1918 - 140e
régiment d'infanterie
Historique du 140e régiment d'infanterie pendant la
guerre 1914-1918
Ed. Berger-Levrault
LE SÉJOUR EN LORRAINE
LE DÉPLACEMENT. -
Le 28 juillet [1918], le régiment quitte la vallée
de la Marne pour se rendre en Lorraine.
L'embarquement a lieu à oeuilly-Station-La Cave, et
le lendemain, les bataillons débarquent
successivement à Moyen.
Il cantonne en entier à Moyen, à l'exception du 2e
bataillon qui va s'installer à Vallois.
Nous sommes dans le plateau lorrain, région ondulée,
de formes molles et de topographie confuse. La terre
est argileuse et tenace. Sur ces terres fortes,
desséchées et fendillées en été, bourbeuses et
compactes en hiver, la culture ne peut employer que
de forts chevaux, mais les récoltes sont
fructueuses. Dans les endroits où la terre arable
est mince, s'étendent de vastes forêts,
principalement autour de Lunéville (forêt de
Vitrimont, de Paroy, de Mondon), des monticules
isolés (côte de Virieu, côte d'Essey) dominent le
plateau et certains d'entre eux ont été le théâtre
de sanglants combats en 1914. |
|
La
propriété est très divisée et les habitants se
groupent en villages de quelques centaines
d'habitants. De loin, on n'aperçoit qu'un groupe
pelotonné de maisons presque enfouies sous des toits
de tuiles descendant très bas. Elles s'alignent tant
bien que mal le long d'une longue rue irrégulière où
se trouvent les puits, les fontaines et les tas de
fumiers. |
LE SÉJOUR EN SECTEUR.
- La 27e D.I. qui fait partie maintenant de la VIIIe
armée est destinée à relever la 6e D.I. Le régiment
prend possession du sous-secteur de Fréménil, du 2 au 4
septembre. Un bataillon est en ligne devant Domjevin, un
autre en réserve autour de Fréménil et le dernier est au
camp Rolland, dans la forêt de Mondon. Le secteur du
régiment englobe en première ligne les villages de
Reillon et Blémerey.
Le nouveau secteur est très calme. Les deux artilleries
sont peu actives, les avions assez rares. De part et
d'autre, la densité des troupes en ligne est très
faible. Les petits postes, fortement constitués, sont
très éloignés les uns des autres et changent de place
fréquemment afin de dérouter l'ennemi.
Un stosstrupp allemand exécute fréquemment des
patrouilles et des reconnaissances. Le groupe franc du
régiment et des fractions constituées à gros effectif
font de leur côté de nombreuses reconnaissances et
tendent beaucoup d'embuscades.
Dans la nuit du 10 au 11 septembre, le groupe franc,
commandé par le sous-lieutenant Favier, tombe dans une
embuscade en exécutant une reconnaissance devant
Gondrexon. Après un violent combat, le groupe réussit à
se dégager; le sous-lieutenant Favier est grièvement
blessé ainsi que cinq hommes, et quelques autres tombent
aux mains de l'ennemi.
Le 2e bataillon, qui a poussé activement son
installation pendant un séjour au camp Rolland, relève
le 1er bataillon dans la nuit du 10 au 11 septembre.
Celui-ci se rend au camp Rolland et à son premier jour
de repos fait une prise d'armes, au cours de laquelle le
colonel Husband remet la croix d'officier de la Légion
d'honneur au chef de bataillon Croibier, et celle de
chevalier au capitaine Flouriot.
Les unités en réserve travaillent activement à
l'organisation de la ligne de résistance et-procèdent à
des reconnaissances en avant de nos lignes.
Vers le milieu de septembre, une modification a lieu
dans la répartition des troupes en ligne. Le secteur du
régiment englobe en plus le village de Saint-Martin, un
bataillon reste à Fréménil, l'autre s'installe à
Ogéviller, le P.C. du colonel se transporte à Buriville.
LE COUP DE MAIN DU 2e BATAILLON. - Le 2e bataillon
exécute, dans la nuit du 15 au 16 septembre, un coup de
main de va-et-vient sur les tranchées de la Rotonde et
du Dramaturge. Sa mission est de ramener des
prisonniers, des documents -et du matériel. L'opération
a été préparée soigneusement; les différentes compagnies
du bataillon ont effectué des reconnaissances dans la
zone d'opération. Les cadres sont venus fréquemment
inspecter le terrain. Toutes les nuits, des détachements
ont été chargés de faire des brèches dans le réseau
ennemi, sur le front d'attaque. La préparation du
terrain la plus utile aura été faite par le lieutenant
Marmonier qui pendant de longues nuits, avec une ardeur
inlassable, prépare les cheminements destinés à
aiguiller les colonnes d'assaut sur leur objectif.
Plusieurs répétitions du coup de main sont exécutées, à
l'arrière; le commandant Chastanet explique à chacun son
rôle, montre bien les difficultés de la tâche, donne les
plus sages conseils dont hommes et gradés font leur
profit et communique à tous sa foi dans le succès.
Le 2e bataillon a une section de génie à sa disposition.
Quelques batteries d'artillerie de campagne et
d'artillerie lourde feront l'encagement auquel
participeront plusieurs compagnies de mitrailleuses.
Le 17, à 19 heures, le 2e bataillon se porte à Reillon
et, de là, gagne ses positions de départ en avant de
notre ligne de surveillance.
A 22 heures, au moment où se déclenche le tir
d'encagement, le bataillon se porte à l'attaque des
tranchées de la Rotonde et du Dramaturge, situées à
1.500 mètres à l'intérieur des lignes ennemies et
protégées par des obstacles aussi forts que nombreux.
Quatre lignes successives de tranchées couvertes par
quatre réseaux épais barrent la route; de nombreux
réseaux bordent les boyaux et cloisonnent les différents
éléments de tranchée, transformant le terrain à
parcourir en une véritable toile d'araignée de fil de
fer qu'il faut cisailler à la main. L'ennemi déclenche
sur le bataillon le tir de nombreuses mitrailleuses,
placées sur l'objectif à atteindre et sur les deux
flancs. Toutes ces difficultés sont vaincues. Le
sous-lieutenant Pangon, de la 5e compagnie, saute, à
l'heure fixée (10h 35), sur l'objectif assigné, tombe
sur un poste ennemi et ramène six prisonniers et une
mitrailleuse. A 23h 15, le bataillon est de retour. Il a
reçu pendant sa rentrée dans nos lignes quelques obus
seulement, le barrage ennemi, assez intense, s'étant
fait beaucoup trop à l'est. Les pertes sont légères; il
n'y a qu'un seul tué et huit blessés dont un officier.
Ce coup de main vaut au bataillon les félicitations du
colonel Husband, commandant L'I.D. Le sous-lieutenant
Pangon est cité à l'ordre de l'armée en ces termes :
« Au cours d'une reconnaissance offensive, a donné les
plus brillantes preuves de courage et de sang-froid.
Bien que blessé, a conservé le commandement de son unité
qui a fait six prisonniers et capturé une mitrailleuse.
»
Le commandant Chastanet, dont le travail de préparation,
l'énergie déployée et l'exemple personnel avaient assuré
le succès, est cité à l'ordre du 6e C. A.
Les patrouilles, embuscades et reconnaissances
continuent et de temps à autre nos fractions se heurtent
aux éléments ennemis. C'est ainsi que, dans la nuit du
18 au 19 septembre, une reconnaissance de la 10e
compagnie engage un violent combat avec une patrouille
ennemie et capture un sous-officier de landwehr. Dans la
nuit du 12 au 13 octobre, la 2e compagnie et une
section de la 7e compagnie, en exécutant une
reconnaissance sur le bois Viard, engagent le combat
avec une patrouille ennemie et ramènent un prisonnier,
mais, en revenant, elles se heurtent à un fort
détachement ennemi qui vient pour attaquer un de nos
petits postes; après une mêlée assez confuse, la
reconnaissance française regagne nos lignes. Un caporal
et trois hommes ont disparu au cours du combat, en outre
un homme est tué et trois autres blessés.
L'ennemi, de son côté, tente de nombreux coups de main.
C'est ainsi que le 25 septembre, au matin, vers 4
heures, un parti ennemi fort de 70 hommes et armé de
mitrailleuses légères attaque le petit poste du
carrefour au nord de ReilIon qui comprend un caporal et
six hommes commandés par le sergent Bouhier, de la 6e
compagnie. Complètement encerclé et serré de très près,
le poste se défend avec acharnement à coups de fusil, de
grenades et de V.-B. L'ennemi est repoussé; il emmène
ceux des siens qui sont hors de combat mais n'a fait
aucun prisonnier. Cette belle résistance du poste lui
vaut les félicitations du général de division. Le chef
de poste est cité à l'ordre de l'armée :
« Le 25 septembre, le sergent Bouhier, étant chef d'un
petit poste violemment attaqué et encerclé par une forte
reconnaissance ennemie, a vaillamment tenu tête à
l'adversaire, livrant un dur combat allant jusqu'au
corps à corps. A repoussé tous les assauts, mettant
l'ennemi en fuite et lui infligeant des pertes. »
A partir du 20 septembre, les bataillons rouleront entre
eux pour l'occupation du secteur. Chacun d'eux fait six
jours de ligne et douze jours de réserve.
Au cours d'un séjour à Ogéviller, le 2e bataillon fait
une prise d'armes à Buriville au cours de laquelle le
colonel Husband remet une croix de chevalier à un
officier étranger au régiment et un certain nombre de
croix de guerre à quelques-uns de ceux qui ont été cités
pendant le séjour en Lorraine. Puis il félicite de vive
voix le bataillon pour l'heureuse réussite du coup de
main.
On a vu précédemment que l'infanterie ennemie se
montrait assez active. Son artillerie, peu dense, est
active par intermittence. Elle exécute des tirs de
harcèlement sur les postes, mais prend particulièrement
à partie les batteries. Les cantonnements habités par
les civils à proximité de la ligne de résistance
reçoivent quelques obus de façon tout à fait
exceptionnelle.
LE REPOS DANS LA ZONE DE GIRIVILLER. - A partir du 26
octobre, le régiment est relevé par le 226e R.I. et fait
deux étapes qui le conduisent aux cantonnements de
Giriviller, Seranville et Mattexey. [...]
|