Revue
Historique
Ed. Paris, Mai-Août 1907
Nicolas Remy et la sorcellerie en Lorraine à la fin du XVI
siècle
(Suite et fin (1))
II. Après avoir esquissé l'histoire
de la vie de Nicolas Remy, nous devons examiner de près sa
Démonolatrie, sur laquelle il comptait pour faire passer son nom
à la postérité et pour le rendre célèbre dans les temps les plus
reculés; il ne se trompait que sur la nature de la célébrité que
lui devait valoir son ouvrage.
En quoi consistait, d'après Nicolas Remy, le crime de
sorcellerie ? Nous avons déjà dit qu'au cours du XVIe siècle la
croyance au Diable est générale. En Lorraine, le Diable porte
les noms les plus divers. On l'appelle maître Persin, parce
qu'il apparaît sous une couleur vert foncé; il se nomme encore
maître Léonard, Napnel, Jolibois, Sautebuisson, etc. Parfois
l'on fait une distinction entre ces sortes de démons : ce sont
des personnages différents subordonnés l'un à l'autre. Le Démon
apparaît sous des formes diverses aux personnes qu'il veut
conquérir; il pince ses victimes au front, pour enlever le
baptême, et les invite à assister au sabbat, qui a lieu sur une
lande déserté, en un endroit écarté des habitations. Les
sorcières se frottent d'un onguent et sont transportées à ce
sabbat en général sur un balai ou bien sur un houe. Ce sabbat a
lieu en Lorraine le samedi et le mercredi, les démons étant
occupés les autres nuits ailleurs (2).
Les sorcières s'y donnent au Diable; elles dansent une ronde
échevelée, mais masquées et retournées, la tête en dehors de la
ronde. Puis elles prennent un repas en commun; mais toute
nourriture est insipide; car le sel y fait défaut; suivant un
calembour souvent répété, les plats y viennent de Salamanque. Il
n'y a pas non plus de pain, puisque le pain rappelle
l'Eucharistie. Pendant toutes ces orgies, les diablotins font
une musique infernale, en frappant des tibias contre des crânes
(3). Nicolas Remy et les juges croyaient à la réalité de ces
descriptions. Une fois pourtant le procureur a un léger doute.
Une sorcière a affirme qu'à telle heure de la nuit elle avait
été au sabbat; et pourtant son mari a juré qu'à la même heure
elle se trouvait tranquillement couchée à côté de lui. Remy ne
peut pas ne pas accorder confiance à ce témoignage; il conclut
qu'un sabbat imaginaire est aussi pernicieux qu'un sabbat réel;
ce sabbat donne les mêmes émotions, provoque les mêmes
lassitudes; une telle femme est bien la proie du Diable. A mort
donc la malheureuse !
Mais, si hommes et femmes se rendent au sabbat, ce n'est pas
seulement pour se procurer des plaisirs fatigants; ils veulent
surtout obtenir du Diable le pouvoir de nuire à ceux qu'ils
détestent. Maître Persin leur donne un onguent mystérieux, ou
bien il leur apprend des paroles magiques; à l'aide de l'un ou
des autres, ils vont provoquer le malheur de leurs ennemis.
Ceux-ci languissent et dépérissent peu à peu. Ou bien il leur
arrive un grave accident. Ils tombent et se cassent une jambe ;
ils n'entendent plus; ils voient double; des boutons leur
poussent sur la figure; les maris deviennent impuissants.
D'autres fois, les sorciers s'en prennent au bétail. Ils font
trébucher la vache ou la chèvre de leur ennemi, les blessant
grièvement. Ils tarissent, par leur pouvoir magique, le lait de
ces animaux. Les sorcières plantent dans le mur de l'étable, au
dehors, un couteau; et elles font sur lui le signe de traire la
vache; elles prononcent le mot sacramental : « Je te trais au
nom du Diable », et le lait coule réellement le long du couteau.
Elles enlèvent la force nutritive qui est dans l'herbe broutée
par les bestiaux; chevaux, taureaux, vaches mangent et
dépérissent. Au contraire, cette nourriture profite à leurs
propres bêtes qui restent grasses et bien portantes.
Ce qui frappe surtout dans ces stupides accusations, c'est la
relation que les accusateurs établissent entre une rencontre
fortuite avec un sorcier et un malheur arrivé souvent des
semaines, des mois, des années plus tard. Dans un procès
instruit à Amance, près de Nancy, en 1591, le herdier de la
commune, - c'est-à-dire celui qui garde la herde, le troupeau, -
est accusé de sorcellerie et les bergers qui vivent isolés dans
les champs fournissent un nombreux contingent de victimes. Une
femme dépose qu'elle a eu un jour avec l'accusé, nommé Bulme,
une querelle à cause d'une vache qu'il lui avait perdue, et,
dit-elle, environ un mois après, son mari tomba malade et mourut
en cinq jours. Une autre femme certifie que son mari est mort
six semaines après une querelle avec le sorcier. D'autres encore
viennent dire qu'après une dispute de ce genre leur cheval ou
leur verrat a péri au bout de quinze jours ou d'un mois. Et
c'est sur des accusations de ce genre que Bulme et sa femme
furent exécutés à Amance (4) !
Les sorcières ne s'attaquent pas seulement aux hommes et aux
animaux; dans leurs réunions nocturnes, elles rassemblent les
nuages, qui bientôt se condensent en grêle et qui détruisent les
moissons. Voilà pourquoi, dit Nicolas Remy, quand le tonnerre
gronde, quand menace la foudre, il faut sonner les cloches; car
ces mêmes cloches qui appellent les fidèles à la prière chassent
le Démon. Les sorcières sont encore accusées d'avoir suscité
d'autres fléaux. En décembre 1586, la femme Odile Boncourt de
Haraucourt, en novembre 1586, la femme Rose Gérardin d'Etival,
en février 1587, la femme Housselot de Saint-Èvre ont avoué
avoir suscité un très grand nombre de souris qui ont rongé
toutes les racines et causé la disette (5).
Voici, avec quelques détails, les accusations lancées contre une
pauvre femme de Nancy, nommée Lasnier (Asinaria) : elle avait
l'habitude de mendier de porte en porte, et les aumônes qu'elle
recevait suffisaient à son existence. Un jour elle frappa à la
maison du bailli de Nancy (6); mais le fils aîné de celui-ci
sortit à l'improviste et lui ordonna de revenir à une autre
heure, car pour le moment les domestiques étaient occupés; la
femme répondit par des injures et aussitôt notre jeune homme
tomba face à terre comme s'il s'était heurté contre un caillou.
Et il affirma aux domestiques accourus que l'accident n'était
pas arrivé par sa faute, qu'il était poussé par derrière par une
force supérieure et qu'il se serait certainement cassé un
membre, s'il n'avait eu la précaution en tombant de faire le
signe de la croix. Le Démon fit alors, dit Remy, de vifs
reproches à la femme Lasnier d'avoir manqué son maléfice et lui
donna l'ordre de surprendre le jeune homme avant qu'il eût fait
sa prière du matin et se fût garanti par le signe de la croix.
Or, un matin, le jeune homme ouvrit la fenêtre de sa chambre au
premier étage et voulut saisir un nid qui se trouvait sur la
muraille; il tomba la tête la première et on le rapporta évanoui
à la maison. Il revint bientôt à lui et dit à son père : « Père,
ne me faites pas de reproche; j'ai été poussé par derrière et on
a lancé un objet contre moi. » Et en effet un gros morceau de
bois fut ramassé à l'endroit où il était tombé. L'enfant mourut
quelque temps après; la femme Lasnier fut aussitôt arrêtée.
Interrogée par Nicolas Remy, elle fait des aveux; elle est
condamnée à mort et exécutée le 14 juillet 1582. Remy nous
raconte qu'aussitôt après la chute de l'enfant, le Diable était
venu en personne féliciter la sorcière et il accumule, pour le
prouver, une série de citations de la Bible (7).
Telles étaient les accusations portées contre les sorcières et
qui devaient conduire presque toujours ces malheureuses à la
mort. Dans l'ancienne procédure, il fallait qu'un accusateur se
présentât et soutînt la vérité de son dire par serment,
témoignages ou autrement. Dans les procès de sorcellerie, il n'y
a plus d'accusateurs; il n'y a, comme pour les procès de
l'Inquisition, que des dénonciateurs. Un individu a à se
plaindre d'une femme qui l'a injurié, il ne veut pas payer son
créancier; il dénonce la femme et le créancier comme soupçonnés
de sorcellerie. Le dénonciateur ne risque jamais rien. Son nom
n'est pas communiqué à l'inculpé. Même dans certains pays, - ce
ne fut point le cas en Lorraine, - l'on plaçait aux églises ou
aux maisons communes des troncs destinés à recevoir les
dénonciations anonymes; les dénonciations lâches et méprisables
! Sur ces dénonciations, l'officier public se mettait en
mouvement, souvent même il ne les attendait pas. Le procureur
général faisait des tournées en Lorraine et, par le procédé de
l'enquête, - qu'il est devenu odieux le mot inquisitio ! - il
recherchait les coupables.
Sur toute dénonciation, sur tout soupçon du ministère public,
une information est ouverte (8). On entend toutes les personnes
qui peuvent fournir des renseignements sur les inculpés et on
consigne avec soin tous leurs dires. Tous les actes de la
malheureuse femme soupçonnée, - car la proportion des femmes
sorcières par rapport aux hommes était de 9/10, - sont scrutés
avec soin et tout va devenir indice qu'elle est réellement
sorcière. On l'a appelée dans une querelle sorcière, et elle n'a
rien répliqué; elle n'a pas traîné son calomniateur devant les
tribunaux; indice sûr. Au contraire, elle s'est hâtée de
poursuivre celui qui l'avait injuriée; elle a voulu détourner
les soupçons; indice sûr. On ne voit jamais une femme à
l'église; c'est, dit Nicolas Remy, qu'elle s'est donnée au
Diable. Elle court sans cesse à la messe, autre indice; car une
force irrésistible pousse les sorcières vers l'église;
constatation curieuse qui montre chez ces femmes une sorte de
folie religieuse. L'information est ainsi presque toujours
défavorable. La malheureuse est arrêtée et jetée en prison; à
Nancy, on la mène dans les tours de la porte de la Craffe.
Nous connaissons déjà les tribunaux qui vont la juger. Elle
n'est point renvoyée devant des inquisiteurs ou devant le
tribunal ecclésiastique, l'officialité. Elle comparaît, comme
les autres criminels, devant la justice ordinaire, échevins,
prévôts, justice municipale. Les juges font venir l'inculpée
devant eux et procèdent à son interrogatoire; c'est l'audition
de bouche. L'un des échevins, - nous supposons que le procès se
déroule à Nancy, - lui demande son nom, son âge, si elle sait de
quoi elle est accusée. A cette dernière question, en général,
l'inculpée ne répond rien. Finalement, le juge lui dit son crime
et expose les charges qui ont été recueillies dans l'information
; il lui demande de se défendre. D'ordinaire, l'accusée se
récrie; elle se déclare innocente des méfaits qu'on lui impute.
Le juge essaie toujours de l'effrayer par la violence de ses
gestes, la véhémence de son langage. Il a recours à toutes
sortes de ruses pour obtenir l'aveu attendu, l'aveu qui sera
considéré par lui comme une véritable victoire. S'il y a deux
inculpés, il ne manque d'affirmer au second que le premier a
tout avoué, alors qu'il n'en est rien; il se complaît dans les
équivoques, les sous-entendus. Jamais, dans ces interrogatoires,
l'accusée n'est assistée d'un avocat; l'avocat est même toujours
absent de ces tristes procès : une sorcière ne doit point être
défendue. Du reste, l'avocat ne courrait-il pas de trop grands
risques ? La sorcière ne pourrait-elle pas lui jeter un sort ?
Mais qu'on admire la logique des croyances ! Il est admis que
ces méchantes femmes ne peuvent rien ni sur les juges ni sur les
bourreaux, qui, par une sorte de grâce d'état, sont à l'abri de
leurs coups. Nicolas Remy nous raconte que le terrible onguent
que maître Persin donnait aux sorcières perdait toute vertu dès
qu'il était saisi par les juges. Lui-même, qui a été sans cesse
en contact avec les sorcières, est resté toujours sain de corps
et d'esprit, chrétien parfait. La femme Lasnier, de Nancy,
interrogée par lui, lui lança cette apostrophe : « Comme vous
avez de la chance que nous ne puissions rien sur vous, ô juges !
Il n'y a point d'hommes que nous désirerions plus tourmenter que
vous, qui poursuivez toute notre race par de tels supplices (9).
» Nicolas Remy pouvait procéder sans risque ni péril.
On trouvait des accusés, surtout parmi les femmes, qui avouaient
dès le début. Il se présente ici un cas d'auto-suggestion fort
curieux. La femme croit réellement qu'elle a conclu un pacte
avec le Diable; elle le crie à son juge; et, en général, avec
cet aveu, elle tient des propos incohérents et orduriers; elle
se complaît dans la crapule. Ces femmes ont été désignées comme
sorcières parce qu'elles sont des hystériques; elles réalisent
en quelque sorte les scènes qu'elles ont entendu raconter autour
d'elles; oui, elles se sont données au Diable, elles ont assisté
au sabbat qu'elles décrivent avec un luxe incroyable de détails.
L'hystérie est héréditaire; et voilà pourquoi souvent les filles
ont été brûlées après les mères, parce qu'elles présentaient les
mêmes symptômes morbides. La maladie chez des personnes faibles
d'esprit est contagieuse; voilà pourquoi beaucoup de villages
sont décimés (10). Si la femme ne se suggère pas à elle-même
toutes ces visions, le juge qui l'interroge les fait naître en
son esprit. Ses questions sont si nettes, si précises qu'elle
arrive à douter d'elle-même. Elle avoue. L'aveu est une
condamnation à mort; le procès finit après l'information et
l'interrogatoire.
Mais, après tout, ces aveux étaient rares; le plus souvent,
l'accusée nie. Elle déclare qu'elle n'a point eu commerce avec
Satan, qu'elle n'est point sorcière. Dès lors, on procède aux
recolements et aux confrontations. Le juge convoque à jour et
heure déterminés tous les témoins entendus dans l'information;
il les interroge d'abord en l'absence de l'accusée; il leur
demande s'ils persistent en leur première déposition; il les
invite à y ajouter ou à en retrancher à leur gré; c'est le
recolement. Puis, pour la première fois, l'accusée est mise en
présence de ses accusateurs ; et ici la Lorraine était en avance
sur d'autres pays, où jamais la victime ne connaissait les
témoins, où l'on continuait d'employer l'ancien système de
l'Inquisition. Témoins et accusée sont interrogés
contradictoirement sur les faits de la cause: c'est la
confrontation. Celle-ci terminée, le procureur ou le substitut
présent prend ses conclusions. Si elles tendent à l'absolution
de l'inculpée, elles sont définitives; mais, avec des procureurs
imbus de l'esprit de Nicolas Remy, de telles conclusions
devaient être rares, - l'on en trouve pourtant des exemples. -
Mais, en général, les conclusions sont interlocutoires. Le
procureur peut requérir que l'accusée nomme des témoins à
décharge; mais la malheureuse n'en trouvait presque jamais. Il
peut requérir aussi que l'accusée soit soumise à la question;
c'était le cas ordinaire. Quand le procès avait lieu loin de
Nancy, l'on demandait sur ces conclusions l'avis des échevins de
Nancy; mais presque toujours dans les procès de sorcellerie les
échevins opinent pour la torture. A Nancy même, point n'était
besoin de consulter personne, et la sentence interlocutoire
ordonnant la question était immédiatement rendue.
Avant de procéder à la question, l'on soumettait l'inculpé à un
chirurgien ou à un médecin. L'inculpé, homme ou femme, était
rasé des pieds à la tête « partout où poil se trouve », disent
les procès-verbaux, par la personne vile, c'est-à-dire par
l'homme qui tond les chiens et récure les égouts ; puis le
chirurgien cherchait s'il retrouvait sur son corps la marque du
Diable. De même que Dieu mettait son sceau sur certains élus en
reproduisant sur leurs mains, sur leur flanc et leurs pieds les
blessures du Christ, de même, dans les croyances de l'époque, le
Diable marquait d'un signe ineffaçable la créature qui s'était
donnée à lui. Nicolas Remy consacre tout un chapitre de sa
Démonolatrie à cette marque diabolique. C'était au médecin à
trouver ce signe, qu'on reconnaissait de la façon suivante : si
à l'endroit du corps marqué par Satan l'on enfonce une longue
épingle, l'inculpé ne sentira aucune douleur et pas une goutte
de sang ne coulera de la blessure. Cette partie du corps est
devenue tout à fait insensible :
Sanguis hebet, frigentque effetae in corpore vires
(la citation est de Nicolas Remy). Ainsi, en octobre 1590, on
arrête à Briey la femme Claude Bogart. Après lui avoir rasé la
tête, on découvre au sommet une cicatrice que les cheveux
cachaient; Claude affirme que cette cicatrice a été causée par
une pierre qui lui a été lancée. Mais le chirurgien enfonce son
épingle et déclare qu'en cet endroit le Diable a mis sa griffe
sur sa créature. On découvre de même une verrue sur la jambe
droite de la femme Muguet, arrêtée à Essey-lès-Nancy en juin
1591. Elle ne sent aucune douleur lorsqu'on y enfonce l'épingle;
mais, dès qu'elle est piquée à côté, elle pousse des hurlements
effroyables. Signe diabolique, conclut Nicolas Remy, et il écrit
: « Ceux-là errent cent et cent fois, ceux-là sont des fous qui
prétendent expliquer de tels phénomènes par des causes
naturelles. » N'en déplaise à Nicolas Remy, n'en déplaise à
l'excellent abbé Lionnois, qui composait au XVIIIe siècle une
histoire de Nancy et qui faisait preuve d'un bien grand
scepticisme en disant : « Les épingles de ces chirurgiens
n'étaient-elles pas semblables à celles de nos joueurs de
gobelets qui, en se perçant le front, ne se font de mal que dans
l'esprit des sots ? », - de tels phénomènes existent et la
médecine actuelle les explique par des causes naturelles; cette
insensibilité partielle est l'un des signes de l'hystérie; elle
peut même être provoquée par simple suggestion du médecin.
Dans tous ces procès de sorcellerie, le médecin ou le chirurgien
doit partager la responsabilité du juge. Il procédait à l'examen
du corps, trouvait la marque et donnait son certificat, qui
était une condamnation à mort. Dans ce certificat, il ne
constatait pas seulement, il interprétait. Il affirmait que
cette insensibilité était causée par l'empreinte du Démon. Dans
un livre de chirurgie, paru en 1585, on lit : « Nul ne peut
nier, il n'en faut douter, qu'il y ait des sorciers; car cela se
prouve par authorité de plusieurs docteurs et expositeurs, tant
vieux que modernes, lesquels tiennent pour chose résoluë qu'il y
a des sorciers et enchanteurs qui, par moyens subtils,
diaboliques et inconnus, corrompent le corps, l'entendement, la
vie et la santé des hommes et autres créatures, comme animaux,
herbes, l'air, la terre et les eaux. D'avantage l'expérience et
la raison nous contraignent le confesser, parce que les lois ont
établi des peines contre telles manières de gens (11). »
Singulier raisonnement: il y a des sorciers, puisqu'il y a des
lois contre les sorciers. L'auteur de ce livre est Ambroise
Paré, et peut-être le grand chirurgien, qui passait en son temps
pour un novateur hardi, a-t-il causé sorcellerie avec Nicolas
Remy, lorsqu'en 1575 il arriva en Lorraine pour guérir la
duchesse Claude de France, femme de Charles III.
Le médecin a donné son certificat; mais il faut obtenir de
l'inculpé lui-même l'aveu qu'il a eu commerce avec le Diable; et
cet aveu lui sera arraché par la torture. Nous connaissons par
un livre de praticien écrit par Claude Bourgeois, maître-échevin
de Nancy après Nicolas Remy, quels modes de torture étaient
usités en Lorraine (12). Il y avait quatre épreuves qui étaient
graduées.
C'étaient d'abord les grésillons. L'instrument était formé de
trois lames de fer qu'on rapprochait à l'aide d'une vis. On
mettait entre ces lames le bout des doigts de la main ou du pied
jusqu'à l'ongle et on serrait. La souffrance était atroce; la
victime sortait de l'épreuve les doigts entièrement écrasés.
Venait ensuite l'échelle. C'était une échelle ordinaire dont une
extrémité touchait terre, tandis que l'autre reposait sur un
tréteau à trois pieds du sol. L'accusé était étendu nu ou en
chemise sur l'échelle, les pieds attachés au barreau inférieur,
les mains liées, à l'autre extrémité, à une corde qui
s'enroulait autour d'un tourniquet; on mettait en mouvement le
tourniquet, et les bras, le corps entier s'allongeait.«
L'accusé, dit Claude Bourgeois, souffre ainsi de grandes
douleurs, tant à cause de l'extension violente de tout le corps
qui s'allonge contre nature que pour les diverses parties
affligées en cette extension, comme veines, artères, muscles,
mais principalement les nerfs et tendons, qui sont toutes
parties douées d'un sentiment fort exquis et conséquemment
susceptibles de grandes douleurs. » Pour augmenter les
souffrances de l'accusé, on lui faisait passer sous le dos un
morceau de bois pendant qu'on l'étirait. On lui jetait aussi
souvent de l'eau froide à la figure; on lui introduisait par un
entonnoir une certaine quantité d'eau dans la bouche, ou encore
l'on imprimait à cette échelle mobile des secousses savamment
calculées.
Tandis que la victime reste couchée sur l'échelle, on lui
infligera la troisième épreuve, les tortillons. Les bras et les
jambes nus sont attachés par de grosses cordes aux montants, et
la corde est serrée autant qu'il est possible. Puis entre les
membres et la corde on passe des bâtons ronds qu'on emploie
comme un tourniquet. La corde est serrée davantage encore; elle
pénètre dans les chairs, qui sont de plus en plus comprimées en
certains endroits et ressortent plus loin en bourrelets
meurtris.
Enfin, si l'accusé n'a pas avoué, on a recours à l'estrapade.
Au plafond de la chambre de torture est attachée une poulie,
dans laquelle on passe une corde, semblable aux poulies dont se
servent les maçons pour monter leurs pierres. L'accusé, en
chemise, les mains liées derrière le dos, est attaché par la
ceinture à ce crochet et tiré violemment en l'air. On lui fait
exécuter ainsi un certain nombre de tours; parfois, pour
augmenter sa souffrance, on étire le corps en attachant au pied
de grosses pierres; Claude Bourgeois assure que quelques-unes de
ces pierres pesaient de soixante à quatre-vingts livres.
C'étaient là les seules tortures autorisées en Lorraine par les
échevins de Nancy. Et ils se croyaient des esprits libéraux. Ils
prohibaient les modes plus atroces encore. Ils défendaient de
faire asseoir l'inculpé sur une selle hérissée de pointes, de le
pendre dans une cheminée pour l'enfumer, de le priver de sommeil
pendant une longue période, en le tenant éveillé par des moyens
artificiels. Ceux qui ont visité certains musées de torture
d'Allemagne seront obligés de reconnaître que les échevins de
Nancy ont été moins cruels que certaines justices d'outre-Rhin
(13).
La torture est toujours administrée en présence d'un chirurgien.
Celui-ci doit arrêter le bourreau quand il lui semble que le
patient est à bout de forces; on ne doit pas détacher de
l'échelle un cadavre; le fait s'est produit parfois. On commence
en général par montrer à l'inculpé les instruments de torture;
on lui explique la manière dont on s'en sert, les souffrances
qu'ils produisent, et, devant cette menace, on l'interroge de
nouveau; on le conjure d'avouer son crime. S'il persiste dans
ses dénégations, le bourreau fait son office. Rarement une femme
résiste jusqu'au bout. Tout à coup elle s'écrie que c'est trop
souffrir; elle raconte tout ce qu'on veut; oui, elle a été au
sabbat; elle a eu accointance avec le Diable. Le juge lui
demande le nom de ses complices; elle nomme tous les noms qui
lui traversent la tête, noms illustres ou noms ignorés, grands
personnages de l'état ou pauvres mendiants. C'étaient de
nouvelles victimes qu'elle désignait, et chaque procès en
engendrait une série d'autres. Parfois le juge, pour obtenir
plus vite l'aveu, usait de stratagème. Il promettait à la pauvre
torturée sa grâce et une chaumière; mais il sous-entendait par
restriction mentale la grâce d'être étranglée avant d'être
brûlée, et la chaumière, c'étaient les bottes de paille du
bûcher. Le juge aussi, dans la recherche des complices,
désignait parfois un homme ou une femme par son nom:«
N'étiez-vous pas au sabbat avec un tel ou avec une telle? » Ces
pratiques, il est juste de le reconnaître, étaient condamnées
par les échevins de Nancy. Claude Bourgeois écrit: « Il n'est
loisible. d'user d'artifices, de paroles mensongères ou
captieuses comme de faire entendre au criminel qu'il confesse
librement ce qu'on luy demande soubs espérance et promesse de
pardon et autres, cela étant très pernicieux, et dont les juges
practiquant tels abus et injustices en répondront devant Dieu,
et, cela estant descouvert, debvront estre châtiés
exemplairement par les juges supérieurs qu'il appartiendra »; -
et, en effet, certains juges ont été destitués pour n'avoir pas
suivi ces préceptes. - Claude Bourgeois écrit encore : « Il ne
faudra particulariser ou nommer personne, suggérer, - le mot est
dans le texte, - ou désigner par habits ou autrement, ains
faudra interroger généralement qui sont les complices. »
Le lendemain des aveux, l'accusée était interrogée à nouveau
hors du lieu de torture. Il arrivait souvent qu'elle rétractait
ses aveux antérieurs, qu'elle déclarait n'avoir su ce qu'elle
disait, n'avoir parlé que sous l'empire de la douleur. Le juge
aurait dû réfléchir à ses rétractations; il aurait dû se
rappeler le proverbe latin : torquere est extorquere; il aurait
dû se dire, comme plus tard l'auteur tragique (14) :
La torture interroge et la douleur répond;
mais, dans ces rétractations, il voit une nouvelle manoeuvre de
Satan; et l'accusée est remise aussitôt à la question (15).
Après les grésillons, l'échelle; après l'échelle, les tortillons
et puis l'estrapade. Quelques-unes résistent jusqu'au bout et
sont renvoyées des fins de la plainte (16), mais le cas est tout
à fait extraordinaire.
L'aveu une fois fait est aussitôt consigné par écrit : c'est la
sentence de mort. Les juges n'ont qu'à en prendre acte et à
prononcer en conséquence. Dans les juridictions inférieures, la
sentence est provisoire, les pièces du procès sont renvoyées aux
échevins de Nancy; ceux-ci déclarent en général que le procès a
été bien jugé, et, aussitôt leur réponse arrivée, les juges
rendent la sentence définitive. A Nancy, il n'y a qu'une
sentence définitive.
Nous donnons ici la formule de ces sentences de mort, prononcées
par les tribunaux locaux, telle que nous la rapporte Claude
Bourgeois; cette formule a été répétée des milliers de fois en
Lorraine:
« Veu le procès extraordinairement instruit par Nous les prevôt
ou Maire et gens de justice de N. (ici le nom de la localité), à
la requeste du procureur d'office, contre N., prevenu et accusé
de sortilège et vénéfice, sçavoir l'information, l'audition de
bouche dudit accusé, recolements et confrontations, les
conclusions dudit procureur en date du ..., notre sentence du
..., par laquelle aurions condamné ledit accusé à la question
ordinaire et extraordinaire, l'acte et procès-verbal de ladite
question, les conclusions définitives dudit sieur procureur et
l'avis de Messieurs les maître eschevin et eschevins de Nancy
(c'est l'énumération exacte de tous les actes de la procédure;
voici maintenant la sentence), disons que, par ladicte procedure
et par la confession dudict accusé, iceluy est suffisamment
atteint et convaincu dudict crime de sortilege et vénéfice; de
quoi l'avons condamné et condamnons à estre delivré entre les
mains de l'exécuteur de haulte justice, pour par luy être exposé
au carcan à la vue du peuple l'espace d'un demi-quart d'heure ou
environ, puis mené et conduict au lieu où l'on a accoustumé
supplicier les delinquants, et illec attaché à un poteau, y
estre estranglé après qu'il aura aucunement senty l'ardeur du
feu, son corps ars, bruslé et reduit en cendres, tous et
chascuns de ses biens declarez acquis et confisqués à qui il
appartiendra, les frais de justice pris sur iceux au préalable.
»
Beaucoup d'accusés, pour ne pas affronter cette série
d'horreurs, se donnaient la mort en prison. Que de fois ne
trouve-t-on pas dans les archives des mentions comme la
suivante: « 1593. Marguerite, veuve de Thiébaut le vigneron,
demeurant à Belleau (17), accusée de vénéfice et de sortilège,
étant détenue en prison de ce lieu, se serait par mains
violentes précipitée à la mort. » Nicolas Remy reconnaît que les
suicides en prison sont nombreux; il avoue par exemple qu'en
juillet 1581 Didier Finance, de Mandray (18), a échappé au
supplice en s'enfonçant dans la gorge un couteau qu'on avait
oublié près de sa main, et il ajoute : « II me souvient qu'en
cette année et l'année précédente il s'est trouvé en Lorraine
environ quinze personnages qui se sont fait justice à eux-mêmes,
pour ne pas être un exemple à tous (19) » Remy a horreur de ces
morts : « J'ai hâte, écrit-il, d'en venir à des procès qui
eurent de meilleures issues, - ad ea quae exitus meliores
habuerunt », - et il raconte les supplices de Jeanne, sorcière à
Ban-sur-Meurthe, d'Anne Drigie, de Haraucourt, et de Didier
Gérard, de Vennezey (20). Le bourreau ne perdait pas tout droit
si la victime se donnait la mort. Le cadavre était exposé aux
fourches patibulaires et ensuite brûlé.
La sentence définitive, une fois rendue, était aussitôt mise à
exécution. Un confesseur devait préparer la sorcière à la mort;
et nous pourrions répéter des confesseurs ce que nous avons dit
des médecins; jamais l'un de ceux qui avait reçu les dernières
confidences des victimes n'a protesté de leur innocence; si
l'accusé niait encore au tribunal de la pénitence, le confesseur
attribuait ces dénégations à une méchanceté endurcie et aux
ruses du Démon (21). La condamnée, avant le supplice, était
exposée quelques minutes au carcan. A Nancy, cette exposition
avait lieu sur la place Saint-Èvre, tant que les prisons furent
à la porte de la Craffe. Plus tard, elle eut lieu dans la
Ville-Neuve, sur la place du Marché, devant l'hôtel de ville.
Au-dessus de la malheureuse, on plaçait un écriteau indiquant
son crime : guenoche et sorcière. On la livrait à la risée d'une
multitude sans pitié et qui lançait d'ignobles injures. Après
l'exposition, la sorcière était menée au supplice. Au début,
devant le portail de l'église Saint-Èvre, elle faisait amende
honorable, une torche noire à la main. Le cortège sortait par la
porte de la Craffe et se rendait sur les bords de la Meurthe, à
quelque distance de la route de Nancy à Champigneulles, en un
endroit appelé le Paquis, où aujourd'hui se dresse l'usine du
Pont-Fleuri (22). Là le bûcher était dressé. Il se composait
d'un cent de fagots et d'une corde de bois (23). Au-dessus se
dressait un poteau où la victime était attachée. La sorcière
n'était pourtant pas brûlée, à proprement parler. A peine
avait-elle senti la flamme que le bourreau l'étranglait. Le
corps était ensuite brûlé et les cendres dispersées. On ne
jetait vivantes dans le feu que les sorcières endurcies, celles
qui avaient refusé de faire pénitence. A ces exécutions
assistait une foule gouailleuse, - la même foule ignoble qui se
presse aujourd'hui autour des échafauds.
Suggérées par le juge, des mères avaient avoué qu'elles avaient
emmené au sabbat leurs enfants, jeunes garçons et jeunes filles
de sept à dix ans. Ces enfants eux-mêmes avaient parfois avoué
leurs forfaits; ils avaient décrit le sabbat, répété les
chansons licencieuses qu'on y chantait; ils soutenaient avoir
tourné la broche de Satan ! Les échevins de Nancy n'osaient
condamner ces malheureux; on se bornait à leur mettre les
épaules nues et à les frapper trois fois de verges devant le
bûcher où brûlait leur mère; et cette condamnation devint en
Lorraine d'un usage courant. Mais Nicolas Remy s'élève contre ce
qu'il regarde comme une faiblesse: « Je n'ai jamais pensé que de
cette manière il était satisfait aux lois (24). » Avec une
férocité inouïe, dans un passage qui nous paraît le plus
abominable de la Démonolatrie, il réclame contre les pauvres
êtres la peine capitale. Il rappelle l'histoire des
quarante-deux enfants de Béthel qu'Élisée avait fait manger par
les ours, uniquement parce qu'ils l'avaient nommé vieux chauve.
Et il veut que toute graine de sorciers soit anéantie.
Les enfants des sorciers pâtissaient encore d'une autre façon,
même s'ils n'étaient pas impliqués dans les crimes de leurs
parents. Tous les biens étaient confisqués au profit de l'État,
et les malheureux, repoussés partout, restaient sans ressources.
La plupart des condamnés étaient pauvres, sans doute;-mais il y
en eut aussi de riches. On put soupçonner que le duc Charles IV
envoya au bûcher Melchior de La Vallée, chantre de la collégiale
Saint-Georges, non seulement pour compromettre sa femme Nicole,
baptisée par le prétendu sorcier, mais encore pour acquérir son
grand domaine de Sainte-Anne, sur la route de Laxou (25). On a
pu dire que les procès de sorcellerie étaient si nombreux en
Lorraine uniquement parce que les biens des condamnés étaient
acquis aux seigneurs (26).
Nous avons ainsi suivi la sorcière depuis son arrestation
jusqu'à son supplice. Le jour où arrivait à la justice la
dénonciation anonyme, elle était presque sûrement perdue. Comme
ceux qui entrent dans les enfers, elle devait laisser toute
espérance. Le drame que nous venons de raconter eut, au temps où
Nicolas Remy fut échevin de Nancy, puis procureur général, de
1576 à 1606, soixante à quatre-vingts représentations par an
(27); et, après sa retraite et sa mort, l'impulsion donnée par
lui dura. De 1606 à 1633, les bûchers s'allumèrent encore à
mainte reprise; pourtant, peu à peu, le mouvement se ralentit et
les rôles des échevins de Nancy furent moins encombrés. Le total
des sorciers et sorcières brûlés ne laisse pas que d'être
considérable; et cette épidémie de sorcellerie qui sévit sur le
duché a fait plus de victimes que la peste; la sottise de
l'homme est plus nuisible que les plus terribles fléaux de la
nature. En l'année 1633, les Français occupèrent la Lorraine; le
tribunal des échevins de Nancy fut supprimé; les magistrats
français qui remplacèrent les magistrats lorrains étaient plus
éclairés; puis, au milieu des guerres et de l'occupation
étrangère, d'autres préoccupations absorbèrent les esprits; on
laissa les sorcières en repos. Quand le duc Charles IV rentra
dans ses états, en 1661, il y eut encore de-ci de-là quelques
exécutions. En 1661, Jeannon Maronde, femme de Jean La Ronze; en
1670, Jeannon, femme de Georges Grandidier, furent brûlées à
Saint-Dié (28), en terre ecclésiastique, où les vieilles
superstitions avaient poussé des racines plus profondes. Mais en
1682 fut rendu, sous l'inspiration de Colbert, l'édit qui
défendait aux cours et aux tribunaux d'admettre dorénavant
l'accusation de sorcellerie sabbatique; et cet édit fut appliqué
à la Lorraine, que la France avait occupée une seconde fois en
1670.
Dans sa Démonolatrie, Nicolas Remy écrit ces mots : « Malheur à
ceux qui ont conclu un pacte avec l'enfer ... Mais malheur aussi
à ceux qui cherchent à diminuer l'odieux d'un crime aussi
horrible et exécrable, qui admettent les circonstances
atténuantes de la crainte, de l'âge, du sexe, de l'imprudence ou
d'autres excuses analogues. » En conséquence, dans l'exercice de
son ministère, il a toujours refusé les circonstances
atténuantes. Certes, Nicolas Remy eût été bien étonné si on lui
avait dit qu'un jour il serait l'accusé. Soyons plus Indulgent
que lui; rappelons tout ce qui peut être dit en sa faveur : ses
opinions étaient celles de son temps, et c'est à elles plus qu'à
sa personne qu'il faut nous en prendre; il croyait faire oeuvre
agréable à Dieu, sauver la religion et la société; il pensait
paraître au tribunal suprême la conscience pure et tranquille ;
il s'y serait même fait un argument des bûchers qu'il avait
allumés. Mais pourtant il nous faut le condamner, parce qu'il
lui manquait l'une des qualités que nous croyons indispensable
au magistrat, la bonté. Peut-être avec plus de bonté aurait-il
eu parfois des doutes et aurait-il été moins sûr de ses
raisonnements. Avec plus de bonté, il eût été plus intelligent.
Armé par la loi d'un pouvoir terrible, le magistrat doit se
défier de lui-même et de sa raison, rechercher toujours les
circonstances atténuantes et ouvrir son coeur à la pitié. Nicolas
Remy ne fut pas un bon juge.
Ch. PFISTER.
(1) Voir Rev. hist., t,
XCIII, p. 225.
(2) Nous résumons ici ce que dit Nicolas Remy dans la
Démonolatrie, p. 121 et suiv.
(3) Démonolatrie, p. 141.
(4) Amance, qui avait reçu la coutume de Beaumont, avait droit
de haute justice, Toutes les pièces de ce procès ont été
publiées par Henri Lepage dans l'Annuaire de la Lorraine, 1854;
l'article a été tiré à part sous le titre: Une procédure de
sorciers au XVIe siècle, Nancy, Grimblot et veuve Raybois.
(5) Démonolatrie, p. 146.
(6) Le bailli de Nancy de 1577 à 1607 fut Renault de Gournay,
seigneur de Villers. Cf. Henri Lepage, les Offices des duchés de
Lorraine et de Bar, dans les Mémoires de la Société
d'archéologie lorraine, 1869, p. 103.
(7) Démonolatrie, p. 2.72.
(8) Souvent le procureur général de Lorraine ou le procureur des
Vosges ou d'Allemagne requièrent les officiers judiciaires
inférieurs, substituts ou prévôts d'informer secrètement des cas
de sortilège et vénéfice. Une réquisition de ce genre a été
publiée par L. Quintard, Procès de deux sorciers en 1605, dans
les Bulletins mensuels de la Société d'archéologie lorraine,
1906, p. 16. Il s'agit de Catherine, veuve de Claude Bailliot,
et de Claude, son fils, demeurant à Mataincourt (Vosges). On
reprochait à Catherine de tenir et nourrir des crapauds dans sa
maison. Les deux accusés, qui n'avouèrent pas, furent condamnés
au bannissement.
(9) Démonolatrie, p. 38.
(10) Dans le petit village d'Azelot, au canton de
Saint-Nicolas-de-Port, qui compte aujourd'hui 200 habitants, et
qui en comptait à peine 100 autrefois, il y eut à la fin du XVIe
et au début du XVIIe siècle jusqu'à trente procès de
sorcellerie. Cf. Lepage, les Communes de la Meurthe, art. Azelot.
(11) Ambroise Paré, oeuvres complètes, éd. Malgaigne, t, III, p.
53. Ce passage, tiré du Livre sur les monstres et les prodiges,
ne se trouve que dans l'édition de 1585.
(12) Pratique civile et criminelle pour les justices inférieures
du duché de Lorraine, conformément à celle des sièges ordinaires
de Nancy, Nancy, J. Garnich, 1614, iv-53 feuillets in-4°.
(13) Des procureurs lorrains demandaient des supplices plus
terribles. Un procureur, Didier Colin, écrit sur un exemplaire
de la Pratique civile et criminelle, de Claude Bourgeois : «
Aucuns disent qu'il n'y a douleur si grande que celle qui vient
de la distillation d'eau froide sur le nombril. Aucuns que les
millepèdes, cloportes ou pourcelets Saint-Antoine, appliqués et
retenus sur le nombril, font plus grand rage et tourment. » Cité
par R. de Souhesmes, la Torture et les anesthésiques, dans les
Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1901, p. 10.
(14) Raynouard, les Templiers.
(15) Glaude Bourgeois se rend bien compte des objections qu'on
peut faire à la torture : « La question est dangereuse,
écrit-il; le plus souvent l'innocent y confesse; autrefois, le
coupable malfaicteur l'endure et à ce moyen est absous. » Mais
de ces prémisses il n'ose pas tirer la conclusion.
(16) Quelques accusées très exaltées arrivaient à devenir
insensibles à la douleur. Le juge le savait et voyait dans ce
fait une manoeuvre de Satan. Le Diable aidait ses suppôts : il
se logeait sous les ongles et dans les poils. C'était un autre
motif pour raser les victimes. Le diable leur avait appris des
formules magiques qui supprimaient la douleur; aussi on les
exorcisait. Cf. R. de Souhesmes, loc. cit., p. 5 et suiv. Les
accusées qui ne manifestaient pas de douleur n'étaient pas
relâchées; on renvoyait seulement celles qui n'avouaient pas,
malgré leurs évidentes souffrances.
(17) Cant. de Pont-à-Mousson.
(18) Cant. et arr. de Saint-Dié, Vosges.
(19) Démonolatrie, p. 347.
(20) Haraucourt, cant, de Saint-Nicolas; Ban-sur-Meurthe,
Vennezey, cant. de
Gerbéviller.
(21) Nous devons pourtant citer un jésuite allemand qui osa
protester. Frédéric Spee avait accompagné dans les environs de
Bamberg et de Würzbourg de nombreuses sorcières au bûcher, et,
comme l'évêque de Würzbourg, Jean Philippe de Schönborn,
s'étonnait que ses cheveux fussent blancs avant l'âge, il
répondit : « C'est à cause de la douleur éprouvée en conduisant
des innocentes au supplice. » Spee fit paraître en 1631 un livre
où il s'élevait contre la sorcellerie : Cautio criminalis seu de
processibus contra sagas liber ad magistratus Germaniae hoc
tempore necessarius, Sur ce livre, cf. Soldan, Geschichte der
Hexenprocesse, t. II, p. 187.
(22) Au début du XVIIe siècle, il y eut quelques exécutions sur
la place du Marché.
(23) Voir les comptes des receveurs.
(24) « Sed ne hac quidem ratione numquam putavi plene legibus
esse satisfactum » (Démonolatrie, p. 200-201).
(25) On consultera, sur Melchior de La Vallée, Henri Lepage, les
Chartreuses de Sainte-Anne et de Bosserville (Nancy, 1851), et
un autre article du même, Melchior de La Vallée et une gravure
de Jacques Bellange, dans les Mémoires de la Société
d'archéologie, 1882, p. 257. Un autre procès célèbre fut celui
d'André des Bordes, maitre d'armes du duc Henri II. Cf. Henri
Lepage, André des Bordes, épisode de l'histoire des sorciers en
Lorraine, dans les Mémoires de la Société d'archéologie, 1857,
p. 5-55. Nous comptons raconter prochainement l'histoire de ces
deux procès.
(26) En Allemagne, la confiscation n'était pas de règle. Voir
Soldan, t. 1, p. 453.
(27) Il avoue avoir condamné à mort, de 1576 à 1592, comme
échevin, 900 victimes : ce qui nous donne une moyenne annuelle
de soixante, et les exécutions furent plus nombreuses après sa
nomination de procureur.
(28) Gaston Save, la Sorcellerie à Saint-Dié, dans le Bulletin
de la Société philomathique de Saint-Dié, 1887-1888. |