Note sur la sorcellerie dans les Vosges - 1884
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Sorcellerie dans
le Blâmontois
Bulletin de la Société philomatique vosgienne - 1884
Note sur la sorcellerie dans les Vosges (1)
li y a quelques années, me trouvant chez un pharmacien
de Rambervillers, je vis entrer une vieille femme .d'un
petit village voisin qui demanda pour « deux sous de
momie d'Egypte ».
Pendant qu'on délivrait cette singulière pondre,
j'interrogeai la bonne vieille et j'appris que sa vache
était malade depuis le jour ou elle avait été rencontrée
par « une roulante qui avait le mauvais oeil ! »
La poudre de momie jouissant, paraît-il, du privilège de
conjurer cette variété de sortilège, elle devait être
mise dans un sachet et portée au cou de la vache pendant
un certain temps.
Notre région possède encore de ces sorciers ou plutôt de
ces sorcières ; mais au rebours de celles qui ont le «
mauvais oeil, » elles ont la spécialité de guérir hommes
et animaux.
Je connais une de ces femmes qui guérit tout « ce qui
enfle; » cette « guérisseuse du secret, » pour employer
l'expression locale, guérit même à distance !
Certaines personnes m'ont assuré, que dès le moment où
l'envoyé met le pied sur le territoire de la commune
habitée par la sorcière, le malade éprouve un
soulagement marqué !
Qu'est-ce, quand elle a parlé !
Heureusement c'est tout ce qui nous reste de la
sorcellerie. Terrible et douloureuse histoire que celle
de malheureux ou plutôt de malheureuses -- car « pour un
sorcier il y avait dix mille sorcières » - qui,
désespérés, cherchant un sort meilleur, s'étaient voués
au diable ..
Ce fut pendant des siècles une terrible folie
épidémique; terrible surtout par les moyens employés
pour la réprimer.
Une de ces folles, possédée du démon, avoue avoir
déterré son enfant, mort récemment, et l'avoir mangé; on
la condamne au feu. Le mari réclame; il demande qu'au
moins le fait soit vérifié. La fosse est ouverte, et le
petit cadavre trouvé parfaitement intact.
Mais le juge n'a garde de se rendre à cette preuve, il
s'en tient à l'aveu de l'accusée et déclare le corps de
l'enfant une apparence produite par la ruse du démon.
L'enfant fut brûlé avec la mère.
La femme était folle, mais le juge ?
Il semble, devant cet affolement, cette terreur de la
sorcellerie, il semble que la raison humaine ait disparu
!
Parfois des voix s'élevaient pour protester, pour crier
aux juges : « Mais, malheureux ! vous ne voyez donc pas
que ces femmes sont folles ! »
Des légistes comme Alciat ou Ponzibinius ; des médecins
comme Jean Wier; des rieurs comme Rabelais; des
sceptiques comme Michel Montaigne, - et ce sera leur
éternelle gloire, - s'élevèrent contre ces horribles
exécutions, mais ce fut en vain.
En Lorraine, un pauvre curé, Dominique Corder, de
Vomécourt, osa, lui aussi, protester et prouver que le
crime de sorcellerie ne méritait pas la peine du feu :
dénoncé, poursuivi pour avoir soustrait au bûcher des
sorciers, il fut à son tour brûlé vivant (1632) !
Hélas ! un lorrain figure au premier rang de ces hideux
persécuteurs: N. Remy, le « Torquemada lorrain, »
celui-là qui inventait, « avec la satisfaction de
lui-même, le fouet envers les enfants des sorciers,
autour du bucher de leurs pères, ... » celui .. là qui
s'écriait : « Ma justice est si bonne que seize, qui
furent arrêtés l'autre jour, n'attendirent pas et
s'étranglèrent tout d'abord. »
Dans moins d'un siècle, Dumont a pu relever, en
Lorraine, près d'un millier d'exécutions ; c'est surtout
à la fin du XVIe siècle, au commencement du XVIIe, que
les victimes furent les plus nombreuses ; c'était à ce
moment là que N. Remy remplissait les fonctions de
procureur général.
Dumont a donné une liste de ces martyrs de l'ignorance
humaine; sur neuf cents, il y a six cents femmes !
Saint-Dié, Raon, Senones. Etival, Saint-Remy,
Moyenmoutier, etc., ont vu de ces exécutions.
Voici pour Saint-Dié quelques noms de victimes :
1581. - Didier FINANCE ;
1586. - Jeanne GALLÉE;
1589 .- Barbeline GAXET ;
1605. - COLATTE, femme de Didier Henry ; MENGEOTTE,
femme de Grosjean ; Jean CAILLERÉ ; BARBELINE, femme de
Bastien Delat;
1608. - CLAUDETTE, femme de Bastien Delat;
1609. - GRÉGOIRE MATHIS ;
1611. - CATHERINE, femme DIDIER BARTREMEY; CLAUDATTE du
Joué; MICHEL BARTREMEY; JEAN GERARDIN;
1612. - Femme JEAN CAMUS; femme DEMENGE VIOLE, son mari
DEMENGE VIOLE; BASTIEN VINEY;
1615. - Veuve MARON; femme JEAN COLIN; VINCENT MAINBOURG
; femme RENÉE COLIN.
Dans la seule année 1616, il fut brûlé, tant à Raon qu'à
La Neuveville, dix-sept de ces infortunés !
Les hasards d'une vente m'ont permis d'acquérir deux
pièces originales concernant deux cas de sorcellerie à
Moyenmoutier (2).
Dans la première de ces pièces - 14 Novembre 1572 - les
autorités se contentent d'expulser la nommée « Barbon
femme à Claudon Barret » du territoire de Moyenmoutier ;
voici, du reste, cette pièce en entier :
SAICHENT TOUS COMME AINSY SOIT QU'UNE NOMMÉE BARBON,
FEMME A CLAUDON BARRET, de Moienmoustier soit estée
detenue prisonnière aud. lieu pour cas de sorcerie ès
prisons de Révérend père en Dieu Dom Jean de Maizières,
et abbé dudit Moienmoustier, contre laquelle seroit esté
procédé par information de son fame et renommée et des
charges dont elle estoit suspicionné, par les maire,
eschevin et doïen dud. Moieumoütier jusques adit. Que ce
jourd'huy quatorzième jour du mois de novembre mil cinq
cens septante deux, environ par une heure après midy,
Icelle Barbon seroit esté tirée hors desd. prisons et
amenée au deuant de l'abbaye dudit Moienmoustier par
deuant honnestes hommes : Claudon Conrald, maire d'illecques,
Wuillaume Jean-Martin, escheuin, Guillaume Godesfroy,
doien aud. lieu, assistez de Demenge le marchal
lieutenant dud. maire aud. Moienmoustier, et de
Dieudonnné le Lansgnecht, aussy son lieutenant au
villaige de Sainct-Blaise, En la présence de moy Nicolas
Rasaille, tabellion à Sainct-Diey subscript et des
tesmoings cy après nommez. Auquel lieu serait esté dict
et proféré par ledit maire Conrald en substance : Que
par luy et ceux de Justice, heu esgard à la procédure
extraordinaire par eulx faicte et formée contre lad.
Barbon, détenue pour cas de sortileige, tant ès
informations sur ce faictes, qu'à ses propres
confessions et recognoissances par lesquelles elle se
trouve chargée dudit crime. Et après auoir heu les
conseils et aduis de gens doctes et sçavants ; mesme
parce que Monsieur de Moienmoustier ne veult soubstenir
gens en Sa Seigneurie entachés de tels crimes, affin
d'obvier ès reclaimes et murmures du peuple. Pour ces
causes, il déclairoit et déclaire lad. Barbon bannye à
tousjours du ban et Seigneurie dud. Moienmoustier, lui
enjoignant d'en partir et vuyder dedans l'espace de
vingt quattre heures suiuantes, à peine, où elle y
seroit retrouvée, d'estre du tout atteinte et convaincue
dud. crime et cas de sorcerie. Ce qu'estant proféré par
led. maire aurait icelluy demandé esdits ses coofficiers
séants au Siège de Justice auec luy sy c'estoit par eulx
et s'ils advouoient son dire; lesquels auraient répondu
qu'ouy, Après quoy lad. Barbon, se leuant de deuant eux
se serait retirée. Dont et desquelles choses ledit
maire, au nom dud. Révérend Seigneur, et pour la
conseruation des droicts, autorités et privileiges de
son église, en a demandé et requis à moy Tabellion
dessusd, acte et instrument pour seruir et valloir en
temps et lyeux ou mestier sera. Lequel pour tesrnoignage
de vérité, à sa prière et requête, sont ces pntes
lettres scellées du scel du tabellionaige Monseigneur le
Duc de sa court de Sainct-Diey, saulfs son droict et
aultruy. Que furent faictes et requises les ans et jour
dessusd. Pnts le maire Claudon Gérardin, du Paire de
Moienmoustier ; Aulbry Claude Mengenat, du Vivier ban d'Estivay,
et Jean Bresson, de Sainct-Blaise, tesmoings ad ce
requis et appelés.
N. RASAILLE.
Vers la même époque - 1582 - les « gens de justice et
douze de la police de Rambervillers » se contentaient
aussi d'expulser leurs sorcières :
« Comme en ce lieu (Rambervillers) il y a deux femmes
mal notées et suspitionnées de sortilège, lesquelles
rendent non seulement leurs voisins en crainte et doute
d'icelle, mais encore ceux qui en sont loin et qui les
rencontrent allant et venant. Ce qui leur tourne à
dommage et d'autant que dernièrement, ils furent été
pour cet effet assemblés au château et qu'ils les
voulaient, comme ils ont fait autres, les conduire et
chasser hors la ville .., ce qu'ils ont fait pour le
bien public et pour oter au peuple la crainte de telles
gens.... »
La seconde pièce - 19 mars 1584 - nous montre une femme,
Barbeline, veuve de Jean André, du Pair, brûlée à
Moyenmoutier comme sorcière.
La voici :
SCAICHENT TOUS QUE COMME EN L'ANNÉE MlL CINQ CENS
QUATTRE VINGTS ET TROIS dernière, feue Barbelinne,
jadicte vefve de deffunct Jean Andreu du Pair, Srie
(seigneurie) de l'église et monastère de Moyemoutier,
soit esté prinse et detenue ès prisons du Seigneur Abbé
d'illecq, pour cas de venefice et sortilege, de ce
conuaincue et pour ce arse et bruslée, ses biens
declairez acquis et confisquez audict Seigneur Abbé, De
ce est-il qu'auiourd'huy datte de cestes : Reuerend Damp
Nicolas Bertrand, ancien abbé dudict Moyenmoustier,
grand vicaire et administrateur du spirituel et temporel
dudict monastere pour IIIme et Revereudissime Charles de
Lorraine, cardinal de Vauldemont, euesque et comte de
Toul, prince du St Empire, abbé moderne dudict monastere.
Et a recognu et confessé de son plein grès, pure,
franche et liberalle volonté, qu'il a renoncé, cédé,
remis et quicté, renonce, cede, remect et quicte pour
tousiours perpétuellement sans reuocquer es mains de
Nicolas Jean Andreu dudict du Pair, fils de la dicte
Barbelinne present stipulant pour lui, Jehennon, sa
femme, leurs hoirs et ayans causes, A tout tel droict,
nom, raison, part, propriété, et action, qu'en vertu
dudict droict de confiscation estait obvenu et acquis, à
la dicte abbaye des biens tant mobiliaires,
qu'héréditaires de ladicte feue Barbelinne, sans que
jamais on en puisse aulcune chose demander, repeter, ny
inquieter ledict Colas Jean Andreu, ses hoirs et ayans
causes, ny semblablement les biens de la dicte deffuncte
sa mère. Et a esté faicte ladicte renonciation, remise,
et quictance pour et parmy la somme de Deux cens quattre
vingts frans monnaye de Lorraine, douze gros comptés
pour chacun franc. Dont et de laquelle somme ledict Sr
Reuerand soy est tenu content. Promettant ledict Sr
grand vicaire, soubs le voeux de sa religion, tenant la
main au pect (poitrine), leur faire tenir, et auoir à
tousiours, ceste dicte renonciation, pour aggréable,
ferme, et stable, sans jamais aller au contraire en
manière que ce soit ou puisse estre .. Et icelle
bonnement et Ieaulment garantir auxdits acquerrans leurs
dicts hoirs et ayans causes contre et envers tous
jusqu'au droict soub l'obligation de tous ses biens
meubles et immeubles pns (présents) et advenirs et sont
touttes exceptions de deceptions cessantes; En
tesmoingnage de vérité, sont ces présentes lettres
scellées du scel du Tabellionnage Monseigneur le Duc, de
sa cour de Saint-Diey, saulf son droict et l'aultruy,
Que furent faictes l'an mil cinq cens octante quattre,
le dix neufième jour du mois de mars; Pns (présents)
Claudon Barelier dudict Pair, et Didier Demenge Cugnin
demt (demeurant) à la Voivre, tesmoings ad ce priez et
requis.
JOUPDELANCE.
Plusieurs nobles furent exécutés pour crime de
sorcellerie : Romaric Bertrand (1408); le Seigneur de
Gibaumeix ( 1625); Melchior de Vallée (1631).
Dr A. FOURNIER.
(1) Quelques ouvrages à consulter : Michelet. La
Sorcière. - Axenfeld . Jean Wier et les Sorciers,
Extrait des Conférences historiques faites à la Faculté
de médecine de Paris. 1865. - Dumont.
Justice criminelle des duchés
de Lorraine et Bar, t. II, pages 23 et suivantes.
(2) M. le Dr Alb. FOURNIER a bien voulu se dessaisir de
ces deux parchemins en faveur de la Société Philomatique. |