La Semaine
Religieuse du Diocèse de Nancy et de Toul
Ed. Nancy - 1898 La
cloche ancienne de Blâmont, 1766
L'église de Blâmont possède une ancienne cloche, que je ne sache pas avoir été
déjà décrite; il me paraît utile de le faire, d'après les notes sommaires que
j'en ai prises il y a une quinzaine d'années, A cette époque, mon regretté
confrère et ami, le comte E. de Martimprey de Romécourt, qui habitait Blâmont, a
eu l'obligeance de collationner ma copie l'inscription, ce qui me donne
confiance touchant son exactitude.
Cette cloche, d'assez forte dimension, porte vers le haut une large inscription
sur cinq lignes; la première commence par une croix initiale et chacune des
autres par une main indicatrice, ce dont on trouve beaucoup d'exemples,.
Voici le texte:
1. U (1) AFFERTE
DOMINO GLORlAM ET HONOREM. M. 2. (2) DOMINUS SUPER AQUAS (3), DEUS MAJESTATIS
INTONUIT DOMINUS SUPER AQUAS MULTAS v 3 Ps. 28 (4)
2. F. J'APPARTIENS A LA
VILLE DE BLAMONT & J'AI ETE FONDUE AVEC MES COMPAGNES A LA DILIGENCE DE MRS
ZIMMERMANT (5). J. VOINOT
3. F. C.I. DUVERGE (6) &
A. VOIRIN CONSERS (7) DE LHOTEL DE VILLE DE BLAMONT DE M. J. THIERY
PROCR (8) SINDIC ET DU SR. J. H. CHASSEL SECRETRE
(9) GREFFIER
4. F JAI ETE BENIE PAR M
FR JOS (10) LACOUR CURE DE BLAMONT DOYEN DE SALM JE
MAPPELLE MAURICE ELISABETH JOSEPH. JAY EU POUR PARAIN M. JOS REGNAULT
5. F. PROC. (11) DU ROY.
POUR MARAINE MDE ELISABETH ZIMMERMAN EPOUSE DE M. FROMENTAL LT
GNL (12) AU BAAGE (13) DE BLAMONT & SUBDEL. (14) DE MGR
(15) LINTENDANT [suivent deux fleurs de lys] (16)
Au bas de la cloche, on lit :
F FAITE PAR L. RICHET &
J.B. FOURNO LAN J766
Outre cette désignation, il y a une marque de fondeur : elle représente une
cloche dans un écusson ovale encadré de deux palmes très fournies, dont les
tiges se croisent au bas ; au-dessus de l'écusson est une couronne de comte,
évidemment de fantaisie, et, immédiatement au-dessous, existe une banderole, sur
laquelle est inscrit: LOUIS RICHET.
Sur la panse de la cloche, on voit: d'un côté, le Christ en croix, entre la
Vierge et saint Jean; de l'autre, deux saumons adossés, surmontés d'une rose :
ce sont les meubles des armoiries de Blâmont (17). Plus bas, on remarque un
saint Maurice, debout, tenant une lance avec flamme et une palme. Ce saint est
le patron de Blâmont.
Je serai sobre de commentaires. L'iconographie de cette cloche est logique,
puisqu'elle nous offre la Crucifixion avec ses témoins (18), le patron de la
paroisse, les armes de la ville et la marque du fondeur. - L'inscription est
précédée, suivant la tradition, d'une croix initiale, posée sur trois degrés,
qui peuvent faire allusion à la très sainte Trinité; elle commence par un texte
latin tiré de l'Ecriture sainte et sur lequel je reviendrai, puis la
cloche nous apprend, en langue vulgaire, à qui elle appartient, sous les
auspices de qui, avec « ses compagnes », c'est-à-dire avec d'autres cloches
destinées à la même église, elle a été fondue; elle rappelle ensuite sa
bénédiction par le curé du lieu, quel est son nom, quels furent ses parrain et
marraine, enfin les noms des fondeurs, et la date de sa naissance. Il est à
observer que la cloche appartient, non pas positivement à l'église paroissiale,
mais à la ville ; elle a donc un caractère en partie laïque et doit servir, non
seulement aux sonneries religieuses, mais encore, à celles de la vie civile,
Aussi cite-t-elle complaisamment plusieurs fonctionnaires locaux, dont les noms
intéressent assurément l'histoire particulière de Blâmont, mais sur lesquels ce
serait trop m'étendre que de faire des recherches biographiques.
Quant aux fondeurs, l'un, celui qui parait être le principal, Louis Richet,
m'est inconnu ; l'autre, Jean-Baptiste Fourno, est évidemment le même que «
J.-B. Fourneau », fondeur de Lunéville, dont on trouve le nom dans des pièces,
de date comprise dans l'intervalle de 1767 à 1770, qui concernent un marché
passé entre l'abbaye de Haute-Seille et lui, pour la refonte de deux cloches
(19).
Tandis que les cloches très anciennes ne portaient que des formules sacrées,
auxquelles se joignirent plus tard le nom de la cloche, des invocations pieuses,
la date et un mémoire des circonstances de la fonte, cette cloche de Blâmont,
comme toutes les cloches modernes, s'attache beaucoup plus à nommer les
personnes vivantes et à faire connaître leurs dignités, qu'à adorer Dieu et
honorer les saints. Pourtant, elle conserve, en tête, un texte saint auquel il
nous faut revenir : ce n'est plus l'une de ces formules qu'on découvre, à grand
nombre sur les monuments campanaires du moyen âge et de la Renaissance; je n'ai
pas encore trouvé pareil texte sur d'autres cloches. Dans son ensemble, cet
emprunt, au livre des psaumes me parait heureux. Mais pourquoi, dans la seconde
phrase, a-t-on mis Dominus au lieu de Vox Domini ? La cloche n'est-elle
pas la Voix du Seigneur (20) ? Avait-où honte des pieuses traditions des siècles
de foi ? La première phrase est digne de tout éloge : car la cloche doit
apporter au Seigneur gloire et honneur. La seconde rappelle que les cloches
reçoivent de leur bénédiction le privilège de dissiper les puissances
malfaisantes et, par suite, les orages ; elle témoigne que la majesté divine
commandait au tonnerre dès les temps antérieurs aux six jours de la création,
alors que l'élément terrestre existait informe, plongé dans les ténèbres, et que
l'esprit de Dieu était porté sur les eaux (21). Cette évocation me semble très
imposante et je pense qu'elle se trouvait dans la pensée des auteurs de
l'inscription : elle donne un grand intérêt à la cloche de Blâmont, outre celui
que cette cloche offre comme instrument sonore et par les souvenirs historiques
que mentionne la partie française du texte.
Léon GERMAIN.
(1) Croisette initiale haussée sur
trois degrés.
(2) Nous avons bien les M, mais il faudrait sans doute un V signifiant versus ;
le texte précédent existe, en effet, dans le v. 2 du psaume XXVIII, comme ce qui
suit s'y trouve au v. 3, sauf qu'au lieu du premier mot, Dominus, ln Vulgate
porte Vox Domini.
(3) Les Q, comme cela se voit fréquemment à l'époque, ont la forme des q
minuscules actuels.
(4) Versus 2, psalmus 28. - Traduction du texte biblique (Le Maistre de Sacy):
Rendez au Seigneur la gloire et l'honneur qui lui sont dus ... La voix du
Seigneur a retenti sur les eaux; le Dieu de majesté a tonné : Seigneur s'est
fait entendre sur une grande abondance d'eaux.
(5) Plus loin, ce nom est écrit Zimmerman : d'après l'étymologie germanique, il
faudrait Zimmermann (charpentier).
(6) Sans doute Duvergé, selon la prononciation et quoique l'étymologie
germanique exigerait er à la fin.
(7) Conseillers.
(8) Procureur.
(9) Secrétaire
(10) Sans doute Joseph, quoique cette abréviation ne soit pas habituelle.
(11) Procureur.
(12) Lieutenant général.
(13) Bailliage.
(14) Subdélégation.
(15) Monseigneur.
(16) il s'agit évidemment de l'Intendant général de Lorraine, le marquis de la
Galaisière.
(17) « D'argent à deux saumons adossés de gueules, accompagnés en chef d'une
rose de même. » C. Lapaix, Armorial des villes de la Lorraine, 2e édit., 1877,
p. 64.
(18) C'est l'expression des anciens textes pour désigner la Vierge et saint
Jean, placés de chaque côté du crucifix.
(19) H. Lepage, Inventaire sommaire des Archives départementales de
Meurthe-et-Moselle, H. 652.
(20) V. mon opuscule: la Cloche de Sarbazan (Landes), 1575; Nancy, 1892.
(21) Terra autem erat inanis et vacua, et tenebrae erant super faciem abyssi :
et Spiritus Dei ferebatur super aquas (Gen. 1,2). - Il est aussi possible de
donner un sens secondaire particulier aux mots Deus majestatis intronuit : de
même que le tonnerre épouvante les créatures terrestres, le son de la cloche
devrait effrayer les pécheurs. |