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                CHAPITRE 
				III 
				DROITS DOMANIAUX REGALIENS. 
				 
				Les divers droits rentrant dans cette catégorie étaient connus 
				dons les Duchés bien avant 1737. Plusieurs étaient analogues, 
				sinon identiques, à ceux perçus dans le Royaume. Comme le régime 
				français n'y apporta que peu de modifications, et que, 
				d'ailleurs, un examen détaillé de chacun d'eux nécessiterait des 
				développements trop spéciaux, nous serons brefs à leur sujet. 
				I. Droit de petit sceau et de tabellionage. - Ce droit est 
				assurément le plus ancien de tous. La Ferme générale de France 
				se le réserva en majeure partie pour en faire l'objet d'une 
				régie particulière ; mais il est à noter qu'elle le comprit dans 
				les baux des sous-fermiers des domaines là où il pouvait être 
				considéré comme un attribut de la haute-justice royale, 
				c'est-à-dire dans les seigneuries en faveur desquelles les ducs 
				l'avaient autrefois concédé ou aliéné, et que depuis, leurs 
				successeurs avaient réuni au Domaine. A l'égard des quelques 
				hautes-justices particulières dont les propriétaires jouissaient 
				encore du droit de sceau et de tabellionage, la Ferme n'admit 
				plus, après 1787, que ces derniers pussent revendiquer leurs 
				privilèges pour les actes les intéressant personnellement ; elle 
				les força à passer désormais par ses bureaux. Le droit simple 
				était fixé à tant pour telle ou telle espèce d'acte ; le droit 
				réel, au contraire, était exigé proportionnellement aux sommes 
				stipulées dans le contrat. 
				Dans la Lorraine propre, tout tabellion dut, à partir de 1739, 
				remettre chaque trois mois aux employés de la Ferme, sous peine 
				de 100 livres d'amende, les grosses expédiées sur parchemin des 
				contrats réels et perpétuels qu'il recevaient ; dans le Barrois, 
				ce fut tous les deux mois que copies en forme de ces mêmes 
				contrats durent être présentées pour être «  tabellionnées et 
				scellées » (1). Les difficultés sur le droit de sceau se 
				portaient à la Chambre des Comptes. 
				 
				2. Formules (papiers et parchemins timbrés). - L'administration 
				française avait introduit les formules dans les Duchés pendant 
				l'occupation. Léopold les conserva et même les augmenta quelque 
				peu (2). Fabriqué et vendu exclusivement par la Ferme, le papier 
				timbré coûtait, suivant le format, de 3 s. 9 d., à 1 s. 10 d. ; 
				les feuilles les plus couramment employées étaient de 2 s. 9 d.; 
				le parchemin timbré valait dans les bureaux de distribution de 1 
				liv. 10 s. 6 d. à 7 s. 9 d. Le timbre frappait les actes 
				judiciaires, les actes notariés, divers registres - notamment 
				ceux des maîtres de forges les affiches, les placards et 
				quantité d'autres pièces. 
				 
				3. Droits de contrôle. Il faut distinguer le contrôle des 
				exploits et celui des actes des notaires. 
				a) Contrôle et exploits. - Il existait à l'arrivée de Léopold 
				qui en fixa le droit à 7 sols par exploit (3). Tout exploit 
				d'assignation, saisie, etc. doit être présenté par l'huissier 
				dans les 3 jours au bureau du contrôle, ce qui prévient les 
				fraudes et les antidates. 
				b) Contrôle des actes des notaires, etc. - Ce contrôle qui 
				devait offrir les mêmes avantages, ne fut institué que 
				postérieurement. A partir du 1er janvier 1719, tous notaires et 
				tabellions, même ceux des seigneurs et particuliers, eurent à 
				faire contrôler leurs actes qui, sans cette formalité, ne 
				portaient ni privilège ni hypothèque (4). Le délai était de huit 
				jours. Les actes à cause de mort étaient contrôlés au décès du 
				testateur. Ceux sous-seing privé devaient, de même, payer le 
				droit, afin que l'on pût en requérir judiciairement l'exécution 
				: toutes choses qui évoquent l'idée de notre enregistrement. Ces 
				droits de contrôle étaient perçus suivant un tarif et variaient 
				de 5 sols 6 d. (pour un bail à temps d'un canon maximum de 100 
				livres) à 6 liv. 12 s. - pour une substitution ou une donation 
				mutuelle, par exemple. 
				 
				4. Droits d'amortissement et de nouvel acquêt. - Les gens de 
				main morte ne pouvaient posséder en Lorraine aucun héritage ou 
				droit immobilier sans avoir, sous peine de réunion au Domaine, 
				obtenu des lettres d'amortissement et acquitté un droit. Malgré 
				différentes ordonnances, la réglementation de l'amortissement 
				présentait bien des points obscurs. Une importante déclaration, 
				signée par Stanislas, vint, le 12 juin 1758, fixer la 
				jurisprudence et arrêter de nombreuses contestations (5). 
				Les hôpitaux, maisons de charité et établissements d'utilité 
				publique furent exemptés de la finance. Les droits 
				d'amortissement se montaient : 
				Pour les fiefs relevant immédiatement du Domaine, au tiers de la 
				valeur du fonds ; 
				Pour les biens roturiers de même mouvance ainsi que pour les 
				arrière-fiefs, au cinquième ; pour les biens en roture, libres 
				de toute domanialité, au sixième. 
				Le droit de nouvel acquêt était taxé au vingtième du revenu 
				d'une année. 
				Malgré les amortissements gratuits, la Ferme trouvait encore 
				dans cette institution un bénéfice assez considérable ; de 1737 
				à 1759, les acquisitions déclarées par les gens de main morte 
				atteignirent une somme de 3.542.547 liv. (6). La Ferme opérait 
				le recouvrement sur les quittances du receveur général des 
				domaines, contrôlées par le contrôleur général. Ces officiers 
				percevaient à cet effet un supplément de 2 sols pour livre. 
				Les contestations qui pouvaient survenir dans l'exécution des 
				rôles d'amortissement étaient portées directement au Conseil 
				pour être jugées sommairement. 
				 
				5. Droit de souffrance. - Les lettres de souffrance, 
				autorisation pour un roturier de posséder un fief sa vie durant, 
				donnaient de même lieu à la perception d'un droit, au profit de 
				la Ferme et par l'entremise du receveur général des domaines. Le 
				produit des lettres de souffrance nit en 1751, par exemple, de 
				1.441 livres (7). 
				 
				6. Droit de présentation des demandeurs et défendeurs. - Par 
				édit du 11 décembre 1718, Léopold avait supprimé une catégorie 
				d'officiers particulièrement odieux : les procureurs. Mais, 
				tandis que le Duc simplifiait ainsi la procédure, d'autre part, 
				par une contradiction singulière, il y ajoutait une nouvelle 
				formalité. Les plaideurs, pour que leur cause put être appelée 
				durent, au préalable, se faire inscrire, avec désignation de 
				leurs avocats à un greffe spécial et y acquitter un droit, dit 
				de présentation. Quelle que soit la juridiction à laquelle la 
				partie s'adresse, elle est contrainte de passer devant le 
				greffier préposé par la Ferme. La présentation coûte 2 fr. 6 
				gros aux bureaux installés près des Cours souveraines ; 1 fr. 6 
				gr. à ceux des bailliages, des sièges de maîtrise, etc; 1 franc, 
				enfin, pour les justices inférieures et les prévôtés 
				particulières (8). Il faut ajouter le prix du papier timbré de 
				l'expédition. 
				Deux incidents de procédure permettaient aux mêmes employés de 
				la Ferme d'exiger encore les deux droits suivants : 
				 
				7. Droit de déclaration et de diminution de dépens. - La moitié 
				de la façon des déclarations et diminutions de dépens revenait 
				au Domaine depuis 1718. Aucune formule exécutoire ne peut être 
				délivrée que sur le vu de la quittance de ce droit, quittance 
				qui, de plus, est soumise au droit de contrôle (9). 
				 
				8. Droit d'affirmation de voyage. - L'affirmation de voyage est 
				la déclaration faite au greffe par le plaideur à l'effet 
				d'obtenir le remboursement de ses frais de voyage après le gain 
				de ion procès. Le juge, à quelque juridiction qu'il appartienne, 
				ne peut, à peine de 500 livres d'amende, donner à la partie 
				requérante acte de son voyage sans que le droit d'affirmation 
				ait été versé entre tes mains du greffier de la Ferme qui reçoit 
				30 sols près des Cours supérieures et moitié près de tout autre 
				tribunal. 
				Le recouvrement de tous ces droits était difficile et d'une 
				régie minutieuse ; aussi les derniers fermiers l'avaient-ils 
				beaucoup négligé, ne disposant que d'un personnel insuffisant. 
				Certains droits étaient même tombés en désuétude. La Ferme de 
				France modifia aussitôt l'état de choses ; elle exhuma les 
				vieilles ordonnances et obtint du Conseil de nouveaux 
				règlements. Les bureaux et les greffes furent multipliés ; là, 
				tout un monde de commis fut maintenu en baleine par les 
				contrôleurs ambulants. Les visites et les perquisitions mirent 
				chacun en garde ; on usa de recherches incessantes dans les 
				études d'instrumentaires et les dépôts publics, les minutes de 
				notaires furent collationnées avec les registres du contrôle ; 
				la négligence du juge fut épiée tout comme celle de l'huissier ; 
				par d'habiles interprétations des articles, on parvint enfin à 
				donner à la perception des anciens droits une extension tout à 
				fait nouvelle. Déjà la Chambre des Comptes le constate dans ses 
				remontrances de 1740 ; en janvier 1750, la Cour Souveraine se 
				plaint de la recherche que font les fermiers «  des droits d'amortissemens 
				négligés ou peut-être remis sous les règnes précédents.. » ; 
				elle ne cesse de déplorer «  la fécondité du génie de la Finance 
				», l'aggravation des droits de sceau, de contrôle, de 
				présentation. 
				C'est encore, en 1788, la Chambre des Comptes de Bar qui 
				constate avec humeur que «  les contrôles des actes des notaires 
				sont souvent quadruplés sous prétexte des procurations, ou s'il 
				s'y trouve plusieurs vendeurs ou acheteurs quoique par les 
				ordonnances les plus gros droits de contrôle soient de 24 
				livres...» (10). 
				 
				CHAPITRE IV 
				LES MONOPOLES. 
				 
				Les monopoles exploités par la Ferme générale étaient : la 
				châtrerie ; la riflererie ; la fabrication et la vente du tabac 
				et du sel; la Ferme jouissait, en outre, du produit des baux des 
				postes et messageries dont elle n'avait point la régie. 
				 
				SECTION I. - Châtrerie. 
				 
				Par ce singulier monopole, propre à la Province, la Ferme avait 
				le privilège exclusif de faire châtrer les animaux énumérés au 
				bail, moyennant un tarif également établi d'avance. 
				La châtrerie était un très ancien droit seigneurial que, peu à 
				peu, les Ducs avaient attiré à eux et dont ils avaient fait un 
				attribut régalien. Ils en avaient ensuite gratifié leurs 
				favorisés sous la forme d'un office, celui de maître châtreux ou 
				Maître des châtreurs. A ce titre étaient attachés certains 
				droits honorifiques fort appréciés, sans compter les avantages 
				pécuniaires du monopole, qu'exerçaient, sous la haute direction 
				du maître, et pour son profit, un certain nombre de lieutenants 
				et de commis. Ces derniers étaient soumis à un règlement imposé 
				par Charles III, en 1590, et confirmé par ses successeurs. Dans 
				le principe, il y avait eu deux offices distincts de maître des 
				châtreurs, l'un correspondant à la Lorraine proprement dite, 
				l'autre au Barrois ; offices qui plus tard furent réunis en un 
				seul. 
				De grands personnages, des femmes, même, de noble famille 
				tinrent à honneur d'en être pourvus ; plusieurs de Pullenoy 
				forent maîtres châtreux ; un de Gerbéviller, premier 
				grand-maître des requêtes de l'hôtel, l'était en 1701. Léopold, 
				en 1707, en même temps qu'il nommait professeur à l'Université 
				de Pont-àMousson, son chirurgien Malissein, lui conférait cette 
				distinction dont jouissait en 1712 le comte des Armoises; 
				plusieurs titulaires se plurent à se faire appeler pompeusement 
				: grand-maître des châtreux des Duchés (11). Un arrêt du Conseil 
				d'Etat, du 16 mars 1731, supprima cette charge et réunit au 
				Domaine les droits et émoluments qui y étaient attachés ; le 
				droit exclusif de châtrer les animaux dans toute l'étendue de la 
				Lorraine fut dès lors affermé, et naturellement l'administration 
				française le conserva et le comprit dans le bail de la Ferme 
				générale. S'inspirant des anciens règlements qu'il codifia, 
				l'arrêt du Conseil des finances, du 22 avril 1752, réglementa 
				d'une façon complète l'exercice de ce monopole (12). 
				La Province était divisée à ce point de vue en huit départements 
				: Nancy, Lunéville, Sarreguemines, Mirecourt, Etain, Bar, 
				Saint-Mihiel et le Bassigny. Dans chacune de ces 
				circonscriptions la Ferme devait placer un nombre suffisant de 
				châtreurs, sous-fermiers à différents degrés. Ceux on fonction 
				élisaient parmi eux un maître, deux échevins et un sergent 
				chargé de la police. Les châtreurs préposés par les fermiers 
				devaient auparavant avoir été reçus par le maître du métier et 
				les échevins qui leur délivraient les lettres de han nécessaires 
				à l'exercice de leur profession. Deux fois au moins par année, 
				au printemps et à l'automne, ils faisaient une tournée dans leur 
				départements respectifs dont d'ailleurs ils ne pouvaient 
				franchir les limites. Aussitôt que l'arrivée du châtreur a été 
				annoncée dans un village, interdiction absolue aux habitants de 
				laisser sortir aucun animal de l'écurie; ne faut-il pas qu'il 
				soit possible de vérifier si les droits de la Ferme ont été 
				soigneusement sauvegardés ? Quiconque est reconnu avoir châtré 
				ou fait châtrer un animal quel qu'il soit, - excepté les moutons 
				et les brebis que le berger peut opérer lui-même, - est condamné 
				à 20 livres d'amende, dommages et intérêts; au double, en cas de 
				récidive et sans qu'aucune modération puisse être accordée. 
				L'étranger surpris exerçant ce métier sur le territoire de la 
				Province doit être aussitôt arrêté par les gens de justice pour 
				n'être rendu à la liberté qu'après le versement de pareilles 
				amendes. Les services des châtreurs étaient payés d'après un 
				tarif où, suivant l'animal, les prix variaient de cinq livres à 
				quatre sols (13). 
				Malgré les précautions prises par les règlements afin que la 
				Ferme générale ne pût préposer que des employés expérimentés, 
				les Lorrains eurent souvent à se plaindre de la malhabileté, de 
				l'insouciance de ces gens qui occasionnèrent la perte de 
				beaucoup d'animaux. La Ferme, il est vrai, était responsable ; 
				mais les moyens de preuve manquaient le plus souvent ; il 
				fallait engager un procès, et le laboureur, dans cette lutte 
				inégale, était presque sûr de succomber. C était de plus, de la 
				part des sous-fermiers châtreurs, des minuties, des vexations 
				multiples. 
				Toutes les difficultés sur la matière de la châtrerie étaient 
				portées en première instance par devant les juges des bailliages 
				et en appel à la Chambre des Comptes. 
				 
				SECTION II. - Riflerie. 
				 
				Si un propriétaire ne pouvait châtrer lui-même aucun de ses 
				animaux, ni le faire châtrer, sans avoir recours aux gens de la 
				Ferme, c'était encore à des délégués de cette dernière qu'il 
				devait s'adresser, une fois l'animal mort, pour le rifler, 
				c'est-à-dire le «  blanchir et dépouiller », ainsi que pour 
				enfouir le cadavre. Un animal périt-il ? Sous peine de 25 livres 
				d'amende, il faut avertir le rifleur-juré, lui payer pour le 
				dépouillement un prix fixé au tarif, - à moins qu'on ne préfère 
				lui abandonner le cuir de la bête, - et lui verser, enfin, trois 
				francs pour creuser la fosse ; tout cela en vertu d'un autre 
				curieux monopole : le droit de riflerie. De même que la 
				châtrerie, la riflerie avait été tout d'abord un droit 
				seigneurial ; mais Léopold, continuant l'oeuvre de ses 
				prédécesseurs, avait finalement réuni à son domaine particulier 
				toutes les rifleries des Duchés (14). 
				 
				SECTION III. - Les tabacs. 
				 
				Le tabac était connu en Lorraine dès le commencement du XVIIe 
				siècle; mais, alors, il n'y était guère utilisé que comme 
				remède. Charles IV, dans une ordonnance du 12 février 1628, 
				défendait d'en semer en pleine campagne, «  ayant sceu » 
				disait-il, «  le dommage que cela apporte aux biens et fruits de 
				la terre... mais demeurera libre à chacun pour en prendre comme 
				auparavant selon qu'aucuns en peuvent ressentir du soulagement 
				». Vers 1663, quelques particuliers en tentèrent encore la 
				plantation qui fut du nouveau sévèrement interdite. Peu à peu, 
				cependant, l'usage de la précieuse solanée s'était répandu dans 
				les Duchés et y était devenu un besoin. Léopold sut tirer parti 
				de cette circonstance ; loin de prohiber la culture du tabac, il 
				l'encouragea par différents moyens, surtout par des avantages 
				assurés aux planteurs (15). Le tabac devint dès lors une source 
				de revenus pour le Prince. Le commerce, en effet, ne fut jamais 
				libre. On ne pouvait semer cette plante qu'avec la permission 
				d'un fermier du tabac qui en surveillait l'exploitation, à qui 
				toutes les feuilles devaient être remises à un prix convenu, et 
				qui, seul, avait le droit d'en débiter dans les Duchés, à la 
				réserve de la baronie de Fénétrange où la vente était libre. Dès 
				1700, cette ferme rapportait 12.000 livres ; 48.000, dix ans 
				plus tard ; 75.000 en 1715 (16). En 1735 son produit net fut de 
				226,000 liv. (17), et l'année 1728 ayant été des plus 
				favorables, la récolte atteignit une valeur de 286.222 livres. 
				Avec l'administration française la terme du tabac qui avait été 
				réunie, en 1720, à la Ferme générale de Lorraine, fut aussi et 
				définitivement comprise dans l'adjudication des autres droits et 
				monopoles parmi lesquels elle était estimée pour 270.000 liv. 
				(18). De ce moment, tout changea. Le fermier du tabac 
				s'engageait autrefois à en planter un minimum de 1.500 jours de 
				terre, chiffre qui était toujours de beaucoup dépassé. La 
				Lorraine était même, avec le Comté d'Avignon, la portion du 
				territoire de la France actuelle où il s'en cultivait le plus, 
				depuis qu'un arrêt du Conseil, du 29 décembre 1719, et une 
				déclaration du roi, du 17 octobre suivant, avaient supprimé 
				toutes les plantations de l'intérieur du Royaume pour ne plus 
				autoriser que celles faites en Alsace, en Artois, en Hainault, 
				en Cambrésis et en Franche-Comté (19). Le premier bail passé en 
				1737 obligeait encore la Ferme générale à l'exploitation de 
				1.000 jours ; mais bientôt la Lorraine fut comprise dans la 
				prohibition et ses cultures entièrement détruites. On donna 
				comme prétexte de cette mesure la mauvaise qualité des pieds de 
				tabac produits par le sol des Duchés. Or, le tabac de la 
				Lorraine, sous Léopold et sous François, avait joui jusqu'à 
				l'étranger d'une réelle renommée ; tous les écrivains de 
				l'époque sont unanimes à en faire l'éloge ; «  le tabac de la 
				Lorraine » nous dit Durival, «  eut beaucoup de réputation » 
				(20). Le meilleur croissait aux environs de Neufchâteau, «  Les 
				terrains gras et sableux des villages les plus proches de la 
				Capitale », déclarait avec regret un contemporain autorisé, «  
				entr'autres ceux de Jarville et de In Neuveville y étoient 
				infiniment propres... le travail qui en précède ou suit la 
				récolte occupait un grand nombre de personnes de tout âge » 
				(21). On ne manipula plus dans la Province que des feuilles 
				tirées de Virginie, de Hollande ou d'Alsace. En 1753, huit 
				presses étaient continuellement en activité dans l'importante 
				manufacture de Nancy, appelée communément la Tabagie. Mais la 
				Ferme avait supprimé les manufactures de Saint-Avold, 
				Saint-Mihiel et celle de Neufchâteau, très considérable avec ses 
				ateliers et sa vaste halle où se faisaient naguère la récolte et 
				le séchage des feuilles (22). 
				La manufacture des tabacs de Nancy envoyait ses produits dont, 
				quatre magasins ou bureaux généraux : Nancy, Bar-le-Duc, 
				Neufchâteau et Saint-Avold. Du bureau général de Nancy 
				dépendaient les entrepôts de Dieuze, Blâmont, Lunéville, 
				Pont-à-Mousson, Rambervillers, Epinal, Saint-Dié, 
				Fontenoy-le-Château, Gérardmer, Remiremont et 
				Sainte-Marie-aux-Mines. De celui de Bar-le-Duc: les entrepôts de 
				Saint-Mihiel, Commercy, Conflans et Arrancy. Le bureau de 
				Neufchâteau comprenait dans son arrondissement : Darney et 
				Mirecourt ; celui de Saint-Avold : Réling, Sarreguemines, Bitche, 
				Tholey et Lixheim. A chaque bureau général étaient attachés un 
				receveur et un contrôleur qui percevaient respectivement trois 
				cinquièmes et deux cinquièmes sur les levées qu'y venaient faire 
				les entreposeurs. On n'y pouvait acheter moins de cinq livres de 
				tabac de chaque espèce. Quant aux entreposeurs, ils prélevaient 
				des remises en nature sur le tabac qu'ils vendaient aux 
				débitants (23). Sous ce nouveau régime le prix des tabacs fut 
				sensiblement augmenté. Dès 1750, la Cour Souveraine mentionnait 
				parmi les divers objets de ses Remontrances, ce «  prix des 
				tabacs qui se vendent aujourd'hui le double de ce qu'ils se 
				vendaient autrefois ». 
				 
				SECTION IV. - 
				Les Salines ; la Gabelle. 
				 
				Le monopole de la vente du sel était de beaucoup le plus 
				important; il tenait une large place bien distincte dans le bail 
				de la Ferme générale, et il mérite à tous les points de vue un 
				examen plus approfondi que les précédents. 
				De tout temps, on avait fabriqué du sel en Lorraine ; dès la 
				domination mérovingienne, les sources salées de la vallée de la 
				Seille étaient activement exploitées, et, sous les caroligiens, 
				cette industrie n'avait point tardé à prendre un grand 
				développement. Les principales abbayes obtinrent d'établir, pour 
				leur usage particulier, des poêles dans les salines domaniales. 
				Les poëles, chaudières où se cuisait le sel, - par extension, on 
				donnait quelquefois ce nom aux bâtiments qui les abritaient - 
				étaient les anciennes patellae tandis que le vieux mot sessus 
				désignait l'usine ou l'enclos qui renfermait la source. L'eau se 
				puisait avec une sorte de grue, d'où l'expression jus ciconiae 
				longtemps employée pour indiquer le droit de tirer de l'eau au 
				puits salant. Les ducs ne manquèrent point de porter de bonne 
				heure, et tout spécialement, leur attention sur cette richesse 
				du sol lorrain ; les salinés devinrent leur principales usines 
				domaniales ; ils en obtinrent de forts revenus qu'ils 
				s'assurèrent mieux encore par des lois prohibitives leur 
				réservant la vente exclusive du précieux produit. C'est Ferri 
				III, par exemple, qui réunit au domaine ducal, par des 
				acquisitions successives, la totalité des salines de Rosières 
				qui appartenaient jusqu'alors eu partie à différentes branches 
				de la famille des Lenoncourt. C'est aussi Charles III qui, par 
				d'habiles règlements, sut augmenter le rapport de ses usines à 
				sel au point qu'elles formèrent désormais un des plus beaux 
				joyaux de la couronne de Lorraine. La bonne qualité des sels qui 
				y étaient fabriqués permettait qu'on les écoulât au dehors à un 
				prix plus élevé que les sels étrangers ; elles rapportaient 
				alors annuellement environ 600.000 francs barrois. 
				En 1589, le prix du sel fut augmenté pour subvenir aux frais 
				d'une guerre coûteuse ; et, comme les pauvres achetaient 
				volontiers et à meilleur compte du sel étranger, l'introduction 
				de ce dernier fut sévèrement prohibée par des ordonnances 
				successives, en 1572, 1590 et 1591. Le monopole de la gabelle 
				était désormais créé, et, sous les règnes suivants, il fut 
				toujours soigneusement conservé (24). 
				Avec Léopold, la production du sel doubla presque ; auparavant 
				il s'en façonnait 19.000 muids; en 1723, on en obtint 34.771 et 
				le produit de la gabelle atteignit 1.982.341 livres (25). Bref, 
				les usines à sel de Lorraine prospérèrent si bien qu'en 1737 
				l'administration française put, dans le bail de la Ferme, en 
				comprendre le revenu - les 519.808 liv. de dépenses occasionnées 
				par la régie déduites - pour 1.848.390 livres. 
				Sur bien des points du territoire des Duchés, on voyait sourdre 
				alors des sources salées, continues ou temporaires. Le nombre en 
				était surtout considérable sur le bord des rivières de grande et 
				de petite Seille. Il en était apparu, et il devait en apparaître 
				encore, en maints endroits. Il y avait eu autrefois des salines 
				à Moyenmoutier ; plus récemment, on cuisait encore le sel à 
				Saltzbronn ; l'eau salée eût de même été facilement utilisée à 
				Cocheren, à Dombasle, à Roville, etc., localités où elle se 
				montra plusieurs fois. Mais en 1737, trois sources seules 
				étaient exploitées par des salines qui s'élevaient à Dieuze, à 
				Château-Salins et à Rosières; en 1760, enfin, la saline de 
				Rosières fut fermée par l'administration française, et les deux 
				premières restèrent seules exploitées par la Ferme (26). 
				La Lorraine fit partie, sous Stanislas, de ce qu'on appelait 
				dans le vocabulaire des fermes les pays de salines, c'est-à-dire 
				de cette étendue de territoire composée de la Franche-Comté, des 
				Trois-Evéchés, du Rethelois, d'une partie de l'Alsace, du 
				Clermontois, et qu'alimentaient les salines des Evêchés et de la 
				Comté, puis de ce moment, celles surtout des anciens Duchés. Le 
				prix du sel était fixé dans la Province à 11 sous le pot depuis 
				une déclaration du 25 décembre 1726, soit 5 sous et demi la 
				livre, chiffre qui fut maintenu durant tout le règne du roi de 
				Pologne. 
				Quelques parties des Etats suivaient un usage différent, tels le 
				Mertzig et le Sargau. La Ferme était de même obligée de débiter 
				le sel à un prix moindre, et fixé par la convention, dans 
				beaucoup de cantons de la frontière échangés avec les princes 
				voisins et qui avaient conservé leurs privilèges de gabelle : 
				Morhange, Bouquenom, Saarwerden, Bitche, Lixheim, 
				Sainte-Marie-aux-Mines, la terre de Salm, Fénétrange, etc. Les 
				formateurs fournissaient la quantité de sel fixée au bail à 20 
				liv. le muid; les traitants le vendaient de 40 à 50 liv. à 
				l'étranger, dans les lieux limitrophes ou enclavés, Il coûtait à 
				la Lorraine 131 livres. On en vint même bientôt, pour empêcher 
				quelques voisins de se fournir ailleurs, à leur céder le sel a 
				un prix dix fois moindre environ que celui fixé pour le débit 
				intérieur. 
				Payant ainsi le sel de son propre pays beaucoup plus cher que 
				les étrangers, l'habitant des Duchés l'avait aussi moins bon. On 
				distinguait le sel : en sel à petit grain et en sel à gros 
				grain, dit façon Cologne : c'est-à-dire le sel des poêles et 
				celui des poêlons. Celui des poêles était destiné à la province 
				et n'était soumis à la cuisson que pendant 24 heures ; celui 
				destiné au dehors demeurait pendant 5 jours dans les poêlons. Si 
				quelque cuite était manquée, s'il restait dans les magasins 
				quelque sel avarié, c'était encore pour les Lorrains. Quand la 
				saline de Rosières fut supprimée, le formateur voulut faire 
				argent de tout. Il ne s'éleva qu'un cri à Nancy, à Mirecourt, à 
				Vézelize, pour se plaindre du sel qui était amer et jaunâtre. 
				Des accidents de toutes sortes se produisirent dont les moins 
				graves furent des indigestions et des purgations violentes. On 
				recourut à l'analyse ; le rapport des experts établit «  que le 
				sel dont il s'agissait avait été fabriqué avec peu d'attention 
				et malpropreté, s'y étant trouvé beaucoup d'impuretés telles que 
				du gravier, du sable, du charbon, du bois et autres matières 
				séléniteuses et que l'amertume qui était dans ledit sel 
				provenait de la nature du sel de Glober et Ipsom... ». La 
				Chambre des Comptes dut par deux fois ordonner que ces sels 
				seraient jetés dans la rivière s'ils n'étaient point purifiés 
				(27). En temps habituel, d'ailleurs, le sel de Château-Salins, à 
				base plus terreuse, était tout particulièrement réservé à la 
				consommation locale. La vente du sel se faisait dans la Province 
				par le soin d'un fermier général des gabelles qui passait des 
				baux secondaires avec les sous-fermiers des bureaux de 
				distribution. Les habitants pouvaient se procurer du sel dans 
				153 magasins et 81 petits greniers ou regrats. Magasineurs et 
				regrattiers étaient d'abord soumis à la vente à quotités 
				forcées, ce dont ils furent déchargés sous le bail de Duménil. 
				Un prix plus élevé, une qualité moindre, n'étaient point 
				cependant les seuls désavantages que la Ferme imposât à la 
				Lorraine. En 1737, le sel se débitait à la mesure : pot, pinte, 
				chopine, et demi-chopine. Les fermiers, dans leur intérêt, 
				tentèrent à plusieurs reprises d'introduire la distribution au 
				poids. La Chambre des Comptes défendit de modifier l'ancienne 
				coutume et ordonna de se servir toujours de mesures étalonnées. 
				Mais le peuple ne tarda pas à se plaindre ; il n'avait plus son 
				compte de sel ; l'hôtel de ville de Nancy protesta et la Chambre 
				des Comptes dut s'inquiéter de cette situation. On fit des 
				enquêtes en différents points de la Province, sous les yeux des 
				parties publiques. Il en résulta la preuve certaine que les 
				récriminations des habitants étaient fondées. La Ferme et ses 
				agents leur faisaient un préjudice considérable résultant : de 
				l'altération des mesures, d'un abus dont les magasineurs étaient 
				par trop coutumiers et qui consistait à changer le fond de ces 
				mesures, à tirer à l'aide de treilles fort minces le quart et 
				quelquefois plus de ce qu'elles contenaient ; ces fraudes 
				coupables se compliquant de celles que l'on pourrait appeler 
				légales : telles la légèreté étudiée de la main et la faculté 
				accordée aux magasineurs de prendre le sel des bans (28) qui se 
				fouettait beaucoup plus facilement que celui des magasins. Tout 
				avait été prévu et imaginé ; aucun petit profit n'avait semblé 
				négligeable. Ces manoeuvres commençaient dans la saline. Le 
				savant Guettard, après avoir étudié dans ces usines la manière 
				dont le boutavant et le contre-boutavant (29) remplissaient les 
				mesures, explique à l'Académie des Sciences qu'... «  ils 
				occasionnent en quelque sorte par là une poussière qui, tombant 
				dans le boisseau doit former une masse poreuse ou peu comprimée, 
				qu'ensuite un autre homme racle le boisseau avec un râteau le 
				plus juste qu'il peut. Cette façon de mesurer doit certainement 
				mettre de la différence dans la pesanteur des boisseaux de 
				sel... » (30). C'était à dessein aussi que les femmes étaient 
				préposées aux greniers à sel. Le procureur général de la Chambre 
				des Comptes, très au courant de la question, écrivait en 1746 : 
				«  L'expérience a fait connaître qu'elles sont beaucoup plus 
				propres à ce métier que les hommes parce qu'elles ont les mains 
				plus petites, beaucoup plus agiles pour livrer le sel... 
				qu'elles ont en outre plus d'adresse pour triller et diviser le 
				sel en plus petites parties, à l'effet d'introduire dans les 
				mesures la moindre quantité qu'il leur est possible, chose qui 
				leur est permise » (31). La Chambre des Comptes dut dès lors 
				convaincue qu'il était indispensable de sacrifier un ancien 
				usage pour une méthode qui semblait susceptible de bien moins de 
				mauvaise foi. Le 2 septembre 1750, elle ordonna qu'à partir du 
				mois suivant, c'est-à-dire avec le nouveau bail de la Ferme, la 
				délivrance du sel se ferait au poids. Cette décision fut 
				unanimement applaudie. 
				Mais, en juin 1758, la Chambre de Bar se faisait l'écho de 
				nouvelles plaintes sur cette seconde manière de débiter le sel ; 
				«  Depuis quelques années », disait-elle, «  les fermiers 
				généraux, pour gagner considérablement, ont eu le secret 
				d'obtenir de le vendre à la livre; l'humidité que l'on donne au 
				sel et qu'il prend aisément quand il est mal cuit leur portant 
				plus de profit que la légèreté de la main du livreur en 
				remplissant mal les mesures, et ce profit est si considérable 
				que pour la somme de 8 livres 5 sols, l'on avait autrefois un 
				vaxel de sel bien sec pesant 38 liv., et pour le même argent on 
				n'en a que 28 livres bien humide... » (32). «  Depuis qu'on vend 
				le sel au poids » est-il déclaré dans un autre mémoire, «  il en 
				coûte à chaque ménage un cinquième de plus que lorsqu'on le 
				délivrait dans les vassels, pots ou pintes, Il y a dans la 
				Lorraine et le Barrois environ 160.000 ménages y compris les 
				communautés religieuses, les privilégiés et les contribuables. 
				Si un ménage consommait pour 12 livres de sel lorsqu'on le 
				délivrait dans les mesures, il en consomme pour 15 depuis cette 
				nouvelle méthode. C'est conséquemment 3 livres d'augmentation 
				par année pour chaque ménage, ce qui forme 480.000 livres 
				d'augmentation d'impôts sur la Province. » (33) 
				Emue, uns doute, des réclamations qui s'élevaient de toutes 
				parts la Chambre des Comptes de Bar oubliait un peu vite que 
				c'était sur le désir généralement exprimé, et sur l'initiative 
				de lu Chambre de Nancy, que ce changement avait été effectué. La 
				vérité était que, tout comme naguère on spéculait sur le volume 
				du sel des bans légèrement fouetté, aujourd'hui, on utilisait 
				l'augmentation de poids obtenu par certaines préparations ; le 
				génie inventif de la Ferme avait ses souplesses. Et si les 
				habitants trouvaient, par expérience, que le nouveau mode de 
				débit leur était, en somme, plus onéreux que le premier, si 
				cette campagne qu'ils menèrent durait encore à la mort de 
				Stanislas, c'est que, en surplus des petites supercheries faites 
				lors de la pesée, ils étaient victimes d'une double erreur de 
				calcul qui allait toujours se répétant. Quand il s'était agi 
				d'opérer la conversion, les fermiers avaient amené la Chambre 
				des Comptes à décider que l'équivalent du pot serait deux livres 
				de sel. Employèrent-ils lors des expériences une température 
				trop moite qui donnait au sel, devenu moins compact et plus «  
				doux », la faculté d'occuper un plus grand espace ; ne 
				vérifia-t-on pas la supposition gratuite qu'ils firent ? Quoi 
				qu'il en soit, ils obtinrent que la valeur du vaxel fût fixée à 
				44 livres. Or, d'après des essais effectués plus tard, entre 
				autres en 1789, par l'Intendant de Metz, puis par l'architecte 
				Piroux qui obtint les mêmes résultats vérifiés encore depuis, le 
				vaxel contenait effectivement 57 livres de sel. La perte était 
				ainsi déjà pour l'acheteur de 13 livres sur 57, et, en admettant 
				que le vaxel fut divisé en 16 pots, chaque pot eût dû être 
				remplacé par 3 livres 9 onces au lieu de 2 livres seulement pour 
				lesquelles on avait échangé son contenu. Mais ce préjudice 
				considérable, dont le peuple éprouvait les effets sans en 
				découvrir au juste la cause, se compliquait d'un autre encore. 
				La valeur légale du vaxel avait été établie par l'ordonnance de 
				Charles III, du 4 mars 1597, dans laquelle elle était fixée à 27 
				pintes, soit 13 pots et demi. C'était arbitrairement qu'en 1750 
				le vaxel avait été divisé en 16 pots. Ces deux différences se 
				reproduisant à chaque pesée donnaient un total dont l'importance 
				surprend. C'est ainsi qu'après de longs et minutieux calculs, 
				l'auteur d'un mémoire, couronné en 1791 par l'Académie de Nancy, 
				arrivait à trouver que ces seules erreurs «  avaient causé à la 
				Lorraine pendant 37 ans et 10 mois, depuis le 1er octobre 1750 
				au 1er août 1789, une perte qui s'élevait à 41.190.795 livres de 
				France ». Si nous nous bornons à la période pendant laquelle le 
				sel resta fixé à 6 sols et demi la livre, soit du 1er octobre 
				1750 au 31 décembre 1771, nous obtenons une somme de 18.900.556 
				livres que l'on peut considérer comme l'expression d'une 
				augmentation indirecte, faite à l'insu du peuple, sur le prix du 
				sel ; soit, enfin, environ 14.000.000 livres pour le règne de 
				Stanislas (34). 
				La consommation annuelle en sel était fixée pour la Province à 
				10.040 muids, ce qui devait rapporter une somme de 1.943.744 
				livres. Le fermier général de la distribution dans l'intérieur 
				des Etats était à «  vidange forcée » de cette quotité, 
				c'est-à-dire qu'il en devait le prix à la ferme qu'il parvint ou 
				non à l'écouler. 
				Jadis les francs-salés se délivraient en nature; mais comme il 
				était à craindre que ceux qui en étaient gratifiés, ayant ainsi 
				souvent plus de sel qu'il ne leur en fallait pour leurs propres 
				besoins, n'en répandissent dans leurs familles, ce qui 
				diminuerait d'autant la vente dans les magasins, ils se 
				touchaient en argent, à raison de 9 livres le vaxel, depuis 
				l'ordonnance du 28 mars 1720. Chaque conseiller d'Etat avait 
				droit à 6 vaxels ainsi que les présidents, procureurs et avocats 
				généraux de la Cour Souveraine et des Chambres des Comptes. Les 
				autres membres de ces compagnies étaient portés pour 4 vaxels et 
				leurs substituts pour 2 vaxels. Seuls, les officiers des salines 
				recevaient encore le franc-salé en nature. La Ferme devait enfin 
				chaque année 25 muids pour la Maison du roi de Pologne (35). 
				S'il est de l'intérêt des fermiers de vendre la totalité des 
				10.040 muids, il est, par contre, utile à la Ferme de France de 
				borner à ce chiffre la vente intérieure quelle qu'en puisse être 
				l'insuffisance. Sous Léopold, alors que la formation 
				n'atteignait qu'environ 30.000 muids, 17.000 étaient consommés 
				dans les Etats. Sous le nouveau régime, le contingent de chaque 
				habitant se trouva réduit de «  beaucoup au dessous du nécessaire 
				absolu ». Au contraire des provinces tenues du «  sel par devoir 
				», minimum d'achat imposé à chaque habitant, la Lorraine était 
				désormais réduite, pour l'ensemble de tous les siens, à un 
				maximum qui était censé lui suffire. Cette disposition avait 
				pour but d'éviter les versements de sel en France, car si les 
				Lorrains payaient le sel plus cher que leurs voisins de 
				l'étranger, ils l'avaient toutefois à bien meilleur compte que 
				leurs voisins de l'intérieur du royaume (36). 
				La Ferme, afin de s'éclairer sur la conduite de ses magasineurs, 
				et de s'assurer surtout des agissements des consommateurs, 
				s'efforça, dès 1737, d'introduire l'usage des abonnements au sel 
				nécessaire pour les habitants et les bestiaux, surtout dans les 
				communautés proches de la frontière. Peu d'entre ces dernières 
				s'y prêtèrent. Les fermiers voulurent les y contraindre en 
				faisant rendre un arrêt au Conseil, mais l'Intendant déclara 
				cette mesure imprudente et refusa de la sanctionner. C'est alors 
				que les fermiers sollicitèrent, en 1739, l'établissement des 
				arrondissements fixes et des bulletins. Sous le précédent 
				régime, on avait affecté de choisir pour chef-lieu des magasins 
				à sel les villages les moins éloignés des Evêchés, de la 
				Franche-Comté, de l'Alsace, de la Champagne, ce qui favorisait, 
				grâce aux versements, la Ferme de Lorraine au détriment de celle 
				de France. De plus, les arrondissements de chaque magasin 
				n'étaient pas bien déterminés ; les ressortissants avaient pu 
				jusqu'alors dépendre tantôt d'un grenier, tantôt d'un autre, à 
				leur gré et pour leur commodité. Les adjudicataires demandaient 
				donc que l'on assimilât la Lorraine aux Trois Evêchés où la 
				position des lieux était identique, le sel semblable, et pour 
				lesquels un arrêt du Conseil, du 21 juin 1722, avait ordonné que 
				tous les habitante seraient tenus de lever leur sel dans les 
				magasins dont ils dépendraient et de justifier par bulletin, 
				sous peine d'amende et de confiscation, que le sel qu'ils 
				posséderaient provenait de ces achats. La question des bulletins 
				ne se posait pas pour la première fois en Lorraine. Deux arrêts 
				de la Chambre des Comptes, du 11 juillet 1699 et du 19 décembre 
				1731, en avaient permis l'usage, prescription que, d'ailleurs, 
				des restrictions et des omissions rendaient purement théorique. 
				Aucune peine, en effet, n'avait été prescrite contre ceux qui ne 
				reproduiraient point leurs bulletins; il eût fallu, de plus, 
				pour obtenir une condamnation, prouver que le sel non inscrit 
				provenait de la vente étrangère. Aussi les visites 
				domiciliaires, autorisées en principe par les ordonnances de 
				1711 et 1733, n'étaient point pratiquées, de l'aveu même des 
				fermiers. Aujourd'hui, ces fermiers demandaient plus de rigueur; 
				ils jugeaient que l'absence de sanction était «  une 
				commisération mal entendue en facilitant le faux-saunage plus 
				nuisible que favorable aux paysans qui s'accoutument par là à la 
				vie licentieuse, aux attroupements et à l'oisiveté » (37). Cette 
				innovation ne plut pas davantage à M. de La Galaizière qui s'y 
				opposa comme pour l'abonnement. Il déclara qu'il ne voulait 
				point voir les Lorrains tourmentés par les gardes de la gabelle 
				dans des visites domiciliaires continuelles ; il mit en avant 
				toutes les injustices qui pourraient résulter de l'ignorance ou 
				de la malice des magasineurs ; la perte des bulletins qui 
				attirerait un châtiment immérité. Mais les fermiers ne s'en 
				tinrent point là ; ils s'assurèrent l'assentiment du Contrôleur 
				Général, et bientôt M. de La Galaizière comprit qu'il lui 
				faudrait céder à son chef. 
				Par suite d'un arrêt du Conseil du 3 septembre 1746, une 
				répartition exacte des districts des magasins à sel fut arrêtée. 
				Les magasineurs eurent à afficher à la porte des dépôts la liste 
				des localités qui devaient s'y fournir, afin que chacune d'elles 
				ne pût ignorer celui des bureaux auquel elle était 
				définitivement assujettie. Dans les magasins et regrats, les 
				sujets reçurent gratuitement une feuille ou bulletin dont ils 
				étaient obligés de se munir chaque fois qu'ils venaient l'y 
				approvisionner. Les magasineurs y inscrivaient la date et la 
				quantité des sels délivrés ; puis ils faisaient cette même 
				notation sur le dormant ou contrefeuille de leurs registres. Les 
				bulletins devaient être représentés à toute réquisition, En cas 
				de perte prouvée, il en était délivré un autre moyennant 6 
				deniers. M. de La Galaizière avait tenu, à insérer au moins 
				certaines exemptions. Les communautés religieuses, la noblesse, 
				les trois villes privilégiées, et de plus : Mirecourt, Épinal, 
				Saint-Mihiel, Pont-à-Mousson, Bitche, n'avaient point à passer 
				par la formalité des bulletins. Sarreguemines était aussi dans 
				ce cas malgré les recommandations formelles et en sens contraire 
				du Contrôleur Général, qui, porte-parole des fermiers généraux, 
				écrivait encore en vain le 5 décembre 1746, à l'Intendant : «  
				.., Je vous prie de faire rendre un nouvel arrêt pour l'y 
				soumettre. ». Cette résistance de intendant effrayait les 
				ministres pour qui ces questions, se rattachant à un haut 
				intérêt financier, semblaient de premier ordre. Pour ne point 
				déplaire aux fermiers et pour assurer le maintien de la vente 
				étrangère, l'administration accablait les communautés lorraines 
				de corvées sur les routes évêchoises servant à la conduite des 
				sels. Tous les Contrôleurs, depuis Machault jusqu'à Laverdy, 
				supplient MM. de La Galaizière de prendre bien garde de faire 
				perdre au roi le produit de l'exportation de ces sels. Le duc de 
				Deux-Ponts veut-il obtenir quelque faveur à Paris, il n'a qu'à 
				publier, au son de la cloche, suivant l'usage de son pays, que 
				l'entrée et la consommation des sels de Lorraine vont être 
				prohibées dans ses Etats. Un petit prince quelconque peut, sous 
				ce prétexte, parler haut et fort à Versailles, et l'évêque de 
				Bade se montrer arrogant. «  Vous voulez toujours », écrivait, le 
				18 février 1746, Machault à l'Intendant, «  regarder cette 
				affaire comme une affaire de fermiers quoiqu'il s'agisse 
				principalement de l'exécution d'un traité qui nous est trop 
				avantageux pour ne pas éviter avec soin tout ce qui pourrait 
				donner lieu à le rompre... » (38). 
				On ne tarda pas, naturellement, à se plaindre de la mise en 
				vigueur du système des arrondissements fixes et des bulletins. 
				Les uns critiquèrent la mauvaise répartition des communautés 
				entre les différents districts des greniers à sel - ce qui 
				occasionnait, disaient-ils, de longs trajets et de fastidieuses 
				pertes de temps. D'autres déploraient particulièrement les 
				inconvénients des bulletins qu'on oublie souvent et qu'on perd 
				quelquefois ; la négligence aussi et l'inexactitude des 
				magasineurs dans l'indication sur les feuilles et les dormants, 
				des dates et des quotités. Le reproche était fait contre les 
				femmes particulièrement; outre leur légèreté naturelle, beaucoup 
				savaient à peine écrire. Au dire de témoins oculaires, c'était 
				dans les magasins un tumulte continuel, surtout les jours de 
				foire et de marché, ce qui augmentait les chances d'erreurs; «  
				ne sait-on pas d'ailleurs », écrivait à ce propos le procureur 
				général Collenel, «  que les femmes ne sont occupées au moment de 
				la délivrance du sel que du soin de se la rendre avantageuse et 
				profitable, et que si leur attention est distraite un moment, 
				elles ne songent qu'à se quereller avec quiconque se plaint 
				d'une mauvaise livraison ou s'impatiente de n'être pas servi 
				dans le temps qu'il le souhaite ? » (39) La surveillance 
				continuelle, et souvent vexatoire, des gardes de la gabelle se 
				compliquait, enfin, de perpétuelles visites domiciliaires qui 
				n'étaient connues jusqu'alors que pour la recherche du tabac. 
				 
				SECTION V. - La 
				Contrebande. 
				 
				Par suite de sa situation, des différences considérables du prix 
				du sel chez elle et dans les pays voisins terres étrangères ou 
				provinces françaises, - la Lorraine était presque fatalement 
				devenue un centre d'activé contrebande. L'archevêché de Trêves, 
				le duché de Deux-Ponts, une partie de l'Alsace 
				s'approvisionnaient de sel lorrain à 50 livres le muid; des 
				spéculateurs hardis le faisaient refluer dans les Duchés pour le 
				vendre le double, sûrs d'y trouver des acheteurs, puisqu'il y 
				avait encore pour ces derniers un important bénéfice. Le sel de 
				contrebande se débitait ainsi dans les faux-magasins à 6 sols le 
				pot, au lieu de 11 sols dans les vrais. C'était aussi le sel 
				provenant des petites souverainetés étrangères; toutefois, dans 
				plusieurs de ces États, le souverain était obligé, par des 
				traités particuliers, de vendre, pour enrayer le mal, le sel à 
				un prix plus rapproché de celui auquel la Lorraine le payait. Il 
				faut mentionner, de plus, les diverses enclaves, seigneuries 
				autrefois régaliennes de l'Empire, et qui, quoique réunies aux 
				Duchés, jouissaient du privilège d'avoir du sel à bas prix. Mais 
				c'était principalement au nord, sur une ligne reliant 
				Battincourt a Remiche, que la Ferme et ses gabelous devaient 
				porter leur attention. Là, le Barrois se trouvait bordé par 25 à 
				30 villages du Luxembourg qui ne cessaient de foire refluer le 
				sel de la vente étrangère jusqu'à l'entrée des sept prévôtés de 
				la Voivre. Les gardes avaient aussi à surveiller, sur ces divers 
				points, et les contrebandiers, généralement attroupés, qui 
				opéraient les versements, et les sujets lorrains, les plus à 
				portée des villages frontières, qui allaient y chercher 
				eux-mêmes le sel nécessaire à leur propre consommation. Mais, si 
				ces deux modes de faux-saunage étaient les plus fréquents et les 
				plus préjudiciables à la Ferme, ils n'étaient point les seuls. 
				Est faux-sel aussi, depuis l'établissement des bulletins, le sel 
				pris dans un autre magasin que celui auquel son possesseur est 
				assujetti ; est faux-sel, surtout, celui extrait de différentes 
				substances : celui obtenu par la cuite de l'eau salée, tout 
				d'abord. Une des fonctions essentielles de l'inspecteur des 
				sources est de faire boucher avec soin toutes celles qui 
				viennent à sourdre accidentellement. Une source salée 
				apparait-elle en quelqu'endroit, les abords en sont aussitôt 
				gardés par des agents armés, en attendant que l'on n'épargne 
				aucun moyen pour l'annuler ou en faire perdre les eaux dans 
				quelque ruisseau, de telle sorte que ces eaux ne puissent 
				désormais être volées et employées au préjudice de la gabelle. 
				Un arrêt du Conseil, du 24 avril 1751, entre autres, condamne à 
				100 francs d'amende une malheureuse fille envoyée par ses 
				parents puiser de l'eau à une source salée - qui s'était montrée 
				à Gocheren près de Forbach ; -la coupable avait été surprise par 
				les employés de la Ferme avec 2 pots de l'eau défendue. 
				Interdiction semblable de se servir des matières connues sous 
				les noms de schlot, écailles, pierres de sel, balayures de 
				séchoir, crasses noires salées, toutes déchets de l'industrie 
				des salines. Dans les usines, on s'en défait aussitôt. A Dieuze, 
				il y a un canal spécial pour jeter les pierres de sel. A 
				Rosières, on les verse dans la Meurthe. Les employés ne doivent 
				laisser sortir les cendres qu'après qu'elles ont été tamisées de 
				façon qu'il n'y reste aucune écaille de sel. Les voituriers qui 
				rentrent en Lorraine, après avoir conduit des sels à l'étranger, 
				sont obligés, à peine de 100 livres d'amende, de mouiller et 
				laver auparavant leurs bauches afin qu elles ne soient point 
				ensalinées (40). L'usage du salpêtre est proscrit tout comme 
				celui des sels de marée ou de la saumure des viandes. Quinze 
				onces de sel de morue ayant été saisies chez un habitant de 
				Nancy, en 1740, ce dernier fut condamné à 500 livres d'amende et 
				le sel confisqué pour être, ainsi que le portait l'arrêt, «  jeté 
				et submergé comme immonde » (41). Cette prohibi tion avait un 
				caractère particulièrement vexatoire dans un pays où les 
				salaisons de porcs se faisaient en grand, et où la quantité de 
				sel réservée à la consommation intérieure était restreinte. La 
				Chambre de Bar s'en plaignait en ces termes dans ses 
				remontrances du 12 juin 1758 : «  lis ont encore réussi, Sire, de 
				faire défendre par le bail actuel l'usage des saumures des 
				viandes salées sous prétexte que cela est défendu dans le 
				royaume de France. Mais cette défense n'est faite en France que 
				parce que cette espèce de sel provient de l'étranger comme la 
				saumure de morue et, sur ce prétexte, les employés des fermes 
				font journellement des reprises sur vos sujets pour la saumure 
				provenant de la salaison de leurs porcs, quoiqu'elle ne soit 
				faite qu'avec le sel du pays, qu'ils ont acheté, cette province 
				ne pouvant tirer des sels de France... » (42). 
				Le faux-saunage était alors si actif en Lorraine, que le premier 
				fermier de la distribution des sels, sous le régime français, se 
				trouva, à la fin de son bail, avec 4.092 muids non vendus; rien 
				que pour l'année 1744-45, sur les 10.040 muids, quantité 
				presqu'insuffisante pour la consommation du habitants et des 
				bestiaux, 1.800 muids ne furent point placés (43). La fraude des 
				tabacs atteignait de semblables proportions ; on en plantait en 
				cachette dans le fond des forêts. Les faux-tabatiers, comme on 
				disait, marchaient de pair avec les faux-sauniers. 
				L'établissement des bulletins, en exigeant chez les fraudeurs 
				plus de précautions et de ruses, en provoquant de la part des 
				agents plus de vexations et d'arbitraire, ne put empêcher le 
				mal. 
				Pour faire respecter ses deux grands monopoles du sel et des 
				tabacs, la Ferme entretenait une véritable armée de limiers avec 
				toute sa hiérarchie : capitaines-généraux, brigadiers, 
				sous-brigadiers, commis et gardes, dont les uns étaient 
				installés à poste fixe tandis que d'autres parcouraient en 
				lignes la Province et les Evêchés. Dans une région où les 
				pénétrations et les enclaves avec le Royaume étaient multiples, 
				les manoeuvres des gardes eussent été presqu'impossibles si les 
				contrebandiers opérant en Lorraine avaient pu trouver un asile 
				sur la terre française ou inversement. C'est cette situation qui 
				avait causé jusqu'alors un important préjudice à la Ferme 
				générale de France à l'avantage de celle des Duchés, et qui 
				avait encouragé et habitué à un pénible et triste métier un 
				grand nombre d'habitants. A ce point de vue, la Ferme avait le 
				plus sérieux intérêt à ce que les frontières fussent supprimées. 
				L'arrêt du Conseil des finances, du 23 novembre 1737, avait donc 
				autorisé la poursuite des contrebandiers sur les états de 
				Lorraine par les employés de la Ferme de France et, peu après, 
				la réciprocité avait été admise (44). A partir de 1754, les 
				agents du Royaume purent même venir effectuer leurs 
				perquisitions dans les domiciles lorrains (45). Plusieurs 
				compagnies franches d'infanterie et de dragons furent envoyées, 
				dès le début, dans différents postes de la Province pour prêter 
				main forte au personnel de la Ferme. Une instruction du 20 
				novembre 1737 leur trace leur principale ligne de conduite ; et, 
				en vertu de l'arrêt du Conseil des finances, du 15 juillet 1741 
				les troupes furent autorisées à arrêter les fraudeurs sans être 
				tenues aux formalités prescrites aux employés des Fermes. Les 
				nacelles et bacs devaient enfin, sous peine d'amende pour leurs 
				propriétaires, être soigneusement cadenassés pendant la nuit 
				afin qu'ils ne pussent servir à favoriser la fuite des individus 
				recherchés par les gabelous (46). Contre les contrebandiers de 
				profession et leurs troupes à main armée, on organisait ce que 
				l'on appelait des rebats, des patrouilles, des embuscades ; pour 
				découvrir les simples fraudeurs, c'étaient de fréquentes visites 
				domiciliaires, de minutieuses enquêtes. Impuissants à réagir 
				contre les premiers qu'ils redoutent, les agents de la gabelle 
				et les gardes du tabac se plaisent à tyranniser les seconds ; ce 
				fut souvent contre des innocents des poursuites iniques ou 
				ridicules. Les châtiments rigoureux par lesquels Léopold avait 
				cherché à intimider les contrebandiers ne parurent plus assez 
				sévères ; c'est ce que déclara M. de La Galaizière qui, peu 
				après son arrivée en Lorraine, établit la peine des galères. 
				« ... l'intention de S. M. P. », écrivit l'Intendant le 2 
				septembre 1738 aux procureurs généraux des Chambres des Comptes, 
				«  est que tout juge dans ses États, auquel la connaissance des 
				fraudes de ses fermes est attribuée, prononce dorénavant sur la 
				simple requête des fermiers, la peine des galères pour trois 
				ans, contre tous les fraudeurs et contrebandiers insolvables qui 
				se trouveront dans le cas de l'article 12 du règlement du 14 
				juillet 1720, au lieu de celles du fouet, du bannissement et de 
				la marque qui leur étoient infligées par ledit article ; à moins 
				qu'ils ne soient incapables de servir sur les galères, auquel 
				cas le même article sera simplement exécuté contre eux. ». Mais 
				l'article 12 en question ne concernait que les faux-tabatiers ; 
				ce n'était point assez. Trois jours plus tard, M. de La 
				Galaizière reprenait : «  ...S. M. m'ordonne aujourd'hui de vous 
				déclarer qu'elle entend que la même conversion se fasse à 
				l'égard des fraudeurs d'autres espèces de marchandises prohibées 
				et généralement de tous les contrebandiers qui se trouveroient 
				dans le cas d'insolvabilité... » (47). S'il y a récidive, ce 
				sera les galères à perpétuité et la marque. Bien plus, sur les 
				instances de la Ferme, le Conseil des finances décida, le 22 
				avril 1741, que quelle que fut son incapacité de servir sur les 
				galères, le contrebandier débile serait néanmoins conduit à 
				Marseille, quitte à être enfermé dans l'hôpital réservé aux 
				forçats, et à y être entretenu et nourri aux frais de 
				l'adjudicataire ; l'arrêt du 5 février avait décrété que, 
				quoique septuagénaire, le fraudeur serait sujet à la conversion 
				en la peine de galères, à défaut de satisfaire à l'amende. En 
				1749, enfin, la Ferme obtenait encore un autre règlement 
				décidant que, dès l'âge de 14 ans, les fraudeurs seraient 
				passibles des mêmes répressions que ceux ayant atteint leur 
				majorité, et sans qu'il soit besoin de nommer des curateurs pour 
				leur défense (48). Toutefois, les fermiers mirent tant d'ardeur 
				et d'animosité dans leurs instances judiciaires qu'une réaction 
				en sens contraire vint apporter quelqu'adoucissement à ces 
				dispositions ; la déclaration du 22 juillet 1756 porte que les 
				créanciers insolvables, et seulement poursuivis au civil par la 
				Ferme, ne seront pas flétris et marqués ; elle les autorise à 
				payer l'amende, même après la sentence qui les condamne aux 
				galères, et à mettre ainsi fin à tout moment à la terrible peine 
				(49). La Chambre des Comptes essaya par une jurisprudence 
				constante d'apporter quelque modération à ces excessives 
				rigueurs ; elle fit cas des circonstances atténuantes, du peu 
				d'importance du délit, du manque de formalités de la part des 
				agents de la Ferme, des enquêtes mal faites ; mais c'était en 
				vain ; elle ne retardait que de quelques jours le sort réservé 
				aux fraudeurs. Le fermier allait en cassation et infailliblement 
				le Conseil des finances lui donnait raison et annulait la 
				décision de la Chambre, ainsi que nous l'attestent de multiples 
				arrêts. Un seul d'entre eux cassa, pour la simple satisfaction 
				du demandeur, huit jugements trop modérés (50). 
				Si nous éprouvons ici une réelle pitié, c'est que nous songeons, 
				non aux contrebandiers de profession, aux gens sans aveu, mais 
				aux malheureux qui ont été surpris puisant dans le voisinage de 
				leur maison quelque pot d'eau à une source salée, ou à ceux qui 
				ont utilisé pour assaisonner leur maigre repas une peignée de 
				sel recueillie au fond d'un tonnelet de harengs ; et qui, tous 
				infailliblement, subiront la même peine, car ils sont de ceux 
				qui n'ont point les 500 ou les 1.000 francs nécessaires pour se 
				racheter ; et la Ferme leur crie ce dilemme inexorable: ou 
				l'amende, ou les galères! Nous pensons aux jeunes garçons ayant 
				atteint 14 ans à peine, qu'un jour leurs parents ont envoyé 
				chercher une ou deux livres de sel ou un peu de tabac, sur une 
				enclave d'Empire, et qui vont être joints à la chaîne avec les 
				adultes et les vieillards; aux nombreuses mères et filles 
				insolvables qui, pour quelque légère fraude, furent battues 
				fustigées de verges, le torse nu, par l'exécuteur de la 
				haute-justice, puis bannies des Etats ; aux petits enfants, 
				enfin, innocents complices de la faute, et qu'une rançon trop 
				élevée ne permettra point aux parents de soustraire à la maison 
				de force. Malgré toutes ces menaces, la misère était si grande, 
				la situation des lieux si engageante, les surprises si faciles, 
				que chaque année une quantité presqu'égale de ces misérables, 
				réunis dans les prisons de Nancy, attendait le départ de la 
				chaine, puis cheminait vers Marseille. Comment d'ailleurs 
				l'indigent n'aurait-il point succombé à la tentation quand les 
				magasineurs étaient faux-sauniers? Les marchands et les 
				voituriers des sels vendus à bu prix pour l'étranger faisaient 
				des versements à travers la Province depuis les salines jusqu'à 
				la frontière, malgré une escorte de gardes de la gabelle ; 
				l'Intendant calculait que, quand chaque voiturier n'eût versé 
				sur sa route que 3 ou 4 liv. de seI par quintal, c'eût déjà été 
				un objet de plus de 1.000 muids par année (51). Des commis et 
				des gardes même sont accusés de faux-saunage, agents plus 
				impitoyables d'ailleurs envers les autres qu'ils sont soi-mêmes 
				plus coupables. Au dire du Contrôleur Machault, les communautés 
				religieuses de la frontière sont de véritables entrepôts pour la 
				contrebande ; on fuit souvent dans les chapelles des saisies 
				fructueuses (52). Le curé de Nitting nous a conté dans son 
				journal l'aventure mi-plaisante, mi-tragique, qui lui arriva une 
				nuit que portant un sac de faux-sel, destiné à ses bestiaux, il 
				se crut découvert, tomba dans sa fuite et se blessa (53). C'est 
				que ce n'est point un crime, pas même une faute, pour la 
				conscience du Lorrain d'alors, de frauder la Ferme, ne fût-ce 
				que par haine du gabelou. Aussi, le malheureux découvert et 
				traqué, est-il sûr de trouver partout aide et protection. Des 
				maires et des syndics sont à chaque instant condamnés pour avoir 
				refusé de prêter main-forte aux employés des fermiers ou pour 
				les avoir insultés. Exaspérées par le peu de proportion entre le 
				délit et la peine, par les scènes douloureuses qu'elles voient 
				chaque jour se passer au milieu d'elles, les populations 
				lorraines se livrent parfois à des représailles terribles. 
				Durant tout le règne de Stanislas le pays fut ainsi le théâtre 
				d'une lutte acharnée et ininterrompue. A peu de provinces, mieux 
				qu'à la Lorraine, à partir de 1737, n'appliquent ces paroles du 
				ministre Necker : «  C'est assez avoir vécu sous des lois de 
				finance, véritablement ineptes et barbares, c'est assez avoir 
				exposé des milliers d'hommes aux attraits continuels de la 
				cupidité, c'est assez avoir rempli les prisons et les galères de 
				malheureux qui ne sont souvent instruits de leurs fautes que par 
				les punitions qu'on leur inflige ; c'est assez avoir mis en 
				guerre une partie de la société contre l'autre ! » (54). 
				 
				SECTION VI. - 
				Postes et messageries. 
				 
				Ce n'était point la Ferme générale qui exploitait ce monopole ; 
				elle percevait seulement le prix du bail que le Gouvernement en 
				passait avec une compagnie particulière. Elle n'avait aucune 
				part dans la régie ; elle n'intervenait que pour appuyer 
				certaines réclamations et comme co-demanderesse dans quelques 
				graves poursuites. Les postes et messageries de Lorraine et 
				Barrois avaient été de bonne heure affermées aux mêmes 
				adjudicataires que celles de France ; combinaison logique qui 
				assurait mieux que tout autre les correspondances entre le 
				Royaume, les Duchés et les pays limitrophes ; indispensable 
				presque pour éviter les conflits et faciliter le service dans 
				une région toute de transits, par laquelle se faisaient les 
				communications entre la France, l'Alsace et les terres d'Empire. 
				Déjà, en 1704, le fermier des postes et messageries de France 
				exploitait celles de Lorraine moyennant un canon de 12.000 liv. 
				En 1737, les raisons étaient plus fortes encore en faveur du 
				maintien de ce système. Les postes de Lorraine continuèrent donc 
				à relever de la Ferme des postes de France ; ce fut désormais, 
				et pendant tout le règne de Stanislas, pour 20.000 liv., monnaie 
				du Royaume, somme qui était versée, chaque année et par 
				quartiers, dans la caisse de la Ferme générale (55). 
				 
				SECTION VII. - 
				Poudres et Salpêtres. 
				 
				La Ferme générale n'avait aucun intérêt dans la fabrication et 
				la vente exclusives des poudres et salpêtres. Ce monopole était 
				affermé séparément. 
				Depuis le 1er janvier 1704, un sieur Edouard Waren, qualifié de 
				«  lieutenant de l'artillerie », était adjudicataire des poudres 
				et salpêtres des Duchés. Waren mourut assez à temps, en 1738, 
				pour que l'administration française pût poursuivre sur ce point, 
				comme sur tant d'autres, son oeuvre d'uniformisation. 
				L'approvisionnement des arsenaux de Nancy, de Metz, de 
				Strasbourg, donnait à cette question une importance de premier 
				ordre. L'intendant obtint des héritiers de Waren la renonciation 
				à tous leurs droits et privilèges ainsi que la cession au 
				Domaine des usines servant à l'exploitation. 
				Bail put alors en être passé à la Ferme des poudres et salpêtres 
				de France qui prit possession de la fabrication et de la vente 
				dans la Province, à partir du 1er janvier 1739. Waren payait aux 
				Ducs 3.000 livres; le prix du nouveau bail varia beaucoup 
				suivant les époques. Le premier bail par exemple fut passé pour 
				8 années, moyennant 155.151 liv. 10 s. 4d. payables d'avance en 
				un seul versement ; le deuxième fut fait pour 9 ans, moyennant 
				38.750 liv. seulement. La Ferme s'engageait en outre à fournir 
				tous les une gratuitement 600 livres de poudre de chasse pour la 
				Maison du roi de Pologne (56). 
				 
				
				
				CHAPITRE V 
				LES IMPOTS INDIRECTS PROPREMENT DITS. - LES MARQUES. 
				 
				Ces impôts étaient désignés sous le nom de marques; les commis 
				de la Ferme ou de la Régie frappaient, en effet, les objets qui 
				en étaient taxés d'une empreinte spéciale, indispensable pour 
				leur mise légale en circulation. 
				 
				SECTION I. - Marque 
				des Cartes. 
				 
				Léopold, par un édit du 26 octobre 1726, avait décidé qu'un 
				personnel d'employés aurait désormais mission de surveiller la 
				fabrication des cartes à jouer pour prévenir les fraudes des 
				chevaliers d'industrie qui substituaient fréquemment aux jeux 
				ordinaires des jeux pipés. Un droit de marque, de 1 sol 6 d. 
				pour le jeu de cartes fines et de 1 sol pour les cartes 
				ordinaires, devait être de plus levé, à unique effet, selon le 
				prince, de subvenir à la rétribution des préposés (57). En 
				réalité, Léopold était loin d'ignorer que ce nouvel impôt serait 
				de quelque profit ; dix jours déjà, en effet, avant la 
				publication de l'édit, il avait accordé pour vingt-cinq ans au 
				premier gentilhomme de sa chambre et à ses héritiers la régie de 
				la marque des cartes et son produit, afin, disait-il, que le 
				marquis de Lambertye pût soutenir le rang qu'il était obligé 
				d'avoir à la suite de la Cour (58). 
				En France, l'impôt sur les cartes, par deux fois ordonné puis 
				supprimé, avait été rétabli en 1745. En 1751, il était concédé à 
				titre de dotation à l'École militaire de Paris créée au mois de 
				janvier. Or, cette même année 1751, le monopole dont jouissait 
				la famille de Lambertye allait précisément prendre fin. Ces 
				circonstances furent l'occasion d'un singulier arrangement. Le 
				18 avril, Stanislas résilia un contrat passé le 14 septembre 
				1748 et par lequel il avait fondé, pour après son décès, à 
				l'intention de gentilshommes lorrains, douze places au collège 
				des jésuites de Pont-à-Mousson. Au mois d'août suivant, une 
				convention était rédigée entre les ministres des deux rois : 
				Stanislas reportait sur l'École militaire sa fondation à 
				laquelle il donnait un effet immédiat ; mais, le 11 novembre, le 
				roi de Pologne apposait sa signature à un édit qui, assimilant 
				la Province au Royaume, y décidait la levée d'un nouvel impôt 
				sur les cartes, impôt identique à celui établi en France et 
				destiné à payer les douze places accordées, sur les cinq cents 
				que comptait l'École, à des gentilshommes du pays (59). Il y 
				avait certes là de la part de Stanislas beaucoup moins qu'une 
				fondation ! A la rigueur, même, la Lorraine y perdait, 
				l'importance du bénéfice que Louis XV était censé lui accorder 
				n'étant pas proportionné à la quote-part dont il la taxait. 
				La perception de la marque du cartes en Lorraine se fit donc à 
				partir de novembre 1751, et fut, sous la surveillance du 
				régisseur général de France, confié à un directeur-caissier 
				résidant à Nancy. Dans ses grandes lignes, cette régie était 
				alors ce qu'elle est encore aujourd'hui. L'introduction des 
				cartes étrangères est absolument interdite; le papier servant à 
				l'impression est vendu par la Régie qui surveille incessamment 
				la fabrication des jeux. Les contrôleurs sont autorisés à faire 
				des visites chez les maîtres cartiers sans l'assistance d'aucun 
				officier de justice ; c'est en leur présence que les cartes sont 
				empaquetées dans une enveloppe qu'ils collent eux-mêmes. La 
				répression des fraudes est beaucoup plus sévère qu'auparavant; 
				c'était 500 livres d'amende; désormais la peine encourue est de 
				3.000 livres plus le carcan ; en cas de récidive ce sont même 
				les galères à perpétuité. La juridiction ordinaire n'a plus 
				connaissance, ni au civil, ni au criminel, des questions 
				soulevées par la marque des cartes ; on n'en appelle plus à la 
				Chambre des Comptes. C'est à l'Intendant seul qu'il faut avoir 
				recours; sa procédure est sommaire et ses jugements exécutoires 
				par provision nonobstant l'appel au Conseil. L'impôt, enfin, est 
				plus que doublé : le droit de marque étant porté à 1 denier, 
				cours du Royaume, pour chaque carte (60). Centralisé à Nancy, 
				l'argent de la marque ne passait point par la caisse du receveur 
				général des finances, mais était versé directement à Paris au 
				profit de l'École. Le produit des cartes n'a donc jamais été 
				inscrit sur les registres des officiers des finances de 
				Lorraine; c'est une somme de plus à ajouter à la liste des 
				revenus tirés de la Province par l'administration française. 
				 
				SECTION II. - Marque 
				des Cuirs 
				 
				Un édit du mois d'août 1759, complété par un arrêt du Conseil 
				d'Etat du 27 octobre suivant, avait établi en France un ensemble 
				de droits sur les cuirs. Les tanneurs lorrains qui purent se 
				croire un instant à l'abri de cette mesure ne tardèrent point à 
				être désabusés. Ils eussent mal connu le système fiscal en 
				faveur à Versailles. Un an plus tard, en effet, MM. de La 
				Galaizière joignaient à leurs édits sur le troisième Vingtième 
				et le don gratuit des villes, un projet de déclaration étendant 
				à la Lorraine la marque des cuirs. Comme les cuirs et les peaux 
				apprêtés en France, ceux des Duchés devaient désormais être 
				taxés d'un droit de marque, selon un tarif comprenant leurs 
				diverses espèces ; leurs fabrication et vente étaient soumises à 
				la surveillance de la Régie. Les cuirs en vert étaient frappés à 
				l'exportation d'un droit élevé ; un autre droit serait payé à 
				l'importation pour les cuirs façonnés. Mais, au fond, les 
				différences entre les deux systèmes étaient nombreuses. Tout 
				d'abord les formalités destinées à assurer les intérêts de la 
				Régie étaient multipliées dans le projet présenté aux Cours pour 
				l'enregistrement. Les cuirs lorrains seraient marqués par deux 
				fois du marteau des préposés ; à la dernière opération, ils 
				seraient pesés pour acquitter le droit en raison de leur poids. 
				Cette pesée se ferait lors de la seconde levée de la fosse, 
				c'est-à-dire au moment où les peaux imbibées d'eau et de 
				réactifs sont deux fois plus lourdes qu'après leur entier 
				séchage au bout de trois mois, fait si connu que c'était 
				seulement à l'expiration de ce délai qu'en France les employés 
				de la Régie se livraient à cette opération. Les cuirs ouvrés que 
				le Français faisait venir de l'étranger acquittaient à la 
				frontière un droit de 10 % de leur valeur ; pour l'importation 
				en Lorraine ce droit fut fixé à 25 %. Parmi les peaux en vert 
				expédiées au dehors, l'édit de France n'en comprenait, comme 
				devant être taxées, qu'un certain nombre (celles de vache, boeuf, 
				mouton, agneau, chèvre et chevreau) ; non seulement l'édit de 
				Lorraine en mentionnait davantage, mais, par quelques mots 
				habiles, il réservait une place dans le tarif à toutes les 
				espèces non énumérées et atteignait ainsi les fourrures et les 
				peaux des moindres bêtes. La répression des fraudes, enfin, 
				était bornée dans le Royaume à la confiscation des objets ; pour 
				les Duchés, il devait y avoir, en plus, une amende variant de 50 
				à 600 liv., monnaie de France, et la Cour Souveraine put 
				déclarer à juste titre qu'il n'était pas possible de trouver un 
				édit bursal multipliant davantage ces amendes. Il est vrai, 
				qu'en revanche, l'administration française voulait bien 
				dispenser les Lorrains de tout péage intérieur pour le transport 
				des cuirs ; mais il est juste d'ajouter qu'il y avait bientôt 
				quarante ans que cette abolition était effective. L'édit des 
				cuirs fut l'objet d'un chapitre bien distinct dans les longues 
				doléances que les Cours présentèrent alors (61). 
				Toutefois le ministère tint bon, et, après deux ans et demi de 
				lutte, on représenta à l'enregistrement des Compagnies, en avril 
				1764, le fameux projet, plus semblable cependant à l'édit de 
				1759. Après quelques hésitations, la Cour Souveraine céda et 
				enregistra le 3 mai. Elle tint néanmoins à insérer dans la 
				formule d'usage une dernière protestation ; elle aimait à croire 
				que la marque des cuirs serait abrogée sitôt que les besoins de 
				l'Etat n'en exigeraient plus la perception. Elle n'apportait son 
				consentement ainsi que celui de la Chambre des Comptes qu'avec 
				quelques restrictions formelles : payement des prix du tarif en 
				monnaie de Lorraine ; intervention nécessaire d'un officier de 
				justice lors des visites faites par les employés de la Régie. Au 
				mépris de la loyauté, l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 juin 
				suivant ne sanctionna cette garantie que pour les visites faites 
				chez les simples particuliers, réticence qui équivalait à un 
				refus (62). 
				 
				
				SECTION III. - Marque des fers à la fabrication. 
				 
				Avec la marque des fers, nous retrouvons la série des impôts 
				antérieurs à 1737 et compris dans le bail de la Ferme générale. 
				Par un édit d'août 1699, Léopold avait frappé d'un droit à la 
				fabrication les fers et aciers des usines de Lorraine, à 
				l'exception des objets dits : de quincaillerie (63). Le Duc 
				avait pris comme modèle l'édit de France de 1626. Mais cet édit 
				n'avait pas été enregistré par tous les Parlements du Royaume. 
				Si le droit de marque était perçu dans les forges du ressort du 
				Parlement de Metz ou de celui de Dijon, par exemple, il ne 
				l'était point sous la juridiction de ceux de Toulouse ou de 
				Grenoble. De même, dans les Duchés, l'impôt sur les fers avait 
				soulevé de telles réclamations que Léopold avait dû bientôt le 
				réduire, pour six années, à une taxe d'abonnement ; la 
				déclaration du 21 juin 1720 remit en vigueur la perception de la 
				marque presque totalement tombée en désuétude; elle fut affermée 
				alors pour 40.000 livres (64). Sa levée continua toutefois à 
				présenter de sérieuses difficultés; les sous-fermiers durent 
				consentir à des transactions avec les fabricants. Tel n'était 
				point l'esprit de la Ferme générale de France à laquelle un 
				arrêt du Conseil des finances, du 28 août 1739, vint en aide 
				dans son oeuvre de réaction. Il fut ordonné sous peine d'amende, 
				aux maîtres de forges de fournir aux employés de la Ferme, lors 
				de leurs tournées, les hommes et instruments indispensables pour 
				la vérification du poids des fontes et gueuses ; les usines 
				étant généralement isolées, leurs propriétaires refusaient, en 
				effet, tout secours aux contrôleurs pour leurs opérations, afin 
				que ces derniers fussent contraints de se contenter des 
				déclarations les plus inexactes (65), En 1740, les 
				métallurgistes du Barrois mouvant déclarent au Conseil que si 
				l'état de choses continue, ils vont se voir dans la nécessité de 
				fermer leurs établissements «  dont le travail est 
				considérablement diminué depuis que les fermiers de France et de 
				Lorraine prétendent exercer lesdits droits a la rigueur, au lieu 
				que ci-devant il est notoire que plusieurs de ces droits 
				n'étaient pas perçus ou qu'ils étaient modérés par des 
				abonnements et remises. » Les forges de cette région n'avaient 
				guère de débouchés que dans les Evêchés ou la Champagne. Or les 
				fers de la Province continuaient à être traités à leur entrée en 
				France comme fers étrangers ; ils devaient acquitter à la 
				frontière le droit de marque qu'ils avaient déjà payé à l'usine. 
				La Ferme de France et celle de Lorraine continuaient, tout en ne 
				faisant plus qu'une, à exiger chacune à son tour le même impôt. 
				Sept forges du Barrois mouvant, il est vrai, obtinrent à la 
				suite de leur pétition de ne plus payer que les trois quarts des 
				droits de marque ordinaires (66) ; un certain nombre d'autres 
				établissements reçurent aussi différents privilèges ; mais, pour 
				la majorité, l'impôt complet resta la règle. Là, les employés de 
				la Ferme percevaient par chaque quintal : 8 s. 9 d. pour les 
				gueuses ; 13 s. 6 d. pour les fers coulés; et 1 liv. pour 
				l'acier, «  J'ai sous les yeux », écrivait Coster en 1762, «  la 
				preuve que trois milliers de fer de la tirerie de Ruaux adressés 
				à un épinglier de Paris par un marchand de Nancy et qui avaient 
				déjà payé à la forge le droit de la marque des fers, ont encore 
				payé 342 livres à leur entrée en Champagne quoique le prix de 
				ces trois milliers de fer ne fût que de 1.230 liv., 15 s... Il 
				en résulte que le même fer paye au même fermier, outre le droit 
				de sortie de Lorraine et le droit d'entrée de France, trois fois 
				la marque des fers, savoir une première fois à la tirerie, une 
				seconde fois à la sortie de Lorraine, une troisième fois à 
				l'entrée en France... » (67). Si, dans cet exemple, la matière 
				première avait été tirée de Franche-Comté, comme cela se 
				pratiquait souvent, il faudrait encore ajouter à cette 
				nomenclature de droits la somme versée pour l'introduction en 
				Lorraine du minerai ou de la gueuse. Au droit de marque 
				proprement dit et perçu lors de la fabrication se rattachaient, 
				en effet, tout comme pour les cuirs, des droits spéciaux 
				d'entrée et de sortie compris généralement, pour la commodité, 
				sous la même rubrique, mais qui cependant ne peuvent être 
				classés que parmi les droits de traite qu'il nous reste à 
				étudier. 
				 
				CHAPITRE VI 
				LES TRAITES ; LA FORAINE. 
				 
				SECTION I. 
				- Traites autres que la foraine. 
				 
				1. Droits d'entrée et de sortie sur les cuirs. - Rappelons pour 
				mémoire qu'un droit d'entrée sur les peaux et cuirs façonnés 
				était perçu, selon un tarif, aux frontières de Lorraine, tandis 
				que ces produits en vert payaient à l'exportation, en plus des 
				droits de sortie ordinaires, 10 % de leur valeur. 
				 
				2. Droits d'entrée et de sortie sur les produits métallurgiques. 
				- Tous les fers venant de l'étranger payaient à l'entrée un 
				droit égal à celui auquel ils eussent été taxés dans les forges 
				du pays, lors de la fabrication. 
				Le minerai devait 3 s. 4 d. par quintal à l'entrée ; autant à la 
				sortie, outre le droit d'issue-foraine. La quincaillerie, même 
				celle connue sous le nom de mercerie qui était exempte de la 
				marque à la fabrication, devait 18 s., soit à l'importation, 
				soit pour le simple passage dans les Etats. 
				Ces divers droits ne doivent point être rangés parmi les péages 
				compris sous le nom générique de Foraine. La Foraine, vieille 
				dénomination des Duchés, ne désigne absolument que des 
				redevances beaucoup plus anciennes. Une réelle analogie 
				toutefois, une similitude dans la régie, et, aussi, une habitude 
				du langage courant, ont amené tous les auteurs à faire cette 
				confusion que les spécialistes de l'époque évitaient 
				soigneusement. La Ferme générale, dans le bail de laquelle la 
				marque des fers avait sa mention à part, était d'ailleurs la 
				première à maintenir la distinction. 
				 
				SECTION II. - La Foraine. 
				 
				Les péages rentrant dans cette catégorie peuvent être distingués 
				en six espèces de droits : droit de haut-conduit, 
				entrée-foraine, issue-foraine, droit de traverse, impôt sur les 
				toiles, et droits d'acquit-à-caution. 
				 
				A. Droit de haut-conduit. - Le haut-conduit était non seulement 
				le plus ancien et la plus étendu de tous les droits composant la 
				Foraine, mais, aussi, un des premiers impôts qu'avaient établis 
				les Ducs. Une ordonnance de 1597, qui réglemente sa perception, 
				en parle dans ce sens (68). D'après une déclaration de 1704, à 
				laquelle les baux de la Ferme passés depuis 1737 continuèrent de 
				renvoyer, le haut-conduit est payé «  par tous ceux qui tout 
				entrer ou sortir des Duchés, Pays et Etats, des vins, vivres, 
				marchandises et denrées, et toutes choses généralement 
				quelconques sans aucune excepter, soit que lesdites marchandises 
				ou denrées qui entreront dans lesdits Pays et Etats y soient 
				consommées ou y restent, soit qu'elles n'y soient point 
				consommées, et en sortent » (69). Rien de ce qui entrait en 
				Lorraine ou en était tiré n'était donc exempt de ce droit qui se 
				subdivisait en haut-conduit d'entrée et haut-conduit de sortie. 
				Les marchandises traversant directement la Province sans 
				s'arrêter étaient assujetties aux deux. La quotité de la taxe 
				variait pour un même objet suivant le point de la frontière 
				qu'il franchissait. Antérieurement à 1721, les Duchés étaient 
				divisés en cinq districts appelés eux-mêmes hauts-conduits; 
				c'était ; celui du Barrois, celui de Saint-Epvre, autour de 
				l'évêché de Toul ; ceux de Nancy, de Salins l'Etape et de 
				Château-Salins, correspondant approximativement à la Lorraine 
				propre, aux Vosges et à la Lorraine allemande. La circulation 
				n'était pas libre entre ces cinq zones que séparaient autant de 
				barrières & chacune desquelles il fallait acquitter les droits. 
				Cette répétition étant onéreuse et gênant singulièrement le 
				commerce intérieur, Léopold, par un édit du 4 avril 1721, 
				n'avait conservé nue le haut-conduit dû à l'entrée ou à la 
				sortie des Duchés. C'est alors que pour dédommager les fermiers, 
				ce Prince avait, comme nous l'avons dit, augmenté le droit de 
				contrôle, les formules et les actes d'affirmation de voyage. 
				Mais, depuis, les tarifs spéciaux à chacun des districts étaient 
				toujours restés en usage, de telle sorte que la vache conduite 
				au marché voisin, et devant pour cela traverser la frontière 
				dans l'un ou l'autre sens, continuait à devoir 3 gros sur la 
				partie dépendant de la zone du Barrois; 6 deniers, au contraire, 
				dans la zone de Salins-l'Etape, 4 dans celle de Saint-Epvre ou 2 
				dans celle de Nancy. Non seulement ces droits variaient d'après 
				la région, mais ils étaient établis d'après des méthodes 
				différentes. Dans le Barrois, tout char, quelles que soient les 
				marchandises qu'il contienne, paye une même somme ; dans le 
				district de Château-Salins, les employés de la Ferme se basent 
				sur la nature du chargement ; plus loin, leurs collègues 
				tiendront uniquement compte du nombre des objets ; tel tarif est 
				incomparablement plus détaillé que tel autre: dispositions qui 
				compliquent la perception mais facilitent les interprétations 
				favorables aux intérêts de la Compagnie. Aucun droit de 
				haut-conduit n'était très élevé : un char rempli de marchandises 
				ne doit que 4 gros sur la frontière du Barrois; le cent de porcs 
				duit 9 gros dans la zone de Saint-Epvre, où le mercier voyageant 
				avec sa balle laissera 6 deniers. Mais à ce haut-conduit 
				s'ajoutaient les charges suivantes : 
				 
				B. Entrée-foraine. - L'entrée-foraine il est vrai, n'était 
				perçue que sur un très petit nombre d'objets: les chevaux, ânes 
				et mulets, et les vins étrangers. Ce péage, réglé par le tarif 
				du 4 décembre 1604, était de 1 fr. 3 gros, pour un cheval; 3 
				gros seulement pour un poulain. Les vins payaient 
				Indifféremment, quelle que fût leur qualité, un franc par queue 
				ou un gros par mesure. 
				 
				C. Issue-foraine, - Un tarif de la même époque, resté en 
				vigueur, précisait les redevances à acquitter pour 
				l'issue-foraine, qui, comme le droit précédent, paraît avoir son 
				origine dans une ordonnance de 1563. L'issue-foraine était due 
				pour les denrées et marchandises sortant de Lorraine et 
				spécifiées dans une nomenclature de 225 articles parmi lesquels 
				sont mentionnés depuis les objets les plus usuels jusqu'aux 
				esturgeons, l'huile d'aspic ou les galles. Si nous en exceptons 
				les vins, les grains et les bestiaux, l'évaluation portait pour 
				chaque catégorie sur la charge même. On distinguait : le char, 
				la charrette, la charge d'un cheval et le fardeau. C'est ainsi 
				que le tarif prévoyait, à côté du char chargé de poissons ou de 
				minerai, celui chargé de «  plumes de lict » ou encore celui 
				rempli de «  marrons, chastaignes, oranges, citrons et grenades 
				». Plus forts que les droite de haut-conduit, ceux 
				d'issue-foraine étaient loin cependant d'être abusifs. Les 
				marchandises les plus haut cotées ne payaient que 2 fr. par char 
				(17 sols de Lorraine) ; les armes toutefois devaient 3 fr. en 
				même quantité. 
				 
				D. Droit de Traverse. - Outre les deux droits de haut conduit, 
				ceux d'entrée et d'issue foraines, les marchandises traversant 
				la Lorraine sans être déballées devaient à la Ferme une 
				cinquième contribution : le droit de traverse, établi à partir 
				de 1616, par le duc Henry II, comme une sorte d'indemnité au 
				souverain pour les frais de construction et de sûreté des grands 
				chemins. Le droit de traverse se payait à raison du poids et 
				d'après les tarifs de 1615 et 1661. Il était tenu compte à la 
				fois de la provenance des marchandises et de leur valeur. Le 
				droit maximum était pour les draps d'or et d'argent venant 
				d'Italie qui devaient 18 gros par quintal (13 sols 9 deniers de 
				Lorraine), tandis que les étoffes plus grossières, expédiées 
				d'Allemagne, ne devaient que moitié. Seules, les toiles étaient 
				exemptes du droit de traverse, mais en revanche elles étaient 
				assujetties à une taxe spéciale plus élevée : l'impôt sur les 
				toiles. 
				 
				E. Impôt sur les toiles. - Ce droit -. dont parle déjà une 
				ordonnance de 1590 - atteignait tous les tissus de lin ou de 
				chanvre qui traversaient la Province, ainsi que ceux que l'on en 
				tirait pour les conduire à l'étranger. Les toiles introduites en 
				Lorraine pour la consommation locale avaient franchise. Ce péage 
				était, depuis 1629, fixé uniformément à 3 francs (25 sols 6 
				deniers) par quintal. On n'avait égard ni à la finesse, ni à la 
				provenance. 
				L'acquit-de-paie, bulletin destiné à être exhibé à toute 
				réquisition comme preuve de l'acquittement de chacun de ces 
				divers droits, coûtait de plus un sol «  pour le papier ». Le 
				haut-conduit de sortie, l'issue-foraine, l'impôt sur les toiles 
				chargées dans le pays, devaient être payés au plus prochain 
				bureau du lieu de chargement. Le haut-conduit d'entrée, 
				l'entrée-foraine, l'impôt sur les toiles venant de l'étranger ou 
				y retournant, le droit de traverse, étaient versés au premier 
				bureau de la route; par exception, les voituriers tenant la 
				route de Nancy devaient venir acquitter le droit de traverse au 
				bureau de la capitale. 
				 
				F. Droits d'acquit-à-caution. - Ces droits étaient les plus 
				compliqués en même temps qu'ils sont les moins faciles à 
				définir. Ils ont leur origine dans la topographie singulière de 
				la Province et des pays voisins ou enclavés. Nous pouvons 
				signaler quatre sortes d'acquit-à-caution. 
				a) La pénétration entre la Lorraine et les terres évêchoises 
				avait de tout temps donné lieu à un grand nombre d'arrangements 
				et de concordats touchant la liberté du commerce et 
				l'affranchissement réciproque de péages dans certains cas 
				spéciaux. Le traité de 1604, dit traité de Nomeny, en fat le 
				meilleur résumé jusqu'au traité signé à Paris en 1718 et qui 
				adopte les principales dispositions du premier. Mais, si 
				Lorrains et Évêchois avaient parfois la liberté de recevoir 
				telles denrées ou marchandises pour leur consommation, ou d'en 
				transporter en empruntant le territoire de leurs voisins, sans 
				payer les droits d'entrée ou d'issue-foraine, Il fallait que ces 
				privilèges ne fussent point une occasion de fraude. C'est à cet 
				effet qu'il devait être fourni, au bureau le plus proche du lieu 
				de chargement ou de la route suivie, un gage ou une caution dont 
				le fermier délivrait acquit. Dans les 15 jours ou 8 semaines, 
				cet acquit devait être rapporté, certifié d'un des principaux 
				officiers du lieu de consommation, pour attester que les 
				marchandises y avaient bien été déchargées Il en coûtait 8 sols 
				tournois pour la délivrance, la réception et la décharge ; la 
				déclaration du 10 décembre 1722 avait ajouté un sol «  pour le 
				papier ». 
				b) C'était cette même disposition géographique qui avait 
				nécessité l'usage d'une deuxième espèce d'acquit-à-caution. Un 
				marchand de Pont-à-Mousson fait venir de Nancy un ballot de 
				marchandises. Ces objets ne peuvent, après avoir payé le droit 
				de sortie en arrivant à Belleville sous prétexte qu'ils entrent 
				là sur un territoire étranger, devoir au même fermier les droits 
				d'entrée à Blénod, parce qu'ils sortent d'une terre de France. 
				Mais, afin d'assurer la Régie que le ballot est véritablement 
				destiné à la Lorraine, qu'il ne sera point versé dans l'étendue 
				de la généralité de Metz dont il emprunte le passage, il faut 
				que le voiturier prenne un acquit-à-caution dont le prix est de 
				4 gros; ce sera aussi 4 gros pour la décharge, plus le sol pour 
				le papier. Cette obligation n'était point générale avant 1737 ; 
				les parties de la Lorraine où ces acquits étaient de rigueur 
				étaient limitativement fixés par des textes. La Ferme de France 
				n'admit plus aucune distinction et étendit la mesure à toute la 
				Province. 
				c) Dans un arrêt du 14 janvier 1708, la Chambre des Comptes de 
				Lorraine avait enjoint, par provision, de prendre également des 
				acquits-à-caution pour les marchandises conduites dans des lieux 
				limitrophes. Il s'agissait d'empêcher le versement de ces 
				marchandises chez l'étranger, en fraude des droits de sortie. 
				Cette disposition fut naturellement maintenue sous le régime 
				français ; ces acquits rapportaient aussi 7 sols à la Ferme. 
				d) Il en était de même pour une quatrième sorte d'acquits-à-caution, 
				inaugurée sous Stanislas. Pour assurer le fermier que les 
				voituriers tenant la route de Nancy ne manqueraient point 
				d'acquitter au bureau de cette ville le droit de traverse, il 
				leur fut ordonné de prendre, au premier bureau de leur route en 
				terre lorraine, un acquit-à-caution, à la place du passavant qui 
				jusqu'alors avait suffi et était délivré gratuitement en 
				exécution de l'ordonnance de 1615. 
				Cette innovation fut formulée pour la première fois dans le bail 
				de Louis Diétrich. Dans cette pièce, deux articles, ajoutée au 
				dispositif des traités précédents et d'une rédaction 
				insignifiante à simple lecture, devaient servir en tous points 
				les vues fiscales de la Ferme. C'est de cette époque, surtout, 
				que la Compagnie donna à la Foraine une extension inattendue. 
				Les droits d'acquit furent peu à peu perçus de telle sorte que 
				la rétribution fut plus forte que la charge dont il paraissait 
				affranchir. Les Chambres des Comptes ne tardèrent pas à se 
				plaindre. Celle de Bar peut bientôt déclarer que «  les droits 
				d'acquit-à-caution sont quadruplés » ; on est désormais 
				contraint pour le transport d'un même objet «  de prendre autant 
				d'acquits qu'il y a de voituriers (70). » 
				«  On a multiplié successivement ces droits d'acquits-à caution 
				», remarque à son tour un contemporain autorisé, «  on a grossi 
				les avantages pour le fermier en abrégeant le terme accordé par 
				les anciennes ordonnances pour en rapporter la décharge ; et 
				pour rendre cet abus plus lucratif, le fermier, sans y paraître 
				autorisé par aucune loi, a substitué dans tous les cas à l'usage 
				d'exiger les cautions celui de faire consigner une somme 
				d'argent qui lui reste et tourne à son profit, si l'acquit n'est 
				pas rapporté dans le délai très court qu'il a fixé... » (71). 
				Les Ducs avaient tenu compte, autant que possible, de la 
				situation très défavorable de certaines portions de la Province 
				; telle, par exemple, cette de la principauté de Lixheim 
				enserrée au milieu de terres étrangères. C'est dans cette 
				considération qu'un arrêt du Conseil, du 6 février 1727, avait 
				dispensé les habitants de cette région des bureaux de péages. 
				Dès lors on jouit à Lixhein de l'exemption des droits. Mais la 
				Ferme de France s'appuya sur ce que le privilège n'avait été 
				accordé que «  par grâce spéciale, jusqu'à bon plaisir et sans 
				tirer à conséquence ». Le bon plaisir eût dû finir avec les 
				jours de Léopold ; sur la requête de la Compagnie, un arrêt du 
				16 janvier 1759 révoqua donc la concession. Les conséquences de 
				cette mesure furent déplorables. Deux ans après, M. Coster ayant 
				parcouru cette contrée pouvait en tracer ce tableau : ses 
				habitants «  chargés d'impositions, de vingtièmes, de corvées, 
				regardent aujourd'hui la foraine comme la plus grande de leurs 
				charges ; et le nombre de ceux qu'elle chasse chaque jour et 
				qu'elle fait transmigrer vous efffrayeroit ». Et en effet : «  du 
				centre de la ville de Lixheim on voit à deux mil pas, autour de 
				soi, des terres de Nassau, ou d'Alsace ou des Evêchés : le 
				fermier s'applaudit d'une position qui soumet à ses acquits tout 
				ce qui circule ». Là, des vexations sans nombre attendent chaque 
				jour le simple particulier tout comme le marchand ; «  s'il tire 
				des denrées ou des marchandises de Lorraine par Fénétrange (et 
				c'est le seul endroit par lequel cette principauté tient à la 
				Province) il faut un acquit-à-caution. Lixheim est un lieu 
				limitrophe : si c'est par quelqu'autre partie, il faut encore un 
				acquit-à-caution ; on emprunte nécessairement le territoire 
				français. Tout ce qui arrive à Lixheim est assujetti à cette 
				formalité coûteuse sous l'un ou l'autre de ces prétextes : tout 
				ce qui en sort pour les villages de la principauté, comme 
				outils, fruits, légumes y est encore assujetti : cela passe, dit 
				le fermier, dans un lieu limitrophe ; les dixmes même et les 
				denrées qui se transportent par les domestiques des Curés et des 
				gens d'Eglise ne sont pas respectées... » (72), Cette rigueur de 
				la Ferme, s'ajoutant à l'inconvénient des pénétrations et des 
				enclaves, faisait ainsi d'un ensemble de péages, en lui-même 
				beaucoup moins onéreux et assurément moins désagréable que les 
				systèmes douaniers de diverses autres provinces françaises, une 
				charge très lourde pour la Lorraine. La formalité des 
				acquits-à-caution se répète chaque fois que l'on emprunte sur sa 
				route le moindre lambeau de terre étrangère ou même que l'on 
				s'en approche. Or ces incidents sont inévitables pour le plus 
				petit trajet. On ne peut guère sortir directement de la Province 
				qu'au midi, et encore oubliais-je les enclaves de la Comté. De 
				Lunéville à Blâmont, on traversait deux fois la généralité de 
				Metz; il en était de même pour se rendre à Raon-l'Etape, à cause 
				des bans de Saint-Clément et de Baccarat. De Dieuze à 
				Saint-Avold, c'est-à-dire sur un parcours de 17.000 toises, on 
				passe alternativement sur sept territoires différents. Que 
				d'ennuis pour aller de Nancy à Sarreguemines ! La route emprunte 
				à trois reprises le sol évêchois, puis, enfin, une terre 
				d'Empire. Les évêchois exigent par réciprocité sur les 
				frontières tout ce que la Lorraine réclame elle-même, et le 
				fermier profite ainsi de l'une et de l'autre exigences. Voici un 
				commerçant solvable et domicilié, mais qui a coutume de 
				parcourir les foires et les marchés. Il est contraint de se 
				promener au milieu de cette marquetterie géographique (73) ; 
				comme la Ferme ne se contente pas d'une caution, mais veut que 
				l'on consigne une somme d'argent, notre homme s'en va semant ses 
				bénéfices sur son chemin et perdant tous ces déboursés s'il ne 
				peut revenir sur ses pas dans le laps de temps ridicule qui lui 
				est fixé pour représenter les acquits. Dans cet état de choses, 
				la moindre aggravation avait une portée considérable. Jusqu'en 
				1737, les Lorrains avaient supporté assez patiemment 
				l'institution de la Foraine qui commença dès lors à susciter 
				leurs murmures. Vers 1750, le fardeau fut si pesant que de 
				toutes parts des plaintes s'élevèrent ; jusqu'en 1766, nous les 
				entendons de plus en plus circonstanciées et saisissantes. La 
				Cour Souveraine déclare en août 1758 que : «  l'extension de ces 
				droits gène infiniment le peu de commerce qui nous reste parce 
				que ces droits d'acquits sont devenus arbitraires et si 
				multipliés qu'on ne peut plus faire un pas en Lorraine sans y 
				être assujetti. ». La même Compagnie établit, dans ses 
				remontrances du 24 janvier 1761, que «  la Foraine surtout est 
				devenue par ses abus, un fléau qui désole le commerçant et les 
				habitants des campagnes. Qu'est-il arrivé depuis vingt-trois uns 
				sur cette partie ? Les méditations du travail en Finances sur 
				les moyens d'augmenter le revenu des Fermes ont ramené sur cette 
				partie toutes les entraves que l'intérêt général avait écartées. 
				La régie a été rendue contentieuse, embarrassée. Les bureaux se 
				sont de nouveau multipliés. Les droits se sont étendus sur les 
				objets de la plus mince valeur. Un paquet de fil, une paire de 
				pigeons, un pot de légumes y ont été assujettis. Des décisions 
				nouvelles obtenues au Conseil par le Fermier, sans 
				contradicteurs, ont renversé les maximes qui le gênaient, et son 
				administration est devenue arbitraire. Ajouterons-nous que les 
				contraventions les plus innocentes sont rachetées par des sommes 
				considérable ? Contraventions provoquées encore par 
				l'affectation de mépriser les ordonnances qui assujettissent à 
				tenir sur les routes des affiches placardées contenant les 
				droits de la Foraine. Tels sont, Sire », terminait le 
				rapporteur, «  les excès qui rendent odieux un droit légitime et 
				qui font de la Foraine l'objet des clameurs publiques ! » (74). 
				«  On a vu », explique quelques mois plus tard, avec une 
				indignation mal contenue, un écrivain qui fit de ces questions 
				une étude approfondie, «  on a vu un particulier transportant de 
				bonne foi quelques pains de chènevis pour sa basse-cour d'un 
				lieu à l'autre de la Lorraine, et obligé par la nature du 
				terrain de traverser deux fois dans l'espace de deux lieues les 
				terres étrangères enclavées, être repris une première fois pour 
				n'avoir pas su qu'il ne pouvoit, sans acquit-à caution, 
				transporter chez lui cette chétive denrée ; se racheter de cette 
				première contravention d'une somme de six écus neufs, et être 
				repris une seconde fois le quart d'heure d'après par les mêmes 
				gardes et sous la même peine, pour ne s'être pas muni d'un 
				nouvel acquit à l'occasion du nouveau territoire qu'il alloit 
				encore traverser ; et perdre ainsi trois louis d'or, pour avoir 
				innocemment manqué aux formalités nouvellement prescrites dans 
				le transport d'une denrée qui ne valloit pas trente sols » (75). 
				C'est à qui se lamentera davantage sur «  cette vermine de 
				tyranneaux qui désolent à chaque instant l'agriculteur et le 
				voiturier, et troublent la circulation intérieure de mille et 
				mille manières »; «  il est tel garde », s'écrie plaisamment un 
				ancien subdélégué de l'Intendance, «  il est tel garde qui nous 
				fera plus craindre le passage de Lorraine en France, que celui 
				des sables de l'Arabie, ou des forêts des Hurons ou des 
				Chiroquois ! » (76). 
				Pour garder toutes les lignes frontières, toutes les zones 
				limitrophes, la Ferme devait employer sous Stanislas de 700 à 
				720 receveurs de la Foraine. La tâche de ces préposés n'était 
				pas facile ; ils eussent dû connaître en détail les dispositions 
				de multiples règlements et tarifs taxant les denrées et 
				marchandises tantôt sur le pied du char, tantôt de la charrette, 
				tantôt de la charge, ou du poids, ou du nombre ; connaître 
				également tout ce qui avait été fixé par les traités faits entre 
				les Ducs et leurs voisins, attendu que ces traités renfermaient 
				d'importantes modifications aux tarifs, eux-mêmes si divers. 
				L'embarras de la régie était tel que pour l'instruction de son 
				personnel, la Ferme dut faire imprimer, en 1757, un volume 
				entier des édits, déclarations et arrêts jugés nécessaires pour 
				l'exploitation de la Foraine (77). «  On en feroit un second », 
				assurait Coster «  de ce qu'elle a supprimé soit comme inutile, 
				soit comme étranger à ses vues. ». Pour ma part, j'ai compté 
				plus de cent ordonnances et arrêts en vigueur en 1766, tout 
				absolument indispensables à posséder pour une perception 
				vraiment régulière ! 
				 
				 
				
				NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET INDICATION DES PRINCIPALES SOURCES. 
				AVANT PROPOS 
				
				PREMIÈRE PARTIE - LES IMPOSITIONS 
				
				CHAPITRE Ier. - La Subvention. - Subvention proprement dite et 
				Ponts et Chaussées 
				
				SECTION I. - Mécanisme de la répartition 
				
				SECTION II. - Subvention proprement dite 
				
				SECTION III. - Les Ponts et Chaussées 
				
				SECTION IV. - Les exempts et les non exempts 
				
				SECTION V. - Attributions des Chambres des Comptes de Nancy et 
				de Bar 
				
				CHAPITRE II. - Les impositions particulières 
				CHAPITRE 
				III. - Les Vingtièmes 
				SECTION 
				I. - Premier Vingtième 
				
				SECTION II. - Deuxième Vingtième. - Abonnement aux deux 
				Vingtièmes 
				
				SECTION III - Répartition de l'Abonnement 
				
				SECTION IV. Tentative d'établissement d'un troisième Vingtième 
				
				SECTION V. - Contribution du Clergé lorrain aux Vingtièmes 
				
				CHAPITRE IV. - Le personnel des finances 
				
				DEUXIEME PARTIE - LES PARTIES CASUELLES; LES OFFICES VÉNAUX 
				
				TROISIÈME PARTIE - LES EAUX ET FORÊTS 
				
				CHAPITRE Ier. - Les revenus des eaux et forêts 
				
				CHAPITRE II. - La comptabilité forestière 
				
				QUATRIEME PARTIE - LE DOMAINE; LA FERME GÉNERALE; LES IMPOTS 
				INDIRECTS 
				
				CHAPITRE Ier. - La comptabilité domaniale et la Ferme générale 
				
				SECTION I. - Comptabilité domaniale 
				
				SECTION II. - La Ferme générale 
				
				CHAPITRE II. - Le domaine foncier et les droits domaniaux 
				seigneuriaux 
				
				SECTION I. - Le domaine foncier 
				
				SECTION II. - Les droits domaniaux seigneuriaux 
				
				SECTION III. - Les sous-fermiers du domaine 
				CHAPITRE 
				III. - Les droits domaniaux régaliens 
				CHAPITRE IV. - Les 
				monopoles 
				SECTION I. - Châtrerie 
				SECTION II. - Riflerie 
				SECTION III. - Tabacs 
				SECTION IV. - 
				Les salines: la gabelle 
				SECTION V. - La 
				contrebande 
				SECTION VI. - 
				Poste et messageries 
				SECTION VII. - 
				Poudres et salpêtres 
				
				CHAPITRE V. - Les impôts indirects proprement dits - Les marques 
				SECTION I. - Marque 
				des cartes 
				SECTION II. - Marque 
				des cuirs 
				
				SECTION III. - Marque des fers à la fabrication 
				CHAPITRE VI. - 
				Les traites ; la Foraine 
				SECTION 
				I. - Traites autres que la Foraine 
				SECTION II. - La Foraine  |