Lois
commémoratives - 1919
En octobre 1919,
l'Etat vote plusieurs lois destinées à commémorer les
victimes de la grande guerre :
Loi du 1er octobre 1919, établissant dans chaque
commune un mémorial de la grande guerre.
Art. 1. - Dans
chaque commune, seront inscrits sur des
registres spéciaux fournis par l'État, les noms
des militaires des armées de terre et de mer de
la commune ayant pris part aux opérations de la
campagne de 1914-1918.
Art. 2. - Mention sera portée sur ce registre :
1° Des blessures reçues;
2° Des distinctions honorifiques obtenues par
chacun des combattants.
Art. 3. - Les citations à l'ordre du jour y
seront intégralement transcrites.
Art. 4. - Ce registre prendra le nom de «
Mémorial de la grande guerre 1914-1918 » et sera
dépose aux archives de la commune. |
Loi du 25 octobre 1919, relative à la
commémoration et à la Glorification pour la
France au cours de la grande guerre.
Le Sénat et la
Chambre des Députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi
dont la teneur suit :
Art. 1er. - Les noms des combattants des armées
de terre et de mer ayant servi sous les plis du
drapeau français et morts pour la France, au
cours de la guerre de 1914-1918, seront inscrits
sur des registres déposés au Panthéon.
Art. 2. - Sur ces registres figureront, en
outre, les noms des non-combattants qui auront
succombé à la suite d'actes de violence commis
par l'ennemi, soit dans l'exercice de fonctions
publiques, soit dans l'accomplissement de leur
devoir de citoyen.
Art. 3. - L'État remettra à chaque commune un
livre d'or sur lequel seront inscrits les noms
des combattants des armées de terre et de mer,
morts pour la France, nés ou résidant dans la
commune.
Ce livre d'or sera déposé dans une des salles de
la commune et tenu à la disposition des
habitants de la commune.
Pour les Français nés ou résidant à l'étranger,
le livre d'or sera déposé au consulat dont la
juridiction s'étend sur la commune où est né ou
a résidé le combattant mort pour la patrie.
Art. 4 - Un monument national commémoratif des
héros de la grande guerre, tombés au champ
d'honneur, sera élevé à Paris ou dans les
environs immédiats de la capitale.
Art. 5. - Des subventions seront accordées par
l'Etat aux communes, en proportion de l'effort
et des sacrifices qu'elles feront en vue de
glorifier les héros morts pour la patrie.
La loi de finances ouvrant le crédit sur lequel
le subventions seront imputées règlera les
conditions de leur attribution.
Art.6. - Tous les ans le 1er ou le 2 novembre,
une cérémonie sera consacrée dans chaque commune
à la mémoire et à la glorification des héros
morts pour la Patrie. Elle sera organisée par la
municipalité avec le concours des autorités
civiles et militaires.
Art. 7. - La présente loi est applicable à
l'Algérie et aux colonies
La présente loi, délibérée et adoptée par le
Sénat et par la Chambre des Députés, sera
exécutée comme loi de l'État.
Fait à Paris, le 25 octobre 1919.
(J.O du 26 octobre 1919) |
Aucun texte cependant
n'impose la construction de monuments, de stèles, ou
même l'apposition de plaques commémoratives, et si après
la guerre de nombreuses communes ont exprimé le souhait
de commémorer leurs morts par la construction de
monuments, elles le feront par imputation des dépenses
sur leur propre budget, ne disposant en terme de
subventions que de celles prévues par l'article 5 de la
loi ci-dessus du 25 octobre 1919
Le montant de ces subventions d'état ne sera fixé qu'en
juillet 1920, avec une méthode de calcul selon la
proportion du nombre de morts (barème n° 1), cumulée
éventuellement avec une subvention complémentaire liée à
la richesse de la commune (barème n° 2), soit une
proportion globale entre 5 % et 26 % du coût.
Loi portant fixation du budget général de
l'exercice 1920
du 31 juillet 1920.
(Promulguée au Journal officiel du 1er août
1920.)
LE SÉNAT ET LA
CHAMBRE DES DÉPUTÉS ONT ADOPTÉ,
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI
dont la teneur suit
[...]
81. Les subventions accordées par l'État aux
commune par l'application de l'article 5 de la
loi du 25 octobre 1919, en vue de glorifier les
héros de la guerre, seront calculées d'après les
barèmes ci-après, en raison du nombre des
combattants nés ou résidant dans la commune qui
sont morts pour la patrie, comparé au nombre des
habitants de la commune déterminé par le
recensement de 1911, et en raison inverse de la
valeur du centime communal démographique de
l'année où la subvention est accordée.
Barème n° 1
NOMBRE
DES MORTS
comparé à la population de 1911
|
Coefficient de la subvention de
l'Etat |
Moins de |
1 p.
100 |
4 p. 100 |
Des
crédits inscrits au budget |
1 p.
100 à 2 p. 100 |
5 p. 100 |
2 p.
100 à 3 p. 100 |
6 p. 100 |
3 p.
100 à 4 p. 100 |
7 p. 100 |
4 p.
100 à 4.5 p. 100 |
8 p. 100 |
4.5
p. 100 à 5 p. 100 |
9 p. 100 |
5 p.
100 à 5.5 p. 100 |
10 p.
100 |
5.5
p. 100 à 6 p. 100 |
11 p.
100 |
6 p.
100 à 7 p. 100 |
12 p.
100 |
7 p.
100 à 8 p. 100 |
13 p.
100 |
8 p.
100 à 9 p. 100 |
14 p.
100 |
Plus
de |
9 p.
100 |
15 p.
100 |
Barême n° 2
VALEUR
DU CENTIME RAPPORTÉ A LA POPULATION
(en 100 habitants) |
Coefficient de la subvention
complémentaire |
Inférieure à |
3
francs |
11
p. 100 |
Des
crédits inscrits au budget |
Inférieure de |
3 fr
01 à 4 francs |
10
p. 100 |
4 fr
01 à 5 francs |
9 p.
100 |
5 fr
01 à 6 francs |
8 p.
100 |
6 fr
01 à 7 francs |
7 p.
100 |
7 fr
01 à 9 francs |
6 p.
100 |
9 fr
01 à 11 francs |
5 p.
100 |
11
fr 01 à 13 francs |
4 p.
100 |
13
fr 01 à 15 francs |
3 p.
100 |
15
fr 01 à 20 francs |
2 p.
100 |
Supérieure |
à 20
francs |
1 p.
100 |
|
L'Etat mettra
définitivement fin aux subventions en 1925, après une
période transitoire de quelques mois :
Bulletin officiel du Ministère de l'intérieur
Février 1925
Direction de
l'Administration départementale et communale.
2e Bureau.
Participation de l'État aux dépenses engagées
par les communes pour l'édification de monuments
aux morts de la guerre.
Paris, le 11 février 1925.
Le Ministre de l'Intérieur à MM. les Préfets
(France et Algérie).
L'art. 34 de la loi du 31 décembre 1924, portant
ouverture, sur l'exercice 1925, de crédits
provisoires applicables aux mois de. janvier et
février, publiée au Journal officiel du 1er
janvier 1925, a mis fin, à partir de cette
dernière date, au délai d'application des art. 5
de la loi du 25 octobre 1919 et 81 de la loi du
31 juillet 1920, en vertu desquels les communes
pouvaient obtenir des subventions de l'Etat pour
l'édification de monuments aux morts de la
guerre. Toutefois, en vertu des mêmes
dispositions, ces dernières lois continueront à
être appliquées aux communes des régions
dévastées, dont le pourcentage de destruction
atteint au moins trente pour cent, ainsi qu'aux
communes de l'Algérie et des colonies.
Toutes les demandes qui vous auront été, en
conséquence, transmises à l'expiration du délai
franc prévu par le décret du 5-11 novembre 1870
pour la publication des lois, devront être
considérées comme caduques. D'autre part, il ne
me sera pas possible de donner suite aux
propositions que vous me feriez parvenir à
l'appui de ces demandes après le 15 février.
Le Ministre de l'Intérieur,
C. CHAUTEMPS. |
Mais qu'est-il alors
resté, à compter de 1925, des lois d'octobre 1919 ?
La
voix du combattant -30 octobre 1921
(article paru aussi dans Le Mutilé de
l'Algérie du 20 novembre 1921)
Des Lois
Perdues
Où en est l'application de la loi du 25 octobre
1919 sur la commémoration et la glorification de
nos morts ?
Les Chambres ont voté une loi qui a spécialement
pour but de glorifier ces morts : c'est la loi
du 25 octobre 1919. En voici l'économie.
Les noms des militaires morts pour la France, au
cours de la guerre de 1914-1919, seront inscrits
sur des registres déposés au. Panthéon.
L'Etat remettra à chaque commune un livre d'or
sur lequel seront inscrits les noms des
combattants des armées de terre et de mer, morts
pour la France, nés ou résidant dans la commune.
Ce livre d'or sera déposé dans une « des salles
de la mairie, et tenu à la disposition des
habitants de la commune.
Un monument national commémoratif des héros de
la grande guerre-, tombés au champ d'honneur,
sera, élevé à Paris ou dans les environs
immédiats de la capitale.
Tous les ans, le 1er ou le 2 novembre, une
cérémonie sera consacrée dans chaque commune à
la mémoire et à la glorification des héros morts
pour la patrie. Elle sera organisée par la
municipalité avec le concours des autorités
civiles et militaires.
Telle est, en ses grandes lignes, la loi du 25
octobre 1919.
Après deux années écoulées, certaines
dispositions n'ont pas même reçu, un
commencement d'exécution.
Les registres sur lesquels doivent être inscrits
les noms de militaires morts pour la France
sont-ils déposés au Panthéon ?
A-t-on commencé l'exécution du monument national
qui doit être élevé à Paris ou dans les environs
immédiats ? C'est en encore moins probable. On
n'aurait pas manqué d'en informer la presse. Or,
nous n'avons lu, à ce sujet, aucun communiqué.
Serait-il donc vrai que les pouvoirs publics
oublieraient déjà les morts de la guerre et
n'appliqueraient pas les lois destinées à
glorifier nos sauveurs ? Dans cette chambre des
députés qui compte un si grand nombre d'anciens
combattants, n'y aurait-il pas un homme capable
de rafraîchir, la mémoire à nos ministres ? Les
associations d'anciens combattants et l'opinion
publique elle-même accepteraient-elles qu'une
telle loi ne soit -pas appliquée et qu'il puisse
être dit qu'après avoir voté, au lendemain de la
guerre, dans un moment d'enthousiasme
reconnaissant, une loi de gratitude nationale,
la France a oublié de tenir une telle promesse ?
Ce n'est pas possible, et il suffira d'avoir
rappelé les dispositions de cette loi pour que
les administrations intéressées s'empressent
d'en assurer l'exécution.
Il n'est pas jusqu'à' cet article de la loi qui
spécifie que des subventions seront accordées
par l'Etat aux communes, qui n'ait pu recevoir
son application pour cette raison que la Chambre
ces députés avait cru devoir remettre en
question les principes fixés par la loi de 1919.
C'est du moins ce qu'a déclaré le ministre de
l'Intérieur, en réponse à une question écrite.
Ainsi donc, de toutes les prescriptions de cette
loi, il n'y en a guère qu'une qui soit observée,
et c'est celle qui dépend le moins des pouvoirs
publics et le plus de la population, de la foule
anonyme, c'est la cérémonie commémorative du 2
novembre...
Heureusement, la gratitude populaire compense
l'insouciance officielle et si les pouvoirs
publics oublient même d'appliquer les lois, nos
populations laborieuses des villes et des
campagnes suppléent à cet oubli et rendent à nos
morts l'hommage qui leur est du. |
Le
Mutilé de l'Algérie - 26 août 1934
Les morts
oubliés
Le 25 octobre. 1919, le « Journal Officiel »
publiait une loi concernant la commémoration et
la glorification des soldats morts pour la
France.
Aux termes de cette loi, les dispositions
suivantes devaient permettre de perpétuer le
souvenir de nos camarades:
« 1° Les noms des combattants des armées de
terre et de mer ayant servi sous les plis du
drapeau français et morts pour la France, au
cours de la guerre 1914-1918, seront inscrits
sur des registres déposés au Panthéon;
« 2° Sur ces registres figureront, en outre, les
noms des non-combattants qui auront succombé à
la suite d'actes de violence commis par
l'ennemi, soit dans l'exercice de fonctions
publiques, soit dans l'accomplissement de leur
devoir de citoyen ;
« 3° L'Etat remettra à chaque commune un livre
d'or sur lequel seront inscrits les noms des
combattants des armées de terre et de mer, morts
pour la France, nés ou résidant dans la commune.
Ce livre d'or sera déposé dans une des salles de
la mairie et tenu à la disposition des habitants
de la commune. Pour les Français nés ou résidant
à l'étranger, le livre d'or sera déposé au
consulat dont la juridiction s'étend sur la
commune où est né ou a résidé le combattant mort
pour la patrie:
« 4° Un monument national commémoratif des héros
de la grande guerre tombés au champ d'honneur
sera élevé à Paris ou dans les environs
immédiats de la capitale;
« 5° Des subventions seront accordées par l'Etat
aux communes, en proportion de l'effort et des
sacrifices qu'elles feront en vue de glorifier
les héros morts pour la patrie ;
« 6° Tous les ans, le 1er ou le 2 novembre, une
cérémonie sera consacrée dans chaque commune à
la mémoire et à la glorification des héros morts
pour la patrie. Elle sera organisée par la
municipalité avec le concours des autorités
civiles et militaires.
Cette loi a été promulguée par M. Poincaré. Elle
a été signée par M. Clemenceau, alors président
du Conseil et ministre de la Guerre et
contresignée par M. Pams; ministre de
l'Intérieur, et par M. L.-L. Klotz, ministre des
finances.
Or, cette loi n'a jamais été appliquée, sauf en
ce qui concerne les subventions aux communes
et la cérémonie du 1er ou du 2 novembre
organisée par les municipalités.
Mais l'Etat a « oublié » de faire inscrire les
noms des morts sur des registres destinés au
Panthéon.
L'Etat a « omis » de remettre à chacune des
communes de France, et à chacun des consulats,
un livre d'or devant contenir les noms des
morts.
L'Etat n'a pas pensé à ériger le monument
national, élevé à la mémoire de tous les
Français tombés au Champ d'honneur.
Ainsi, par trois fois, l'Etat a failli au voeu
du législateur, c'est-à-dire au voeu du pays
tout entier.
Ainsi, l'Etat a outrageusement méconnu
l'application d'une loi, entre toutes
respectable, puisqu'elle concerne l'organisation
même du culte que la France se doit de rendre à
ses 1.400.000 enfants tombés sur les champs de
bataille.
L'Etat a « oublié » les morts.
Avouez que l'oubli est fâcheux.
Sans doute, il n'est pas trop tard pour
rattraper les quatorze années perdues. Car ce
serait un véritable scandale que la loi du 25
octobre 1919 tombe en désuétude.
Nous, les survivants, nous ne le permettrons
pas. Nous nous tournons vers le Gouvernement
responsable, et lui demandons d'appliquer cette
loi sans plus tarder.
Georges PINEAU |
Rédaction : Thierry Meurant |
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