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12 août 1914 - Badonviller - L. Schaudel (1/3)
 

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12 août 1914
BADONVILLER
... une ville sans histoire est un corps sans âme...

Louis SCHAUDEL



BADONVILLER
«  Une ville sans histoire est un corps sans âme. »

PREMIÈRE PARTIE
Aperçu géographique

BADONVILLER, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) est situé à l'extrémité occidentale des derniers contreforts des Vosges moyennes, sous 53°89' de latitude et 330 mètres d'altitude. Les édifices de la partie ancienne de la ville s'étagent, depuis l'église dominante jusqu'au bas du vallon d'érosion fluvio-glaciaire, par où la Blette - l'antique Albuletta - écoule les eaux limpides de deux combes d'inégales longueurs, qui se joignent à l'entrée de l'ancien faubourg d'Alsace. Autour de ce noyau central se sont développés, à différentes époques, à l'est, les habitations construites le long de l'avenue de la Chapelotte; au sud-est, l'important faubourg d'Alsace; à l'ouest, le faubourg de France, avec le quartier de la gare, et une cité ouvrière entièrement reconstruite et agrandie auprès de la Faïencerie d'Édouard-Théophile FENAL; enfin, au sud, les maisons de la route de Lunéville et un autre groupe d'habitations ouvrières en formation dans le quartier du Souhait.
La population de la ville, en 1926, s'élevait à 2.152 habitants.
Une route bien entretenue traverse la ville du N.-0. au S.-E. et, par le col de la Chapelotte, se dirige sur Allarmont - Bionville, dans la vallée de la Plaine .. Un embranchement, se détachant à droite, avant la sortie de la ville, traverse l'ancien faubourg d'Alsace et, par Nabeine et le carrefour de la Vierge-Clarisse, conduit à Pierre-Percée pour aboutir à Celles-sur-Plaine.
A l'ouest, près de la gare, une route se dirige sur Bréménil, relié à Angomont par un chemin vicinal; sur Petitmont, relié au Val-et-Châtillon, et sur Cirey. A 500 mètres de la gare, prend naissance, sur cette route, un chemin de grande communication, qui est le prolongement d'une voie antique, dite chemin de Blâmont, venant de Pexonne et de Fenneviller et traversant la grande rue du faubourg de France, pour continuer vers le nord, sous forme de chemin creux, dit la Creuse, aujourd'hui en partie comblé et abandonné. La partie septentrionale, qui subsiste, met Badonviller en communication directe avec Blâmont et les villages intermédiaires de Montreux, Nonhigny, Harbouey et Barbas. Un embranchement, après 700 mètres de parcours sur cette voie, conduit à Neuviller, Saint-Maurice et Sainte-Pôle.
Au sud-ouest, la route, après bifurcation au Souhait du chemin de Fenneviller, Pexonne, Neufmaisons et Raon-l'Étape, se dirige en ligne droite sur Sainte-Pôle, Montigny et Ogéviller, où elle aboutit sur la route nationale reliant Nancy et Lunéville à l'Alsace, par Blâmont et Sarrebourg.
Deux voies ferrées, l'une exploitée par la Compagnie de l'Est, et l'autre par le Département, relient Badonviller, la première à Baccarat, par Pexonne, Vacqueville, Merviller, et la seconde, par Saint-Maurice, Sainte-Pôle, Montigny, Mignéville, à Herbéviller, point de jonction avec la ligne de Lunéville à Blâmont.
Anciennement la ville, avec son mur d'enceinte et ses fossés, formait un ovale allongé, dont le grand axe
N .-S. mesurait 250 mètres et le petit axe E.-O. 190 mètres. Deux portes seulement donnaient accès à l'intérieur; elles étaient à pont-levis, surmontées de tours à créneaux et mâchicoulis, et servaient de prisons. Celle de l'Est était connue sous la dénomination de Porte d'en bas ou d'Allemagne, et celle de l'Ouest sous le nom de Porte d'en haut ou de France. A côté de cette dernière se dressait une grande tour, avec sa chambre de guet. A l'extérieur de chacune des deux portes, à droite et à gauche, deux ouvrages, dits moineaux, renforçaient la défense.
L'église romane s'élevait sur l'emplacement actuel de l'Hôtel de Ville; elle était dédiée à Saint-Martin, patron de la paroisse, Comme elle tombait en ruine, elle fut remplacée, en 1786, par l'église de style Empire, qui fut méthodiquement détruite, le 12 Août 1914, par les incendiaires des premiers envahisseurs ennemis. Classée depuis comme monument historique, elle a été entièrement restaurée, grâce à l'indemnité de guerre allouée à la Commune et mise à la disposition de la Coopérative de reconstruction autorisée de Badonviller.
A l'extrémité méridionale de la ville, un groupe de vieilles maisons, quelques-unes adossées contre l'ancien mur d'enceinte, porte le nom énigmatique de Château de Famine. C'est évidemment l'ancien château de Badonviller, que sa situation au fond du vallon de la Blette, permettait d'entourer d'eau sur tout le pourtour, constituant ainsi le réduit de la place, dont les fossés en pente, naturellement à sec, étaient, déjà au commencement du 16e siècle, convertis en jardins. La dénomination Château de Famine, se rapporte probablement à un siège prolongé. Dans une partie du mur d'enceinte démolie en 1921, on a découvert, dans une cavité ménagée dans l'intérieur du mur, un oeuf desséché à côté d'un objet en pierre, aussi régulier que s'il eut été façonné au tour, affectant une forme ovoïde un peu allongée, aux deux extrémités tronquées, mesurant 33 centimètres de hauteur. L'incorporation de ces deux objets dans le mur d'enceinte répond évidemment à la même idée superstitieuse, que la coutume barbare, souvent constatée, d'emmurer un être vivant, quelquefois un chat, dans la croyance de renforcer et de rendre invulnérable la construction.
Au moment du partage du comté de Salm, en 1598, Badonviller comptait 133 maisons dans l'intérieur de la ville, 13 au faubourg d'Alsace, y compris la maison au-dessus de l'étang Le Borgne; et 13 maisons au faubourg de France, y compris la ferme du Chamois.
Les comtes y possédaient alors en commun, la Halle, avec l' Auditoire et ses dix chambres, greniers et caves. Ils possédaient, en outre, deux maisons désignées en 1570 sous les noms : 1° «  de Grande maison, avec écuries et grange réservées au comte de Sa lm pour ses trains et suite, et pour y loger quand il lui plait». - 2° la maison, «  dite de Blâmont, avec son étable, ses granges, beufveries, et jardin »,
Ces maisons étaient situées près de la Porte d'en bas, de part et d'autre du chemin, et reliées par une galerie ainsi décrite par Jean Lours, maçon tailleur: «  Galerie en pierre de taille entre les deux corps de logis du comte de Salm à Badonviller posée sur 6 arches soutenues d'un gros pilier au milieu et contenant 6 jumelles et les plats fonds de taille», Une autre maison seigneuriale existait à gauche de l'église actuelle, sans doute sur l'emplacement du presbytère; on y battait monnaie au 17e siècle.
Un temple protestant, construit vers 1612, s'élevait sur la petite place, à l'entrée de la rue Notre-Dame. Sa fermeture ayant été prononcée en 1625, il fut consacré au culte catholique sous le titre de Notre-Dame, le 25 mai 1625.
Signalons encore un monastère d' Annonciades, fondé en 1633, au faubourg d'Alsace et supprimé en 1791. Ses bâtiments abritent aujourd'hui une fabrique de velours.
Au commencement de 1636, la petite forteresse de Badonviller subit le sort que la politique de Richelieu réserva à la plupart des châteaux et villes fortifiées de la Lorraine; elle fut démantelée et livrée ainsi sans défense aux incursions fréquentes lors de la guerre dite des Suédois.
Les deux portes subsistaient encore au 19e siècle; mais un incendie, survenu en 1826 pendant la nuit, détruisit 15 maisons avec la porte de France. Un autre incendie, plus terrible encore, qui se produisit en 1830, en plein jour cette fois, renversa de fond en comble 80 maisons, avec l'Hôtel de ville, qui avait été bâti en 1811, et la porte d'en bas; 18 maisons furent en outre très endommagées. Il y eut malheureusement à déplorer, de plus, la mort de deux hommes, écrasés par la chute d'un mur, et de deux femmes asphyxiées dans leur cave.
L'Hôtel de ville fut promptement restauré; mais les deux portes, plutôt gênantes pour la circulation, disparurent définitivement.
La fréquence et les effroyables effets de ces incendies s'expliquent par ce fait, que les toitures étaient presque toutes couvertes en bois par des esseins (essentes) ou bardeaux heureusement remplacés depuis par des tuiles.

HISTOIRE
Origine - Moyen âge
Époque moderne jusqu'en 1914.

L'origine de Badonviller semble remonter aux derniers siècles de l'époque gallo-romaine, à en juger notamment par son nom qui, sous la forme latine primitive: Badovillare a pour racine la dénomination franque Bald, Baldi ou Baldo et pour suffixe le terme latin vilare, qui habituellement désigne un hameau. Dans la langue romane dérivée du latin, Baldovillare a pris la forme Baudonviller, qu'elle a conservée jusqu'au 17e siècle. Il est permis de croire que Baldi ou Baldo transformé en Baudon (1), puis en Badon, désignait un de ces chefs de corps auxiliaires francs entrés au service de l'Empire et recevant, en guise de solde, des terres à cultiver. Établis à demeure dans un pays, avec leurs femmes et leurs enfants, ils formaient à la fois un groupe militaire et un village avec son chef choisi par le gouvernement romain. Les noms analogues de Fenneviller, d'Ancerviller, de Herbéviller, d'Ogéviller, comme aussi celui d'Angomont, témoignent que d'autres groupes d'auxiliaires francs étaient établis à demeure dans la région, sans doute pour fortifier la défense de cette partie subvosgienne contre les invasions des barbares d'Outre-Rhin.

(1) Cette racine du nom de Badonviller n'a aucun rapport avec celui de saint Bodon, fondateur de l'abbaye de Bonmoutier (Bodonis monasterium) transféré au Xle siècle du Val à Saint-Sauveur.

Comme pour la presque totalité des villes et villages lorrains, l'existence et les manifestations de l'activité humaine, à Badonviller, restent dans les ténèbres pendant toute la période qui précède le 12e siècle.
La première mention certaine, qui nous soit parvenue, se trouve dans l'Histoire de l'abbaye de Moyenmoutiers, ouvrage très documenté de M. l'abbé Jérôme. Nous apprenons ainsi, que sous l'abbatiat de Bertrice (1077-1115), Roland de Badonviller, fit donation à l'abbaye, pour sa sépulture, de sa part de franc-alleu, qu'il possédait près de Pexonne, composée de prés, champs, forêts et manses. Jean de Bayon, dans sa Chronique de Moyenmoutiers, nous apprend qu'Otton de Badonviller, frère de Roland, était venu à Moyenmoutiers accompagné d'une suite nombreuse pour s'entendre avec les religieux sur les conditions de la donation, ou plutôt de la vente. En échange des biens concédés, les religieux payèrent 28 livres à Otton de Badonviller. Quant à Roland, il obtint les revenus de l'église Saint-Pierre de Pexonne sa vie durant.
Un acte du 22 juin 1124, relatif à la dédicace de l'église de l'abbaye de Senones, cite parmi les témoins présents Rainero de Baldovillare. Ce Rainero de Badonviller était évidemment un seigneur noble d'importance; car il figure dans l'acte à côté de Herman II, comte de Salm, du comte Conrad de Langenstein. de Bencelin de Turquestein, les personnages les plus puissants de la région à cette époque.
Enfin, un document daté de l'octave de Pâques 1243, nous apprend que Rudolphe et Rembold, frères, seigneurs de Fraquelfaing, village du canton de Lorquin, avaient donné à l'abbaye de Notre-Dame de Saint-Sauveur, 4 quartes de seigle et 18 sols toulois sur leur alleu de Badonviller; que cet alleu ayant été acquis par le comte de Salm, celui-ci déclare que ladite redevance annuelle sera prélevée sur le gerbage des seigles et sur les cens que le villicus, c'est-à-dire le maire ou le receveur du comte lève à Badonviller.
A partir de ce moment, il semblait que Badonviller n'eût plus d'autres seigneurs que les comtes de Salm, quand une charte du mois de mai 1257, jusqu'ici inédite ou du moins inaperçue, me révéla un fait resté inconnu, à savoir que Badonviller appartenait alors, pour les trois quarts seulement au comte de Salm, et pour un quart aux Templiers. Ce document, l'un des premiers écrits en langue romane dans la région, est d'une importance capitale pour l'histoire de Badonviller, ainsi qu'en témoignera l'analyse suivante:
Henri (IV) comte de Salm fait connaître, qu'avec l'approbation et la volonté de dame Lorette sa femme, il a fait communauté, avec le maître et ses frères de la Chevalerie du Temple, de tout ce qu'il possède à Badonviller et son ban, en tous profits et us, à savoir en hommes, femmes, terres, prés, bois, eaux, dîmes, gerbages, moulins, pacages, rentes et toutes seigneuries, à l'exception des hommes d'Alencombe, qui demeurent au comte et à ses héritiers, en telle forme et en telle justice qu'auparavant, sauf que la dîme et le gerbage resteront à la communauté de Badonviller. Le comte se réserve aussi l'étang de Badonviller et la pêche. Le moulin de cet étang est en la communauté octroyée aux frères du Temple.
Le maître et les frères de la Chevalerie du Temple, de leur côté font savoir qu'ils ont fait communauté avec le comte de Salm et dame Lorette sa femme et leurs hoirs, de tout ce qu'ils ont en ladite ville de Badonviller, son ban et ses alentours, ainsi qu'à Fenneviller, son ban et tout ce qu'ils y auraient en tous us et profits, en bois, en eaux, moulins, rentes, dîmes gerbage, en droitures, en pâturages, en toutes seigneuries, en tout profit et valeur, à l'exception des dons de l'église de Badonviller, qui demeurent aux maître et frères du Temple sans partage. - Les deux parties se réservent le droit d'amener ou envoyer des porcs au pacage dans la forêt appartenant à la ville de Badonviller et aux dits frères, en payant le même prix que les autres porcs étrangers.
Dans la communauté ainsi formée, le comte de Salm déclare avoir trois parts et les frères du Temple une quatrième part seulement, en toute valeur et profit. Le comte de Salm déclare, que lui et ses héritiers ne peuvent s'accroître en cette communauté sans le maître et les frères du Temple et réciproquement, et qu'ils ne peuvent, l'un sans l'autre, avoir service de la ville, ni mener en ost et chevauchée les hommes de la communauté.
Le comte et ses héritiers doivent, par leur serment, tenir les assises et les franchises, qu'ils ont mis en ladite ville de Badonviller; ils ne peuvent les reprendre, l'un sans l'autre, ni les renouveler ou les changer sans le consentement réciproque des deux parties.
Les comparsonniers devaient établir chaque année un maire commun, qui devait jurer et faire serment de garder loyalement les droits du comte et ceux des Templiers : ce maire, le comte de Salm et les frères du Temple peuvent le changer chaque année, sous consentement réciproque. Ils doivent également nommer les autres administrateurs de la ville. Si par aventure, il advenait désaccord entre le comte et les Templiers sur la nomination du maire, les échevins en éliraient un ou les aideraient à établir un homme sage et probe pour l'une comme pour l'autre partie. Ils déclarent, que ni le comte, ni le Temple ne peuvent retenir les hommes du comte venant de ses autres seigneuries.
Le comte de Salm fit serment, pour lui et ses hoirs, de tenir bien et loyalement cette communauté et il ajoute que s'ils allaient à l'encontre, ils devaient réparation, à la requête des maître et frères du Temple, dans la quinzaine de la requête ou commandement, et s'ils ne le faisaient, le comte et ses hoirs avec lui s'obligent à demander à Mgr l'évêque de Toul de les excommunier partout dans son évêché, tant qu'ils n'auraient renoncé à leurs entreprises et rendu les dommages qui en seraient résultés.
Le maître et les frères du Temple devaient tenir fermement les stipulations de l'accord, et s'ils contrevenaient aux conventions de la communauté et n'en faisaient réparation dans la quinzaine qu'ils en seraient requis, le comte de Salm et ses hoirs reprendraient tous leurs engagements, tant que les contrevenants n'auraient renoncé à l'entreprise et rendu les dommages.
Il est convenu, en outre, que les maîtres et les frères du Temple ne pouvaient mettre en d'autres mains les biens de la communauté, ni par échange, ni par vente, ni par donation (1).

(1) L'acte fut revêtu des sceaux du comte Henri et de dame Lorette, sa femme, encore pendants à l'original en parchemin, copié et collationné par Nicolas Remy, notaire apostolique.

Nous savons maintenant que, dès le 13e siècle, Badonviller formait une communauté sous la seigneurie des comtes de Salm pour les trois quarts, et des Chevaliers du Temple pour un quart; que déjà auparavant, les habitants avaient obtenu des franchises et une organisation judiciaire et administrative comprenant des échevins. C'est là un fait très remarquable pour l'époque.
A partir de ce moment, l'histoire de Badonviller se confond avec celle du comté de Salm, dont elle devint le chef-lieu administratif et militaire.
Le comté de Salm, confiné à son origine, dans la partie de l'Ardenne située entre le pays de Liège et celui de Luxembourg, devint au XIe siècle l'apanage d'un cadet de l'illustre maison de Luxembourg, Herman I, élu roi d'Allemagne en 1080, contre l'empereur Henri IV. Son fils Herman Il, fort de l'appui des comtes-évêques de Metz, de sa parenté, étendit ses possessions vers le sud, et, grâce à son mariage avec Agnès, fille de Thierry I comte de Montbéliard et de Bar, et veuve d'un comte de Langenstein, le comté de Salm finit par s'étendre à travers le Saulnois et le Blâmontois jusque sur les domaines de l'abbaye épiscopale de Senones où Herman Il exerça les droits de voué sous la suzeraineté de l'évêque de Metz. Dans ce vaste ensemble étaient compris le château de Pierre-Percée et Badonviller.
Henri I, fils et successeur de Herman li, fut ainsi l'un des plus puissants seigneurs de la Lorraine et comme son père et son aïeul, il joua un rôle considérable dans les événements enregistrés par l'histoire du 12e siècle. A sa mort, le comté fut amputé des possessions ardennaises qui, par suite du mariage d'une fille de Henri I, passèrent à son mari Frédéric de Vianden, lequel devint ainsi la tige des comtes de Salm-en-Ardenne.
Les domaines revenant à Henri Il, fils unique de Henri I, constituaient encore un comté d'une imposante étendue, et son prestige fut encore accru par son mariage avec Judith, de la maison ducale de Lorraine. Pour justifier le titre de comte de Salm-en-Vosge, opposé à celui de Salm-en-Ardenne, Henri II fit construire le château de Salm, aux confins de l'Alsace, au milieu des grandes forêts du bassin supérieur de la Bruche, sur un plateau d'où la vue pouvait planer au loin et plonger dans les vallées profondes avoisinantes. Le choix de cet emplacement indique clairement les visées politiques, poursuivies par la maison de Salm de la première dynastie, tendant à créer un grand État indépendant dans cette partie des Vosges. Un tel projet avait d'autant plus de chance de succès, que Henri pouvait y mettre le temps, étant mort presque centenaire; il fut inhumé aux côtés de sa femme Judith de Lorraine dans un tombeau de l'église abbatiale de Senones, dont le moine chroniqueur Richer sculpta lui-même les ornements. Malheureusement pour la réussite du rêve ambitieux de la maison de Salm-en-Vosge de graves dissensions s'élevèrent entre Henri II et les deux fils issus de son union avec Judith, dont la conduite scandaleuse. d'après Richer, amena de violents conflits. Les comtes de Salm trouvèrent d'ailleurs dans l'évêque de Metz, Jacques de Lorraine, un formidable adversaire.
Le fils aîné, Henri III étant mort prématurément en 1228, laissant un fils en bas âge, le puîné Ferry, déjà du vivant de son père s'empara de tout l'héritage au mépris des droits de son neveu. Grâce à sa mère, Marguerite de Bar, le fils de Henri III eut heureusement pour lui l'appui du puissant comte de Bar pour soutenir ses légitimes revendications. Voici ce que nous apprend à ce sujet le moine Richer, dans sa chronique latine contemporaine: «  Finalement Dieu suscita à Ferry un fort adversaire dans la personne de Henri, son neveu, fils de son frère Henri, qui réclamait la moitié du comté de Blâmont. Il chercha d'abord à le leurrer par de belles promesses; mais enfin réduit par la force des armes, il dut lui abandonner sa part, à savoir Morhanges et Viviers, les châteaux de Pierre-Percée et de Salm. Ferry retint pour lui Blâmont et le haut château de Deneuvre ».
Il y eut donc, après la mort de Henri II une nouvelle amputation du comté de Salm, au détriment duquel se
forma le comté de Blâmont. - Ferry est ainsi la tige des sires de Blâmont. - Ce qui restait du comté de Salm-en-Vosge revint au fils unique de Henri III et de Marguerite de Bar. Il fut, vers la fin de 1247, mis en possession des châteaux de Morhanges, de Salm, de Pierre-Percée et dépendances, par conséquent de Badonviller, et régna sous le nom de Henri IV. C'est donc lui qui est l'auteur de la charte de mai 1257.
Comment les Templiers devinrent-ils à cette époque co-seigneurs de Badonviller pour un quart ? Ce ne peut être que par donation, soit de la part du comte de Salm, soit de la part d'autres seigneurs tels que ceux dont il a été question au début du 12e siécle. On sait que l'Ordre du Temple fut fondé en Palestine vers 1119; les chevaliers de cet ordre militaire furent ainsi désignés parce que le roi Baudoin II les avait établis dans les dépendances de son propre palais de Jérusalem, tout près de l'emplacement qu'occupait jadis le temple Salomon.
De la Champagne, qui fut le berceau de la chevalerie du Temple en Occident, l'Ordre se répandit en Lorraine, sans aucun doute à la suite de divers voyages de saint Bernard, qui s'était fait l'ardent apôtre de la milice. Chevalier de race et moine de vocation, nul mieux que l'illustre abbé de Clairvaux n'était à même de faire revivre avec intensité l'idéal religieux du Temple. Son «  Éloge de la nouvelle chevalerie » s'en fait encore l'écho. Or, saint Bernard, au cours de l'un de ses voyages, est venu à l'abbaye voisine de Haute-Seille, fondation de la famille des comtes de Salm. Rien d'étonnant que sa parole enflammée ait suscité des vocations. Jusqu'ici, nous ne connaissions dans notre région que le Temple de Saint-Georges de Lunéville et, d'une manière bien imparfaite, les établissements de Domjevin, Mignéville, Xousse, Foulcrey, Autrepierre, Hattigny. Il faut y ajouter maintenant celui de Badonviller.
Les seigneurs nobles ne furent pas seuls à demander leur entrée dans l'ordre du Temple, les bourgeois, roturiers ou vilains vinrent aussi s'offrir; car on faisait cordialement accueil à chacun. Ceux que leur condition première n'avait pas préparé au métier des armes, et eussent été en Terre-Sainte de médiocres auxiliaires, utilisèrent leur connaissance de l'agriculture et leur aptitude au commerce et devinrent de précieux instruments pour l'exploitation des propriétés de l'Ordre.
Le personnel du Temple comprenait ainsi deux classes de religieux: les frères du couvent et les frères de métier. La première classe admettait, outre les chapelains, les chevaliers proprement dits et les sergents en état de porter les armes; la seconde confondait les sergents attachés au service intérieur de la maison ou à l'exploitation du domaine. Ces derniers, d'un rang inférieur, constituaient le personnel domestique et agricole des commanderies; eux seuls étaient affectés aux travaux manuels, s'aidant à l'ordinaire de gens à gages qu'ils surveillaient. L'Ordre, dans les premiers temps, n'était pas dominé par le désir immodéré des richesses. Tant qu'ils guerroyèrent contre l'infidèle, les moines-chevaliers n'étaient pas ce que nous appellerions des hommes d'argent. S'ils recherchaient l'argent, c'était beaucoup moins pour lui-même que parce qu'il est par excellence le nerf de la guerre.
On sait comment l'Ordre du Temple fut aboli sous le roi Philippe-le-Bel. Après la suppression de l'Ordre
par le Concile de Vienne, en 1312, la plus grande partie des biens qu'il possédait en France et aussi en Lorraine, fut dévolue aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Ce fut une déception pour Philippe-le-Bel, dont le zèle déployé contre les Templiers ne couvrait pas autre chose que la confiscation à son profit de richesses immenses. On sait avec quelle cruauté, on agit contre les chevaliers du Temple. Sur un ordre royal, les Templiers de France furent arrêtés, presque le même jour, au mois d'octobre 1307. Les crimes de l'accusation étaient énormes, extravagants. Ceux qui refusaient d'avouer étaient torturés, tenaillés: plusieurs succombèrent à leurs blessures; les innocents n'avaient d'autre ressource que le mensonge: à ce prix on leur assurait la vie sauve. Ainsi s'explique le grand nombre d'aveux que recueillirent les inquisiteurs. Aujourd'hui un fait est définitivement acquis, le Temple en tant qu'Ordre est innocent des crimes dont on l'a si longtemps accusé. Les frères du Temple étaient des hommes avec leurs qualités et leurs défauts; en amassant des richesses, ils devaient forcément s'attirer l'envie, la haine et la persécution.
Les Templiers de Lorraine subirent-ils le sort de leurs frères d'autres pays ? Digot, qui leur a consacré une étude dans les Mémoires de fa Société d'archéologie lorraine en 1868, dit, qu'il ne paraît pas qu'au moment où éclata l'orage, ils aient été poursuivis avec autant de sévérité qu'en France, et qu'en Allemagne on ne les arrêta nulle part. Mais, après le décret du pape Clément V au Concile de Vienne, les Templiers de Metz furent dispersés. Il en fut certainement de même à Badonviller, et nous trouvons le quart des dimes grosses et menues passé en la possession de la commanderie des Hospitaliers de Saint-Georges de Lunéville jusqu'en 1570, époque à laquelle ceux-ci les cédèrent aux religieux de l'abbaye voisine de Saint-Sauveur.
Il serait intéressant de savoir où se trouvait l'établissement des frères du Temple. Est-ce à Badonviller même ? L'emplacement d'une exploitation agricole au Chamois, (altération évidente de Chanoy, forme ancienne de Chênois) a longtemps retenu mon attention, mais il y a un nom, caractéristique celui-là, qui, s'il est reconnu authentiquement ancien, pourrait résoudre la question. C'est le nom de Jérusalem attaché à une petite exploitation rurale, sur le versant occidental de la côte au sommet de laquelle se dressait le château de Pierre-Percée. Toute cette côte, autrefois en culture et aujourd'hui en voie de reboisement, offrait des terres cultivables et d'excellents pâturages. Les comptes du 16e siècle, donnant une description assez détaillée du château, mentionnent comme annexes : «  des étables, granges, basses-cours .. », et celui de 1579 signale la restauration «  d'un coin de mur de la beufverie des vaches». La tradition attribue le nom de Jérusalem du petit bâtiment de ferme situé à quelques centaines de mètres seulement en contre-bas du château, à un comte de Salm, en souvenir de sa participation à une croisade. Cela paraît d'autant plus invraisemblable, que les comtes Henri I et Henri Il, qui pourraient être mis en cause, n'habitaient ni l'un ni l'autre le château de Pierre-Percée. On peut, beaucoup plus logiquement semble-t-il, supposer, que les Templiers, seigneurs comparsonniers du comte de Salm pour un quart du territoire de Badonviller, occupaient l'ancien château de Langenstein. Les terres voisines du versant oriental de la Grande Combe offrirent, aux frères de métier, un vaste champ d'exploitation agricole sur toute leur partie méridionale. La partie septentrionale de cette combe était couverte, du fond à la cime, de magnifiques forêts de sapins présentant, maintenant, hélas ! de sinistres clairières, hier encore hérissées de troncs desséchés, décapités, déchiquetés par les milliers d'obus tirés des hauteurs du col de la Chapelotte et où déjà, heureusement, la nature a repris et poursuit son oeuvre de régénération.
En dehors de la charte de 1257, d'un intérêt capital pour Badonviller, il existe une autre source précieuse de renseignements sur les évènements intéressant égaiement notre ville. C'est la chronique en latin du moine Richer de l'abbaye de Senones, écrite de 1254 à 1264 et contenant de nombreux et très curieux détails sur les relations de cette abbaye avec les comtes de Salm, ses voués relevant directement de l'évêque de Metz. En cette qualité, Henri IV trouva en Jacques de Lorraine, l'évêque suzerain, un adversaire redoutable, nettement hostile dès le début et qui finit par obtenir la cession du haut domaine des châteaux allodiaux de Salm et Pierre-Percée.
La première manifestation de ce plan d'extension dont il a été question, se fit jour lors du partage du comté de Salm entre Ferry de Blâmont et son neveu, partage favorable à Jacques de Lorraine, qui obtint la transformation de la seigneurie de Blâmont en fief de l'évêché de Metz.
Un premier conflit s'éleva à l'occasion de la construction de bâtiments destinés à l'exploitation de l'eau salée d'un puits creusé, sur l'ordre du comte Henri IV, près de son château de Morhange. L'évêque voyant sans doute dans cet établissement une concurrence à ses propres salines du voisinage, s'empressa d'y mettre opposition et, bien que les constructions y fussent déjà très avancées, il les fit démolir, causant ainsi de sérieux dommages au comte de Salm. Celui-ci résolut alors de vendre cet alleu au duc de Lorraine et le reçut de lui en fief le 21 juillet 1255.
De nouvelles contestations ne tardèrent pas à surgir entre l'évêque Jacques de Lorraine et le voué de l'abbaye de Senones. Une mine de fer ayant été découverte près de Grande Fontaine - canton de Schirmeck - le comte de Salm y fit construire des fours et y établit des ouvriers chargés, les uns d'extraire le minerai et les autres de travailler le fer. L'abbé et les religieux de l'abbaye de Senones, prétendant alors que les forges avaient été construites sur leur domaine, allèrent trouver Jacques de Lorraine, qui résolut aussitôt de charger son prévôt de détruire les bâtiments. Le prévôt ne se contenta pas de ruiner les forges; il emporta, en outre, tous les outils el marteaux qui s'y trouvaient. Les pertes énormes, ainsi successivement infligées au comte Henri IV. l'obligèrent finalement à consentir à la vente de ses châteaux allodiaux de Salm et de Pierre-Percée.
Le moine Richer nous apprend à ce sujet une coutume, qui mérite d'être retenue. Voici la traduction du passage la concernant: «  L'évêque, assisté d'hommes experts, se transporta à l'un et à l'autre châteaux et y coucha[; il y établit les gardes des tours et les concierges des maisons, et, après constatation de cette prise de possession par des actes, il les rapporta à son évêché. Et dès lors, l'évêque se montra plus conciliant envers le comte de Salm ».
Ce récit ne mentionne pas la reprise en fief des deux châteaux vendus; mais le fait est établi par un acte authentique, daté du 9 décembre 1258, revêtu des sceaux du comte Henri et de Lorette, sa femme, ainsi que des sceaux de la communauté de Metz et de l'évêque Jacques de Lorraine.
Malgré ses offres d'arrangement avec l'abbaye de Senones, le comte Henri IV ne put rétablir les forges du vivant de l'évêque Jacques. Mais la situation changea de face à la mort de ce prélat, survenue en 1260. Cette situation est exposée en toute franchise par le moine Richer qui, après avoir consigné dans sa chronique la mort de Jacques de Lorraine, ajoute: «  Maudit est celui qui se repose sur la force de ses bras; car en moins de rien le secours de l'évêque Jacques nous fût ôté. Et, comme nous comptions beaucoup sur l'aide et la faveur de cet évêque, nous éprouvâmes qu'il valait mieux s'arrêter aux promesses du Seigneur, qu'à celles des princes. En effet, au moment même où nous espérions que, grâce à lui, nous serions mis hors des mains du seigneur de Salm, l'évêque Jacques, frappé de maladie, mourut. Et par cette fin, nous fûmes déçus de notre attente ».
Richer continue en disant, que le comte de Salm commença aussitôt à agir contre l'indépendance du couvent. Son bailli Renaud, avec quelques hommes, se présenta au monastère et demanda aux religieux, réunis en l'absence de leur abbé, de donner leur avis sur la proposition du comte Henri de les prendre sous sa sauvegarde. Après délibération, la majorité des frères présents décida de ne pas accepter l'offre et, «  par ce moyen, ajoute mélancoliquement le chroniqueur, nous refusâmes notre bonheur; car des gens d'armes, en présence de ce refus, saisirent toute l'abbaye et ses granges».
Renaud, dont il est question et que Richer qualifie de «  satellite du diable» était un frère naturel du comte Henri IV, qui l'avait fait son bailli, avec résidence, semble-t-ll, à Badonviller.
Après ce premier acte d'une autorité, tenue longtemps en échec par le suzerain défunt et désormais rétablie, le comte de Salm fit rebâtir et restaurer les forges, exploiter les forêts pour fournir le charbon et réinstaller les mineurs et les forgerons. Les religieux de l'abbaye de Senones répondirent à cette reprise de possession par une sentence d'excommunication contre le comte Henri IV et ses adhérents, ce qui provoqua une nouvelle intervention du bailli Renaud, qui, usant des représailles si fort en honneur à l'époque, retourna au monastère pour vendre à l'encan et enlever les meubles, chevaux, boeufs, vaches, brebis, pourceaux. Il procéda de même au dépouillement des prieurés de La Brocque et d'Ancerviller.
A partir de ce moment, les religieux de Senones proclamaient chaque jour l'excommunication du comte de Salm et de ses adhérents.
C'est durant cette phase de la lutte qu'eut lieu, en signe suprême de protestation, la cérémonie d'exposition des statues et châsses de saints sur des lits de branchages d'épines posées à terre, cérémonie, d'ailleurs défendue par les conciles et notamment en 1274 par le pape Grégoire X. Le moine Richer a décrit, comme suit, cette singulière forme de protestation : «  Après avoir pris l'avis et le conseil du vénérable Gillon, évêque de Toul et d'autres prudents personnages, nous mîmes bas les images sacrées de notre Rédemption, de saint Siméon, septième successeur de saint Clément évêque de Metz; les ayant posées à terre, nous commençâmes avec de grands pleurs et d'âpres soupirs à nous écrier: Nous avons soutenu la paix et elle n'est pas venue; nous avons cherché le bien et voici le trouble. O Seigneur ! nous connaissons assez nos fautes, ne sois pas courroucé contre nous à jamais ».
En l'absence de l'abbé Baudoin, qui semble s'être tenu éloigné de Senones, le prieur Mathieu - jeune homme de bonne conversation, dit Richer - et tous les autres frères sortirent du monastère en procession précédés de la croix et se rendirent à Moyenmoutier, où ils passèrent la nuit. A partir de là, sur l'ordre de l'abbé, ils se retirèrent en divers lieux. Il demeura cependant dans le cloître à Senones, le moine Richer et un autre religieux du nom de Bertrand, gravement malade.
Ne pouvant obtenir du nouvel évêque de Metz, Philippe de Florenges, que des promesses verbales restées sans effet, les religieux se rendirent auprès de Gillon, évêque de Toul qui, après avoir entendu leurs doléances, fit écrire par un notaire, à Alexandre, abbé de Moyenmoutier, une lettre en l'invitant à se rendre sans délai auprès du comte de Salm «  Pour le mettre en demeure de renoncer à son iniquité, de rendre tout ce qu'il avait enlevé et de ne pas différer à donner satisfaction à Dieu et à l'Éqlise. »
Aussitôt qu'il reçut ce commandement, poursuit Richer dans sa chronique latine, l'abbé de Moyenmoutier se mit en route pour s'acquitter de sa mission. Étant venu à Badonviller, il y trouva «  cet ange de Satan» Renaud, bailli du seigneur de Salm, surexcité dans sa malice. Interrogé sur le but de son voyage, l'abbé fit connaitre l'objet de sa mission. Renaud, aussitôt transporté de colère, fit arrêter l'abbé Alexandre et le mit dans un local sous la garde de ses satellites. Ceux-ci, pensant que l'abbé supporterait les frais, firent de grandes dépenses au point qu'en deux jours elles s'élevèrent à huit sols toulois.
Les frères de Moyenmoutier ayant appris que leur abbé était détenu captif, se rendirent en toute hâte auprès de Godefroy, prévôt du duc de Lorraine, pour l'en informer. Le prévôt réunit aussitôt quelques hommes d'armes avec lesquels il se dirigea sur Badonviller, lieu de détention de l'abbé; mais, arrivé à mi-chemin, on lui conseilla de ne pas s'avancer davantage sans avoir demandé auparavant la mise en liberté de l'abbé de son seigneur, et qu'en cas de refus seulement, il pourrait avec raison agir à sa volonté. Le prévôt envoya promptement deux hommes d'armes, qui demandèrent l'élargissement de l'abbé captif. En présence de cette intervention du prévôt du duc de Lorraine, le bailli fit relâcher son prisonnier. L'abbé notifia alors solennellement le mandement qu'il avait reçu de l'évêque, déclarant le bailli et le comte de Salm excommuniés, la terre de ce dernier mise sous défense et interdiction, excepté le viatique aux mourants et le baptême des enfants.
Ce récit, extrêmement intéressant pour l'histoire de Badonviller, résoud, à mon avis, la question bien souvent posée, mais non résolue, de la date de construction de son ancien mur d'enceinte, presque toujours attribué au 16e siècle, alors cependant que les comptes de la châtellenie de cette époque mentionnent des réparations de brèches de ce mur «  tombant de vétusté ». Or, l'épisode raconté plus haut par le chroniqueur Richer nous apprend, qu'au milieu du 13e siècle, Badonviller était déjà le siège d'un bailli et possédait une prison, indices certains de lieu fortifié.
Le comte de Salm, par contre, habitait le château de Salm, et, connaissant la manière habituelle de Richer, de dramatiser et d'exagérer les incidents survenus entre l'abbaye de Senones et son voué épiscopal, je ne crois pas me tromper beaucoup en attribuant à Henri IV lui-même, sans attendre l'intervention du prévôt du duc de Lorraine, l'ordre d'élargissement de l'abbé de Moyenmoutier. Les choses ont dû se passer ainsi: l'Abbé Alexandre vint à Badonviller pour notifier la sentence d'excommunication. Le bailli, principal auteur des méfaits commis, retint en prison l'envoyé de l'évêque de Toul, en attendant les ordres du comte de Salm. Or, il fallait bien les deux jours, que dura le séjour de l'abbé Alexandre, pour aller au château de Salm et revenir à Badonviller porteur de l'ordre de remise en liberté. L'intervention du prévôt lorrain, qui d'ailleurs demandait plus de temps, n'était donc pas nécessaire. La précaution, recommandée au prévôt de ne pas s'avancer en troupe, et de se faire précéder de deux hommes d'armes seulement, indique, sans nul doute, l'existence d'une forteresse qui, si elle laissait pénétrer deux hommes d'armes, eût été évidemment mise en état de défense à l'approche d'une troupe armée. Nous pouvons donc sans crainte, attribuer à la première moitié du 13e siècle, la construction du mur d'enceinte et des deux portes fortifiées de l'ancien village de Badonviller, transformé alors en ville fermée.
Il serait trop long de suivre le moine Richer dans l'exposé des autres péripéties de la lutte acharnée entre le couvent de Senones et son voué. Disons seulement, que le nouvel évêque de Metz, Philippe de Florenges, ordonna le rétablissement de la paix, menaçant les religieux du monastère de Senones de se tourner contre eux, s'ils allaient à l'encontre de cette ordonnance. Un traité, daté du mois de novembre 1261, fut alors conclu entre le comte Henri IV et l'abbé Baudouin. Il fut convenu, que les mines de la montagne de Froide-Plaine et de Framont appartiendraient par moitié au comte et au couvent; que les forges seraient communes ; que les bois pour leur usage se prendraient dans les quatre bans de Senones, de Celle, de Vipucelle et de Plaine. Les bénéfices devaient être partagés par moitié. Et ainsi tout rentra dans l'ordre.
Bien qu'absorbé durant de longues années par la prise de possession et l'administration des domaines que lui apportait sa femme Lorette de Castres, et situés dans la région de Trèves, Henri IV résidait habituellement dans son château de Salm-en-Vosge. C'est là qu'alla le trouver Jacques Brétex, l'auteur du poème bien connu: Les Tournois de Chauvenci, qui débute par le récit d'un voyage où il reçut l'hospitalité du comte Henri. Le portrait moral, qu'il nous en a laissé, contraste singulièrement avec les faits, manifestement exagérés, mis à sa charge par l'auteur de la chronique de l'abbaye de Senones. Brétex déclare, en effet; que le comte Henri dépasse les autres en courtoisie, libéralité, franchise et noblesse, et il vante sa bonté et sa sagesse.
L'emploi du temps de ce trouvère, le jour de la fête de Notre-Dame, c'est-à-dire le 15 Août 1284, offre un tableau pittoresque et vivant de l'existence des Châtelains de l'époque, que nous sommes heureux de saisir ici au vif. Au point du jour, annoncé au son de la corne par le guetteur du donjon, Jacques Brétex sortit du château de Salm pour faire une promenade dans la forêt voisine. Tout en chevauchant silencieusement sous bois, il fit la rencontre d'un chevalier tenant en main le tronçon d'une grosse lance, brisée sans doute dans l'attaque de quelque gros gibier. Il reconnut Conrad Werner de Rastatt, landvogt ou comte provincial de la Haute-Alsace. La conversation s'engagea et le poète en profita pour inviter le noble seigneur alsacien et son fils Conradin à se rendre, pour la saint Remy prochaine, à Chauvency où ils trouveraient une grande assemblée de barons et de nobles dames pour éprouver leur vaillance dans les joutes et les tournois, pour danser et se divertir. Là-dessus, ils se séparent et Jacques Brétex retourna au château de Salm, où la table étant déjà mise et occupée, on s'empressa d'en disposer une à côté pour son service. Il apprit au comte Henri sa rencontre avec Conrad Werner et il provoqua le rire de l'assistance en imitant le langage roman incorrect et les défauts de prononciation du chevalier alsacien.
Après le dîner, Jacques Brétex prit congé du comte de Salm, qui lui fit cadeau d'une cotte d'armes, d'un corselet, d'une housse verte «  de mouffles et d'un chaperon fourré de bon fin vair ». Il le fit en outre accompagner par l'un de ses valets. En se dirigeant sur le Saunois et Metz. le poète passa sûrement par Badonviller, et il désigne sous le nom cl' Ariviller le lieu de sa première étape. J'ai supposé qu'il s'agît de la contraction du nom d'Ancerviller. Mais on pourrait également croire à une mauvaise lecture de Badonviller ou à une distraction du poète. Quoi qu'il en soit, Jacques Brétex, en quittant le château de Salm, a dû gagner la vallée de la Plaine, par le chemin passant au col de Prayé, suivre ensuite cette vallée jusqu'auprès de Celles, pour s'engager dans la combe et l'antique voie de Chararupt et passer, soit à Pierre-Percée en prenant à gauche, soit, en continuant directement vers le carrefour de la Vierge Clarisse, à Badonviller. Brétex dit qu'à son arrivée à la nuit, il fut reçu «  A qrant joie et à qrant desduit », c'est-à-dire avec joie et grandes réjouissances, grâce à la recommandation du comte de Salm ; et ceci est un argument de plus en faveur de Badonviller, comme lieu de la première étape.
Henri IV, dont les entreprises industrielles sont remarquables pour l'époque, mourut en 1292 et fut inhumé dans l'abbaye de Salival, où déjà reposait Lorette de Castres, son épouse. Henri, l'aîné de leurs enfants, étant mort en 1288, c'est le puîné qui continua la lignée sous le nom de Jean 1er.
Les documents sur les successeurs du comte Henri IV pendant les XIVe et XVe siècles ne contiennent que fort peu de renseignements se rapportant à Badonviller. La création du comté voisin de Blâmont, à la suite du partage de la succession du comte Henri II et de sa femme Judith de Lorraine, en faveur de leur puîné Ferry, ne pouvait manquer de susciter des conflits entre les cieux maisons désormais rivales. Cet antagonisme fatal s'aggravait encore d'une hiérarchie féodale compliquée amenant parfois les cieux comtes à se trouver dans des camps opposés, simplement parce qu'ils étaient vassaux de l'un ou de l'autre des suzerains belligérants.
C'est ainsi, qu'en 1301, Henri I, sire de Blâmont, attaque le comte Jean I de Salm qui, dans une rencontre à Neuviller près de Badonviller, fut vaincu et forcé de céder à son cousin ce qu'il possédait à Sainte-Pôle, et de lui donner six hommes en remplacement d'un pareil nombre de tués dans le combat.
Le 29 juin 1342, dans une guerre entre l'évêque de Metz et le comte de Bar, le comte de Salm dut s'engager envers ce dernier à commencer, quatre jours avant la saint Barthélemy (20 août), une guerre ouverte à Henri III, sire de Blâmont et à maintenir en campagne 40 hommes d'armes, et plus si le cas le requiert, à ses frais et dépens.
En 1364 éclata, entre Thiébaut 1er, sire de Blâmont et l'évêque de Strasbourg, une guerre, à laquelle fut mêlé le comte de Salm Jean III et qui fut désastreuse pour notre région. Thiébaut, ne se sentant pas suffisamment en force, appela à son aide les bandes d'aventuriers connus sous le nom de Bretons et commandés par un chef surnommé l'Archiprêtre. Ces bandes jetèrent la terreur et la désolation dans le comté de Salm, dont ils ravagèrent les terres sans que personne n'osât leur résister. Dom Calmet, qui rapporte cet évènement, estime au chiffre, sans doute exagéré, de 40.000 hommes, le nombre de ces aventuriers envahisseurs.
En 1370, c'est le duc de Bar qui marche contre l'évêque de Metz et le comte de Salm.
En 1391, par un traité d'alliance conclu avec Jean de Vergy, les comtes de Deux-Ponts et de Sarrewerden, le comte de Salm s'engage à commencer la guerre contre le seigneur de Blâmont dans les 15 jours après la requête; les quatre alliés s'engagent, en outre, à fournir 10 hommes d'armes chacun et à les envoyer à Badonviller ou à Pierre-Percée «  ou autre part que meilleur serait aussi près des terres dudit seigneur de Blâmont », Un accord intervenu à temps empêcha l'ouverture des hostilités projetées.
Dans les premières années du XVe siècle, Jean, comte de Salm, se trouve mêlé à un conflit autrement grave, suscité par la politique de Louis duc d'Orléans, frère du roi Charles VI, se manifestant par l'achat du duché de Luxembourg. Le 2 janvier 1406, un traité d'alliance ayant été conclu entre l'évêque de Metz, la ville de Metz et Charles duc de Lorraine, contre Philippe de Nassau-Sarrebrück, Jean comte de Salm, Ferry de Moers et Gérard de Boulay, ceux-ci y répondirent en se liguant, avec le duc d'Orléans, contre la cité messine, par un acte connu sous le nom de Traité des quatre seigneurs, du 13 février 1406. Ils s'engageaient à mettre sur pied, à leurs frais, 150 hommes d'armes. Le duc d'Orléans, de son côté, devait fournir 150 hommes d'armes, 50 hommes de trait et une somme de 6.000 francs. Le duc de Bar entra le même jour dans la ligue, s'engageant à fournir 50 hommes d'armes. Toutes les conquêtes, fut-il stipulé, devaient être partagées en trois parts: l'une au duc d'Orléans, la seconde au duc de Bar et au marquis du Pont, et la troisième aux quatre seigneurs alliés.
Mais, au lieu des conquêtes prévues, ce fut, au premier choc contre les troupes du duc de Lorraine, près de Champigneulles, une défaite complète qui attendait les alliés. Philippe de Nassau, Frédéric de Sarrewerden et Jean, comte de Salrn, furent faits prisonniers et internés à Nancy. Le duc de Lorraine et ses partisans, parmi lesquels Henri IV de Blâmont, en profitèrent pour ravager les territoires des vaincus.
Les prisonniers obtinrent leur liberté en 1407, chaque comte payant pour lui et ses gens 60.000 écus. La paix fut conclue le 25 juillet 1408.
Nous ne serons donc pas surpris de trouver, à cette époque, le quart des châteaux et châtellenies de Salm, Pierre-Percée et Badonviller en la possession de Philippe de Norroy, seigneur de Port-sur-Seille, qui les tenait en gage du comte de Salm. Ce quart fut acheté en 1416 par Henri IV de Blâmont moyennant 900 vieux florins. En mariant l'année suivante sa fille Henriette à Bernard, comte de Thierstein, avec une dot de 4.000 florins, il assigna 2.000 florins sur la partie des châtellenies de Salm, Pierre-Percée et Badonviller qu'il tenait ainsi en gage.
Après la mort de Henriette de Blâmont survenue avant 1434, l'engagement, qui formait une partie de sa dot, fut racheté au comte de Thierstein par sa belle-soeur Marguerite de Lorraine, veuve de Thiébaut I de Blâmont, qui, en 1438, acheta à Badonviller pour 240 florins une maison, que son cousin Simon, comte de Salm, déchargea de l'hommage qui lui était dû.
Par son testament daté du 6 avril 1469, Marguerite de Lorraine déclare donner à son fils Olry tous les biens meubles qu'elle avait à Deneuvre et à «  Bauldonviller » en quelque manière que ce soit, en or, en argent monnayé ou non monnayé, ou autrement. Elle donne encore à son puîné, Oiry, avant tout partage, les gages qu'elle a sur tout le comté de Salm, ainsi que les acquisitions faites par elle à «  Bauldonviller» et les bans voisins. -
Vers cette époque, la maison de Salm-en-Vosge se divisa de nouveau en deux branches: celle de Jean VI, qui fut tué aux côtés du duc René à la célèbre bataille de Bulgnéville, en 1431, et celle de Simon, son frère. Ce dernier, à sa mort en 1471, n'ayant laissé qu'une fille, Jeannette de Salm, mariée en 1469 à Jean V Rhingraf ou comte du Rhin, sa moitié du comté de Salm passa-à la branche des Rhingrafs de Dauhn et de Kirbourg, dont ledit Jean V fut ainsi la tige.
Nous ne suivrons pas les comtes de Salm et les Rhingrafs dans leurs exploits, qui se rattachent à l'histoire générale, les premiers comme grands dignitaires et chefs militaires du duché de Lorraine, et les Rhingrafs comme colonels de reîtres allemands au service de la France.
En 1548, à la mort du comte de Salm Jean VIII, son fils aîné, Jean IX, à l'exclusion de ses deux frères Paul et Claude, hérita seul de la moitié du comté de Salm. Il eut pour comparsonnier, d'abord Philippe-François, mort en 1561, puis son fils aîné, Jean-Philippe, colonel de lansquenets et de 1500 chevaux Reîtres au service du roi de France. Blessé à mort à la bataille de Moncontour en 1569, Jean-Philippe fit son testament et institua pour son héritier l'enfant dont pourrait être enceinte Diane de Dommartin, sa femme, et à son défaut ses héritiers naturels. Mais, d'après le pacte de famille, le Rhingraf Frédéric, son frère, devint comte de Salm pour la moitié, et non la Rhingrafine Claude, fille posthume de Jean-Philippe et de Diane de Dommartin.
Le Rhingraf Frédéric, également blessé à la bataille de Moncontour, était encore au service de la France en 1574, lors de la cinquième guerre de religion, ainsi qu'il ressort d'un titre concernant Badonviller dont allait prendre possession Diane de Dommartin, sa belle-soeur. Il y eut un accord entre Jean IX, comte de Salm et Frédéric, comte sauvage du Rhin et de Salm, colonel de 1500 Reîtres pistoliers au service de France. Le mariage de Frédéric avec Françoise de Salm, soeur de Jean IX, consacra encore pour la deuxième fois, l'alliance entre les deux maisons comtales.
De nombreux documents que j'ai consultés aux archives de Nancy projettent une vive lumière sur l'existence à Badonviller pendant la seconde moitié du 16me siècle, sous le gouvernement en commun du comte Jean IX et du Rhingraf Frédéric. Ces derniers résidaient habituellement, le premier à Nancy, à l'hôtel de Salm, qui occupait alors l'emplacement de la Cour d'appel, et le deuxième, au château de Neuviller-sur-Moselle. Pour leurs séjours à Badonviller, ils disposaient de deux grandes maisons, reliées par une galerie, et restaurées, en 1570, par les soins de l'ingénieur Claude Marjollet, venu de Nancy à Badonviller pour organiser et diriger les travaux; ceux-ci furent effectués par Me Jean Lours, maçon tailleur, Adam Jean Colotte et Collardin, charpentiers, Me Noël Estienne, peintre et verrier, Jean de Barbas, maréchal et Nicolas Claude, serrurier, tous demeurant à Badonviller; W Nicolas Wyriot, charpentier, et Georges Poirson, recouvreur, demeurant à Blâmont.
Châtelains. - Les deux comtes avaient, pour les représenter à Badonviller, chacun son châtelain exerçant en commun l'action souveraine sur tout le comté de Salm resté indivis jusqu'en 1598. Nous trouvons ainsi successivement en fonctions, en 1564 Bertrand Louvyot, en 1569 Jean Barnet, en 1597 Nicolas Jacob, en 1598 Dietreman, pour le comte de Salm Jean IX; Jean Saffrois, Jean Hanus, de Bilistein, Guillaume Gille pour le Rhingraf Frédéric.
Parmi leurs collaborateurs vient au premier rang le Gruyer, officier chargé de la garde des bois et des rivières du comté. En 1564, cet office est exercé par Jean Saffrois, que nous trouvons comme châtelain en 1570 et remplacé à cette date par Jean Liebault; en 1591 et 1598, fonctionne Demenge Rouyer.

Portiers. - Deux portiers, établis en commun par les deux seigneurs auxquels ils prêtaient serment, gardaient alternativement, de jour, et secondés par un bourgeois, les deux portes de la ville. Ils faisaient de même alternativement, la nuit, le guet à la Tour d'en haut. Quant au guet de nuit de la porte d'en bas, il était assuré par les pâtres. Portiers et pâtres devaient sonner, à chaque heure de la nuit, les cloches des tours, pour prouver leurs veilles.
Les portiers, après la fermeture, portaient tous les soirs les clefs des portes aux deux comtes ou à leurs châtelains. Les émoluments des portiers incombaient, pour les trois quarts aux comtes et, pour un quart, au Commandeur de Saint-Georges de Lunéville.
En 1589, nous trouvons Mengin Magdeleine, portière et Nicolas Hanzo, portier; puis, Nicolas Barbier et Mengin Masson, en 1590.

Arquebusiers. - Pour la défense de la ville, une institution, dite la centaine de Badonviller, réunissait dans la seconde moitié du 16e siècle, 68 arquebusiers, 2 sergents de bande, avec banneret, tambourin et fifre, ayant quelque analogie avec la société de tir ou notre corps de sapeurs-pompiers.
Les arquebusiers, comme les portiers et les messagers, étaient francs et exempts d'impositions. Ils s'exerçaient au maniement et au tir de l'arquebuse qui, primitivement, était une arme de rempart et ne devint une arme plus portative qu'après divers perfectionnements, notamment la substitution du rouet à la batterie à mèche. Revêtus d'une casaque aux couleurs de Salm, ils fournissaient des escortes aux seigneurs de passage, des éclaireurs en temps de troubles ou de guerre, et formaient même parfois des petits corps d'expédition, comme en témoigne une lettre de l'abbé de Haute-Seille se plaignant que les officiers de Badonviller, â la tête de 24 ou 25 arquebusiers, étaient venus à Haute-Seille s'emparer de 26 têtes de bétail en gage, par suite du refus de payer les contributions dues aux comtes de Salm pour droit de sauvegarde.

Industries. - L'industrie, si renommée de la fabrication d'armes à Badonviller, était exercée par les arquebusiers, dont les maîtres les plus souvent cités appartiennent à une famille Wirion. Dès 1509, apparaît un «  hacquebutier » du nom de Chrestien, qui fournit des épieux de chasse au duc de Lorraine. De 1566 à 1577, maître Didier Wirion envoie des canons d'arquebuse et des pistolets à Jean IX, comte de Salm et au duc de Lorraine. En 1579, Demengeon Galet, dit Wirion obtint le droit de construire, à ses frais, une meule «  à esmoudre et percer canons de harquebuses » sur le ruisseau de Bréménil, et, en 1606, le comte de Salm «  laissa et ascensa à perpétuité à Jean et Paul les Mathis, frères, maîtres forgeurs de canons à Badonviller, la moitié du cours de l'eau provenant du ruisseau qui vient de Bréménil, sur lequel ils tiennent une meulle à esmoudre et fourrer canons, au-dessus de celle que tient Jean Virion, maréchal demeurant à Neufviller ... ».
En 1618, Samuel Lucas, marchand d'armes à Badonviller, obtint, de son côté, la permission d'ériger «  une muelle à esmoudre des canons d'arquebuses en un pré du finage de Badonviller, lieu dit à Herpey, parmi lequel y passe un petit ruisseau ».
Trois autres meules se trouvaient, sur la Blette, dans la prairie dessous la ville de Badonviller, sans compter la Forge située sur l'étang dit de la Pile.
Vers 1619, un Règlement, édicté par le comte de Salm, érigea en corporation distincte les «  maîtres et compagnons arquebusiers et forgeurs de canons, et autres gens de la forge -
et de la lime, de Badonviller et son faubourg ».
Une autre industrie ne tarda pas à prospérer: c'est celle des tanneries, à laquelle se rapporte l'ascensement, en 1620, par les officiers du comte de Salm, à Jacob Brazy, du cours de l'eau passant sous sa maison, ën vue de faire bâtir un moulin ou battant à piler les écorces. A en croire une requête que, vers le commencement du 18e siècle, les habitants adressèrent au comte de Salm, les tanneries de Badonviller étaient «  les plus belles de la province et peut-être de l'Europe, par rapport à leur situation et à la bonté des cuirs que l'on y façonne ». Elles étaient bâties en forme de maisons et pavillons dans le faubourg. Surchargés d'impôts, ajoute la requête, «  les tanneurs sont ruinés, et ne travaillent plus pour eux, mais seulement à l'oeuvre et au profit d'un marchand de Strasbourg, nommé Chéron, qui leur donne des cuirs à façonner et qui en fait un grand commerce dans tout le pays ».
Une industrie, dont le développement prit tout de suite une grande activité, apparut à Badonviller en 1583, date de la construction d'une tuilerie à l'angle des bois Champels. Bâtie sur l'ordre du comte Jean IX et du Rhingraf Frédéric, elle fut remise, pour neuf années, à Cugny Jean Roy, résidant à la tuilerie de Beaupré, Thomas et Jean Roy, ses fils; puis à Jean Roy seul, à charge de fournir chaque année quatre milliers de tuiles plates aux deux comtes de Salm.
Rappelons enfin, que par lettres patentes du 10 mai 1724, «  le duc Léopold, voulant contribuer à l'augmentation du commerce dans ses États, permit à un nommé Daniel d'Heguerty de faire ériger à Badonviller, une manufacture de faïence et de porcelaine, sans prétendre exclure toutes autres personnes d'en faire construire de semblables ». C'est donc à cette date que remonte l'industrie de la faïence et porcelaine, qui a pris un si magnifique développement sous l'action féconde de feu Théophile Fenal et que son fils Édouard-Théophile dirige aujourd'hui, en même temps que les importantes et célèbres faïenceries de Lunéville et de Saint-Clément.

La Réforme à Badonviller. - C'est le Rhingraf Philippe-François qui, le premier, dès 1518, adopta la réforme et finit par propager les idées nouvelles dans le comté de Salm. Ses fils, Jean-Philippe et Frédéric, pour lesquels les champs de bataille paraissent avoir eu plus d'attraits que les controverses religieuses, professaient les mêmes opinions. Quant au comte Jean IX de Salm, il paraît s'être d'abord opposé aux innovations des Rhingrafs, mais finit par se résoudre à tenir la balance égale entre les partisans des deux cultes.
La première mention d'un «  ministre de la parole de Dieu de l'église réformée de Badonviller » se trouve dans le compte des dépenses de l'année 1564, pour une somme de 25 francs payée à Jean Figon; en 1570, l'allocation payée au même, qualifié ministre des Évangiles, est portée à 100 francs, soit 50 francs pour le comte de Salm et autant pour le Rhingraf.
Jean Figon avait été envoyé de Metz, en 1561, à Echery, dans le val de Villé, où nous le trouvons acharné à la destruction des images et des statues religieuses. Accusé de calvinisme, il fut obligé de s'éloigner et de se réfugier à Genève; il y séjourna quelque temps auprès de Calvin et fut envoyé de là à Badonviller, où il exerça son ministère de 1564 à 1577.
En 1580, apparaît Claude des Mazures, l'un des chefs des réformés de Badonviller, fils de Louis des Mazures, originaire de Tournai, qui prêcha la Réforme à Saint-Nicolas-du-Port en 1562 et mourut à Echery en 1574. On signale, en 1590, Jean de la Chasse; en 1591, Denis de Baulne; puis Mathieu Barthol. Ce dernier, d'abord maître d'école à Sainte-Marie-aux-Mines jusque vers 1590, fit ses études théologiques au comté de Montbéliard et fut ministre à Badonviller vers le début du 17e siècle.
Parmi les prédicants de passage, on a la surprise de trouver Mathieu de Laulnoy, dont le rôle politique sous la Ligue ne saurait être trop sévèrement jugé. Il s'agit du «  Petit Launoy, boute-cul de Sorbonne » de la Ménippée, enrôlé cl' abord dans les rangs du clergé catholique.
Le Rhingraf, Philippe-Othon, fils de Frédéric, ayant accompagné à Rome, en 1591, le jeune cardinal de Lorraine, revint au catholicisme et, à son retour, travailla à la conversion de ses sujets. Il lança même un édit de proscription contre ceux qui refuseraient de se convertir; mais, cette mesure n'eut pas de succès. Après la mort du comte Jean IX de Salm, François de Vaudémont ayant pris possession de la part du comté dont héritait Christine de Salm, sa femme, joignit ses efforts à ceux du Rhingraf Philippe-Othon; il fit intervenir le Pape pour mettre ordre aux abus qui régnaient dans le clergé, et des missionnaires vinrent évangéliser les populations. Le succès ne répondit pas à tant de zèle, et les désordres, qui tous les dimanches se produisaient dans l'église commune aux deux cultes, s'aggravèrent au point que les catholiques se décidèrent à contribuer, vers 1612, à la construction d'un temple.
Ce modus vivendi se prolongea jusque vers 1625. Le 12 mars de cette année, en vertu d'un ordre impérial du 28 novembre 1624, de Ferdinand II, le comte de Salm et le Rhingraf firent publier et afficher un édit, qui prohibait l'exercice du calvinisme dans le comté et la principauté, prononçait la fermeture des temples, ordonnait aux pasteurs et aux maîtres d'école de partir immédiatement et aux habitants de se faire instruire dans le délai d'une année, sous peine de bannissement. Pour atténuer la rigueur de cette mesure, des missionnaires savants et zélés, chargés de soutenir la controverse avec les ministres, furent envoyés pour ramener le peuple par la conviction plutôt que par contrainte. L'un de ces missionnaires, le P. Nicolas Fagot, tombé gravement malade, ayant attribué sa guérison aux prières de Pierre Fourier, entreprit de le faire nommer à la cure de Badonviller. Mais, malgré l'insistance faite auprès de lui par le comte de Vaudémont, le Bon Père demeura ferme à protester, que jamais pour rien au monde, il n'abandonnerait ses paroissiens de Mattaincourt. On lui demanda alors de se charger de Badonviller, au moins jusqu'à ce que l'on pourrait y mettre un titulaire. Craignant un piège, il n'accepta qu'après de nouvelles instances, et se rendit à Badonviller pour le dimanche avant l' Assomption de 1625.
Dès son arrivée, le Bon Père fut frappé du dénuement de l'église et de l'état misérable de la cure. Les missionnaires, généralisant sans cloute quelques cas particuliers, lui dépeignirent le peuple comme grossier, prévenu, entêté, trois défauts dont le dernier seul était peut-être quelque peu mérité. Ils ajoutèrent que les catholiques, généralement pauvres, croupissaient dans une profonde ignorance, et que les hérétiques, appartenant pour la plupart à la bourgeoisie, étaient très difficiles à ramener. Mais ces déclarations, dit son biographe, au lieu de l'effrayer, ne firent qu'enflammer son zèle, et il se mit immédiatement à l'oeuvre. Il commença par visiter les malades et les pauvres, les encourageant, les exhortant et les aidant au besoin.
Dix jours s'étaient à peine écoulés, que déjà on le rappelait d'urgence à Nancy, et il repartit le jour de l'octave de l' Assomption. Il revint à Badonviller le 9 octobre, avec l'intention d'abord de rester seulement jusqu'à la Toussaint; mais, sur de nouvelles instances du comte de Vaudémont, il prolongea son séjour jusque huit jours avant Noël.
Pendant ce deuxième séjour, le dévouement du Bon Père demeurait inépuisable; mais, les journées étaient trop courtes et ne lui suffisaient plus pour prêcher dans l'église, sur les places, sous la halle, pour recevoir les abjurations, les confessions et pour répondre sans cesse à toutes sortes de personnes.
Quand, vers la fin de l'année 1625, il repartit pour Mattaincourt, la paroisse catholique put être reconstituée et les revenus, réalisés par le retour à l'unité, permirent la reconstruction du presbytère.
L'exemple donné par le chef-lieu fut bientôt suivi aux alentours et, avant la fin de l'année fixée par l'édit du 12 mars 1625, les rares obstinés s'étant retirés, les uns à Metz, les autres à Bâle, à Sainte-Marie-aux-Mines ou ailleurs, l'hérésie de Calvin disparut entièrement du pays. L'éloignement de ces familles, bien que désirable dans l'intérêt de la paix religieuse, ne fut pas sans causer un bouleversement dans la situation économique de la région: les proscrits transférèrent dans leurs lieux de refuge leur commerce ou leur industrie, au grand dommage de la prospérité de l'ancien comté de Salm. C'est ainsi, que les Willaumé ou Guillaume, les de Lassus, en émigrant vers Echery, y transportèrent leurs ateliers de passementerie, qui avaient fait la richesse de Badonviller.
Ce n'est, que devant de nouveaux refus du Bon Père que, le 17 janvier 1626, le comte de Vaudémont agréa le nomination d'un curé titulaire, auquel le Saint-Siège conféra le titre et le pouvoir de vicaire apostolique dans toute la province de Salm.
Comment le Bon Père Pierre Fourier parvint-il à réussir là où les plus savants missionnaires jésuites avaient échoué ? Tout simplement par la pratique des vertus, qui caractérisent les saints. Pénétré, comme il le déclarait constamment, dit un témoin de sa vie, de son insuffisance; intimement persuadé surtout, que le zèle et les talents d'un apôtre demeureraient absolument insuffisants, s'ils n'étaient secondés de la grâce divine, il la demandait avec instance dans la prière et l'oraison; il s'efforçait de l'obtenir par ses austérités et ses larmes. Il s'informait des misères et de la pauvreté des particuliers; il allait les consoler et leur distribuait des aumônes; il visitait les malades, prenant un soin tout spécial des plus abandonnés. Tout cela était accompagné d'une bonté et d'une cordialité sympathique, qui lui gagnaient l'affection de tous, même des hérétiques; car il ne les excluait pas de ses bienfaits. Il inspirait à tous l'estime et le respect. Ses instructions simples répandaient la lumière dans les esprits et touchaient les coeurs. Il exhortait à la réforme des moeurs, à la pratique de la charité fraternelle; il commandait aux catholiques une vie exemplaire, capable de rappeler à la véritable religion ceux qui en étaient éloignés. Il évitait de se faire des ennemis. Il se gardait de toute expression blessante et n'employait jamais les noms d'hérétiques ou de calvinistes; il préférait le nom d'étrangers, par opposition à celui de familiers de la foi que saint Paul donnait aux fidèles. Il endurait avec la même patience les mauvais traitements dirigés contre sa personne en plusieurs rencontres restées dans le souvenir local, notamment une poursuite d'un groupe de femmes, irritées, sur le chemin de Fenneviller, où il dut se blottir dans une touffe de verdure auprès d'un gros chêne remplacé plus tard par un petit oratoire. L'opinion, qui s'établit, se résume par le mot d'une femme interrogée à son sujet: «  Cest un des Justes dont parle l'Écriture »,
Le souvenir du Bon Père, aujourd'hui saint Pierre Fourier, se perpétue à Badonviller par une confrérie d'hommes, qui s'honorerait en réalisant l'idée, déjà émise, de placer sa statue dans l'une des deux niches latérales de la façade de l'église, niches restées vides en attendant les statues de saint Pierre Fourier et de saint Bernard.

Partage du Comté de Salm.- Un évènement, d'une importance capitale pour la destinée nationale de Badonviller, marque d'une manière heureuse la fin du 16e siècle. Le comte Jean IX, grand dignitaire à la cour de Lorraine, étant resté célibataire, fit, par contrat de mariage du 12 mars 1597, donation à sa nièce, Christine de Salm, de la totalité de ses biens, en toute propriété. Ce mariage avec le comte François de Vaudémont, qui pour la seconde fois unissait les saumons de Salm aux alérions de Lorraine, eut lieu le 15 avril 1597.
Des dispositions furent aussitôt prises pour dresser l'inventaire des biens du comté, encore indivis avec ceux du Ringraf comparsonnier. On procéda ensuite au partage, en formant deux lots A et B, et le sort attribua B au comte de Salm. L'acte de partage fut signé à Badonviller le dernier jour d' Août 1598, puis définitivement à Nancy et à Neufviller-sur-Moselle, les 8 et 9 septembre 1598. Ce document, qui a été publié en son entier par le baron F. Seillière dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne 1893-94. donne de précieux renseignements sur Badonviller à la fin du 16e siècle. Il mentionne les noms des propriétaires des 133 maisons de la ville, et des 26 maisons des deux faubourgs; il présente également un grand intérêt pour toutes les autres localités du comté de Salm.
Ce partage, qui laissait d'ailleurs subsister la communauté de certains droits et revenus, établit sur toute l'étendue de l'ancien comté, une infinité de terres contiguës de nationalité différente, dont l'administration plus difficile ne pouvait manquer de soulever de fréquents conflits. Aussi, les Ringrafs, dont les possessions furent érigées, par l'empire, en principauté le 8 Janvier 1623, cherchèrent-ils à mettre un terme à un état de choses, qui cependant ne prit fin qu'en 1753.
Le comte Jean IX étant mort en 1600, le comte François de Vaudémont, prit possession de la partie du comté léguée à sa femme, Christine de Salm. On sait, qu'après la mort du duc Henri Il, François de Vaudémont, son frère, fut reconnu, en novembre 1625, duc de Lorraine et de Bar, et que quelques jours après, il céda ses droits de souveraineté, sauf ceux relatifs au comté de Salm, à son fils Charles IV, époux de sa cousine germaine Nicole, fille de Henri Il. Il conserva d'ailleurs le titre de duc sa vie durant.
Dom Calmet rapporte que, surtout après cette cession, il continua à résider à Badonviller, jusqu'à sa mort survenue le 15 octobre 1632. La duchesse Christine de Salm l'avait précédé dans la tombe en 1628. Le comté de Salm, hérité par leur fils Charles IV, entra ainsi définitivement dans le duché de Lorraine.
Le duc François et la duchesse Christine, fondèrent le couvent des Annonciacles qui, occupé vers 1633, fut supprimé en 1791.

Atelier monétaire. - Par un diplôme de 1357, l'empereur Charles IV conféra au comte de Salm Jean III, le droit de frapper, dans son comté, des monnaies d'or et d'argent, de même espèce que celles de l'évêque de Metz et du duc de Lorraine. C'est en vertu de ce diplôme, que les comtes de Salm-en-Vosge et les Ringrafs eurent le droit régalien de battre monnaie et qu'ils possédaient un atelier indivis à Badonviller. On ne sait rien sur cet atelier avant le 17e siècle. Il fonctionna, de 1626 à 1632, sous François de Vaudémont.
L'admodiateur de la monnaie en 1627 était le sieur Rhodt. - En 1632, avant la mort du duc François, «  Abraham Bellart, maire de Badonviller et qualifié contrôleur de la monnaie de Badonviller, achète, pour 2 20 francs 3 gros, la maison Didier Tirion, entre la veuve Barbote et Didier Tiriville, pour servir à la dite monnaie; plus 140 francs, à Guillaume parementier chapelier, pour l'achat de la petite maison qui est proche de celle destinée à la monnaie», Ces bâtiments se trouvaient près de l'église actuelle.
Après la mort de François de Vaudémont, on cessa de frapper monnaie pendant quelques années. L'atelier recommença à fonctionner en 1639. Le 2 octobre de cette année, Christine de Croy, veuve du Ringraf prince de Salm, emprunta à la monnaie de Nancy «  les outils nécessaires à faire monnaie ».
En novembre 1639, Nicolas Méry «  essayeur des monnaies de Lorraine et de Badonviller, employant les outils empruntés, frappa quelques rixdales, aussitôt refondus à cause de la maladresse du fondeur à composer l'alliage, et quelques testons ». Ces dernières pièces, essayées le 12 décembre 1639 par Nicolas Crocx, graveur, furent trouvées bonnes de poids et de titre. - En 1640, une ordonnance de M. de Villarceaux, intendant de la justice, police et finances en Lorraine et Barrois, enjoignit aux receveurs des Salines et Recettes de Lorraine et autres, de recevoir comme bonnes les pièces d'or et d'argent fabriquées à Badonviller.
M. J. Florange a publié, sur l'atelier monétaire des comtes et princes de Salm, une excellente notice avec reproduction et description de plusieurs belles pièces sorties de la monnaie de Badonviller.

Séparation définitive du comté et de la principauté de Salm. - L'état de choses résultant du partage de 1598, avec ses multiples inconvénients, subsistait encore le 18 novembre 1738, date de la conclusion du traité de Vienne. Ce traité de paix, qui attribuait le duché de Lorraine et de Bar au roi Stanislas Leczinski et après lui à la France, cédait en fait à la France le comté de Salm, c'est-à-dire la moitié du territoire possédé, par indivis, entre le duc de Lorraine et le prince de Salm Louis-Othon, héritier du Ringraf Frédéric. Il stipulait que les limites de l'Empire et et de la Lorraine seraient réglées par des Commissaires respectifs du roi et de l'empereur. Une convention de partage fut ainsi arrêtée, à Paris, le 21 décembre 1751 ; mais, l'acte ne fut signé que le 31 décembre 1752. Les lettres patentes délivrées débutent par la déclaration, que pour couper cours aux différends réciproques, qui se sont élevés d'ancienneté à plusieurs reprises et qui pourraient encore naître à cause des indivis, terres mêlées et communes des principauté et comté de Salm, il fut convenu: que le roi de France et le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, cèdent au prince de Salm-Salm toutes les terres et lieux, qui leur appartiennent nuement ou par indivis ou en commun comme comtes de Salm, au-delà et à gauche de la rivière de Plaine. En échange, le prince de Salm a cédé au roi de France et au roi de Pologne, les terres, lieux et maisons avec leurs appartenances et dépendances, qui lui appartiennent de même nuement, ou par indivis, ou en commun avec le comte de Salm en deçà et à la droite de la Plaine, laquelle sera commune, et le milieu de la dite rivière de la Plaine fera aussi la séparation de la principauté avec la Lorraine et le comté de Salm. Le flottage de la rivière est déclaré commun, depuis la source jusqu'à la sortie du comté.
Enfin, par l'article 14, les officiers, forestiers et sergents du prince de Salm-Salm, établis à Badonviller, étaient libres de se retirer de la dite ville et d'en transférer leur domicile dans la principauté avec tous leurs meubles; un délai de deux ans leur était laissé à cet effet. Senones devint alors la capitale d'une principauté allemande autonome, enclavée dans le territoire français, et constituée en faveur du feld-maréchal Nicolas-Léopold, prince de Salm-Salm. Tous les fonctionnaires publics, visés par l'article 14, se retirèrent dans cette ville, où ils continuèrent à exercer les fonctions qu'ils remplissaient à Badonviller comme représentants des héritiers des anciens Rhingrafs. - C'est ainsi que se fixa à Senones, en 1751, Hyacinthe Messier, receveur général des finances des princes de Salm depuis 1744. Hyacinthe était le frère de Charles Messier, le célèbre astronome de la Marine, et sa fille Marie-Agnès Messier épousa le chancelier de la principauté, M. Noël. - Parmi les émigrés, citons encore Claude Relogne, médecin, fixé à Senones, en 1753, comme premier chirurgien juré de la principauté, dont le fils, Antoine Relogne, exerçait après lui la même fonction.
Cette séparation, si désirable au point de vue politique, eut des conséquences désastreuses pour Badonviller. L'ancienne capitale resta le chef-lieu d'une prévôté, dont le titulaire cumulait les Finances et la Justice du comté de Salm, encaissant les impôts, soldant les dépenses et jugeant les procès tant au criminel qu'au civil; il présidait en outre aux plaids annaux, à la saint Georges et à la saint Martin. Cette nouvelle organisation dura jusqu'à la révolution de 1789, qui fit table rase des anciennes institutions et fit entrer, la Principauté séparée de Salm-Salm elle-même, dans le cadre de l'unité française.

(à suivre)

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