Faculté de droit de Nancy. Le Budget de la province de Lorraine
et Barrois sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766),
d'après des documents inédits. Thèse pour le doctorat en droit,
par Pierre Boyé, avocat.
Pierre Boyé Impr. Crépin-Leblond, 1896
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET INDICATION DES PRINCIPALES SOURCES
I
MANUSCRITS
Archives nationales :
Série K, n° 1184 ; Série KK, nos 498-499. - Etats arrêtés au
Conseil de la recette et dépense générale des finances de
Lorraine et Barrois ; etc.
Archives de la cour d'Appel de Nancy :
Nombreuses liasses non classées, passim.
L'extrême désordre de ces archives ne nous permet point de
donner d'autres indications en ce qui concerne les pièces que
nous y avons consultées.
Archiv. du Tribunal de Commerce de Nancy :
Documents divers, passim.
Ces archives n'étant point classées nous ne pouvons renvoyer à
aucune cote ; toutefois la grande complaisance qui nous a été
témoignée dans ce dépôt a considérablement facilité nos
recherches.
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle :
Séries B et C, et plus spécialement :
B. 1761-1768 ; 12.449-12.481. - Comptes de la recette générale
des finances.
B. 12.451. - Registre pour les affaires qui concernent
l'abonnement.
B. 1770-1817. - Comptes de la recette générale des domaines et
bois.
B. 11.978-12.425, passim. - Documents concernant les aux et
forêts.
Archives départementales des Vosges :
C. 118-121. Rôles des Vingtièmes.
Archives départementales de la Meuse :
R. 448-470. - Subvention : répartition.
Arch. communales :
Charme, : CC. 61-66. Rôles de répartition,
Pont-à-Mousson ; Mousson ; Plombières ; etc : pasaim.
Bibliothèque de In Société d'Archéologie lorraine
Ms. n° 80. - Compte de la recette générale des finances, 1750:
etc.
Bibliothèque publique de Nancy :
Nombreux manuscrits, passim ; et en particulier : Mss, Nos 58,
386, 389, 395.
II
IMPRIMÉS
Recueil des ordonnances et
réglemens de lorraine... in-4°. Nancy, t. VI à XI.
Remontrances de la Cour Souveraine et des Chambres des Comptes
de Nancy et de Bar. Brochures diverses, in-4°,
BAUMONT. - Etudes sur le règne de Léopold, duc de Lorraine et de
Bar (1697-1729). 1 vol. in-4°. Nancy, 1894.
DIGOT. - Histoire de Lorraine, 6 vol. in-8°. Nancy, 1880. t. VI.
DURIVAL. - Description de la Lorraine et du Barrois, 4 vol.
in-4°. Nancy, 1778-1788.
MATHIEU (Abbé). - l'Ancien Régime dans la province de Lorraine
et Barrois (1698-1789). 1 vol. in-8°. Paris, 1879.
NECKER. - De l'administration des finances de la France. 8 vol.
In-8°, Paris, 1784.
Quantité d'autres ouvrages ; brochures, placards, circulaires,
etc. Plusieurs de ces sources seront spécialement mentionnées au
cours du récit.
AVANT-PROPOS
Par Budget d'un État, dans un des sens donnés de nos jours à ce
mot, on entend l'énumération systématique des diverses recettes
et dépenses publiques durant l'exercice d'une année; Budget
évoque, ainsi, une idée d'équilibre, de balance. Pour le titre
de notre travail, nous avons dû prendre ce terme dans une
acception quelque peu différente, et nous écarter de la stricte
notion juridique que l'on doit s'en faire. Pendant les
vingt-neuf années que nous allons étudier, nous ne rencontrerons
guère, en effet, que des exceptions à la règle et un régime
financier tout particulier. Province française de fait, la
Lorraine est censée conserver encore son autonomie; mais, le
soin que l'on met à sauvegarder de vaines et trompeuses
apparences amène parfois une étrange complexité. Les recettes
sont multiples; mais le tout n'en est point dépensé dans le
pays; le surplus, fort considérable, est versé au fur et à
mesure dans la caisse du roi de France; il va s'y confondre avec
d'autres fonds et nous l'y perdons de vue. Le parallélisme
inverse de l'actif et du passif ne peut de la sorte être suivi.
Nous n'avons donc pas divisé ce travail en deux parties égales
où nous examinerions dans l'une des recettes destinées à
subvenir rigoureusement à des dépenses que nous classerions dans
l'autre. Nous avons dû nous contenter de signaler à chaque
perception de deniers, les prélèvements faits pour
l'acquittement de telle ou telle charge locale. Nous aurions
voulu, tout au moins, présenter un tableau synoptique de cette
comptabilité; marquer aux yeux par quelque graphique la
proportion exacte entre l'actif et le passif; tracer la courbe
indiquant l'accroissement continu des recettes, tandis que les
dépenses restaient à peu près fixes; inscrire, enfin, l'énorme
somme totale que la France fit entrer au Trésor royal de 1737 à
1766. Les lacunes que le temps et la dispersion des documents
ont introduites dans la série des registres de comptes ne nous
ont point permis cet essai. Avouons que c'est précisément cette
complexité et ces particularités qui nous ont tenté et qui nous
ont semblé suffisantes pour qu'il soit de quelque utilité de
composer le travail que nous présentons.
Ces réserves établies, nous pouvons déclarer que l'étude du
budget de la Lorraine, devenue province française, sous le règne
tout nominal de Stanislas, est d'un très réel intérêt et demande
à être faite avec grand soin, non seulement pour servir à
l'histoire même du pays, mais en tant que contribution à la
connaissance des finances du Royaume sous le règne critique de
Louis XV. Pour être complète, cette étude doit avoir des
proportions assez considérables: elle touche, en effet, à de
multiples questions. La fiscalité poussait alors ses profondes
racines en ramifications sans nombre qui s'insinuaient dans
chaque rouage administratif, atteignaient et enveloppaient la
plupart des services publics ou privés, profitant des plus
misérables moyens d'extension. Or, ce fut en Lorraine, et
surtout durant la période équivoque qu'y marqua le séjour du roi
de Pologne, que, par les soins des ministres français, cette
fiscalité eut son plus complet et désolant épanouissement.
Dans le régime financier de l'ancienne Monarchie, si compliqué,
si dépourvu d'unité, où les pays d'État s'opposent aux pays
d'Élections ; où, à côté des cinq grosses Fermes, on rencontre
les provinces réputées étrangères et celles d'étranger effectif;
où la question de la Gabelle donne naissance à des subdivisions
de territoire : la Lorraine, avec son Conseil des finances, ses
Chambres des Comptes de Nancy et de Bar, son long passé
d'intérêts spéciaux et de traditions, l'embarras que
provoquaient chez elle la souveraineté nominale de Stanislas et
le semblant d'autonomie qu'on devait lui ménager jusqu'à la mort
de ce prince ; avec, aussi, son état économique et sa
topographie bizarre, la Lorraine, disons-nous, si, à la rigueur,
elle pouvait prendre place dans quelques-unes des catégories
adoptées, si, par exemple, elle était bien plutôt pays d'État
que pays d'Élections et revendiquait à juste titre, au point de
vue douanier, son rang d'étrangère, n'en occupait pas moins, à
côté des autres provinces, une situation absolument unique qui a
besoin d'être examinée sous tous ses aspects.
Nous verrons à l'aide de quels remaniements dans les règlements
généraux et dans le personnel, le Gouvernement français façonna
peu à peu le mécanisme financier en Lorraine, à l'instar de
celui adopté généralement dans le Royaume. Quel sera le sort des
impôts qu'il y trouva établis ? Dans quelles circonstances les
augmente-t-il ou en créa-t-il de nouveaux ? Comment
exploitait-il le riche domaine que lui apurait le traité de
Vienne, et de quelle ressource furent finalement pour lui les
anciens Duchés ? L'époque où nous entrons permet assez de le
prévoir. Les ministres sont aux abois et font des efforts,
maladroits souvent et impuissants toujours, pour combler le vide
énorme que creusent de plus en plus dans le trésor deux guerres
longues et coûteuses. Or, la dernière annexée parmi les
provinces, ne l'étant même pas encore d'une façon avouée avant
1700, la Lorraine va, immédiatement après le départ de ses Ducs,
être mise à contribution avec un empressement et une persistance
regrettables. Les demandes d'argent seront répétées et
excessives; la liberté laissée aux traitants sur le sol lorrain,
déplorable. On ne prendra pas pour les Duchés souci de l'avenir
; on ne combinera point les exigences en proportion des moyens.
Le ministère veut bien assurer les Lorrains de sa sympathie ;
mais, il n'a à leur égard qu'une sollicitude toute théorique; on
ne songe pas à se demander s'il est bien sage de détruire la
ruche pour prendre le miel. La Lorraine est placée sous
l'autorité plus directe des Contrôleurs Généraux des finances;
ils ne manqueront point de s'adresser à elle. Elle n'échappera
en partie aux procédés des Boullongne et des Bertin qu'à force
de plaintes et de résistance.
Quant à l'Intendant. - le chancelier La Galaizière, auquel
succéda son fils en 1750 - chargé de promulguer au nom du roi de
Pologne les édits bursaux arrêtés à Paris, il n'aura pas dans
les conflits qu'ils susciteront un rôle facile. Si M. de La
Galaizière père chercha, en toutes occasions, à diminuer à son
profit et à celui du pouvoir central les vieilles prérogatives
des Chambres des Comptes en matière financière, du moins ne
dissimula-t-il pas à ses chefs l'excès des impôts. Il devança à
plusieurs reprises les doléances qu'à chaque accroissement des
charges présentaient, à Versailles, les Cours souveraines, en
traçant au Gouvernement, au sujet de l'épuisement de sa
Généralité, des tableaux, moins pathétiques que ceux de cet
Compagnies, mais tout aussi précis. Il répéta qu'il serait
prudent, humain même, de ménager davantage la Lorraine. Mais les
prescriptions des ministres demeurèrent formelles. Les temps
sont mauvais ; on ne saurait avoir d'autres préoccupations que
celles du moment; des subsides sont impérieusement réclamés ; le
mot d'ordre est invariable : on ne cédera qu'à la dernière
extrémité. Accusé par les Lorrains d'être l'auteur, sinon
l'instigateur de toutes les mesures fiscales qui pèsent sur eux,
M. de La Galaizière voit la magistrature comme le peuple le
charger de toutes les responsabilités. C'est vers lui que vient
battre le flot de toutes les mauvaises humeurs. On en profite
pour attaquer avec violence tous les actes de son administration
; on s'aigrit de part et d'autre ; bientôt, à l'Intendant,
injustement pris à partie sur la question financière, fait place
le Chancelier irrité ; ce sont des excès, des coups d'autorité,
des débats interminables et des malentendus successifs. La lutte
fameuse de la Lorraine contre les édits des Vingtièmes restera
une des pages les plus émouvantes des annales de la Province.
C'est en matière de finances que l'on s'est fait l'idée la moins
juste de l'administration française sous Stanislas, de
l'attitude surtout de l'Intendant. A la suite des contemporains
des La Galaizière on nous a constamment montré ces derniers
accablant, de leur propre mouvement, les Lorrains des lourds
impôts qu'ils imaginaient. Des développements s'imposent aussi
pour redonner aux faits leur véritable signification.
Les ressources que la France tirait de la Lorraine consistaient
en quatre articles principaux, formant des groupes soigneusement
distingués par les financiers; c'était :
I. - Des impôts direct. ou impositions proprement dite;
Il. - Des produits casuels, fournis par les créations d'offices
;
III. Les produits des eaux et forêts;
IV. Le prix du bail de la Ferme générale et celui des baux
passés à des compagnies particulières pour l'exploitation du
reste du domaine foncier, des droits domaniaux, des monopole, et
impôts indirects: le produit de la régie de quelques autres de
ces impôts.
PREMIÈRE PARTIE
LES IMPOSITIONS
La Lorraine ne connaissait ni la
taille, ni la capitation ; la Subvention en tint constamment
lieu au XVIIIe siècle. A l'exemple du Royaume elle fut
assujettie aux Vingtièmes.
CHAPITRE PREMIER
LA SUBVENTION. - SUBVENTION PROPREMENT DITE ET PONTS ET
CHAUSSÉES.
La Subvention fut, de 1737 à 1750, la seule imposition générale
perçue en Lorraine. C'était une institution française; elle
datait de l'occupation. Levée pour la première fois en 1685,
elle devait subsister jusqu'à la Révolution.
Avant que la France se fût, au XVIIe siècle, emparée des Duchés,
les revenus ordinaires des souverains lorrains ne consistaient
que dans le produit de leur Domaine et dans quelques subsides
assez légers. Les Ducs levaient un impôt qui était appelé ayde
Saint-Remy, parce que le peuple le payait à la tête de ce saint,
au premier jour d'octobre, et qui était de deux francs par
ménage « le fort portant le faible ». C'était une taille
personnelle. Lorsque des besoins impérieux exigeaient de plus
grands secours, le prince convoquait les Etats auxquels il les
demandait. Pour la levée et l'emploi de ce second impôt quatre
commissaires étaient nommés : le premier représentant le
souverain, le second le clergé, les deux autres la noblesse, ce
qui formait un tribunal dit Chambre des aides où se jugeaient
toutes les contestations. Ces impositions extraordinaires,
accordées pour un temps, étaient désignées sous le nom
d'octrois. Finalement, l'octroi le plus constant avait été le
denier par franc du prix de chaque espèce de denrées ou de
marchandises, et le dixième pôt du vin, ou des autres liqueurs,
mis en vente (1). La convocation des Etats prit fin sous le
règne orageux de Charles IV. La France ayant envahi la Lorraine
Louis XIV supprima les anciens subsides et les remplaça par la
Subvention, résolvant ainsi dans les Duchés la question de la
permanence de l'impôt.
Léopold, une fois rétabli sur le trône de ses pères, par la paix
de Ryswick, supprima la capitation, que le gouvernement français
avait aussi étendue à la Lorraine lors de sa création en 1692,
mais il y maintint la Subvention. L'étymologie de ce dernier
impôt indique qu'il était destiné à subvenir aux charges de
l'Etat. Cette contribution, extraordinaire par origine, était
devenue normale par sa persistance. Il faut avoir soin de
distinguer cette subvention lorraine des autres impositions
françaises portant alors la même désignation. Ce mot, comme on
sait, avait anciennement compris en France toute imposition
ajoutée à celles déjà existantes, pour aider aux circonstances,
et qui, momentanée, cessait au terme fixé pour sa durée. Depuis
Sully, d'ailleurs, elle était très peu pratiquée. Une subvention
continue était sortie de cette subvention temporaire. Imposée
comme droit d'entrée aux abords des villes, bourgs et principaux
villages du Royaume, par une déclaration du 8 janvier 1641, elle
avait donné plus tard naissance à la subvention dite en détail,
et à la subvention par doublement. On appliquait encore ce terme
de subvention, ou mieux de subvention-taille, à des impositions
comprises dans le brevet annuel des tailles, et qui se levaient
dans quelques régions et localités de la France, toujours pour
la même somme, au moyen d'un abonnement.
La Subvention lorraine était une imposition mixte, c'est-à-dire
réelle et personnelle de sa nature, en ce qu'elle s'appuyait non
seulement sur les fonds : subvention d'exploitation, - dite
quelquefois d'occupation, si l'on avait affaire à des propriétés
bâties, - mais encore sur les facultés connues et présumées des
contribuables, sur le commerce et sur l'industrie. Elle tenait
donc lieu à la fois de la taille personnelle, ordinairement
pratiquée dans les pays d'Elections, et de la taille réelle,
plus spéciale aux pays d'Etat.
SECTION I. - Mécanisme de la répartition.
Voici quel était, à l'époque qui nous occupe, le mécanisme de la
répartition de la Subvention. Chaque année, le Contrôleur
Général des finances décidait approximativement, et selon les
besoins, quelle somme serait exigée de la Lorraine. Sur cette
base, l'Intendant dressait un état qu'il envoyait à Paris pour y
être approuvé et qui portait le chiffre de la Subvention à
demander aux contribuables. Le visa ayant été donné par le
ministère, cette somme était, par les soins de l'Intendant,
imposée sur la Province, au nom du roi de Pologne et en vertu
d'un arrêt du Conseil des finances de Lorraine (2). Puis,
l'arrêt du Conseil était adressé aux deux Chambres des Comptes
de Nancy et de Bar ; en matière financière, comme nous allons le
voir, l'ancienne distinction entre les deux Duchés subsistait
encore de fait ; les parts de contributions retombant
respectivement sur l'une et l'autre portion de la Province
étaient déterminées. Le rapport varia plusieurs fois; Léopold en
avait mis les deux tiers sur la Lorraine et l'autre tiers sur le
Barrois ; l'arrêt du Conseil des finances du 20 septembre 1737
modifia la répartition ; trois cinquièmes furent imposés sur la
Lorraine et deux cinquièmes sur le Barrois ; cette mesure était
fâcheuse, la Lorraine avait 92,000 contribuables environ, le
Barrois 42,000 ; ce dernier était donc visiblement trop chargé,
aussi la règle fut-elle encore changée plus tard, sans que
d'ailleurs, on parvint à contenter à la fois l'une et l'autre
contrée (3).
Lorsque les Chambres avaient eu signification de l'arrêt du
Conseil, elles procédaient, chacune sur les communautés de son
ressort, à la répartition de la somme qui leur était assignée.
Pour que ce travail se fit avec ordre, le ressort de chaque
Chambre était divisé en autant de départements qu'il y avait de
maîtres des comptes ; chaque maître recevait les rôles dépendant
de son département, en faisait le dépouillement et la division
en trois catégories. Dans l'une étaient placés les laboureurs,
dans l'autre es manoeuvres, dans la troisième les femmes veuves,
- dont deux étaient comptées pour un manoeuvre, à moins qu'elles
ne tinssent labourage, auquel cas elles étaient comprises dans
le premier groupement. Afin de bien saisir comment les Chambres
arrivaient ainsi à un résultat, il faut expliquer le principe
sur lequel elles s'appuyaient dans leurs calculs. En 1706, le
duc Léopold avait donné mission à des commissaires, tirés des
Chambres des Comptes, de visiter tous les villes et villages de
ses Etats. Prévôtés et cantons avaient été assignés à ces
magistrats pour qu'ils pussent y reconnaître en chaque point la
qualité du sol, la nature des productions, les débouchés pour le
commerce, le nombre des habitants des différentes classes, bref,
tout ce qui permettrait de juger du plus ou moins d'aisance de
chaque lieu. Ce grand ouvrage avait été exécuté avec beaucoup de
zèle et d'intelligence. Tous les renseignements recueillis, on
avait fixé la cote à laquelle chaque catégorie de contribuables
pouvait être taxée en moyenne : c'est ce qui fut appelé le
pied-certain, parce que ces chiffres devaient être invariables,
et c'est de là que partaient les Chambres pour déterminer la
cote d'une communauté. Nous avons dit que dans le dépouillement
des rôles, les maîtres des comptes divisaient les contribuables
en classes ; ils faisaient le total des sommes obtenues suivant
le pied-certain ; par exemple :
20 laboureurs à 10 l. 200 l.
40 manoeuvres à 3 l. 120 l.
8 femmes veuves dont deux pour un manoeuvre. 12 l.
Total: 332 l.
On reportait sur cette somme ce qui en manquait pour atteindre
celle à imposer, en sorte que s'il fallait 996 livres on
triplait le pied-certain qui subissait une augmentation
proportionnelle à celle de l'impôt. L'application du principe du
pied-certain n'était peut-être pas tout à fait exempte d'abus et
d'injustice, mais il s'en fallait de beaucoup qu'on y fût autant
exposé que pour la taille arbitraire du Royaume pour laquelle on
n'avait aucun point de repère fixe. Toutefois, chaque année, on
devait apporter une confiance moindre à la précision du
pied-certain, par suite des changements qui survenaient peu à
peu dans la géographie économique du pays. Il fut plusieurs fois
question de renouveler le pied-certain, mais on hérita devant
les difficultés d'une telle oeuvre (4). Les commissaires
répartissaient donc sur chaque paroisse la somme qu'elle devait
supporter eu égard au nombre et à la qualité de ses habitants.
Je vois par les états de la subvention pour 1758, que de la
seule Chambre de Nancy dépendaient douze départements comprenant
1,240 villages ayant tous leur feuille de subvention spéciale, 484 autres localités y étaient jointes sans parler des hameaux, censes, fiefs, etc (5).
Remises par les Chambres au receveur général en exercice, les
feuilles étaient alors distribuées entre les différentes
recettes particulières ; les receveurs particuliers devaient
dans les 24 heures, à peine de 100 francs d'amende, les faire
parvenir aux communautés. Ces feuilles de subvention, ou
mandements, indiquaient à chaque paroisse la somme pour laquelle
elle était taxée. Adressées aux maires et habitants, au nom du
roi de Pologne et de la Chambre des Comptes, elles contenaient
de plus une instruction détaillée sur les règles à observer dans
la répartition entre les habitants ; elles énuméraient les
devoirs des officiers municipaux à ce propos, ceux des asseyeurs
et des collecteurs. « Ce n'étoit d'abord qu'une simple feuille,
à présent c'est un volume trop considérable pour être clair :
mais les habitants s'entendent par habitude, et par des usages
de cent ans » nous dit Durival (6). En 1724, le mandement
n'était encore que de quatre petites pages ; dès 1757, il
atteignait huit grandes pages in-folio d'un texte très serré.
L'augmentation des impositions, la série des règlements
successifs amenèrent, en effet, après 1737, une complication
très grande dans le mécanisme de la perception (7).
Les feuilles ayant été distribuées, il restait à chaque
communauté à opérer à son tour la répartition entre ses
contribuables. Pour cela, dans les trois jours au plus tard, le
maire, ou à son défaut quelqu'autre officier du lieu, assemblait
les habitants, donnait lecture du mandement ; on procédait
ensuite à l'élection des asseyeurs et des collecteurs. Tout
contribuable était tenu, sous peine de 5 francs d'amende,
applicables à la fabrique, de répondre à l'appel et de venir
voter. Collecteurs et asseyeurs étaient nommés à la pluralité
des voix. Chaque paroisse élisait trois asseyeurs tirés des
trois classes de contribuables : un de la haute classe ou classe
des riches, un de la moyenne, le dernier de la basse classe ou
classe des manoeuvres. L'un des asseyeurs, au moins, devait
savoir lire et écrire. Les collecteurs étaient choisis au nombre
de deux ; ils devaient être solvables et exclusivement tirés des
deux premières classes. Asseyeurs et collecteurs prêtaient à
l'instant serment et s'engageaient à travailler gratuitement.
Les asseyeurs s'assemblaient dans le jour qui suivaient leur
nomination pour effectuer sans retard, et sous leur
responsabilité, la répartition à l'aide du pied-certain : « le
fort portant le faible, le plus également que faire se pouvait
et en sorte que la somme fut exigible et sans non-valeurs » ;
besogne longue, difficile à remplir à la satisfaction de tous
les contribuables. Les rôles une fois dressés, copie en était
remise aux collecteurs pour la levée des deniers. Les
collecteurs devaient être en état, aux échéances fixées, de
délivrer aux receveurs particuliers la somme imposée, à peine de
tous dépens, et sauf leur recours contre les retardataires. La
Subvention était due en janvier et juillet, en deux termes égaux
appelés assez improprement : quartiers. Lorsque les fonds ne
rentraient pas à la date voulue, les receveurs envoyaient leurs
porteurs de contraintes. Pour les contribuables, c'était :
l'exécution et la vente des meubles ; pour les collecteurs en
défaut : la contrainte par corps et l'emprisonnement. Sans
parler de la perte de temps occasionnée par ces désagréables
opérations de l'assiette et de la collecte, on conçoit combien,
dans ces conditions, il était surtout périlleux d'être
collecteur. Plus d'un y succomba. En 1756, il fallut, par
exemple, un arrêt ordonnant la réimposition de 930 livres, par
suite de la « banqueroute » des collecteurs de la commune de
Thon (8).
SECTION II. - Subvention proprement dite.
La Subvention comprenait deux parties : l'imposition principale
ou Subvention proprement dite et les impositions accessoires,
appelées de préférence : Ponts et Chaussées. Cette division
était mentionnée sur les mandements. Bien que la répartition des
impositions accessoires se nt sur le même pied que celle de la
Subvention principale, un second brevet était nécessaire pour
leur perception, cette charge concernant un plus grand nombre de
contribuables et s'étendant à des exempts de la Subvention
elle-même. Pour cette raison, il fallait aussi deux rôles
distincts par paroisse. Nous allons examiner séparément ces deux
éléments de la Subvention ; jusqu'ici nous avions exclusivement
employé ce mot de subvention dans son sens fort.
La Subvention principale fut la seule à l'origine. Les trois
derniers quartiers de l'année 1698, à l'arrivée de Léopold,
rapportèrent 269.689 liv. 14 s. 10 d. (9); pour l'année 1700,
elle s'éleva à 459.217 liv. 10 s. 6 d. Fixée à 823.000 de 1704 à
1706, elle avait atteint, après l'établissement du pied-certain,
en 1700, 1.143,000 liv. Suivant la marche ascendante de la
prospérité du pays, et aussi proportionnée aux besoins
croissants du prince, qui, en 1723, y avait ajouté une somme de
100.000 fr. pour les blés, elle était arrivée à 1.815.620 liv.
en 1727, et dès lors était restée stationnaire (10). C'est cette
somme de 1.815.620 liv. que la Province payait encore en 1737.
Dans ces 1.815.020 liv. la principauté de Commercy était
comprise pour environ 15.000 livres. La Convention de
Versailles, du 1er décembre 1730, avait cédé à la veuve de
Léopold la souveraineté viagère de ce petit pays ; la Subvention
fut en conséquence, par arrêt du 26 septembre 1737, modérée à
1.800.000 liv (11). Mais, après la mort de Mme Royale, à la fin
de 1744, on ne manqua pas de réaugmenter l'impôt de plus de
20.000 liv. De 1747 à 1750 la Subvention se montait à 1.823.000
liv. ; elle était de 1.825.000 en 1760 (12).
SECTION III. - Les Ponts et Chaussées.
Si l'imposition principale ne subit pas, comme on le voit,
d'accroissement bien notable sous l'administration française, il
n'en fut pas de même des impositions accessoires. Ces dernières
furent considérablement augmentées; elles sont par conséquent
les plus intéressantes à étudier. Le premier impôt accessoire
qui fut ajouté à la Subvention primitive datait de 1724. Léopold
avait décidé la levée de 100.000 liv. pour subvenir aux travaux
des routes et depuis lors cette somme avait été constamment
maintenue. Jusqu'en 1737, l'imposition pour les ponts et
chaussées avait été unique en son genre. La Subvention
principale, en effet, devait suffire à toutes les autres charges
de l'Etat. Le détail de l'emploi qui est censé fait des deniers
de la Subvention est donné dans les arrêts du Conseil et les
légistes trouvent de même que leur destination comporte :
l'entretien des maisons ducales, des murailles, des hôtels et
des prisons des villes ; les appointements des principaux
officiers de la couronne et de l'état-major ; l'habillement, les
fourrages, le logement, l'ustensile, les bois et chandelles des
troupes, l'entretien de la maréchaussée; l'acquittement des
dettes d'Etat.
Le Gouvernement français ne tarda pas à multiplier les
impositions accessoires pour satisfaire à des dépenses au
payement desquelles la subvention principale était par nature
destinée. De la première d'entre elles, ces impositions prirent
la dénomination générique de Ponts et Chaussées, dans le langage
courant tout d'abord, et bientôt dans les mandements. Les
financiers d'alors les distinguaient en plusieurs classes. Sous
le point de vue le plus général, elles sont toutes dites
accessoires, comme s'opposant à l'impôt principal, et
quoiqu'elles arrivent, comme en 1758, à le dépasser
sensiblement. On les divisait aussi en charges anciennes et
charges nouvelles, selon qu'elles avaient été établies sous le
régime ducal, comme les Ponts et Chaussées proprement dits, ou
après 1737. Appelées quelquefois sans distinction :
extraordinaires, eu égard à l'imposition normale, elles étaient
de préférence partagées à leur tour en ordinaires et
extraordinaires. Les ordinaires étaient celles levées pour des
besoins permanents ; les extraordinaires, au contraire, avaient
été créées d'une façon temporaire, et pour satisfaire à des
dépenses passagères ; mais, c'était là une distinction plutôt
théorique ; en réalité, la plupart de ces impositions
extraordinaires survécurent aux causes qui leur avaient donné
naissance. Par rapport à la quotité, les unes étaient fixes, les
autres variables suivant les besoins. Le plus grand nombre
d'entre elles pouvait enfin être compris sous la dénomination
d'impositions militaires ; en voici d'ailleurs la liste.
Imposition accessoire ancienne.
a) Ponts et Chaussées proprement dits. - Cette imposition fixée
à 100.000 liv. fut conservée par l'administration française qui
l'augmenta d'un sol pour livre comme frais de répartition, soit
105.000 liv. Elle était destinée aux dépenses ordinaires du
département des Ponts et Chaussées, indépendamment des corvées
faites par les sujets.
Impositions accessoires nouvelles.
b) Supplément du prix des fourrages des troupes - Cette
imposition, ordinaire et de quotité variable, fut établie par
arrêt du Conseil des finances du 10 octobre 1737. A cette
époque, des escadrons de cavalerie française furent mis en
quartier dans la Province. Comme on avait choisi, disait
l'arrêt, les régions les plus abondantes en fourrages, ce qui
procurait une consommation avantageuse de ces denrées qui ne
pourraient être vendues qu'à vil prix si leurs propriétaires
étaient obligés de les transporter pour les débiter ; que,
d'autre part, l'expérience avait fait connaître aux provinces
voisines les diverses utilités que le séjour des troupes leur
procurait, - de telle sorte qu'elles ne considéraient point
comme une charge onéreuse l'obligation de payer les sommes
imposées à cet effet, - S. M. jugeait nécessaire et convenable
de percevoir sur ses sujets le montant de l'excédent du prix
réglé pour les fourrages à fournir aux escadrons, avec le sol
pour livre en sus (13). Cinq sols étaient au compte du roi, le
surplus à celui de la Province. En 1738, l'imposition des
fourrages fut de 308,415 liv. ; de 575,345 en 1739; 492,566 liv.
16 s. 1 d. en 1740; puis, s'étant peu à peu régularisée, elle
put être comptée, année moyenne, pour environ 400,000 liv.
Cette contribution se paya constamment, même pendant les
guerres, quoiqu'alors aucune troupe ne restât dans les Duchés,
et que, par conséquent, le pays ne pût jouir d'aucun de ces
avantages que la présence des cavaliers devait lui procurer en
compensation.
c) Solde et entretien de la Maréchaussée. - Imposition ordinaire
et fixe. Un édit du mois d'octobre 1738 supprima l'ancienne
maréchaussée lorraine pour la recréer à l'instar de celle de
France. Les gages du prévôt et de quatre lieutenants, dont les
offices étaient à titre de finance, se trouvaient à la charge du
roi, mais les 88,000 liv. tournois pour la solde des cavaliers
et le sol pour livre de cette somme furent imposés sur la
Province à raison de 120,163 liv. 15 s. de Lorraine. Cet impôt,
en 1758, atteignit 121,286 liv. 15 s. 4 d. Ainsi, disait au roi
la Chambre des Comptes de Nancy, dans ses remontrances de 1740,
« ainsi la solde de la maréchaussée est payée doublement et en
deux manières par vos sujets; l'une par le moyen de la
subvention dans laquelle cette partie a toujours été comprise,
et l'autre par le moyen de l'imposition nouvelle qui a été
établie pour cet objet particulier; sur quoi, Sire, il y a
encore cette circonstance digne de vous être remontrée que les
charges des principaux officiers de la maréchaussée ayant été
mises en finances depuis le règne seulement de Votre Majesté ont
produit des sommes assez considérables qui semblent former un
motif d'autant plus naturel de diminuer plutôt que d'augmenter
la contribution de vos sujets pour cette même partie... (14) ».
d) Fortifications de Bitche. - La levée de cette imposition,
soi-disant extraordinaire, et d'une quotité fixe de 64,583 liv.
6 s. 8 d. (50,000 liv. tournois), fut décidée en 1741 pour payer
les réparations des fortifications de Bitche entreprises à cette
époque. D'abord versée régulièrement à l'adjudicataire des
travaux, cette somme que, plus tard, on n'eut plus occasion
d'employer à sa destination, était encore perçue à la veille de
la Révolution. La Chambre des Comptes du Lorraine faisait assez
justement remarquer que compensation pourrait en être faite avec
les 100,000 liv. qui avaient été ajoutées à la Subvention en
1725 pour l'établissement de magasins à blé, puisque ces
magasins n'existaient plus.
e) Habillement de la milice. - Lorsque, cette même année 1741,
par une ordonnance du mois d'octobre, des milices furent levées
pour la première fois en Lorraine, le prix tant de l'armement
que de l'habillement des bataillons fut réparti sur les
communaux, au marc la livre des autres impositions. Depuis,
toute la dépense nécessitée par les différentes levées, par la
création des régiments Royal-Lorraine et Royal-Barrois, par les
réparations de l'équipement, etc., resta à la charge du pays.
Durant la guerre de la Succession d'Autriche et celle de Sept
ans, à chaque accroissement de l'effectif correspondit un nouvel
accroissement de cette contribution, ordinaire et variable.
L'arrêt du Conseil des finances du 27 janvier 1748, par exemple,
ordonna l'imposition de 111,137 liv. 14s. de France, à cause des
miliciens d'augmentation (15). Même en temps de paix,
l'entretien de lu milice ne formait jamais un total négligeable.
A la suppression temporaire des milices, en 1700, les frais
occasionnés par les recrues provinciales retombèrent de même sur
la Lorraine.
f) Chevaux d'ordonnance; construction de redoutes. - La
construction des redoutes sur la Meuse et la Moselle, en temps
de guerre, l'organisation des courriers d'ordonnance sur les
routes de la Province pour la communication des officiers
généraux français entre eux, furent également mises à la charge
des anciens Duchés; c'est en 1745, par exemple, 6,340 liv. 6s.
2d. pour des redoutes sur la Meuse, ou en 1747, 4,762 liv. 7 s.
6 d. pour des chevaux d'ordonnance. Les Lorrains supportaient
avec mauvaise humeur ces suppléments de contribution que le
Gouvernement n'avait aucun motif plausible de faire retomber
exclusivement sur une contrée déjà si éprouvée par le passage
incessant des armées.
g) Appointements du lieutenant général de la Province et des
gouverneurs des villes. - Une charge de lieutenant général au
gouvernement de Lorraine ayant été créée en 1744, puis trois
charges de lieutenants particuliers du roi en 1745, les
appointements en furent imposés sur la Province, bien que le
lieutenant général n'y résidât point et que ces positions ne
fussent que d'honorifiques sinécures. Ces appointements étaient
fort élevés ; c'était : 18,500 liv. pour le lieutenant général
et 21,312 liv. 10 s. pour les lieutenants particuliers. Ces
derniers furent supprimés en 1748 et des gouverneurs de villes
et de châteaux-forts leur furent substitués quoiqu'il n'y eût en
Lorraine que des places ouvertes ou démantelées. Le pays ne
gagna pas à ce changement. Pour payer les gouverneurs, on lui
demanda annuellement 58,383 liv. 6 s. 8 d. sans compter le sol
pour livre. A partir de 1751 ce furent de même : un supplément
de rétribution au commandant de Sarreguemines et diverses
pensions à d'autres gouverneurs; enfin, il fallait entretenir un
secrétaire au gouvernement de Lorraine avec des appointements de
2,583 liv. 6. s. 8d.
h) Ameublement de l'hôtel du commandant général. - Pour clore la
liste des impositions accessoires militaires, disons de suite
que, lorsqu'en 1704, le commandement général de la Lorraine fut
séparé de celui des Trois-Evêchés, l'installation du commandant
à Nancy fut l'occasion d'une nouvelle augmentation des Ponts et
Chaussées. Le roi de Pologne avait fait au nom de la ville
l'acquisition d un hôtel que cette dernière aménagea. Restait le
mobilier. L'usage était que les meubles fussent fournis aux
gouverneurs par les provinces ou les villes. Le commandant
général, M. de Stainville, émit pareille prétention à son
avantage et envoya de Paris un état détaillé de l'ameublement
qui lui était nécessaire; le tout était du plus grand luxe et
l'importance en parut excessive aux ministres eux-mêmes. Le
Contrôleur Général Laverdy écrivait à l'Intendant au sujet de
ces exigences : « Je viens, Monsieur, de meubler pour 16.000
liv. de la cave aux greniers, excepté les glaces, l'hôtel du
contrôle à Compiègne, et je vous avoue que je ne conçois pas que
pour meubler l'hôtel du commandant qui ne peut être aussi vaste,
il a pu en coûter une somme aussi exorbitante que celle que vous
m'avez annoncée. S'il fallait pour loger chaque commandant une
acquisition de 100.000 liv., des réparations de 50.000 et un
ameublement de 63.000 liv. (tournois) toutes les provinces de
France seraient bientôt ruinées » (16). Cependant les Lorrains
n'en payèrent pas moins, depuis les lustres jusqu'à l'écritoire
et la cloche de bureau, la somptueuse installation que M. de
Stainville, à son arrivée, jugea même à propos de compléter
encore. 86.206 liv. y furent finalement consacrées et levées sur
la Province durant les années 1765 et 1766 (17).
i) Appointements de l'inspecteur des manufactures. - Beaucoup
plus admissible était l'imposition de 3.100 liv. ordonnée, à
partir de 1750, pour payer un inspecteur des manufactures,
puisque ce fonctionnaire contribuait à la prospérité de
l'industrie lorraine. Dès la fin de 1702 il n'y eut plus
d'inspecteur des manufactures dans la Province; l'impôt n'en fut
pas moins maintenu. Le rapporteur de l'assemblée provinciale
pourra encore constater ce manque de logique en 1787.
j) Les gages du suisse-concierge du Palais de Nancy furent mis,
en 1751, par une mention spéciale, à la charge des
contribuables.
k) Gages. des officiers des eaux et forêts, de justice et des
finances. - Nous arrivons à l'imposition accessoire la plus
injuste, à celle qui suscita les plaintes les plus vives de la
Lorraine. Nous dirons plus loin à quels nombreux remaniements
des offices se livra l'administration française. En 1737, 1741
et 1749, ce fut parmi le personnel des finances ; en 1747, parmi
celui des eaux et forêts ; ce furent encore la suppression de
l'ancienne organisation judiciaire et la création de nouveaux
bailliages et prévôtés qui eurent lieu en 1751. Or, c'est ce
dernier changement qui fut le signal du singulier procédé
employé par le ministère. Tous les officiers des nouvelles
créations faites depuis 1737 recevaient des gages proportionnés
aux finances de leurs charges; le payement de ces gages devait
atteindre après 1751 : 578.907 liv. On jugea à propos, à Paris,
de le faire retomber sur la Province. Une augmentation si
considérable des impositions eut un contre-coup fâcheux. La
Chambre des Comptes de Nancy déclare que la taxe d'une
communauté qui n'était encore en 1751 que de 3.000 liv.
atteignit de ce fait dès l'année suivante, 4.000 liv. (18). Le
peuple payait ainsi à la décharge du roi l'intérêt des fonds
sortit des mains des acquéreurs d'offices et entrés dans ses
coffres. En modifiant les différents départements administratifs
le Gouvernement avait déclaré vouloir assimiler les Duchés aux
provinces de France. Or, aucune de ces provinces n'était chargée
du payement des gages des officiers des finances, des maîtrises
et de judicature ; cet objet se prenait sur le Trésor royal
puisque les finances y avaient été versées. Bien plus, près de
la moitié des offices de judicature ne fut point levée, de telle
sorte que la Lorraine fut imposée pour des gages d'officiers qui
n'existaient pas. Par suite de la taxe du Vingtième, ce surcroît
d'imposition était odieux à un autre titre encore ; la Chambre
des Comptes de Lorraine l'expliquait en ces termes : « si le
tribut subsistait, vos sujets payeroient par doublement une
dette d'état et comme Votre Majesté a destiné le produit du
Vingtième à l'acquittement de cette espèce de dette dont la
finance des offices créés fait actuellement partie, il nous
paroit, Sire, que les gages qui y sont attachés et qui tiennent
lieu de l'intérêt de la finance ne peuvent être à la charge de
votre peuple.
« L'intention de Votre Majesté ne fut jamais d'étendre le
Vingtième au delà de ses justes bornes, et il recevroit une
extension par le moyen d'une imposition indirecte pour le
payement des intérêts d'une dette d'état. (19) ».
Bien que les autres Cours supérieures eussent à leur tour
demandé, à plusieurs reprises, et avec une grande insistance, la
suppression de cette lourde charge, il leur fallut lutter
longtemps, et avec une rare vigueur, pour que les ministres
français consentirent à céder et à faire supprimer enfin pour
1759 une mention qui figura pendant sept années sur les
mandements de la Subvention.
l) Reconstruction de la ville de Saint-Dié. - Il eut été à
souhaiter que les Ponts et Chaussées ne comprissent que des
contributions établies dans le même esprit que celle qu'il nous
reste à indiquer. Le 27 juillet 1757, un incendie terrible
éclata à Saint-Dié et dévora en quatre heures 116 maisons; le 6
septembre suivant, 8 autres maisons furent encore consumées
(20). Un arrêt du Conseil des finances, du 27 octobre, ordonna
le rétablissement de la malheureuse ville et imposa à cet effet
sur la Province 129.166 liv. (100.000 liv. tournois) destinées
surtout au tracé des rues et à l'élévation des façades. Cette
contribution fut répartie en trois années : 38.750 liv. en 1758
; pareille somme en 1759, et 51.666 liv. en 1700 ; on y ajouta
le sol pour livre (21).
SECTION IV. - Les exempts et les non exempts.
La Subvention était une imposition roturière ; mais, comme tout
roturier n'était pas par cela même contribuable, qu'il y avait
de nombreuses exceptions, que les exemptions variaient suivant
qu'il s'agissait de l'impôt principal ou des accessoires, que le
système jusqu'alors suivi fut notablement modifié à la fin du
règne de Stanislas ; que, d'autre part, dans certains cas, les
classes privilégiées n'échappèrent pas entièrement à cette
charge, que la franchise qu'on leur attribue d'habitude est trop
absolue, il est indispensable de dresser la nomenclature exacte
et commentée des différentes personnes qui, à un titre ou à un
autre, jouirent d'exemptions, totales ou partielles, définitives
ou temporaires, sous l'administration française (22).
Première période ; de 1737 à 1764 inclusivement.
I - Sont exempts à la fois de la Subvention proprement dite et
des Ponts et Chaussées :
1° Classes privilégiées.
a) Les ecclésiastiques, qui, toutefois, deviennent cotisables
lorsqu'ils prennent des biens à ferme, commercent ou même
cultivent par leurs mains des terres leur appartenant en propre.
b) Les nobles, bien qu'ils exploitent Ieurs terres en personne,
pourvu que leurs domestiques ne possèdent aucun bien propre et
ne fassent aucun trafic.
2° Villes privilégiées.
Les habitants de Nancy, de Lunéville et de Bar.
3° Ancienne Maison de Lorraine.
Les officiers et domestiques des membres de l'ancienne Maison
ducale, inscrits sur l'état des gages et pensions. En vertu de
l'article XV de la convention de Vienne, du 28 août 1736, ils
devaient continuer à jouir de tous leurs franchises et
privilèges.
4° Justice, finances, fonctionnaires et officiers divers.
a) Les commensaux de la Maison du roi de Pologne.
b) Les lieutenants généraux et procureurs du roi des bailliages.
Les receveurs généraux et particuliers, les contrôleurs généraux
des finances, domaines et bois. Leurs veuves pendant le temps de
viduité.
c) Les commis et préposés que les receveurs généraux des
domaines et bois emploient pour remplir l'office de receveurs
particuliers, à condition qu'ils exhibent une commission en
bonne forme.
d) Les lieutenants des chasses; les gardes du corps de Stanislas
; même leurs femmes, si ces dernières tiennent ferme ou boutique
elles payent seulement la moitié de ce que leurs maris devraient
supporter.
5° Ferme générale.
Les employés des Fermes, pendant le temps de leurs fonctions,
mais à condition de ne faire valoir personnellement aucun bien,
de n'avoir d'autre industrie que leur commission, et de n'être
point compris dans les rôles, lors de leur nomination. Cette
dispense visait donc surtout le nombreux personnel d'employés
français que la Ferme occupa en Lorraine à partir de 1737.
6° Services d'intérêt général.
a) Les maîtres des postes aux chevaux, pourvus par brevet
(déclaration du 21 octobre 1751).
b) Le directeur des postes ; las facteurs et commis au bureau de
la distribution des lettres, à condition de n'être point de la
première classe des contribuables.
c) Les salpétriers, s'ils ne sont ni laboureurs ni artisans,
mais appartiennent à la classe des manoeuvres.
7° Sinistrés.
Ceux dont la maison a été incendiée, sans qu'il y ait eu de leur
faute, sont exempts pour trois années à charge de rebâtir leur
immeuble pendant le même temps et de le rendre logeable. Les
locataires qui auront souffert du sinistre seront exemptés pour
une année seulement.
8° Étrangers venant s'établir en Lorraine.
a) Evêchois. Ils sont exempts pendant les sept premières années
de leur établissement en terre lorraine, s'ils sortent d'une
ville ; pendant trois ans, s'ils viennent d'un village, s'ils
prennent des, terres à ferme, l'exemption n'est que d'une année.
b) Champenois. Ils ne payent aucune imposition personnelle
pendant dix ans, mais ils sont cotisés pour les terres qu'ils
cultivent.
Les uns et les autres doivent justifier qu'ils payent la taille
dans le lieu de leur ancienne résidence.
II. - Beaucoup de contribuables qui n'étaient point compris au
rôle principal figuraient sur celui des Ponts et Chaussées.
Ainsi, payaient intégralement les taxes accessoires, mais
étaient exempts, en totalité ou en partie, de la Subvention
proprement dite :
1° Fonctionnaires et officiers divers.
a) Maréchaussée. Les officiers et les hommes dont la cote
n'excédait pas 10 livres lors de l'expédition de leur
commission. Les autres restaient cotisés à 10 livres.
b) Chasses. Les brigadiers des chasses, autres que les
contribuables de la première classe, ne payaient que la moitié
de la cote à laquelle ils étaient imposés lors de l'obtention de
leur commission. Les gardes-chasses, à condition d'appartenir à
la classe des manoeuvres, ne payaient la Subvention que d'après
le pied-certain auquel ils étaient fixés auparavant, une qu'il
pût être augmenté à raison de leur emploi.
2° Ferme générale.
Il en était de même pour tous les commis, gardes et préposés à
la perception des droits de Ferme, et compris au rôle avant leur
entrée en fonctions (arrêt du 12 septembre 1750).
3° Miliciens et hommes au service.
a) La cote des miliciens servant hors de la Province était
diminuée, pour la Subvention principale seulement, de dix livres
par chaque année de service. Les cotes de leur père ou de leur
mère veuve, ne pouvaient être augmentées pendant ce temps par
les asseyeurs, à moins d'un notable changement dans les
facultés.
b) Les miliciens qui avaient servi six ans, et ceux qui,
incorporés dans les troupes, avaient obtenu leur congé absolu
après six années, étaient exempts pendant un an. S'ils se
mariaient dans ce laps de temps, ils jouissaient de deux
nouvelles années d'exemption. Le tout ne s'entendait que de
leurs biens propres et non de ceux qu'ils prenaient à ferme
(ordonnance du 18 novembre 1748).
c) Les femmes d'artisans et de manoeuvres servant dans les
troupes étaient imposées pour la moitié des cotes que leurs
maris auraient payées s'ils n'avaient été au service.
4° Famille.
a) Les parents de dix enfants vivants, que ces enfants
habitassent ou non au foyer paternel.
b) Les nouveaux mariés, célibataires ou veufs, pendant un an.
5° Fermiers et domestiques des seigneurs et du Domaine.
a) Les fermiers et meuniers des Commanderies de l'Ordre de
Malte, en raison des terres et droits en dépendant.
b) Les fermiers ou admodiateurs des hauts justiciers pour les
terres dépendant des hautes justices.
c) Les fermiers, sous-fermiers et meuniers du Domaine, là où il
y avait haute, moyenne, basse ou foncière justice
d) Les jardiniers, portiers, bergers, marcaires des seigneuries
et nefs ayant droit de troupeau à part, lorsqu'ils demeuraient
dans la maison du seigneur et étaient à ses gages.
e) Un jardinier des seigneurs de simple fief, pourvu qu'il n'eût
pas de terre à lui ou à ferme, et qu'il ne prit point part aux
biens communaux.
Dès 1737, l'Intendant avait demandé à la Chambre des Comptes de
Lorraine, ce qu'elle pensait de ces privilèges dont jouissaient
les hauts justiciers, et il avait manifesté l'intention de les
supprimer. La Chambre s'émut et défendit chaleureusement le
maintien de l'état de choses. « Ces privilèges dont cette
noblesse jouit actuellement », déclara-t-elle a M. de la
Galaizière, dans un mémoire en forme de remontrances du 14 août
1737, « ces privilèges sont enfermés dans des bornes trop
étroites et ils sont d'ailleurs fondés sur des titres trop
respectables pour pouvoir craindre quelque altération ou
ébranlement sous le règne d'un roi généreux qui n'emploiera la
plénitude de sa puissance qu'à édifier et non à détruire... »
(23). Devant ces réclamations, l'Intendant eut le tort de
renoncer trop facilement à accomplir une réforme qui tendait au
soulagement des classes les plus intéressantes du pays.
6° Nouvelles constructions.
a) Ceux qui bâtissaient une maison d'habitation dans une ville,
ou à la campagne une maison avec engrangement et écurie, étaient
exempts de la Subvention pendant un an.
b) Ceux qui ne bâtissaient qu'un logement, mais avec écurie et
engrangement, voyaient leur cote réduite des deux tiers.
c) Pour un logement, ou une écurie, ou un engrangement, la cote
n'était diminuée que d'un tiers.
7° Brevet de franchise.
Quelques personnes pourvues à titre particulier, et par faveur
spéciale, d'un brevet de franchise, enregistré régulièrement à
la Chambre des Comptes, jouissaient de l'exemption, à condition
de ne pas prendre de biens à ferme et de ne faire aucun
commerce.
Deuxième période ; de 1765 à 1767.
Un moyen plusieurs fois employé par la Royauté dans les
conjonctures critiques où l'Etat avait besoin de toutes ses
ressources, pour améliorer les finances et satisfaire à des
dettes forcées, fut la diminution des exempts de la taille. Ce
procédé était aussi le moins blâmable en ce qu'il perfectionnait
la perception de l'impôt et en partageait le fardeau avec plus
d'équité. Lors de la guerre de Sept-Ans, par exemple, des
déclarations du 17 août 1757 et du 13 juillet 1764, furent
publiées dans ce sens. La dernière supprima, pour trois années
après la paix, les divers privilèges relatifs à la taille, à
l'exception de ceux attachés aux offices des Cours et aux grades
militaires. Laverdy étendit cette mesure à la Subvention
lorraine. Une déclaration de Stanislas, du 26 novembre 1764, qui
fut bien accueillie par les habitants des campagnes, porta
suspension des privilèges d'exemption afin de laisser plus
entièrement, disait-elle, les paysans aux travaux précieux de
l'agriculture (24). Avec le nouveau système apparut bien
nettement la nature mixte de la Subvention. La division en
subvention personnelle et en subvention réelle ou d'exploitation
fut précisée. Toutes les exemptions dont nous avons précédemment
donné le tableau furent maintenues quant au côté personnel de
l'imposition; mais presque tous les commensaux de la Maison du
roi de Pologne, les pourvus d'offices et la plupart des autres
favorisés furent désormais soumis, comme le reste des
contribuables, au cas où ils exploitaient quelque bien, à la
subvention d'exploitation, en principal et accessoires,
Restèrent seuls complètement exempts :
1° Les ecclésiastiques.
2° Les nobles.
3° Les officiers des Cours supérieures.
4° Les officiers servant en Lorraine dans les troupes du roi
très chrétien et les gardes du Corps de Stanislas.
5° Les officiers de judicature et des finances ; mais à
condition de faire au moins une résidence de sept mois par an au
chef-lieu de leur ressort ; sinon, ils étaient assujettis, même
à la subvention personnelle.
6° Les bourgeois des villes affranchies de Nancy, Lunéville et
Bar; mais pour les biens seulement qu'ils exploiteraient en
qualité de propriétaires et sur le territoire de ces trois
villes ; pour les biens situés hors de ces limites, ils payèrent
la subvention d'exploitation.
Par contre, jouirent désormais de l'exemption de la subvention
personnelle, à charge de résidence : tous les officiers de
judicature bailliagère, de second ordre, qui jusqu'alors avaient
été compris dans les rôles.
Le système des exemptions suivi en Lorraine se confondit ainsi
presque entièrement avec celui usité en France. Cette réforme
avait été annoncée comme temporaire. On sait quelle était
généralement, en matière d'impôts, la signification de ces
délais. Après la mort de Stanislas, un nouvel édit de Louis XV
concernant les exemptions de taille, du mois de juillet 1766, et
qui ne fut enregistré à la Cour de Nancy, pour être appliquée à
la Subvention, que le 6 août 1767 (25), abolit définitivement le
plus grand nombre des exemptions pour l'impôt d'exploitation et
conserva seulement en Lorraine les privilèges :
1° Du clergé.
2° De la noblesse.
3° Des officiers des trois Cours supérieures.
4° Des habitants des trois villes affranchies.
SECTION V. - Attributions des Chambres des Comptes de Nancy et
de Bar.
Les accidents survenus dans le cours de l'année par suite des
intempéries des saisons : inondations, grêles, gelées, etc. ;
les mortalités considérables de bestiaux, en cas d'épizootie,
permettaient aux particuliers ou aux paroisses de prétendre à
des modérations de leurs cotes ou à des remises totales. Il en
était de même pour les communautés après le passage des troupes
françaises ; et si ces troupes avaient fait des levées de
deniers, on y avait égard lors de la répartition. D'autres
contribuables pouvaient être abonnés à la Subvention sur le pied
d'une somme fixe annuelle, particulièrement les maîtres d'usines
pour eux et leurs ouvriers. A partir de 1737, tous les anciens
abonnements de droit furent en principe révoqués ; seuls, les
officiers des eaux et forêts purent y prétendre, à l'instar de
leurs collègues de France auxquels ils furent assimilés en 1747.
Mais, comme ces diminutions faisaient retomber sur les autres
imposables une augmentation proportionnelle de l'impôt, elles ne
devaient être accordées qu'avec beaucoup de circonspection.
C'était la tâche des maîtres des comptes de qui relevaient
toutes les contestations et à qui devaient être adressés tous
les placets. Si quelque contribuable se croyait surchargé, il
pouvait se pourvoir à la Chambre des Comptes et y faire assigner
les asseyeurs afin de voir modérer sa cote. Les magistrats de la
Chambre, qui recevaient 3 deniers pour livre, pris sur le
montant des impositions, comme honoraires de leur travail de
répartition entre les communautés, jugeaient gratuitement toutes
les difficultés en dérivant. Ils statuaient sommairement et sur
simples mémoires des parties (26). En 1737 la Chambre des
Comptes de Lorraine explique à l'Intendant « quelle se trouve
chaque année assez de loisir pour consacrer des mois entiers à
recevoir et répondre des consultations sans nombre que les
communautés lui adressent sur les cas douteux de la
Subvention... » (27). Ce rôle très important des Chambres en
matière financière formait pour la Lorraine un privilège
précieux en ce qu'il lui rappelait son ancienne constitution et
était une garantie d'impartialité et de sollicitude. Aussi, dès
que M. de La Galaizière parlait de porter atteinte à cette
organisation, étaient-ce non seulement les Chambres, mais le
pays tout entier, qui manifestaient la plus vive alarme.
L'administration française tenta à plusieurs reprises de
supprimer l'intervention des Chambres. Il fut de bonne heure
question de réunir à l'Intendance, comme en dépendant, la
répartition de la Subvention. La première fois ce fut du vivant
du cardinal de Fleury à qui les Chambres adressèrent alors un
long et pressant mémoire. Le Cardinal qui désirait le repos et
qui, d'ailleurs, montra toujours une réelle bienveillance pour
la province que son ministère avait donnée à la France, reconnut
les droits de la Lorraine. Admirant, écrit la Chambre des
Comptes de Nancy, « la prudente économie de la distribution,
donné du travail assidu qui reçoit et répare sans frais et sans
retard les griefs de toute la Province, il crut ne pouvoir
récompenser notre infatigable et paternelle vigilance qu'en
proscrivant la prétention de l'Intendant, et en exhortant la
Chambre à continuer une opération aussi avantageuse aux
sujets... » (28). En 1758, les Chambres furent encore plus
sérieusement menacées d'être dépouillées de ces fonctions ;
elles ne l'emportèrent qu'à force de remontrances. Elles
n'auraient, du reste, pu trop chaleureusement défendre cette
cause qui était aussi celle du pays. Quelle comparaison, en
effet, entre des magistrats qui agissent par eux-mêmes,
connaissent les fortunes, ne doivent que rarement avoir des vues
d'intérêt particulier, et un intendant dont la commission réunit
tant d'objets différents, qui ne peut agir que par des préposés
intéressés à grossir la fortune des contribuables, ne sachant
asseoir avec justice des taxes qui devraient être proportionnées
à des facultés qu'ils ignorent ! La Chambre des Comptes de
Lorraine faisait ainsi le parallèle des deux systèmes : « Un
intendant avec les meilleures intentions ne peut suppléer les
opérations d'une Chambre des Comptes... Chaque commissaire de la
Chambre a son office particulier dont il connaît les facultés
par le nombre des habitants, la valeur du sol, le produit des
terres et des biens des particuliers. La somme imposée sur
chaque village se répartissent par les asseyeurs de la
communauté, le commissaire juge de la part qui doit en être
supportée, en relation des facultés d'un chacun ; s'il savait
quelque grief par l'impéritie ou la mauvaise foi de L'asseyeur,
le maire donne un mémoire à la Chambre ; elle décide sans frais,
sans retard, et sur le rapport du commissaire le mal est réparé
; depuis l'établissement de la Subvention en Lorraine aucune
plainte importune n'a réclamé le secours du souverain.
« En France, où la répartition se fait par les intendants dans
plusieurs provinces, les plaintes qui journellement cherchent à
pénétrer au pied du trône, ne démontrent que trop
malheureusement qu'un homme seul, surchargé des autres détails
de son emploi, et qui ne tire ses principales connaissances que
de ces âmes viles et mercenaires connues sous le nom de
contrôleurs, ne peut faire une distribution exacte et
proportionnée aux facultés des sujets du roi... ». Et voici
quelle était la conclusion invariable des magistrats, conclusion
qu'à la longue le Gouvernement français consentit à admettre : «
...les seuls pays d'Etat par les privilèges de leur constitution
se sont garantis de l'oppression générale ; la Lorraine a la
même prétention » (29).
Par leurs remontrances successives, appuyées sur des chiffres
probants, les Chambres des Comptes contribuèrent, enfin,
puissamment, de concert avec la Cour Souveraine, sinon à
arrêter, du moins à ralentir l'accroissement de la Subvention
grossie dans une proportion exagérée par la multiplicité des
impositions des Ponts et Chaussées.
CHAPITRE II
LES IMPOSITIONS PARTICULIERES
La Subvention était une imposition générale, en ce sens qu'elle
se percevait dans toute la Lorraine sur chaque non-exempt ;
mais, par cela même, elle n'atteignait ni les habitants du pays
de Mertzig et Sargau, indivis pour la souveraineté entre le roi
et l'électeur de Trêves ; ni, jusqu'en 1752, ceux de la baronie
de Fénétrange, parce que cette région restait aussi indivise
entre la Maison de Salm et la France ; ni les juifs, car ils
n'avaient point d'existence légale. Le Mertzig et Surgau, la
baronie de Fénétrange, les juifs, payaient au roi des
impositions particulières ; les communautés de Frauenberg et de
Boutbach acquittaient, en outre, une légère redevance comme
droit de sauvegarde.
l. Imposition du Mertzig et Sargau. - Les communautés du Mertzig
et Sargau devaient aux ducs de Lorraine, puis au roi de France
après 1737, en guise de Subvention, une somme fixe annuelle de
300 liv., argent de Trêves. Cette somme, par suite de la
différence des systèmes monétaires, donnait au change une plus
value considérable variant de 200 à 317 livres.
II. Taille à volonté de la Baronie de Fénétrange. Les habitants
de cette baronie, dont les trois quarts relevaient du roi de
France et l'autre quart des princes de Salm-Salm, étaient soumis
à la Taille à volonté. La part en revenant au roi montait
seulement, année commune, à 1.700 liv. Cet état de choses cessa
après la convention de 1751 par laquelle, à la suite d'échanges,
la maison de Salm renonça à tout droit sur ce pays.
III. Tribut annuel des juifs. - L'imposition levée sur la
communauté des juifs de Lorraine portait le nom de Tribut
annuel. Une déclaration du 12 avril 1721 avait ordonné à toutes
les familles juives établies en Lorraine depuis 1680 de sortir
des Etats dans les quatre mois ; mais un second arrêt, du 20
octobre suivant, rendu en interprétation du premier, avait
excepté de cette disposition les chefs de cinquante et une
familles nommément désignées, et auxquelles il fut permis de
continuer leur résidence dans les Duchés et d'y exercer, sous
certaines conditions, leur religion et leur commerce (30).
Jusqu'en 1733, ces familles n'avaient été officiellement
assujetties au payement d'aucune imposition ; mais, parmi leurs
membres : les uns étaient inscrits pour la Subvention sur les
rôles des communautés, d'autres abonnés avec les paroisses,
d'autres, enfin, contraints de payer certaines redevances aux
seigneurs hauts-justiciers et aux baillis. L'arrêt du Conseil
d'Etat du 28 juillet 1733 avait fuit cesser cet arbitraire en
même temps qu'il avait décidé que désormais tous les juifs de
Lorraine contribueraient aux charges de l'Etat en payant à dater
de cette année même « entre eux tous et solidairement » une
somme de 10.000 liv. Pour bien marquer que cette imposition ne
correspondait point à la Subvention, l'arrêt indiquait qu'elle
devait être versée à la caisse du trésorier des parties
casuelles (31) ; c'est là qu'elle fut portée jusqu'à la
suppression de ce bureau, en 1737.
Lors de la première répartition de l'impôt sur les juifs, on
trouva que le nombre primitif des familles avait augmenté, qu'il
y en avait 151 en Lorraine et 29 dans la baronnie de Fénétrange.
Ces 180 familles furent autorisées par l'Intendant à demeurer
dans la Province et c'est ce nombre de 180 qui fut constamment
maintenu sous Stanislas (32). Par famille, on entendait le chef
et tous ses enfants et descendants par les mâles, demeurant dans
une seule et même maison. Jusqu'en 1737, inclusivement, les
juifs de Lorraine et de la baronie de Fénétrange payèrent les
10.000 livres de tribut annuel ; puis, un décret en date du 18
janvier 1738 les fit participer à l'imposition pour les
fourrages, en portant leur tribut annuel à 12,000 liv. ; de
plus, cette somme retomba tout entière sur les juifs de Lorraine
; ceux de Fénétrange furent taxés séparément - sous prétexte
qu'ils ne faisaient point partie de la même communauté, - à
1.300 liv. dont la part revenant au roi fut d'environ 1.025
livres. Dès l'année suivante, le Tribut des juifs de Lorraine
fut porté à 13.000 liv. ; et de 1751 à 1766 la contribution
totale des 180 familles resta au chiffre de 14.300 livres.
La répartition du Tribut se faisait sur tous les juifs de
Lorraine, « le fort portant le faible et suivant les facultés
d'un chacun, » sous la direction du chef de la communauté
assisté d'un certain nombre de notables de différentes localités
du pays. Ces notables, appelés adjoints ou syndics dressaient
les rôles dans leurs ressorts respectifs, y faisaient lever les
deniers par des collecteurs spéciaux et remettaient directement
l'argent, en deux termes, au receveur général. Parfois l'adjoint
remplissait aussi le rôle de collecteur ; 6 deniers pour livre
de taxation étaient accordés sur la recette. Le district où un
collecteur exerçait ses fonctions portait le nom de dépendance.
En 1733, le pays avait été divisé en sept dépendances : celles
de Nancy, Puttelange, Morhange, Boulay, Freistroff, Dieuze et
Fénétrange. Sous l'administration française, la dépendance de
Freistroff fut remplacée par celle de Bousonville, et celle de
Dieuze par celle de Lixheim. A partir de 1752, il n'y eut plus
que quatre collecteurs des juifs: à Essey, Puttelange, Boulay et
Lixheim.
IV. Droit de sauvegarde des communautés de Frauenberg et de
Bousbach. - Frauenberg, chef-lieu d'une petite seigneurie, et le
village de Bousbach,- non loin l'un et l'autre de Sarreguemines
et de Forbach - s'étaient autrefois soumis à la souveraineté de
la Lorraine. Chaque habitant devait en conséquence, comme droit
de sauvegarde, une somme de 6 gros. Ce droit rapportait en 1737
: 11 liv. 13 s. 6 d. ; 16 liv. en 1744 et 20 liv. en 1750. En
1780 il fut de 21 liv. 16 s.
CHAPITRE III
LES VINGTIÈMES
SECTION I. - Premier Vingtième.
Tandis que, depuis 1737, la Subvention augmentait
progressivement en Lorraine, par l'adjonction des charges
accessoires, une contribution d'une tout autre nature y fut de
plus établie. Un édit du mois de mai 1747 avait ordonné en
France la cessation du Dixième, tour à tour perçu et supprimé,
et qu'en dernier lieu on avait recommencé à lever au début de la
guerre de la Succession d'Autriche ; il lui avait substitué le
Vingtième, avec le supplément des deux sols pour livre du
Dixième, créé en décembre précédent. La Province ne demeura
point longtemps sans être soumise à ce régime ; deux ans plus
tard, la perception du Vingtième fut étendue aux anciens Duchés.
Jusqu'alors, disait l'édit de création, on avait pris soin de
préserver les Lorrains des malheurs suites inévitables des
guerres; ils avaient été dispensés de contribuer à la plupart
des charges connues en France, et notamment à la capitation et
au Dixième : « mais dans les circonstances présentes nous ne
croyons pas pouvoir nous dispenser d'établir l'imposition du
Vingtième ainsi qu'elle a lieu en France, comme étant la manière
la plus juste dont les sujets puissent contribuer aux charges
publiques » (33)... Les Chambres des Comptes reçurent
communication de cet édit, en guise de cadeau de nouvelle année,
le 31 décembre 1749. Dans la situation difficile où se trouvait
déjà la Lorraine, après le lourd fardeau qu'avait fait peser sur
elle; quoi qu'en aient dit les considérants de l'ordonnance, la
guerre qui venait de finir, une telle mesure ne pouvait être
accueillie sans de très vives réclamations. Les trois Cours
supérieures firent leurs remontrances; celles de la Cour
Souveraine et celles de la Chambre des Comptes de Nancy furent
datées du 17 janvier 1750; toutes deux étaient également
touchantes. Celles de la Chambre, toutefois, se distinguaient
par la précision de leurs arguments et par l'accent d'une
sincérité recherchant moins le pathétique.
Dans quel moment paraissait donc ce regrettable édit ? Alors que
le pays était épuisé en hommes, en argent, en denrées. L'exemple
de la France ne pouvait être proposé à la Lorraine parce que,
d'une part peu de provinces avaient autant souffert des
hostilités, et que de l'autre, dans le Royaume les impositions
n'étaient pas proportionnellement aussi fortes que celles dont
les Lorrains étaient déjà chargés par rapport à leurs facultés.
Les anciens usages des Duchés étaient invoqués et un argument
moins facile à approuver était aussi mis en avant ; la perte des
immunités de la noblesse ; aujourd'hui, au contraire, nous
trouvons que c'est précisément parce qu'il atteignait toutes les
classes de propriétaires et toutes les sources de revenus que
cet impôt du Vingtième était un des moins mauvais de l'ancien
régime (34).
Après bien des hésitations, le 2 mars 1750, la Chambre des
Comptes de Lorraine décida, enfin, que l'Édit serait lu et
publié à son audience du mercredi 4 mai « du très expres
commodement du roi».
Le Vingtième fut perçu en Lorraine à partir du 1er janvier 1750.
Il atteignait toutes les fortunes à l'exception des biens du
Clergé. Nobles et roturiers le devaient pour leurs terres, cens,
champarts, droits seigneuriaux et autres ; pour les maisons des
villes et faubourgs qu'elles fussent louées ou non ; pour les
maisons de campagne si elles étaient données à bail, le tout eu
égard au revenu et déduction faite des charges sur lesquelles
les propriétaires et usufruitiers n'eussent pu être autorisés à
faire la retenue du vingtième. Pour les forges, moulins et
étangs le Vingtième se payait sur le pied des trois quarts du
revenu. Il grevait pareillement toutes espèces de rentes,
douaires et pensions : il était alors acquitté par le débiteur
qui en faisait la retenue au créancier. Le produit des charges,
emplois, commissions de robe, d'épée, ou de finances, les
appointements, gages et taxations, étaient l'objet d'une
diminution du vingtième. Les octrois et revenus patrimoniaux des
villes, bourgs et villages y étaient soumis, de même que les
revenus et gains de chaque genre d'industrie et de commerce. Si
les juifs de Lorraine et ceux de Fénétrange échappaient en
partie à cet impôt, ils payaient du moins le Vingtième de leur
industrie (35).
L'administration française se garda bien de confier la
répartition du vingtième aux deux Chambres des Comptes,
puisqu'il s'agissait d'un impôt jusqu'alors inconnu en Lorraine,
et que son désir intime était au contraire de ruiner les
prérogatives de ces Compagnies. Cette opération se fit sous la
haute surveillance de l'Intendant, au moyen d'un personnel
spécial. Dans les quinze Jours qui suivent la publication de
l'arrêt ordonnant la perception du Vingtième, et envoyé par
l'Intendant aux communautés de la Province, tous propriétaires
et usufruitiers doivent faire la déclaration du revenu de leurs
biens. Ces déclarations sont rassemblées par les officiers
municipaux, et remises avec un état, signé d'eux et certifié
exact, aux subdélégués de l'Intendance. Par un reste de
privilège, les gentilshommes et exempts de la Subvention ont la
liberté de ne pas passer par ces intermédiaires et de déposer
directement leurs déclarations entre les mains des subdélégués,
ou même de les adresser à Lunéville. Dans cette ville, toutes
les pièces sont centralisées au Bureau de la Direction. Là,
siège un Directeur général du Vingtième, personnage important,
aux appointements de 15,000 liv. tournois et qui a sous ses
ordres 15 contrôleurs qui touchent 1,500 liv. De plus, des
gratifications proportionnées aux recouvrements sont attribuées
à ces fonctionnaires. Directeur et contrôleurs procèdent à la
répartition et établissent les rôles En 1750, il y eut 2,191
rôles et 172,704 articles à confectionner (36). L'Intendant rend
ces rôles exécutoires ; ils sont envoyés par les receveurs
particuliers et publiés au plus prochain jour de fête ou de
dimanche. Le Vingtième se paie en 4 termes égaux : en janvier,
avril, juillet et octobre. Les deniers en sont remis : dans les
villages, à des collecteurs élus qui ne peuvent être les mêmes
que ceux de la Subvention ; dans les villes, aux receveurs des
revenus communaux. Lorsque les contribuables d'une communauté
sont au-dessous de 50, il est seulement nommé un collecteur de
la première classe; au-dessus de 50, deux au moins, l'un de la
première classe et l'autre de la seconde - sauf à augmenter le
nombre dans les paroisses qui en demandent davantage.
Collecteurs et receveurs, appelés plus spécialement du nom
générique de préposés au recouvrement prélèvent à leur profit,
au contraire des collecteurs de la Subvention, quatre deniers
pour livre sur la recette effective, et versent le reste dans la
caisse du receveur particulier de leur département. Les nobles
et autres exempts ont la faculté de payer directement leur cote
à la recette particulière. Des préposés juifs recueillent le
Vingtième de l'industrie de leur coreligionnaires. Le receveur
général des finances et celui des domaines et bois opèrent
eux-mêmes la retenue du vingtième des gages, appointements,
rentes, taxations qu'ils sont chargés d'acquitter et tiennent à
cet effet une comptabilité spéciale (37). Finalement, les
produits du Vingtième se totalisent sous les rubriques suivantes
dans les comptes du receveur général des finances :
1° Vingtième des biens fonds de toute nature :
a) Vingtième des maisons des villes ;
b) Vingtième des bourgs et villages ;
c) Vingtième des biens communaux et octrois des villes ;
d) Vingtième des biens de l'Ordre de Malte (à dater du 1er
janvier 1756 ces biens furent exemptés : arrêt du conseil des
finances du 12 juin 1756 (38).
2° Vingtième de l'industrie :
a) Vingtième de l'industrie des villes.
b) Vingtième de l'industrie « des bourgs et villages sur les
grandes routes de la Lorraine et du Barrois » ;
c) Vingtième de l'industrie des juifs (39).
3° Vingtième des offices de juridiction royale.
4° Vingtième des parties prenantes de l'état du roi.
5° Vingtième retenu sur les appointements des commis et employés
des Fermes.
Les requêtes devaient être adressées à l'Intendant ou à ses
subdélégués. C'est à l'Intendant que toutes les difficultés
soulevées par la répartition et la perception du Vingtième
étaient portées ; il en décidait en premier et dernier ressort.
Les plaintes affluèrent aussitôt à l'Intendance. Confiées à un
étranger à la Province : un sieur Rainsant, les opérations de la
première répartition du Vingtième se firent à la hâte et sans
principes assurés. Le Directeur général n'avait nulle
connaissance des fonds ; les évaluations furent faites sur le
rapport des contrôleurs, souvent abusés comme toujours
intéressés à tromper, puisque les progrès de l'impôt décidaient
du montant de leurs gratifications. La Lorraine connut les taxes
arbitraires, l'excès des tarifs, la diversité des plans. Le
Directeur avait fait dresser, dès 1750, un état des revenus en
grains et autres produits du sol. Pour arriver à une quotité
équitable, il fallait tenir compte des années stériles. On prit
à cet effet la moyenne du rendement des vingt années
précédentes. Mais, pressée par le Gouvernement de faire produire
au Vingtième la plus forte somme possible, la Direction
abandonna bientôt cette méthode. La paire, par exemple -
c'est-à-dire un résal de blé joint à un résal d'avoine - qui
depuis quarante ans était laissée aux fermiers pour 12 et 15
livres, et qui avait été fixée primitivement à 12 ou 13 livres,
fut peu à peu augmentée dans les rôles et estimée enfin, en
1757, à 16 liv. 10 s., 17 liv. et 18 liv. Le revenu du jour de
vigne qui, toutes charges déduites, avait été évalué à 12 et 15
liv. fut inscrit à la même époque pour 30 et 36 liv. quoique
dans l'intervalle les récoltes eussent à peine indemnisé des
frais de culture. Aussi le Vingtième suivit-il une marche
ascendante sans subir même ces oscillations qui avaient
accompagné les progrès de la Subvention. La Lorraine paya
successivement pour le Vingtième :
832.477 l. 13s. 5 d. en 1750 813.995 l. 12 s. 1 d. en 1751
905.808 l. 11s. 10 d. en 1752 942.104 l. 9s. 8d. en 1753 949.287
l. 11 s. 6 d. en 1754 976. 497 l. 17 s. 6 d. en 1755 976. 985 l.
1 s. 10 d. en 1756 1.016.677 l. 12 s. 8 d. en 1757.
Ainsi, disait en ce moment la Chambre des Comptes de Nancy « on
est parvenu au lieu du vingtième à nous faire payer dans la
réalité le quinzième au moins de nos revenus. Les cris et les
murmures ont été et sont encore universels, et loin qu'ils aient
fait rectifier les erreurs et les injustices qui se sont
commises, l'on a au contraire éprouvé de nouvelles
augmentations... » (40).
SECTION Il. - Deuxième Vingtième. - Abonnement aux deux
Vingtièmes.
A ce moment même, où l'on déplorait si amèrement en Lorraine la
contribution du premier Vingtième, cette dernière charge ne
semblait plus suffisante au Gouvernement français qui, par
l'intermédiaire de l'Intendant, exigea de la Lorraine un autre
sacrifice. La guerre déclarée à l'Angleterre réclamait de
nouvelles ressources. En juillet 1756, une déclaration avait
ordonné en France la perception d'un second Vingtième pour
commencer au 1er octobre suivant. L'édit de septembre 1757, qui
étendit cette mesure à la Province, pour être tardif ne la fit
pas bénéficier du délai écoulé ; au contraire, car son effet fut
rétroactif et on demanda au pays d'acquitter intégralement une
charge dont jusqu'alors il avait pu à bon droit se croire
affranchi (41).
Ce fut le 14 septembre 1757 que le procureur général de la
Chambre des Comptes de Nancy eut à remettre, sur le bureau de
cette Compagnie, l'arrêt du Conseil des finances qui annonçait
le surcroît d'impôt. Cette pièce était d'une étrange rédaction ;
elle débutait par des considérants singuliers. Le Gouvernement
voulait bien assurer aux Lorrains que le premier Vingtième, s'il
continuait à être momentanément levé, serait supprimé dix ans
après la publication de la paix. Mais il ajoutait que, pendant
une même période de dix années, à dater du 1er janvier
précédent, les quatre sols pour livre en sus du Vingtième
seraient perçus sur tous les contribuables, de la même manière
que le Vingtième lui-même ; et, surtout, Il demandait, à compter
du 1er octobre 1756 « un second Vingtième qui finirait trois
mois après la cessation des hostilités. Les circonstances
actuelles des affaires de l'Europe - y faisait-on dire à
Stanislas - rendant le produit dudit Vingtième joint à nos
revenus ordinaires insuffisant pour remplir cette charge, nous
sommes obligés de recourir à de nouveaux moyens pour nous mettre
en état de soutenir la dignité de notre couronne, le commerce et
les biens de nos fidèles sujets... » ; mais, pour marquer
d'autant plus combien il désirait le soulagement de ses peuples,
le roi de Pologne fixait dès à présent l'époque de l'abolition
de ces Vingtièmes (42). On juge de la stupeur avec laquelle les
maîtres des comptes prirent connaissance de l'édit. L'émotion ne
fut pu moins grande à la Cour Souveraine. A cette nouvelle un
profond découragement s'empara du pays. Ce fut là l'origine
d'une lutte vraiment épique qui s'engagea tout d'abord entre la
Lorraine, représentée par les Cours, et le Gouvernement
français, pour revêtir ensuite un caractère moins élevé et
dégénérer en une sorte de duel à mort entre la Magistrature et
le Chancelier. L'ardeur de ce débat est bien connue ; les
principales phases qui en marquèrent le cours sont fameuses ;
elles ont été assez souvent retracées pour que nom n'ayons point
à les faire revivre, ici, une fois de plus. Leur histoire nous
entraînerait d'ailleurs trop loin de notre sujet lui-même (43).
Après d'interminables discussions avec le ministère, la Lorraine
obtint finalement d'être abonnée aux deux Vingtièmes moyennant
le payement annuel de 1.000.000 liv. tournois.
L'édit du second Vingtième avait été enregistré selon les règles
et pour la forme le 28 septembre 1756 ; le 7 octobre parut
l'arrêt du Conseil des finances portant fixation de l'abonnement
accordé pour les deux Vingtièmes (44). Dans cet abonnement
étaient comptés les Vingtièmes de tous les revenus fonciers des
particuliers et des corps de villes et communautés. Mais les
vingtièmes des rentes, gages, pensions et autres parties
inscrites sur l'état des finances et du Domaine, ceux des
appointements attribués aux commis et employés de la Ferme
générale, formaient un article spécial et devaient continuer à
être perçus intégralement au moyen de la retenue qui en serait
faite par les receveurs et fermiers.
SECTION III. - Répartition de l'Abonnement.
Au milieu des débats, la Cour Souveraine avait proposé au
Gouvernement de répartir elle-même l'Abonnement. Dans des
conférences tenues à Paris avec des délégués lorrains, au mois
d'août, les ministres avaient promis que l'Abonnement
n'appartiendrait pas au bureau des Vingtièmes ; ils avaient
ajouté que le soin devait en revenir dès lors, plus logiquement,
aux Chambres des Comptes, puisqu'elles jouissaient déjà de la
répartition de la Subvention, « Nous avons vu la Cour souveraine
», écrivait le premier président de la Chambre de Nancy au
Contrôleur Général, le 9 décembre 1758, « nous l'avons vu offrir
de se charger de cette répartition sans la moindre jalousie, et
elle a vu de même que le roi nous la renvoyait ; tout l'Etat l'a
appris avec une satisfaction égale. Cette bonté de S. M. rendait
à ses sujets un de leurs plus précieux avantages en renvoyant
aux Chambres des Comptes cet objet suivant les anciennes formes
observées de tout temps dans cette Province. La répartition de
tous les impôts généralement quelconques est même l'attribut
principal de ces compagnies.» (45). Or, voici que les Chambres
apprenaient que, non seulement elles n'auraient rien à voir dans
la répartition de l'Abonnement, mais qu'on projetait de les
dépouiller de leurs autres prérogatives en matière d'imposition;
en dépit de promesses toutes récentes, il en était sérieusement
question chez le Contrôleur Général. M. de La Galaizière, qui
était alors à Paris, soutenait chaleureusement ce système.
Priver les Compagnies souveraines du droit d'intervenir,
c'était, peut-être, s'éviter pour l'avenir, lors de nouvelles
augmentations des impositions, bien des plaintes et bien des
conflits. Les Chambres firent tout ce qu'il dépendait d'elles
pour écarter cette prétention. Elles envoyèrent leurs doléances,
avec des mémoires établissant leurs droits, au Contrôleur
Général et à Choiseul qui venait d'arriver au ministère. Elles
prièrent ce dernier d'appuyer leur requête dans le Conseil du
roi et chez ses collègues; elles le sollicitèrent, au nom de
toute la nation « d'intéresser le coeur d'un compatriote avec
l'autorité d'un ministre pour l'exécution qu'elles clamaient de
la parole même du roi »; elles rappelèrent les abus dans la
levée du premier Vingtième. Sans doute elles ont confiance en
leur bon droit, « mais aujourd'hui qu'il se répand que M. de La
Galaizière à son départ a assuré que cette répartition serait
maintenue à l'intendant ou qu'il ne retournerait plus en
Lorraine, cette menace imprudente, contraire à la parole sacrée
du roi, a cependant jeté quelqu'alarme dans les peuples qui
craignent avec justice (sic) un intendant répartiteur qu'ils ont
tenté de rejeter. ». Toute la théorie de la Lorraine, pays
d'Etat par sa constitution, ses lois, ses coutumes, était une
fois de plus développée (46). En raison de l'importance de ce
litige où l'intérêt du pays n'était pas moins engagé que les
susceptibilités des maîtres des Comptes, la Chambre de Nancy
chargea son procureur général M. Collenel d'aller en conférer
avec les ministres de Louis XV. Quelques gentilshommes lorrains
se rendirent également à Paris pour cette affaire. C'était dans
la capitale que se traitait désormais tout ce qui était relatif
à l'administration de la Province. La question fut tranchée au
début de 1759. La cause de la Lorraine était gagnée une seconde
fois, et grâce à Choiseul. Le 7 janvier le Contrôleur Général en
informait les Chambres (47).
Mais toutes les difficultés n'étaient point par cela même
supprimées, M. de La Galaizière mécontent fit preuve d'un
mauvais vouloir singulier. Les ordres pour la confection des
rôles devaient émaner en la forme du roi de Pologne et non du
Contrôleur Général. Ils ne furent pas adressés aux Chambres; la
Cour de Lunéville ne communiqua à ces Compagnies aucune des
recommandations venues de Versailles. A la fin du mois de
janvier, alors que Boullongne pensait que le travail était déjà
avancé, les maîtres des Comptes n'avaient reçu aucune
instruction. La Chambre des Comptes de Nancy envoya, enfin, à
tous les ministres de France, le 3 février, un mémoire dont nous
extrayons ces passages :
« Par la lettre de M. le Contrôleur Général à la Chambre des
Comptes de Lorraine, en date du 29 du mois dernier, ce ministre
dit qu'il ne doute point que le roi de Pologne n'eût fait savoir
ses intentions à la Chambre de Nancy sur la lettre qu'il a eu
l'honneur d'écrire à S. M. pour l'informer des dispositions dans
lesquelles était le roi son gendre, et qu'il présume en
conséquence que la répartition des rôles s'avance.
« La Chambre des Comptes de Lorraine toute dévouée à la gloire
du roi et au bien de ses sujets auroit employé avec la plus
grande satisfaction tous ses instants jusqu'à la consommation de
cet ouvrage s'il eût plu à S. M. P. de lui manifester ses
intentions.
« Mais jusqu'alors la décision du Conseil des finances est un
secret dont cette compagnie n'a eu de connaissance en règle que
par la lettre de M. le Contrôleur Général.
« La répartition confiée à des juges nationaux devient l'objet
le plus important de la résistance de M. de La Galaizière qui
voit avec peine soustraire cette partie de l'intendance. Malgré
la décision du Conseil royal qui confie cette répartition aux
Chambres des Comptes, les retards de M. de La Galaizière en ont
éloigné jusqu'aujourd'hui l'exécution et sans doute cette
affectation prépare encore quelques nouvelles tentatives.
« C'est pour prévenir ces inconvénients que la Chambre des
Comptes de Lorraine a de nouveau recours aux bontés du roi, à
III sagesse et à la justice de son Conseil royal pour nécessiter
M. de La Gslaizière à la mettre en état de satisfaire aux Cours
et à l'attente d'une nation qui réclame avec l'instance la plus
respectueuse l'effet de sa décision... » (48).
L'Intendant ne céda pas pour si peu ; Boullongne tomba au mois
de mars, avant que le Chancelier eût consenti à donner aux
Chambres les pouvoirs nécessaires pour la répartition. Ce nu fut
que le 7 avril qu'il fit, enfin, rendre au Conseil des finances
de Lunéville l'arrêt si impatiemment attendu (49).
Les Chambres se mirent à l'oeuvre aussitôt et nommèrent
respectivement trois et deux commissaires pour s'entendre sur la
régie de l'Abonnement. Puis ces commissaires établirent à Nancy
et à Bar un bureau dit de l'Abonnement, et réunirent un certain
nombre de chefs, commis et employée qui prêtèrent devant eux
serment « d'exécuter fidèlement ce qui leur serait prescrit et
de garder le secret sur les délibérations auxquelles ils
pourraient être appelés de même que sur toutes les opérations. »
(50). Parmi les principes préliminaires que posèrent les
commissaires, le 17 mai, un article mérite d'être signalé ;
oubliant leur vieille rivalité, les deux Chambres déclarèrent
vouloir conserver dorénavant l'union et l'harmonie que le bien
du pays exigeait d'elles, et travailler sur les mêmes bases.
Mais, pour procéder à la répartition, l'expédition des rôles des
Vingtièmes pour 1758 était indispensable ; or ces rôles se
trouvaient à l'ancienne Direction générale. Les maîtres des
Comptes en demandèrent des copies. Ils se heurtèrent alors à un
nouvel obstacle. Ce fut le Directeur du Vingtième, Rainsant, qui
essaya de faire échouer les opérations et de rendre le
recouvrement impossible pour 1759. Il y eut entre Rainsant et
les maîtres des Comptes un échange de lettres très vives, et des
plaintes réitérées furent adressées à M. de Courteille, ministre
d'Etat, qui avait les Vingtièmes dans son département. L'ancien
Directeur général le prit de suite de très haut : « Il me
paraît, Monsieur, que MM. de la Chambre des Comptes de Lorraine
», écrivait-il au secrétaire de cette Compagnie, « sont bien
expéditifs, mais ils devroient au moins me donner les moyens de
pouvoir seconder leur zèle. je ne crois pas, Monsieur, que ma
réponse paroisse satisfaisante, mais on peut en faire le même
usage qu'à la première que je vous ai écrite qui a été envoyée
au ministre comme un refus de ma part ; au surplus je consens
que l'on charge qui on souhaitera de cette opération, je n'en
suis point curieux du tout. » (51). En déclarant qu'il lui
faudrait six mois pour faire copier les rôles, Rainsant
n'exagérait pas; c'était une affaire de 200.000 articles dont la
moitié exigeait jusqu'à sept et huit pages d'écriture.
D'ailleurs il se gardait bien de faire commencer la première
ligne de cette besogne.
La situation était embarrassante, car remettre la répartition à
l'année suivante et faire payer en 1760 un double Abonnement,
c'eût été accabler les populations. Le nouveau Contrôleur
Général, Silhouette, répétait que ces difficultés étaient
vraiment bien grandes et il déclarait chercher de tous côtés un
moyen qui le mit « à portée de sortir enfin de ce chaos » (52).
Comme son prédécesseur, il épuisa toutes les combinaisons avant
de trouver un moyen terme des plus simples et qui eût dû
s'imposer de suite à l'esprit avec un peu de réflexion. On
procéderait en totalité nu recouvrement des rôles de 1757, 1758,
et du quartier d'octobre 1756, recouvrement entrepris depuis
plus d'un an par la Direction générale. Pour indemniser la
Province de ce qu'elle supporterait ainsi de trop et la laisser
jouir des réductions accordées, Silhouette supprimait en
totalité l'année 1759 et déduisait 400.000 liv. sur le montant
de l'Abonnement pour 1760. Dès lors les Chambres n'eurent plus
qu'à commencer à tracer le plan de répartition pour l'année à
venir.
Par suite de ces arrangements, la Lorraine paya successivement
en Vingtièmes, à partir de l'édit de septembre 1757 :
- 1757. Premier Vingtième: 1.016.677 liv. 12 s. 8 d.
- 1758. Deuxième Vingtième, quartier d'octobre de 1755 et 4 sols
pour livre du 1er Vingtième de 1757 : 1.445.750 l. 2 s. - 1758.
Premier et deuxième Viingtième, et 4 sols pour livre du premier
Vingtième : 2.174.895 l. 19 s.
- 1759. Néant - (Les recouvrements des années précédentes se
poursuivent).
- 1760. L'Abonnement est réduit pour cette année, en raison de
ce que la Province a précédemment payé de trop, à 1.067.708 liv.
6 s. 8 d.
- 1761 et années suivantes. Abonnement des deux Vingtièmes et
des sols pour livre : 1.484.375 liv. (non compris les vingtièmes
des charge, rentes, pensions etc. Pour la seule recette des
domaines et bois le receveur général retenait annuellement en
vingtièmes une somme de plus de 50.000 liv. (53).
Voici comment se décomposait ce chiffre de 1.484.375 liv. auquel
furent exactement abonnés à partir de 1761 les Vingtièmes des
revenus fonciers. Chaque Vingtième était compté pour 625.000
livres ; les sols pour livre réduits à 125.000 liv. ; soit un
total de 1.375.000 liv. de Lorraine. L'arrêt du Conseil des
financer, du 7 avril 1759, avait de plus mis tous les frais de
perception à la charge du pays et ajouté aux 1.375.000 liv.
40.000 livres pour les décharges et non-valeurs, 10.000 liv.
pour les dépenses des rôles, 57.375 liv. à raison de 10 deniers
pour livre, pour les taxations.
Dès le début de leurs travaux, les Chambres avaient ainsi
partagé la charge de l'Abonnement entre les deux Duchés :
1.060.517 liv. 11 s. 10 d. sur la lorraine et 417.857 liv. 8 s.
2 d. sur le Barrois. Ces Compagnies ne ménagèrent pas leurs
peines afin que la répartition fût équitable, et le système
qu'elles adoptèrent mérite d'être exposé pour être comparé à
celui suivi précédemment par la Direction générale. Pénétrons
dans un des bureaux de l'Abonnement, celui de Nancy, par
exemple, et assistons au travail des commissaires.
Les maîtres des Comptes ont commencé par demander à chaque
particulier une déclaration exacte de ses biens et droits de
toute nature. Ils ont déjà rendu à cet effet une ordonnance, en
date du 10 mai 1759, contenant 26 articles où sont indiqués les
biens sujets à l'imposition, la forme sous laquelle les
déclarations doivent être rédigées, la manière dont le dépôt en
doit être fait, la façon de se pourvoir en surtaxe ou en
modération, ordonnance qui a été publiée et affichée dans chaque
communauté de la Lorraine. Pour plus d'équité, les commissaires
ont jugé à propos d'apporter quelques exceptions à la généralité
de la règle.
1° Les pâquis appartenant aux communautés et dont ces dernières
ne tiraient d'autre profit que le pâturage sont soustraits à
l'Abonnement.
2° Un dixième du revenu des maisons, dixième que l'on présume
nécessaire aux réparations de ces immeubles, est de même
affranchi.
3) Les contribuables des campagnes taxés au dessous de 4 livres
ne seront plus compris dans le rôle de l'industrie (54).
Toutes ces précautions n'ayant point semblé suffisantes, la
Chambre a adressé aux maires et gens de justice, le 1er juin
suivant, une ordonnance spéciale. Cette pièce contient des
instructions pour la remise au greffe des déclarations ; elle
insiste sur l'obligation de fournir, autant que faire se peut,
un état de la quantité des différents fonds situés sur chaque
ban, de la nature du sol, du nombre de verges contenues dans un
jour, des mesures locales destinées aux différentes espèces de
grains. Elle demande à chacun de ces officiers ce qu'il fant de
terre et de prés pour fournir la paire usitée, ce que peut être
loué le jour de terre, les terrains étant classés par bons,
médiocres et mauvais.
A mesure que les déclarations sont adressées au bureau de
l'Abonnement, elles sont mises en ordre par recettes ; l'analyse
en est faite et portée en marge pour simplifier les opérations à
l'avenir. Ce premier travail est vérifié par quatre commis qui
ne sont occupés qu'à consigner les erreurs qui ont pu échapper à
30 autres employés ayant entre leurs mains environ 130.000
déclarations.
Pendant que l'on procède aux émargements, les commissaires
s'occupent de dresser un tarif pour les grains, relativement aux
différentes mesures usitées dans la Province, à leurs poids et à
leurs proportions au sac. Ils forment leur estimation sur le
prix courant des « hallages » de chaque marché de Lorraine
depuis vingt ans. Ils établissent de mémo un tarif pour les
réserves en nature (fromages, volailles, poissons, laitage,
etc.) stipulées dans les baux. Puis ils travaillent à fixer de
nouvelles taxes pour les biens ruraux, relativement au sol et à
la nature des productions de chaque village ; ils combinent pour
chaque pièce de terre les estimations envoyées par les gens de
justice avec les déclarations des particuliers ; ils trouvent
ainsi la valeur de ces fonds et l'imposition qu'ils doivent
supporter. Cette recherche scrupuleuse faite pour 1.591
localités de la partie lorraine occupera à elle seule les
commissaires pendant six mois.
L'estimation des bois communaux - objet intéressant pour la
Province, puisqu'il forme plus des trois quarts des revenue des
communautés - obtint aussi de la part des maîtres des Comptes
une attention particulière. Les officiers des maîtrises étaient
les seuls en état de donner des détails suffisants. On leur
adressa une lettre circulaire dans laquelle, après leur avoir
montré la nécessité d'une déclaration exacte et le tort que
ferait aux particuliers toute complaisance en cette matière, on
leur demandait, à chacun pour son district, un état complet des
bois, des quantités d'arpents en quart de réserve et en coupe,
de leur valeur réelle également par bons, médiocres et mauvais.
Les opérations de ces officiers, ayant été vérifiées pour
quelques villages, furent trouvées justes, et firent le
fondement de la répartition sur ce point.
Les diverses taxes pour les biens de toute nature étant enfin
fixées par des tarifs distincts selon les départements et
détaillés par villages, les commissaires font travailler à des
minutes destinées à rester dans le bureau. Ces minutes
contiennent le détail des biens de chaque particulier, article
par article, avec un total en marge. Les articles des seigneurs
et des communautés étant les plus considérables ont été rédigés
et collationnés par les commissaires eux-mêmes, pour être à
l'avenir portés en tête des rôles. Toutes ces minutes passent
ensuite aux bureaux de vérification pour y être examinées à
nouveau ; ainsi peu d'erreurs doivent échapper ; par la suite,
celles qui seront remarquées seront aussitôt corrigées. Chaque
recette est désignée par une layette spéciale, et chaque
localité de cette recette par un dossier particulier sur lequel
seront dressée les rôles. Ce dossier contient un bordereau du
montant des sommes y portées avec le total du revenu; tous ces
totaux réunis donnent le montant des revenus du Duché ; par une
règle de proportion avec la somme à imposer pour l'Abonnement,
on établira ainsi un marc la livre qui fixera la cote de chaque
particulier relativement à son revenu. Pour qu'il n'y ait point
de surtaxe, chaque jour en s'assemblent, les commissaires
commencent leur travail en statuant sur les diminutions
demandées. A tout placet accompagné de pièces justificatives il
est répondu exactement et au plus tard dans la huitaine de sa
réception.
Chaque année, lorsqu'un arrêt du Conseil des finances eût
ordonné aux Chambres de procéder à l'imposition de l'Abonnement,
les commissaires se réunirent de même respectivement dans leurs
bureaux de Nancy et de Bar qui fonctionnèrent jusqu'à la
Révolution.
SECTION IV. - Tentative d'établissement d'un troisième
Vingtième.
Au milieu de 1760, le pays lorrain était épuisé par l'énorme
surcharge qu'il supportait en raison de l'exécution de la
totalité des rôles pour les trois derniers mois de 1756 et pour
les années 1757 et 1788, sans parier de la Subvention. La levée
des deniers se poursuivait des plus péniblement. Le 13 juin, la
Chambre des Comptes de Nancy écrivait à M. de Courteille : « Le
dernier recouvrement n'est pas encore tait, on y procède
actuellement et la misère publique force les receveurs à user
des voies les plus rigoureuses pour se procurer le payement que
la rareté de l'argent rend pour ainsi dire impossible... ». La
Chambre demandait qu'en conséquence il fut un peu sursi à la
perception de l'Abonnement pour 1760 : « Les rôles seront
envoyés dans le courant d'août, le recouvrement s'en fera dans
les quatre derniers mois de cette année, les sujets ayant alors
recueilli les fruits qui doivent nourrir leurs familles,
retrancheront une partie de leur propre subsistance pour la
sacrifier au besoin de l'État... » (55).
De plus, en effectuant les opérations préliminaires de la
répartition de l'Abonnement, les commissaires avaient reconnu
que cet Abonnement était établi sur une base inexacte; que le
rapport entre le montant des rôles et le produit des biens fonde
dépassait un dixième effectif; mais on attendait une occasion
plus favorable et des temps plus heureux, pour engager le
ministère à réduire les 1.484.375 liv. en proportion des revenus
de la Province.
C'est dans ces circonstances que de nouveaux sacrifices furent
pourtant demandés aux Duchés. La guerre réclamait d'incessantes
ressources; le Contrôleur Général Bertin, plus encore que ses
prédécesseurs, ne savait à quels moyens recourir pour se les
procurer. Au mois de février, il avait ordonné la perception
dans le Royaume d'un troisième Vingtième qui devait être levé, à
compter du 1er octobre 1759, avec deux sols pour livre en sus.
Une déclaration parue à la même époque avait aussi imposé un sol
par livre sur les droits de gabelle, octrois, contrôle et
autres. Malgré les promesses de Louis XV et des ministres aux
députés lorrains, à la fin des conférences tenues à Paris en
1758, malgré la sympathie réelle de Choiseul, malgré encore la
peinture saisissante que l'on faisait chaque jour au Contrôleur
Général des misères de la Province, Bertin jugea indispensable
pour ses combinaisons de comprendre la Lorraine, non seulement
dans ces dernières demandes de subsides, mais dans d'autres
mesures fiscales datant de Boullongne et de Silhouette. À
l'automne, les La Galaizière reçurent l'ordre d'imposer sur leur
Généralité.
1° Un troisième Vingtième, avec les deux tout pour livre, et
effet rétroactif au 1er octobre 1759.
2° Un sol pour livre sur le prix principal des sel, tabacs
formules et les autres droits de Ferme.
3° Un droit sur les cuirs à l'exemple de celui établi en France
par l'édit du mois d'août 1759.
4° Un don gratuit de 79.750 liv., pendant six années, sur 72
villes et bourgs ; pour son recouvrement les officiers
municipaux seraient autorisés à créer des octrois, conformément
à l'arrêt d'août 1758 (56).
Les Cours souveraines eurent communication des édits rédigés en
conséquence, d'après les indications de Bertin, par le
Chancelier et son fils, au mois de novembre. Toutes trois
arrêtèrent immédiatement de foire des remontrances « séparément
sur le fond » de chacune des déclarations.
On appuya ces remontrances de tableaux de comparaison où se
lisaient nettement la marche croissante des impôts depuis
vingt-cinq années, l'état précaire de la Province,
l'impossibilité pour cette dernière de faire face à de nouvelles
demandes d'argent.
Pour dresser avec exactitude ces tableaux, la Cour Souveraine
organisa une vaste enquête et réclama des renseignements près de
chacune des communautés.
Mais quel qu'imposant que fut l'ensemble des documents envoyés
aux ministres, quoiqu'il eût sans doute suffisamment édifié
ceux-ci sur la situation précaire de la Province, la détresse
financière était telle, que le cabinet de Versailles s'efforça
jusqu'à la dernière extrémité de faire accepter les quatre édits
bursaux.
Les débats de cette affaire remplirent trois longues années
durant lesquelles des députés lorrains, installés presque en
permanence à Paris, plaidèrent sans relâche la cause de leur
pays et firent preuve d'une patience et d'une fermeté
admirables. Bertin quitta le contrôle avant d'avoir renoncé à
ses prétentions. En septembre 1763, la question était encore si
indécise et si brûlante que la Chambre des Comptes de Nancy
nommait trois de ses membres pour former un bureau de
correspondance qui adresserait chaque jour dépêches et
instructions à son délégué à Paris et recevrait ses réponses. Au
mois de février 1764 seulement, Laverdy, appliquant à la
Lorraine son système de dégrèvement auquel il ne devait point
rester longtemps fidèle, donna l'assurance d'un soulagement
prochain.
Après quelques dernières discussions, le Contrôleur Général des
finances renonça au troisième Vingtième, au sol pour livre sur
les droits de Ferme, au don gratuit des villes mais il exigea
absolument le maintien de l'impôt sur les cuirs, après toutefois
que quelque tempérament eût été apporté à la rédaction primitive
de l'édit qui l'avait établi (57).
Quant à l'Abonnement, il ne fut nullement réduit de moitié après
la conclusion de la paix ainsi qu'il devait l'être. Tout comme
en France les deux Vingtièmes, il continua à être intégralement
perçu ; prorogé d'abord par une déclaration du 4 avril 1764,
puis par d'autres successives, il devint un de ces impôts qui,
bien que créés comme temporaires, devaient, selon l'expression
énergique de Michelet : « rester pour l'éternité » (58).
SECTION V. - Contribution du Clergé lorrain aux Vingtièmes.
Jusqu'en 1756, les biens des bénéficiera lorrains furent
affranchis de toutes impositions, lorsque la guerre de Sept ans
eût éclaté et qu'un second Vingtième eût été établi dans le
Royaume, avant d'étendre cette mesure à la Province, le
ministère jugea à propos, par un arrêt du Conseil d'Etat, du 25
novembre 1756, de s'adresser aux seuls exempts qui restaient, et
de demander au Clergé de concourir à son tour aux charges de
l'Etat (59). Les bénéficiers furent invités à se réunir et à
faire des offres ; en attendant leur décision, le Gouvernement
estimait qu'ils pourraient payer annuellement, en proportion de
leurs revenus, une somme de 150.000 livres tournois.
En conséquence de l'arrêt, il y eut tout d'abord des assemblées
particulières du divers clergés lorrains. Quoique les Ducs
eussent tenté à plusieurs reprises d'obtenir l'érection d'un
siège épiscopal, soit à Nancy, soit à Saint-Dié, la Lorraine ne
comprit en effet, avant 1777, aucun évêché, et à l'époque où
nous sommes elle dépendait, pour le spirituel, de plusieurs
diocèses. Des neuf archevêques et évêques dont relevait son
Clergé, sept étaient sujets du roi de France et habitaient le
Royaume ; deux étaient étrangers et résidaient en Allemagne. Les
diocèses comprenant les plus forts bénéficiers lorrains étaient
: en premier lieu celui de Toul, au centre des anciens Duchés et
d'ailleurs un des plus vastes existant; puis ceux de Metz et de
Verdun; ensuite celui de Trêves. Ceux de Strasbourg, Besançon,
Châlons et Langres en possédaient très peu ; l'archevêché de
Mayence, enfin, n'avait en Lorraine que la petite paroisse d'Oberkirich,
dans le bailliage de Schambourg.
Au commencement de 1757, l'électeur de Trêves convoqua, dans la
Province même, son Clergé lorrain; les évêques de Metz, Toul et
Verdun convoquèrent les leurs en terre évêchoise. A Toul, les
bénéficiers s'étant réunis, le 9 février, élurent cinq
commissaires, Il s'agissait, en effet, de choisir des délégués
et de leur donner pleins pouvoirs pour s'entendre lors d'une
assemblée générale sur la somme à offrir et sur le mode de
répartition de cette somme entre les différents diocèses. Une
question d'une certaine importance se posait d'elle-même : où
donc se tiendrait cette assemblée générale ? Désirant conserver
son autonomie, le Clergé tout entier demandait que ce fût en
Lorraine, puisque ce pays, disait-il, continuait, en vertu de
l'article XIII du traité de Vienne, de former une souveraineté
séparée. Mais la politique d'assimilation suivie depuis 1737 ne
pouvait qu'être contraire à cette prétention qui sembla
dangereuse. Le gouvernement français eut recours à l'évêque de
Metz, M. de Saint-Simon, qui lui était tout dévoué, et ce prélat
ayant manifesté le souhait que l'assemblée se tint chez lui,
comme chez le plus ancien évêque, il obtint le consentement de
ses collègues de Toul et de Verdun sans que les six autres
eussent été consultés non plus que les commissaires (60).
Ce fut donc à Metz que, le 23 mars suivant, se rencontrèrent les
délégués. Seuls des évêques, ceux de Toul et de Verdun s'y
étaient rendus; cinq diocèses y étaient représentés par leurs
députés ; ceux de Besançon, Langres, Strasbourg et Mayence n'en
avaient point envoyé. En tant que président de la réunion, M. de
Saint-Simon proposa que l'on payât une fois pour toutes, au
moyen d'un emprunt, une somme de 600.000 livres. On remettrait à
un autre temps l'étude des facultés respectives des diocèses.
Les commissaires bénéficiers de Metz et de Verdun consentirent à
ces propositions ; ceux de Trêves déclarèrent ne pouvoir le
faire, faute d'y avoir été suffisamment autorisés ; ceux de
Châlons répondirent que ce diocèse ayant très peu de bénéfices
en Lorraine, ils s'en rapportaient à la prudence de l'assemblée.
Mais les délégués de Toul exposèrent que dans leur délibération
privée ils avaient a priori repoussé la voie de l'emprunt, qu'il
ne fallait point tomber dans un inconvénient où le Clergé de
France avait trouvé sa ruine. On se sépara sans avoir pris la
moindre détermination.
Le 2 avril, les bénéficiers lorrains remettaient des
remontrances à M. de la Galaizière. Ils se plaignaient de la
préférence donnée à la ville de Metz sur la capitale des Duchés
pour une assemblée du Clergé de la dépendance spirituelle le
trois archevêques et six évêques ; ils rejetaient l'emprunt de
600.000 livres proposé par M. de Saint-Simon. Puis, abordant la
discussion de l'imposition elle même, ils disaient : « Vos vues,
Sire, sont de rembourser les dettes de l'Etat ; c'est pour cela
que le Vingtième laïc a été imposé ; nous sommes dans la
septième année du payement du Vingtième, il devrait rester peu
de dettes à rembourser. L'Edit du Vingtième est du mois de
décembre, il ne fait commencer l'imposition que du 1er janvier
suivant. L'arrêt pour le don-gratuit est du 25 novembre, il veut
que ce don commence au premier janvier précédent, onze mois,
cinq jours avant qu'il ait été rendu. Une loi nouvelle, surtout
en fait d'imposition, ne peut avoir d'effet rétroactif, ni
obliger que pour l'avenir... » (61). Au reste, ces remontrances
ne tendaient point à obtenir une exemption complète; elles
demandaient qu'il fût tenu compte des facultés du Clergé et que
la répartition fût sage et peu onéreuse. Les 150.000 liv. de
France indiquées comme en rapport exact avec les revenus du
Clergé supposaient sur le pied du vingtième, 3.000.000 de liv.
de revenus au même cours. Or, il résultait de recherches
précises que tous les biens ecclésiastiques situés en Lorraine
et ceux possédés en France par des Lorrains, donnaient au plus
un retenu de 2.400.000 liv., dont le tiers au moins appartenait
à des bénéficiers allemands ou français. Le Clergé de domination
étrangère payait en Lorraine selon les rôles du Vingtième :
3.995 liv. 5 s. 6 d., correspondant à un revenu de 79.905 liv.
10 s. Les biens du Clergé français situés dans la Province
pouvaient former un revenu de 4 à 500.000 liv. Quant au Clergé
lorrain, il jouissait au plus de 1.700.000 à 1.800 000 liv. en
comprenant même les biens qu'il détenait en France et pour
lesquels il était taxé au dixième. De plus, dans le malaise
général du pays, le Clergé commençait à éprouver une diminution
sensible de ses revenus. Tout ce qu'il pouvait faire était
d'offrir annuellement, et à commencer du 1er janvier 1757, pour
tout le temps que serait levé le Vingtième, une somme de 120.000
liv. ; de 100.000 seulement, si l'on continuait à l'imposer dans
le Royaume pour les biens qu'il y possédait.
C'est sur ces entrefaites que plusieurs membres du Clergé du
second ordre, redoutant une répartition inégale, effrayés de la
déclaration faite par l'évêque de Metz : que les titulaires
français possédant des biens ecclésiastiques en Lorraine ne
contribueraient point au payement de la somme demandée,
donnèrent à entendre qu'ils préféreraient être soumis au
Vingtième. Le Contrôleur Général saisit avec empressement cette
offre un peu vague, non qu'il pensât que l'ensemble du Clergé
lorrain la ratifierait jamais, mais parce qu'il y vit une
occasion de mettre un terme aux indécisions et aux lenteurs. Un
arrêt du Conseil des finances, du 11 juin 1757, annonça qu'en
raison d'un désir unanime auquel le roi voulait bien satisfaire,
la demande d'un don gratuit était non avenue ; que les biens du
Clergé seraient assujettis, à compter du 1er janvier 1756, au
Vingtième, de la même façon que les biens laïques.
Il ordonnait à tous les titulaires de bénéfices de fournir dans
la quinzaine leurs déclarations au Directeur général du
Vingtième (62).
Le procédé réussit pleinement ; ce que le Contrôleur Général
avait prévu se produisit. Un grand émoi se répandit dans le
Clergé ; ainsi donc, on mettait les biens ecclésiastiques dans
la même classe que ceux des laïcs ! Le nouvel arrêt portait une
atteinte sensible aux privilèges et immunités de l'Eglise
puisque ses ministres ne devaient contribuer aux charges de
l'Etat qu'à titre de don gratuit. Les évêques de Metz, Tout et
Verdun se présentèrent à Lunéville pour en demander la
révocation. Les bénéficiers lorrains étaient loin de refuser des
subsides ; ils proposaient même une somme annuelle de 130.000
liv. de France à compter du 1er octobre 1756, somme qui excédait
certainement le produit de l'imposition du Vingtième. On renvoya
les prélats en Cour de France. Après quelques négociations dans
lesquelles les ministres, qui tenaient encore à ménager tout au
moins le Clergé, se montrèrent très conciliants, l'offre de
130.000 livres fut enfin acceptée et l'arrêt du 11 juin annulé
par un autre du 26 novembre (63).
Toutefois, les bénéficiers lorrains ne furent point pleinement
satisfaits et ils regrettèrent bientôt leurs propositions. Ils
n'avaient promis les 130.000 livres que sur l'assurance que les
biens ecclésiastiques, dépendant des bénéfices dont les
chefs-lieux étaient situés en domination étrangère, seraient
compris dans la répartition : or, l'arrêt les en exemptait. Ils
avaient bien accepté que l'Ordre de Malte fut exempt, mais ils
eussent voulu que la franchise ne s'étendit point aux curés, non
croisés, titulaires de cures dépendant de cet ordre ; les
titulaires lorrains de bénéfices grevés de pensions ne pouvaient
retenir aux pensionnaires que le quatorzième, tandis que ceux
des Trois-Evêchés avaient l'autorisation de prélever le sixième
de ces pensions. Les différences de régime entre la partie
évêchoise des diocèses de Toul, Metz et Verdun, et la partie
lorraine suscitèrent le plus vif mécontentement dès que l'on fut
à même de faire la comparaison, et bien qu'un don gratuit
extraordinaire de 30.000 livres eût été demandé en 1756 au
Clergé de la Généralité de Metz. C'est ainsi que les bénéficiers
lorrains du diocèse de Toul, dans des remontrances arrêtées au
palais épiscopal, le 10 janvier 1758, lors d'une assemblée des
députés, observaient avec humeur que le don gratuit annuel de la
partie française de ce diocèse n'était que de 6.000 livres,
faisant avec les 4 sols pour livre 7.200 liv. ; tandis que la
partie lorraine versait 87.483 liv. 17 s. 4 d., ce qui faisait
que les Lorrains payaient, toutes proportions gardées, beaucoup
plus que les Evéchois. Ainsi l'évêque de Toul ne donnait que 276
liv. ; mais le primat de Lorraine, dont le revenu était bien
moins considérable, était cotisé pour 2.060 liv. Le Chapitre de
la Cathédrale contribuait pour 1.050 liv. ; celui de la
Primatiale, moins riche d'un tiers, pour 4.436 livres (64).
Des observations étaient encore échangées à ce sujet entre M.
Drouas et M. de Courteille dans le courant de 1760. Mais, à ce
moment même, en envoyant à Lunéville les quatre édits bureaux,
le Contrôleur Général en joignait un autre à l'intention du
Clergé. Il demandait à ce dernier de contribuer désormais au
moins au second Vingtième, puisque l'on était obligé d'en
réclamer un troisième de la part des laïcs. Les bénéficiers
résistèrent tout d'abord ; mais, c'est honneur à eux, dans la
lutte générale qui s'engageait, d'avoir compris que s'il fallait
quelque sacrifice, il était plus équitable que ce sacrifice vint
d'eux que du peuple excédé. La rédaction de l'arrêt du Conseil
des finances, du 6 juillet 1761, qui termina la discussion,
était véritablement bizarre : voulant donner au Clergé de ses
Etats une marque de la satisfaction qu'elle avait des
témoignages de son zèle, S. M. acceptait l'offre qu'il lui
faisait, dans son empressement de contribuer aux besoins du
l'Etat, d'un second don gratuit de 100.000 livres, en
reconnaissance de la modération que le roi avait la bonté
d'annoncer du premier don gratuit à la somme de 120.000 y
compris les quatre sols pour livre. Ce deuxième don gratuit
serait perçu à partir du 1er octobre 1759 et la modération
accordée pour le second aurait son effet à dater du 1er janvier
1761 (65). De cette manière le Clergé lorrain contribua aux
Vingtièmes :
Du 1er octobre 1756 au 1er octobre 1759, pour une somme annuelle
de 130.000 liv. tourn.
Du ter octobre 1759 au 1er janvier 1761, pour 230.000 -
Et après le 1er janvier 1761, pour 220.000 -
La répartition entre les diocèses des 130.000 liv. demandées à
l'origine avait été décidée à la bâte pour 1757, dans une
assemblée tenue à Metz ; mais il avait été entendu que la
quote-part de chaque diocèse serait établie par la suite d'une
façon plus rigoureuse. En 1761, les calculs nécessaires
n'étaient point entièrement effectués; l'édit du 6 juillet eut
le tort, en fixant lui-même les sommes qui incomberaient
désormais respectivement aux principaux diocèses, de consacrer
pour l'avenir une méthode défectueuse et généralement
désapprouvée. C'est ainsi que sur la base de la répartition
provisionnelle, le diocèse de Toul (partie lorraine) fut chargé
de 150.200 liv.
Celui de Metz, de. 47.868 liv.
Celui de Verdun, de 15.272 liv.
Ceux de Trêves, Besançon, Strasbourg, Langres et Châlons eurent
à se partager les 6.600 liv. restant et d'après leurs
arrangements particuliers (66).
Voici de quelle manière la somme retombant sur chaque diocèse
était divisée entre les bénéficiers qu'il comprenait. La
répartition, le département comme on disait de préférence, en
était arrêtée par une chambre ou bureau diocésain composé de
commissaires-députés qui représentaient les différentes classes
de bénéficiers. Tout ecclésiastique bénéficier, régulier ou
séculier, était inscrit au rôle, à l'exception, comme nous
l'avons vu, de ceux de l'Ordre de Malte ou de ceux dont le
bénéfice avait son chef-lieu à l'étranger. En étaient aussi
exceptés les biens appartenant aux hôpitaux, maisons de charité
et écoles gratuites. Des appariteurs et receveurs étaient
préposés par les députés pour le recouvrement des deniers. Le
refus de payer était sanctionné par la saisie du temporel. Tout
ce qui était réglé par les bureaux diocésains était exécutoire
nonobstant opposition. Leurs procédures et jugements étaient sur
papier non timbré et de plus exempts du contrôle d'exploit et
des droits de présentation. L'appel se portait au Conseil des
finances.
Cette imposition reçut le nom de Don gratuit, désignation
générique conservée improprement par habitude et parce qu'elle
ménageait les susceptibilités du Clergé. Ce Don gratuit n'avait,
en effet, aucun rapport avec ceux offerts ou exigés, durant le
régime ducal, notamment avec ceux perçus en 1617, et cent ans
plus tard ; encore moins avec ceux par lesquels le Clergé
contribuait aux dons de joyeux avènement. Ce n'était pas non
plus le Don gratuit que le Clergé de France payait
périodiquement pour le rachat des différentes impositions. Le
Clergé de Lorraine ne fit point partie après 1737 de ce Clergé,
mais bien du Clergé dit étranger ou de pays conquis que l'on
opposait au premier. Parmi le Clergé dit étranger, celui de
certaines provinces (Flandre, Artois, Hainaut, par exemple)
était assujetti aux impositions de la même manière que la
noblesse; celui des autres généralités payait le Vingtième et la
capitation d'après des abonnements séparés, convenus avec le
Trésor royal. Notre soi-disant Don gratuit n'était qu'un de ces
simples abonnements, au premier puis aux deux Vingtièmes,
abonnement analogue a celui accordé à la même époque au Clergé
de Franche-Comté par un arrêt du Conseil d'Etat du 11 mai 1757,
et à celui qu'obtint également le Clergé d'Alsace (67).
Ajoutons qu'à la mort de Stanislas, le Clergé lorrain, outre
l'abonnement aux Vingtièmes, contribua à une petite imposition
établie sur les propriétaire, de la Province pour le payement
des gages du Parlement de Nancy.
(A suivre) |