Revue des 
				eaux et forêts 
				1865 
				 
				La vannerie dans la Meurthe 
				Quand l'homme et la femme, 
				chassés du paradis terrestre, durent songer à vivre de leur 
				travail, durent se nourrir et se vêtir sommairement, ils 
				fabriquèrent probablement, pour premier meuble, un panier; 
				c'est-à-dire qu'ils entrelacèrent quelques branches, soit pour 
				se faire un abri contre l'eau du ciel ou contre les feux du 
				soleil asiatique, soit pour porter d'un lieu à un autre les 
				fruits cueillis ça et là. Nous pouvons même nous rendre un 
				compte assez exact de ce qui se passait alors, en voyant ce qui 
				se passe aujourd'hui chez des peuplades indolentes des îles et 
				continents brûlés par le soleil des tropiques. Là, tout est 
				panier, depuis la hutte tissée en larges bandes de bois ou 
				déjoues, jusqu'aux vases à porter l'eau, tissés aussi finement 
				que de la batiste, jusqu'aux vêtements, jusqu'à ces nattes 
				immenses, si souples et si solides. 
				C'est dans les pays chauds qu'est né l'art du vannier, 
				non-seulement parce que dans ces heureux pays la vannerie suffit 
				aux besoins élémentaires des habitants, mais parce que dans les 
				pays chauds naissent les végétaux les plus propres à ce genre 
				d'industrie: les bambous, les palmiers, les joncs et roseaux, eu 
				un mot, toute cette famille de végétaux à bois et écorce 
				souples, forts et fins comme des fils de soie. 
				Dans le Nord, la matière première des vanniers se borne à 
				l'osier. Les autres bois ne peuvent servir que d'accessoires. Il 
				a donc fallu que l'industrie vint au secours de la nature, et 
				que l'on apprît à distinguer les différentes sortes d'osier, le 
				bon moment pour le couper, les moyens les plus prompts pour le 
				peler, lui garder sa blancheur et sa souplesse, le fendre et le 
				changer en fibres bien égales. Tout cela constitue l'art du 
				vannier. 
				Cet art ne s'exerce pas avec la même activité et le même bonheur 
				sur tous les points de la France. D'abord, dans telle province, 
				le panier de toutes formes est plus en usage que dans telle 
				autre. Mais la facilité de rapports et de circulation aidant, la 
				fabrication n'a plus été influencée par les besoins locaux. Le 
				plus ou moins de terrains propres à la culture de l'osier, le 
				prix de main-d'oeuvre, et un peu le hasard, ont transporté la 
				fabrication au nord ou au midi, à l'est ou à l'ouest. 
				Nous venons de parler des terrains propres à la culture de 
				l'osier. C'est qu'en effet il y a d'énormes différences dans la 
				qualité du bois, selon que l'osier a été planté dans des 
				terrains d'alluvion, gras et profonds, ou dans des terrains mous 
				et légers. Les premiers produisent un osier à grands jets, fins, 
				flexibles, sans moelle. Les autres donnent un jonc à grosse 
				moelle, et par cela même sans force et sans souplesse. Les 
				terrains d'alluvion, gras et profonds, sont d'autant plus 
				favorables que la racine de l'osier pivote et s'enfonce autant 
				que le permet l'épaisseur de la couche de terre. C'est dans ces 
				sols propices que se récolte l'osier à écorce jaune, à tige bien 
				droite et que les vanniers ont baptisé du nom pittoresque de 
				romarin ou queue de renard. 
				Nous avons en France beaucoup de terrains bons pour cette 
				culture. Nous sommes arrivés promptement à exporter 
				non-seulement des ouvrages de vannerie, mais des osiers propres 
				à être mis en oeuvre, et liés en bottes de 20 kilogrammes. On les 
				envoie ainsi préparés en Angleterre, en Belgique, aux 
				Etats-Unis. Osier ou vannerie, ces exportations représentent une 
				valeur de plus de 3 millions de francs par an. 
				Nos vanniers ne sont pas encore parvenus à faire, comme les 
				naturels des pays dont nous parlions tout à l'heure, des paniers 
				à mettre de l'eau ou du lait : c'est dommage : mais ils 
				excellent dans la vannerie élégante, dans la vannerie 
				artistique, si nous pouvons parler ainsi. Et grâce au jonc 
				qu'ils font venir d'Espagne, des bambous qu'ils font venir de 
				l'Inde, et qu'ils mêlent à l'osier, ils tissent des objets qui 
				semblent sortir de la main des fées. Nous ne croyons pas 
				commettre une bien grande indiscrétion, en disant que beaucoup 
				de paniers se vendent comme originaires de Java, de Bornéo, 
				etc., et qui jamais n'ont quitté le beau pays de France. 
				 
				La Meurthe est précisément un des départements producteurs 
				d'osier destiné à la meilleure vannerie ; c'est aussi un 
				département qui possède beaucoup de terrains mouillés. Or, on ne 
				se fait pas une idée assez exacte de ce que peut valoir une 
				oseraie. On a vu, et souvent, des oseraies bien organisées 
				produire, par hectare, 500 et 600 bottes d'osier. Et les bottes, 
				sans être pelées et blanchies, valent couramment 1 fr. 50 c. 
				C'est donc un revenu possible de 700 à 900 francs par hectare, 
				tiré d'un terrain trop humide pour être utilisé autrement. Cela 
				ne vaut-il pas la peine qu'on y songe ? Il faut sans doute un 
				travail préparatoire pour atteindre ce résultat. 
				Il faut pratiquer des fossés, il faut biner la terre, et, si 
				elle garde trop d'eau, la drainer économiquement avec des lits 
				d'épine noire. Puis, ce travail fait, on devra chaque année, 
				après la coupe, curer les fossés et jeter la bourbe sur les 
				plants. Mais c'est, en définitive, une besogne facile et 
				prompte. 
				Pourtant, la culture de l'osier et l'industrie de la vannerie 
				ont été très-longtemps sans importance aucune dans notre 
				département. Il a fallu qu'un de nos lorrains revînt dans le 
				pays pour donner l'essor à ce genre de travaux. M. Moitrier 
				était d'abord simple ouvrier vannier à Paris. Devenu chef de 
				maison, il planta de l'osier à quelques lieues de Paris, à 
				Antony, où il a une petite propriété. Puis il pensa qu'il ferait 
				acte de patriotisme en transportant dans la Meurthe le centre de 
				ses opérations. 
				L'arrondissement de Lunéville, notamment, a des terrains 
				essentiellement favorables à la culture de l'osier. A Ogéviller, 
				à Buriville, à Fréménil, à Domjevin, l'osier est d'une qualité 
				supérieure à tous les osiers connus. 
				C'est de ce côté qu'opéra d'abord M. Moitrier. Depuis qu'il est 
				dans la Meurthe, M. Moitrier a fait planter environ 30 hectares 
				d'oseraies et entretient de deux à trois cents ouvriers. On 
				fait, dans ses ateliers, depuis le panier d'emballage jusqu'aux 
				ouvrages les plus fins et les plus charmants, caprices de la 
				mode qui règne dans la vannerie comme partout. 
				Est-il besoin de faire ressortir l'avantage de cette 
				introduction d'une industrie nouvelle dans notre contrée ? La 
				vannerie est une occupation presque toujours attrayante. Elle 
				n'entraîne pas une grande dépense de forces, même dans ses 
				applications les plus grossières. Les articles courants peuvent 
				être confiés aux femmes. C'est un travail qui n'exige que du 
				goût et du soin. Le jonc et les autres matières premières amenés 
				des pays inter-tropicaux sont encore plus faciles à manier que 
				l'osier. Puis enfin, la vannerie peut être une ressource pour 
				les jours d'hiver, quand tous les autres travaux sont suspendus. 
				Nous ne parlons même pas de l'amélioration immense résultant de 
				la mise en valeur des terrains marécageux. Tout cela est déjà 
				compris, et nous avons, dans la Meurthe, plus de 200 hectares 
				d'oseraies. 
				Il faut dire aussi que la vannerie n'est pas seulement le 
				tissage des paniers, l'entrecroisement de l'osier, du noisetier, 
				du châtaignier, du chêne, etc. Il faut des ouvriers pour couper 
				l'osier; il en faut pour le peler et le mettre en bottes; il en 
				faut pour le teindre en noir, en bleu, en vert, en brun, en 
				rouge. C'est une industrie considérable, et qui peut devenir 
				telle surtout dans notre département. Nous avons donc rempli un 
				devoir en signalant les efforts de M. Moitrier aux sympathies de 
				tous. 
				A. Lemachois. (Journal de la Meurthe et des Vosges.)
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