Documents diplomatiques français.
1871-1914. 1e série
Ministère des affaires étrangères. Commission de publication des documents
relatifs aux origines de la guerre de 1914
Commission de publication des documents diplomatiques français - Imprimerie
nationale (Paris)
Edition : 1938 M. HERBETTE, AMBASSADEUR
DE FRANCE À BERLIN,
À M. RIBOT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
D.n° 11.
Berlin, 9 janvier 1891.
(Reçu : Cabinet et Dir. pol., 14 janvier.)
Un certain nombre de journaux allemands et français reproduisent, d'après
l'Allgemeine Zeitung de Munich, la nouvelle que le régime des passeports en
Alsace-Lorraine serait bientôt remplacé par celui des permis de séjour.
Ainsi présentée, cette nouvelle est évidemment inexacte. D'une part, il n'est
pas sérieusement question de l'abolition immédiate des passeports à l'entrée du
pays d'Empire. Cette mesure a encore quelques étapes à franchir, bien qu'elle me
paraisse devoir être plus rapprochée que retardée par les déclarations récentes
du prince de Bismarck sur l'utilité d'une « muraille de Chine» entre l'Allemagne
et la France. D'autre part, le régime des permis de séjour est incompatible avec
les articles 1 et 3 du traité germano-suisse du 31 mai 1890, dont le bénéfice
nous est acquis de plein droit.
Mais la Gazette de Cologne me semble avoir donné la note juste sur le projet qui
serait actuellement soumis aux délibérations du Gouvernement impérial, dans
l'entrefilet dont j'ai l'honneur de communiquer ci-joint la traduction (non
reproduite) à Votre Excellence. Il s'agirait d'obliger les étrangers qui veulent
résider un certain temps en Alsace-Lorraine à faire une déclaration d'arrivée
analogue à celle qui est exigée en France en vertu du décret du 2 octobre 1888.
Des cartes constatant l'accomplissement de cette formalité seraient délivrées
aux intéressés; mais elles ne remplaceraient pas encore les passeports, qui ne
seraient supprimés que quand la sécurité publique serait absolument assurée.
Cette dernière réserve a évidemment pour objet de dissiper les inquiétudes que
le langage du prince de Bismarck a pu éveiller en Allemagne.
P. S. 12 janvier. Voici, d'après les informations complémentaires de quelques
journaux, en quoi consisteraient les cartes de déclaration (Meldekarten) : elles
seraient délivrées sans frais par les directeurs des Cercles (Kreisdirektoren)
aux étrangers qui résideraient plus de deux mois en Alsace-Lorraine et soumises
seulement à un visa annuel, à moins de changement de résidence, indépendamment
des notifications imposées aux personnes qui reçoivent des hôtes ; ces
notifications resteront exigibles, comme les passeports, jusqu'à nouvel ordre.
M. HERBETTE, AMBASSADEUR DE FRANCE À BERLIN,
À M. RIBOT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
D. n° 25.
Berlin, 24 janvier 1891.
(Reçu : Cabinet et Dir. pol., 28 janvier.)
La question des passeports a encore été portée devant la délégation
d'Alsace-Lorraine dans sa séance du 20 de ce mois. M. Pétri s'est attaché à
faire ressortir une fois de plus les dommages moraux et matériels que ce régime
inflige au pays d'Empire et, tout en reconnaissant que l'application en est
moins rigoureuse que précédemment, il n'a pas hésité à le qualifier en termes
assez vifs aux applaudissements unanimes de l'assemblée. Sans doute, a-t-il dit
en substance, le parti protestataire est vaincu, mais ce n'est là qu'un motif de
plus pour ne pas inutilement mécontenter les populations.
Or l'obligation des passeports à l'une seulement des limites de
l'Alsace-Lorraine est une mesure inefficace contre les éléments de trouble qui
viennent du dehors. Nous n'avons jamais prétendu qu'un contrôle sur les
étrangers fût oiseux. Il ne serait, par exemple, que juste d'éliminer du pays
les individus qui, l'ayant quitté pour échapper au service militaire allemand, y
reviennent sous le couvert de nationalité suisse, américaine ou française.
L'organe du Gouvernement, le Sous-Secrétaire d'Etat de Puttkamer, s'est contenté
d'affirmer l'entière confiance des autorités d'Empire dans le bon esprit des
populations. Quant à l'abolition des passeports, elle ne peut être résolue à
Strasbourg. C'est une question de politique extérieure. Du reste, la « muraille
de Chine» dont a parlé M. Pétri n'existe pas. Ce qui le prouve, c'est que, sur
un seul point (à Avricourt) huit cent quinze étrangers ont pu, depuis six mois,
franchir la frontière sans passeport.
Cet échange d'explications indique clairement que, comme je l'ai exposé dans mon
rapport du 9 de ce mois, la suppression des passeports aux confins français de
l'Alsace-Lorraine n'est pas prochaine. Mais le temps des vexations excessives a
pris fin avec le règne du prince de Bismarck. Indépendamment des facilités
encore trop exceptionnelles que trouvent les voyageurs étrangers qui se
présentent à la frontière franco-allemande sans passeport, il est à ma
connaissance que l'ambassade d'Allemagne à Paris donne son visa avec moins de
délais et de formalités préalables : elle est notamment, si je suis bien
informé, autorisée à l'apposer sans enquête sur tout passeport qui a déjà été
utilisé sans que son porteur ait eu de difficultés avec les autorités
d'Alsace-Lorraine et dans les cas d'urgence démontrée. |