avec les mêmes ;
« Recette de seigle.
» Remonstre le comptable que, depuis les guerres, le gagnage de
Turquestain est entièrement ruiné et aboly. »
» Gages des officiers.
» Remonstre le comptable que le chasteau de Turquestain, où
souloit résider l'officier avant les guerres, est entièrement
ruiné et inhabitable depuis trente deux ans ençà, et partant,
obligé de louer une maison au village d'Hattigny, qui est au
milieu de son office, pour faire sa résidance et exercer ses
charges. »
Les événements qui survinrent dans le cours des années suivantes
amenèrent une nouvelle occupation : Charles IV fut encore une
fois dépossédé de ses Etats, et la Lorraine cessa d'exister de
fait sous le règne de son successeur. A la suite d'une requête
des évêques de Metz, de Toul et de Verdun, Louis XIV établit une
Chambre royale composée de membres du Parlement de Metz, pour
rechercher les usurpations ou les soi-disant usurpations
commises par nos ducs sur le temporel des Trois-Evèchés. Du 15
avril 1680 au 2 juin 1683, les ministres de l'ambition du
monarque rendirent une foule d'arrêts qui réunissaient au
domaine royal ou au temporel des Evêchés quantité de villes,
bourgs, villages, terres et seigneuries (63). L'arrêt qui
prononçait la réunion de celle de Turquestein à la couronne de
France fut rendu le 30 avril 1680 ; les sujets et M. Maljan,
prévôt et juge, durent prêter foi et hommage à Louis XIV et le
reconnaître pour leur seigneur. Mais les décisions de cette
Chambre furent annulées par le traité de Ryswick (30 octobre
1697) qui rendit la Lorraine à Léopold (64).
Les baronnies de Turquestein et de Saint-Georges lui furent
restituées en même temps, mais il ne les conserva pas jusqu'à la
fin de son règne en 1720, il en fit don à Marc de Beauvau prince
de Craon son grand écuyer, en récompense d'importants services,
ou pour des raisons dont on trouverait peut-être le secret dans
les chroniques scandaleuses du temps.
Afin de tirer parti des grandes forêts de ces deux baronnies, de
celle de Lorquin et d'autres terres qui lui appartenaient dans
l'Evêché de Metz, situées à portée des rivières de Meurthe et
Vezouse et des ruisseaux y attenants, le prince sollicita et
obtint du duc, par lettres patentes du 6 février 1727, la
permission de faire flotter sur ces rivières et ruisseaux tous
les bois provenant de ses forêts, à condition que la moitié
serait livrée au fermier général des gabelles pour les mêmes
prix auxquels il achèterait dans les lieux les plus prochains
les bois de même qualité pour l'usage de la saline de Rosières ;
l'autre moitié des bois, qui seraient flottés sur lesdites
rivières, ne pourraient être vendus qu'à charge de les débiter
au prix courant dans la ville de Lunéville seulement etc. (65)
Quelques mois après la mort de Léopold, son successeur François
III promulgua (le 14 juillet 1729) un édit portant révocation de
toutes les aliénations faites depuis 1697 des terres,
seigneuries, biens et droits dépendant du domaine, auquel il
déclara les incorporer.
Le prince de Craon, se croyant atteint par cet édit, signa «
involontairement », c'est-à-dire sans réflexion, le 11 février
1730, un acte de « déport » en vertu duquel il renonçait aux
donations que le feu duc lui avait faites. En conséquence,
François III reprit les baronnies et les fit administrer par un
régisseur, dont on a le compte pour l'année 1732 (66). On y voit
qu'elles étaient d'un bien faible revenu.
Les choses restèrent dans cet état jusqu'en 1736 ; mais, lorsque
François fut sur le point de quitter la Lorraine, M. de Beauvau,
mieux éclairé sur ses droits, et n'ayant plus à se trouver en
opposition avec son souverain, lui fit représenter que les
baronnies de Saint-Georges et de Turquestein et le Ban le Moine
étant situés dans une souveraineté étrangère, et ayant été
acquis à titre particulier (67), n'avaient pu être légalement
compris dans la réunion des domaines, et que le déport qu'il
avait fait en 1730 était « involontaire ». Le duc nomma des
commissaires pour examiner ces prétentions, qui lui parurent
justes; et, sur le rapport qui lui fut fait, il invita le
procureur général de ses Chambres des Comptes à passer en son
nom, avec le prince et la princesse de Craon, un contrat par
lequel il se déportait en leur faveur du bénéfice de celui du 11
février 1730 ; ce contrat fut passé le 14 mai 1736, et confirmé
par lettres patentes du 22 (68).
Le procureur général ne se pressa beaucoup, parait-il, de
remplir les intentions de son maître, car la rétrocession
n'avait pas encore été opérée lors de la réunion de la Lorraine
au royaume. Dans les conférences qui la précédèrent, le ministre
de France se plaignit de cet acte et d'autres du même genre. En
réponse à ses plaintes, François III fit paraître, à Vienne, un
mémoire intitulé : Eclaircissemens sur les domaines de Lorraine
et de Barrois, où il dit que la restitution par lui faite au
prince était un acte de justice et non de grâce. Le Cabinet
français combattit faiblement les Eclaircissemens, et, après
divers pourparlers, le prince de Craon fut définitivement
reconnu propriétaire des baronnies, qui restèrent depuis, et
pendant longtemps, dans sa famille.
Au décès du prince (1754), la seigneurie de Turquestein revint à
son fils, le prince Marc-Juste de Beauvau- Craon, depuis
maréchal de France, qui, le 8 août 1772, rendit ses foi et
hommage au Roi pour les baronnies, comme terres mouvantes de Sa
Majesté à cause de l'Evêché de Metz (69).
Marc-Juste mourut le 21 mai 1793. Par acte daté du 14 juillet
1791, il avait laissé en emphytéose, pour une durée de cent
moins un an, aux sieurs Charles Tscharner et François-Xavier
Adorne, bourgeois de Strasbourg, moyennant une rente de 25
livres au cours de France, la résidence et les ruines du château
de Turquestein, plus le terrain qui les entourait, consistant en
60 jours cultivés, et un autre « aréal » de 40 jours, situé
vis-à-vis du château. En 1796, les emphytéotes rétrocédèrent
leurs droits à Thérèse Schwindle veuve Breck, et à Lazar Zaü,
qui céda sa part à ladite veuve en 1799. L'année suivante,
Joseph Hummel, de Strasbourg, acheta les droits de l'emphytéote
et les revendit, en 1801, à François-Joseph Wolff, qui s'en
dessaisit, en 1805, au profit de Louis Champy, maître des forges
de Framont. A la mort de ce dernier, l'emphytéose fut acquise
par M. Auguste Chevandier de Valdrôme, pair de France, demeurant
à Cirey, en vertu d'un contrat passé le 24 décembre 1838, pour
une somme de 5,000 francs sur Eléonore Chouard, veuve Champy,
ses enfants et petits-enfants, Bernard-Michel Champy, résidant à
Framont, Pierre Champy, domicilié à Strasbourg, et demoiselle
Marie-Julie-Esther Latour de Foissac.
M. Auguste Chevandier acheta aussi une partie des importantes
forêts qui dépendaient anciennement de la baronnie de
Turquesteiu, et réunit en sa personne le droit de propriétaire
et celui d'emphytéote sur le vieux manoir en ruines. A sa mort,
arrivée le 6 octobre 1865, ces biens passèrent à ses enfants,
qui les possèdent encore.
Durant le court espace de temps que les sieurs Tscharner et
Adorne en furent emphytéotes, le château de Turquestein fut le
théâtre d'un épisode risible des fastes révolutionnaires dans
notre département (70).
Ces Messieurs ayant eu l'idée de faire exécuter des
constructions sur la plate-forme où s'élevaient les ruines, les
habitants des villages voisins s'imaginèrent que des gens mal
intentionnés s'y étaient réfugiés, avec des armes et des
munitions dans le but de troubler la tranquillité publique, Une
première perquisition opérée à cet effet n'avait produit aucun
résultat ; néanmoins, le commandant de la garde nationale de
Blâmont crut devoir insister près du Directoire du district pour
qu'il en fut fait une nouvelle, et les membres de cette
assemblée prirent, le 11 septembre 1791, l'arrêté suivant :
« Vu la requête de M. le Commandant de la garde nationale de
Blamont tendant à être autorisé à se transporter à Turqueistin
sous sa responsabilité pour y faire une visite, requérir main
forte le cas échéant, et de le faire assister de gendarmes
nationaux au besoin ; ouï le rapport et le procureur syndic,
« Le Directoire du District de Blamont ne peut que louer le zèle
de M. le Commandant de la garde nationale sur la tranquillité
publique et les précautions qu'il se propose de prendre pour
s'assurer de la vérité de tout ce qui se répand au sujet du
chateau de Tarqueistin, informé que les gardes nationaux de St.
Quirin, Abbrecheville et Lorquin s'étaient dans le cours du mois
dernier transporté à Turqueistin que leurs demarches n'avoient
mené à aucunes découvertes qui pussent donner l'ombre
d'inquiétude, avoient cru pouvoir rester tranquilles sur les
bruits qui avaient été répandus, que des gens mal intentionnés
s'y étaient réfugiés avec des armes et munitions capables
d'inspirer des allarmes, mais pour déférer à la demande de M. le
Commandant et se joindre à lui lorsqu'il s'agira de rassurer les
personnes inquiètes, d'apporter la tranquillité dans toute
l'étendue du District mis sous sa surveillance, le Directoire
l'autorise s'il le juge nécessaire et sous sa responsabilité
offerte, à se rendre au chateau de Turqueistin avec un
detachement tel qu'il lui plaira, ou y envoyer un officier nommé
de sa part, de se faire assister de deux gendarmes nationaux
invités à cet effet, si le cas l'exige, qui seront tenus de
dresser procès verbal de leurs demarches pour être deposé au
secrétariat du District, pris ensuite tel parti que les
circonstances nécessiteront.
» Ordonne à la municipalité de Turqueistin de porter aide et
assistance au détachement, de se joindre à l'officier qui le
commandera pour faire les recherches convenables en cas de
résistance de ces particuliers établis au chateau de Turqueistin.
» Fait à Blamont le 11 septembre 1791, par les administrateurs
composant le Directoire du District. Signés L. Laurent, D.
Mayeur, N. François, Vaultrin, Fromental l'aîné et Lafrogne.
» Collationné.
» Lafrogne, s. g. »
» Le present sera executée par monsieur Batelot capitaine de la
garde nationnal. Blamont le 11 septembre 1791.
» Demaugny
» Commandant ».
» Garde nationale de Blamont.
» Ce jour dimanche onze septembre mil sept cent quatrevingt onze
» En conséquence d'un arrêté du Directoire du District de
Blamont qui autorise le commandant de la garde nationale de
cette ville à ordonner un detachement pour se rendre à
Turquestein où le publique prétend qu'il se trouve des armes,
des munitions, que l'on fait des préparatifs de guerre, pour
faire une exacte visitte de ce lieu et s'assurer de l'état des
choses,
» Nous officiers, sous officiers, fusilliers, sapeurs et tambour
de la garde nationale de Blamont, assistés des S. Lanoue et
Martin gendarmes nationaux x la residence de cette ville, sommes
partis de Blamont cejour à midi et demi et arrivés à la
Frimbonne eloigné d'une demi-lieue de Turquestein à trois
heures, nous avons empeché que personne sortit du village
pendant le temps où nous nous occupions de l'ordre à tenir dans
la marche qui devait etre secrette et de la charge de nos armes.
» Puis nous avons pris le chemin de Turquestein dans le silence
le plus absolu et sur le point d'arriver à la ferme dite de
Turquestein occupée par le S. Debuisson maire et avant que le
detachement fut sorti du bois, un de nous s'est transporté chez
ledit S. Debuisson qu'il a requis de le suivre ce qu'il a fait,
et en même temps le detachement a paru et s'est rangé en
bataille devant la maison de ferme.
» Aussitot sont arrivés le S. Charles Lefort lieutenant colonel
à la suite de l'armée et madame Adorme que nous avons instruit
de l'objet de notre demande, en les rassurant par l'honnèteté
que nous leur avons promis de mettre dans notre recherche. Nous
les avons invité de nous faire remettre les clefs de leur
habitation et de nous suivre. Ensuite nous sommes arrivés sur la
roche par deux issues differentes, nous avons placé des
sentinelles de tous côtés et le surplus du detachement en
présence du S. Adorme et du S. Charmer que nous avions envoyé
chercher à une autre ferme située au midi du chateau, a fait la
visitte 1. du nouveau batiment construit pal' les dits S. Adorme
et Charmer, où il a trouvé, dans deux petits cabinets du
grenier, deux bois de lits et environ dix chaises, le surplus
des appartemens etant encore occupés par les outils et materiaux
necessaires aux ouvriers 2. d'une espèce de hallier où il a
trouvé un tas de fagots dont il a detourné la plus grande
partie, sans qu'il y ait rien remarqué de ce qu'on lui avoit
annoncé.
» 3. D'une cave où il ne s'est rien trouvé, cependant en
examinant les murs, il a vu un endroit qui etoit construit tout
nouvellement qu'il a fait demolir, parceque frappé d'un coup de
crosse, il avoit rendu un son creux, ce qui faisait soupçonner
que ce pouvoit etre le receptacle des pretendues munitions.
» 4. D'un rocher au levant du chateau, dans lequel il se trouve
une ouverture assez considerable où l'on s'est avancé sans y
rien remarquer.
» 5. D'une loge de bois à laquelle on a donné le nom d'hermitage
sur la pointe du même rocher, dans laquelle on n'a trouvé que de
la paille et quelques outils de charpentier.
» 6. Enfin de tous les alentours et de toutes les ruines de
cette antique demeure que plusieurs d'entre nous qui la
connoissoient dès avant le sejour momentané qu'y font les S.
Adorme et Charmer, ont dit ne se trouver changée en rien.
» Ensuite le S. Charles Lefort nous a exhibé d'un passeport qui
lui a été donné par la Municipalité de Strasbourg qui par un
acte particulier qu'il nous a aussi représenté, rend un
témoignage satisfaisant je sa conduite et de son patriotisme
connu.
a Les S. Adorme et Charmer nous ont aussi présenté des
certificats qui témoignent de leur civisme et nous ont déclaré
que leur résidence fixe était Strasbourg, que leur projet etoit
d'habiter Turquestein pendant la belle saison seulement, qu'ils
faisoient travailler à quelques bois de lit pour un hopital
qu'ils se proposent d'etablir à Strasbourg.
» La Municipalité de Turquestein nous a d'ailleurs rassuré sur
le compte des S. Adorme et Charmer qu'ils regardent comme de
bons citoyens et incapables d'aucuns projets contraires à la
Constitution.
» Nous nous sommes ensuite rendus à Bertrambois où la
Municipalité et tous les habitans nous ont fait l'eloge des S.
Adorme et Charmer dont ils nous ont repondu des sentimens d'honnèteté
et de bienveillance.
» Et, de retour à Blamont où nous sommes arrivés à dix heures du
soir nous avons dressé le present procès-verbal pour rendre
compte de notre commission. Signé Augustin Demontzey, lieutenant
colonel, Marchal porte drapeau, Batelot capitaine, Lafrogne
quartier-maître, Vesslard, Gillot sergent, Devinois caporal, J.
Joseph Daras, Jean Claude Laval, Nicolas Vanier, Joseph Crance,
Idulphe Simon, etc., Nicolas, etc., Lanoue, Martin.
» Collationné par le secretaire quartier maître de la garde
nationale de Blamont.
» Lafrogne. »
Cette visite domiciliaire ayant pleinement rassuré le public sur
ce qui se passait dans les ruines du château de Turquestein le
sieur Adorme adressa, le 28 septembre, aux « Président et
Membres du département de la Meurthe », une pétition dans
laquelle il expose qu'ayant acquis ces ruines, « il y a fait
bâtir pendant l'été une maison et écuries, en outre une petite
maisonnette pour les pauvres, avec une chapelle, de laquelle il
a eu l'agrément de M. l'évêque de la faire bénir pour y faire
célébrer la sainte messe n il fait la présente déclaration, tant
pour éviter toute mésintelligence que pour en obtenir l'agrément
de « Messieurs les Président et Membres du Département ».
Cette requête, signée « Adorne phyzicie abittant de Turquenstein
d'ordinaire à Strasbourg » fut renvoyée aux administrateurs
composant le Directoire du district de Blâmont, dont l'avis fut
que l'établissement du sieur Adorne « ne devant plus être
suspect », pouvait être autorisé ; et le 26 novembre 1792, le
Directoire du département prit un arrêté portant que, dans le
cas où le pétitionnaire destinerait la chapelle à un culte
public et y introduirait d'autres personnes que des gens de sa
maison, il serait tenu de se conformer aux dispositions et
autres relatives de son arrêté du 13 avril précédent (71).
Il n'est pas possible de donner une perspective des ruines du
château de Turquestein, la masse de rochers sur laquelle elles
reposent étant entièrement masquée par un épais rideau de sapins
en sorte qu'il faut, pour les découvrir, arriver jusque sur le
plateau dont elles occupent une des extrémités. A défaut de
cette perspective, qui eut offert un aspect plus pittoresque,
j'ai pu joindre à ma notice deux dessins fort modestes, qui
n'ont pas la prétention d'être des oeuvres d'art, mais ont le
mérite d'une exactitude parfaite (72). L'un représente les
ruines telles qu'on les voit en arrivant sur le monticule
qu'elles dominent encore à une certaine hauteur; l'autre, un
plan faisant connaître la configuration que devait avoir le
château, et celle du plateau sur lequel il avait été construit.
Celui-ci, qui couvre une surface d'environ 8 jours, est à 460
mètres au-dessus du niveau de la mer, et à 134 au-dessus du sol
de la vallée du Blanc-Rupt; on y remarque, notamment, une
citerne pratiquée dans le roc ayant plus de 80 pieds de pro-
fondeur et 15 pieds d'eau : c'est peut-être celle que fit
creuser l'évêque Jacques de Lorraine, en 1252.
Il y a aussi, provenant des anciennes bâtisses, un caveau avec
voûte en pierres, d'une assez grande étendue, où l'on descend
par un escalier qui semble de la même époque.
Quant aux ruines du château, elles ne consistent qu'en deux
énormes pans de mur, dont les pierres, en grès vosgien, sont
taillées avec soin, et en une muraille à gauche de l'entrée.
D'un autre côté du plateau est une maison forestière, de
construction moderne sous laquelle se trouve une grotte
naturelle, de 60 mètres de long sur 15 de large. Trois pierres
ont été encastrées dans la façade de la maison la première
représente une croix, avec l'inscription suivante, entre ses
branches
CETTE CROIX
A ÉTÉ TROUVÉE
DANS LES RUINES D'ICI LE 9
JUILLET 1791.
La seconde pierre porte le millésime 141,destiné, sans doute, à
rappeler ne réédification partielle du château; la troisième est
une clef de voûte, ornée d'une belle rose.
Ce qui restait des tours, des autres portions de murs et de la
chapelle fut démoli lorsqu'un des acquéreurs des ruines, M.
Louis Champy, fit établir une charbonnière sur le plateau. De ce
dernier on jouit d'une vue magnifique sur une grande étendue de
pays; ce qui explique comment il fut choisi pour y établir un
poste stratégique.
(à suivre)
|