Instruction
primaire - 1837
Tableau de
l'instruction primaire en France
Par P. Lorain
1837 [...]
5° Des patois.
La question des patois peut être considérée de deux
manières.
Faut-il, pour la satisfaction des antiquaires, pour la
commodité des linguistes, pour varier les plaisirs de
quelque voyageur blasé, entretenir et favoriser dans nos
provinces toutes les diversités d'idiome qui s'y
rencontrent, les honorer comme des ruines qu'on ne peut
toucher sans sacrilège? Alors ceux qui encouragent
aujourd'hui les traductions de nos bons livres en
bas-breton ou en platdeutsch ont raison; il faut, dans
les écoles normales primaires, créer des chaires de
Gascon et de Champenois, et, l'on n'aura pas grand'peine
à atteindre son but dans les campagnes, car la routine
seule suffît depuis long-temps pour y prohiber tout
progrès de la langue Française.
Faut-il prendre en pitié le sort de ces milliers de
Français qui ne savent pas le français; pour qui
l'article de la Charte qui déclare tous les Français
accessibles aux emplois n'est pas une vérité; qui
peuvent servir huit ans sous les drapeaux, sans avoir
l'espérance de devenir caporaux; qui ne peuvent
comprendre les lois de leur pays, l'arrêt qui les
condamne dans un procès, les actes administratifs qui
les régissent; qui ne peuvent, à raison de la diversité
des langues, sympathiser par aucun point avec le peuple
dont ils sont réputés frères, pas plus qu'au jour où
leur province fut réunie à la couronne de France ?
Est-il temps en effet d'opérer véritablement cette
réunion par l'uniformité du langage et des moeurs, et de
ne plus distinguer des races gaéliques ou germaniques,
ou ibériennes, mais de les fondre toutes dans l'unité
nationale ? En ce cas, dût-on nous traiter de Vandale,
nous sommes d'avis qu'on tranche au vif dans cette
antique transmission des patois, et que chaque école
soit une colonie de la langue française en pays conquis.
Nous en sommes malheureusement encore bien loin. Un
inspecteur se présente dans le canton de..., ou de...,
sur le territoire français, et, comme préliminaires
d'examen, il demande quelques renseignements. On
s'attroupe autour de l'étranger qui parle une langue
inconnue; le maire est appelé et finit par s'aboucher
avec lui à l'aide d'un trucheman. L'inspecteur se
transporte chez l'instituteur, le voilà en pays de
connaissance, et déjà, bien que sentant ses habitudes de
patois (126), la lecture des bambins de l'école réjouit
son oreille par des sons français. Il parle, mais
personne ne lui répond: il est inutile de dire que les
élèves ignorent la langue, quand nous saurons que le
maître qui doit la leur enseigner ne la connaît pas
lui-même ; ou bien si, par un heureux hasard, il est en
état de la montrer, tout s'oppose autour de lui à ce
qu'il réussisse.
[...]
L'écriture, dans les écoles où elle existe n'est
généralement pas la faculté d'enseignement la plus
négligée. La facilité de se procurer à peu de frais de
bons modèles, quand la main du maître n'est pas assez
exercée pour les faire lui-même, et surtout le goût et
l'aptitude des enfants pour les arts graphiques
expliquent naturellement ce fait, qui peut avoir encore
une raison dans la négligence de l'instituteur. Pendant
que les enfants écrivent leur page, le maître, peut à
son choix, lire, dormir, ou bêcher son jardin et; il
n'est pas étonnant qu'il se sente tenté de prolonger
volontiers et de renouveler souvent ce genre d'exercice.
On pourrait seulement désirer qu'au lieu de cette
écriture appliquée, on leur fit prendre de temps en
temps, l'habitude d'une écriture courante, qui leur
manque entièrement, et qui peut cependant leur devenir
utile.
Il est surtout important d'abolir un usage funeste
adopté dans un grand nombre de provinces. L'instituteur
a plusieurs prix différents. La lecture, forme la
rétribution la plus modeste sur son tarif, mais
l'écriture élève déjà le prix d'ecolage : quand il
s'agit du calcul et de la grammaire, c'est un nouveau
marché à conclure. Qu'arrive-t-il de là ? Les familles se
disent, en envoyant leur enfant à l'école: qu'il
apprenne à lire, nous verrons plus tard pour l'écriture
(347). Tous ces petits malheureux sont donc obligés de
passer, le nez collé sur leur croix de Jésus, les six
heures de classe de la journée, sans aucun profit pour
leur instruction; et il eût bien mieux valu employer à
leur faire tracer quelques lettres le temps qu'ils ont
perdu à faire semblant de préparer la leçon de lecture.
On sent d'ailleurs combien ce retard est préjudiciable à
leurs études, en même temps qu'il les accoutume à une
inertie d'esprit vraiment fatale.
126.
[...]
Meurthe; arr. de Lunéville, cant. de Blamont. - La
lecture des imprimés est passable; mais elle se ressent
partout de l'accent et du patois du pays
347.
[...]
Meurthe; arr. de Lunéville, cant. de Blamont. - Dans
presque toutes les communes rurales, les parents ne
veulent pas que leurs enfants apprennent d'abord à
écrire et à chiffrer, parce que la rétribution est de 4
ou 5 sous de plus par hiver, pour la classe de ceux qui
écrivent, et encore parce qu'il faudrait user des plumes
et du papier. |