Nous reprenons ici les seuls extraits du 1er tome relatant des événements de
l'année 1914 sur le secteur de Blâmont.
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Abréviations
1914-1918
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6 août.
Je prends officiellement le commandement de la Ire Armée à 0 h. 01.
Cette armée se compose des éléments ci-après :
7e, 8e, 13e, 14e et 21e Corps d'Armée ; 6e et 8e Divisions de cavalerie et une artillerie lourde (5e Régiment lourd).
Les 7e et 21e Corps d'Armée, 6e et 8e Divisions de cavalerie sont en couverture et ainsi disposés :
7* Corps :14e Division et 8e Division de cavalerie, région de Belfort ; 41e Division, hautes vallées de la Moselle. Q. G. Belfort; - 21e Corps et 6e Division de cavalerie sur la haute Meurthe. Q. G. Rambervillers.
La zone d'action de mon armée est comprise entre la frontière suisse, au sud, et la ligne (exclue) Bainville-aux-Miroirs, Rayon, Luné\ille, La Garde. Dieuze, au nord.
[...]
Le 21e Corps, qui se relie au Valtin au 7e Corps, a gardé les emplacements primitifs sauf les modifications suivantes : la 43e Division a une brigade sur la Haute-Meurthe (région de Saint-Léonard), avec un détachement de doux bataillons du 158e et un groupe à Fraize; son autre brigade (86e) tient la région du Ban-de-Sapt et la vallée de la Fave. La 13e Division maintient, avec une de ses brigades, la couverture sur le front général Celles, Badonviller, Saint-Pole, Montigny, l'autre brigade ayant été amenée dans la journée du 5 août à Saint-Dié. en renfort de la couverture de la 43e Division. Les 6° et 8" Divisions de cavalerie sont restées sur les mêmes emplacements. Un escadron de la 6e Division occupe Blamont.
10 août.
Dans toutes ces affaires, les Allemands usent couramment de la voie ferrée pour porter leurs troupes sur les points menacés, sans leur imposer la moindre fatigue. Ils l'ont fait sur le front Cernay-Mulhouse, comme au col de Sainte-Marie, comme à Saint-Martin et à Ogéviller.
[...]
Lieutenant-colonel Debeney a exposé les dispositions que j'ai arrêtées pour être en mesure, le 15 au jour, de prendre l'offensive dans les conditions ci-après :
Aile gauche : deux Corps (8* et 13°) bordant la Meurthe entre Fraimbois et Raon-l'Etape; - zone d'action, couloir de Blamont, Sarrebourg, avec intention de rabattement à droite sur la trouée de Saverne. - Premier objectif: front Avricourt-La Frimbole.
11 août.
On me rend compte des atrocités commises par les Allemands. ils achèvent les blessés à coups de lance, sous leurs talons de botte, ou en leur tirant des coups de feu dans le visage à bout portant. C'est officiellement constaté.
Dans l'attaque d'hier (gauche du 21e Corps), les Bavarois ont brûlé successivement tous les villages traversés. En débouchant de Montreux (nord de Badonviller), ils ont fait marcher devant leur ligne de combat des habitants inoffensifs en bras de chemise. Quels sauvages !
Le général commandant le 8° Corps me fait savoir, à 8 heures, que la 25e brigade (21e Corps) est fortement attaquée et lui demande son concours.
Il me dit qu'il va faire passer sa Division de tête au nord de la Meurthe et diriger la 6e Division de cavalerie sur Domèvre. Je l'y autorise en lui faisant remarquer que les opérations d'ensemble ne sont pas commencées et qu'il faut éviter de s'engager par fractions.
Il devra donc faire strictement le nécessaire, en évitant que son gros dépasse la Meurthe.
[...]
A l'aile gauche, la 25e brigade, dans les combats de Badonviller, a pris des Bavarois qui avaient de l'étoupe dans l'une de leurs cartouchières. On aurait dû fusiller, sur place et sans autre forme, ces incendiaires.
J'avais envoyé, sur la demande qui m'en avait été faite, un officier au G.Q.G. à Vitry. Il me rapporte, à minuit trente, les ordres pour l'offensive. Nous marcherons le 14 au jour, ma gauche sera appuyée par la IIe Armée. Je resserrerai, à cet effet, mon 8e Corps sur sa droite et je l'orienterai sur Blamont, pour laisser une zone libre au 16e Corps, droite de la IIe Armée.
J'allais oublier de noter l'incident du 8e Corps qui a poussé sa 15e Division au nord de la Meurthe à l'appel du général Barbade (25e Brigade), celui-ci se disant attaqué et hors d'état de tenir. J'ai fait, dans la soirée, des reproches au général de C..., auquel j'avais simplement permis de fournir le secours strictement nécessaire et non une Division. Je lui donne l'ordre de ramener le gros de cette Division demain au sud de la Meurthe; je ne veux m'avancer que toutes forces réunies.
14 août.
Je pars à 6 heures pour Rambervillers, où j'établis mon poste de commandement.
A 9 heures, je me rends à mon aile gauche (au poste de commandement du 8e Corps, signal
d'Hablonville), où je reste plus d'une heure. Quand je pars, le 8e Corps atteint Chazelles et attaque Domèvre; mais il se trouve, à droite, arrêté devant la crête entre Domèvre et Clair-Bois. A sa droite, le 13e Corps tient Ancerviller (hameau), progresse dans le bois des Haies et marche sur Montreux.
15 août.
A 3 heures, la IIe Armée me fait savoir que son 15e Corps (centre) est obligé de faire face au nord et de se fortifier sur ses positions. Le 16e Corps, qui est à sa droite, devant l'aider et l'appuyer, ne pourra coopérer aux opérations de la Ire Armée. C'est une mauvaise nouvelle.
Je rends, par téléphone, à mon 8e Corps la Division que je m'étais réservée et je le préviens qu'il devra, avec ses seules forces, pousser jusqu'à Igney et Foulcray. Je lui demande cependant de garder à sa gauche une réserve d'une brigade mixte et de prévenir la 6e Division de cavalerie.
J'ai oublié de noter hier que le général Joffre formait, au bénéfice de la Ire Armée, un Corps de cavalerie de trois Divisions (les deux de la IIe Armée et la mienne) sous les ordres du général Conneau. La mission de ce Corps est de déborde ma gauche, dès que le couloir de Sarrebourg sera libre et d'opérer sur les derrières de l'ennemi. Il devra prendre sa subsistance sur les convois de l'ennemi.
A 6 heures, je me porte au P. C. du 13e Corps.
J'avais appris, pendant la nuit, que deux compagnies du 8e Corps avaient mis la main sur Blamont, sur l'initiative du chef de Corps du
95e. Peu après, le général de Maud'huy, trouvant ces unités un peu en l'air, avait jugé nécessaire d'occuper les pentes au nord-est de la localité. Il avait pris y un bataillon et s'était glissé dans l'obscurité; mais, au moment d'arriver sur le plateau, le détachement avait été accueilli par un feu violent qui lui avait fait perdre 300 hommes environ. Il avait dû se replier sur Blamont. En arrivant sur le terrain, je prierai le commandant de C.A. de féliciter ces braves gens, malgré l'insuccès de leur dernier effort.
Je n'ai pas été aussi satisfait de ce qui s'est passé, vers le soir, à la droite du 13e Corps. Là, la 26e Division arrivant de Pelitmont sur Cirey s'était disposée pour attaquer cette position avec trois régiments, l'un chargé par le sud de l'attaque directe, les deux autres de l'enveloppement par l'est. L'attaque avait été brusquée à plus de 2.000 mètres de l'ennemi par l'un des bataillons venant du sud. La sonnerie de la charge s'était fait entendre (on n'a pu savoir sur quelle initiative) et l'on s'était follement jeté à l'assaut.
Sur une pareille distance à parcourir, le feu avait fait rage: les pertes avaient été des plus graves. L'élan avait été brisé avant l'abordage et la Division s'était reportée en arrière fort impressionnée et avec quelque désordre, en raison de l'obscurité naissante.
Je ferai remarquer au général A..., que la prise de Cirey ne faisait pas partie du programme de la journée : il fallait, en effet, ou se contenter d'atteindre la Vezouse, ou, si on voulait la franchir, pousser jusqu'à
Bertrambois, c'est-à-dire au delà des bois. Le commandant de Corps d'Armée aurait dû orienter ses deux Divisions, conserver la direction du combat, leur indiquer le front à atteindre et, par conséquent, ne pas permettre le combat de Cirey. D'ailleurs, on ne commence pas, à la fin du jour, l'attaque d'une position de cette importance et qui n'a pas été sérieusement reconnue.
En réalité, les liaisons ont fait, en grande partie, défaut au 13e Corps; le commandant de Corps d'Armée n'a pu effectivement diriger le combat et je crois bien qu'il en a été de même du général S..., commandant la 26e Division. Je ferai les observations nécessaires et je donnerai les directives pour que pareil fait ne se renouvelle pas.
En arrivant au P.C. du 13e Corps (Merville, d'ailleurs trop éloigné de la ligne de combat), je n'ai pas trouvé le général A... qui était allé à sa Division de droite pour remettre les choses en place.
J'ai dû, en son absence, modifier les ordres qu'il avait donnés et qui peuvent se résumer en ceci : en raison de l'échec de sa droite, le C.A. devra stopper tout entier. De sorte que le 8e Corps, qui, lui, continuait ses attaques, allait être découvert sur sa droite. J'ai prescrit au 13e Corps d'attaquer par sa gauche sur Fremonville, en liaison avec le 8e, et de se contenter de se maintenir à droite devant Cirey en se fortifiant, puisque la 26e Division était trop fatiguée pour attaquer. L'artillerie lourde devait préparer l'attaque de Frénonville. De la sorte, Cirey tomberait comme une poire mûre, dès qu'on dépasserait, à gauche, Blamont et Fremonville.
De là, je suis allé au 8e Corps où j'ai trouvé une situation satisfaisante. Les hauteurs de Blamont allaient être abordées par l'ouest et le
sud, une
brigade de la 16e Division prolongeant à gauche, sur Repaix, l'attaque de la 15e Division. Il restait en réserve une brigade et deux groupes de l'A.D. de la 16e Division.
D'Herbéviller, je me suis remis à la recherche du général A... A son ancien P. C, on ne l'avait pas encore revu. Je suis donc reparti dans la direction de la 26e Division et j'ai fini par le rencontrer qui revenait après quatre ou cinq heures d'absence de son P. C. C'est à ce moment que je lui ai fait toutes mes observations. C'est un homme de cour, qui s'est naturellement montré très ému de ce que je lui ai dit; mais je suis sûr qu'il fera son possible pour suppléer au défaut d'expérience qu'il peut avoir d'un commandement aussi lourd.
Il était tellement préoccupé de l'incident de Cirey, qu'il avait dirigé de ce côté sa brigade de réserve. Or, la 26e Division n'avait que faire de cette réserve, puisqu'elle n'attaquait pas. Je suis arrivé assez à temps le matin pour empêcher ce mélange inutile de deux Divisions.
Peu après (midi), on dépassait le front Repaix, Fremonville, et l'ennemi mettait lui-même fin à l'anxiété du commandant du
13e Corps en évacuant Cirey.
[...]
J'oubliais de noter la fuite précipitée de Blamont du général Von Xilander, commandant le Ier Corps bavarois, dans la journée du 14. Il n'a pas eu le temps d'emporter ses papiers : ils nous ont donné d'utiles renseignements sur la constitution de l'Armée qui nous est opposée (c'est la VIe, Q. G. à Saint-Avold), ainsi que sur la répartition dos forces. La maison habitée par ce général bavarois a
été mise à sac avant son départ. On a éventré les fauteuils et les armoires. déchiré les rideaux, etc. Les Bavarois ont, en outre, commis là leurs atrocités habituelles : ils ont fusillé plusieurs personnes, dont un vieillard, violenté et finalement tué une jeune fille, etc.
J'apprends aujourd'hui qu'ils ont réquisitionné des jeunes filles, comme un vil bétail (les détails figurent au rapport du colonel Trabucco). C'est un comble, mais il fallait s'y attendre.
16 août.
J'arrive à 9 heures au 13e Corps (P.C. à Cirey). Le commandant de ce Corps me dit que
Lafrimbole l'inquiète un peu et qu'il n'a pas voulu attaquer, sans avoir des renseignements précis sur cette partie du front. Ainsi, voilà un Corps qui a l'ordre ferme d'attaquer à 6 heures et qui, au moins avec sa droite, n'avait pas bougé à 9 heures, de sorte que le reste de la ligne pouvait être attaqué dans le flanc droit, puisqu'il se trouvait découvert par l'inaction de la 25e Division.
Je donne l'ordre formel au général de commencer l'attaque, en lui faisant remarquer qu'il est des circonstances où l'on est obligé de s'engager sans savoir au juste ce qu'on a devant soi. le combat est, dans ce cas, la meilleure des reconnaissances. Toute attaque comprend, d'abord, une attaque de front qui fixe l'ennemi et permet de déterminer sa force et ses dispositions, si l'on n'a pas à l'avance des renseignements suffisants. Pendant ce combat de front, on combine et on prépare sa manoeuvre, pour l'exécuter quand le combat de front a suffisamment fixé l'ennemi. Le général A..., d'une bravoure à toute épreuve, manque un peu d'expérience et sa Division est mal commandée. Ce 13* Corps m'inquiète.
Je vais de là au 8e Corps (Blamont), où j'apprends que la ligne de combat tient Hattigny et Saint-Georges,
c'est-à-
Situation le 16 août au soir.
dire le front objectif de la journée où elle va se fortifier. On est avisé, à ce moment, de la marche régiment du 16e Corps d"Avricourt sur Gondrexange, comme liaison avec la IIe Armée.
En revenant vers mon P.C, je vois des centaines de cadavres non encore inhumés aux abords de Petitmont.. Que font donc les services du 13e Corps à ce sujet ? Je ferai activer cette triste besogne.
Dans l'après-midi, on traduit un grand nombre de lettres d'officiers et de soldats allemands prises à Blamont et Cirey.
On y trouve partout l'idée que le Ier Bavarois recule devant les Français, jusqu'à ce que l'armée allemande ait pu réunir ses forces pour reprendre l'offensive en masse. Cette idée est confirmée par un ordre du Corps bavarois qui l'énonce officiellement pour ainsi dire. Les lettres en question parlent encore du IIIe Bavarois qui, du sud-est de Metz, aurait été embarqué pour la Russie.
Tous ces renseignements me donnent à réfléchir : j'ai toujours été étonné du peu de résistance du Ier Bavarois et j'ai pensé que c'était simplement le prélude de la grande bataille. Or, le IIIe Bavarois pourrait bien avoir été simplement transporté aux environs de Sarrebourg pour se joindre au Ier. J'y crois d'autant plus que sa cavalerie a été repérée sur mon front. D'autre part, je sais que le Xllle Corps a des éléments devant moi. Je prévois donc très bien l'offensive des Ier et IIIe Bavarois et du Xllle Corps contre mon Armée, lorsque je me heurterai au barrage de la Sarre et des hauteurs Sarrebourg, Henridorff.
20 août
Dans la soirée, le 8e Corps me fait savoir qu'il ne croit pas pouvoir tenir sur le front indiqué et qu'il se retirera derrière le canal.
Je quitte, à la nuit, la région tourmentée d'Heming pour me tendre à
Blamont, où sera demain mon poste de commandement. Nous arrivons à Blamont à 20 heures et nous nous installons au château. Cette propriété appartient à un Suisse qui est parti, nous dit-on, avec les Allemands. Etrange, si c'est vrai !
21 août.
A minuit, nous arrive une communication du G.Q.G., qui me paraît extraordinaire. « Le service des chemins de fer aurait fait savoir que les Allemands ont envoyé du monde à Avricourt ». Comment ? Par où ? Pas de renseignements là-dessus.
Dos officiers de mon Etat-Major pensent qu'ils ont pu envoyer de nuit un train sur la ligne Sarrebourg-Avricourt qui n'a pas été détruite, et que nos troupes ont peut-être cru au retour d'un train de ravitaillement. Il serait réellement fantastique d'admettre que ce train ait pu tout d'abord franchir le front. Aussi, je crois plutôt, si le renseignement est exact, que certains éléments de cavalerie se sont glissés entre la droite de la IIe Armée et ma gauche.
Nayant encore aucune troupe sous la main, je fais téléphoner à Saint-Georges pour l'envoi de reconnaissances de cavalerie. Mais, en vérité, il n'y aurait aucune vaillance à rester sans défense à Blamont, qui n'est qu'à 7 kilomètres
d'Avricourt, et, dans l'incertitude de la situation, l'Etat-Major rallie le Quartier Général à Rambervillers.
Nous y arrivons à 2 heures du matin. J'y reçois les plus mauvaises nouvelles de la droite du général de Castelnau. Elle ne tient à Maizières,
Marimont, Donnelay qu'avec des arrière-gardes très éprouvées. Mon flanc gauche et mes derrières vont donc être de plus en plus menacés. Un instant après, je reçois l'ordre du G. Q. G. de me retirer sur des positions que je fortifierai.
Malgré ma répugnance à abandonner le terrain conquis après sept jours de bataille et sur lequel je comptais tenir à tout prix pour gagner du temps, me voilà forcé de me replier. Je choisis le front Cirey, Blamont (derrière la Vezouse) et
Chazelles, Reillon, où je trouverai l'appui du fort de Manonviller.
Cette dernière partie du front n'est pas fameuse, mais je ne puis faire mieux.
La 6e Division de cavalerie couvrira mon flanc gauche dans la région :
Avricourt, Réchicourt, Moussey.
Je vais annuler l'ordre que j'avais donné de résister sur place en se fortifiant, et je passe le reste de la nuit à la rédaction des ordres de retraite.
Il faut d'abord faire rétrograder les trains derrière la Meurthe pour laisser les routes libres. Je prescris ensuite de créer un repli dans chaque Corps d'Armée, on envoyant d'avance une brigade mixte sur le front Saint-Georges, Hattigny, Bertrambois, La
Frimbole. Une fois ce repli assuré, les Corps d'Armée maintiendront l'ennemi avec de fortes arrière-gardes bien pourvue d'artillerie et feront partir leur gros. Les arrière-gardes se retireront pendant la nuit. Je recommande de prendre toutes mesures pour que cette opération délicate se passe dans le plus grand calme. En sera-t-il ainsi ?
A 7 heures, j'apprends déjà que le 8e Corps a été attaqué toute la nuit et qu'il a chargé à plusieurs reprises à la baïonnette. Mais le général de C... ne croit pas pouvoir tenir et se met en retraite sur les directions indiquées (Saint-Georges et Aspach). Pas de nouvelles des autres Corps. Je reste à travailler au Q. G. à Rambervillers, jusqu'à 10 heures pour éviter l'encombrement des routes et je me rends à Blamont pour diriger de plus près les opérations de l'après-midi. (II est presque inutile de dire que le renseignement de la nuit sur Avricourt n'était pas fondé).
J'ai pensé, pendant la nuit, à la situation que ces événements allaient créer à ma droite. En me retirant, je découvre les deux routes du Donon (Saint-Quirin et Abreschwiller). Le Donon va donc être attaqué par l'est et par le nord (il l'est déjà), mais par l'ouest aussi, il tombera. Aussi j'envoie les instructions suivantes :
13e Division : défendre le Donon jusqu'à la dernière extrémité. S'accrocher ensuite au débouché de la vallée de la Plaine et finalement retraiter par cette vallée.
14e Corps : tenir dans les positions actuelles de la façon la plus énergique. Quand le Donon tombera, résister sur le front : débouché du
Rabodeau, Rothau, Cbamp-du-Feu, puis, si nécessaire, infléchir l'aile droite sur Bourg-Bruche, le Climont et le col d'Urbeis, en renforçant les détachements des cols de Sainte-Marie et du Bonhomme.
Le Donon tombe dans la matinée. Voilà donc la 13e Division réduite à tenir les débouchés de la vallée de la Plaine et le 14e Corps obligé d'abandonner ses attaques sur Schirmeck et peut-être sur le
Champ-du-Feu.
[...]
Parti à 10 heures, je n'arrive à Domèvre qu'à midi, constamment arrêté par l'encombrement des convois sur les routes. Je finis par trouver d'abord le sous-chef du 8e Corps, puis, quelque temps après, le général de C... lui-même. Le premier est très pessimiste : il me dit que le Corps d'Armée est exténué, n'a ni dormi, ni mangé depuis plusieurs jours et est incapable de combattre, qu'il lui faut absolument du repos. Je lui conseille d'aller prier les Allemands de lui procurer ce repos. Pour parler sérieusement, je comprends la dépression résultant des privations et de la fatigue, comme aussi des pertes énormes et de l'ébranlement nerveux que produit le fait d'être soumis, nuit et jour, au tir systématique de l'artillerie lourde allemande. Mais on doit s'attendre à être attaqué demain et tenir sur les positions actuelles, malgré l'état de fatigue. Il faut faire appel à l'énergie de tous les cadres, placer en première ligne les corps ayant le moins souffert ou les mieux commandés.
Le général de C..., que je vois ensuite, est moins pessimiste : pour lui, le moral de la troupe est très bon, elle est fatiguée, c'est évident, et il y a eu des corps très éprouvés ; mais le 8e Corps combattra si c'est nécessaire. Nous convenons des mesures de détail pour le lendemain et le Commandant du 8e Corps me parle des événements de la journée.
Les Allemands ont été peu mordants et l'artillerie les a tenus à distance. Mais sa Division de gauche a eu le malheur d'être prise pour l'ennemi par la IIe Armée : elle a été canonnée par les troupes du 16e Corps en retraite de Maizières sur Avricourt et Reillon. Il y a eu quelques morts et des blessés.
Je pense, à ce moment, que certaines personnes ont donné, contre l'adoption de la tenue grise que je proposais avant la guerre, cet argument qu'on éviterait les méprises en conservant notre uniforme sombre et rouge !
Je cherche en vain le commandant du 13e Corps dont les troupes se replient lentement sur leur nouveau front. Je voulais lui faire compliment de ses deux contre-attaques de la veille, qui ont réussi à dégager les 8e et 13e Corps : elles sont arrivées à 200 mètres des positions et de l'artillerie allemande; il s'en est fallu de peu qu'elles ne donnassent l'assaut.
Je trouve son Q. G. à Montreux et ne pouvant l'attendre, je lui fais dire que je reviendrai sur ses positions le lendemain matin.
La retraite de la Ire Armée, conséquence, je le répète, de celle de la IIe Armée, s'est effectuée sans difficultés sérieuses.
En fin de journée, le 8e Corps tient les hauteurs entre Reillon et Blamont; son flanc gauche a élé couvert, vers Avricourt, par la 6e Division de cavalerie, qui a pu ralentir l'ennemi dans sa poursuite de la droite de la IIe Armée. La Division s'est établie le soir vers Ogeviller.
Le 13e Corps occupe, le soir, la ligne de la Vezouse, de Blamont à Cirey. Malheureusement, sa Division de droite, la
Situation le 21 août au soir.
26e, qui n'avait pas été touchée par l'ordre de retraite, s'est trouvée accrochée par l'ennemi et a perdu quelques canons.
Le 21e Corps s'étend, à la droite du 13e Corps, jusqu'à la Plaine, dont la haute vallée est tenue par la 13e Division, qui se relie elle-même au 14e Corps.
Je rentre au Q. G. à 20 heures et, là, j'apprends que la IIe Armée se retirera demain derrière la Meurthe (droite à Lunéville). pour aller ensuite occuper le Grand-Couronné de Nancy et organiser, comme repli éventuel, la position Saffais-Belchamp au nord-ouest de Bayon. S'il en est ainsi, mon flanc gauche va se trouver de nouveau tout à fait découvert et je vais être obligé de retirer mon Armée d'abord derrière la Meurthe et peut-être au nord d'Epinal.
Je vais envisager cette hypothèse, mais je me sens très humilié de cette retraite, à laquelle la situation particulière de mon Armée ne m'obligeait nullement.
[...]
Dans les combats de la Bruche, on aurait identifié des morts et des prisonniers autrichiens (artilleurs). Déjà ? On a aussi identifié des Westphaliens, c'est-à-dire des soldats du XIIIe Corps, ce Corps introuvable jusqu'à ce jour. J'ai donc devant moi, de la gauche à la droite, les IIe et Ier Bavarois, les XIVe, XVe et IIIe Corps, plus des formations appartenant à un Corps de réserve et je ne dispose au total que de quatre Corps épuisés.
22 août.
Les nouvelles des Corps ne sont pas bonnes : au 8e Corps, on est à bout de souffle; on a atteint la limite des forces physiques et morales, ayant combattu depuis le 14, la plupart du temps sans manger ni dormir.
Le divisionnaire le plus énergique de ce Corps assure que ses troupes ne peuvent plus que « constituer un soutien d'artillerie ». Les effectifs sont des plus réduits; on a perdu dans certains corps plus de la moitié de l'effectif, et il reste trois ou quatre officiers au total dans la plupart des bataillons.
Dans les autres Corps d'Armée, la situation est à peu près la même; cependant le 13e Corps parait moins bas que le 8e, et le général commandant le 21e Corps assure que le moral de ses troupes est bon et qu'avec deux jours de repos, elles pourront combattre dans de bonnes conditions.
On a aussi grand besoin de repos au XV Corps qui est an combat tous les jours. Le général P... n'a aucune confiance dans ses troupes de réserve (il a une Division et une brigade de réserve). A deux reprises, ces troupes auraient eu des défaillances et auraient perdu une partie de leur artillerie, d'abord au col de Steige, puis au col de Sainte-Marie, abandonné ce matin même. A ce sujet, et pour liquider cet incident, je viens de répondre au général commandant le 14e Corps, qui me demandait du renfort, de prendre, dans sa réserve, le détachement nécessaire pour réoccuper le col; je verrai ensuite s'il est possible de lui envoyer quelques troupes.
Je pars de bonne heure pour le 21e Corps (Q. G. à Badonvïller). le général Legrand me rend compte qu'il a été très peu pressé hier dans son repli sur Petitmont ; les prisonniers faits dans la journée déclarent qu'ils sont harassés de fatigue et n'ont pas à manger; que, s'ils avaient été attaqués, ils auraient certainement lâché pied (nous n'avions plus, hélas ! de troupes fraîches pour un coup de force).
On apprend à ce moment (9 heures), qu'un Zeppelin, atteint par un coup de canon, est tombé dans la forêt entre Badonviller et Celles. Les aéronautes ont réussi à se sauver avant l'arrivée de nos soldats. Des cavaliers se sont mis à leur poursuite, mais il est à craindre qu'on ne les retrouve pas, car leurs uniformes militaires ont été découverts près du Zeppelin: les gaillards avaient avec eux des vêtements civils qu'ils ont prestement endossés avant de déguerpir. Jamais des aéronautes français n'auraient songé à utiliser pareil procédé.
A mon retour à Rambervillers, vers 13 heures, j'allais trouver dans mon bureau le pavillon du Zeppelin, deux mitrailleuses, ses instruments et ses documents, entre autres un chiffre qui nous permettra de comprendre certains télégrammes surpris.
Je préviens le général Legrand que la 13e Division lui sera rendue demain et qu'en tout état de cause, si on recule à sa gauche, il couvre la route de Rambervillers à
Allarmont, jusqu'à nouvel ordre, pour avoir sa liaison avec le général
Bourderiat.
De là, je vais au 13e Corps dont je trouve le chef à Harbouey. Il me renseigne sur l'état de son Corps qui n'est pas brillant. J'ai vu, en passant, des attelages sans artillerie; je lui en demande la raison : il a perdu 18 pièces. (C'est le résultat de l'incident de la 26e Division restée seule hier aux prises avec l'ennemi, parce que non prévenue de la retraite). Je le préviens que, si le 8e Corps retraite à sa gauche, il ait à suivre le mouvement en se repliant de la Vezouse sur la Blette, toujours relié, à l'est de Saint-Maurice, au 21e Corps qui couvre Badonviller.
On entend le canon dans la direction de Blamont depuis une demi-heure environ et, vers 10 h. 30, le général commandant le 8e Corps envoie prévenir le 13e Corps qu'il est attaqué et se replie, à droite, sur Domèvre et Montigny, à gauche sur la forêt de Mondon. Il demande au général Alix de protéger le mouvement de sa droite.
Voilà donc le mouvement de recul qui se poursuit. Quelle tristesse de voir l'outil se briser dans la main et de sentir, pendant longtemps peut-être, toute manoeuvre impossible ! Nous avons, certes, retenu devant nous des effectifs supérieurs aux nôtres; mais notre rôle est tout de sacrifice et j'aurais souhaité une autre attitude.
Je cherche en vain le général de C...; mais je tombe sur une brigade de cavalerie au cantonnement à Pettonville.
Le général de brigade me dit que la Division à laquelle il appartient devait partir ce matin à 2 heures, mais qu'il y a eu contre-ordre, en raison de l'extrême fatigue des hommes et des chevaux. Je ne puis m'en prendre à ce général de son inaction, puisqu'il a reçu des ordres; mais je trouve bien extraordinaire l'indifférence de la Division tout entière, qui reste au repos taudis que le Corps voisin est au combat. Depuis le commencement des hostilités d'ailleurs, cette Division s'est dite fatiguée et ne m'a rendu aucun service important. Je lui reproche d'avoir trop manoeuvré derrière ses cyclistes. (Ce groupe cycliste a largement payé de sa personne, puisque des deux capitaines, l'un a été tué et l'autre blessé, sans compter les pertes du rang). Je lui reproche encore d'avoir perdu hier six de ses caissons, etc.
En fin de journée, la Ire Année est sur le front : lisière nord de la forêt de Mondon, hauteurs au nord de Montigny, Raon-sur-Plaine, Saint-Blaise, col d'Urbeis, Wisembach, col du Bonhomme.
Situation le 22 août au soir.
18 septembre.
Je m'entends avec le général Kaufmann sur l'organisation de son front et des centres de résistance, pour laquelle d'ailleurs je vais lui envoyer une instruction. Je lui prescris de voir de près la brigado de réserve, qui lui arrive par voie ferrée aujourd'hui même, et d'y établir une discipline solide avant de l'envoyer en première ligne.
Il me dit que ses reconnaissances ont atteint hier Blamont, que l'infanterie allemande était en train d'évacuer, et Harbouey où l'une des reconnaissances a couché.
26 octobre.
C'est ce matin qu'a lieu le coup de main sur Ommerey.
Dieu veuille qu'il réussisse ! J'envoie de côté un officier de mon Etat-Major (à Domjevin) pour suivre les opérations du détachement de diversion fourni par la 71e Division, et mon chef
d'Etat-Major (à Serres), pour me tenir au courant des progrès de l'attaque de la brigade Bigot et de la 2* Division de cavalerie).
[...]
18 heures. J'ai des nouvelles du coup de main au nord-est de Lunéville. le détachement de la 71e Division (trois bataillons et trois batteries), a dépassé le front Veho, Reillon et marché sur Leintrey et Gondrexon. A sa gauche, le 41e amené en auto, et le 50e B. C. P., ont été arrêtés au nord
d'Emberménil par l'ennemi, qui occupait le signal de Xousse et les hauteurs au sud-est (infanterie et artillerie). le 71e B.C.P., opérant au nord de la forêt, a fait prisonnier le poste de Parroy (une cinquantaine d'hommes).
La brigade Giralt (de la Division Bigot) a attaqué sur le front Rechicourt, Bures et poussé sur Coincourt et Moncourt; ouvrant la voie à la cavalerie à sa gauche et faisant un certain nombre de prisonniers (150 environ). Cette brigade était couverte à gauche, entre la forêt de Bezange et Rechicourt.
La 2e Division de cavalerie a manqué de mordant et n'a plus progressé dès qu'elle s'est trouvée sous le feu d'ailleurs très faible de l'artillerie allemande, à laquelle elle s'est bornée à répondre.
Je témoigne mon mécontentement ou général commandant cette Division. J'attendais mieux de cette grosse unité que j'avais armée de carabines avec baïonnettes et dont j'avais augmenté le groupe cycliste d'une compagnie.
Elle n'a pas dépassé, avec son gros, Moncourt et n'a pas eu l'audace nécessaire pour aller ramasser le bataillon d'Ommeroy ou couper au moins la retraite aux compagnies qui se repliaient de Moncourt sur cette localité.
Le coup de main n'a donc réussi que partiellement. Il a eu pour effet, on dehors de la capture des prisonniers, de refouler tous les postes ennemis sur le ruisseau des Salines, c'est-à-dire à 10 kilomètres en arrière. Mais je n'ai pas l'intention de profiler de ce succès pour m'étendre vers le nord-est.
Je crois d'ailleurs que les Allemands sont fortement émus de celle attaque, car nous avons surpris un télégramme dans lequel ils disaient : « Notre gauche est fortement attaquée. Contre-attaque de réserve d'armée (huit bataillons et six batteries) est ordonnée. »
Je ne sais d'où ils pourront tirer cette réserve, de Metz sans doute, ni s'il s'agit réellement du front que je viens d'attaquer. En tout cas, je vais supposer qu'il s'agit bien de celle région et me tenir prêt à diriger éventuellement de ce côté les maigres réserves dont je dispose encore : deux bataillons de chasseurs à Menil-la-Tour et environs et le 170e (quatre bataillons) à Dagonville
et localités voisines. II me faudrait, en tous cas, dix heures pour porter le premier bataillon
à Dombasle. C'est long.
31 octobre
Devant les Divisions de réserve du Grand-Couronné et devant la
71e Division (Baccarat), les Allemands, furieux sans doute, de mon coup de main entre Seille et Simon, promènent quelques sections d'artillerie qui esquissent sans aucun résultat un bombardement de mes postes avancés. Elles ont envoyé un grand nombre de projectiles sur le fort de Manonviller et ses abords, où je n'ai absolument personne. Grand bien leur fasse ! C'est absolument inoffensif.
2 novembre.
L'attaque sur Richecourt n'a rien donné. L'infanterie a attendu pour sortir de ses tranchées que l'artillerie ait fini de tirer, de sorte que l'ennemi a pu réoccuper sa ligne à temps. Nos fantassins sont arrivés jusqu'au réseau de fils de fer et y ont été arrêtés par un feu violent qui les a finalement rejetés.
On continue, à droite, l'opération commencée depuis deux jours dans le bois Le Prêtre. La brigade mixte se fortifie sur le terrain conquis et continue l'attaque sur la hauteur de la Croix-des-Carmes. Mais c'est le troisième jour de combat et je crains qu'on n'y apporte plus tout l'entrain nécessaire.
Enfin, la 2* Division de cavalerie, avec deux bataillons de chasseurs et une compagnie cycliste, attaque sur Leintrey, Gondrexon. je lui ai donné comme mission de s'emparer des détachements ennemis et de l'artillerie qui est venue canonner notre ligne avancée les jours précédents. J'ai voulu aussi lui fournir l'occasion de se signaler et d'effacer le mauvais souvenir que j'ai gardé de son action dans le dernier coup de main.
[...]
16 heures. Mauvaise journée décidément: le coup de force de la 2* Division de cavalerie n'a pas réussi complètement.
Elle a bien refoulé devant elle les postes ennemis et atteint le front Leintrey, Gondrexon; mais elle n'a saisi ni infanterie, ni artillerie.
Elle demande a continuer demain. que fera-t-elle de plus? L'ennemi est maintenant sur ses gardes. Comme je ne songe nullement à une rupture de front que je ne pourrais exploiter, et qu'il ne s'agissait que d'un coup de main, je lui prescris de rentrer.
11 décembre.
Reconnaissance de la 2e Division de cavalerie (un escadron et une section cycliste) sur Leintrey et Emberménil, ou l'on avait signalé, l'avant-veille, des fantassins et des cavaliers portant des tenues particulières et qu'on croyait être des Autrichiens. Il s'agit de vérifier le fait. Mais en même temps, comme les mouvements de la Division de cavalerie ont toujours été signalés à l'ennemi, on va surveiller de façon spéciale la région au sud-ouest de Dombasle, où l'on a parfois surpris des feux et des signaux.
19 décembre.
Le détachement d'Armée des Vosges me rend compte de ses opérations d'hier.
Un détachement du 41e B. C. P. a refoulé des détachements ennemis sur les bois Banal et Barbas, qui sont fortement tenus.
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