CHAPITRE IV
LE PERSONNEL DES FINANCES
Pour savoir comment l'argent perçu par les collecteurs et
receveurs, préposés à le levée des deniers des diverses
impositions, passait dans la caisse du roi de France, il nous
faut faire plus ample connaissance avec le personnel des
finances. Jusqu'à présent, nous n'avons guère plus entrevu ces
officiers que les contribuables ne le faisaient eux-mêmes.
Bien que leur organisation ait souvent varié en Lorraine, dans
les dernières années du régime ducal, et particulièrement depuis
le commencement du XVIIIe siècle, nous n'entrerons pas dans de
longs détails rétrospectifs. Contentons-nous de dire qu'en 1737
on comptait : un trésorier général des finances qui centralisait
les deniers perçus par des receveurs particuliers attachée à 63
bureaux ou offices ; - 40 pour la Lorraine proprement dite et 23
pour le Barrois; - un trésorier des parties casuelles, un
trésorier de l'hôtel et un trésorier des troupes (1).
L'administration française modifia, sans tarder, cet état de
choses ; la trésorerie des parties casuelles, celle de l'hôtel
et celle des troupes furent supprimées. A la place du trésorier
général des finances furent créés, par édit du 27 septembre
1737, deux receveurs généraux ainsi que deux contrôleurs
généraux des finances, les uns anciens, les autres alternatifs,
c'est-à-dire les uns devant entrer en fonctions durant les
exercices pairs, les autres durant les exercices impairs (2). Il
faudrait se garder de confondre ces contrôleurs avec l'officier
qui prenait la même qualification pour Léopold, et qui, sans
aucune analogie, était un véritable ministre des finances.
Toutefois, des contrôleurs généraux avaient déjà existé en
Lorraine avec des attributions semblables : on en trouve dès la
fin du XVe siècle et une ordonnance de 1581, sur le droit de
sceau, les place après le trésorier général (3).
La division des Duchés en bureaux de recettes particulières ne
fut point changée tout d'abord, vu l'importance de la réforme,
et bien que l'intendant eut déclaré à ses chefs, dès son
arrivée, que la multiplicité des offices aussi bien que
l'ignorance de leurs possesseurs, qui les avaient acquis plutôt
par rapport aux exemptions qui y étaient attachées que pour en
remplir les charges avec la capacité nécessaire, avaient
occasionné en cette partie un désordre des plus regrettables.
Seulement, comme la Principauté de Commercy comprenait deux
bureaux, l'un pour la Lorraine et l'autre pour le Barrois, il
n'y eut plus, après 1737, que 39 recettes particulières dans
l'un des Duchés et 22 dans l'autre. En 1741, l'édit du 4
novembre supprima enfin ces trop nombreux bureaux; la Province
fut divisée en 15 nouvelles recettes particulières auxquelles
furent attachés 30 offices de receveurs, 15 anciens et 15
alternatifs. La lorraine proprement dite comprit les recettes de
Nancy, Boulay, Dieuze, Epinal, Lunéville, Mirecourt,
Neufchâteau, Saint-Dié, Sarreguemines ; le Barrois, celles de
Bar, Bourmont, Etain et Briey. Aux recettes de Saint -Mihiel et
de Pont-à-Mousson étaient versées les impositions levées dans un
double ressort mi-lorrain, mi-barrois. Il en fut de même pour
Commercy, lorsqu'à la mort de Madame Royale son département
forma, en 1745, une 16eme recette. Par une déclaration de
Versailles, du 4 octobre 1742, enregistrée au Parlement de
Paris, Louis XV conféra aux nouveaux receveurs, pour le présent
et l'avenir, sans qu'ils eurent à prendre en aucun temps de
lettres de confirmation, le droit de jouir de toutes
prorogatives et exemptions accordées, en France, aux officiers
de même nom (4).
De 1737 à 1749 inclusivement, les receveurs généraux, les
receveurs des 61 bureaux, puis ceux des 16 recettes
particulières, encaissèrent, non seulement l'argent des
impositions, mais celui de tous les revenus domaniaux et autres.
Comme leurs prédécesseurs l'avaient fait depuis 1705, ils eurent
la comptabilité des deniers provenant des eaux et forêts ; les
autres deniers domaniaux passèrent pareillement par leurs mains;
de telle sorte que leur compte de fin d'année comprenait, au
chapitre de l'actif comme à celui du passif, et le plus souvent
groupées sans méthode rigoureuse, les rubriques les plus
diverses.
Le receveur générai en exercice avait ainsi une gestion fort
considérable; il mentionnait sur ses registres toutes les
recettes possibles, comme il devait faire race à toutes les
dépenses prévues et imprévues; il était à la fois : garde
provisoire du Trésor royal, trésorier des parties casuelles,
payeur des rentes, gages et autres charges de l'État (5). Ce ne
fut que par l'édit de septembre 1749, que le Gouvernement
français mit plus d'ordre dans cette administration financière
en y introduisant la division du travail. Les recettes
particulières furent alors une seconde fois supprimées pour être
recréées aussitôt, sans modification territoriale mais après que
les comptabilités forestière et domaniale eurent été retranchées
de leur département. A côté des 30 receveurs particuliers des
finances furent établis 15 receveurs particuliers des bois; aux
receveurs et contrôleurs généraux des finances furent joints
deux receveurs et deux contrôleurs généraux des domaines et
bois, anciens et alternatifs. Les receveurs particuliers des
finances n'eurent plus que le maniement des deniers des
impositions directes ; à la caisse du receveur général, outre
cet argent arrivait celui des parties casuelles. Le receveur
général des finances et celui des domaines et bois, complètement
indépendants l'un de l'autre, faisaient parvenir séparément
l'excédent de leurs fonds au Trésor royal de France (6). Une
déclaration du 16 mars 1750 assimila ces officiers à leurs
collègues de France et ces réorganisations successives
rapprochèrent beaucoup le personnel comptable de Lorraine de
celui établi dans le Royaume (7).
Pour étudier le mécanisme de la comptabilité des revenus de la
Province, nous envisageons l'époque où ces transformations
étaient déjà accomplies ; par l'examen séparé d'opérations
autrefois confiées à un même officier, qui les mentionnait
indistinctement dans un compte final, mais qui, en réalité,
avait dû consacrer à chacune d'elles des soins et des calculs
différents, nous en aurons ainsi une idée à la fois plus nette
et plus complète.
Des mains des collecteurs de la Subvention, de celles des
collecteurs et receveurs des Vingtièmes, le produit de ces
impositions était versé aux 16 recettes particulières, en deux
termes pour la Subvention, et en quatre pour les Vingtièmes.
Nous savons déjà que c'était de chacune de ces recettes
qu'avaient été adressés aux Chambres des Comptes, sous peine
d'amende pour l'officier en exercice, les rôles de l'année
précédente, nécessaires à la répartition ; que de ces recettes,
aussi, avaient été distribués les mandements dans chaque
communauté de leur ressort.
Au bureau de Bouzonville. et après 1741 à la recette
particulière de Boulay, était versée l'imposition spéciale du
Mertzig et Sargau ; au bureau de Fénétrange, puis à la recette
de Sarreguemines : la Taille à volonté de la Baronie ; à la
recette de Sarreguemines, encore, le Droit de sauvegarde de
Frauenberg et Bousbach.
Au fur et a mesure de leurs encaissements, les receveurs
particuliers faisaient parvenir les sommes non employées en
dépense, par à-comptes, à la recette générale de Nancy : c'était
le plus ordinairement par l'intermédiaire des grands banquiers
entrepositaires de cette ville.
Le receveur général des finances touchait directement des
préposés du Clergé les deniers de l'Abonnement accordé aux
bénéficiers ; et, des syndics de la Communauté des juifs, le
montant de leur Tribut annuel ou du Vingtième de leur industrie.
Avec ces fonds, il acquittait les charges correspondant au
différentes impositions accessoires ; c'est ainsi qu'il payait
les appointements des lieutenant général et gouverneurs des
villes ; ceux de la maréchaussée; qu'il donnait au personnel des
Ponts et Chaussées, outre ses gages, l'argent nécessaire à la
confection de certains travaux publics; qu'il soldait le prix
des adjudications des fortifications, redoutes, etc. ; qu'il
comptait avec le trésorier des troupes, le trésorier provincial
de l'extraordinaire des guerres et le trésorier de la milice,
suivant les ordres venus du ministère ou de l'Intendance. C'est
chez lui que l'on touchait les rentes nouvelles, les gages des
officiers des finances, les remises et taxations accordées sur
les impositions aux Chambres des Comptes, aux syndics des juifs,
aux autres préposés, et enfin aux comptables.
Les quittances et toutes pièces expédiées par le receveur
général devaient être contrôlées et enregistrées, dans le mois,
par le contrôleur général eu exercice qui recevait 20 sols pour
le contrôle, ou la décharge du contrôle, de chaque quittance, et
vingt sols par mille liv. du montant des rentes et gages (8).
Le receveur général inscrivait, jour par jour, et une
intervalle, du 1er janvier au 31 décembre, sur un
registre-journal, coté et paraphé par le premier président de la
Chambre des Comptes de Lorraine, toutes ses recettes et ses
dépenses (9). Chaque huit jours, il avait soin d'envoyer à
l'Intendance des bordereaux de son actif et de non passif.
L'Intendant les adressait à Paris afin que l'on y connût
régulièrement le montant des sommes en caisse. Du bureau
particulier du Contrôleur Général des finances, ces bordereaux
passaient au bureau de la correspondance où l'on vérifiait si
les receveurs particuliers n'étaient point en retard, si les
chiffres en dépense étaient conformes aux décisions prises et
aux sommes qui devaient être réellement acquittées sur les
revenus de la Lorraine (10).
Selon l'état de la caisse, les gardes du Trésor royal de France
donnaient périodiquement, sur la recette générale de Nancy, un
nombre plus ou moins grand d'assignations d'importance variable.
Le receveur faisait face à ces prescriptions en échange d'un
récépissé. L'argent du Vingtième était expédié en presque
totalité au Trésorier Général de la Caisse des amortissements.
Rappelons que l'Abonnement des Vingtièmes ne comprenait point
les gages, rentes et pensions ; aussi les retenues faites par le
receveur général des domaines et bois sur les importants
payements qui lui incombaient, étaient-elles envoyées séparément
par lui, en partie aux gardes du Trésor, en partie à la Caisse
des amortissements (11).
L'exercice clos, il s'agissait de procéder à la vérification des
comptes. Seul, était comptable, devant le Conseil des finances
et la Chambre des Comptes de Lorraine, le receveur général. En
sa qualité de chef du Conseil, l'Intendant était chargé de faire
dresser et de signer l'état au vrai de la recette et de la
dépense que devait lui présenter le receveur. Cet état, examiné
et vérifié au Conseil où les totaux de l'actif et du passif
étaient arrêtés, devenait l'état du roi. Pour la forme, on
joignait alors à cet état des lettres patentes de Stanislas
ordonnant le versement de l'excédent au Trésor royal de France,
- versement déjà rait en réalité, et par fractions, comme nous
venons de le dire. C'est muni de l'état du roi et des pièces
justificatives de ses dépenses que le receveur général
présentait ses comptes en audition par devant les maîtres des
Comptes. L'état final était alors établi. Si la balance était
juste, le comptable se voyait « bien et valablement déchargé »;
s'il y avait un déficit, il devait le combler; s'il restait un
reliquat, il devait attendre qu'il eût reçu l'ordre de
l'employer en dépense pour se présenter de nouveau à la Chambre
et obtenir sa décharge définitive.
Pour l'épurement du compte, il était alloué 600 liv. dont 300 à
la Chambre comme frais et vacations, et 300 au receveur pour
façon de l'état au vrai à présenter au Conseil et du compte à
fournir a la Chambre.
La Subvention et les Vingtièmes formaient l'objet de deux
comptes distincts. Le receveur général présentait, en outre, un
troisième compte pour les parties casuelles. Avant 1787, c'était
un trésorier spécial qui était chargé des deniers de cette
dernière catégorie de revenus ; durant tout le règne de
Stanislas ce fut le receveur général des finances. A la mort du
roi de Pologne, enfin, une déclaration du 15 juin 1766 décida
que les versements casuels se feraient pour la Lorraine comme
pour tout le reste du Royaume, au bureau du trésorier général à
ce préposé.
Nous avons, avant de quitter la recette générale des finances, à
donner quelques détails sur les Parties Casuelles ; nous
parlerons ensuite de tout ce qui se rattache à la comptabilité
des Baux et Forêts et du Domaine.
DEUXIÈME PARTIE
LES PARTIES CASUELLES ; LES OFFICES VÉNAUX
On entendait par Parties Casuelles, dans le langage financier de
l'ancien Régime, les sommes payées au souverain pour l'obtention
des offices vénaux nouvellement créés, restés au fisc, ou y
dévolus pour quelque cause que ce fût.
Les revenus casuels compris dans le budget de la Lorraine, sous
l'administration française, provenaient de quatre objets bien
distincts et d'inégale importance :
1° Les finances des offices à vie demeurés ou retombés au fisc ;
2° Les finances des places de perruquiers ;
3° Les finances des offices héréditaires de nouvelle création.
A ces recettes s'opposait le remboursement du prix des offices
supprimés.
4° Les droits de prêt et d'annuel dus par les possesseurs
d'offices héréditaires.
1. Offices à vie demeurés ou retombée au fisc. - Chaque année,
un certain nombre d'offices à vie, créés à titre de finance,
retombaient au fisc par la mort de leur titulaire. Ces offices
étaient alors dits : vacants et impétrables aux parties
casuelles, où chacun pouvait venir les lever, ainsi que ceux
qui, depuis leur création, n'avaient point trouvé de titulaire.
S'il se présentait plusieurs amateurs, l'office était en quelque
sorte mis aux enchères et adjugé au plus offrant. Suivant qu'il
était plus ou moins recherché, sa finance primitive était
augmentée ou modérée ; l'acquéreur était dit : nommé par finance
(12).
Parmi ces offices, je relève d'anciens offices : d'arpenteurs,
de premiers forestiers, d'huissiers audienciers, de notaires, de
greffiers d'hôtel de ville, de curateurs en titre, de sergents
de prévôté, de receveurs des deniers patrimoniaux et d'octroi
des villes, etc. A la suite des remaniements opérés, après 1737,
dans tous les départements administratifs, et de la création de
presque tous les nouveaux offices à titre d'hérédité, les
offices à vie furent de moins en moins nombreux et tendirent à
disparaître. Le total annuel de cette recette fut toujours,
d'ailleurs, on le comprend, fort variable; il était, par
exemple, en 1738 de 6.403 liv. 6 s. ; de 73.108 liv. en 1747
(13).
2. Places de « perruquiers, barbiers, baigneurs et étuvistes ».
- Par édit du 14 juillet 1710, Léopold avait érigé les fonctions
de perruquier à titre de finance. Pour excuser ce procédé
fiscal, le Duc démontra que « l'art » du perruquier contribuait
beaucoup non seulement « à la propreté et à l'ornement, mais
encore à la santé des hommes » (14). Tout perruquier fut obligé
de prendre des lettres de provision dont le prix variait suivant
la résidence. Mais ces sommes ayant été déclarées exagérées, le
Prince avait accordé des exemptions ou des modérations (15).
Sous l'administration française, la finance des places de
perruquiers, barbiers, baigneurs et étuvistes, dut être
intégralement payée d'après le tarif primitif : 150, 200 et 300
livres. Le produit de ces droits formait un petit chapitre bien
spécial dans la comptabilité casuelle ; il s'élevait à 1.200
liv. en 1738 ; 2.850 liv. en 1748; 2.350 liv. en 1781 ; etc.
3. Créations et remaniements d'offices héréditaires. - La
vénalité et la multiplicité des offices étaient choses inconnues
à l'ancienne Lorraine ; elles avaient été importées dans les
Duchés au XVIIe siècle, durant l'occupation. Ce qui précède
montre suffisamment que les derniers Ducs imitèrent l'exemple
qui leur avait été donné, et qu'ils usèrent, tout comme les rois
de France, quoiqu'à un degré moindre, d'un procédé fiscal qui
assurait au Trésor des capitaux Immédiats (16).
Au XVIIIe siècle, l'administration française continua
d'appliquer ce système à la Province, mais en l'exagérant ; le
Gouvernement battit monnaie en Lorraine avec des créations et
remaniements successifs d'offices ; il spécula sur ces
changements d'une façon déplorable. D'une part, l'Intendant
constate, dès 1737, le désordre qui règne dans les services
publics, il en donne pour cause essentielle le grand nombre des
offices vénaux, et, simplifiant des rouages en effet trop
compliqués, il diminue le personnel existant Mais, d'un autre
côté, à Paris, on ne perd point de vue l'intérêt du Trésor ; les
nouveaux offices devront être portés à des taux tels, qu'après
le remboursement des anciens, il reste finalement un capital
considérable à encaisser ; bien plus, le Contrôleur Général, par
un illogisme qu'explique à peine la pénurie d'argent, ne tarde
pas à ordonner à la Galaizière de créer, par ailleurs, à titre
de finance, des charges absolument inutiles : bientôt
l'élévation du prix des offices se compliqua de leur
multiplicité ridicule. Les modifications, heureuses
incontestablement, que l'Intendant apporta en bien des parties
de l'administration de la province pour la rapprocher de celle
du Royaume, furent ainsi souvent gâtées, tout d'abord par des
demandes excessives de deniers aux titulaires des charges,
ensuite par des créations d'offices inopportunes ou trop vastes.
En 1758, la Cour Souveraine pouvait dire sans exagération : « Il
n'y a pas de province de France où l'on ait fait en si peu de
temps une multiplicité de créations, telles que celles qui ont
tiré du sein des deux Duchés les sommes considérables qui n'y
sont pas rentrées » (17).
Il est intéressant de voir ici avec quelle ingéniosité, mais
aussi avec quelle absence de modération, le Gouvernement
français sut tirer parti des remaniements d'offices. Les
chiffres que nous allons donner sont trop significatifs pour que
l'aridité de leur énumération les fasse omettre.
Les opérations fiscales commencèrent dès septembre 1737, avec
les premiers changements effectués dans le personnel des
finances. La suppression des différents offices de trésoriers :
trésorier général, trésorier des parties casuelles, trésorier de
l'hôtel et trésorier des troupes amenait un remboursement total
de 217.500 liv. (18). Non seulement les prix des offices du
receveur et du contrôleur général des finances furent
considérablement plus élevés, mais on les doubla, en quelque
sorte, par le système de l'alternative. Un officier ancien et un
officier alternatif, entraient tour à tour en exercice. Chaque
année, indistinctement, l'un et l'autre touchaient les gages
correspondants à la finance de leurs charges; mais, tous les
deux ans seulement, chacun d'eux entrait en fonctions et
jouissait des taxations destinées à rétribuer son travail. Les
quatre offices ayant été adjugés pour 826.666 liv. 13 s., il
entra de ce coup au Trésor royal : 609.166 livres.
Le 2 décembre suivant, la création de 20 offices de procureurs à
la Cour et à la Chambre des Comptes, taxés à 10.000 liv. ; de 14
charges de procureurs au bailliage de Nancy, fixées à 8.000
liv., création complétée, le 25 janvier 1738, par celle de 6
autres offices de procureurs à la Cour, également à 10.000 liv.,
donna exactement une somme de 396.025 liv. 0 s. 4 d.
La même année 1738, par la réorganisation de la maréchaussée
lorraine à l'instar de celle de France, et l'adjudication d'un
office de prévôt et de quatre offices de lieutenants, le
Contrôleur Général obtenait le versement d'un capital de 129.166
liv. 13 s. 4 d.
La réforme de la division financière de la Lorraine, en 1741,
bien qu'amenant la suppression de plus de 60 bureaux, remplacés
seulement par 15 recettes particulières, fut non moins
avantageuse, grâce à l'élévation des prix et à l'alternative. On
remboursa, il est vrai, 764.469 liv. 4 s. 6 d. tournois; mais on
toucha, d'autre part, 1.642.000 liv. au même cours, soit un
excédent de recette de 1.133.477 liv. 4 s. 10 d. de Lorraine.
Les modifications apportées encore dans ce même personnel des
finances, en 1749, lorsqu'on lui retira les comptabilités
forestière et domaniale, furent l'occasion d'une même
spéculation. Quoique l'importance des fonctions des receveurs
généraux ait été diminuée par le fractionnement de leurs
attributions, le prix de leurs offices, une fois recréés, fut
porté au double, et de 387.500 liv. chaque, élevé à 775.000 liv.
Le bénéfice de ce changement était déjà notable ; il faut y
ajouter les finances versées par les offices institués en
surplus : ceux de receveurs et contrôleurs généraux des domaines
et bois, anciens et alternatifs, et les 15 recettes
particulières des bois ; finances qui dépassèrent elles-mêmes un
million. On comprend que ce pût être là le motif à de vives
remontrances, comme celles que la Cour Souveraine signa le 2
décembre 1749.
C'est dans un pareil esprit que fut accomplie la transformation
de l'administration forestière. Un édit de décembre 1747 ayant
créé 15 maîtrises à la place des anciennes grueries : en 1751,
alors que tous les nouveaux offices de ces maîtrises n'étaient
point encore levé, le receveur des finances avait remboursé aux
anciens titulaires 446.606 liv. 13 s. 4 d., mais reçu des
acquéreurs : 2.856.979 liv. 10 s. 16 d. auxquels la création
d'un grand maître des eaux et forêts en 1756 devait ajouter
387.500 liv.
Ce fut surtout dans la suppression et le rétablissement des
bailliages et prévôtés, ordonnés par l'édit de juin 1751, que la
fiscalité atteignit son maximum : 1.300 offices de judicature
étaient créés et leur finance portée à 6.689.283 liv. Cette
année même le comptable faisait en conséquence un remboursement
de 2.987.867 liv. 0 s. 7 d. et inscrivait en recette, aux
parties casuelles, 4.019.795 liv. 16 s. 8 d. Mais le reste des
offices ne se leva pas. Le pays était épuisé d'argent, et les
riches Français qui avaient quelques attaches dans la Province
avaient eu le loisir, depuis 1737, de se procurer un nombre
d'offices suffisant pour satisfaire leur vanité ou placer leurs
deniers. Il fallut, même, que le Gouvernement se contentât, pour
ceux des offices qui trouvèrent des titulaires, d'être payé, en
partie par la liquidation des charges supprimées, en partie par
la liquidation des anciennes dettes d'Etat qui furent admises
pour argent courant. Les credi-rentiers cédèrent par contrat
leurs droits aux acquéreurs d'offices des maîtrises ou des
bailliages qui les employèrent comme payement de la finance.
Ainsi furent éteintes, en 1751, des dettes d'Etat pour un
capital de 1.143.493 liv.
Pour réaliser un bénéfice plus complet, le contrôleur Machault
imagina alors de faire payer par la Province l'intérêt des
capitaux versés pour l'obtention des offices créés depuis 1737.
Plus de 500.000 liv., ainsi que nous le savons déjà, furent
demandées aux contribuables lorrains, de 1752 à 1758
inclusivement, pour subvenir aux gages attachés à tous ces
offices sens exception, et bien que la plupart des derniers
n'eussent point eu d'acquéreurs. A aucun moment, combinaison
bursale d'une injustice plus révoltante ne fut essayée en
Lorraine ; celle-ci frappa tellement les esprits qu'à la veille
de la Révolution on la reprochera encore au gouvernement. Se
reportant trente ans en arrière, le Parlement de Nancy
rappellera au roi, en 1788, combien « toutes les ressources du
génie fiscal semblèrent se développer à cette époque pour
atteindre au dernier terme de ses facultés » (19).
Les ministres ne s'arrêtèrent dans cette voie que devant
l'impossibilité d'écouler une telle quantité d'offices, à si
haut prix. Toutes les branches de l'administration
n'avaient-elles pas été déjà, d'ailleurs, l'objet des
transformations désirées ? En quinze années, les calculs des
Contrôleurs Généraux avaient tendu à faire entrer de cette
manière au Trésor un capital d'environ dix millions.
Nous n'avons point à nous étendre ici sur les vices inhérents à
la vénalité des offices. Disons seulement en passant que fort
relatif était l'avantage que l'Etat retirait de leurs créations
multiples, les titulaires recevant en échange de leur finance
des gages à peu près proportionnés à l'intérêt de cet argent et
des exemptions d'impôts. De plus, la vénalité et l'hérédité de
tant d'offices faisaient que pour presque tous les départements
administratifs la capacité à en remplir les fonctions était
reléguée au second plan. Mais l'abus de ce système eut de plus
en Lorraine des conséquences particulières et non moins
regrettables.
a) Ces créations et remaniements successifs supprimèrent toute
stabilité. Les titulaires des charges récemment créées se
voyaient, peu après, contraints pour conserver leurs fonctions
d'augmenter, de doubler même, comme durent le faire les
receveurs généraux, la finance primitive ; ce qui constituait
une sorte d'emprunt arbitraire et forcé.
b) Les prix et le nombre excessifs de ces offices firent, d'une
part, sortir de la Province des sommes considérables, pour ce
qui est des titulaires lorrains ; mais, d'autre part, les
principales charges ayant été acquises par des étrangers, ces
derniers dépensaient hors de la Lorraine, non seulement
l'intérêt de leurs capitaux, ce qui se conçoit, mais aussi les
bénéfices de leurs fonctions, bénéfices fournis uniquement par
les contribuables.
c) Et, en effet, ce n'était pas la simple satisfaction d'être
investi d'une partie de l'autorité publique et l'occasion de
placer utilement son argent qui eussent suffisamment attiré lei
acquéreurs. L'intérêt accordé n'était point très considérable;
les gages ne se payaient le plus souvent qu'au denier 25 (4 %)
et même au denier 30 du prix de la finance, et l'Etat-tout comme
pour notre dette consolidée - n'était jamais tenu de rembourser
le capital. Mais, des faveurs diverses, à la charge de la
Province, engageaient à lever ces offices ; de 1737 à 1766, au
fur et à mesure que l'augmentation de leur mise à prix et leur
multiplicité les rendirent moins faciles à écouler, on les
entoura de plus en plus de ces sortes d'avantages.
Le receveur général des finances en exercice avait ainsi, outre
ses gages, de fort beaux émoluments qui, en 1750, dépassaient
120.000 liv. ; c'était : un droit, dit d'exercice, de 2.400 liv.
en 1737 et porté, avec la récréation de la charge, en 1749, à
6.406 liv. 13 s. 4 d. ; c'était aussi des taxations sur les
deniers des recettes, ce qui grossissait d'autant les
impositions. En 1737, le receveur touchait 3 deniers pour livre;
en 1750, ce fut 6 deniers sur le recouvrement des impositions
ordinaires, 4 deniers sur celui des impositions extraordinaires
et des Vingtièmes, 6 deniers pour la retenue du dixième des
gages, 3 deniers sur les parties casuelles ; Il faut y ajouter
les 10 sols pour 100 livres, comme droit de quittance, payables
par toute partie prenante sur l'état du roi. Les receveurs
particuliers avaient de même leurs taxations. On se souvient que
le seul abonnement aux Vingtièmes fut augmenté à cet effet de
59.375 liv.
Pour les offices des eaux et forêts, Il n'en était pas autrement
; les titulaires reçurent de fortes attributions, très lourdes
pour les sujets. La Cour Souveraine déclarait même que la
créations des offices des maîtrises avait été la plus onéreuse à
la Province : « L'attribution faite aux officiers de trois
livres dix sols de France par chaque arpent d'affouage qu'ils
délivrent aux habitants des communautés, et de deux sols pour
livre du prix des ventes et adjudications de leurs bois, lorsque
ces communautés obtiennent la permission d'en vendre pour les
besoins publics, ruinent les peuples des campagnes, qui achètent
par là l'usage de leurs propres forêts et payent souvent, et
au-delà, le prix des bois qu'ils en tirent, tandis que l'usage
de ces bois devrait leur être propre. (20) ».
Que dire des offices de judicature ? Comme ceux créés en 1751 ne
se levaient que très péniblement, une déclaration, du 21 juin
1752, accorda aux titulaires le droit d'exiger 10 sols tournois
par franc barrois alloué dans les tarifs des frais de justice,
tandis que pour le public ce franc ne valait que 6 s. 7 d. ce
qui lit une augmentation de plus du tiers (21). Aussi « l'excès
des attributions faites aux procureurs, aux greffiers et
huissiers des nouveaux sièges par la conversion des francs
barrois en 10 sols de France a-t-elle fait une telle playe à
l'Etat, que les peuples des deux Duchés sont forcés de renoncer
au droit si naturel de demander justice sur leurs prétentions.
Le débiteur de mauvaise foi triomphe, et le créancier, avec le
titre le plus certain, ne peut être payé parce qu'il préfère
perdre ce qui lui est dû aux risques d'un exposer le triple en
frais de justice. (22) ».
d) Le bon ordre du service fut enfin sérieusement compromis. Les
offices qui trouvèrent acquéreurs furent levés, pour la plupart,
par de riches Français qui en confièrent les fonctions à des
fondés de pouvoirs. Il y eut un trafic étonnant de ces offices.
Sur l'invitation même du Gouvernement qui en délirait l'achat
immédiat, des financiers de profession, ou des sociétés, en
réunirent un grand nombre. Deux neveux du Chancelier sont une
preuve des faits que nous signalons. Lorsque furent créées les
deux charges ancienne et alternative de receveur général des
domaines et bois, ils s'en rendirent acquéreurs, et, par ordre
exprès de leur oncle, furent reçus par la Chambre des Comptes
sans les formalités d'usage, sans représentation d'extraits
baptistaires, sans information préalable de vie et moeurs «
attendu leur éloignement ». Ayant réuni de plus à ces offices,
13 des 15 recettes particulières des bois, et versé en
conséquence une finance de 872,649 liv. 11 s. ils eurent en leur
main, une jamais venir en Lorraine, presque toute la
comptabilité domaniale et forestière de la Province (23). Quant
aux offices non-levés, ils furent la cause de graves lacunes
dans l'administration. En 1788, encore, beaucoup de nouvelles
charges de judicature, créées en 1751, n'ayant point de
possesseurs, dans la plupart des bailliages la justice était
rendue par 1, 2, 3 ou 4 juges au plus (24).
4. Droit de prêt et d'annuel des offices héréditaires. - A la
suite des représentations des titulaires d'offices qu'il leur
était fort dur de ne pouvoir disposer librement de leurs charges
et en laisser la jouissance à leurs veuves, Léopold, par
l'ordonnance du 10 septembre 1700, leur avait accordé la grâce
qu'ils sollicitaient, moyennant le versement, à la place de
l'annuel usité en France, d'un droit de quart-denier de la
finance, droit qui se percevait également à chaque mutation
entre-vifs. Ce quart denier était dû soit par le résignataire,
soit par le nouveau pourvu, soit par les deux parties, au gré
des stipulations. Lorsque l'édit du 28 mai 1717 eut érigé en
titre d'hérédité tous les offices de receveurs des finances,
tabellions, gardes notes et notaires, jusqu'alors simplement
conférés à vie, les possesseurs eurent à payer, en guise de
paulette, le centième denier du prix de ces offices. Ainsi avait
été établi l'annuel en Lorraine, et ce système fut
successivement étendu à d'autres offices. Cet annuel était
exigible au mois de décembre. Mais cet état de choses n'avait
point duré ; l'édit du 25 mars 1720 ayant éteint et supprimé
tous ces offices, sans que les titulaires eussent été privés
pour le moment de leurs fonctions, une déclaration du 27 février
1725 rétablit ces charges et les affranchit à l'avenir de tout
droit de paulette. Les titulaires des offices créés dans
l'intervalle n'eurent qu'à verser, une fois pour toutes, le
denier vingt-cinq de leurs finances (25).
En 1737, les transmissions d'offices vénaux casuels s'opéraient
donc sans droit de mutation ou de paulette. Mais, au fur et à
mesure que l'administration recréa ces offices, ou en érigea de
nouveaux, les possesseurs furent généralement soumis à l'annuel.
Ce furent d'abord les receveurs et contrôleurs généraux des
finances; on modéra toutefois le droit en leur faveur et sans
tirer à conséquence : le receveur général ne versait ainsi que
1.000 liv. et le contrôleur 150 liv. Puis, plus tard, en
compensation de la dispense des quarante jours et de la
conservation des offices à leurs veuves ou hoirs, les titulaires
des nouveaux sièges de maîtrise et les receveurs particuliers
durent laisser un annuel fixé « au 60me de l'évaluation de la
finance au tiers », soit le 180me denier de cette finance.
Assimilés à leurs collègues de France, les receveurs et
contrôleurs généraux des domaines et bois, et les receveurs
particuliers des bois, furent dispensés du payement de tout
droit. Quant aux receveurs et contrôleurs des finances de la
seconde création, ils eurent pour le même motif l'annuel réglé
seulement « au 60me du 12me de la finance ». Mais, comme ceux du
Royaume, ils étaient assujettis en plus au prêt « sur le
quadruple de l'annuel », et à la retenue du dixième de leurs
gages. Les officiera de judicature, institués par l'édit de
1751, virent leur annuel établi au 180me de la finance avec le
prêt en proportion et la retenue du dixième. En outre, par la
déclaration du 30 octobre 1761, ils durent à chaque résignation
payer un autre droit de 8me denier avec deux sols pour livre.
En 1766, les prêt et annuel des officier de Lorraine et Barrois
formaient un objet de 52,857 liv. (26).
TROISIEME PARTIE
LES EAUX ET FORÊTS
CHAPITRE PREMIER
LES REVENUS DES EAUX ET FORETS
A côté des Impositions que nous avons classées et étudiées, des
Parties Casuelles, puis de la Ferme générale qui va nous occuper
tout à l'heure, les Eaux et Forêts étaient une des sources des
importants revenus que la France tirait des Duchés. Depuis des
siècles, les bois formaient une portion considérable du Domaine
ducal; peu à peu les souverains de Lorraine, poussés d'ailleurs
par le désir de voir prospérer leurs salines, s'étaient plu à
accroître ces riches possessions forestières. Vers 1750, sur
près de 400.000 hectares de forêts couvrant le sol lorrain, on
peut en compter 111.000 comme domaniaux, soit 556.000 arpents
(27). Durival, en 1778, évaluera, dans le même sens, à 640.000
arpents de Lorraine la superficie des bois appartenant au roi
(28). Ce vaste ensemble se résolvait chaque année en un revenu
toujours élevé, quoique fort variable par suite des ventes
extraordinaires plus ou moins forcées et de l'aléa des amendes.
Un mémoire officiel de 1746 estime ce produit, année commune,
sur le pied d'environ 678.000 livres, chiffre qui bientôt, eu
égard aux perfectionnements apportés par le Gouvernement
français dans la régie forestière, devait être de beaucoup
inférieur à la réalité (29).
C'est ainsi qu'en 1750, époque où la nouvelle organisation
française porte déjà ses fruits, les eaux et forêts font entrer
net au trésor royal 1.127.408 liv., somme à laquelle viennent
successivement s'ajouter celles du tableau suivant :
1752 - 672.281 liv.
1753 - 955.340 -
1754 - 567.622 -
1755 - 505.245 -
1756 - 562.656 -
1757 - 608.588 -
1758 - 381.387 -
1759 - 357.016 liv.
1760 - 822.685 -
1761 - 392.405 -
1762 - 436.664 -
1763 - 441.885 -
1764 - 563.978 -
1765 - 547.749 -
1766 - 645.245 liv. (30).
Ces totaux sont l'excédent de la balance établie entre les
diverses recettes effectuées, en ce qui concerne les bois des
Duchés, et les dépenses occasionnées par le personnel
administratif et les améliorations poursuivies. Du côté des
recettes sont à mentionner des articles fort différents. En
première ligne viennent les produits des ventes tant ordinaires
qu'extraordinaires faites par le grand maître en présence des
officiers des maîtrises, et comprenant depuis les adjudications
d'arbres de futaie, taillis ou chablis, jusqu'à celles plus
restreintes de hêtres pour le sabotage, des saules ou coudriers
pour la fabrication des cercles, des épines pour les rames des
champs ; les délivrances de bois aux directeurs de forges et à
ceux de diverses usines. A côté de ces produits ligneux s'en
plaçaient d'autres, dont l'importance avait fort décliné depuis
le moyen-âge, mais parmi lesquels quelques-uns, malgré tout,
n'étaient encore nullement négligeables (31). Les revenus des
carrières de pierre ou de sable ont considérablement baissé ;
c'est par exception qu'ils s'élèvent en 1756, dans la maîtrise
de Briey, à une somme de 600 livres. Il en est de même des
adjudications de pierres-meules provenant des forêts assises sur
le grès. Citons aussi celles de terres défrichées, de vaines
pâtures, de pêches, etc. Quant à l'adjudication des glandées,
elle est chose plus sérieuse; de tous temps, ces locations de
grasses pâtures, ou paissonnages, destinées à l'élevage des
porcs, avaient atteint dans la Lorraine des sommes considérables
; plusieurs règlements rendus sous Stanislas à ce sujet, nous
indiquent que la question présentait encore à cette époque un
assez grand intérêt (32). C'est ainsi qu'en 1756, la glandée,
dans les bois domaniaux de la maîtrise de Bar, rapporte 1.153
liv. ; 1.247 dans celle de Briey; 1.718 dans celle de Lunéville;
1.779 dans celle de Nancy; le siège de Sarreguemines perçoit
même 4.762 livres. Deux autres sortes de produits non ligneux
méritent de nous retenir davantage, non pas tant peut-être à
cause de leur importance intrinsèque que parce qu'ils étaient
assez spéciaux à notre région ; nous voulons parler de ceux des
chaumes et des scieries. Sous les Ducs, les chaumes et scieries
avaient toujours été comprises dans les baux de la Ferme ; mais
l'administration française étant résolue à poursuivre une
réformation générale des eaux et forêts, avait cru devoir les
comprendre dans ce département, et, dès lors, les officiers des
maîtrises avaient été chargés de leurs location et admodiation.
« On appelle chaumes », nous explique d'Audiffret dans un
mémoire, « on appelle chaumes une partie des plus hautes
mortagnes (des Vosges), au sommet desquelles il y a de fort
grands et fort riches pâturages, avec de belles et abondantes
fontaines. » (33).
De la chaume dépendait une certaine quantité de jours de pâquis
: les gazons et la vaine-pâture dans les bois domaniaux y
attenant : les répandises. C'étaient presque toujours des
Suisses ou des Allemands qui prenaient ces chaumes à ferme. Ils
y faisaient monter le bétail après la fonte des neiges, et en
descendaient à la fin de septembre. Elles dépendaient de la
maîtrise de Saint-Dié et surtout de celle d'Epinal. Parmi les
plus importantes, nous pouvons citer, entre plusieurs, la chaume
du Drumont, celle du Rouge-gazon, de la Jumenterie, du grand
Ventron, etc. En 1749, plusieurs chaumes de la maîtrise d'Epinal
étaient affermées pour 6.878 liv. ; d'autres, dans la maîtrise
de Saint-Dié, pour 1.016 liv. ; l'année précédente les chaumes
de la Bresse avaient été adjugées moyennant 2.000 livres.
Les baux des scieries, ces usines détachées de la Ferme
générale, étaient de beaucoup plus élevés. Les scieries ou scies
domaniales, établies au milieu d'essences résineuses sur de
petits cours d'eau descendant de la montagne, et qu'un seul
homme suffisait à diriger, servaient à débiter les sapins des
forêts vosgiennes. Les planches qu'elles façonnaient se
vendaient alors par foudre, c'est-à-dire par 25, et
fournissaient surtout, après les Évêchés, les marchés de
l'étranger : Trèves, les Etats du Rhin, la Hollande. Ces
scieries dépendaient presque toutes des maîtrises de Saint-Dié
et d'Epinal ; quelques-unes, de celle de Lunéville. Les scies
domaniales rapportent en 1751, par exemple, pour le ressort
d'Epinal, 1.535 liv., et pour celui de Saint-Dié, 35.012 liv. ;
l'année suivante, c'est 2.125 et 39.420 liv., en 1755, celles
dépendant de Lunéville se louent 4.500 liv. (34). Ces canons
tendirent, d'ailleurs, vers des chiffres de plus en plus élevés
ainsi que ceux des chaumes; mais ces dernières furent de bonne
heure retranchées de nouveau du département des forêts.
Outre les parts d'adjudication de possessions indivises, les
diverses redevances ou cens, le chapitre considérable des
condamnations, dommages et intérêts, le roi percevait, enfin,
une multitude de droite qui, en 1766, atteignaient environ le
dixième du revenu total des eaux et forêts. C'est ainsi que
revenait au roi, sous le nom de tiers-denier, cette perception
si ancienne en Lorraine (35), le tiers du prix des adjudications
de tout bois des forêts communales; le tiers, de même, des
adjudications de la pêche des rivières et ruisseaux communaux ;
et encore, pour abréger, ces quelques droits à titre
exceptionnel, tels que le tiers de l'adjudication des pêches
appartenant à la bourgeoisie de Sarralbe, ou, dans la maîtrise
de Briey, le même prélèvement sur un certain nombre des forêts
appartenant à des seigneurs (36).
CHAPITRE II
LA COMPTABILITÉ FORESTIÈRE.
A tous ces revenus s'opposaient les dépenses assignées sur la
recette générale des bois et les dépenses particulières à chaque
maîtrise. Les premières comprenaient : les gages,
gratifications, frais de bureau du commissaire du Conseil
préposé au département des forêts, et ceux du grand maître ; le
chauffage de l'intendant qui était de 3.000 liv. ; le chauffage
des officiers des Chambres des Comptes de Nancy et de Bar, soit
respectivement 1.728 et 1.350 liv. ; les frais d'arpentages
extraordinaires ; les taxations, enfin, du receveur général -
25.000 liv. environ - la façon des comptes, les épices, etc. ;
c'est-à-dire une somme de 68 à 70.000 liv. Quant aux dépenses
des maîtrises, elles étaient occasionnées par les gages de leurs
officiers et les taxations des receveurs particuliers, les
journées et vacations de ces mêmes officiers, le chauffage des
usagers, puis les cas imprévus ; et elles pouvaient former un
total dépassant souvent 300.000 livres (37).
C'était le personnel forestier lui-même qui, au XVIIe siècle, se
trouvait chargé de ces maniements de fonds. La séparation des
deux gestions, établie par la grande ordonnance française de
1669, fut appliquée en Lorraine durant l'occupation ; à leur
retour, les Ducs maintinrent cette utile réforme. Les finances
des eaux et forêts furent, depuis lors, confiées à différents
agents. Les receveurs des finances, créés par l'édit du 31 août
1698, eurent d'abord cette comptabilité; mais, dès le 20 janvier
suivant, Léopold établissait deux receveurs généraux de la vente
des bois, l'un à Nancy, l'autre à Saint-Mihiel (38). Lorsqu'on
1705, ce prince créa 60 receveurs des finances, le recouvrement
du produit des grueries fit de nouveau partie de leurs
fonctions. Tel était encore l'état de choses à l'arrivée de
Stanislas. En 1741, le nombre des recettes des finances ayant
été réduit à quinze, les titulaires, comme nous l'avons vu,
continuèrent de recevoir les droits et revenus des eaux et
forêts. Aux recettes correspondirent en 1747 les maîtrises. Puis
eut lieu la plus importante modification. L'édit de septembre
1749 dédoubla le personnel des finances. Les offices de
receveurs et contrôleurs généraux, créés par l'édit du 25
septembre 1737, et ceux des receveurs particuliers furent
supprimés et recréés après qu'on en eût distrait la comptabilité
forestière (39). Quinze receveurs particuliers des bois furent
dès lors, seuls chargés de faire recette du prix de ventes, tant
ordinaires qu'extraordinaires, opérées dans l'étendue de la
maîtrise répondant à leur siège, ainsi que celle des amendes et
des restitutions. Ces receveurs prêtaient serment devant les
officiers des maîtrises ; ils étaient installés par eux et
devaient être présents aux ventes et adjudications. Outre 2.000
livres de gages effectifs, ils obtenaient trois deniers pour
livre de taxation sur le prix des ventes de bois et 5 sols sur
le produit des amendes. Ils acquittaient les charges assignées
sur les maîtrises. L'argent des recettes particulières des bois
était centralisé entre les mains d'un receveur général des
domaines et bois ; cet officier percevait directement le prix
des ventes des bois des communautés séculières. Ce n'était pas
seulement, en effet, les biens fonciers de ces communautés qui
étaient sous la tutelle des officiers des maîtrises, mais les
deniers en provenant qui étaient aussi gardés dans la caisse du
receveur général des bois, d'où ils ne pouvaient sortir que sur
le vu de mandements ou ordonnances du grand maître, disposition
qui provoqua d'ailleurs des doléances nans fin de la part de
toutes les localités des Duchés. Le receveur payait directement
les charges assignées sur la recette générale. Il rendait compte
du tout par devant le Conseil des finances, après que le grand
maître avait arrêté ses registres. Cet officier jouissait d'une
taxation de 6 deniers pour livre sur le produit des ventes et
amendes, comme aussi pour la gestion des revenus forestiers
communaux ; l'arrêt du 10 juillet 1751 lui accorda de plus 5
sols sur les amendes adjugées au profit des communautés.
Les quittances délivrées aux adjudicataires des bois et les
autres pièces de comptabilité étaient contrôlées par un
contrôleur général des domaines et boit qui en tenait registre.
Nous avons dit qu'une même personne était autorisée à unir et
incorporer en une charge unique plusieurs recettes particulières
des bois, et que le receveur général pouvait même joindre à son
office, à condition qu'il en commît l'exercice à des préposés,
le nombre des recettes particulières qu'il jugeait à propos.
Tel fut, dans son ensemble, le mécanisme de l'administration
financière des eaux et forêts en Lorraine, à partir du 1er
janvier 1750. Nous ne retrouverons plus, dans le cours de cette
étude, les quinze receveurs particuliers des bois. Mais le titre
même porté par les receveurs et contrôleurs généraux « des
domaines et bois » nous indique que ces officiers avaient une
double fonction. A côté de la comptabilité forestière, et d'une
manière bien distincte, ils avaient la gestion des finances
domaniales proprement dites. C'est à ce propos que nous avons
occasion d'entrer dans plus de détails sur leur rôle. Il nous
faut désormais traiter du Domaine et des droits domaniaux
lorrains.
QUATRIÈME PARTIE
LE DOMAINE ; LA FERME GÉNÉRALE LES IMPOTS INDIRECTS.
CHAPITRE PREMIER
LA COMPTABILITE DOMANIALE ET LA FERME GÉNÉRALE.
Le mot Domaine avait en Lorraine, au XVIIIe siècle, différentes
acceptions. Sa compréhension était alors plus ou moins large,
suivant les points de vue auxquels on se plaçait. Les financiers
lui donnaient une portée bien plus grande que les légistes. Pour
eux, le Domaine est composé non seulement des terres sur
lesquelles les Ducs, puis ensuite les rois de France, ont des
droits de propriété ou de seigneurie, mais aussi de nombreux
objets de droit qu'un lien arbitraire et souvent fictif unit les
uns aux autres ; contrôle, timbre etc. Dans le langage fiscal,
on y joignait même les monopoles, les traites, et parfois, plus
exactement encore, certains impôts indirects proprement dits.
D'autre part, les bois en étaient exclus, parce que les Ducs se
les étaient réservés pour les soumettre à une administration
spéciale. Pour la commodité de l'expression courante, le domaine
désignait aussi, et plus particulièrement, la partie foncière de
cet ensemble, ainsi que les divers droits de nature féodale ;
par les domaines, on entendait, au contraire, les droits
régaliens que le souverain revendiquait sur les Duchés tout
entiers.
Nous n'étendrons point au delà de cet deux derniers sens la
signification du terme Domaine ; cette limitation correspond du
reste à celle qui lui était en général donnée dans la pratique.
SECTION I. - Comptabilité domaniale.
Durant les dernières années du régime ducal, les officiers
attachés à la comptabilité domaniale varièrent souvent. Les
receveurs des domaines, établis dans chaque prévôté, avaient été
très anciennement connus en Lorraine. Il nous reste des comptes
du domaine de Condé de 1345 (40). Les pouvoirs de ces receveurs
étaient fort considérables. Non seulement ces officiers
percevaient les deniers, poursuivaient les droits de sceau des
contrats, mais ils décernaient des contraintes pour leur
recouvrement ; ils connaissaient des infractions de nature à
léser les droits domaniaux, des contraventions aux droits de
vente et de gabelle ; il leur était même loisible de commander
les corvées nécessaires pour la réparation des biens du Domaine
(41). L'ordonnance du 31 août 1698 réduisit le nombre des
recettes domaniales à 16, n'en laissant subsister que dans les
principales villes (42). Le 1er septembre 1705, Léopold créait
60 receveurs particuliers ; les deniers domaniaux furent compris
dans leur comptabilité ; le texte portait même que ces nouveaux
officiers, ayant leur résidence « dans tous les lieux des
principaux domaines, pourroient encore dans la suite être
employés à la conservation des droits en iceux...». Mais, dès le
29 août 1718, le Duc instituait deux receveurs généraux des
domaines, gabelles et fermes, l'un ancien, l'autre alternatif,
pour faire la recette du prix du bail de la Ferme générale et
des autres baux particuliers. L'argent était centralisé dans la
caisse du trésorier général (43).
Avec l'administration française, nous avons vu l'édit du 25
septembre 1737 supprimer ce trésorier général. La comptabilité
domaniale était à ce moment confiée aux receveurs et contrôleurs
généraux des finances qui se contentaient de mentionner sur
leurs livres, parmi les autres recettes et dépenses, les
différents articles s'y rapportant. L'édit de septembre 1749
inaugura, enfin, pour la comptabilité forestière une
organisation nouvelle.
La comptabilité domaniale fut, à la fin de 1750, retirée au
personnel de l'administration financière proprement dite et
confiée aux deux receveurs généraux des domaines et bois, l'un
ancien, l'autre alternatif, créés à titre héréditaire, ainsi
qu'aux deux contrôleurs généraux. La Province était assimilée au
Royaume où ce système était suivi depuis la réorganisation de
1685. L'édit, d'ailleurs, résumait ainsi les fonctions de cet
officiers : « le tout suivant qu'il en est usé dans le Royaume
de France... ».
Chaque office de receveur général des domaines et bois fut taxé,
par un rôle arrêté au Conseil royal des finances, le 21 mars
1750, à 230.000 liv. tournois. Outre les gages proportionnés à
cette finance, 12.916 liv. de Lorraine, le receveur en exercice
recevait une taxation fixe de 1.000 liv. et divers autres sols
pour livre.
Nous avons étudié tout à l'heure le rôle de ces receveurs et
contrôleurs généraux au point de vue de la comptabilité
forestière. Il nous reste à parler de leur comptabilité «
domaniale », distincte de la première, et à laquelle des
registres spéciaux étaient consacrés. Cette comptabilité ne peut
se comparer à celle que tenait le receveur général des domaines
de 1718 ; celui-ci pouvait porter à son actif le prix de tous
les baux du Domaine avant d'en verser la somme au trésorier
général. Le nouveau receveur, au contraire, n'en touche que ce
qui lui est à peu près nécessaire pour subvenir aux dépenses.
Dans ces comptes, le chapitre du passif est, de beaucoup, le
plus détaillé et comprend différents paragraphes.
1. La conservation des possessions domaniales entraînait, en
effet, certains frais, tels ceux des grosses réparations des
bâtiments et usines, quelquefois ceux d'entretien. Ces chiffres,
on le comprend, sont des plus variables ; soit, par exemple, en
1737, 14.924 liv. ; en 1738, 37.601 liv. ; en 1744, 64.680 liv.
; en 1747, 88.568 liv. ; en 1751, c'est un total de 48.935 liv.
; 103.823 en 1760 ; 105.674 en 1765 (44).
2. Puis viennent les gages du personnel attaché à cette
administration domaniale ; ce sont les gages, taxations,
remises, épices des receveurs et contrôleurs généraux des
domaines ; ceux du procureur général de la Chambre des Comptes
29.380 liv. pour l'année 1751.
3. Les frais de procédure criminelle, ceux d'exécution, les
courses de la maréchaussée, « le pain, gîte et geôlage » des
prisonniers, grèvent le budget domanial d'une somme de 30.000 à
40.000 liv. ; 38.351 liv. en 1751.
4. C'est aussi sur les revenus du Domaine que sont payés les
appointements du Chancelier, de l'Intendant, des membres des
Conseils, des magistrats de la Cour souveraine et des Chambres
des Comptes ; les gages des professeurs de l'Université de
Pont-à-Mousson. Le Domaine est chargé de l'acquittement des
diverses fondations et pensions, en particulier de celles
établies par les Ducs et le roi de Pologne. Les rentes anciennes
et quelques rentes nouvelles sont assignées sur lui. Les
appointements, pensions et gages se montent à 98.478 liv. en
1740 ; les rentes, à 271.807 liv. ; c'est un ensemble de 405.762
liv. en 1751 ; de 495.616 liv. en 1765.
Du côté de l'actif, le receveur peut porter les droits casuels,
tels ceux de lods et ventes, d'échange, d'aubaine, de
déshérence, de bâtardise, de confiscation, d'amortissement et
nouvel acquêt; les droits de souffrance dus pour les fiefs en
roture. Mais ces sommes sont remises après un petit prélèvement
au fermier du Domaine à qui elles appartiennent.
Pour faire face aux payements qui lui incombent, le receveur des
domaines perçoit le prix de quelques petits baux particuliers,
les redevances de quelques censitaires. Mais c'est surtout par
un prélèvement ad hoc sur le prix du bail de la Ferme générale
qu'il y subvient. En 1751, le receveur n'a à mentionner comme
recette que 1.859 livres sur lesquelles 1.441 reviennent à la
Ferme. Cette dernière lui verse au contraire 521.180 liv. Le
comptable domanial avait ainsi un maniement de fonds variant
entre 500 et 700.000 liv. Il remettait directement l'excédant de
la balance au Trésor royal de France : 2.768 liv. pour 1751 ;
2.425 pour 1765.
Tous les cinq ans, les receveurs généraux devaient déposer à la
Chambre des Comptes une liste détaillée des biens et droits
domaniaux, établie sur des états particuliers fournis par les
fermiers. Ils avaient aussi pour mission de vérifier ces états
sur les papiers terriers de la Chambre, ceux du Trésor des
Chartes, et dans toutes autres archives. Quant au contrôleur
général ries domaines, sa tâche était limitée à
l'enregistrement, jour par jour, sur un registre coté et paraphé
par un membre de la Chambre des Comptes, de toutes les
quittances d'amortissements, nouveaux acquêts, droits de
souffrance, etc., ainsi que des « quittances comptables »
délivrées par les receveurs généraux aux fermiers du Domaine
pour le payement des charges locales.
Lorsque nous aurons ajouté que quelques portions de terrain,
quelques usines, étaient l'objet de baux ou d'ascensements
spéciaux, nous pourrons dire, d'une façon générale, qu'à partir
de 1737 tous les produits du Domaine furent compris dans le bail
de la Ferme. L'exception alla du reste en se restreignant de
plus en plus. Si, en 1740, nous trouvons encore 7.410 livres
comme prix des fermages ou ascensements particuliers
n'intéressant point la Compagnie, 8.330 liv. en 1749, ce n'est
plus que 418 liv. en 1751, 642 liv. en 1760 et 250 liv. en 1765.
SECTION II. - La Ferme générale.
Tout ce qui concernait les revenus de la Lorraine était jugé à
Versailles de trop grande conséquence pour qu'on ne s'y occupât
point, dès 1737, de l'importante question de la Ferme générale
des Duchés. Les modifications apportées sur ce point par
l'administration française peuvent se résumer ainsi : réunion
effective de la Ferme de Lorraine à celle de France; adjonction
à la Ferme générale des petites Fermes et des parties en régie ;
élévation du prix du bail.
Y avait-il un intérêt sérieux - outre l'occasion qui se
présentait de contribuer à l'oeuvre d'assimilation - à fusionner
la Ferme de Lorraine avec celle de France ? Telle fut la
question que, dès la prise de possession, le ministère
approfondit longuement. Un examen minutieux montra qu'une
réforme était urgente. La situation des Duchés par rapport aux
Évêchés, à la Franche Comté et à la Champagne avait été
jusqu'alors très préjudiciable aux intérêts des fermiers de
France. Ceux de Lorraine encourageaient de leur mieux les
versements qui s'opéraient incessamment des régions frontières
dans le Royaume. La remise de la Ferme ducale aux mains des
fermiers français ferait cesser cet état de choses ; le bénéfice
des tabacs et de la gabelle augmenterait aussitôt par la
consommation plus considérable qui aurait lieu dans les
provinces voisines de la Lorraine et du Barrois; là, en effet,
ces produits se vendaient le double plus cher ; de sorte qu'en
supposant que, par la suppression des versements, la Ferme de
Lorraine diminuât de 300.000 liv., celle de France augmenterait
de 600.000, ce qui finalement donnerait un gain supplémentaire
de 300.000 livres (45).
Le dernier bail de la Ferme de Lorraine avait été fait le 2 mars
1730, au nom de Pierre Gillet, à dater du 1er janvier suivant,
et pour une période de 9 années. En attendre l'expiration sembla
trop long. Le 6 septembre 1737, un arrêt du Conseil des finances
résilia ce traité, à partir du 1er octobre, pour les 2 ans et 3
mois qui restaient à courir. Cette mesure catégorique suscita
les plaintes de la Compagnie à laquelle le Conseil de France dut
accorder une indemnité de 300.000 liv. (46). Un nouveau bail fut
passé sous le nom de l'adjudicataire Philippe Le Mire, bourgeois
de Lunéville. La durée en fut fixée exceptionnellement à 7 ans
(47). Cette disposition avait pour but de faire coïncider le
renouvellement de ce bail avec celui de la Ferme de France, au
1er octobre 1744. De ce moment, chaque nouveau bail fut de six
années et la concordance devint complète. La distinction entre
les deux Fermes est désormais toute de nom et de forme.
L'adjudicataire spécial, conservé quelque temps, devait être à
son tour supprimé; les fermiers ne préposeront plus pour la
passation du traité de Lorraine un homme de paille différent de
celui qu'ils font figurer dans le bail de la Ferme de France.
L'institution de la Ferme générale avait été importée en
Lorraine au siècle précédent par les agents français, durant
l'occupation. Léopold l'avait conservée. Cette Ferme ne comprit
dans le début qu'une partie du domaine ainsi que la gabelle;
telle nous la voyons en 1698. Le Prince y réunit successivement
diverses fermes particulières; ce fut, par exemple, en 1720,
celle des tabacs, la plus productive de toutes. En 1737, il
restait peu de chose à faire pour compléter cette
centralisation. Le fait le plus notable fut la cession aux
fermiers généraux de nombreuses parties du domaine foncier
jusque-là en régie.
Pour établir le prix du nouveau bail, on dressa la liste de tous
les articles qu'il devait comprendre ; on fit la somme de leurs
produits évalués par à peu près. Finalement on arriva à ce
résultat :
Domaine et droits domaniaux seigneuriaux (y compris ceux réunis)
808.406 liv. de Lorraine.
Droits domaniaux régaliens. Marque des fers. Châtrerie. 263.000
-
Produit des trois salines de Lorraine, Dieuze, Château-Salins et
Rosières (dépenses déduites). 1.848.390 -
Tabacs 270.000 -
Foraine. 120.000 -
Prix du bail des postes et messageries 25.833 -
Soit un total de 3.336.529 liv. de Lorraine.
C'est d'après ces données que le chiffre fut fixé à 3,300.000
liv. par an. Il semble qu'ainsi il n'ait dû rester aux fermiers
que 35.629 liv. pour les frais de régie. Mais nous venons de
voir quel avantage la Compagnie retirait déjà de la réunion des
deux Fermes. Ces calculs d'ailleurs n'étaient que très
approximatifs ; l'expérience le montra bientôt. Bien que sur les
revenus du domaine, la Ferme trouva immédiatement une
augmentation de 91.000 liv., et une de 160.000 sur les traités
qu'elle passa pour la vente étrangère des sels, sommes qui sont
bien inférieures encore à celles auxquelles elle devait arriver
par la suite (48).
Voici, avec le nom des adjudicataires, la série des différents
baux sous le règne de Stanislas :
Régime ancien.
1er Janvier 1731, résilié le 30 sept. 1737 - Pierre Gillet
2.600.000 l.
Régime nouveau.
1er octobre 1717, résilié le 30 sept. 1744 - Philippe Le Mire
3.300,000 l.
1er octobre 1744 au 30 sept. 1750 - Jean Duménil 3.300.000 l.
1er octobre 1750 - 30 sept. 1756 - Louis Dlétrich 3.334.500 l.
1er octobre 1756 - 30 sept. 1762 - Jeau-Louis Bonnard. 3.334.500
l.
1er octobre 1762 - (1768) - Jean-Jacques Prévôt, adjudicataire
de la Ferme de France 3.389.075 l.
Dans ce tableau, ce qui frappe au premier coup d'oeil, c'est une
surélévation immédiate de 700.000 liv.; puis une seconde
augmentation de 34.500 liv. en 1750 ; une troisième de 54,575 en
1762. Sur la simple comparaison de ces chiffres, la Chambre des
Comptes de Bar établissait que, depuis 1737 jusqu'en 1762,
l'administration française avait tiré de la Lorraine, par le
moyen de la Ferme générale et au delà de ce que la Province eût
fourni sous le système précédent, 19.214.000 liv. (49). Ce
raisonnement, il faut l'avouer, est très défectueux.
Volontairement ou non, le rédacteur du mémoire oublie que
plusieurs biens et droits autrefois objets d'exploitations
distinctes ont été compris dans le bail de Le Mire et dans les
suivants. Les chaumes et les scieries, il est vrai, en furent en
même temps retranchées pour être comprises dans le département
des forêts; mais l'article des domaines fut à lui seul complété
par des parties d'un produit de 340.000 liv. environ. Ceci
restreint déjà les affirmations de la Chambre et nous montre que
l'augmentation réelle fut beaucoup plus modérée. Les mêmes
motifs et les mêmes tendances n'avaient-ils point causé une
pareille progression dans les prix des baux de la Ferme passés
successivement par les Ducs ? Pour ne prendre comme exemple que
le dernier règne, le bail de Bonnedame, en 1720, avait été
conclu moyennant 1.300.000 liv. Celui de Gillet, en 1731, pour
une somme exactement double. Quant aux 34,500 liv. demandées en
surplus aux fermiers généraux, à partir de 1750, elles
s'expliquent par différentes petites réunions qui avaient eu
lieu dans l'intervalle, et surtout par la restitution à la Ferme
de la régie des chaumes des Vosges qui étaient alors d'un
important revenu.
Malheureusement la moindre élévation du prix du bail avait un
retentissement singulier sur les petites perceptions opérées par
les agents subalternes. Elle allait s'aggravant à travers les
opérations de toute une hiérarchie de traitants. Ce fut surtout
cette ardeur au gain, cette habileté toujours en éveil de chacun
des fermiers, sous-fermiers et employés, qui pesa lourdement sur
la Lorraine à partir de 1737. Nous aurons l'occasion, en les
voyant à l'oeuvre, de constater combien ces gens dépassèrent les
exigences de leurs devanciers. Eux-mêmes, ils nous déclarent que
leurs prédécesseurs ont fait preuve d'une bienveillance et d'une
négligence qui les font sourire. Pour tirer jusqu'au dernier
denier des objets compris dans son bail, la Ferme de France
possédait des moyens d'action que n'avait point eus celle de
Lorraine. Pour étendre la portée de ses droits, elle avait la
protection tacite et souvent les encouragements des ministres
qui ne lui laissaient que trop voir combien on eût craint à
Versailles et à Paris de lui déplaire. Les bénéfices réalisés
par la Compagnie, enfin, autrefois consommés dans les Duchés, ne
devaient plus être d'aucun profit pour le pays d'où ils
sortaient aussitôt.
Jusqu'en 1750, le prix intégral du bail fut versé chaque année
entre les mains du receveur général des finances, en quatre
payements égaux. Après la réforme dans la comptabilité, la Ferme
acquitta directement la pension de 2.583.333 liv. que faisait la
France au roi de Pologne, ainsi que les rentes que se
constituait Stanislas au fur et à mesure des économies qu'il
réalisait, et qu'il plaçait sur la caisse du Royaume. Par suite,
il ne restait guère que la somme nécessaire pour subvenir aux
charges assignées sur le Domaine; elle était remise au receveur
des domaines et bois, de trois mois en trois mois, au nom de
l'adjudicataire, et finalement le surplus de cette somme était
envoyé par la recette générale des domaines et bois au Trésor
royal.
Les fermiers généraux de France désignaient toujours un ou deux
des leurs pour s'occuper d'une façon spéciale de leurs intérêts
dans la province Ces délégués y faisaient de longs séjours,
entretenaient une correspondance suivie sur cet objet et
prenaient le titre de « fermiers généraux de Lorraine ». Parmi
eux, nous avons surtout à nommer Dupin, Jean-François de la
Borde, puis de Verdun et Alliot. En 1745, Helvétius était en
cette qualité en tournée dans les Duchés (50). Le personnel
supérieur préposé par les fermiers varia souvent d'importance de
1737 à 1760. Au complet, il se composait : d'un directeur des
domaines et droits domaniaux ; d'un directeur de la gabelle ;
d'un directeur de la régie des tabacs et des brigades ; d'un
directeur des péages et de la Foraine. Puis venaient un caissier
général et un agent principal. Le Conseil de la Ferme se
réunissait tous les quinze jours (51).
Un instant à Lunéville, la direction fut bientôt transportée à
Nancy. En octobre 1756, elle fut finalement installée dans un
somptueux hôtel qu'à l'instigation de Stanislas, le fermier
général de la Borde avait fait construire sur la place Royale
pour le compte de la Compagnie, et qui est aujourd'hui l'évêché
(52). Que dire des multiples agents secondaires : directeurs,
receveurs des bureaux particuliers ; des contrôleurs et
receveurs ambulants, des procureurs spéciaux, des inspecteurs,
charges, pour la sauvegarde des droits de la Ferme, de visiter,
non seulement ses bureaux, mais aussi les greffes et les études
d'instrumentaires ; agents actifs qui, pour exercer leurs
fonctions, devaient au préalable foire enregistrer leur brevet à
la Chambre des Comptes ? C'était encore, en sous ordre, de
petits employés, de simples commis, des hommes de brigade, dont
le nombre était immense et qui étaient disséminés sur tous les
points de la Province. Nous ferons plus ample connaissance avec
eux dans la suite de cette étude; leur histoire est étroitement
liée à celle des droits et impôts indirects tirés de la Lorraine
depuis 1737. Si, parfois, dans la nomenclature que nous allons
donner, il semble que la Ferme n'intervienne plus, ce n'est
qu'une apparence; il est des droits dont la Ferme n'a point
l'exploitation, mais dont, cependant, elle peut toucher le prix
du bail; il est des parties nouvelles en régie; mais, pour cette
régie, la Ferme doit prêter ses employés ; dans tous les cas,
les fermiers généraux sont intéressés secrètement aux opérations
des compagnies particulières qu'ils soutiennent de leurs fonds.
CHAPITRE II
LE DOMAINE FONCIER ET LES DROITS DOMANIAUX SEIGNEURIAUX.
Le sol domanial lorrain peut être évalué à l'époque qui nous
occupe à environ le sixième du territoire des Duchés. Dans peu
de provinces, la domanialité foncière atteignait cette
proportion. Parcelle par parcelle, avec une persévérance
jalouse, les Ducs avaient formé et incessamment agrandi leur
riche héritage. Les calamités qui désolèrent le pays au XVIIe
siècle avaient même accru ces possessions. Léopold, en effet,
put opérer, par droit de déshérence, de multiples réunions dans
un Etat que la guerre et la misère avaient dépeuplé. Il est vrai
qu'en même temps, le Prince entamait amplement son patrimoine
par des aliénations et des largesses qui tinrent souvent de la
prodigalité. Mais, après sa mort, la Régente et son fils,
d'esprit plus positif, revendiquèrent le principe de
l'inaliénabilité des biens de la couronne. Nombre de vassaux
jouissaient de propriétés ducales comme des leurs propres.
François déclara qu'une privation plus longue de ces biens le
mettrait hors d'état de satisfaire aux charges que la justice et
l'honneur réclamaient de lui. L'édit du 14 juillet 1729 révoqua
toutes les aliénations de terres, seigneuries, droits divers,
faites depuis 1697 ; ces biens furent de nouveau incorporés à la
couronne (53). L'administration française trouva ainsi, en 1737,
le domaine lorrain dans sa belle intégrité.
L'ensemble de ce domaine que nous pourrions, à la suite de
quelques légistes, appeler domaine corporel, comporte, au point
de vue de ses différents caractères et des ressources qu'il
procurait au Trésor, plusieurs grandes divisions.
A la rigueur, il faudrait mentionner :
A. - Le domaine improductif qui comprenait, avec ce qu'on est
aujourd'hui convenu de nommer le « domaine public de l'Etat »,
un certain nombre d'édifices et de terrains affectés à des
services d'intérêt général ainsi que des portions du sol
domanial qui, pour une cause ou une autre, n'étaient point
exploitées.
B. - Le domaine forestier, d'une étendue d'environ 550.000
arpents - et auquel furent jointes les scieries en 1737 et les
chaumes de 1737 à 1750 - devrait aussi, par essence, occuper une
place prépondérante dans cette nomenclature ; mais, détachées du
reste du domaine pour être l'objet d'une administration et d'une
comptabilité distinctes, les forêts n'étaient pas censées faire
partie de ce que, dans le langage courant et fiscal, on
entendait par domaine.
Etaient, au contraire, toujours classés parmi les éléments du
domaine lorrain, et, seuls compris, mais au premier rang, dans
le bail de la Ferme générale :
C. - Les usines domaniales, objets de baux ou d'ascensements
temporaires moyennant un canon payable en argent.
D. - Le domaine engagé ou ascensé, objet de champarts, rentes,
directes censuelles et autres redevances foncières.
E. - Les seigneuries domaniales d'où découlaient de nombreux
droits de nature féodale.
SECTION I. - Le domaine foncier.
1° Les usines domaniales. - Sous le nom d'usines, plus
exactement « usuines », on désignait alors dans les Duchés, non
seulement les exploitations industrielles ou agricoles relevant
du Domaine, mais toutes les portions foncières de ce Domaine
susceptibles de revenus variables et, à cet effet, affermées ou
ascensées pour un canon plus ou moins proportionné à leur
valeur. Une partie de cours d'eau domanial, affermé en vue de la
pêche, est, dans ce sens, une « usine » au même titre qu'une
verrerie ou qu'une forge. L'ascensement, par opposition au bail
à ferme ordinaire, indiquait, par la modicité du prix, une
faveur du souverain à un particulier ou un encouragement de
l'administration pour quelque branche d'industrie. Les usines se
distinguaient généralement de la façon suivante :
a) Bâtiments domaniaux. - C'était tout d'abord quelques
édifices, des maisons d'habitation, des granges, des hangars,
loués par la Ferme à des communautés ou à des sujets ; mais
surtout : des moulins, des fours, des pressoirs. La Ferme
générale disposait de moulins à eau et de quelques moulins à
vent dans plus de 400 localités de la Lorraine et du Barrois.
Elle avait les fours banaux d'environ 80 communes ; les
pressoirs de plus de 60 villes et villages : tels les 5
pressoirs de Neufchâteau ou les 19 de Bar. La Compagnie
exploitait plusieurs ponts domaniaux en y percevant des péages
(54).
b) Exploitations agricoles et autres. - En plus de divers
terrains destinés à la culture, la Ferme générale comptait dans
son bail une trentaine de censes et de vastes marcairies. La
cense de Saint-Charles, près de Nancy, atteignit un loyer de
4.386 livres.
Nous savons que les chaumes avaient été retirées à la Forme dans
l'intérêt de la réformation des bois ; ce fut l'intérêt des
fermiers qui fit reprendre, en 1750, l'ancien système, afin que
l'adjudicataire pût être assuré, comme le porte un arrêt
postérieur, « de la consommation du sel qui entre dans la
fabrication des fromages ».
Les ruisseaux, rivières et surtout les étangs étaient d'un
revenu peu négligeable. On voyait alors sur le territoire de la
Province un peu plus de 110 étangs domaniaux. Les baux des 96
sous-fermés formaient à eux seuls un total de 76.000 livres.
c) Usines proprement dites. - Au troisième groupe correspondent,
enfin, les usines proprement dites, c'est-à-dire, entendues dans
le sens plus restreint que nous donnons aujourd'hui à ce terme :
les exploitations industrielles. Appartenaient au Domaine, des
scies qui n'étaient point confiées à la gestion des maîtrises,
des foulants, des tuileries, des huileries, etc. Puis des usines
plus importantes, comme des verreries, des papeteries, des
forges, sous-fermées ou souvent cédées à des entrepreneurs et
manufacturiers pour un cens modique qui revenait a la Ferme.
En 1766 le produit de toutes ces usines pouvait être évalué à
530.000 liv. ; 425.800 pour les sous-fermages et 104.100 pour
les ascensements.
Les grosses réparations étaient à la charge du roi, la Ferme ne
subvenant qu'aux frais de l'entretien et des menus travaux. Un
inspecteur général des bâtiments et usines du domaine de
Lorraine et Barrois en avait la surveillance : il dressait les
devis, faisait les visites nécessaires et une tournée complète
au moins une fois chaque année. Ce fonctionnaire, aux gages de
1.500, plus tard de 2.500 liv., était secondé par les
sous-ingénieurs et inspecteurs des ponts et chaussées qui
tenaient lieu d'inspecteurs particuliers dans leurs
arrondissements respectifs.
Les sources salées et le matériel servant à la fabrication du
sel, les premières usines de Lorraine incontestablement, ne
rentrent point dans ce que nous venons de dire. L'importance des
salines exigeait qu'elles eussent leurs inspecteurs et
architectes spéciaux ; leur revenu dépassait de beaucoup la
somme de ceux de toutes les autres usines.
Les mines qui, au sens rigoureux du terme, étaient aussi des
usines domaniales, n'étaient point comprises, par exception,
dans le bail de la Ferme générale. Elles étaient cédées par le
souverain à des compagnies particulières moyennant un
prélèvement annuel sur leurs produits. Mais, par suite de
diverses circonstances, et pour l'encouragement de cette
industrie, les « entrepreneurs » des mines furent généralement
dispensés sous Stanislas du payement de tout droit. Aussi, cette
partie ayant été, durant notre période, d'un revenu négligeable
pour le Trésor, ne nous occupera-t-elle point ici.
2° Domaine engagé. - Censives domaniales. - C'est par centaines
que l'on pourrait compter les parcelles de terres, prés, vignes,
les portions de cours d'eau engagées ou concédées antérieurement
à 1697, qui continuaient de rapporter à la Ferme des champarts
ou terrages : réseaux de blé, « fourches de foin, bichets
combles d'avoine », etc. ; des rentes en deniers et autres
redevances foncières. Plus nombreuses encore celles grevées, en
vertu de la directe censuelle, de diverses prestations en nature
: chapons, gélines, poivre, lin, cire, etc. Les mutations entre
vifs de ces héritages donnaient lieu aussi, au profit de la
Ferme, à la perception des droits de lods et ventes.
SECTION II. - Les droits domaniaux seigneuriaux.
Substitué aux Ducs, le roi de France se trouvait, en 1737,
seigneur d'une bonne partie du territoire lorrain. Des prévôtés
entières relevaient de sa haute, moyenne et basse justice. La
Ferme avait, par cola même, la jouissance d'une si grande
quantité de droits seigneuriaux qu'une classification méthodique
en serait difficile et une énumération complète impossible.
Nous nous contenterons de donner une idée de cette diversité qui
permettait aux fermiers de se dresser en tous lieux et en tous
moments devant l'habitant de la Province pour lui demander
quelque rétribution et prélever leur part sur ses plus petits
profits.
a) Voici tout d'abord la taille seigneuriale, les corvées et les
dîmes. A Saint-Agnant, la taille seigneuriale se nomme grosse
taille et est « fixée et abonnée » à 240 francs (55). Dans la
prévôté de Château-Salins, il faut distinguer la taille de
Pâques et celle de la Saint-Remy. La Ferme est décimateur en
maints endroits, soit des grosses, soit des menues dîmes ; elle
retient, par exemple, le douzième des pâtes qui se cuisent au
tour d'Ancerville. Ici, elle commande la corvée en nature ; là,
elle l'exige en « argent de rachat ». C'est pour elle, et par
corvées, que les gens de Lindres ou ceux d'Assénoncourt sont
obligés de conduire l'alevin aux bassins d'alevinage et d'aller
rechercher les jeunes carpes pour entretenir les grands étangs.
b) Les droite de bourgeoisie et autres redevances sur les
conduits ont des dénominations très variables : à Crévèchamps,
chaque conduit doit 3 gros dits droit de feu ; à Théding, deux
poulet de feu : à Glonville « une poule, deux poulets et deux
gros d'argent ». Ailleurs, c'est le droit de cheminée : à
Mousson, le droit de bourgeoisie, qui se paye un gros par tête.
c) Droits sur les nouveaux entrants. - A Nancy, la terme prélève
un tiers du droit appelé aussi droit de bourgeoisie, soit 20
livres sur toute personne non noble ou privilégiée qui vient
s'établir dans la ville ou les faubourgs. Les nouveaux entrants
lui doivent 2 fr. 0 gr. à Bruyères, 0 fr. à Crévèchamps, 10 fr.
à Amance ou à Pont-à-Mousson. A Mousson, c'est le droit de
bienvenue fixé à 5 fr.
d) Le droit de revêture, en argent ou en pots de vin, est dû par
ceux qui héritent de biens immeubles ou en achètent.
e) Il est au profit de la Ferme des droits sur les bestiaux
comme sur les gens. Ici, c'est le droit de troupeau à part :
Apremont, Pont-à-Mousson ; à Château-Salins, le droit de
marcairerie et de bergerie. Là, le droit de bête tirante ou
celui de vache ; ou bien encore comme à Abbéville et dans le
Toulois : les poules d'assises.
f) Droits sur les métiers. - A Pont-à-Mousson quiconque se fait
recevoir maître paye un droit de han à la Ferme, depuis les
bouchers qui ne lui doivent que 9 francs, jusqu'aux tanneurs qui
sont taxés à 35 francs. Dans la même ville, il faut distinguer
le droit d'enseigne qui est de 10 francs de celui de bouchon qui
est de 5 francs et de celui de rôtisserie qui ne produit qu'un
franc. Le droit de taverne ou de cabartage est de 5 francs à
Mousson ; du double à Bruyères ou à St-Agnant ; à Crévèchamps «
quiconque met nappe » doit également 10 francs. Vézelize connaît
les droits de boucherie et de tuerie ; dans une partie de la
prévôté de Badonviller, le droit de jouer de la musique se paye
10 francs par instrument.
Les petits commerçants, les laboureurs qui vont au marché
voisin, sont souvent mis à contribution, - nous ne parlons pas
ici des deniers de la Foraine ou de ceux des octrois municipaux.
Peut-être sur leur route ont-ils eu quelques ponts à franchir.
C'est alors :
g) Le droit de passage. - Tout char traversant la Moselle à
Pont-à-Mousson doit 3 gros, et toute charrette, moitié.
Il leur en coûtera, sans doute, aussi quelque menue monnaie
avant de s'installer sur la place publique, en raison des :
h) Droits d'étalage et droits sur les foires. - Dans certaines
localités chaque pièce de bétail introduite doit en arrivant le
pied-fourché. A la foire de Vézelize un tarif détaillé prévoit
ce qui sera perçu sur tous les objets, depuis la tonne de
harengs jusqu'à la « paire de chaussettes à l'usage de femmes»,
la serpe, le cuveau, le peloton de fil. La Ferme n'aurait garde
de ne point aussi prélever quelques poignées de leurs grains ou
de leurs légumes, par suite du droit de coupel ou coupillon ;
elle en prendra le quarantième à Lunéville, à Dieuze, à St-Dié ;
le trente-deuxième à Charmes. A ce vigneron, elle demandera une
chopine par tonneau du vin. J'oubliais le droit de caphouse se
décomposant lui-même on droit de dépôt des marchandises et en
droit de poids ; la Ferme le perçoit dans les principales villes
: à Lunéville, à Vézelize, à Ste-Marie-aux-Mines, etc.
i) Les monopoles seigneuriaux, d'un faible rapport pour la
Ferme, causent cependant bien des ennuis. Dans chaque localité
relevant du Domaine tous les vins et liqueurs vendus, en gros ou
en détail, sur les foires ou dans les maisons, doivent avoir été
mesurés exclusivement par le jaugeur domanial, moyennant 2 sols
par pièce. A Pont-à-Mousson, avant de rentrer son bois de
chauffage, il faut aller prévenir le cordeur domanial à qui on
donnera 6 gros par corde. Les gens de Munster sont censés
balayer leurs cheminées quatre fois par an ; les habitants
doivent à cet effet 10 sous par cheminée, à la Ferme, pour droit
de ramonage. Mais arrêtons-nous là ; laissons de côté les
redevances dites de la faux, du puisage, des brindilles, etc ;
tout ce qui se perçoit encore sous tant d'autres noms dans toute
la Province.
Il n'est pas de trop petit profit pour la Ferme ; c'est elle qui
à St-Dié fait payer la permission de lever les guenilles ; elle
y demande, le mardi gras, à chaque boucher, une livre de la
viande qu'il vient de tuer, et au corps des merciers une livre
de poivre par an. A Bruyères, où elle est amodiatrice des
foires, les pêcheurs lui apportent tous les vendredis « une
pinte de truites et poissons gentils ». La commune de Plombières
lui doit une livre de cire pour cause de garde. La veille de
Noël, tes propriétaires de chevaux de St-Agnant lui donnent
chacun une bûche ; le lendemain de cette fête, ce sont les
habitants de Bisten qui lui apportent un porc d'un an appelé
bruling ; à Pâques, le maire de Coume lui sera redevable d'un
cabri et d'un cent d'oeufs ; à la Quasimodo, les laboureurs d'Apremont
mettront de côté, à son intention, 600 paisseaux propres à la
vigne. Dans l'office de Bouzonville, elle ne dédaignera point
les 3 francs d'argent qu'elle reçoit parfois pour le « porc du
marié ».
A Crévèchamps, la Ferme prend le tiers des émoluments communaux
; plus loin, elle installe le maire, le greffier et le sergent.
A Heckling, elle peut compter, entre autres redevances
annuelles, sur 26 chapons, 52 poules, 3 livres de poivre et un
schafftgueldt de 9 francs barrois ; à Munster, au schafftgueldt
s'ajoute le frohngueldt.
Bref, toutes les anciennes tailles et prestations seigneuriales,
que, peu à peu, les Ducs, par acquisition, déshérence,
confiscation, réunions arbitraires, avaient rattachées à leur
Domaine - beaucoup aux noms étranges et aux formes surannées,
ayant conservé pour la plupart leur ancien mode de perception,
leurs échéances à date fatidique, et souvent ayant perdu toute
signification - répondent ainsi à l'appel. Un plusieurs endroits
où se dressaient d'antiques châteaux, totalement ruinés, les
habitants connaissent encore les droits de guet, de curage des
fossés. Le manoir de Mousson est démantelé depuis 1636 et n'est
plus, selon l'expression des registres du Domaine, qu'une masure
; le bourg payera encore à la mort de Stanislas 5 francs barrois
comme droit de guet.
Bien fastidieux serait l'amusement consistant à additionner
toutes les têtes de volailles : chapons, gélines, oies, toutes
les douzaines d'oeuf, toutes les livres de lin (prévôté de
Châtel), de cire, de poivre, que la Lorraine payait encore
telles quelles en ce milieu du XVIIIe siècle ; le résultat
toutefois ne serait pas sans réserver quelque surprise.
La Ferme générale jouissait encore de divers « droits
seigneuriaux casuels » qui tendaient de plus en plus à prendre
l'extension de véritables droits régaliens : épaves, amendes -
principalement celles pour mésus champêtres - confiscations,
déshérences, aubaines, bâtardises. Elle poursuivait le
recouvrement des meubles qui, dès lors, lui appartenaient en
toute propriété et avait la jouissance des immeubles. En retour,
elle subvenait aux frais de desserte de quelques églises
(portions congrues, livres, ornements) dont pouvait être chargé
le Domaine; elle avait l'entretien et la nourriture des bâtards
et enfants trouvés, jusqu'à l'âge de 10 ans inclusivement, à
l'exception de ceux de la ville de Nancy.
Pour dresser, en 1742, le pied-terrier du domaine de Lorraine et
Barrois, il ne fallut pan moins de quatre gros et pesants
in-folios d'un total de plus de 3.200 feuillets. La seule
énumération des usines domaniales comprenait, en 1766, 918
articles. Dans les 3.300.000 liv., prix du bail de la Ferme, cet
ensemble était évalué à 808.406 liv. ; mais son produit réel
était bien supérieur; « ...vos domaines, sire, » disait la
Chambre des Comptes dans ses remontrances de 1761, « sont
confondus et laissés avec les autres droits et objets de la
Ferme générale.... Cette seule partie est sous-fermée pour une
somme de 902.429 liv. 3 s. 4 d.; savoir 618.050 liv. pour ce qui
est en Lorraine, 231.279 liv. 3 s. 4 d. pour le Barrois mouvant
et non mouvant, et 53.100 liv. pour ce qui est mi-parti.Le
bénéfice des sous-fermiers, sur le pied d'un dixième à peu près,
peut porter cet objet à 1.100.000 liv. de revenu effectif. »
(56).
SECTION III. - Les sous-fermiers du domaine.
On pense bien que, pour l'exploitation d'une telle somme de
biens et de redevances, la Ferme avait besoin d'auxiliaires
allant se subdivisant à l'infini. Les fermiers généraux
sous-fermaient tout d'abord à une Compagnie dont le représentant
s'intitulait : fermier des domaines de Lorraine et Barrois, et
qui avait aussi la gabelle. Le fermier des domaines passait
lui-même un certain nombre de baux généraux à d'autres
sous-fermiers, et ainsi de suite. Sous le bail de Prévôt, ces
sous-fermes au deuxième degré correspondent, au point de vue du
territoire, à 7 grandes divisions : sous-fermes de Nancy, de la
Voivre, du Barrois, de la Vôge, du Bassigny, de la grande et de
la petite Lorraine allemande, comprenant à leur tour : 61, 96,
120, 59, 195, 49 arrière sous-fermes qui, elles aussi, donnaient
naissance à des baux d'un ordre inférieur. C'est ainsi que dans
la sous-ferme de Nancy, le sous-fermier de Lunéville commet dans
cette localité un fermier des droits de vente et de poids, un
fermier du droit de jauge, un fermier du droit de coupel, un
autre du droit de passage, etc. (57).
Dans ce fractionnement continuel des droits des spéculateurs où
il s'agit pour les uns d'affermer le plus haut possible et pour
les autres de dépasser de beaucoup le prix du traité, c'est à
qui se montrera et le plus clairvoyant et le plus impitoyable.
De 1737 à 1766, ce fut, sur le pays lorrain, sous la haute
protection de l'administration française, une véritable curée de
ces traitants au petit pied : leur avidité ne recule devant
aucun effort ou aucune impudeur.
Par les soins de l'Intendant, le Conseil des finances ordonne à
plusieurs reprises la représentation des titres d'ascensement
dans un court délai, sous peine de réunion. Or, il y a toujours
quelque censitaire manquant à l'appel, et la Ferme est là pour
pousser le Conseil à se montrer inflexible. Le domaine
s'enrichit de diverses réunions importantes, telles, en janvier
1752, celle du droit de jauge et de la moitié du droit de
nouveaux entrants à Rosières, ou celle, en août 1785, des halles
de Vézelize. Mais ne n'est point suffisant. Une prime est
accordée au zèle infatigable des fermiers. Ceux d'entre eux qui
parviennent à joindre au domaine quelque bien ou droit, soit
usurpé, soit négligé, jouissent de la moitié du produit pendant
les trois années qui suivent l'expiration de leur bail. Ils ont
accès dans les archives ; ils y opèrent de longues recherches
ayant pour résultat la résurrection d'une quantité de
prestations tombées dans l'oubli. Les pieds terriers
s'augmentent ainsi incessamment de nouveaux articles, et des
localités libres, depuis près d'un siècle, de charges
fastidieuses s'y voient de nouveau assujetties. Nous ne voulons
pour exemple que ce qui arriva à Lunéville. Les fermiers ont
exhumé un titre de Charles III, de janvier 1574, établissant
dans cette ville le droit de vente ; un autre organisant le
droit de poids. Les derniers fermiers lorrains ne percevaient
plus ces droits. L'arrêt du Conseil, du 5 septembre 1752,
restaure l'ancien état de choses; une caphouse est reconstruite
: c'est là exclusivement que les marchands forains déposeront
leurs marchandises, moyennant le droit de garde, et les feront
peser. Ici aussi, tout habitant devra se rendre pour les pesées
supérieures à 25 livres. Dans tous les cas. il est défendu aux
possesseurs de balances et de poids de prêter ces instruments,
fût-ce pour la plus légère évaluation, car ce serait léser les
intérêts du fermier. Grâce à une autre ancienne ordonnance, le
droit de passage est à son tour remis en vigueur ; il en est de
même pour le droit de péage et port sur le pont de Viller ; un
tarif minutieux a de plus fixé les redevances sur la plupart des
marchandises se vendant dans la cité. Le droit de coupelle,
enfin, était devenu très minime à Lunéville : on le régularise
et on en étend la portée ; au point de vue de ses franchises, la
résidence ducale recule de près de cent ans en arrière. C'est
l'histoire de Saint-Dié, de Dieuze, de Vézelize, de Blâmont, de
Sainte-Marie-aux-Mines, de nombreuses communautés qui refont
connaissance avec des vexations qu'elles croyaient à jamais
abolies. En 1754, le fermier du droit de poids à Mirecourt,
engage une lutte violente avec le corps des marchands et les
officiers de l'hôtel de ville ; il veut que l'arrêt rendu en
faveur de son collègue de Lunéville lui soit commun ; il
triomphe après une instance qui dure plus de trois ans. En 1758,
le fermier de Blâmont invoque le même précédent ; il l'emporte à
son tour ; d'autres ne tardent pas à les imiter. Il est
d'ailleurs un moyen infaillible pour réussir : un traitant
sous-ferme à un autre quelque vieux droit tombé en désuétude ;
le compère s'intitule fermier de ce droit, puis semble très
étonné de n'en plus trouver trace ; il le revendique à grands
cris et le tour est joué !
C'est aussi à qui des fermiers disputera aux villes leurs droits
d'octroi : les difficultés au sujet des droits de passage et de
mentie vente payés aux portes de Nancy durent plus de huit
années. Ce sont les mêmes procès sans fin avec les seigneurs,
les censitaires ; beaucoup sont condamnés à se désister ou à
payer davantage. Le Conseil des finances donne presque toujours
raison aux fermiers ; plusieurs arrêts très justes de la Chambre
des Comptes sont successivement annulés en leur faveur (58). La
Cour Souveraine met « au nombre des contributions les plus
pesantes celles qui dérivent de l'extension des droits accordés
aux traitants » (59).
(A suivre) |