L'étude d'Emile AMBROISE a
été publiée par "Le Pays Lorrain", répartie
en 15 parties, sur les années 1908 et 1909. Si les dix-huit chapitres du texte ne concernent pas uniquement
Blâmont, nous
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Les vieux Châteaux de la Vesouze
(ETUDE LORRAINE)
INTRODUCTION
Il fait si bon dans nos campagnes lorraines. (Emile BADEL).
Nos enfants ignorent l'histoire de notre terre et de nos morts. Il faut la leur apprendre. (Maurice BARRÈS).
L'humble vallée de la Vesouze est un pays déshérité. Il n'a pas, comme l'Alsace, son illustre voisine d'outre-Vosges, sa couronne de châteaux romantiques, imposant à la plaine qu'ils dominent, l'attachante énigme de leur mystérieux passé. Il n'a pas de ces promontoires historiques tels que la montagne de Sion-Vaudémont, la haute ville de Bar, ou la côte d'Amance, d'où s'évoquent magnifiquement les visions
mélancoliques de « l'élégante et douloureuse Lorraine. »
Nos artistes et nos écrivains ont subi l'attrait des sites qui leur étaient plus familiers. Charmes, Bar, Saint-Nicolas, ont été éloquemment fêtés et decrits
(1).
La Vesouze a pourtant aussi ses vieux châteaux; les uns, comme Turquestein, Chatillon, Pierre-Percée, plantés sur de fiers rochers, les autres, comme
Ogéviller, Blâmont, Herbéviller, bien assis au penchant des collines, ou au
creux des vallées; elle a ses abbayes de Haute-Seille, de Domèvre, de Saint-Sauveur, très riches en souvenirs. Mais des coteaux trop accessibles ont mal défendu ces richesses contre les injures du temps, plus mal encore contre celles des hommes.
Les vieilles pierres qu'il faut chercher au fond des sapinières, sous les fourrés, hostiles d'épines et d'orties, ne parlent plus à la
plaine. Elle les a oubliées et ne sait plus rien du passé qu'elles racontent.
Il y a de l'ombre aussi, et du charme dans les bois, de la Vesouze. La forêt de Mondon, où chassèrent, dit-on, les fils de Charlemagne, ouvre des avenues sans. fin aux chevauchées de la chasse à courre. Parroy a des hêtres séculaires, dans ses ravins profonds où ne descendent guère que les traqueurs de sangliers. Les hêtres du haut pays de Cirey, aussi fiers que des sapins, ont un feuillage éclatant, qui, du printemps à l'automne, passe du vert tendre au jaune le plus
doré ; et s'ils s'arrêtent au pied des contreforts du Donon, c'est pour céder la place aux colonnades du sapin noir, solennelles comme des temples.
La région des Hautes-Vosges est célébrée à l'envie. Le lyrisme de ses poètes sait braver la rudesse de certains vocables...
Foucharupt, Cheniménil, Reblaingotte... Les noms de nos rivières, la Blette, la Verdurette, le ruisseau des Amis,
dégagent-ils moins de saveur agreste ou de champêtre aménité ?
Pourtant l'histoire de ce coin de terre lorraine reste enfouie dans les archives et les vieux livres, et il semble qu'en s'écroulant au penchant des coteaux, dévastés par tous les genres de vandalisme, les vielles pierres de ses châteaux vont achever d'y éteindre les dernières lueurs de la piété des souvenirs.
* * *
Le pays de la Vesouze est une plaine, qui, du confluent de cette rivière avec la Meurthe, au-dessous de Lunéville, (225 mètres) s'élève jusqu'au massif vosgien.
Rien de plus monotone d'abord, que la route qui s'engage dans la vallée vers Blâmont. Aucune ondulation pendant quatre lieues.
Mais à Ogéviller une dépression légère accuse la petite vallée de la Verdurette ; un peu plus loin, à Herbéviller, se creuse celle de la Blette; et, à partir de
Dom^yvre, le pays s'élève et se complique.
La montée de Blâmont, au contour des murs du vieux château, est longue et déjà rude; elle se poursuit jusqu'à Cirey par gradins inégaux, et cependant 40 kilomètres parcourus n'ont encore élevé l'altitude que de 75 métres au plus.
Mais là finit la plaine. Brusquement et par bonds de 50 mètres, les contreforts du massif. vosgien se succèdent en plateaux rocheux, dont le plus élevé, la Charaille, au point culminant de la crête, d'où les eaux dévalent vers la Sarre, la Plaine,
où la Vesouze, atteint l'attitude de, 70 mètres, à trois lieues à peine de Cirey.
Cette région des Vosges moyennes a moins d'âpreté, moins d'ampleur que celle des lacs ; elle a plus de fraîcheur, plus de claire verdure et non moins de charme pour qui comprend d'autres jouissances que celles de l'escalade.
La forêt y règne sans trêve, de la prairie jusqu'aux cimes. La roche vosgienne dissoute en sable rose, égaie et allège la marche dans le dédale des sentiers trompeurs, mais qui n'égarent que pour ramener toujours à la vallée.
ROCHE DES FEES (Vallêe de Chatillon)
Aucune route vosgienne n'est plus curieusement sinueuse que la vallée de Bonmoutier.
Les deux ruisseaux qui se rencontrent à Cirey pour former la Vesouze, ont creusé dans ce massif des rides profondes, aux flancs desquelles restent accrochés des escarpements curieux, mais inconnus, car la forêt les dérobe jalousement aux regards. C'est à peine si, de leurs sommets aplatis, la plaine lumineuse ou la cime embrumée du Donon apparaissent en
rares échappées, tandis que leur base, rongée par les eux, s'est évidée en surplombs inquiétants, soutenus quelques fois par d'invraisemblables piliers. C'est
là-haut, que s'édifièrent les forteresses de Turquestein, Chatillon, Pierre-Percée, postées aux débouchés de cet hémicycle montagneux qui recèle toutes les eaux de la vallée.
Il est un observatoire ignoré d'où l'on découvre toute cette vallée de la Vesouze. C'est le
« Haut des Fougs. » (515 mètres) non loin des ruines de l'abbaye de Saint-Sauveur, au-dessus du village d'Angomont. En cet endroit, la forêt de sapins, sombre et fraîche, s'arrête brusquement devant une croupe dénudée où se cultivent, sur les assises superposées de la roche, des lambeaux de champs.
Aucun des chemins qui mènent de la montagne à la plaine lorraine, n'est plus rapide que cette descente au fond du ravin, vers Bréménil, Badonviller et les villages qui furent le comté de Salm. On voit de là, le chapelet des clochers jalonner le cours de la rivière, et peupler la plaine au loin jusqu'à Lunéville. Tout au fond, les hauteurs, que couronne le prieuré de Léomont, une des filiales de Senones, ferment cet horizon de dix lieues.
Le pays de la Vesouze est entièrement enclos dans une ceinture de forêts. De cette pointe de Léomont, à laquelle fait suite l'ancien vignoble des chanoines de Saint-Remy, l'oeil rencontre bientôt le profond massif de la forêt de Parroy, limite septentrionale de la vallée.
Au sud, les hêtres des Reclos de Grammont, succédant aux sapins de la montagne, ne s'arrêtent même point aux contreforts de la plaine, et, par la forêt de Mondon, prolongent jusqu'en pays plat, aux abords de Lunéville, leur barrière de futaie.
Au nord-est, seulement, la crête déboisée, entre Xousse et Bertrambois, rompt la sévérité de cette enceinte. C'est un simple dos de pays (305 mètres) où les eaux indécises séjournent en petits étangs, avant de prendre leur cours vers la Sarre ou la Vesouze. C'est par cette trouée que l'histoire a pénétré dans la contrée.
Sa destinée fut d'être une frontière.
Séparation séculaire des tribus gauloises des Leuques et des Médiomatrices, la Vesouze demeura, sur une partie de son cours, la limite des cités gallo-romaines de Toul et de Metz. Puis, comme l'organisation religieuse, calquée sur les divisions administratives, survécut à la destruction de l'Empire et resta immuable pendant près de quinze siècles, elle demeura jusqu'à la révolution française, la limite des deux diocèses. L'histoire ecclésiastique du pays de la Vesouze présenterait donc des particularités dignes d'intérêt, puisque, en deçà ou au-delà de la rivière, se heurtèrent au cours des âges, les pratiques différentes et respectivement si bizarres des concordats germanique, français, lorrain, dérogations épineuses aux règles de la dévolution des évêchés et des bénéfices, telles que les avaient posées les canons de l'Eglise.
Mais son histoire politique n'est pas moins singulière, car la munificence des rois d'Austrasie, en étendant bien au-delà des limites diocésaines, les possessions temporelles des évêques de Metz, avait implanté jusqu'aux Vosges, à travers l'évêché de Toul, et par delà les vallées de la Vesouze et de la Meurthe, la puissance territoriale et féodale de ces prélats.
Quand la disparition de l'autorité impériale livra le pays aux entreprises des guerriers francs qui l'occupaient, ce fut au détriment des terres de l'Eglise que les sires de Lunéville, de Salm, et de Blâmont, taillèrent autours de leurs alleus, leurs seigneuries particulières, devenues bientôt de puissants comtés. Chacun de ces états féodaux a vécu plusieurs siècles d'une existence indépendante, agitée, parfois glorieuse, avant de venir se fondre dans l'unité lorraine; tandis que les lambeaux subsistants du domaine épiscopal, suivant le sort politique de la vieille cité messine, devenaient français au XVIe siècle, sans avoir été lorrains; en sorte que jamais ce coin de terre n'a été entièrement soumis aux mêmes lois.
Hier encore, au XIXe siècle, deux arrondissements français, se le partageaient ; à cette heure même un de ses lambeaux, Foulcrey, Ibigny, Richeval, reste enchaîné aux destinées de Sarrebourg.
On trouverait donc, dans une histoire de cette contrée, sinon de grands événements, du moins assez de variété, de complications et de péripéties pour animer et documenter un récit qui pourrait être en raccourci, le tableau de la formation, du développement et des vicissitudes du pays lorrain lui- même.
Celui-ci, on le verra bien, ne peut avoir que la valeur d'un essai.
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES - CHEMINS GAULOIS - VOIES ROMAINES - LES PREMIERS ÉVÊQUES -
FONDATION DE BONMOUTIER - LE CHAUMONTOfS ET LE DUCHÉ DE LORRAINE - L'ÉVÊCHÉ DE METZ
LES CHEMINS GAULOIS ET LES VOIES ROMAINES
Pour se rendre compte de l'état primitif de ce pays, il faut savoir qu'il ne renferme aucune localité de quelque importance à laquelle on puisse attribuer une. origine antique.
Metz et Strasbourg ont été, des l'époque gauloise, de grandes cités. Toul, capitale du pays des Leuques, avait, dès la même époque, une importance relative, bien qu'elle n'ait eu de murailles qu'à la fin du IVe siècle, Mais Nancy, Lunéville, Baccarat, Saint-Dié, n'existaient pas. La Meurthe et ses affluents coulaient dans un pays marécageux, coupé de fondrières, presque inabordable. La population qui quittait a peine la vie nomade, pour se fixer au sol, y était plus clairsemée encore qu'ailleurs.
La vie que menaient ces rares habitants n'exigeait ni routes ni chemins, la forêt couvrait la plaine jusqu'à proximité des cours d'eau; elle n'appartenait a personne et passait pour à peu près impénétrable.
(2)
« C'est une terre montagneuse, couverte d'immenses forêts de sapins et de roches sauvages, qui donnent a ces sommets l'aspect de camps retranchés, et ce qui impressionne encore davantage, c'est la profondeur des vallées avec leurs
épaisses forêts de sapins, d'un noir qui fait peur. » Telle est l'impression que jusqu'au XIIIe siècle, donnait encore la forêt vosgienne.
(3)
Les forêts de ]a plaine n'étaient guère plus hospitalières, Il est question de Mondon, des l'époque de Charlemagne (Foresta de Ermundies). Drogon, trentième évêque de Toul, l'obtint pour son Eglise, de la générosité de l'empereur Charles-le-Simple. (4).
Si l'on considère que ce massif, naguère coupé d'étangs marécageux, se prolongeait, jusqu'aux portes de Lunéville, en un terrain presque inculte (5) où la ville, eut un troupeau banal jusqu'au XVIIIe siècle, on pourra supposer ce qu'il devait être au IVe siècle.
Au temps le plus prospère de l'histoire lorraine, en 1608, on n'y circulait encore que par des sentiers mal tracés; au point qu'une ordonnance dut mander au forestiers de
« désigner et marquer la route, pour la commodité de la chasse, et l'assurance de ceux, qui venant de Raon et Saint-Dié, avaient à traverser le forêt » (6).
Au XVIe siècle, on traversait encore la Meurthe à Viller sur « une nef » (7) et non sur un pont, de même qu'en 1551, le roi de France,
Henri II, ne trouvait qu'un gué pour franchir la Sarre à Sarrebourg.
Du fisc romain, auquel la forêt de Mondon appartenait comme terrain sans maître, elle passa aux rois francs, puis aux Empereurs comme
« forét royale. »
Parroy, au contraire, parait avoir, dès les premiers temps, appartenu aux communes, qui formaient la seigneurie de ce nom, et qui vivaient de la forêt.
Laneuveville-aux-Bois (son nom l'indique) est une sorte de colonie fondée de l'autre côté de cette forêt, par ceux qui l'exploitèrent, d'abord pour le pâturage des bestiaux et les usages domestiques, puis pour l'alimentation des salines de Moyenvic. - D'où la nécessité du pont de bois qui, des le XIIe siècle existait à Hénaménil, et que
fréquentaient d'une part les charrois de bois, et d'autre part les convois de sel qui alimentaient la Vôge, jusqu'au pays de Saales.
On chassait à Parroy les sangliers « avec pieux et mâtins. » Ceux qui les prenaient, devaient la hure et la fraissure aux seigneurs du lieu
« qui ont celle hauteur de poursuivre jusqu'aux portes de Sarrebourg et de
Lunéville, de Nancy et de Vic, les bestes qu'ils font lever dans le ban de Parroy, » (8)
Mais longtemps ayant l'époque féodale, les Gaulois, s'ils ne tiraient guère parti de la forêt, la traversaient pour gagner les camps retranchés où ils
s'assemblaient en cas d'alarme. Le conflit historique entre la race germanique et la nation gauloise était
engagé dès avant la conquête romaine.
Les camps retranchés et les temples de Sainte-Odile, du Champ-du-Feu, du Donon, avec leurs murailles colossales, sont les témoins mystérieux de ces luttes légendaires.
Les chemins par lesquels les populations de la plaine se rendaient, à ces
centres de ralliements, prenaient naissance aux environs des quelques routes reliant les grandes cités. On croit reconnaître l'un d'eux, dans ces trois voies étroites, plutôt sentiers que chemins, qui, des environs de Lorquin, gagnent les crêtes boisées, entre les hautes vallées des deux Sarres et celle des deux bras de la Vesouze; passant, l'une par Abreschwiller, l'autre, par Bertrambois, la troisième, par Cirey, convergeant toutes trois vers le, Donon, par la Charaille, et qui portent de temps immémorial, le nom de
« Vieux chemin d'Allemagne » (9).
Les abords d' Abreschwiller, la Valette, le Kantseley, Soldatenthal, Hattigny, sont surtout riches en souvenirs antiques.
Dans la plaine, les chemins gaulois ont disparu sous les voies romaines, qui les ont remplacés. Ces routes demeurées célèbres, nous sont connues, tant par les vestiges qui restent de leur construction savante, que par un curieux document connu sous le nom d'itinéraire d'Antonin, et qui servait au IVe siècle (384) à renseigner les voyageurs sur les distances, en milles romains et en lieues gauloises.
De l'artère principale courant de Langres à Trèves, par Toul et Metz, se détachaient deux tronçons principaux, celui de Metz à Strasbourg par Delme, Vic, Sarrebourg ; et un autre, reliant directement Langres à Strasbourg. Celui-ci, traversant la Lorraine, débouchait sur la Meurthe a Deneuvre, (10) pour gagner le Donon, par la vallée de Celles ou peut-être par les crêtes qui séparent la Vesouze de la Plaine, dans les parages où se retrouvent les ruines incertaines de Jérusalem et de Donegalle. Deneuvre dont la tour romaine et d'autres débris curieux attestent l'antiquité, était donc un poste militaire, qui protégeait la route, en commandant la vallée de la Meurthe.
De Sarrebourg (Pons Saravi) se détachaient des voies secondaires rayonnant vers un camp qui occupait, croit-on, les abords du village de Niderhof (11).
De là, un chemin qui se bifurquait aux environs du point ou est aujourd'hui Blâmont, sur le ruisseau de Vaccon, poussait un de ses embranchements vers
Ancerviller,
Les Roches d'Achifet
(Vallée de Bonmoutier)
et un autre vers la ligne de faîte déboisée qui sépare la Vesouze du Sanon, par Ibigny,
Foulcrey, Amenoncourt (12).
De cette voie secondaire, la seule, comme on le voit, qui pénétrât dans notre vallée, les traces se retrouveraient, selon quelques archéologues, tout le long de la forêt de Parroy, depuis le signal de Xousse, la Charrière, le
haut de la Faîte, jusqu'à l'arbre de Méhon, Frescati, Léomont, pour gagner par Cercueil. la vallée de la Moselle, au poste fortifié de Scarpone (13).
Ce chemin aurait donc longé la limite septentrionale de la vallée de la Vesouze, comme le précédent longeait sa limite méridionale.
Là, en effet, sur les territoires de Fraquelfing, Hattigny, Niderhof, le sol est rempli de substructions romaines, de vestiges d'enceintes, de briquetages, de mosaïques, (14) de monnaies à l'effigie des derniers empereurs.
Entre Lorquin et Hattigny, on croit retrouver la voie romaine qui a donné son nom au village de Voyer. (Via romana.)
Mais aucune voie ne suivait la vallée de la Vesouze, pas plus que celle de la Meurthe, et par là parait s'expliquer la rareté des vestiges antiques dans toute cette région qui demeura beaucoup plus longtemps que la Seille ou la Sarre, en dehors du courant de la civilisation.
LES PREMIERS EVÊQUES
Le christianisme a pénétré dans la vallée de la Moselle vers le milieu du Ille siècle. Du moins, ce n'est guère qu'à cette époque que l'autorité d'un apôtre de la foi nouvelle, s'y établit avec quelque fixité; mais saint Mansuy, premier évêque de Toul, n'apparaît que cent ans après (15) et l'on ne connaît pas de martyres avant celui de saint Euchaire qui périt, à Pompey, au temps de Julien l'Apostat (360). Même aux derniers jours de l'empire romain, la religion païenne se pratiquait encore à côté du culte chrétien. On a de ce fait, et dans notre pays même, un témoignage intéressant.
Près de ce village de Deneuvre, seule localité antique de la contrée, on a trouvé en 1873 les ruines d'une maison romaine détruite par le feu. Un des côtés de la chambre était occupé par deux autels de pierre et tout auprès, la même fouille mit à jour un trésor de mille pièces environ, disséminées autour de ces autels. Les plus récentes portaient l'effigie des derniers empereurs (Honorius et Arcadius), ce qui permet de placer à l'époque de l'apparition des
Vandales (406) l'incendie de cette maison. Les temples païens n'étaient donc pas encore entièrement détruits a ce moment (16).
Les premiers évêques s'établirent naturellement dans les villes capitales; les limites de leurs diocèses ne furent autres que celles des Cites romaines, et lorsque les barbares vinrent bouleverser toute cette civilisation antique, une seule organisation survécut au désastre: ce fut celle des diocèses.
Dans ses grandes lignes, et' sauf des modifications de détail, elle a traversé, jusqu'à nos jours, toutes les vicissitudes historiques.
Or, il se trouve que la Vesouze traçait une bonne partie des limites de la cité de Toul et de celle de Metz.
Le pays des Messins était borné à l'ouest par la Moselle, jusqu'à sa
rencontre avec la Meurthe. De là, la limite incertaine et conventionnelle, laissant au pays des Leuques (Toul) les environs d'Amance, de Saint-Nicolas, d'Einville, courait à la Vesouze, qu'elle atteignait a Marainviller, pour la suivre jusqu"à
Domèvre (17). Elle s'en séparait alors, mais pour remonter un de ses affluents, le ruisseau de Voise ou de Saint-Georges, jusqu'à l'étang de Hattigny, où il prend sa source; c'est-à-dire sur cette ligne de faîte par où les voies romaines, venant de la Sarre, pénétraient dans la Vesouze (18).
De là, jusqu'au Donon, les limites ne pouvaient être qu'incertaines, puisqu'il eut fallu les chercher au milieu du massif inexploré. Or, on ne les traça qu'au XIVe siècle, lorsque la constitution dans ces parages des seigneuries puissantes de Turquestein, Châtillon, Blâmont, y amena avec le mouvement et la vie, la rencontre et les compétitions d'intérêts divers. Alors seulement, l'évêque de Metz, Renaud de Bar, et le comte de Blâmont se partagèrent la forêt. Le premier prit
« à plus près de Turkstein » tous les bois entre les rivières de Sarre, de Vesouze et le Dounon jusqu'au ruisseau; et le comté de Blâmont
« à plus pres de Blâmont les bois par deçà la Vesouze et ceux du ban de Bonmoutiers vers l'abbaye de Saint-Sauveur, jusqu'au bois de ladite abbaye, et de celle de l'abbaye de Saint-Symphorien de Metz (Ban-le-Moine) » (19).
Encore doit-on ajouter que, même après ce partage, les limites demeurèrent incertaines, car au XVIIIe siècle, a propos d'une contestation de propriété entre les seigneurs de Turquestein et Saint-Sauveur, il fallut pour déterminer si le lieu litigieux était en Lorraine ou dans l'Évêché, faire nommer des commissaires par les souverains respectifs des deux pays, les tribunaux ordinaires
n'ayant pu débrouiller la question (20).
On voit que le tracé des limites diocésaines se rapproche, sensiblement de celui que les archéologues assignent à cette voie secondaire, qui aurait parcouru, la ligne de faîte de Niderhof à Scarponne par la forêt de
Parroy.
UN HÊTRE DANS LES MURAILLES DE TURQUESTEIN
L'évêché de Metz et celui de Toul ont eu des destinées historiques fort différentes.
Partagé entre eux, le pays de la Vesouze a participé à leurs vicissitudes.
LE PAYS DE L'ALBE. - LE CHAUMONTOIS
Les cités romaines se subdivisaient en Pays (Pagi) dont les dénominations étaient généralement tirées des rivières qui les traversaient ou de quelque autre particularité géographique; les évêchés les adoptèrent également, C'est ainsi qu'on retrouve au Moyen-Age, comme divisions du diocèse de Metz, les pays de la Nied, de la Bliess, et dans la partie méridionale confinant à la Vesouze, celui de l'Albe, que rappelle le nom latin de Blâmont (Albus mons - Blanc-Mont) (21) et que mentionnent sous la dénomination tudesque Albechowa, les partages du royaume de Lothaire (839 et 870) (22).
Sur la rive gauche de la Vesouze, au diocèse de Toul, depuis la Meurthe et la Moselle jusqu'aux Vosges régnait une vaste contrée formant elle aussi au pays. C'était le Chaumontois (pagus Calvi montensis) (23).
D'autres divisions du même évêché, le Vermois, le Portois, la Voëvre, ont conservé leurs noms jusqu'à nos jours. On dit encore: Ville-en-Vermois, Saint-Nicolas-de-Port, Velaine-en-Voëvre.
L'expression de chaumontois s'est perdue ; on sait seulement que ce pays s'étendait jusqu'aux cimes des Vosges, et qu'il était encore ainsi dénommé au Xe siècle, Senones est fondée
« dans la Vôge, au pays de Chaumontois, sur le ruisseau du Rabodeau » (24).
Il en est de même de Saint-Dié. On cite une comtesse Eve de Chaumontois, fondatrice au Xe siècle du prieuré de Lay-Saint-Christophe (25) et nous verrons le rôle important
que les comtes de Bar jouèrent dans le pays de la Vesouze, comme comtes de Chaumontois.
Beaucoup plus tard, la collégiale de Saint-Dié, seigneur de Verdenal, près Blâmont, plaçait ce village dans sa prévôté de Chaumontois, et son grand prévôt, possesseur de la seigneurerie de Moriviller (26) prenait aussi le titre. de prévôt de Chaumontois (27); Au village d'Einvaux, voisin de Moriviller, il y avait un franc-alleu, une église de Chaumont ; et il existe encore une rue de Chaumont, et un étang du même nom (28).
On en a conclu que la se trouvait le chef-lieu de l'ancien Chaumontois. C'est sans doute une déduction hasardée. L'on sait seulement que des seigneurs de Chaumont se rencontrent dans les chartes jusqu'au XIIe siècle; et que le titre de prévôt de Chaumontois, donnait au grand prévôt de Saint-Dié, le droit d'ouvrir le bal à la fête de Moriviller, droit que
« de bienséance et d'usage» il abandonnait au maire du lieu.
EPOQUE MËROVINGIENNE - FONDATION DE BONMOUTIER
C'est au commencement du Ve siècle, en 406, que les barbares détruisirent l'empire romain.
Depuis quatre-vingts ans, les Francs qui avaient passé le Rhin et occupaient l'Alsace, entretenaient avec les populations gallo-romaines des rapports de jour en jour moins hostiles, Ils commençaient même a s'entendre avec elles pour résister en commun à la poussée des autres peuplades germaniques.
A cette entente, imposée par le commun danger, correspondrait, selon les historiens, la construction de cette forteresse de Dispargum, dont parlent les chroniques, et dans laquelle on croit reconnaître le château de Dagsbourg, ou Dabo, qui, bien que placé sur le versant alsacien des Vosges, a dans les premiers temps du Moyen-Age, mêlé son histoire à celle de Lunéville.
Il fut une des résidences du roi Clodion (29).
C'est dans ces parages que Mérovée, avec ses Francs, unis au reste des légions romaines et aux populations gauloises, réunit les armées qui disputèrent le pays à Attila, et l'écrasèrent à Châlons (451). Clovis traversa ce pays après la victoire de Tolbiac, puisque c'est à Toul qu'il commença l'accomplissement du voeu auquel il attribuait sa victoire, en demandant à l'évêque Ursus un clerc
pour l'instruire sans retard, et le préparer au baptême qu'il allait recevoir à Reims (30).
Les successeurs de Clovis, rois d'Austrasie, constituèrent par leurs libéralités, les domaines temporels des évêchés de Toul et de Metz (31) et, en les affranchissant de la juridiction des comtes, en s'interdisant d'y élever des forteresses (32) ils en firent des seigneuries puissantes qui, sous le régime féodal, devinrent de petits états presque souverains.
C'est aussi à l'époque mérovingienne que remonte la création des premières abbayes vosgiennes. Mais les moines défricheurs et agriculteurs, furent devancés dans le pays par des pionniers solitaires, dont la tradition n'a pas perdu tout souvenir. Elle rapporte, en effet, qu'un moine appelé Basle, vint s'établir successivement en différents lieux, et finalement au fond de la forêt de Mondon, à Buriville, où les populations étonnées, l'entourèrent d'une telle vénération, qu'après sa mort, son nom, fut donné à des fontaines des cantons de forêts, etc. Il y a à Buriville et dans beaucoup d'autres villages, une fontaine de Saint-Basle (33). Aux mêmes souvenirs se rattacherait l'origine de Dombasle, de Saint-Baslemont, etc.
Les solitaires furent suivis de près par les grands évêques et les moines constructeurs d'abbayes, auxquels le pays de Vosges, demeuré jusque-là une
sorte de désert mystérieux, doit son initiation à la vie agricole et à la civilisation.
L'on sait que c'est un moine irlandais. Colomban, qui venu à la cour du roi de Bourgogne, Gontran, fonda le premier et l'un des plus célèbres monastères de l'est des Gaules, Luxeuil, sur l'emplacement d'une ancienne ville et station thermale qu'avait détruite Attila.
« La végétation et les bêtes fauves avaient repris possession de cette solitude qu'il était réservé aux disciples de Colomban et
de Benoist de transformer en champs et pâturages » (34).
Après lui, et en l'espace de dix ans, s'érigèrent sur la Meurthe et la haute Vesouze, les cinq grands monastères qui ont peuplé cette thébaïde, et dont la fondation fournit les premières dates historiques applicables à cette région
déshéritée: Senones en 661, Etival, en 673, Saint-Diè et Moyen-Moutier en 671 enfin.
BONMOUTIER SUR LA VESOUZE, EN 663
Ce fut d'abord un couvent de femmes, et sa première abbesse Thieberge, n'était autre que la fille du fondateur, Bodon-Leudin, évêque de Toul, auquel on attribue également la fondation de Boudonville et celle de Badonviller. Bonmoutier, qui est encore le nom porté aujourd'hui par une portion du long et pittoresque village de Val-et-Châtillon, rappelle donc le nom du saint évêque de Toul. (Il faut lire : Monastère de Bodon et non bon monastère) (35).
Aux religieuses, chez lesquelles la règle avait fini par se relâcher, succédèrent au Xe siècle des religieux qui y vivaient encore en 995. On le sait par une circonstance intéressante retenue dans les anciennes chroniques, Etienne de Lunéville, aussi évêque de Toul, y mourut accidentellement, au cours de sa visite pastorale, le 20 décembre 995. Ce souvenir, consigné aux nécrologues, est la première mention parvenue jusqu'à nous de cette famille seigneuriale qui fut, pendant trois cents ans, la première du pays.
Le monastère fut transféré en 1010 à Saint-Sauveur, où nous le retrouverons bientôt aux mains des chanoines réguliers de Saint-Augustin, avant qu'une série de désastres n'ait déterminé son transfert à Domèvre, ou il suivit, jusqu'à la Révolution, la destinée brillante de maison mère et chef d'ordre de la Congrégation des chanoines réguliers de Notre-Sauveur,
L'abbaye de Saint-Sauveur-Domèvre est donc de beaucoup le plus ancien, le plus vénérable monastère de la vallée de la Vesouze. Saint-Remy de Lunéville, Haute-Seille, Beaupré, sur la Meurthe, n'apparaîtront que bien des siècles plus tard. Malheureusement, trois incendies successifs ont, au XVIe siècle,
détruit ses archives qui eussent été certainement la source, peut-être unique, où se retrouveraient les annales les plus anciennes de ce
pays. Leur perte laisse plongés dans une incertitude à peu près complète les faits historiques spéciaux de cette région, jusqu'aux débuts du XIe siècle.
EPOQUE CARLOVINGIENNE. - FRÉDÉRIC DE BAR. - DUC DE LORRAINE, ET COMTE DU CHAUMONTOIS
La révolution politique qui fit passer le royaume des Francs aux mains de la dynastie carlovingienne s'est accomplie dans notre pays, puisque Metz était devenue la capitale du royaume d' Austrasie, mais elle n'apporta pas de troubles graves à la vie locale.
La main de Charlemagne s'étendit à tout, et partout tenta d'établir, l'ordre et la sécurité. Mais l'anarchie reparut après lui. Dans les églises de la région, enrichies par les dons des fidèles et les largesses du prince, à Moyenmoutier, comme à Senones, on vit des abbés s'emparer de tous les biens, chasser les moines, profiter de la disparition de tout pouvoir central pour se soustraire à l'autorité de leurs évêques.
Ceux-ci reçurent leur investiture de la faveur impériale, et à titre de bénéfices, tout comme les charges politiques et militaires, avec cette différence cependant que
l'institution canonique, conférée par le pape, leur donnait un caractère viager et par conséquent plus de fixité et de puissance. Les domaines ecclésiastiques se trouvèrent ainsi constitués en seigneuries autonomes, de moins en moins dépendantes de l'autorité centrale et dans lesquelles la force des traditions et la permanence de la discipline religieuse suppléaient à la puissance de l'hérédité.
C'est pourquoi les évêchés de Metz et de Toul, en tant que seigneuries féodales, survécurent aux morcellements successifs de l'Empire, du royaume et du duché de Lorraine, aussi bien qu'a toutes les entreprises des seigneuries laïques fondées par la force, qui éclorent et grandirent autour d'eux.
Rattaché à l'Allemagne, en dépit des affinités de race et de langue, le duché de Lorraine, constituait un de ces grands bénéfices, que les rois de Germanie concédaient à leur fidèles et de préférence aux membres de leur famille. C'est ainsi qu'il échut à la famille de Bar au milieu du Xe siècle.
L'empire était aux mains de la dynastie saxonne, Othon, absorbé à l'Est par les invasions des Hongrois, avait délégué le gouvernement de la Lorraine à son frère Brunon, archevêque de Cologne qui, sentant l'impuissance définitive du système impérial, prit le parti de diviser en deux les pays trop étendus dont il avait la charge. Il conserva pour lui, sous le nom de Basse-Lorraine, les pays de
Liège, de Namur, etc., et, des pays situés au sud de Trèves, entre Meuse et Vosges, il fit le duché de Haute-Lorraine ou Mosellane (959).
A ce duché nouveau, il fallait un duc; Brunon le trouva en la personne du gendre de sa soeur Hedwige, Frédéric, déjà comte de Bar, et en même temps comte de Chaumontois qui se trouvait être à la fois le plus puissant des seigneurs du pays et le beau-frère du roi de France, Hugues Capet.
La famille du Comte de Bar perdit le duché de Lorraine un siècle plus tard, mais elle garda héréditairement le Chaumontois, et par là, la suzeraineté sur le pays de la Vesouze, où le donjon de Langstein ou Pierre-Percée, affirma la permanence effective de ses droits, pendant de longs siècles.
Mais l'originalité et l'importance du partage de Brunon fut qu'il ne
s'appliqua point aux domaines déjà constitués des églises de Trèves, Metz, Toul, Verdun.
Ils restèrent, bien qu'enclavés, soit dans la basse Lorraine, soit dans la Mosellane, absolument en dehors du partage, et leurs évêques demeurèrent princes souverains, indépendants des ducs, et relevant directement de l'empire.
La prépondérance des comtes de Bar fut maintenue pendant trois quarts de siècle. Elle ne survécut pas à la chute de la dynastie saxonne en Allemagne. Lorsque l'élection fit passer le pouvoir impérial dans la maison des ducs de Franconie (1024) des influences différentes surgirent dans le pays; et, en 1048, Gérard d' Alsace, recevait à titre de bénéfice, l'investiture du duché de Lorraine.
Il fut donné à sa descendance de se maintenir dans le pays, d'en incarner le génie propre, et, sans avoir plus de titres que n'en avaient eus ses devanciers, d'y fonder pour sept siècles une dynastie nationale (36).
Mais la famille de Bar ne fut point dépossédée du Chaumontois, et ses domaines, voisins de ceux de l'église de Metz, enclavés, juxtaposés et traversés par les abbayes de Saint-Sauveur et de Senones, continuèrent, non sans luttes et sans désordres, à se partager le pays de la Vesonze.
Ils sont devenus les comtés de Salm et de Blâmont qui dominèrent dans le pays, tant que la puissance des nouveaux ducs y demeura précaire et contestée; puis qui gravitèrent dans l'orbite lorrain quand les ducs furent définitivement les plus forts. Mais les domaines de l'église de Metz, toujours distincts de ces seigneuries féodales et soumis à d'autres coutumes, demeurèrent attachés aux destinées politiques de la cité messine et de ses évêques. Or, Lorrains et Messins ont guerroyé pendant des siècles. Ce sont les désastres, les maux, les entraves de toutes sortes, nés de ce dualisme funeste qui jalonnent tristement à travers les siècles toute l'histoire du pays de la
Vesouze.
L'ÉVÊCHÉ DE METZ
Au temps de la domination romaine, la ville de Trèves avait exercé sur toutes les cités du nord-est de la Gaule une suprématie incontestée.
Siège de la préfecture des Gaules, chef-lieu de la province Belgique, sa situation prépondérante y avait déterminé l'établissement de l'évêché métropolitain.
Mais Trèves commença à déchoir le jour où, sous la pression des barbares, la préfecture des Gaules fut ramenée à Arles.
Trèves, sous les Mérovingiens, n'était déjà plus en état de disputer à Metz, le titre de capitale de l'Austrasie ; et ce fut à Metz que les fils de Charlemagne érigèrent le royaume de Lorraine (37).
L'évêque de Metz profita, à son tour, de la situation privilégiée faite à sa ville épiscopale. A son autorité spirituelle sur tout le territoire de l'ancienne cité romaine, la générosité des empereurs d'Allemagne, rois, puis ducs de Lorraine, vint ajouter des possessions territoriales d'une telle étendue, qu'au Xe siècle, il était devenu le souverain d'un petit état (38).
Bien au-delà des limites de la circonscription ecclésiastique, le temporel de l'évêché s'étendait jusqu'au coeur du Chaumontois, en un fief presque indépendant, sous la suzeraineté lointaine et impuissante de l'Empereur.
Le morcellement du duché en haute et basse Lorraine que réalisa en 959, l'archevêque Brunon, n'affecta en rien cette puissance déjà séculaire.
Tout au contraire, le temporel de Metz fut maintenu au milieu des nouveaux duchés, comme une enclave menaçante, taillée avec d'autant plus de complaisance que l'évêque d'alors (Adalbert) n'était autre que le neveu de l'archevêque Brunon et par conséquent de l'Empereur lui-même.
Mais à côté de l'église de Metz, de son évêque et des nombreuses abbayes d'où il tirait sa puissance, il y avait la vieille cité de Metz qui, elle aussi, avait profite de son privilège de capitale, pour affirmer et maintenir la survivance de ses libertés municipales.
La République messine était, sinon souveraine, du moins très redoutable par sa richesse et sa turbulence, dans la cité d'abord, puis dans une banlieue considérable, qui embrassait 165 villages, c'est-à-dire l'étendue d'un arrondissement moderne, et que se partageaient, pour l'administration, les trois mairies de Porte-Moselle, de Porte-Seille et d'Outre-Moselle ou Val-de-Metz.
Au-delà de cette large banlieue commençaient les domaines du temporel de la cathédrale, des abbayes et de l'évêque, divisés en un grand. nombre de châtellenies, qui débordaient au loin dans l'évêché de Toul, jusqu'à
Deneuvre, Moyen, Rambervillers et même jusqu'aux contrées boisées et primitivement presque désertes, où s'étaient fondées au Vile siècle les abbayes de Senones, Bon-Moutier, Moyenmoutier, Etival, Saint-Dié, et plus loin encore, jusqu'au pied des hautes Vosges, où devaient s'élever plus tard le château et la ville d'Epinal.
S'il faut en croire les prétentions que Louis XIV émit en 1683 au moment où il méditait d'usurper la Lorraine, sous couleur de restitutions à l'Evêché, le temporel de Metz aurait anciennement enveloppé Blâmont, Marsal, Château-Salins, Sarrebourg, Sarralbe, Deneuvre, Nomeny, Bouquenon, Salm, Turquestein, en un mot tout le pays des Salines, celui de l'Albe, et, à l'exception de Lunéville,
presque tout l'ancien Chaumontois.
Un mémoire dressé à la veille de l'invasion française en Lorraine, dit même que le duc tirait. de ces domaines soi -disant usurpés, 140.000 écus de revenu alors que l'évêque n'en avait plus que 30.000 (39).
Pour exagérées que paraissent ces prétentions, il reste certain que les possessions messines s'étendaient primitivement sur presque toute la vallée de la Vesouze ; mais qu'elles s'étaient vues restreintes de jour en jour, par l'envahissement des seigneurs particuliers, embusqués dans leurs châteaux-forts d'où ils défiaient facilement l'autorité lointaine des évêques; et aussi par
les complaisances mêmes de certains prélats qui, choisis dans les grandes maisons du pays, demeuraient parfois plus préoccupés des intérêts de leur famille, que de ceux de leur souveraineté viagère.
De ces possessions si importantes à l'origine, il ne restait donc au XIe siècle que des débris: douze villages environ dépendant du château de Deneuvre, quelques autres rattachés à la châtellenie de Vic; et entre les deux, un fief ecclésiastique maintenu intact, ou à peu près, depuis cinq siècles, mais qui, par son étendue et le rôle important qu'il occupait dans le pays, suffit pendant longtemps à attirer la sollicitude et l'activité des évêques dans cette partie de leur domaine.
C'était l'abbaye de Senones.
L'histoire de cet illustre monastère au Moyen-Age se résume en une lutte opiniâtre contre les exactions des seigneurs voués que les évêques lui avaient donnés comme protecteurs; et dans les efforts que ceux-ci durent renouveler pendant cent cinquante ans, pour le disputer aux convoitises des seigneurs de Salm, qui s'acharnaient à le ravager alors qu'ils avaient charge de le défendre.
Dans cette lutte, qui dura plus d'un siècle, les évêques trouvèrent au nombre de leurs plus puissants auxiliaires les comtes de Lunéville.
C'est la plus ancienne des maisons seigneuriales du pays, mais celle aussi dont l'histoire reste la plus obscure. Nous allons résumer le peu que l'on en connaît.
(A suivre)
Emile AMBROISE.
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