Revue
Dieu et patrie
9 janvier 1916
Lettre d'un aumônier
Voici quelques extraits du journal d'un aumônier
militaire en campagne que nos lecteurs liront avec
plaisir :
Samedi 19 juin 1915. - Je suis le chemin du retour, car,
ce soir, il y a attaque et je veux être prêt à partir.
La nuit tombe quand nous quittons Thiébauménil.
Un mouvement inusité de troupes encombre les routes.
Pied à terre. A l'entrée de Bénaménil, nous prenons le «
train 11 » et, par la prairie, les passerelles, nous
allons attendre, en réserve, les événements, au pied du
Calvaire de Manonviller-Domjevin.
Aussitôt arrivés, le colonel groupe autour de lui les
officiers du régiment, pour leur expliquer les
opérations qui vont être tentées : avance de nos
tranchées en avant de Reillon. vers Gondrexon ; attaque
et occupation des tranchées allemandes, pour relier
l'avance d'Emberménil à celle de Blémerey... A quelle
heure commencera le concert ? Mystère encore ! Nous
sommes ici en réserve. Souhaitons qu'on n'ait nul besoin
de notre renfort, ce qui sera signe de succès.
Nous cherchons, au bord de la route, près des chasseurs
qui ronflent déjà, merveilleusement, un nid pour nous
étendre.
Dans le bocqueteau, sous les branches, nous disposons un
brancard. Dix heures à la contre. rien.; dix heures un
quart... rien.. ; dix heures et demie. Ça y est : un
éclair, deux éclairs, des gerbes de feu ; le ciel
s'embrasse : l'attaque est déclanchée. Avec une
précipitation, une intensité qui rappellent le jour du
Xon, l'artillerie entre en danse, crache la mitraille.
Tous les calibres donnent ; les fusées éclairantes
illuminent le spectacle et, pendant toute la nuit,
l'orchestre va accompagner Là-bas les travailleurs, les
braves travailleurs qui creusent les tranchées sous les
obus et la mitraille.
Le spectacle est grandiose dans son horreur. Il est
surtout impressionnant, quand on songe aux soldats qui,
en première ligne, doivent couper les réseaux, courir à
la baïonnette et s'emparer des tranchées. L'esprit peint
ce tableau nocturne tandis que le corps fatigué demande,
même sous la froide nuit, un peu de repos, tandis que
les lèvres murmurent les Ave et les invocations, tandis
que les doigts égrènent le chapelet enroulé, pour ceux
qui, là devant, luttent, tombent, souffrent, meurent
glorieusement pour la Patrie.
Dimanche 20 juin. - Ce fut un dimanche bien rempli que
celui-là. La guerre en fit ici un champ de bataille, un
lieu d'assaut et de carnage, pendant qu'à l'arrière, pas
bien loin, la religion en faisait une journée laborieuse
et consolante.
Je me suis endormi à minuit, au milieu de la fusillade
et de la canonnade toutes proches. J'ai dormi, comme on
dort à la guerre.
A trois heures arrivent les premières nouvelles, moitié
bonnes, moitié mauvaises : les ailes ont occupé les
tranchées boches ; le centre n'a pas abouti, et il a
fallu, devant le blockhaus, établir des tranchées
sommaires. Ordre nous est donné de nous retrancher à la
lisière de la forêt de Mondon, pour n'être point repérés
par les avions.
La marche nous réchauffe, nous remet sur pied et
dégourdit les plus endormis.
A peine arrivé en forêt, je suis mandé au poste de
secours de Bénaménil, pour les blessés de Saint-Martin
et Herbévillier, tombés sous la mitraille.
Voici un pauvre soldat du 37e territorial ; il meurt en
arrivant, et c'est à peine si j'ai le temps de lui
donner une dernière onction. Un autre gémit
lamentablement, quand on le descend de voiture : c'est
un T.A.T., du 81e territorial, qui a été surpris à
minuit par une marmite tombée sur la maison où il
reposait.
Le premier obus tua deux soldats et en blessa cinq
autres, artilleurs des pièces de 120. Ils arrivent, l'un
avec une jambe traversée de shrapnells ; l'autre blessé
à la tête ; d'autres au pied.
Mon blessé plus grave, celui du 81e, a le cerveau
traversé d'une balle qui est entrée au coin de l'oeil et
du nez et qui est sortie derrière la nuque. C'est une
merveille qu'il ne soit pas mort et qu'il puisse encore
parler. Il a soif. Pendant qu'on va chercher le docteur
en forêt, je lui donne de l'eau de mélisse. Il boit à la
cuiller, il boirait sans arrêt... Pauvre homme ! Il me
recommande sa femme, ses enfants, dont l'un n'a que
quelques mois. Il est de La Loire-Inférieure,
commissionnaire en charbons et fourrages.. Il met en
ordre ses affaires de conscience, reçoit les dernières
bénédictions de l'Eglise, quand déjà son pouls fléchit
et que sa respiration devient haletante... Il s'éteint
doucement, nous laissant au coeur un douloureux regret,
une pensée d'angoisse pour ceux qu'il ne reverra plus
ici-bas. En vidant ses poches, je trouve des lettres et
des photographies de famille, ce qui augmente encore
cette impression de tristesse ; puis on le dépose dans
une salle voisine, en attendant la dernière cérémonie
funèbre.
Voilà un mouvement dans le village. C'est une colonne de
prisonniers boches qui passe, encadrée de dragons.
A six heures, je remonte en forêt. Tous les blessés sont
évacués. Ordre est donné de repartir aux différents
cantonnements et de se tenir en alerte...
19 mars 1916
Nos prêtres otages ou prisonniers civils
DIOCESE DE NANCY
Nous avons appris avec. une joie profonde le retour de
M. l'abbé Remy, curé de Thézey-Saint-Martin, emmené avec
nombre de ses paroissiens en captivité, au mois de
juillet 1915, et de M. l'abbé Gérard, ancien curé de
Vaucourt, retiré à Hampont (Lorraine), emmené à
l'intérieur de l'Allemagne : tous les deux étaient, en
dernier lieu, dans un couvent à Paderborn.
Ils avaient quitté, voici deux mois, le camp
d'Holzminden (Brunswick), où ils avaient laissé M.
l'abbé Moureaux, curé de Serrouville; qui fut arraché à
sa paroisse dès le 6 août 1914, et qui vient, lui aussi,
d'être rapatrié, ainsi que MM. les abbés Peyen, curé de
Jeandelize ; Rouyer, curé de Gogney ; Mathis, professeur
à l'institution Saint-Pierre-Fourier, de Lunéville ;
Collin, vicaire à Mars-la-Tour ; Barbier, séminariste de
Jeandelize, et le R. P. Deiber, dominicain, qui n'ont
pas bénéficié de la même mesure, et sont en santé
relativement bonne.
M. l'abbé Heckler, curé de Laneuville-au-Bois, emmené
comme otage le 12 septembre 1914, est également rentré
du dépôt d'Hirschberg (Bavière).
M. l'abbé Louis, curé de Deneuvre, devrait à son âge
d'être, lui aussi, rendu à la patrie. Nous ne savons
s'il a quitté Munster où il était détenu.
Avec les prêtres et les clercs, brancardiers ou non, qui
sont prisonniers de guerre, le clergé nancéien compte
encore plus de vingt de ses membres dans les dépôts de
captivité en Allemagne. |