CHAPITRE
III
DROITS DOMANIAUX REGALIENS.
Les divers droits rentrant dans cette catégorie étaient connus
dons les Duchés bien avant 1737. Plusieurs étaient analogues,
sinon identiques, à ceux perçus dans le Royaume. Comme le régime
français n'y apporta que peu de modifications, et que,
d'ailleurs, un examen détaillé de chacun d'eux nécessiterait des
développements trop spéciaux, nous serons brefs à leur sujet.
I. Droit de petit sceau et de tabellionage. - Ce droit est
assurément le plus ancien de tous. La Ferme générale de France
se le réserva en majeure partie pour en faire l'objet d'une
régie particulière ; mais il est à noter qu'elle le comprit dans
les baux des sous-fermiers des domaines là où il pouvait être
considéré comme un attribut de la haute-justice royale,
c'est-à-dire dans les seigneuries en faveur desquelles les ducs
l'avaient autrefois concédé ou aliéné, et que depuis, leurs
successeurs avaient réuni au Domaine. A l'égard des quelques
hautes-justices particulières dont les propriétaires jouissaient
encore du droit de sceau et de tabellionage, la Ferme n'admit
plus, après 1787, que ces derniers pussent revendiquer leurs
privilèges pour les actes les intéressant personnellement ; elle
les força à passer désormais par ses bureaux. Le droit simple
était fixé à tant pour telle ou telle espèce d'acte ; le droit
réel, au contraire, était exigé proportionnellement aux sommes
stipulées dans le contrat.
Dans la Lorraine propre, tout tabellion dut, à partir de 1739,
remettre chaque trois mois aux employés de la Ferme, sous peine
de 100 livres d'amende, les grosses expédiées sur parchemin des
contrats réels et perpétuels qu'il recevaient ; dans le Barrois,
ce fut tous les deux mois que copies en forme de ces mêmes
contrats durent être présentées pour être « tabellionnées et
scellées » (1). Les difficultés sur le droit de sceau se
portaient à la Chambre des Comptes.
2. Formules (papiers et parchemins timbrés). - L'administration
française avait introduit les formules dans les Duchés pendant
l'occupation. Léopold les conserva et même les augmenta quelque
peu (2). Fabriqué et vendu exclusivement par la Ferme, le papier
timbré coûtait, suivant le format, de 3 s. 9 d., à 1 s. 10 d. ;
les feuilles les plus couramment employées étaient de 2 s. 9 d.;
le parchemin timbré valait dans les bureaux de distribution de 1
liv. 10 s. 6 d. à 7 s. 9 d. Le timbre frappait les actes
judiciaires, les actes notariés, divers registres - notamment
ceux des maîtres de forges les affiches, les placards et
quantité d'autres pièces.
3. Droits de contrôle. Il faut distinguer le contrôle des
exploits et celui des actes des notaires.
a) Contrôle et exploits. - Il existait à l'arrivée de Léopold
qui en fixa le droit à 7 sols par exploit (3). Tout exploit
d'assignation, saisie, etc. doit être présenté par l'huissier
dans les 3 jours au bureau du contrôle, ce qui prévient les
fraudes et les antidates.
b) Contrôle des actes des notaires, etc. - Ce contrôle qui
devait offrir les mêmes avantages, ne fut institué que
postérieurement. A partir du 1er janvier 1719, tous notaires et
tabellions, même ceux des seigneurs et particuliers, eurent à
faire contrôler leurs actes qui, sans cette formalité, ne
portaient ni privilège ni hypothèque (4). Le délai était de huit
jours. Les actes à cause de mort étaient contrôlés au décès du
testateur. Ceux sous-seing privé devaient, de même, payer le
droit, afin que l'on pût en requérir judiciairement l'exécution
: toutes choses qui évoquent l'idée de notre enregistrement. Ces
droits de contrôle étaient perçus suivant un tarif et variaient
de 5 sols 6 d. (pour un bail à temps d'un canon maximum de 100
livres) à 6 liv. 12 s. - pour une substitution ou une donation
mutuelle, par exemple.
4. Droits d'amortissement et de nouvel acquêt. - Les gens de
main morte ne pouvaient posséder en Lorraine aucun héritage ou
droit immobilier sans avoir, sous peine de réunion au Domaine,
obtenu des lettres d'amortissement et acquitté un droit. Malgré
différentes ordonnances, la réglementation de l'amortissement
présentait bien des points obscurs. Une importante déclaration,
signée par Stanislas, vint, le 12 juin 1758, fixer la
jurisprudence et arrêter de nombreuses contestations (5).
Les hôpitaux, maisons de charité et établissements d'utilité
publique furent exemptés de la finance. Les droits
d'amortissement se montaient :
Pour les fiefs relevant immédiatement du Domaine, au tiers de la
valeur du fonds ;
Pour les biens roturiers de même mouvance ainsi que pour les
arrière-fiefs, au cinquième ; pour les biens en roture, libres
de toute domanialité, au sixième.
Le droit de nouvel acquêt était taxé au vingtième du revenu
d'une année.
Malgré les amortissements gratuits, la Ferme trouvait encore
dans cette institution un bénéfice assez considérable ; de 1737
à 1759, les acquisitions déclarées par les gens de main morte
atteignirent une somme de 3.542.547 liv. (6). La Ferme opérait
le recouvrement sur les quittances du receveur général des
domaines, contrôlées par le contrôleur général. Ces officiers
percevaient à cet effet un supplément de 2 sols pour livre.
Les contestations qui pouvaient survenir dans l'exécution des
rôles d'amortissement étaient portées directement au Conseil
pour être jugées sommairement.
5. Droit de souffrance. - Les lettres de souffrance,
autorisation pour un roturier de posséder un fief sa vie durant,
donnaient de même lieu à la perception d'un droit, au profit de
la Ferme et par l'entremise du receveur général des domaines. Le
produit des lettres de souffrance nit en 1751, par exemple, de
1.441 livres (7).
6. Droit de présentation des demandeurs et défendeurs. - Par
édit du 11 décembre 1718, Léopold avait supprimé une catégorie
d'officiers particulièrement odieux : les procureurs. Mais,
tandis que le Duc simplifiait ainsi la procédure, d'autre part,
par une contradiction singulière, il y ajoutait une nouvelle
formalité. Les plaideurs, pour que leur cause put être appelée
durent, au préalable, se faire inscrire, avec désignation de
leurs avocats à un greffe spécial et y acquitter un droit, dit
de présentation. Quelle que soit la juridiction à laquelle la
partie s'adresse, elle est contrainte de passer devant le
greffier préposé par la Ferme. La présentation coûte 2 fr. 6
gros aux bureaux installés près des Cours souveraines ; 1 fr. 6
gr. à ceux des bailliages, des sièges de maîtrise, etc; 1 franc,
enfin, pour les justices inférieures et les prévôtés
particulières (8). Il faut ajouter le prix du papier timbré de
l'expédition.
Deux incidents de procédure permettaient aux mêmes employés de
la Ferme d'exiger encore les deux droits suivants :
7. Droit de déclaration et de diminution de dépens. - La moitié
de la façon des déclarations et diminutions de dépens revenait
au Domaine depuis 1718. Aucune formule exécutoire ne peut être
délivrée que sur le vu de la quittance de ce droit, quittance
qui, de plus, est soumise au droit de contrôle (9).
8. Droit d'affirmation de voyage. - L'affirmation de voyage est
la déclaration faite au greffe par le plaideur à l'effet
d'obtenir le remboursement de ses frais de voyage après le gain
de ion procès. Le juge, à quelque juridiction qu'il appartienne,
ne peut, à peine de 500 livres d'amende, donner à la partie
requérante acte de son voyage sans que le droit d'affirmation
ait été versé entre tes mains du greffier de la Ferme qui reçoit
30 sols près des Cours supérieures et moitié près de tout autre
tribunal.
Le recouvrement de tous ces droits était difficile et d'une
régie minutieuse ; aussi les derniers fermiers l'avaient-ils
beaucoup négligé, ne disposant que d'un personnel insuffisant.
Certains droits étaient même tombés en désuétude. La Ferme de
France modifia aussitôt l'état de choses ; elle exhuma les
vieilles ordonnances et obtint du Conseil de nouveaux
règlements. Les bureaux et les greffes furent multipliés ; là,
tout un monde de commis fut maintenu en baleine par les
contrôleurs ambulants. Les visites et les perquisitions mirent
chacun en garde ; on usa de recherches incessantes dans les
études d'instrumentaires et les dépôts publics, les minutes de
notaires furent collationnées avec les registres du contrôle ;
la négligence du juge fut épiée tout comme celle de l'huissier ;
par d'habiles interprétations des articles, on parvint enfin à
donner à la perception des anciens droits une extension tout à
fait nouvelle. Déjà la Chambre des Comptes le constate dans ses
remontrances de 1740 ; en janvier 1750, la Cour Souveraine se
plaint de la recherche que font les fermiers « des droits d'amortissemens
négligés ou peut-être remis sous les règnes précédents.. » ;
elle ne cesse de déplorer « la fécondité du génie de la Finance
», l'aggravation des droits de sceau, de contrôle, de
présentation.
C'est encore, en 1788, la Chambre des Comptes de Bar qui
constate avec humeur que « les contrôles des actes des notaires
sont souvent quadruplés sous prétexte des procurations, ou s'il
s'y trouve plusieurs vendeurs ou acheteurs quoique par les
ordonnances les plus gros droits de contrôle soient de 24
livres...» (10).
CHAPITRE IV
LES MONOPOLES.
Les monopoles exploités par la Ferme générale étaient : la
châtrerie ; la riflererie ; la fabrication et la vente du tabac
et du sel; la Ferme jouissait, en outre, du produit des baux des
postes et messageries dont elle n'avait point la régie.
SECTION I. - Châtrerie.
Par ce singulier monopole, propre à la Province, la Ferme avait
le privilège exclusif de faire châtrer les animaux énumérés au
bail, moyennant un tarif également établi d'avance.
La châtrerie était un très ancien droit seigneurial que, peu à
peu, les Ducs avaient attiré à eux et dont ils avaient fait un
attribut régalien. Ils en avaient ensuite gratifié leurs
favorisés sous la forme d'un office, celui de maître châtreux ou
Maître des châtreurs. A ce titre étaient attachés certains
droits honorifiques fort appréciés, sans compter les avantages
pécuniaires du monopole, qu'exerçaient, sous la haute direction
du maître, et pour son profit, un certain nombre de lieutenants
et de commis. Ces derniers étaient soumis à un règlement imposé
par Charles III, en 1590, et confirmé par ses successeurs. Dans
le principe, il y avait eu deux offices distincts de maître des
châtreurs, l'un correspondant à la Lorraine proprement dite,
l'autre au Barrois ; offices qui plus tard furent réunis en un
seul.
De grands personnages, des femmes, même, de noble famille
tinrent à honneur d'en être pourvus ; plusieurs de Pullenoy
forent maîtres châtreux ; un de Gerbéviller, premier
grand-maître des requêtes de l'hôtel, l'était en 1701. Léopold,
en 1707, en même temps qu'il nommait professeur à l'Université
de Pont-àMousson, son chirurgien Malissein, lui conférait cette
distinction dont jouissait en 1712 le comte des Armoises;
plusieurs titulaires se plurent à se faire appeler pompeusement
: grand-maître des châtreux des Duchés (11). Un arrêt du Conseil
d'Etat, du 16 mars 1731, supprima cette charge et réunit au
Domaine les droits et émoluments qui y étaient attachés ; le
droit exclusif de châtrer les animaux dans toute l'étendue de la
Lorraine fut dès lors affermé, et naturellement l'administration
française le conserva et le comprit dans le bail de la Ferme
générale. S'inspirant des anciens règlements qu'il codifia,
l'arrêt du Conseil des finances, du 22 avril 1752, réglementa
d'une façon complète l'exercice de ce monopole (12).
La Province était divisée à ce point de vue en huit départements
: Nancy, Lunéville, Sarreguemines, Mirecourt, Etain, Bar,
Saint-Mihiel et le Bassigny. Dans chacune de ces
circonscriptions la Ferme devait placer un nombre suffisant de
châtreurs, sous-fermiers à différents degrés. Ceux on fonction
élisaient parmi eux un maître, deux échevins et un sergent
chargé de la police. Les châtreurs préposés par les fermiers
devaient auparavant avoir été reçus par le maître du métier et
les échevins qui leur délivraient les lettres de han nécessaires
à l'exercice de leur profession. Deux fois au moins par année,
au printemps et à l'automne, ils faisaient une tournée dans leur
départements respectifs dont d'ailleurs ils ne pouvaient
franchir les limites. Aussitôt que l'arrivée du châtreur a été
annoncée dans un village, interdiction absolue aux habitants de
laisser sortir aucun animal de l'écurie; ne faut-il pas qu'il
soit possible de vérifier si les droits de la Ferme ont été
soigneusement sauvegardés ? Quiconque est reconnu avoir châtré
ou fait châtrer un animal quel qu'il soit, - excepté les moutons
et les brebis que le berger peut opérer lui-même, - est condamné
à 20 livres d'amende, dommages et intérêts; au double, en cas de
récidive et sans qu'aucune modération puisse être accordée.
L'étranger surpris exerçant ce métier sur le territoire de la
Province doit être aussitôt arrêté par les gens de justice pour
n'être rendu à la liberté qu'après le versement de pareilles
amendes. Les services des châtreurs étaient payés d'après un
tarif où, suivant l'animal, les prix variaient de cinq livres à
quatre sols (13).
Malgré les précautions prises par les règlements afin que la
Ferme générale ne pût préposer que des employés expérimentés,
les Lorrains eurent souvent à se plaindre de la malhabileté, de
l'insouciance de ces gens qui occasionnèrent la perte de
beaucoup d'animaux. La Ferme, il est vrai, était responsable ;
mais les moyens de preuve manquaient le plus souvent ; il
fallait engager un procès, et le laboureur, dans cette lutte
inégale, était presque sûr de succomber. C était de plus, de la
part des sous-fermiers châtreurs, des minuties, des vexations
multiples.
Toutes les difficultés sur la matière de la châtrerie étaient
portées en première instance par devant les juges des bailliages
et en appel à la Chambre des Comptes.
SECTION II. - Riflerie.
Si un propriétaire ne pouvait châtrer lui-même aucun de ses
animaux, ni le faire châtrer, sans avoir recours aux gens de la
Ferme, c'était encore à des délégués de cette dernière qu'il
devait s'adresser, une fois l'animal mort, pour le rifler,
c'est-à-dire le « blanchir et dépouiller », ainsi que pour
enfouir le cadavre. Un animal périt-il ? Sous peine de 25 livres
d'amende, il faut avertir le rifleur-juré, lui payer pour le
dépouillement un prix fixé au tarif, - à moins qu'on ne préfère
lui abandonner le cuir de la bête, - et lui verser, enfin, trois
francs pour creuser la fosse ; tout cela en vertu d'un autre
curieux monopole : le droit de riflerie. De même que la
châtrerie, la riflerie avait été tout d'abord un droit
seigneurial ; mais Léopold, continuant l'oeuvre de ses
prédécesseurs, avait finalement réuni à son domaine particulier
toutes les rifleries des Duchés (14).
SECTION III. - Les tabacs.
Le tabac était connu en Lorraine dès le commencement du XVIIe
siècle; mais, alors, il n'y était guère utilisé que comme
remède. Charles IV, dans une ordonnance du 12 février 1628,
défendait d'en semer en pleine campagne, « ayant sceu »
disait-il, « le dommage que cela apporte aux biens et fruits de
la terre... mais demeurera libre à chacun pour en prendre comme
auparavant selon qu'aucuns en peuvent ressentir du soulagement
». Vers 1663, quelques particuliers en tentèrent encore la
plantation qui fut du nouveau sévèrement interdite. Peu à peu,
cependant, l'usage de la précieuse solanée s'était répandu dans
les Duchés et y était devenu un besoin. Léopold sut tirer parti
de cette circonstance ; loin de prohiber la culture du tabac, il
l'encouragea par différents moyens, surtout par des avantages
assurés aux planteurs (15). Le tabac devint dès lors une source
de revenus pour le Prince. Le commerce, en effet, ne fut jamais
libre. On ne pouvait semer cette plante qu'avec la permission
d'un fermier du tabac qui en surveillait l'exploitation, à qui
toutes les feuilles devaient être remises à un prix convenu, et
qui, seul, avait le droit d'en débiter dans les Duchés, à la
réserve de la baronie de Fénétrange où la vente était libre. Dès
1700, cette ferme rapportait 12.000 livres ; 48.000, dix ans
plus tard ; 75.000 en 1715 (16). En 1735 son produit net fut de
226,000 liv. (17), et l'année 1728 ayant été des plus
favorables, la récolte atteignit une valeur de 286.222 livres.
Avec l'administration française la terme du tabac qui avait été
réunie, en 1720, à la Ferme générale de Lorraine, fut aussi et
définitivement comprise dans l'adjudication des autres droits et
monopoles parmi lesquels elle était estimée pour 270.000 liv.
(18). De ce moment, tout changea. Le fermier du tabac
s'engageait autrefois à en planter un minimum de 1.500 jours de
terre, chiffre qui était toujours de beaucoup dépassé. La
Lorraine était même, avec le Comté d'Avignon, la portion du
territoire de la France actuelle où il s'en cultivait le plus,
depuis qu'un arrêt du Conseil, du 29 décembre 1719, et une
déclaration du roi, du 17 octobre suivant, avaient supprimé
toutes les plantations de l'intérieur du Royaume pour ne plus
autoriser que celles faites en Alsace, en Artois, en Hainault,
en Cambrésis et en Franche-Comté (19). Le premier bail passé en
1737 obligeait encore la Ferme générale à l'exploitation de
1.000 jours ; mais bientôt la Lorraine fut comprise dans la
prohibition et ses cultures entièrement détruites. On donna
comme prétexte de cette mesure la mauvaise qualité des pieds de
tabac produits par le sol des Duchés. Or, le tabac de la
Lorraine, sous Léopold et sous François, avait joui jusqu'à
l'étranger d'une réelle renommée ; tous les écrivains de
l'époque sont unanimes à en faire l'éloge ; « le tabac de la
Lorraine » nous dit Durival, « eut beaucoup de réputation »
(20). Le meilleur croissait aux environs de Neufchâteau, « Les
terrains gras et sableux des villages les plus proches de la
Capitale », déclarait avec regret un contemporain autorisé, «
entr'autres ceux de Jarville et de In Neuveville y étoient
infiniment propres... le travail qui en précède ou suit la
récolte occupait un grand nombre de personnes de tout âge »
(21). On ne manipula plus dans la Province que des feuilles
tirées de Virginie, de Hollande ou d'Alsace. En 1753, huit
presses étaient continuellement en activité dans l'importante
manufacture de Nancy, appelée communément la Tabagie. Mais la
Ferme avait supprimé les manufactures de Saint-Avold,
Saint-Mihiel et celle de Neufchâteau, très considérable avec ses
ateliers et sa vaste halle où se faisaient naguère la récolte et
le séchage des feuilles (22).
La manufacture des tabacs de Nancy envoyait ses produits dont,
quatre magasins ou bureaux généraux : Nancy, Bar-le-Duc,
Neufchâteau et Saint-Avold. Du bureau général de Nancy
dépendaient les entrepôts de Dieuze, Blâmont, Lunéville,
Pont-à-Mousson, Rambervillers, Epinal, Saint-Dié,
Fontenoy-le-Château, Gérardmer, Remiremont et
Sainte-Marie-aux-Mines. De celui de Bar-le-Duc: les entrepôts de
Saint-Mihiel, Commercy, Conflans et Arrancy. Le bureau de
Neufchâteau comprenait dans son arrondissement : Darney et
Mirecourt ; celui de Saint-Avold : Réling, Sarreguemines, Bitche,
Tholey et Lixheim. A chaque bureau général étaient attachés un
receveur et un contrôleur qui percevaient respectivement trois
cinquièmes et deux cinquièmes sur les levées qu'y venaient faire
les entreposeurs. On n'y pouvait acheter moins de cinq livres de
tabac de chaque espèce. Quant aux entreposeurs, ils prélevaient
des remises en nature sur le tabac qu'ils vendaient aux
débitants (23). Sous ce nouveau régime le prix des tabacs fut
sensiblement augmenté. Dès 1750, la Cour Souveraine mentionnait
parmi les divers objets de ses Remontrances, ce « prix des
tabacs qui se vendent aujourd'hui le double de ce qu'ils se
vendaient autrefois ».
SECTION IV. -
Les Salines ; la Gabelle.
Le monopole de la vente du sel était de beaucoup le plus
important; il tenait une large place bien distincte dans le bail
de la Ferme générale, et il mérite à tous les points de vue un
examen plus approfondi que les précédents.
De tout temps, on avait fabriqué du sel en Lorraine ; dès la
domination mérovingienne, les sources salées de la vallée de la
Seille étaient activement exploitées, et, sous les caroligiens,
cette industrie n'avait point tardé à prendre un grand
développement. Les principales abbayes obtinrent d'établir, pour
leur usage particulier, des poêles dans les salines domaniales.
Les poëles, chaudières où se cuisait le sel, - par extension, on
donnait quelquefois ce nom aux bâtiments qui les abritaient -
étaient les anciennes patellae tandis que le vieux mot sessus
désignait l'usine ou l'enclos qui renfermait la source. L'eau se
puisait avec une sorte de grue, d'où l'expression jus ciconiae
longtemps employée pour indiquer le droit de tirer de l'eau au
puits salant. Les ducs ne manquèrent point de porter de bonne
heure, et tout spécialement, leur attention sur cette richesse
du sol lorrain ; les salinés devinrent leur principales usines
domaniales ; ils en obtinrent de forts revenus qu'ils
s'assurèrent mieux encore par des lois prohibitives leur
réservant la vente exclusive du précieux produit. C'est Ferri
III, par exemple, qui réunit au domaine ducal, par des
acquisitions successives, la totalité des salines de Rosières
qui appartenaient jusqu'alors eu partie à différentes branches
de la famille des Lenoncourt. C'est aussi Charles III qui, par
d'habiles règlements, sut augmenter le rapport de ses usines à
sel au point qu'elles formèrent désormais un des plus beaux
joyaux de la couronne de Lorraine. La bonne qualité des sels qui
y étaient fabriqués permettait qu'on les écoulât au dehors à un
prix plus élevé que les sels étrangers ; elles rapportaient
alors annuellement environ 600.000 francs barrois.
En 1589, le prix du sel fut augmenté pour subvenir aux frais
d'une guerre coûteuse ; et, comme les pauvres achetaient
volontiers et à meilleur compte du sel étranger, l'introduction
de ce dernier fut sévèrement prohibée par des ordonnances
successives, en 1572, 1590 et 1591. Le monopole de la gabelle
était désormais créé, et, sous les règnes suivants, il fut
toujours soigneusement conservé (24).
Avec Léopold, la production du sel doubla presque ; auparavant
il s'en façonnait 19.000 muids; en 1723, on en obtint 34.771 et
le produit de la gabelle atteignit 1.982.341 livres (25). Bref,
les usines à sel de Lorraine prospérèrent si bien qu'en 1737
l'administration française put, dans le bail de la Ferme, en
comprendre le revenu - les 519.808 liv. de dépenses occasionnées
par la régie déduites - pour 1.848.390 livres.
Sur bien des points du territoire des Duchés, on voyait sourdre
alors des sources salées, continues ou temporaires. Le nombre en
était surtout considérable sur le bord des rivières de grande et
de petite Seille. Il en était apparu, et il devait en apparaître
encore, en maints endroits. Il y avait eu autrefois des salines
à Moyenmoutier ; plus récemment, on cuisait encore le sel à
Saltzbronn ; l'eau salée eût de même été facilement utilisée à
Cocheren, à Dombasle, à Roville, etc., localités où elle se
montra plusieurs fois. Mais en 1737, trois sources seules
étaient exploitées par des salines qui s'élevaient à Dieuze, à
Château-Salins et à Rosières; en 1760, enfin, la saline de
Rosières fut fermée par l'administration française, et les deux
premières restèrent seules exploitées par la Ferme (26).
La Lorraine fit partie, sous Stanislas, de ce qu'on appelait
dans le vocabulaire des fermes les pays de salines, c'est-à-dire
de cette étendue de territoire composée de la Franche-Comté, des
Trois-Evéchés, du Rethelois, d'une partie de l'Alsace, du
Clermontois, et qu'alimentaient les salines des Evêchés et de la
Comté, puis de ce moment, celles surtout des anciens Duchés. Le
prix du sel était fixé dans la Province à 11 sous le pot depuis
une déclaration du 25 décembre 1726, soit 5 sous et demi la
livre, chiffre qui fut maintenu durant tout le règne du roi de
Pologne.
Quelques parties des Etats suivaient un usage différent, tels le
Mertzig et le Sargau. La Ferme était de même obligée de débiter
le sel à un prix moindre, et fixé par la convention, dans
beaucoup de cantons de la frontière échangés avec les princes
voisins et qui avaient conservé leurs privilèges de gabelle :
Morhange, Bouquenom, Saarwerden, Bitche, Lixheim,
Sainte-Marie-aux-Mines, la terre de Salm, Fénétrange, etc. Les
formateurs fournissaient la quantité de sel fixée au bail à 20
liv. le muid; les traitants le vendaient de 40 à 50 liv. à
l'étranger, dans les lieux limitrophes ou enclavés, Il coûtait à
la Lorraine 131 livres. On en vint même bientôt, pour empêcher
quelques voisins de se fournir ailleurs, à leur céder le sel a
un prix dix fois moindre environ que celui fixé pour le débit
intérieur.
Payant ainsi le sel de son propre pays beaucoup plus cher que
les étrangers, l'habitant des Duchés l'avait aussi moins bon. On
distinguait le sel : en sel à petit grain et en sel à gros
grain, dit façon Cologne : c'est-à-dire le sel des poêles et
celui des poêlons. Celui des poêles était destiné à la province
et n'était soumis à la cuisson que pendant 24 heures ; celui
destiné au dehors demeurait pendant 5 jours dans les poêlons. Si
quelque cuite était manquée, s'il restait dans les magasins
quelque sel avarié, c'était encore pour les Lorrains. Quand la
saline de Rosières fut supprimée, le formateur voulut faire
argent de tout. Il ne s'éleva qu'un cri à Nancy, à Mirecourt, à
Vézelize, pour se plaindre du sel qui était amer et jaunâtre.
Des accidents de toutes sortes se produisirent dont les moins
graves furent des indigestions et des purgations violentes. On
recourut à l'analyse ; le rapport des experts établit « que le
sel dont il s'agissait avait été fabriqué avec peu d'attention
et malpropreté, s'y étant trouvé beaucoup d'impuretés telles que
du gravier, du sable, du charbon, du bois et autres matières
séléniteuses et que l'amertume qui était dans ledit sel
provenait de la nature du sel de Glober et Ipsom... ». La
Chambre des Comptes dut par deux fois ordonner que ces sels
seraient jetés dans la rivière s'ils n'étaient point purifiés
(27). En temps habituel, d'ailleurs, le sel de Château-Salins, à
base plus terreuse, était tout particulièrement réservé à la
consommation locale. La vente du sel se faisait dans la Province
par le soin d'un fermier général des gabelles qui passait des
baux secondaires avec les sous-fermiers des bureaux de
distribution. Les habitants pouvaient se procurer du sel dans
153 magasins et 81 petits greniers ou regrats. Magasineurs et
regrattiers étaient d'abord soumis à la vente à quotités
forcées, ce dont ils furent déchargés sous le bail de Duménil.
Un prix plus élevé, une qualité moindre, n'étaient point
cependant les seuls désavantages que la Ferme imposât à la
Lorraine. En 1737, le sel se débitait à la mesure : pot, pinte,
chopine, et demi-chopine. Les fermiers, dans leur intérêt,
tentèrent à plusieurs reprises d'introduire la distribution au
poids. La Chambre des Comptes défendit de modifier l'ancienne
coutume et ordonna de se servir toujours de mesures étalonnées.
Mais le peuple ne tarda pas à se plaindre ; il n'avait plus son
compte de sel ; l'hôtel de ville de Nancy protesta et la Chambre
des Comptes dut s'inquiéter de cette situation. On fit des
enquêtes en différents points de la Province, sous les yeux des
parties publiques. Il en résulta la preuve certaine que les
récriminations des habitants étaient fondées. La Ferme et ses
agents leur faisaient un préjudice considérable résultant : de
l'altération des mesures, d'un abus dont les magasineurs étaient
par trop coutumiers et qui consistait à changer le fond de ces
mesures, à tirer à l'aide de treilles fort minces le quart et
quelquefois plus de ce qu'elles contenaient ; ces fraudes
coupables se compliquant de celles que l'on pourrait appeler
légales : telles la légèreté étudiée de la main et la faculté
accordée aux magasineurs de prendre le sel des bans (28) qui se
fouettait beaucoup plus facilement que celui des magasins. Tout
avait été prévu et imaginé ; aucun petit profit n'avait semblé
négligeable. Ces manoeuvres commençaient dans la saline. Le
savant Guettard, après avoir étudié dans ces usines la manière
dont le boutavant et le contre-boutavant (29) remplissaient les
mesures, explique à l'Académie des Sciences qu'... « ils
occasionnent en quelque sorte par là une poussière qui, tombant
dans le boisseau doit former une masse poreuse ou peu comprimée,
qu'ensuite un autre homme racle le boisseau avec un râteau le
plus juste qu'il peut. Cette façon de mesurer doit certainement
mettre de la différence dans la pesanteur des boisseaux de
sel... » (30). C'était à dessein aussi que les femmes étaient
préposées aux greniers à sel. Le procureur général de la Chambre
des Comptes, très au courant de la question, écrivait en 1746 :
« L'expérience a fait connaître qu'elles sont beaucoup plus
propres à ce métier que les hommes parce qu'elles ont les mains
plus petites, beaucoup plus agiles pour livrer le sel...
qu'elles ont en outre plus d'adresse pour triller et diviser le
sel en plus petites parties, à l'effet d'introduire dans les
mesures la moindre quantité qu'il leur est possible, chose qui
leur est permise » (31). La Chambre des Comptes dut dès lors
convaincue qu'il était indispensable de sacrifier un ancien
usage pour une méthode qui semblait susceptible de bien moins de
mauvaise foi. Le 2 septembre 1750, elle ordonna qu'à partir du
mois suivant, c'est-à-dire avec le nouveau bail de la Ferme, la
délivrance du sel se ferait au poids. Cette décision fut
unanimement applaudie.
Mais, en juin 1758, la Chambre de Bar se faisait l'écho de
nouvelles plaintes sur cette seconde manière de débiter le sel ;
« Depuis quelques années », disait-elle, « les fermiers
généraux, pour gagner considérablement, ont eu le secret
d'obtenir de le vendre à la livre; l'humidité que l'on donne au
sel et qu'il prend aisément quand il est mal cuit leur portant
plus de profit que la légèreté de la main du livreur en
remplissant mal les mesures, et ce profit est si considérable
que pour la somme de 8 livres 5 sols, l'on avait autrefois un
vaxel de sel bien sec pesant 38 liv., et pour le même argent on
n'en a que 28 livres bien humide... » (32). « Depuis qu'on vend
le sel au poids » est-il déclaré dans un autre mémoire, « il en
coûte à chaque ménage un cinquième de plus que lorsqu'on le
délivrait dans les vassels, pots ou pintes, Il y a dans la
Lorraine et le Barrois environ 160.000 ménages y compris les
communautés religieuses, les privilégiés et les contribuables.
Si un ménage consommait pour 12 livres de sel lorsqu'on le
délivrait dans les mesures, il en consomme pour 15 depuis cette
nouvelle méthode. C'est conséquemment 3 livres d'augmentation
par année pour chaque ménage, ce qui forme 480.000 livres
d'augmentation d'impôts sur la Province. » (33)
Emue, uns doute, des réclamations qui s'élevaient de toutes
parts la Chambre des Comptes de Bar oubliait un peu vite que
c'était sur le désir généralement exprimé, et sur l'initiative
de lu Chambre de Nancy, que ce changement avait été effectué. La
vérité était que, tout comme naguère on spéculait sur le volume
du sel des bans légèrement fouetté, aujourd'hui, on utilisait
l'augmentation de poids obtenu par certaines préparations ; le
génie inventif de la Ferme avait ses souplesses. Et si les
habitants trouvaient, par expérience, que le nouveau mode de
débit leur était, en somme, plus onéreux que le premier, si
cette campagne qu'ils menèrent durait encore à la mort de
Stanislas, c'est que, en surplus des petites supercheries faites
lors de la pesée, ils étaient victimes d'une double erreur de
calcul qui allait toujours se répétant. Quand il s'était agi
d'opérer la conversion, les fermiers avaient amené la Chambre
des Comptes à décider que l'équivalent du pot serait deux livres
de sel. Employèrent-ils lors des expériences une température
trop moite qui donnait au sel, devenu moins compact et plus «
doux », la faculté d'occuper un plus grand espace ; ne
vérifia-t-on pas la supposition gratuite qu'ils firent ? Quoi
qu'il en soit, ils obtinrent que la valeur du vaxel fût fixée à
44 livres. Or, d'après des essais effectués plus tard, entre
autres en 1789, par l'Intendant de Metz, puis par l'architecte
Piroux qui obtint les mêmes résultats vérifiés encore depuis, le
vaxel contenait effectivement 57 livres de sel. La perte était
ainsi déjà pour l'acheteur de 13 livres sur 57, et, en admettant
que le vaxel fut divisé en 16 pots, chaque pot eût dû être
remplacé par 3 livres 9 onces au lieu de 2 livres seulement pour
lesquelles on avait échangé son contenu. Mais ce préjudice
considérable, dont le peuple éprouvait les effets sans en
découvrir au juste la cause, se compliquait d'un autre encore.
La valeur légale du vaxel avait été établie par l'ordonnance de
Charles III, du 4 mars 1597, dans laquelle elle était fixée à 27
pintes, soit 13 pots et demi. C'était arbitrairement qu'en 1750
le vaxel avait été divisé en 16 pots. Ces deux différences se
reproduisant à chaque pesée donnaient un total dont l'importance
surprend. C'est ainsi qu'après de longs et minutieux calculs,
l'auteur d'un mémoire, couronné en 1791 par l'Académie de Nancy,
arrivait à trouver que ces seules erreurs « avaient causé à la
Lorraine pendant 37 ans et 10 mois, depuis le 1er octobre 1750
au 1er août 1789, une perte qui s'élevait à 41.190.795 livres de
France ». Si nous nous bornons à la période pendant laquelle le
sel resta fixé à 6 sols et demi la livre, soit du 1er octobre
1750 au 31 décembre 1771, nous obtenons une somme de 18.900.556
livres que l'on peut considérer comme l'expression d'une
augmentation indirecte, faite à l'insu du peuple, sur le prix du
sel ; soit, enfin, environ 14.000.000 livres pour le règne de
Stanislas (34).
La consommation annuelle en sel était fixée pour la Province à
10.040 muids, ce qui devait rapporter une somme de 1.943.744
livres. Le fermier général de la distribution dans l'intérieur
des Etats était à « vidange forcée » de cette quotité,
c'est-à-dire qu'il en devait le prix à la ferme qu'il parvint ou
non à l'écouler.
Jadis les francs-salés se délivraient en nature; mais comme il
était à craindre que ceux qui en étaient gratifiés, ayant ainsi
souvent plus de sel qu'il ne leur en fallait pour leurs propres
besoins, n'en répandissent dans leurs familles, ce qui
diminuerait d'autant la vente dans les magasins, ils se
touchaient en argent, à raison de 9 livres le vaxel, depuis
l'ordonnance du 28 mars 1720. Chaque conseiller d'Etat avait
droit à 6 vaxels ainsi que les présidents, procureurs et avocats
généraux de la Cour Souveraine et des Chambres des Comptes. Les
autres membres de ces compagnies étaient portés pour 4 vaxels et
leurs substituts pour 2 vaxels. Seuls, les officiers des salines
recevaient encore le franc-salé en nature. La Ferme devait enfin
chaque année 25 muids pour la Maison du roi de Pologne (35).
S'il est de l'intérêt des fermiers de vendre la totalité des
10.040 muids, il est, par contre, utile à la Ferme de France de
borner à ce chiffre la vente intérieure quelle qu'en puisse être
l'insuffisance. Sous Léopold, alors que la formation
n'atteignait qu'environ 30.000 muids, 17.000 étaient consommés
dans les Etats. Sous le nouveau régime, le contingent de chaque
habitant se trouva réduit de « beaucoup au dessous du nécessaire
absolu ». Au contraire des provinces tenues du « sel par devoir
», minimum d'achat imposé à chaque habitant, la Lorraine était
désormais réduite, pour l'ensemble de tous les siens, à un
maximum qui était censé lui suffire. Cette disposition avait
pour but d'éviter les versements de sel en France, car si les
Lorrains payaient le sel plus cher que leurs voisins de
l'étranger, ils l'avaient toutefois à bien meilleur compte que
leurs voisins de l'intérieur du royaume (36).
La Ferme, afin de s'éclairer sur la conduite de ses magasineurs,
et de s'assurer surtout des agissements des consommateurs,
s'efforça, dès 1737, d'introduire l'usage des abonnements au sel
nécessaire pour les habitants et les bestiaux, surtout dans les
communautés proches de la frontière. Peu d'entre ces dernières
s'y prêtèrent. Les fermiers voulurent les y contraindre en
faisant rendre un arrêt au Conseil, mais l'Intendant déclara
cette mesure imprudente et refusa de la sanctionner. C'est alors
que les fermiers sollicitèrent, en 1739, l'établissement des
arrondissements fixes et des bulletins. Sous le précédent
régime, on avait affecté de choisir pour chef-lieu des magasins
à sel les villages les moins éloignés des Evêchés, de la
Franche-Comté, de l'Alsace, de la Champagne, ce qui favorisait,
grâce aux versements, la Ferme de Lorraine au détriment de celle
de France. De plus, les arrondissements de chaque magasin
n'étaient pas bien déterminés ; les ressortissants avaient pu
jusqu'alors dépendre tantôt d'un grenier, tantôt d'un autre, à
leur gré et pour leur commodité. Les adjudicataires demandaient
donc que l'on assimilât la Lorraine aux Trois Evêchés où la
position des lieux était identique, le sel semblable, et pour
lesquels un arrêt du Conseil, du 21 juin 1722, avait ordonné que
tous les habitante seraient tenus de lever leur sel dans les
magasins dont ils dépendraient et de justifier par bulletin,
sous peine d'amende et de confiscation, que le sel qu'ils
posséderaient provenait de ces achats. La question des bulletins
ne se posait pas pour la première fois en Lorraine. Deux arrêts
de la Chambre des Comptes, du 11 juillet 1699 et du 19 décembre
1731, en avaient permis l'usage, prescription que, d'ailleurs,
des restrictions et des omissions rendaient purement théorique.
Aucune peine, en effet, n'avait été prescrite contre ceux qui ne
reproduiraient point leurs bulletins; il eût fallu, de plus,
pour obtenir une condamnation, prouver que le sel non inscrit
provenait de la vente étrangère. Aussi les visites
domiciliaires, autorisées en principe par les ordonnances de
1711 et 1733, n'étaient point pratiquées, de l'aveu même des
fermiers. Aujourd'hui, ces fermiers demandaient plus de rigueur;
ils jugeaient que l'absence de sanction était « une
commisération mal entendue en facilitant le faux-saunage plus
nuisible que favorable aux paysans qui s'accoutument par là à la
vie licentieuse, aux attroupements et à l'oisiveté » (37). Cette
innovation ne plut pas davantage à M. de La Galaizière qui s'y
opposa comme pour l'abonnement. Il déclara qu'il ne voulait
point voir les Lorrains tourmentés par les gardes de la gabelle
dans des visites domiciliaires continuelles ; il mit en avant
toutes les injustices qui pourraient résulter de l'ignorance ou
de la malice des magasineurs ; la perte des bulletins qui
attirerait un châtiment immérité. Mais les fermiers ne s'en
tinrent point là ; ils s'assurèrent l'assentiment du Contrôleur
Général, et bientôt M. de La Galaizière comprit qu'il lui
faudrait céder à son chef.
Par suite d'un arrêt du Conseil du 3 septembre 1746, une
répartition exacte des districts des magasins à sel fut arrêtée.
Les magasineurs eurent à afficher à la porte des dépôts la liste
des localités qui devaient s'y fournir, afin que chacune d'elles
ne pût ignorer celui des bureaux auquel elle était
définitivement assujettie. Dans les magasins et regrats, les
sujets reçurent gratuitement une feuille ou bulletin dont ils
étaient obligés de se munir chaque fois qu'ils venaient l'y
approvisionner. Les magasineurs y inscrivaient la date et la
quantité des sels délivrés ; puis ils faisaient cette même
notation sur le dormant ou contrefeuille de leurs registres. Les
bulletins devaient être représentés à toute réquisition, En cas
de perte prouvée, il en était délivré un autre moyennant 6
deniers. M. de La Galaizière avait tenu, à insérer au moins
certaines exemptions. Les communautés religieuses, la noblesse,
les trois villes privilégiées, et de plus : Mirecourt, Épinal,
Saint-Mihiel, Pont-à-Mousson, Bitche, n'avaient point à passer
par la formalité des bulletins. Sarreguemines était aussi dans
ce cas malgré les recommandations formelles et en sens contraire
du Contrôleur Général, qui, porte-parole des fermiers généraux,
écrivait encore en vain le 5 décembre 1746, à l'Intendant : «
.., Je vous prie de faire rendre un nouvel arrêt pour l'y
soumettre. ». Cette résistance de intendant effrayait les
ministres pour qui ces questions, se rattachant à un haut
intérêt financier, semblaient de premier ordre. Pour ne point
déplaire aux fermiers et pour assurer le maintien de la vente
étrangère, l'administration accablait les communautés lorraines
de corvées sur les routes évêchoises servant à la conduite des
sels. Tous les Contrôleurs, depuis Machault jusqu'à Laverdy,
supplient MM. de La Galaizière de prendre bien garde de faire
perdre au roi le produit de l'exportation de ces sels. Le duc de
Deux-Ponts veut-il obtenir quelque faveur à Paris, il n'a qu'à
publier, au son de la cloche, suivant l'usage de son pays, que
l'entrée et la consommation des sels de Lorraine vont être
prohibées dans ses Etats. Un petit prince quelconque peut, sous
ce prétexte, parler haut et fort à Versailles, et l'évêque de
Bade se montrer arrogant. « Vous voulez toujours », écrivait, le
18 février 1746, Machault à l'Intendant, « regarder cette
affaire comme une affaire de fermiers quoiqu'il s'agisse
principalement de l'exécution d'un traité qui nous est trop
avantageux pour ne pas éviter avec soin tout ce qui pourrait
donner lieu à le rompre... » (38).
On ne tarda pas, naturellement, à se plaindre de la mise en
vigueur du système des arrondissements fixes et des bulletins.
Les uns critiquèrent la mauvaise répartition des communautés
entre les différents districts des greniers à sel - ce qui
occasionnait, disaient-ils, de longs trajets et de fastidieuses
pertes de temps. D'autres déploraient particulièrement les
inconvénients des bulletins qu'on oublie souvent et qu'on perd
quelquefois ; la négligence aussi et l'inexactitude des
magasineurs dans l'indication sur les feuilles et les dormants,
des dates et des quotités. Le reproche était fait contre les
femmes particulièrement; outre leur légèreté naturelle, beaucoup
savaient à peine écrire. Au dire de témoins oculaires, c'était
dans les magasins un tumulte continuel, surtout les jours de
foire et de marché, ce qui augmentait les chances d'erreurs; «
ne sait-on pas d'ailleurs », écrivait à ce propos le procureur
général Collenel, « que les femmes ne sont occupées au moment de
la délivrance du sel que du soin de se la rendre avantageuse et
profitable, et que si leur attention est distraite un moment,
elles ne songent qu'à se quereller avec quiconque se plaint
d'une mauvaise livraison ou s'impatiente de n'être pas servi
dans le temps qu'il le souhaite ? » (39) La surveillance
continuelle, et souvent vexatoire, des gardes de la gabelle se
compliquait, enfin, de perpétuelles visites domiciliaires qui
n'étaient connues jusqu'alors que pour la recherche du tabac.
SECTION V. - La
Contrebande.
Par suite de sa situation, des différences considérables du prix
du sel chez elle et dans les pays voisins terres étrangères ou
provinces françaises, - la Lorraine était presque fatalement
devenue un centre d'activé contrebande. L'archevêché de Trêves,
le duché de Deux-Ponts, une partie de l'Alsace
s'approvisionnaient de sel lorrain à 50 livres le muid; des
spéculateurs hardis le faisaient refluer dans les Duchés pour le
vendre le double, sûrs d'y trouver des acheteurs, puisqu'il y
avait encore pour ces derniers un important bénéfice. Le sel de
contrebande se débitait ainsi dans les faux-magasins à 6 sols le
pot, au lieu de 11 sols dans les vrais. C'était aussi le sel
provenant des petites souverainetés étrangères; toutefois, dans
plusieurs de ces États, le souverain était obligé, par des
traités particuliers, de vendre, pour enrayer le mal, le sel à
un prix plus rapproché de celui auquel la Lorraine le payait. Il
faut mentionner, de plus, les diverses enclaves, seigneuries
autrefois régaliennes de l'Empire, et qui, quoique réunies aux
Duchés, jouissaient du privilège d'avoir du sel à bas prix. Mais
c'était principalement au nord, sur une ligne reliant
Battincourt a Remiche, que la Ferme et ses gabelous devaient
porter leur attention. Là, le Barrois se trouvait bordé par 25 à
30 villages du Luxembourg qui ne cessaient de foire refluer le
sel de la vente étrangère jusqu'à l'entrée des sept prévôtés de
la Voivre. Les gardes avaient aussi à surveiller, sur ces divers
points, et les contrebandiers, généralement attroupés, qui
opéraient les versements, et les sujets lorrains, les plus à
portée des villages frontières, qui allaient y chercher
eux-mêmes le sel nécessaire à leur propre consommation. Mais, si
ces deux modes de faux-saunage étaient les plus fréquents et les
plus préjudiciables à la Ferme, ils n'étaient point les seuls.
Est faux-sel aussi, depuis l'établissement des bulletins, le sel
pris dans un autre magasin que celui auquel son possesseur est
assujetti ; est faux-sel, surtout, celui extrait de différentes
substances : celui obtenu par la cuite de l'eau salée, tout
d'abord. Une des fonctions essentielles de l'inspecteur des
sources est de faire boucher avec soin toutes celles qui
viennent à sourdre accidentellement. Une source salée
apparait-elle en quelqu'endroit, les abords en sont aussitôt
gardés par des agents armés, en attendant que l'on n'épargne
aucun moyen pour l'annuler ou en faire perdre les eaux dans
quelque ruisseau, de telle sorte que ces eaux ne puissent
désormais être volées et employées au préjudice de la gabelle.
Un arrêt du Conseil, du 24 avril 1751, entre autres, condamne à
100 francs d'amende une malheureuse fille envoyée par ses
parents puiser de l'eau à une source salée - qui s'était montrée
à Gocheren près de Forbach ; -la coupable avait été surprise par
les employés de la Ferme avec 2 pots de l'eau défendue.
Interdiction semblable de se servir des matières connues sous
les noms de schlot, écailles, pierres de sel, balayures de
séchoir, crasses noires salées, toutes déchets de l'industrie
des salines. Dans les usines, on s'en défait aussitôt. A Dieuze,
il y a un canal spécial pour jeter les pierres de sel. A
Rosières, on les verse dans la Meurthe. Les employés ne doivent
laisser sortir les cendres qu'après qu'elles ont été tamisées de
façon qu'il n'y reste aucune écaille de sel. Les voituriers qui
rentrent en Lorraine, après avoir conduit des sels à l'étranger,
sont obligés, à peine de 100 livres d'amende, de mouiller et
laver auparavant leurs bauches afin qu elles ne soient point
ensalinées (40). L'usage du salpêtre est proscrit tout comme
celui des sels de marée ou de la saumure des viandes. Quinze
onces de sel de morue ayant été saisies chez un habitant de
Nancy, en 1740, ce dernier fut condamné à 500 livres d'amende et
le sel confisqué pour être, ainsi que le portait l'arrêt, « jeté
et submergé comme immonde » (41). Cette prohibi tion avait un
caractère particulièrement vexatoire dans un pays où les
salaisons de porcs se faisaient en grand, et où la quantité de
sel réservée à la consommation intérieure était restreinte. La
Chambre de Bar s'en plaignait en ces termes dans ses
remontrances du 12 juin 1758 : « lis ont encore réussi, Sire, de
faire défendre par le bail actuel l'usage des saumures des
viandes salées sous prétexte que cela est défendu dans le
royaume de France. Mais cette défense n'est faite en France que
parce que cette espèce de sel provient de l'étranger comme la
saumure de morue et, sur ce prétexte, les employés des fermes
font journellement des reprises sur vos sujets pour la saumure
provenant de la salaison de leurs porcs, quoiqu'elle ne soit
faite qu'avec le sel du pays, qu'ils ont acheté, cette province
ne pouvant tirer des sels de France... » (42).
Le faux-saunage était alors si actif en Lorraine, que le premier
fermier de la distribution des sels, sous le régime français, se
trouva, à la fin de son bail, avec 4.092 muids non vendus; rien
que pour l'année 1744-45, sur les 10.040 muids, quantité
presqu'insuffisante pour la consommation du habitants et des
bestiaux, 1.800 muids ne furent point placés (43). La fraude des
tabacs atteignait de semblables proportions ; on en plantait en
cachette dans le fond des forêts. Les faux-tabatiers, comme on
disait, marchaient de pair avec les faux-sauniers.
L'établissement des bulletins, en exigeant chez les fraudeurs
plus de précautions et de ruses, en provoquant de la part des
agents plus de vexations et d'arbitraire, ne put empêcher le
mal.
Pour faire respecter ses deux grands monopoles du sel et des
tabacs, la Ferme entretenait une véritable armée de limiers avec
toute sa hiérarchie : capitaines-généraux, brigadiers,
sous-brigadiers, commis et gardes, dont les uns étaient
installés à poste fixe tandis que d'autres parcouraient en
lignes la Province et les Evêchés. Dans une région où les
pénétrations et les enclaves avec le Royaume étaient multiples,
les manoeuvres des gardes eussent été presqu'impossibles si les
contrebandiers opérant en Lorraine avaient pu trouver un asile
sur la terre française ou inversement. C'est cette situation qui
avait causé jusqu'alors un important préjudice à la Ferme
générale de France à l'avantage de celle des Duchés, et qui
avait encouragé et habitué à un pénible et triste métier un
grand nombre d'habitants. A ce point de vue, la Ferme avait le
plus sérieux intérêt à ce que les frontières fussent supprimées.
L'arrêt du Conseil des finances, du 23 novembre 1737, avait donc
autorisé la poursuite des contrebandiers sur les états de
Lorraine par les employés de la Ferme de France et, peu après,
la réciprocité avait été admise (44). A partir de 1754, les
agents du Royaume purent même venir effectuer leurs
perquisitions dans les domiciles lorrains (45). Plusieurs
compagnies franches d'infanterie et de dragons furent envoyées,
dès le début, dans différents postes de la Province pour prêter
main forte au personnel de la Ferme. Une instruction du 20
novembre 1737 leur trace leur principale ligne de conduite ; et,
en vertu de l'arrêt du Conseil des finances, du 15 juillet 1741
les troupes furent autorisées à arrêter les fraudeurs sans être
tenues aux formalités prescrites aux employés des Fermes. Les
nacelles et bacs devaient enfin, sous peine d'amende pour leurs
propriétaires, être soigneusement cadenassés pendant la nuit
afin qu'ils ne pussent servir à favoriser la fuite des individus
recherchés par les gabelous (46). Contre les contrebandiers de
profession et leurs troupes à main armée, on organisait ce que
l'on appelait des rebats, des patrouilles, des embuscades ; pour
découvrir les simples fraudeurs, c'étaient de fréquentes visites
domiciliaires, de minutieuses enquêtes. Impuissants à réagir
contre les premiers qu'ils redoutent, les agents de la gabelle
et les gardes du tabac se plaisent à tyranniser les seconds ; ce
fut souvent contre des innocents des poursuites iniques ou
ridicules. Les châtiments rigoureux par lesquels Léopold avait
cherché à intimider les contrebandiers ne parurent plus assez
sévères ; c'est ce que déclara M. de La Galaizière qui, peu
après son arrivée en Lorraine, établit la peine des galères.
« ... l'intention de S. M. P. », écrivit l'Intendant le 2
septembre 1738 aux procureurs généraux des Chambres des Comptes,
« est que tout juge dans ses États, auquel la connaissance des
fraudes de ses fermes est attribuée, prononce dorénavant sur la
simple requête des fermiers, la peine des galères pour trois
ans, contre tous les fraudeurs et contrebandiers insolvables qui
se trouveront dans le cas de l'article 12 du règlement du 14
juillet 1720, au lieu de celles du fouet, du bannissement et de
la marque qui leur étoient infligées par ledit article ; à moins
qu'ils ne soient incapables de servir sur les galères, auquel
cas le même article sera simplement exécuté contre eux. ». Mais
l'article 12 en question ne concernait que les faux-tabatiers ;
ce n'était point assez. Trois jours plus tard, M. de La
Galaizière reprenait : « ...S. M. m'ordonne aujourd'hui de vous
déclarer qu'elle entend que la même conversion se fasse à
l'égard des fraudeurs d'autres espèces de marchandises prohibées
et généralement de tous les contrebandiers qui se trouveroient
dans le cas d'insolvabilité... » (47). S'il y a récidive, ce
sera les galères à perpétuité et la marque. Bien plus, sur les
instances de la Ferme, le Conseil des finances décida, le 22
avril 1741, que quelle que fut son incapacité de servir sur les
galères, le contrebandier débile serait néanmoins conduit à
Marseille, quitte à être enfermé dans l'hôpital réservé aux
forçats, et à y être entretenu et nourri aux frais de
l'adjudicataire ; l'arrêt du 5 février avait décrété que,
quoique septuagénaire, le fraudeur serait sujet à la conversion
en la peine de galères, à défaut de satisfaire à l'amende. En
1749, enfin, la Ferme obtenait encore un autre règlement
décidant que, dès l'âge de 14 ans, les fraudeurs seraient
passibles des mêmes répressions que ceux ayant atteint leur
majorité, et sans qu'il soit besoin de nommer des curateurs pour
leur défense (48). Toutefois, les fermiers mirent tant d'ardeur
et d'animosité dans leurs instances judiciaires qu'une réaction
en sens contraire vint apporter quelqu'adoucissement à ces
dispositions ; la déclaration du 22 juillet 1756 porte que les
créanciers insolvables, et seulement poursuivis au civil par la
Ferme, ne seront pas flétris et marqués ; elle les autorise à
payer l'amende, même après la sentence qui les condamne aux
galères, et à mettre ainsi fin à tout moment à la terrible peine
(49). La Chambre des Comptes essaya par une jurisprudence
constante d'apporter quelque modération à ces excessives
rigueurs ; elle fit cas des circonstances atténuantes, du peu
d'importance du délit, du manque de formalités de la part des
agents de la Ferme, des enquêtes mal faites ; mais c'était en
vain ; elle ne retardait que de quelques jours le sort réservé
aux fraudeurs. Le fermier allait en cassation et infailliblement
le Conseil des finances lui donnait raison et annulait la
décision de la Chambre, ainsi que nous l'attestent de multiples
arrêts. Un seul d'entre eux cassa, pour la simple satisfaction
du demandeur, huit jugements trop modérés (50).
Si nous éprouvons ici une réelle pitié, c'est que nous songeons,
non aux contrebandiers de profession, aux gens sans aveu, mais
aux malheureux qui ont été surpris puisant dans le voisinage de
leur maison quelque pot d'eau à une source salée, ou à ceux qui
ont utilisé pour assaisonner leur maigre repas une peignée de
sel recueillie au fond d'un tonnelet de harengs ; et qui, tous
infailliblement, subiront la même peine, car ils sont de ceux
qui n'ont point les 500 ou les 1.000 francs nécessaires pour se
racheter ; et la Ferme leur crie ce dilemme inexorable: ou
l'amende, ou les galères! Nous pensons aux jeunes garçons ayant
atteint 14 ans à peine, qu'un jour leurs parents ont envoyé
chercher une ou deux livres de sel ou un peu de tabac, sur une
enclave d'Empire, et qui vont être joints à la chaîne avec les
adultes et les vieillards; aux nombreuses mères et filles
insolvables qui, pour quelque légère fraude, furent battues
fustigées de verges, le torse nu, par l'exécuteur de la
haute-justice, puis bannies des Etats ; aux petits enfants,
enfin, innocents complices de la faute, et qu'une rançon trop
élevée ne permettra point aux parents de soustraire à la maison
de force. Malgré toutes ces menaces, la misère était si grande,
la situation des lieux si engageante, les surprises si faciles,
que chaque année une quantité presqu'égale de ces misérables,
réunis dans les prisons de Nancy, attendait le départ de la
chaine, puis cheminait vers Marseille. Comment d'ailleurs
l'indigent n'aurait-il point succombé à la tentation quand les
magasineurs étaient faux-sauniers? Les marchands et les
voituriers des sels vendus à bu prix pour l'étranger faisaient
des versements à travers la Province depuis les salines jusqu'à
la frontière, malgré une escorte de gardes de la gabelle ;
l'Intendant calculait que, quand chaque voiturier n'eût versé
sur sa route que 3 ou 4 liv. de seI par quintal, c'eût déjà été
un objet de plus de 1.000 muids par année (51). Des commis et
des gardes même sont accusés de faux-saunage, agents plus
impitoyables d'ailleurs envers les autres qu'ils sont soi-mêmes
plus coupables. Au dire du Contrôleur Machault, les communautés
religieuses de la frontière sont de véritables entrepôts pour la
contrebande ; on fuit souvent dans les chapelles des saisies
fructueuses (52). Le curé de Nitting nous a conté dans son
journal l'aventure mi-plaisante, mi-tragique, qui lui arriva une
nuit que portant un sac de faux-sel, destiné à ses bestiaux, il
se crut découvert, tomba dans sa fuite et se blessa (53). C'est
que ce n'est point un crime, pas même une faute, pour la
conscience du Lorrain d'alors, de frauder la Ferme, ne fût-ce
que par haine du gabelou. Aussi, le malheureux découvert et
traqué, est-il sûr de trouver partout aide et protection. Des
maires et des syndics sont à chaque instant condamnés pour avoir
refusé de prêter main-forte aux employés des fermiers ou pour
les avoir insultés. Exaspérées par le peu de proportion entre le
délit et la peine, par les scènes douloureuses qu'elles voient
chaque jour se passer au milieu d'elles, les populations
lorraines se livrent parfois à des représailles terribles.
Durant tout le règne de Stanislas le pays fut ainsi le théâtre
d'une lutte acharnée et ininterrompue. A peu de provinces, mieux
qu'à la Lorraine, à partir de 1737, n'appliquent ces paroles du
ministre Necker : « C'est assez avoir vécu sous des lois de
finance, véritablement ineptes et barbares, c'est assez avoir
exposé des milliers d'hommes aux attraits continuels de la
cupidité, c'est assez avoir rempli les prisons et les galères de
malheureux qui ne sont souvent instruits de leurs fautes que par
les punitions qu'on leur inflige ; c'est assez avoir mis en
guerre une partie de la société contre l'autre ! » (54).
SECTION VI. -
Postes et messageries.
Ce n'était point la Ferme générale qui exploitait ce monopole ;
elle percevait seulement le prix du bail que le Gouvernement en
passait avec une compagnie particulière. Elle n'avait aucune
part dans la régie ; elle n'intervenait que pour appuyer
certaines réclamations et comme co-demanderesse dans quelques
graves poursuites. Les postes et messageries de Lorraine et
Barrois avaient été de bonne heure affermées aux mêmes
adjudicataires que celles de France ; combinaison logique qui
assurait mieux que tout autre les correspondances entre le
Royaume, les Duchés et les pays limitrophes ; indispensable
presque pour éviter les conflits et faciliter le service dans
une région toute de transits, par laquelle se faisaient les
communications entre la France, l'Alsace et les terres d'Empire.
Déjà, en 1704, le fermier des postes et messageries de France
exploitait celles de Lorraine moyennant un canon de 12.000 liv.
En 1737, les raisons étaient plus fortes encore en faveur du
maintien de ce système. Les postes de Lorraine continuèrent donc
à relever de la Ferme des postes de France ; ce fut désormais,
et pendant tout le règne de Stanislas, pour 20.000 liv., monnaie
du Royaume, somme qui était versée, chaque année et par
quartiers, dans la caisse de la Ferme générale (55).
SECTION VII. -
Poudres et Salpêtres.
La Ferme générale n'avait aucun intérêt dans la fabrication et
la vente exclusives des poudres et salpêtres. Ce monopole était
affermé séparément.
Depuis le 1er janvier 1704, un sieur Edouard Waren, qualifié de
« lieutenant de l'artillerie », était adjudicataire des poudres
et salpêtres des Duchés. Waren mourut assez à temps, en 1738,
pour que l'administration française pût poursuivre sur ce point,
comme sur tant d'autres, son oeuvre d'uniformisation.
L'approvisionnement des arsenaux de Nancy, de Metz, de
Strasbourg, donnait à cette question une importance de premier
ordre. L'intendant obtint des héritiers de Waren la renonciation
à tous leurs droits et privilèges ainsi que la cession au
Domaine des usines servant à l'exploitation.
Bail put alors en être passé à la Ferme des poudres et salpêtres
de France qui prit possession de la fabrication et de la vente
dans la Province, à partir du 1er janvier 1739. Waren payait aux
Ducs 3.000 livres; le prix du nouveau bail varia beaucoup
suivant les époques. Le premier bail par exemple fut passé pour
8 années, moyennant 155.151 liv. 10 s. 4d. payables d'avance en
un seul versement ; le deuxième fut fait pour 9 ans, moyennant
38.750 liv. seulement. La Ferme s'engageait en outre à fournir
tous les une gratuitement 600 livres de poudre de chasse pour la
Maison du roi de Pologne (56).
CHAPITRE V
LES IMPOTS INDIRECTS PROPREMENT DITS. - LES MARQUES.
Ces impôts étaient désignés sous le nom de marques; les commis
de la Ferme ou de la Régie frappaient, en effet, les objets qui
en étaient taxés d'une empreinte spéciale, indispensable pour
leur mise légale en circulation.
SECTION I. - Marque
des Cartes.
Léopold, par un édit du 26 octobre 1726, avait décidé qu'un
personnel d'employés aurait désormais mission de surveiller la
fabrication des cartes à jouer pour prévenir les fraudes des
chevaliers d'industrie qui substituaient fréquemment aux jeux
ordinaires des jeux pipés. Un droit de marque, de 1 sol 6 d.
pour le jeu de cartes fines et de 1 sol pour les cartes
ordinaires, devait être de plus levé, à unique effet, selon le
prince, de subvenir à la rétribution des préposés (57). En
réalité, Léopold était loin d'ignorer que ce nouvel impôt serait
de quelque profit ; dix jours déjà, en effet, avant la
publication de l'édit, il avait accordé pour vingt-cinq ans au
premier gentilhomme de sa chambre et à ses héritiers la régie de
la marque des cartes et son produit, afin, disait-il, que le
marquis de Lambertye pût soutenir le rang qu'il était obligé
d'avoir à la suite de la Cour (58).
En France, l'impôt sur les cartes, par deux fois ordonné puis
supprimé, avait été rétabli en 1745. En 1751, il était concédé à
titre de dotation à l'École militaire de Paris créée au mois de
janvier. Or, cette même année 1751, le monopole dont jouissait
la famille de Lambertye allait précisément prendre fin. Ces
circonstances furent l'occasion d'un singulier arrangement. Le
18 avril, Stanislas résilia un contrat passé le 14 septembre
1748 et par lequel il avait fondé, pour après son décès, à
l'intention de gentilshommes lorrains, douze places au collège
des jésuites de Pont-à-Mousson. Au mois d'août suivant, une
convention était rédigée entre les ministres des deux rois :
Stanislas reportait sur l'École militaire sa fondation à
laquelle il donnait un effet immédiat ; mais, le 11 novembre, le
roi de Pologne apposait sa signature à un édit qui, assimilant
la Province au Royaume, y décidait la levée d'un nouvel impôt
sur les cartes, impôt identique à celui établi en France et
destiné à payer les douze places accordées, sur les cinq cents
que comptait l'École, à des gentilshommes du pays (59). Il y
avait certes là de la part de Stanislas beaucoup moins qu'une
fondation ! A la rigueur, même, la Lorraine y perdait,
l'importance du bénéfice que Louis XV était censé lui accorder
n'étant pas proportionné à la quote-part dont il la taxait.
La perception de la marque du cartes en Lorraine se fit donc à
partir de novembre 1751, et fut, sous la surveillance du
régisseur général de France, confié à un directeur-caissier
résidant à Nancy. Dans ses grandes lignes, cette régie était
alors ce qu'elle est encore aujourd'hui. L'introduction des
cartes étrangères est absolument interdite; le papier servant à
l'impression est vendu par la Régie qui surveille incessamment
la fabrication des jeux. Les contrôleurs sont autorisés à faire
des visites chez les maîtres cartiers sans l'assistance d'aucun
officier de justice ; c'est en leur présence que les cartes sont
empaquetées dans une enveloppe qu'ils collent eux-mêmes. La
répression des fraudes est beaucoup plus sévère qu'auparavant;
c'était 500 livres d'amende; désormais la peine encourue est de
3.000 livres plus le carcan ; en cas de récidive ce sont même
les galères à perpétuité. La juridiction ordinaire n'a plus
connaissance, ni au civil, ni au criminel, des questions
soulevées par la marque des cartes ; on n'en appelle plus à la
Chambre des Comptes. C'est à l'Intendant seul qu'il faut avoir
recours; sa procédure est sommaire et ses jugements exécutoires
par provision nonobstant l'appel au Conseil. L'impôt, enfin, est
plus que doublé : le droit de marque étant porté à 1 denier,
cours du Royaume, pour chaque carte (60). Centralisé à Nancy,
l'argent de la marque ne passait point par la caisse du receveur
général des finances, mais était versé directement à Paris au
profit de l'École. Le produit des cartes n'a donc jamais été
inscrit sur les registres des officiers des finances de
Lorraine; c'est une somme de plus à ajouter à la liste des
revenus tirés de la Province par l'administration française.
SECTION II. - Marque
des Cuirs
Un édit du mois d'août 1759, complété par un arrêt du Conseil
d'Etat du 27 octobre suivant, avait établi en France un ensemble
de droits sur les cuirs. Les tanneurs lorrains qui purent se
croire un instant à l'abri de cette mesure ne tardèrent point à
être désabusés. Ils eussent mal connu le système fiscal en
faveur à Versailles. Un an plus tard, en effet, MM. de La
Galaizière joignaient à leurs édits sur le troisième Vingtième
et le don gratuit des villes, un projet de déclaration étendant
à la Lorraine la marque des cuirs. Comme les cuirs et les peaux
apprêtés en France, ceux des Duchés devaient désormais être
taxés d'un droit de marque, selon un tarif comprenant leurs
diverses espèces ; leurs fabrication et vente étaient soumises à
la surveillance de la Régie. Les cuirs en vert étaient frappés à
l'exportation d'un droit élevé ; un autre droit serait payé à
l'importation pour les cuirs façonnés. Mais, au fond, les
différences entre les deux systèmes étaient nombreuses. Tout
d'abord les formalités destinées à assurer les intérêts de la
Régie étaient multipliées dans le projet présenté aux Cours pour
l'enregistrement. Les cuirs lorrains seraient marqués par deux
fois du marteau des préposés ; à la dernière opération, ils
seraient pesés pour acquitter le droit en raison de leur poids.
Cette pesée se ferait lors de la seconde levée de la fosse,
c'est-à-dire au moment où les peaux imbibées d'eau et de
réactifs sont deux fois plus lourdes qu'après leur entier
séchage au bout de trois mois, fait si connu que c'était
seulement à l'expiration de ce délai qu'en France les employés
de la Régie se livraient à cette opération. Les cuirs ouvrés que
le Français faisait venir de l'étranger acquittaient à la
frontière un droit de 10 % de leur valeur ; pour l'importation
en Lorraine ce droit fut fixé à 25 %. Parmi les peaux en vert
expédiées au dehors, l'édit de France n'en comprenait, comme
devant être taxées, qu'un certain nombre (celles de vache, boeuf,
mouton, agneau, chèvre et chevreau) ; non seulement l'édit de
Lorraine en mentionnait davantage, mais, par quelques mots
habiles, il réservait une place dans le tarif à toutes les
espèces non énumérées et atteignait ainsi les fourrures et les
peaux des moindres bêtes. La répression des fraudes, enfin,
était bornée dans le Royaume à la confiscation des objets ; pour
les Duchés, il devait y avoir, en plus, une amende variant de 50
à 600 liv., monnaie de France, et la Cour Souveraine put
déclarer à juste titre qu'il n'était pas possible de trouver un
édit bursal multipliant davantage ces amendes. Il est vrai,
qu'en revanche, l'administration française voulait bien
dispenser les Lorrains de tout péage intérieur pour le transport
des cuirs ; mais il est juste d'ajouter qu'il y avait bientôt
quarante ans que cette abolition était effective. L'édit des
cuirs fut l'objet d'un chapitre bien distinct dans les longues
doléances que les Cours présentèrent alors (61).
Toutefois le ministère tint bon, et, après deux ans et demi de
lutte, on représenta à l'enregistrement des Compagnies, en avril
1764, le fameux projet, plus semblable cependant à l'édit de
1759. Après quelques hésitations, la Cour Souveraine céda et
enregistra le 3 mai. Elle tint néanmoins à insérer dans la
formule d'usage une dernière protestation ; elle aimait à croire
que la marque des cuirs serait abrogée sitôt que les besoins de
l'Etat n'en exigeraient plus la perception. Elle n'apportait son
consentement ainsi que celui de la Chambre des Comptes qu'avec
quelques restrictions formelles : payement des prix du tarif en
monnaie de Lorraine ; intervention nécessaire d'un officier de
justice lors des visites faites par les employés de la Régie. Au
mépris de la loyauté, l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 juin
suivant ne sanctionna cette garantie que pour les visites faites
chez les simples particuliers, réticence qui équivalait à un
refus (62).
SECTION III. - Marque des fers à la fabrication.
Avec la marque des fers, nous retrouvons la série des impôts
antérieurs à 1737 et compris dans le bail de la Ferme générale.
Par un édit d'août 1699, Léopold avait frappé d'un droit à la
fabrication les fers et aciers des usines de Lorraine, à
l'exception des objets dits : de quincaillerie (63). Le Duc
avait pris comme modèle l'édit de France de 1626. Mais cet édit
n'avait pas été enregistré par tous les Parlements du Royaume.
Si le droit de marque était perçu dans les forges du ressort du
Parlement de Metz ou de celui de Dijon, par exemple, il ne
l'était point sous la juridiction de ceux de Toulouse ou de
Grenoble. De même, dans les Duchés, l'impôt sur les fers avait
soulevé de telles réclamations que Léopold avait dû bientôt le
réduire, pour six années, à une taxe d'abonnement ; la
déclaration du 21 juin 1720 remit en vigueur la perception de la
marque presque totalement tombée en désuétude; elle fut affermée
alors pour 40.000 livres (64). Sa levée continua toutefois à
présenter de sérieuses difficultés; les sous-fermiers durent
consentir à des transactions avec les fabricants. Tel n'était
point l'esprit de la Ferme générale de France à laquelle un
arrêt du Conseil des finances, du 28 août 1739, vint en aide
dans son oeuvre de réaction. Il fut ordonné sous peine d'amende,
aux maîtres de forges de fournir aux employés de la Ferme, lors
de leurs tournées, les hommes et instruments indispensables pour
la vérification du poids des fontes et gueuses ; les usines
étant généralement isolées, leurs propriétaires refusaient, en
effet, tout secours aux contrôleurs pour leurs opérations, afin
que ces derniers fussent contraints de se contenter des
déclarations les plus inexactes (65), En 1740, les
métallurgistes du Barrois mouvant déclarent au Conseil que si
l'état de choses continue, ils vont se voir dans la nécessité de
fermer leurs établissements « dont le travail est
considérablement diminué depuis que les fermiers de France et de
Lorraine prétendent exercer lesdits droits a la rigueur, au lieu
que ci-devant il est notoire que plusieurs de ces droits
n'étaient pas perçus ou qu'ils étaient modérés par des
abonnements et remises. » Les forges de cette région n'avaient
guère de débouchés que dans les Evêchés ou la Champagne. Or les
fers de la Province continuaient à être traités à leur entrée en
France comme fers étrangers ; ils devaient acquitter à la
frontière le droit de marque qu'ils avaient déjà payé à l'usine.
La Ferme de France et celle de Lorraine continuaient, tout en ne
faisant plus qu'une, à exiger chacune à son tour le même impôt.
Sept forges du Barrois mouvant, il est vrai, obtinrent à la
suite de leur pétition de ne plus payer que les trois quarts des
droits de marque ordinaires (66) ; un certain nombre d'autres
établissements reçurent aussi différents privilèges ; mais, pour
la majorité, l'impôt complet resta la règle. Là, les employés de
la Ferme percevaient par chaque quintal : 8 s. 9 d. pour les
gueuses ; 13 s. 6 d. pour les fers coulés; et 1 liv. pour
l'acier, « J'ai sous les yeux », écrivait Coster en 1762, « la
preuve que trois milliers de fer de la tirerie de Ruaux adressés
à un épinglier de Paris par un marchand de Nancy et qui avaient
déjà payé à la forge le droit de la marque des fers, ont encore
payé 342 livres à leur entrée en Champagne quoique le prix de
ces trois milliers de fer ne fût que de 1.230 liv., 15 s... Il
en résulte que le même fer paye au même fermier, outre le droit
de sortie de Lorraine et le droit d'entrée de France, trois fois
la marque des fers, savoir une première fois à la tirerie, une
seconde fois à la sortie de Lorraine, une troisième fois à
l'entrée en France... » (67). Si, dans cet exemple, la matière
première avait été tirée de Franche-Comté, comme cela se
pratiquait souvent, il faudrait encore ajouter à cette
nomenclature de droits la somme versée pour l'introduction en
Lorraine du minerai ou de la gueuse. Au droit de marque
proprement dit et perçu lors de la fabrication se rattachaient,
en effet, tout comme pour les cuirs, des droits spéciaux
d'entrée et de sortie compris généralement, pour la commodité,
sous la même rubrique, mais qui cependant ne peuvent être
classés que parmi les droits de traite qu'il nous reste à
étudier.
CHAPITRE VI
LES TRAITES ; LA FORAINE.
SECTION I.
- Traites autres que la foraine.
1. Droits d'entrée et de sortie sur les cuirs. - Rappelons pour
mémoire qu'un droit d'entrée sur les peaux et cuirs façonnés
était perçu, selon un tarif, aux frontières de Lorraine, tandis
que ces produits en vert payaient à l'exportation, en plus des
droits de sortie ordinaires, 10 % de leur valeur.
2. Droits d'entrée et de sortie sur les produits métallurgiques.
- Tous les fers venant de l'étranger payaient à l'entrée un
droit égal à celui auquel ils eussent été taxés dans les forges
du pays, lors de la fabrication.
Le minerai devait 3 s. 4 d. par quintal à l'entrée ; autant à la
sortie, outre le droit d'issue-foraine. La quincaillerie, même
celle connue sous le nom de mercerie qui était exempte de la
marque à la fabrication, devait 18 s., soit à l'importation,
soit pour le simple passage dans les Etats.
Ces divers droits ne doivent point être rangés parmi les péages
compris sous le nom générique de Foraine. La Foraine, vieille
dénomination des Duchés, ne désigne absolument que des
redevances beaucoup plus anciennes. Une réelle analogie
toutefois, une similitude dans la régie, et, aussi, une habitude
du langage courant, ont amené tous les auteurs à faire cette
confusion que les spécialistes de l'époque évitaient
soigneusement. La Ferme générale, dans le bail de laquelle la
marque des fers avait sa mention à part, était d'ailleurs la
première à maintenir la distinction.
SECTION II. - La Foraine.
Les péages rentrant dans cette catégorie peuvent être distingués
en six espèces de droits : droit de haut-conduit,
entrée-foraine, issue-foraine, droit de traverse, impôt sur les
toiles, et droits d'acquit-à-caution.
A. Droit de haut-conduit. - Le haut-conduit était non seulement
le plus ancien et la plus étendu de tous les droits composant la
Foraine, mais, aussi, un des premiers impôts qu'avaient établis
les Ducs. Une ordonnance de 1597, qui réglemente sa perception,
en parle dans ce sens (68). D'après une déclaration de 1704, à
laquelle les baux de la Ferme passés depuis 1737 continuèrent de
renvoyer, le haut-conduit est payé « par tous ceux qui tout
entrer ou sortir des Duchés, Pays et Etats, des vins, vivres,
marchandises et denrées, et toutes choses généralement
quelconques sans aucune excepter, soit que lesdites marchandises
ou denrées qui entreront dans lesdits Pays et Etats y soient
consommées ou y restent, soit qu'elles n'y soient point
consommées, et en sortent » (69). Rien de ce qui entrait en
Lorraine ou en était tiré n'était donc exempt de ce droit qui se
subdivisait en haut-conduit d'entrée et haut-conduit de sortie.
Les marchandises traversant directement la Province sans
s'arrêter étaient assujetties aux deux. La quotité de la taxe
variait pour un même objet suivant le point de la frontière
qu'il franchissait. Antérieurement à 1721, les Duchés étaient
divisés en cinq districts appelés eux-mêmes hauts-conduits;
c'était ; celui du Barrois, celui de Saint-Epvre, autour de
l'évêché de Toul ; ceux de Nancy, de Salins l'Etape et de
Château-Salins, correspondant approximativement à la Lorraine
propre, aux Vosges et à la Lorraine allemande. La circulation
n'était pas libre entre ces cinq zones que séparaient autant de
barrières & chacune desquelles il fallait acquitter les droits.
Cette répétition étant onéreuse et gênant singulièrement le
commerce intérieur, Léopold, par un édit du 4 avril 1721,
n'avait conservé nue le haut-conduit dû à l'entrée ou à la
sortie des Duchés. C'est alors que pour dédommager les fermiers,
ce Prince avait, comme nous l'avons dit, augmenté le droit de
contrôle, les formules et les actes d'affirmation de voyage.
Mais, depuis, les tarifs spéciaux à chacun des districts étaient
toujours restés en usage, de telle sorte que la vache conduite
au marché voisin, et devant pour cela traverser la frontière
dans l'un ou l'autre sens, continuait à devoir 3 gros sur la
partie dépendant de la zone du Barrois; 6 deniers, au contraire,
dans la zone de Salins-l'Etape, 4 dans celle de Saint-Epvre ou 2
dans celle de Nancy. Non seulement ces droits variaient d'après
la région, mais ils étaient établis d'après des méthodes
différentes. Dans le Barrois, tout char, quelles que soient les
marchandises qu'il contienne, paye une même somme ; dans le
district de Château-Salins, les employés de la Ferme se basent
sur la nature du chargement ; plus loin, leurs collègues
tiendront uniquement compte du nombre des objets ; tel tarif est
incomparablement plus détaillé que tel autre: dispositions qui
compliquent la perception mais facilitent les interprétations
favorables aux intérêts de la Compagnie. Aucun droit de
haut-conduit n'était très élevé : un char rempli de marchandises
ne doit que 4 gros sur la frontière du Barrois; le cent de porcs
duit 9 gros dans la zone de Saint-Epvre, où le mercier voyageant
avec sa balle laissera 6 deniers. Mais à ce haut-conduit
s'ajoutaient les charges suivantes :
B. Entrée-foraine. - L'entrée-foraine il est vrai, n'était
perçue que sur un très petit nombre d'objets: les chevaux, ânes
et mulets, et les vins étrangers. Ce péage, réglé par le tarif
du 4 décembre 1604, était de 1 fr. 3 gros, pour un cheval; 3
gros seulement pour un poulain. Les vins payaient
Indifféremment, quelle que fût leur qualité, un franc par queue
ou un gros par mesure.
C. Issue-foraine, - Un tarif de la même époque, resté en
vigueur, précisait les redevances à acquitter pour
l'issue-foraine, qui, comme le droit précédent, paraît avoir son
origine dans une ordonnance de 1563. L'issue-foraine était due
pour les denrées et marchandises sortant de Lorraine et
spécifiées dans une nomenclature de 225 articles parmi lesquels
sont mentionnés depuis les objets les plus usuels jusqu'aux
esturgeons, l'huile d'aspic ou les galles. Si nous en exceptons
les vins, les grains et les bestiaux, l'évaluation portait pour
chaque catégorie sur la charge même. On distinguait : le char,
la charrette, la charge d'un cheval et le fardeau. C'est ainsi
que le tarif prévoyait, à côté du char chargé de poissons ou de
minerai, celui chargé de « plumes de lict » ou encore celui
rempli de « marrons, chastaignes, oranges, citrons et grenades
». Plus forts que les droite de haut-conduit, ceux
d'issue-foraine étaient loin cependant d'être abusifs. Les
marchandises les plus haut cotées ne payaient que 2 fr. par char
(17 sols de Lorraine) ; les armes toutefois devaient 3 fr. en
même quantité.
D. Droit de Traverse. - Outre les deux droits de haut conduit,
ceux d'entrée et d'issue foraines, les marchandises traversant
la Lorraine sans être déballées devaient à la Ferme une
cinquième contribution : le droit de traverse, établi à partir
de 1616, par le duc Henry II, comme une sorte d'indemnité au
souverain pour les frais de construction et de sûreté des grands
chemins. Le droit de traverse se payait à raison du poids et
d'après les tarifs de 1615 et 1661. Il était tenu compte à la
fois de la provenance des marchandises et de leur valeur. Le
droit maximum était pour les draps d'or et d'argent venant
d'Italie qui devaient 18 gros par quintal (13 sols 9 deniers de
Lorraine), tandis que les étoffes plus grossières, expédiées
d'Allemagne, ne devaient que moitié. Seules, les toiles étaient
exemptes du droit de traverse, mais en revanche elles étaient
assujetties à une taxe spéciale plus élevée : l'impôt sur les
toiles.
E. Impôt sur les toiles. - Ce droit -. dont parle déjà une
ordonnance de 1590 - atteignait tous les tissus de lin ou de
chanvre qui traversaient la Province, ainsi que ceux que l'on en
tirait pour les conduire à l'étranger. Les toiles introduites en
Lorraine pour la consommation locale avaient franchise. Ce péage
était, depuis 1629, fixé uniformément à 3 francs (25 sols 6
deniers) par quintal. On n'avait égard ni à la finesse, ni à la
provenance.
L'acquit-de-paie, bulletin destiné à être exhibé à toute
réquisition comme preuve de l'acquittement de chacun de ces
divers droits, coûtait de plus un sol « pour le papier ». Le
haut-conduit de sortie, l'issue-foraine, l'impôt sur les toiles
chargées dans le pays, devaient être payés au plus prochain
bureau du lieu de chargement. Le haut-conduit d'entrée,
l'entrée-foraine, l'impôt sur les toiles venant de l'étranger ou
y retournant, le droit de traverse, étaient versés au premier
bureau de la route; par exception, les voituriers tenant la
route de Nancy devaient venir acquitter le droit de traverse au
bureau de la capitale.
F. Droits d'acquit-à-caution. - Ces droits étaient les plus
compliqués en même temps qu'ils sont les moins faciles à
définir. Ils ont leur origine dans la topographie singulière de
la Province et des pays voisins ou enclavés. Nous pouvons
signaler quatre sortes d'acquit-à-caution.
a) La pénétration entre la Lorraine et les terres évêchoises
avait de tout temps donné lieu à un grand nombre d'arrangements
et de concordats touchant la liberté du commerce et
l'affranchissement réciproque de péages dans certains cas
spéciaux. Le traité de 1604, dit traité de Nomeny, en fat le
meilleur résumé jusqu'au traité signé à Paris en 1718 et qui
adopte les principales dispositions du premier. Mais, si
Lorrains et Évêchois avaient parfois la liberté de recevoir
telles denrées ou marchandises pour leur consommation, ou d'en
transporter en empruntant le territoire de leurs voisins, sans
payer les droits d'entrée ou d'issue-foraine, Il fallait que ces
privilèges ne fussent point une occasion de fraude. C'est à cet
effet qu'il devait être fourni, au bureau le plus proche du lieu
de chargement ou de la route suivie, un gage ou une caution dont
le fermier délivrait acquit. Dans les 15 jours ou 8 semaines,
cet acquit devait être rapporté, certifié d'un des principaux
officiers du lieu de consommation, pour attester que les
marchandises y avaient bien été déchargées Il en coûtait 8 sols
tournois pour la délivrance, la réception et la décharge ; la
déclaration du 10 décembre 1722 avait ajouté un sol « pour le
papier ».
b) C'était cette même disposition géographique qui avait
nécessité l'usage d'une deuxième espèce d'acquit-à-caution. Un
marchand de Pont-à-Mousson fait venir de Nancy un ballot de
marchandises. Ces objets ne peuvent, après avoir payé le droit
de sortie en arrivant à Belleville sous prétexte qu'ils entrent
là sur un territoire étranger, devoir au même fermier les droits
d'entrée à Blénod, parce qu'ils sortent d'une terre de France.
Mais, afin d'assurer la Régie que le ballot est véritablement
destiné à la Lorraine, qu'il ne sera point versé dans l'étendue
de la généralité de Metz dont il emprunte le passage, il faut
que le voiturier prenne un acquit-à-caution dont le prix est de
4 gros; ce sera aussi 4 gros pour la décharge, plus le sol pour
le papier. Cette obligation n'était point générale avant 1737 ;
les parties de la Lorraine où ces acquits étaient de rigueur
étaient limitativement fixés par des textes. La Ferme de France
n'admit plus aucune distinction et étendit la mesure à toute la
Province.
c) Dans un arrêt du 14 janvier 1708, la Chambre des Comptes de
Lorraine avait enjoint, par provision, de prendre également des
acquits-à-caution pour les marchandises conduites dans des lieux
limitrophes. Il s'agissait d'empêcher le versement de ces
marchandises chez l'étranger, en fraude des droits de sortie.
Cette disposition fut naturellement maintenue sous le régime
français ; ces acquits rapportaient aussi 7 sols à la Ferme.
d) Il en était de même pour une quatrième sorte d'acquits-à-caution,
inaugurée sous Stanislas. Pour assurer le fermier que les
voituriers tenant la route de Nancy ne manqueraient point
d'acquitter au bureau de cette ville le droit de traverse, il
leur fut ordonné de prendre, au premier bureau de leur route en
terre lorraine, un acquit-à-caution, à la place du passavant qui
jusqu'alors avait suffi et était délivré gratuitement en
exécution de l'ordonnance de 1615.
Cette innovation fut formulée pour la première fois dans le bail
de Louis Diétrich. Dans cette pièce, deux articles, ajoutée au
dispositif des traités précédents et d'une rédaction
insignifiante à simple lecture, devaient servir en tous points
les vues fiscales de la Ferme. C'est de cette époque, surtout,
que la Compagnie donna à la Foraine une extension inattendue.
Les droits d'acquit furent peu à peu perçus de telle sorte que
la rétribution fut plus forte que la charge dont il paraissait
affranchir. Les Chambres des Comptes ne tardèrent pas à se
plaindre. Celle de Bar peut bientôt déclarer que « les droits
d'acquit-à-caution sont quadruplés » ; on est désormais
contraint pour le transport d'un même objet « de prendre autant
d'acquits qu'il y a de voituriers (70). »
« On a multiplié successivement ces droits d'acquits-à caution
», remarque à son tour un contemporain autorisé, « on a grossi
les avantages pour le fermier en abrégeant le terme accordé par
les anciennes ordonnances pour en rapporter la décharge ; et
pour rendre cet abus plus lucratif, le fermier, sans y paraître
autorisé par aucune loi, a substitué dans tous les cas à l'usage
d'exiger les cautions celui de faire consigner une somme
d'argent qui lui reste et tourne à son profit, si l'acquit n'est
pas rapporté dans le délai très court qu'il a fixé... » (71).
Les Ducs avaient tenu compte, autant que possible, de la
situation très défavorable de certaines portions de la Province
; telle, par exemple, cette de la principauté de Lixheim
enserrée au milieu de terres étrangères. C'est dans cette
considération qu'un arrêt du Conseil, du 6 février 1727, avait
dispensé les habitants de cette région des bureaux de péages.
Dès lors on jouit à Lixhein de l'exemption des droits. Mais la
Ferme de France s'appuya sur ce que le privilège n'avait été
accordé que « par grâce spéciale, jusqu'à bon plaisir et sans
tirer à conséquence ». Le bon plaisir eût dû finir avec les
jours de Léopold ; sur la requête de la Compagnie, un arrêt du
16 janvier 1759 révoqua donc la concession. Les conséquences de
cette mesure furent déplorables. Deux ans après, M. Coster ayant
parcouru cette contrée pouvait en tracer ce tableau : ses
habitants « chargés d'impositions, de vingtièmes, de corvées,
regardent aujourd'hui la foraine comme la plus grande de leurs
charges ; et le nombre de ceux qu'elle chasse chaque jour et
qu'elle fait transmigrer vous efffrayeroit ». Et en effet : « du
centre de la ville de Lixheim on voit à deux mil pas, autour de
soi, des terres de Nassau, ou d'Alsace ou des Evêchés : le
fermier s'applaudit d'une position qui soumet à ses acquits tout
ce qui circule ». Là, des vexations sans nombre attendent chaque
jour le simple particulier tout comme le marchand ; « s'il tire
des denrées ou des marchandises de Lorraine par Fénétrange (et
c'est le seul endroit par lequel cette principauté tient à la
Province) il faut un acquit-à-caution. Lixheim est un lieu
limitrophe : si c'est par quelqu'autre partie, il faut encore un
acquit-à-caution ; on emprunte nécessairement le territoire
français. Tout ce qui arrive à Lixheim est assujetti à cette
formalité coûteuse sous l'un ou l'autre de ces prétextes : tout
ce qui en sort pour les villages de la principauté, comme
outils, fruits, légumes y est encore assujetti : cela passe, dit
le fermier, dans un lieu limitrophe ; les dixmes même et les
denrées qui se transportent par les domestiques des Curés et des
gens d'Eglise ne sont pas respectées... » (72), Cette rigueur de
la Ferme, s'ajoutant à l'inconvénient des pénétrations et des
enclaves, faisait ainsi d'un ensemble de péages, en lui-même
beaucoup moins onéreux et assurément moins désagréable que les
systèmes douaniers de diverses autres provinces françaises, une
charge très lourde pour la Lorraine. La formalité des
acquits-à-caution se répète chaque fois que l'on emprunte sur sa
route le moindre lambeau de terre étrangère ou même que l'on
s'en approche. Or ces incidents sont inévitables pour le plus
petit trajet. On ne peut guère sortir directement de la Province
qu'au midi, et encore oubliais-je les enclaves de la Comté. De
Lunéville à Blâmont, on traversait deux fois la généralité de
Metz; il en était de même pour se rendre à Raon-l'Etape, à cause
des bans de Saint-Clément et de Baccarat. De Dieuze à
Saint-Avold, c'est-à-dire sur un parcours de 17.000 toises, on
passe alternativement sur sept territoires différents. Que
d'ennuis pour aller de Nancy à Sarreguemines ! La route emprunte
à trois reprises le sol évêchois, puis, enfin, une terre
d'Empire. Les évêchois exigent par réciprocité sur les
frontières tout ce que la Lorraine réclame elle-même, et le
fermier profite ainsi de l'une et de l'autre exigences. Voici un
commerçant solvable et domicilié, mais qui a coutume de
parcourir les foires et les marchés. Il est contraint de se
promener au milieu de cette marquetterie géographique (73) ;
comme la Ferme ne se contente pas d'une caution, mais veut que
l'on consigne une somme d'argent, notre homme s'en va semant ses
bénéfices sur son chemin et perdant tous ces déboursés s'il ne
peut revenir sur ses pas dans le laps de temps ridicule qui lui
est fixé pour représenter les acquits. Dans cet état de choses,
la moindre aggravation avait une portée considérable. Jusqu'en
1737, les Lorrains avaient supporté assez patiemment
l'institution de la Foraine qui commença dès lors à susciter
leurs murmures. Vers 1750, le fardeau fut si pesant que de
toutes parts des plaintes s'élevèrent ; jusqu'en 1766, nous les
entendons de plus en plus circonstanciées et saisissantes. La
Cour Souveraine déclare en août 1758 que : « l'extension de ces
droits gène infiniment le peu de commerce qui nous reste parce
que ces droits d'acquits sont devenus arbitraires et si
multipliés qu'on ne peut plus faire un pas en Lorraine sans y
être assujetti. ». La même Compagnie établit, dans ses
remontrances du 24 janvier 1761, que « la Foraine surtout est
devenue par ses abus, un fléau qui désole le commerçant et les
habitants des campagnes. Qu'est-il arrivé depuis vingt-trois uns
sur cette partie ? Les méditations du travail en Finances sur
les moyens d'augmenter le revenu des Fermes ont ramené sur cette
partie toutes les entraves que l'intérêt général avait écartées.
La régie a été rendue contentieuse, embarrassée. Les bureaux se
sont de nouveau multipliés. Les droits se sont étendus sur les
objets de la plus mince valeur. Un paquet de fil, une paire de
pigeons, un pot de légumes y ont été assujettis. Des décisions
nouvelles obtenues au Conseil par le Fermier, sans
contradicteurs, ont renversé les maximes qui le gênaient, et son
administration est devenue arbitraire. Ajouterons-nous que les
contraventions les plus innocentes sont rachetées par des sommes
considérable ? Contraventions provoquées encore par
l'affectation de mépriser les ordonnances qui assujettissent à
tenir sur les routes des affiches placardées contenant les
droits de la Foraine. Tels sont, Sire », terminait le
rapporteur, « les excès qui rendent odieux un droit légitime et
qui font de la Foraine l'objet des clameurs publiques ! » (74).
« On a vu », explique quelques mois plus tard, avec une
indignation mal contenue, un écrivain qui fit de ces questions
une étude approfondie, « on a vu un particulier transportant de
bonne foi quelques pains de chènevis pour sa basse-cour d'un
lieu à l'autre de la Lorraine, et obligé par la nature du
terrain de traverser deux fois dans l'espace de deux lieues les
terres étrangères enclavées, être repris une première fois pour
n'avoir pas su qu'il ne pouvoit, sans acquit-à caution,
transporter chez lui cette chétive denrée ; se racheter de cette
première contravention d'une somme de six écus neufs, et être
repris une seconde fois le quart d'heure d'après par les mêmes
gardes et sous la même peine, pour ne s'être pas muni d'un
nouvel acquit à l'occasion du nouveau territoire qu'il alloit
encore traverser ; et perdre ainsi trois louis d'or, pour avoir
innocemment manqué aux formalités nouvellement prescrites dans
le transport d'une denrée qui ne valloit pas trente sols » (75).
C'est à qui se lamentera davantage sur « cette vermine de
tyranneaux qui désolent à chaque instant l'agriculteur et le
voiturier, et troublent la circulation intérieure de mille et
mille manières »; « il est tel garde », s'écrie plaisamment un
ancien subdélégué de l'Intendance, « il est tel garde qui nous
fera plus craindre le passage de Lorraine en France, que celui
des sables de l'Arabie, ou des forêts des Hurons ou des
Chiroquois ! » (76).
Pour garder toutes les lignes frontières, toutes les zones
limitrophes, la Ferme devait employer sous Stanislas de 700 à
720 receveurs de la Foraine. La tâche de ces préposés n'était
pas facile ; ils eussent dû connaître en détail les dispositions
de multiples règlements et tarifs taxant les denrées et
marchandises tantôt sur le pied du char, tantôt de la charrette,
tantôt de la charge, ou du poids, ou du nombre ; connaître
également tout ce qui avait été fixé par les traités faits entre
les Ducs et leurs voisins, attendu que ces traités renfermaient
d'importantes modifications aux tarifs, eux-mêmes si divers.
L'embarras de la régie était tel que pour l'instruction de son
personnel, la Ferme dut faire imprimer, en 1757, un volume
entier des édits, déclarations et arrêts jugés nécessaires pour
l'exploitation de la Foraine (77). « On en feroit un second »,
assurait Coster « de ce qu'elle a supprimé soit comme inutile,
soit comme étranger à ses vues. ». Pour ma part, j'ai compté
plus de cent ordonnances et arrêts en vigueur en 1766, tout
absolument indispensables à posséder pour une perception
vraiment régulière !
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET INDICATION DES PRINCIPALES SOURCES.
AVANT PROPOS
PREMIÈRE PARTIE - LES IMPOSITIONS
CHAPITRE Ier. - La Subvention. - Subvention proprement dite et
Ponts et Chaussées
SECTION I. - Mécanisme de la répartition
SECTION II. - Subvention proprement dite
SECTION III. - Les Ponts et Chaussées
SECTION IV. - Les exempts et les non exempts
SECTION V. - Attributions des Chambres des Comptes de Nancy et
de Bar
CHAPITRE II. - Les impositions particulières
CHAPITRE
III. - Les Vingtièmes
SECTION
I. - Premier Vingtième
SECTION II. - Deuxième Vingtième. - Abonnement aux deux
Vingtièmes
SECTION III - Répartition de l'Abonnement
SECTION IV. Tentative d'établissement d'un troisième Vingtième
SECTION V. - Contribution du Clergé lorrain aux Vingtièmes
CHAPITRE IV. - Le personnel des finances
DEUXIEME PARTIE - LES PARTIES CASUELLES; LES OFFICES VÉNAUX
TROISIÈME PARTIE - LES EAUX ET FORÊTS
CHAPITRE Ier. - Les revenus des eaux et forêts
CHAPITRE II. - La comptabilité forestière
QUATRIEME PARTIE - LE DOMAINE; LA FERME GÉNERALE; LES IMPOTS
INDIRECTS
CHAPITRE Ier. - La comptabilité domaniale et la Ferme générale
SECTION I. - Comptabilité domaniale
SECTION II. - La Ferme générale
CHAPITRE II. - Le domaine foncier et les droits domaniaux
seigneuriaux
SECTION I. - Le domaine foncier
SECTION II. - Les droits domaniaux seigneuriaux
SECTION III. - Les sous-fermiers du domaine
CHAPITRE
III. - Les droits domaniaux régaliens
CHAPITRE IV. - Les
monopoles
SECTION I. - Châtrerie
SECTION II. - Riflerie
SECTION III. - Tabacs
SECTION IV. -
Les salines: la gabelle
SECTION V. - La
contrebande
SECTION VI. -
Poste et messageries
SECTION VII. -
Poudres et salpêtres
CHAPITRE V. - Les impôts indirects proprement dits - Les marques
SECTION I. - Marque
des cartes
SECTION II. - Marque
des cuirs
SECTION III. - Marque des fers à la fabrication
CHAPITRE VI. -
Les traites ; la Foraine
SECTION
I. - Traites autres que la Foraine
SECTION II. - La Foraine |