Recueil des actes
du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des
représentants en mission et le registre du conseil exécutif
provisoire. Tome 10
F.-A. Aulard
1897
LES REPRÉSENTANTS AUX
ARMÉES DU RHIN ET DE LA MOSELLE AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.
Strasbourg, 2 pluviôse an II - 21 janvier 1794. (Reçu le 8
février.)
[ J.-B. Lacoste et Baudot critiquent, non les intentions, mais
les actes de Faure, qui, à Nancy, a fait arrêter les patriotes
sans distinction et relâcher les aristocrates avec complaisance.
« Mauger, républicain prononcé par ses discours, s'est laissé
corrompre, et de là on a conclu que ceux qui avaient tenu le
même langage avaient participé aux mêmes actions, et, en prenant
des mesures terribles contre les chaleureux amis de la liberté,
Duquesnoy, ex-constituant contre-révolutionnaire, Fossey,
ex-législateur royaliste, jouissaient en paix du fruit de leurs
manoeuvres criminelles. Nous avons fait sortir les patriotes de
prison, et les aristocrates ont pris leur place. Pour connaître
d'une manière certaine l'esprit public, nous avons interrogé le
peuple en masse, et il en est résulté que les sans-culottes
étaient abîmés sous le poids des riches. Toutes les autorités
constituées vont être épurées, et la Société populaire créée de
nouveau. Nous nous occupons de l'établissement d'une Commission
révolutionnaire, et le peuple, en reprenant son caractère
naturel, développera bientôt son énergie tout entière. - Arrivés
à Sarrebourg, nous avons trouvé un prêtre, commissaire de Faure,
chargé de faire enlever tous les administrateurs de cette ville.
Ces citoyens étaient connus pour d'intrépides défenseurs de la
République. » Ils ont découvert que ce prêtre était porteur
d'une lettre d'un agent des puissances étrangères, nommé Cromer
et Allemand d'origine. « Il appelle les patriotes des
anarchistes, et s'annonçait pour le missionnaire de l'ordre et
de la paix. Faure s'est laissé tromper par les mots anarchistes
et désorganisateurs, et était devenu l'idole des royalistes sans
s'en douter. Instruit de ce que nous venons de faire à Nancy, il
avait exprimé le désir de le défaire. Enfin, pour asseoir
irrévocablement la Révolution dans cette ville et déjouer les
auteurs des intrigues, nous avons fait arrêter l'agent des
puissances étrangères et cinq de ses complices. Les agents de
Faure, qui ont fait la contre-révolution, sont également
arrêtés. Nous avons pris en même temps un arrêté pour que les
autorités civiles et militaires du département de la Meurthe
nous communiquent les arrêtés pris par Faure, et qu'elles ne les
exécutent à l'avenir qu'après cette communication, afin que les
opérations dont nous sommes chargés réciproquement ne soient
point contrariées. » - « L'esprit public parait s'affaiblir à
mesure que nos victoires augmentent. A Besançon, Metz, Nancy et
Strasbourg, la loi du maximum est totalement oubliée; les
assignats perdent considérablement; dans les campagnes même, on
ne veut faire le commerce qu'avec l'argent. Le remède à tous ces
maux, c'est une Commission révolutionnaire; nous l'établirons
aujourd'hui. » Ils transmettent diverses nouvelles des armées. -
Arch. nat., AF 11, 154.]
UN DES REPRESENTANTS A
L'ARMEE DE LA MOSELLE AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.
Sarrelibre, 3 pluviôse an II - 22 janvier 1794. (Reçu le 30
janvier.)
Je vous adresse, citoyens collègues, 1° la copie d'une lettre
que je reçus hier à Nancy, signée Bigelot; je vous invite à la
lire (1); 2° une copie de la lettre de l'accusateur public du
Tribunal révolutionnaire à Paris, que je vous invite aussi à
lire (2).
Une autre lettre que je viens de recevoir de Nancy m'annonce que
Lacoste et Baudot viennent de faire arrêter et traduire à
Strasbourg le citoyen Dumast, qui a été jusqu'ici mon agent en
chef pour la levée de la cavalerie, ainsi que Gallet, mon
secrétaire, que j'avais pris à Paris au Comité de correspondance
(3). Je ne me permettrai d'autres réflexions, citoyens
collègues, que celles qui naissent naturellement, ou de ma
conduite, ou de celle de mes collègues, dont le résultat me
paraît n'être qu'une division funeste pour la chose publique.
Pour y remédier, citoyens collègues, je pense qu'il est instant
que la Convention ou le Comité envoie sans délai un ou deux
représentants en commission extraordinaire à Nancy, pour y tranquilliser le peuple, concilier les esprits, qui y sont
propres aux meilleures impressions, et prendre des
renseignements sur les actions des autres représentants, ainsi
que sur les motifs qui les ont dirigés. Je puis être coupable;
Lacoste et Baudot peuvent l'être. Nous pouvons les uns et les
autres être, ou tous coupables, ou tous innocents; mais il
s'agit ici moins de nous que de l'intérêt de la République.
Je me bornerai à vous observer que ce sont les intrigants et les
fripons seuls qui veulent dominer; mais ils n'y réussiront pas :
les vrais patriotes resteront unis et feront de l'intrigue ce
qu'ils ont fait de l'aristocratie.
Salut et fraternité, FAURE.
P.-S. Je crois cependant devoir vous donner une idée plus
précise des choses.
D'après un rapport qui me fut remis par Meunier et Jolly, de
Nancy, deux délégués d'Ehrmann, Soubrany et Richaud, j'ai donné
un mandat contre quatorze prévenus de dilapidations de biens
nationaux et de correspondance criminelle. Un nommé Richard,
administrateur du département et membre de la propagande,
protégé sans doute par Lacoste et Baudot, fut compris dans cet
arrêté, et mes collègues en ont été fâchés au point qu'ils ont
suspendu l'exécution de mon arrêté à l'égard de ce Richard.
Un nommé Villier, procureur syndic à Sarrebourg, fameux
intrigant qui a eu récemment une soeur et un beau-frère émigrés,
et qui est en coalition avec l'ex-secrétaire de Houchard, autre
intrigant, m'a été aussi dénoncé par un de mes délégués à
Sarrebourg; j'ai en conséquence suspendu ce Villier, et ai
ordonné son arrestation provisoire. Eh bien, ce Villier est
encore un excellent patriote aux yeux de Lacoste, et il en est
protégé. Ce Villier (4), intrigant, pour se soustraire à
l'arrestation, est parti pour Paris avec la voiture d'Houchard,
et j'ai vu aujourd'hui dans un journal qu'un Villier venait de
faire à la Convention un don de 100 livres.
Jugez par là des ressources des intrigants, collègues. J'ai fait
quelque bien à Nancy, et je vous invite à ne pas être
indifférents sur ces derniers événements.
Voici encore la copie de la lettre de Villier. Mon délégué qui
m'écrit était cependant aussi de la propagande; je l'ai fait
agent national à Bitche.
[Arch. nat., AF II, 154. - De la main de Balthazar Faure.]
(1) Dans cette lettre, datée de Nancy le 1er pluviôse an II, ce
Bigelot mande à Balthazar Faure que les représentants J.-B.
Lacoste et Baudot ont fait une apparition à Nancy, et qu'ils ont
critiqué les opérations de Faure, déclaré que les
administrateurs nommés par lui étaient des feuillants, et les
ont soumis à un scrutin épuratoire devant le peuple réuni au
théâtre ; mais il ajoute que le peuple les a presque tous
maintenus.
(2) Cette lettre de Fouquier-Tinville à Faure, en date du 29
nivôse, n'est pas très claire. Je crois comprendre qu'en dépit
d'un arrêté de Faure, l'accusateur public persiste à traduire
devant le Tribunal révolutionnaire certains détenus transférés
de Nancy à Paris.
(3) Voir plus haut, p. 372, la lettre de J.-B. Lacoste et de
Baudot du 2 pluviôse an II.
(4) Faure écrit aussi ce nom tantôt Villers, tantôt Villiers.
Recueil des actes
du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des
représentants en mission et le registre du conseil exécutif
provisoire. Tome 11
F.-A. Aulard
1897
REPRÉSENTANTS EN MISSION.
UN EX-REPRÉSENTANT À L'ARMEE DE LA MOSELLE AU COMITÉ DE SALUT
PUBLIC.
Paris, 21 pluviôse an II - 9 février 1794.
Lisez, lisez, lisez, et hâtez-vous de lire, citoyens collègues
(1). D'après cela, je vous en conjure au nom de l'humanité,
sauvez la vie à mon secrétaire et à mes agents. Lacoste les a
fait tous traduire avec le plus grand éclat près de sa
commission formant tribunal à Strasbourg. Les ordres les plus
sévères ont été donnés, soyez-en sûrs, pour qu'ils soient
guillotinés. Je connais Lacoste, rapportez-vous à moi, faites
suspendre toute poursuite provisoirement, mais faites-le sans
retard, et que les ordres soient précis et adressés séparément à
Lacoste, à Baudot et à la commission; car, sans cela, ils
courraient risque que les ordres de suspendre ne fussent donnés
qu'après la mort. Justice, citoyens collègues, justice ! Je vous
la demande, je la demande à la Convention nationale par votre
organe. N'étant pas orateur, je ne puis que m'adresser à vous.
Salut, fraternité. Votre collègue,
FAURE.
Mon rapport (2) va achever de faire tourner la tête à Lacoste ;
il tentera tout pour se venger et, ne pouvant exercer sa rage
sur moi, il l'exercera sur mes délégués innocents.
Citoyens, si vous n'y prenez garde, le sang de vrais
républicains va couler à grands flots, et bientôt nous, purs
Montagnards, succomberons sous le poids de l'intrigue. Il en est
temps encore, citoyens collègues, sauvez la chose publique, vous
le pouvez.
[Arch. nat., AF II, 154. - De la main de Balthazar Faure (3)]
(1) Il s'agit d'une lettre du secrétaire de Balthazar Faure,
ainsi conçue : « Blamont, 11 pluviôse an II. - Citoyen
représentant, je suis conduit à Strasbourg, où on me traduira au
tribunal révolutionnaire. Quinze autres patriotes de Nancy
subissent le même sort, tous les membres du Comité de
surveillance, Reynaud, juge de paix, Gehin, officier municipal,
et quelques autres. Nous sommes conduits avec éclat : seize
carabiniers et gendarmes forment notre escorte et il est bien
douloureux pour de bons républicains d'être traités en
contre-révolutionnaires; c'est la seule peine que nous
ressentions; car, forts de notre innocence, nous sommes d'une
sécurité dont rien n'approche. Lyonnais, Faublanc, de Dieuse, et
beaucoup d'autres encore, sont en arrestation et traduits à
Strasbourg. Tous ces bons républicains gémissent moins du coup
qui les frappe que de voir que c'est pour avoir été tes agents
qu'on les traite d'une manière aussi rigoureuse. Cependant ils
fondent leur espoir sur la justice de ceux qui les ont fait
arrêter; ils reconnaîtront sans doute les bonnes intentions de
ces agents qui, de concert avec toi, ont voulu faire le bien et
sont bien persuadés de l'avoir fait. Ils le conjurent avec moi
de ne pas les oublier en le rappelant qu'ils sont une portion de
ce bon peuple de Nancy, qui t'aime, te chérit et te respecte au
delà de toute expression. Je me trouve dans la situation la plus
triste, n'ayant point porté, comme tu le sais, d'argent avec
moi, lorsque je suis parti de Paris; et c'est à nos frais que
nous sommes transférés à Strasbourg. Ne pourrais-lu pas donner
des ordres à Geoffrion pour qu'il me fît passer quelques fonds ?
Sans cela, comment me procurerai-je l'existence ? Travaille,
vertueux Faure, travaille sans relâche à mettre au grand jour
l'innocence de ton secrétaire et celle de tes agents injustement
soupçonnés. Quant à moi surtout, tu sais que je n'ai été auprès
de toi qu'un être absolument passif, et par conséquent comment
pourrais-je être cru coupable, à supposer qu'il y eût eu des
fautes de commises par toi? C'est ce qui ne saurait entrer dans
mon imagination. Tous mes compagnons d'infortune me chargent de
t'assurer de leur respect; ils font avec moi des voeux pour ton
bonheur, ta satisfaction et la prospérité de la République- -
Salut et fraternité : GALLET." Arch. nat., AF II, 154.
(2) On trouvera ce rapport dans le même carton AF 11, 154. C'est
un imprimé intitulé : Rapport et précis justificatif de la
conduite de Faure, député de la Haute-Loire, représentant du
peuple dans les département de la Meurthe, des Vosges et de la
Moselle, imprimé par ordre de la Convention nationale. Impr.
nationale, in-8° de 36 pages-
(3) En marge d'une analyse de cette lettre, on lit ces mots : On
a écrit. |