Nous avons déjà évoqué la mort du brigadier Félicien
Simon, premier soldat tué dans le Blâmontois le 5
août 1914 (voir aussi à ce titre
l'Est-Républicain
du 31 janvier 1915).
Mais qui est le premier soldat français tué de
la guerre de 1914 ?
La réponse à ce morbide palmarès est cependant
discutable.
En effet, on considère généralement qu'il s'agit du
Caporal Jules André Peugeot, du 2ème bataillon du
44ème régiment d'infanterie, tué à Joncherey
(Territoire de Belfort) le 2 août 1914
(le Journal
des marches et opérations du régiment n'indique rien
de particulier à cette date ; la mort de Peugeot
n'est relatée que dans l'Historique du 44ème
régiment, et dans l'article de presse ci-contre).
Mais lorsque ce matin là, le lieutenant allemand
Mayer tire
sur cet instituteur de 21 ans qui gardait
une barricade sur la route, la guerre n'est pas
déclarée : on peut donc considérer qu'il s'agit là
non d'un fait de guerre, mais d'un réel assassinat. |
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Journal des
mutilés, réformés et blessés de guerre -
13 janvier 1935
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Il apparaitrait donc que le premier soldat tué
par une balle allemande lors de la
guerre est le chasseur à cheval de 2de classe, du 12ème
régiment, Fortuné Emile Pouget. Né à Paris le 2 mai
1893, il est de garde à la frontière, près de Bouxières sous Froidmont (Meurthe-et-Moselle), au
signal de Vittonville, lorsqu'il est tué à 12 h 15
le 4 août 1914.
On notera cependant qu'il ignorait encore que la
guerre avait été déclarée à la France par
l'Allemagne le 3 août (car si dans la cas du 44ème
RI, on lit dans le journal de marche « 3 août :... à
22 heures, le colonel est averti par la Division que
l'ambassadeur d'Allemagne a demandé ses passeports
et que par suite l'état de guerre existe entre la
France et l'Allemagne », le journal du 12ème
chasseurs n'indique qu'au « 5 août. [...] Le 12e
chasseurs apprend à 4 heures que la guerre est
décrétée. »)
Le journal de marches et opérations du 12ème régiment
indique :
« 4 août [...]
Mort du trompette Pouget. Le trompette, du 1er
escadron, qui tenait garnison à Pont-à-Mousson, a
été tué net d'une balle dans la tête, entrée
au-dessus de l'oreille droite et sortie par le fond
du crâne, dans les circonstances suivantes. Il
faisait partie d'un poste de surveillance envoyé à
Bouxières-sous-Froidmont. Le gros de ce poste était
dans les bois, vers la côte 396, avec des vedettes
en lisière du bois, surveillant la route de Lorry à
Bouxières et une autre vedette double surveillant la
crête du signal de Vittonville. C'est à ce dernier
poste que Pouget a été tué à midi 15. Le chasseur
Enjalrie était au côté du trompette Pouget.
Toute la matinée, ces postes de vedettes avaient vu
des patrouilles de cavaliers ou de fantassins
allemands qui ne leur avaient rien dit. Il n'avait
donc aucune raison de se méfier de l'arrivée d'une
patrouille de 8 hommes à midi 15, qui l'a tué sans
provocation et sans motif. A ce moment, ni d'un
côté, ni de l'autre, la frontière n'était franchie.
Les chasseurs du poste de Bouxières ont été empêchés
de relever le corps de leur camarade par les coups
de fusil de la patrouille allemande : une voiture de
la croix-rouge envoyée de Pont-à-Mousson l'a ramené
dans la soirée.
5 août. Limey.
Le 12e chasseurs apprend à 4 heures que la guerre
est décrétée.
Le chasseur Pouget est enterré à Pont-à-Mousson en
présence de toute la population. Le capitaine
Quesnel commandant le 1er escadron lit sur la tombe
l'ordre du colonel :
« Le trompette Pouget est mort au champ d'honneur
hier vers midi près du signal de Vittonville.
Saluons avec émotion la première victime de la
guerre. Il a été tué sur le territoire français,
avant la déclaration de la guerre, sans que les
hostilités aient commencé, sans que rien ait pu
motiver l'ouverture du feu par les Allemands. C'est
un assassinat ! Nous nous en souviendrons. Pouget
sera vengé. Haut les coeurs ! Chasseurs ! Et
pointons au corps. »
Est Républicain : 5 août 1914
LES OBSÈQUES du premier Soldat français tué par les
Allemands
C'est le chasseur à cheval Pouget du 12e régiment
PONT-A-MOUSSON, 5 août. - Aujourd'hui, mercredi, à 2
heures, a eu lieu au milieu d'une affluence
considérable, l'enterrement du premier soldat tué à
l'ennemi.
Le cercueil était littéralement couvert de fleurs et
couronnes apportées par des mains patriotes.
Le deuil était conduit par MM. les Officiers du 12e
chasseurs à cheval, ayant à leur tête le capitaine
Quenel, commandant le 1er escadron, auquel
appartenait le défunt.
M. Thirion, ordonnateur de l'hôpital, représentait
la famille absente.
MM. Bonnette, conseiller général, et Bertrand,
premier adjoint, précédaient les autorités et les
sociétés locales. Une foule évaluée à plus de mille
personnes suivait le cortège conduit par M. l'abbé
Zinsmeiter., curé doyen de Saint-Martin. Des
chasseurs à pied rendaient les honneurs au passage.,
Après l'absoute, au cimetière, M. le capitaine
Quenel, dans une vibrante improvisation, flétrit
l'acte criminel qui a privé la France d'un de ses
vaillants défenseurs tué au signal de Vittonville,
en territoire français, avant la déclaration de
guerre.
Il lit l'ordre du jour du colonel commandant le
régiment qui demande à ses chasseurs de venger
l'assassinat de leur camarade.
M. Thirion, ensuite, prononça l'allocution suivante
:
« Mesdames, Messieurs,
« Avant de laisser fermer cette tombe si
prématurément ouverte, j'ai tenu, au nom de la
Commission administrative de l'hospice représentant
la famille, à adresser un dernier adieu à cette
malheureuse victime des balles ennemies.
« Chasseur Pouget, vous qui êtes tombé frappé à mort
d'une manière si inopinée, si inattendue, d'une
façon que je n'ose qualifier en ce moment critique,
craignant de dépasser les bornes, vous qui, comme
votre aîné de 1870, cavalier lui aussi au 12e
régiment de chasseurs, tombez le premier au champ
d'honneur, soyez assuré que vos camarades du 1er
escadron du 12e régiment de chasseurs vous vengeront
et que comme tous ceux qui ont l'honneur d'être sous
les plis du drapeau tricolore, ils feront leurs
devoirs aux cris de :
« Vive la France !
« Pour votre famille,
« Pour la France,
« Pour la cité mussipontaine,
« Adieu, chasseur Pouget ! Reposez en paix ! »
Le voeu du colonel du 12e régiment de chasseurs a été
vite exaucé, car le cortège rentrait à peine qu'un
peloton prenait quatre chevau-légers, faits
prisonniers près de Landremont. |
Complément août 2013
: Néanmoins, la
polémique reste entière sur le premier "tué" : le
présent article n'avait que pour motivation
d'élucider les circonstances de l'article précédent
de l'Est-Républicain relatant dès le 5 août 1914
l'enterrement du soldat Pouget.
Ainsi, nous avions donc fait l'impasse sur l'article
du Républicain Lorrain du 9 février 2013 reproduit
ci-dessous, qui évoque la mort tragique du soldat
Georges Ferdinand BIGARD (1892-1914), tué d'une
balle de sentinelle française au matin du 4 août,
relatée dans le journal de marches et opérations du
91ème régiment d'infanterie.
Lorsque nous évoquions un "morbide palmarès",
nous mettions en évidence ce qu'il y a aujourd'hui
de dérisoire à classer ainsi les 1,4 millions de
soldats français tués au cours du conflit, mais il
en était tout autrement en ce début d'août 1914.
Car sans doute faut-il aussi prendre en compte les
tués du 3ème régiment de Zouave lors du
bombardement du port algérien de Philippeville le 4
août au matin. Le monument commémoratif rapatrié à
Versailles porte l'inscription « Ici le 4 Août
1914 à 5 heures du matin est tombé le premier obus
tiré par le croiseur "GOEBEN" faisant les premières
victimes de la Grande Guerre. », et cite parmi
ses 21 noms, les 10 tués du 4 août
(marqués ici d'une * : ALBOUY André, BARREYRE Roger
*, BASTIEN André *, BENICHOU Mimoun *, BOUVIN Gaston
*, BUCHLIN Adrien *, CHENU Pierre *, CHIRCOP Gaspar,
DEBILI Ali, DUMAS Victor *, GAGLIONE André, GILLI
Louis *, MAGNOT Dominique *, MANSON Joachim, NORDE
Emmanuel, PARIS Albert *, PHESOR Hubert, RAMBOZ
Gaston *, SACHET Eugène, SAUNIER Jean).
On notera cependant qu'au 5 août, les informations
sur le bombardement de Bône et Philippeville sont
encore éparses dans la presse française
(le Temps évoque même une
dépêche de Rome au New-York Herald indiquant que le
Goeben n'était pas à Philippeville !), et l'Est-Républicain
du jour écrit seulement
Ils
ont bombardé Bône et Philippeville, alors que nos
canons étaient muets.
Par ailleurs, de ce bombardement
de Bône, était apposé sur la palais Calvin "Ici
est tombé le premier obus de la guerre". Or, le
3 août 1914 vers 18 heures un avion allemand arrive
par l'ouest sur Lunéville, et y largue ses bombes.
Le journal Gil Blas du 4 août 1914
rapporte à ce sujet
« Au moment même où la note de M. de Schoen était
remise au gouvernement français. M. Malvy, ministre
de l'intérieur, recevait du sous-préfet.de
Lunéville, la dépêche suivante : « Lunéville, 3
août.
« Un aéroplane allemand a survolé Lunéville, un peu
avant 18 heures, à une hauteur de 1.500 mètres
environ, et a laissé tomber sur la ville trois
bombes qui ont fait de violentes explosions, mais
n'ont causé que des dégâts matériels.
« Une est tombée dans une rue centrale, endommageant
la chaussée ; une autre est tombée à dix mètres de
la sous-préfecture, détruisant en partie le toit
d'un vaste hangar et en brisant toutes les vitres.
« La population, un instant inquiète, a
immédiatement repris son calme. »
Revoilà donc toute la difficulté du sujet,
puisqu'il semble que Lunéville ait été bombardé
avant la déclaration officielle de guerre à la
France par l'Allemagne...
Ainsi, pour déterminer le premier soldat tué,
faut-il prendre en compte avant ou après la
déclaration de guerre (on notera que
la plaque apposée sur le monument aux morts de
Bouxières-sous-Froidmont indique que le cavalier
Pouget est le « premier tué après la
déclaration de guerre » ), d'une balle
française ou allemande, en métropole ou non ?
La question du titre reste donc
entière, et sans doute toujours sujette à
controverse, même si la réponse ne présente qu'un
intérêt anecdotique : qui fut le premier
soldat tué de la guerre 1914-1918 ?... question que l'on
pourrait formuler autrement, pour couper court aux
débats multiples actuels (notamment
ceux suscités récemment par l'article ci-dessous)
: pour les Français d'août 1914, quel soldat
leur était connu comme la première victime ?
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