12 août 1914
BADONVILLER
... une ville sans histoire est un corps sans âme...
Louis SCHAUDEL
BADONVILLER
« Une ville sans histoire est un corps sans âme. »
PREMIÈRE PARTIE
Aperçu géographique
BADONVILLER, chef-lieu de
canton de l'arrondissement de Lunéville
(Meurthe-et-Moselle) est situé à l'extrémité
occidentale des derniers contreforts des Vosges
moyennes, sous 53°89' de latitude et 330 mètres
d'altitude. Les édifices de la partie ancienne de la
ville s'étagent, depuis l'église dominante jusqu'au
bas du vallon d'érosion fluvio-glaciaire, par où la
Blette - l'antique Albuletta - écoule les eaux
limpides de deux combes d'inégales longueurs, qui se
joignent à l'entrée de l'ancien faubourg d'Alsace.
Autour de ce noyau central se sont développés, à
différentes époques, à l'est, les habitations
construites le long de l'avenue de la Chapelotte; au
sud-est, l'important faubourg d'Alsace; à l'ouest,
le faubourg de France, avec le quartier de la gare,
et une cité ouvrière entièrement reconstruite et
agrandie auprès de la Faïencerie d'Édouard-Théophile
FENAL; enfin, au sud, les maisons de la route de
Lunéville et un autre groupe d'habitations ouvrières
en formation dans le quartier du Souhait.
La population de la ville, en 1926, s'élevait à
2.152 habitants.
Une route bien entretenue traverse la ville du N.-0.
au S.-E. et, par le col de la Chapelotte, se dirige
sur Allarmont - Bionville, dans la vallée de la
Plaine .. Un embranchement, se détachant à droite,
avant la sortie de la ville, traverse l'ancien
faubourg d'Alsace et, par Nabeine et le carrefour de
la Vierge-Clarisse, conduit à Pierre-Percée pour
aboutir à Celles-sur-Plaine.
A l'ouest, près de la gare, une route se dirige sur
Bréménil, relié à Angomont par un chemin vicinal;
sur Petitmont, relié au Val-et-Châtillon, et sur
Cirey. A 500 mètres de la gare, prend naissance, sur
cette route, un chemin de grande communication, qui
est le prolongement d'une voie antique, dite chemin
de Blâmont, venant de Pexonne et de Fenneviller et
traversant la grande rue du faubourg de France, pour
continuer vers le nord, sous forme de chemin creux,
dit la Creuse, aujourd'hui en partie comblé et
abandonné. La partie septentrionale, qui subsiste,
met Badonviller en communication directe avec
Blâmont et les villages intermédiaires de Montreux,
Nonhigny, Harbouey et Barbas. Un embranchement,
après 700 mètres de parcours sur cette voie, conduit
à Neuviller, Saint-Maurice et Sainte-Pôle.
Au sud-ouest, la route, après bifurcation au Souhait
du chemin de Fenneviller, Pexonne, Neufmaisons et
Raon-l'Étape, se dirige en ligne droite sur
Sainte-Pôle, Montigny et Ogéviller, où elle aboutit
sur la route nationale reliant Nancy et Lunéville à
l'Alsace, par Blâmont et Sarrebourg.
Deux voies ferrées, l'une exploitée par la Compagnie
de l'Est, et l'autre par le Département, relient
Badonviller, la première à Baccarat, par Pexonne,
Vacqueville, Merviller, et la seconde, par
Saint-Maurice, Sainte-Pôle, Montigny, Mignéville, à
Herbéviller, point de jonction avec la ligne de
Lunéville à Blâmont.
Anciennement la ville, avec son mur d'enceinte et
ses fossés, formait un ovale allongé, dont le grand
axe
N .-S. mesurait 250 mètres et le petit axe E.-O. 190
mètres. Deux portes seulement donnaient accès à
l'intérieur; elles étaient à pont-levis, surmontées
de tours à créneaux et mâchicoulis, et servaient de
prisons. Celle de l'Est était connue sous la
dénomination de Porte d'en bas ou d'Allemagne, et
celle de l'Ouest sous le nom de Porte d'en haut ou
de France. A côté de cette dernière se dressait une
grande tour, avec sa chambre de guet. A l'extérieur
de chacune des deux portes, à droite et à gauche,
deux ouvrages, dits moineaux, renforçaient la
défense.
L'église romane s'élevait sur l'emplacement actuel
de l'Hôtel de Ville; elle était dédiée à
Saint-Martin, patron de la paroisse, Comme elle
tombait en ruine, elle fut remplacée, en 1786, par
l'église de style Empire, qui fut méthodiquement
détruite, le 12 Août 1914, par les incendiaires des
premiers envahisseurs ennemis. Classée depuis comme
monument historique, elle a été entièrement
restaurée, grâce à l'indemnité de guerre allouée à
la Commune et mise à la disposition de la
Coopérative de reconstruction autorisée de
Badonviller.
A l'extrémité méridionale de la ville, un groupe de
vieilles maisons, quelques-unes adossées contre
l'ancien mur d'enceinte, porte le nom énigmatique de
Château de Famine. C'est évidemment l'ancien château
de Badonviller, que sa situation au fond du vallon
de la Blette, permettait d'entourer d'eau sur tout
le pourtour, constituant ainsi le réduit de la
place, dont les fossés en pente, naturellement à
sec, étaient, déjà au commencement du 16e siècle,
convertis en jardins. La dénomination Château de
Famine, se rapporte probablement à un siège
prolongé. Dans une partie du mur d'enceinte démolie
en 1921, on a découvert, dans une cavité ménagée
dans l'intérieur du mur, un oeuf desséché à côté d'un
objet en pierre, aussi régulier que s'il eut été
façonné au tour, affectant une forme ovoïde un peu
allongée, aux deux extrémités tronquées, mesurant 33
centimètres de hauteur. L'incorporation de ces deux
objets dans le mur d'enceinte répond évidemment à la
même idée superstitieuse, que la coutume barbare,
souvent constatée, d'emmurer un être vivant,
quelquefois un chat, dans la croyance de renforcer
et de rendre invulnérable la
construction.
Au moment du partage du comté de Salm, en 1598,
Badonviller comptait 133 maisons dans l'intérieur de
la ville, 13 au faubourg d'Alsace, y compris la
maison au-dessus de l'étang Le Borgne; et 13
maisons au faubourg de France, y compris la ferme du
Chamois.
Les comtes y possédaient alors en commun, la Halle,
avec l' Auditoire et ses dix chambres, greniers et
caves. Ils possédaient, en outre, deux maisons
désignées en 1570 sous les noms : 1° « de Grande
maison, avec écuries et grange réservées au comte de
Sa lm pour ses trains et suite, et pour y loger
quand il lui plait». - 2° la maison, « dite de
Blâmont, avec son étable, ses granges, beufveries,
et jardin »,
Ces maisons étaient situées près de la Porte d'en
bas, de part et d'autre du chemin, et reliées par
une galerie ainsi décrite par Jean Lours, maçon
tailleur: « Galerie en pierre de taille entre les
deux corps de logis du comte de Salm à Badonviller
posée sur 6 arches soutenues d'un gros pilier au
milieu et contenant 6 jumelles et les plats fonds de
taille», Une autre maison seigneuriale existait à
gauche de l'église actuelle, sans doute sur
l'emplacement du presbytère; on y battait monnaie au
17e siècle.
Un temple protestant, construit vers 1612, s'élevait
sur la petite place, à l'entrée de la rue
Notre-Dame. Sa fermeture ayant été prononcée en
1625, il fut consacré au culte catholique sous le
titre de Notre-Dame, le 25 mai 1625.
Signalons encore un monastère d' Annonciades, fondé
en 1633, au faubourg d'Alsace et supprimé en 1791.
Ses bâtiments abritent aujourd'hui une fabrique de
velours.
Au commencement de 1636, la petite forteresse de
Badonviller subit le sort que la politique de
Richelieu réserva à la plupart des châteaux et
villes fortifiées de la Lorraine; elle fut
démantelée et livrée ainsi sans défense aux
incursions fréquentes lors de la guerre dite des
Suédois.
Les deux portes subsistaient encore au 19e siècle;
mais un incendie, survenu en 1826 pendant la nuit,
détruisit 15 maisons avec la porte de France. Un
autre incendie, plus terrible encore, qui se
produisit en 1830, en plein jour cette fois,
renversa de fond en comble 80 maisons, avec l'Hôtel
de ville, qui avait été bâti en 1811, et la porte
d'en bas; 18 maisons furent en outre très
endommagées. Il y eut malheureusement à déplorer, de
plus, la mort de deux hommes, écrasés par la chute
d'un mur, et de deux femmes asphyxiées dans leur
cave.
L'Hôtel de ville fut promptement restauré; mais les
deux portes, plutôt gênantes pour la circulation,
disparurent définitivement.
La fréquence et les effroyables effets de ces
incendies s'expliquent par ce fait, que les toitures
étaient presque toutes couvertes en bois par des
esseins (essentes) ou bardeaux heureusement
remplacés depuis par des tuiles.
HISTOIRE
Origine - Moyen âge
Époque moderne jusqu'en 1914.
L'origine de Badonviller
semble remonter aux derniers siècles de l'époque
gallo-romaine, à en juger notamment par son nom qui,
sous la forme latine primitive: Badovillare a pour
racine la dénomination franque Bald, Baldi ou Baldo
et pour suffixe le terme latin vilare, qui
habituellement désigne un hameau. Dans la langue
romane dérivée du latin, Baldovillare a pris la
forme Baudonviller, qu'elle a conservée jusqu'au 17e
siècle. Il est permis de croire que Baldi ou Baldo
transformé en Baudon (1), puis en Badon, désignait
un de ces chefs de corps auxiliaires francs entrés
au service de l'Empire et recevant, en guise de
solde, des terres à cultiver. Établis à demeure dans
un pays, avec leurs femmes et leurs enfants, ils
formaient à la fois un groupe militaire et un
village avec son chef choisi par le gouvernement
romain. Les noms analogues de Fenneviller, d'Ancerviller,
de Herbéviller, d'Ogéviller, comme aussi celui d'Angomont,
témoignent que d'autres groupes d'auxiliaires francs
étaient établis à demeure dans la région, sans doute
pour fortifier la défense de cette partie
subvosgienne contre les invasions des barbares
d'Outre-Rhin.
(1) Cette racine du
nom de Badonviller n'a aucun rapport avec celui de
saint Bodon, fondateur de l'abbaye de Bonmoutier (Bodonis
monasterium) transféré au Xle siècle du Val à
Saint-Sauveur.
Comme pour la presque totalité
des villes et villages lorrains, l'existence et les
manifestations de l'activité humaine, à Badonviller,
restent dans les ténèbres pendant toute la période
qui précède le 12e siècle.
La première mention certaine, qui nous soit
parvenue, se trouve dans l'Histoire de l'abbaye de
Moyenmoutiers, ouvrage très documenté de M. l'abbé
Jérôme. Nous apprenons ainsi, que sous l'abbatiat de
Bertrice (1077-1115), Roland de Badonviller, fit
donation à l'abbaye, pour sa sépulture, de sa part
de franc-alleu, qu'il possédait près de Pexonne,
composée de prés, champs, forêts et manses. Jean de
Bayon, dans sa Chronique de Moyenmoutiers, nous
apprend qu'Otton de Badonviller, frère de Roland,
était venu à Moyenmoutiers accompagné d'une suite
nombreuse pour s'entendre avec les religieux sur les
conditions de la donation, ou plutôt de la vente. En
échange des biens concédés, les religieux payèrent
28 livres à Otton de Badonviller. Quant à Roland, il
obtint les revenus de l'église Saint-Pierre de
Pexonne sa vie durant.
Un acte du 22 juin 1124, relatif à la dédicace de
l'église de l'abbaye de Senones, cite parmi les
témoins présents Rainero de Baldovillare. Ce Rainero
de Badonviller était évidemment un seigneur noble
d'importance; car il figure dans l'acte à côté de
Herman II, comte de Salm, du comte Conrad de
Langenstein. de Bencelin de Turquestein, les
personnages les plus puissants de la région à cette
époque.
Enfin, un document daté de l'octave de Pâques 1243,
nous apprend que Rudolphe et Rembold, frères,
seigneurs de Fraquelfaing, village du canton de
Lorquin, avaient donné à l'abbaye de Notre-Dame de
Saint-Sauveur, 4 quartes de seigle et 18 sols
toulois sur leur alleu de Badonviller; que cet alleu
ayant été acquis par le comte de Salm, celui-ci
déclare que ladite redevance annuelle sera prélevée
sur le gerbage des seigles et sur les cens que le
villicus, c'est-à-dire le maire ou le receveur du
comte lève à Badonviller.
A partir de ce moment, il semblait que Badonviller
n'eût plus d'autres seigneurs que les comtes de
Salm, quand une charte du mois de mai 1257,
jusqu'ici inédite ou du moins inaperçue, me révéla
un fait resté inconnu, à savoir que Badonviller
appartenait alors, pour les trois quarts seulement
au comte de Salm, et pour un quart aux Templiers. Ce
document, l'un des premiers écrits en langue romane
dans la région, est d'une importance capitale pour
l'histoire de Badonviller, ainsi qu'en témoignera
l'analyse suivante:
Henri (IV) comte de Salm fait connaître, qu'avec
l'approbation et la volonté de dame Lorette sa
femme, il a fait communauté, avec le maître et ses
frères de la Chevalerie du Temple, de tout ce qu'il
possède à Badonviller et son ban, en tous profits et
us, à savoir en hommes, femmes, terres, prés, bois,
eaux, dîmes, gerbages, moulins, pacages, rentes et
toutes seigneuries, à l'exception des hommes d'Alencombe,
qui demeurent au comte et à ses héritiers, en telle
forme et en telle justice qu'auparavant, sauf que la
dîme et le gerbage resteront à la communauté de
Badonviller. Le comte se réserve aussi l'étang de
Badonviller et la pêche. Le moulin de cet étang est
en la communauté octroyée aux frères du Temple.
Le maître et les frères de la Chevalerie du Temple,
de leur côté font savoir qu'ils ont fait communauté
avec le comte de Salm et dame Lorette sa femme et
leurs hoirs, de tout ce qu'ils ont en ladite ville
de Badonviller, son ban et ses alentours, ainsi qu'à
Fenneviller, son ban et tout ce qu'ils y auraient en
tous us et profits, en bois, en eaux, moulins,
rentes, dîmes gerbage, en droitures, en pâturages,
en toutes seigneuries, en tout profit et valeur, à
l'exception des dons de l'église de Badonviller, qui
demeurent aux maître et frères du Temple sans
partage. - Les deux parties se réservent le droit
d'amener ou envoyer des porcs au pacage dans la
forêt appartenant à la ville de Badonviller et aux
dits frères, en payant le même prix que les autres
porcs étrangers.
Dans la communauté ainsi formée, le comte de Salm
déclare avoir trois parts et les frères du Temple
une quatrième part seulement, en toute valeur et
profit. Le comte de Salm déclare, que lui et ses
héritiers ne peuvent s'accroître en cette communauté
sans le maître et les frères du Temple et
réciproquement, et qu'ils ne peuvent, l'un sans
l'autre, avoir service de la ville, ni mener en ost
et chevauchée les hommes de la communauté.
Le comte et ses héritiers doivent, par leur serment,
tenir les assises et les franchises, qu'ils ont mis
en ladite ville de Badonviller; ils ne peuvent les
reprendre, l'un sans l'autre, ni les renouveler ou
les changer sans le consentement réciproque des deux
parties.
Les comparsonniers devaient établir chaque année un
maire commun, qui devait jurer et faire serment de
garder loyalement les droits du comte et ceux des
Templiers : ce maire, le comte de Salm et les frères
du Temple peuvent le changer chaque année, sous
consentement réciproque. Ils doivent également
nommer les autres administrateurs de la ville. Si
par aventure, il advenait désaccord entre le comte
et les Templiers sur la nomination du maire, les
échevins en éliraient un ou les aideraient à établir
un homme sage et probe pour l'une comme pour l'autre
partie. Ils déclarent, que ni le comte, ni le Temple
ne peuvent retenir les hommes du comte venant de ses
autres seigneuries.
Le comte de Salm fit serment, pour lui et ses hoirs,
de tenir bien et loyalement cette communauté et il
ajoute que s'ils allaient à l'encontre, ils devaient
réparation, à la requête des maître et frères du
Temple, dans la quinzaine de la requête ou
commandement, et s'ils ne le faisaient, le comte et
ses hoirs avec lui s'obligent à demander à Mgr
l'évêque de Toul de les excommunier partout dans son
évêché, tant qu'ils n'auraient renoncé à leurs
entreprises et rendu les dommages qui en seraient
résultés.
Le maître et les frères du Temple devaient tenir
fermement les stipulations de l'accord, et s'ils
contrevenaient aux conventions de la communauté et
n'en faisaient réparation dans la quinzaine qu'ils
en seraient requis, le comte de Salm et ses hoirs
reprendraient tous leurs engagements, tant que les
contrevenants n'auraient renoncé à l'entreprise et
rendu les dommages.
Il est convenu, en outre, que les maîtres et les
frères du Temple ne pouvaient mettre en d'autres
mains les biens de la communauté, ni par échange, ni
par vente, ni par donation (1).
(1) L'acte fut revêtu
des sceaux du comte Henri et de dame Lorette, sa
femme, encore pendants à l'original en parchemin,
copié et collationné par Nicolas Remy, notaire
apostolique.
Nous savons maintenant que,
dès le 13e siècle, Badonviller formait une
communauté sous la seigneurie des comtes de Salm
pour les trois quarts, et des Chevaliers du Temple
pour un quart; que déjà auparavant, les habitants
avaient obtenu des franchises et une organisation
judiciaire et administrative comprenant des
échevins. C'est là un fait très remarquable pour
l'époque.
A partir de ce moment, l'histoire de Badonviller se
confond avec celle du comté de Salm, dont elle
devint le chef-lieu administratif et militaire.
Le comté de Salm, confiné à son origine, dans la
partie de l'Ardenne située entre le pays de Liège et
celui de Luxembourg, devint au XIe siècle l'apanage
d'un cadet de l'illustre maison de Luxembourg,
Herman I, élu roi d'Allemagne en 1080, contre
l'empereur Henri IV. Son fils Herman Il, fort de
l'appui des comtes-évêques de Metz, de sa parenté,
étendit ses possessions vers le sud, et, grâce à son
mariage avec Agnès, fille de Thierry I comte de
Montbéliard et de Bar, et veuve d'un comte de
Langenstein, le comté de Salm finit par s'étendre à
travers le Saulnois et le Blâmontois jusque sur les
domaines de l'abbaye épiscopale de Senones où Herman
Il exerça les droits de voué sous la suzeraineté de
l'évêque de Metz. Dans ce vaste ensemble étaient
compris le château de Pierre-Percée et Badonviller.
Henri I, fils et successeur de Herman li, fut ainsi
l'un des plus puissants seigneurs de la Lorraine et
comme son père et son aïeul, il joua un rôle
considérable dans les événements enregistrés par
l'histoire du 12e siècle. A sa mort, le comté fut
amputé des possessions ardennaises qui, par suite du
mariage d'une fille de Henri I, passèrent à son mari
Frédéric de Vianden, lequel devint ainsi la tige des
comtes de Salm-en-Ardenne.
Les domaines revenant à Henri Il, fils unique de
Henri I, constituaient encore un comté d'une
imposante étendue, et son prestige fut encore accru
par son mariage avec Judith, de la maison ducale de
Lorraine. Pour justifier le titre de comte de
Salm-en-Vosge, opposé à celui de Salm-en-Ardenne,
Henri II fit construire le château de Salm, aux
confins de l'Alsace, au milieu des grandes forêts du
bassin supérieur de la Bruche, sur un plateau d'où
la vue pouvait planer au loin et plonger dans les
vallées profondes avoisinantes. Le choix de cet
emplacement indique clairement les visées
politiques, poursuivies par la maison de Salm de la
première dynastie, tendant à créer un grand État
indépendant dans cette partie des Vosges. Un tel
projet avait d'autant plus de chance de succès, que
Henri pouvait y mettre le temps, étant mort presque
centenaire; il fut inhumé aux côtés de sa femme
Judith de Lorraine dans un tombeau de l'église
abbatiale de Senones, dont le moine chroniqueur
Richer sculpta lui-même les ornements.
Malheureusement pour la réussite du rêve ambitieux
de la maison de Salm-en-Vosge de graves dissensions
s'élevèrent entre Henri II et les deux fils issus de
son union avec Judith, dont la conduite scandaleuse.
d'après Richer, amena de violents conflits. Les
comtes de Salm trouvèrent d'ailleurs dans l'évêque
de Metz, Jacques de Lorraine, un formidable
adversaire.
Le fils aîné, Henri III étant mort prématurément en
1228, laissant un fils en bas âge, le puîné Ferry,
déjà du vivant de son père s'empara de tout
l'héritage au mépris des droits de son neveu. Grâce
à sa mère, Marguerite de Bar, le fils de Henri III
eut heureusement pour lui l'appui du puissant comte
de Bar pour soutenir ses légitimes revendications.
Voici ce que nous apprend à ce sujet le moine
Richer, dans sa chronique latine contemporaine: «
Finalement Dieu suscita à Ferry un fort adversaire
dans la personne de Henri, son neveu, fils de son
frère Henri, qui réclamait la moitié du comté de
Blâmont. Il chercha d'abord à le leurrer par de
belles promesses; mais enfin réduit par la force des
armes, il dut lui abandonner sa part, à savoir
Morhanges et Viviers, les châteaux de Pierre-Percée
et de Salm. Ferry retint pour lui Blâmont et le haut
château de Deneuvre ».
Il y eut donc, après la mort de Henri II une
nouvelle amputation du comté de Salm, au détriment
duquel se
forma le comté de Blâmont. - Ferry est ainsi la tige
des sires de Blâmont. - Ce qui restait du comté de
Salm-en-Vosge revint au fils unique de Henri III et
de Marguerite de Bar. Il fut, vers la fin de 1247,
mis en possession des châteaux de Morhanges, de
Salm, de Pierre-Percée et dépendances, par
conséquent de Badonviller, et régna sous le nom de
Henri IV. C'est donc lui qui est l'auteur de la
charte de mai 1257.
Comment les Templiers devinrent-ils à cette époque
co-seigneurs de Badonviller pour un quart ? Ce ne
peut être que par donation, soit de la part du comte
de Salm, soit de la part d'autres seigneurs tels que
ceux dont il a été question au début du 12e siécle.
On sait que l'Ordre du Temple fut fondé en Palestine
vers 1119; les chevaliers de cet ordre militaire
furent ainsi désignés parce que le roi Baudoin II
les avait établis dans les dépendances de son propre
palais de Jérusalem, tout près de l'emplacement
qu'occupait jadis le temple Salomon.
De la Champagne, qui fut le berceau de la chevalerie
du Temple en Occident, l'Ordre se répandit en
Lorraine, sans aucun doute à la suite de divers
voyages de saint Bernard, qui s'était fait l'ardent
apôtre de la milice. Chevalier de race et moine de
vocation, nul mieux que l'illustre abbé de Clairvaux
n'était à même de faire revivre avec intensité
l'idéal religieux du Temple. Son « Éloge de la
nouvelle chevalerie » s'en fait encore l'écho. Or,
saint Bernard, au cours de l'un de ses voyages, est
venu à l'abbaye voisine de Haute-Seille, fondation
de la famille des comtes de Salm. Rien d'étonnant
que sa parole enflammée ait suscité des vocations.
Jusqu'ici, nous ne connaissions dans notre région
que le Temple de Saint-Georges de Lunéville et,
d'une manière bien imparfaite, les établissements de
Domjevin, Mignéville, Xousse, Foulcrey, Autrepierre,
Hattigny. Il faut y ajouter maintenant celui de
Badonviller.
Les seigneurs nobles ne furent pas seuls à demander
leur entrée dans l'ordre du Temple, les bourgeois,
roturiers ou vilains vinrent aussi s'offrir; car on
faisait cordialement accueil à chacun. Ceux que leur
condition première n'avait pas préparé au métier des
armes, et eussent été en Terre-Sainte de médiocres
auxiliaires, utilisèrent leur connaissance de
l'agriculture et leur aptitude au commerce et
devinrent de précieux instruments pour
l'exploitation des propriétés de l'Ordre.
Le personnel du Temple comprenait ainsi deux classes
de religieux: les frères du couvent et les frères de
métier. La première classe admettait, outre les
chapelains, les chevaliers proprement dits et les
sergents en état de porter les armes; la seconde
confondait les sergents attachés au service
intérieur de la maison ou à l'exploitation du
domaine. Ces derniers, d'un rang inférieur,
constituaient le personnel domestique et agricole
des commanderies; eux seuls étaient affectés aux
travaux manuels, s'aidant à l'ordinaire de gens à
gages qu'ils surveillaient. L'Ordre, dans les
premiers temps, n'était pas dominé par le désir
immodéré des richesses. Tant qu'ils guerroyèrent
contre l'infidèle, les moines-chevaliers n'étaient
pas ce que nous appellerions des hommes d'argent.
S'ils recherchaient l'argent, c'était beaucoup moins
pour lui-même que parce qu'il est par excellence le
nerf de la guerre.
On sait comment l'Ordre du Temple fut aboli sous le
roi Philippe-le-Bel. Après la suppression de l'Ordre
par le Concile de Vienne, en 1312, la plus grande
partie des biens qu'il possédait en France et aussi
en Lorraine, fut dévolue aux Hospitaliers de
Saint-Jean de Jérusalem. Ce fut une déception pour
Philippe-le-Bel, dont le zèle déployé contre les
Templiers ne couvrait pas autre chose que la
confiscation à son profit de richesses immenses. On
sait avec quelle cruauté, on agit contre les
chevaliers du Temple. Sur un ordre royal, les
Templiers de France furent arrêtés, presque le même
jour, au mois d'octobre 1307. Les crimes de
l'accusation étaient énormes, extravagants. Ceux qui
refusaient d'avouer étaient torturés, tenaillés:
plusieurs succombèrent à leurs blessures; les
innocents n'avaient d'autre ressource que le
mensonge: à ce prix on leur assurait la vie sauve.
Ainsi s'explique le grand nombre d'aveux que
recueillirent les inquisiteurs. Aujourd'hui un fait
est définitivement acquis, le Temple en tant
qu'Ordre est innocent des crimes dont on l'a si
longtemps accusé. Les frères du Temple étaient des
hommes avec leurs qualités et leurs défauts; en
amassant des richesses, ils devaient forcément
s'attirer l'envie, la haine et la persécution.
Les Templiers de Lorraine subirent-ils le sort de
leurs frères d'autres pays ? Digot, qui leur a
consacré une étude dans les Mémoires de fa Société
d'archéologie lorraine en 1868, dit, qu'il ne paraît
pas qu'au moment où éclata l'orage, ils aient été
poursuivis avec autant de sévérité qu'en France, et
qu'en Allemagne on ne les arrêta nulle part. Mais,
après le décret du pape Clément V au Concile de Vienne,
les Templiers de Metz furent dispersés. Il en fut
certainement de même à Badonviller, et nous trouvons
le quart des dimes grosses et menues passé en la
possession de la commanderie des Hospitaliers de
Saint-Georges de Lunéville jusqu'en 1570, époque à
laquelle ceux-ci les cédèrent aux religieux de
l'abbaye voisine de Saint-Sauveur.
Il serait intéressant de savoir où se trouvait
l'établissement des frères du Temple. Est-ce à
Badonviller même ? L'emplacement d'une exploitation
agricole au Chamois, (altération évidente de Chanoy,
forme ancienne de Chênois) a longtemps retenu mon
attention, mais il y a un nom, caractéristique
celui-là, qui, s'il est reconnu authentiquement
ancien, pourrait résoudre la question. C'est le nom
de Jérusalem attaché à une petite exploitation
rurale, sur le versant occidental de la côte au
sommet de laquelle se dressait le château de
Pierre-Percée. Toute cette côte, autrefois en
culture et aujourd'hui en voie de reboisement,
offrait des terres cultivables et d'excellents
pâturages. Les comptes du 16e siècle, donnant une
description assez détaillée du château, mentionnent
comme annexes : « des étables, granges, basses-cours
.. », et celui de 1579 signale la restauration «
d'un coin de mur de la beufverie des vaches». La
tradition attribue le nom de Jérusalem du petit
bâtiment de ferme situé à quelques centaines de
mètres seulement en contre-bas du château, à un
comte de Salm, en souvenir de sa participation à une
croisade. Cela paraît d'autant plus invraisemblable,
que les comtes Henri I et Henri Il, qui pourraient
être mis en cause, n'habitaient ni l'un ni l'autre
le château de Pierre-Percée. On peut, beaucoup plus
logiquement semble-t-il, supposer, que les
Templiers, seigneurs comparsonniers du comte de Salm
pour un quart du territoire de Badonviller,
occupaient l'ancien château de Langenstein. Les
terres voisines du versant oriental de la Grande
Combe offrirent, aux frères de métier, un vaste
champ d'exploitation agricole sur toute leur partie
méridionale. La partie septentrionale de cette combe
était couverte, du fond à la cime, de magnifiques
forêts de sapins présentant, maintenant, hélas ! de
sinistres clairières, hier encore hérissées de
troncs desséchés, décapités, déchiquetés par les
milliers d'obus tirés des hauteurs du col de la
Chapelotte et où déjà, heureusement, la nature a
repris et poursuit son oeuvre de régénération.
En dehors de la charte de 1257, d'un intérêt capital
pour Badonviller, il existe une autre source
précieuse de renseignements sur les évènements
intéressant égaiement notre ville. C'est la
chronique en latin du moine Richer de l'abbaye de
Senones, écrite de 1254 à 1264 et contenant de
nombreux et très curieux détails sur les relations
de cette abbaye avec les comtes de Salm, ses voués
relevant directement de l'évêque de Metz. En cette
qualité, Henri IV trouva en Jacques de Lorraine,
l'évêque suzerain, un adversaire redoutable,
nettement hostile dès le début et qui finit par
obtenir la cession du haut domaine des châteaux
allodiaux de Salm et Pierre-Percée.
La première manifestation de ce plan d'extension
dont il a été question, se fit jour lors du partage
du comté de Salm entre Ferry de Blâmont et son
neveu, partage favorable à Jacques de Lorraine, qui
obtint la transformation de la seigneurie de Blâmont
en fief de l'évêché de Metz.
Un premier conflit s'éleva à l'occasion de la
construction de bâtiments destinés à l'exploitation
de l'eau salée d'un puits creusé, sur l'ordre du
comte Henri IV, près de son château de Morhange.
L'évêque voyant sans doute dans cet établissement
une concurrence à ses propres salines du voisinage,
s'empressa d'y mettre opposition et, bien que les
constructions y fussent déjà très avancées, il les
fit démolir, causant ainsi de sérieux dommages au
comte de Salm. Celui-ci résolut alors de vendre cet
alleu au duc de Lorraine et le reçut de lui en fief
le 21 juillet 1255.
De nouvelles contestations ne tardèrent pas à surgir
entre l'évêque Jacques de Lorraine et le voué de
l'abbaye de Senones. Une mine de fer ayant été
découverte près de Grande Fontaine - canton de
Schirmeck - le comte de Salm y fit construire des
fours et y établit des ouvriers chargés, les uns
d'extraire le minerai et les autres de travailler le
fer. L'abbé et les religieux de l'abbaye de Senones,
prétendant alors que les forges avaient été
construites sur leur domaine, allèrent trouver
Jacques de Lorraine, qui résolut aussitôt de charger
son prévôt de détruire les bâtiments. Le prévôt ne
se contenta pas de ruiner les forges; il emporta, en
outre, tous les outils el marteaux qui s'y
trouvaient. Les pertes énormes, ainsi successivement
infligées au comte Henri IV. l'obligèrent finalement
à consentir à la vente de ses châteaux allodiaux de
Salm et de Pierre-Percée.
Le moine Richer nous apprend à ce sujet une coutume,
qui mérite d'être retenue. Voici la traduction du
passage la concernant: « L'évêque, assisté d'hommes
experts, se transporta à l'un et à l'autre châteaux
et y coucha[; il y établit les gardes des tours et
les concierges des maisons, et, après constatation
de cette prise de possession par des actes, il les
rapporta à son évêché. Et dès lors, l'évêque se
montra plus conciliant envers le comte de Salm ».
Ce récit ne mentionne pas la reprise en fief des
deux châteaux vendus; mais le fait est établi par un
acte authentique, daté du 9 décembre 1258, revêtu
des sceaux du comte Henri et de Lorette, sa femme,
ainsi que des sceaux de la communauté de Metz et de
l'évêque Jacques de Lorraine.
Malgré ses offres d'arrangement avec l'abbaye de
Senones, le comte Henri IV ne put rétablir les
forges du vivant de l'évêque Jacques. Mais la
situation changea de face à la mort de ce prélat,
survenue en 1260. Cette situation est exposée en
toute franchise par le moine Richer qui, après avoir
consigné dans sa chronique la mort de Jacques de
Lorraine, ajoute: « Maudit est celui qui se repose
sur la force de ses bras; car en moins de rien le
secours de l'évêque Jacques nous fût ôté. Et, comme
nous comptions beaucoup sur l'aide et la faveur de
cet évêque, nous éprouvâmes qu'il valait mieux
s'arrêter aux promesses du Seigneur, qu'à celles des
princes. En effet, au moment même où nous espérions
que, grâce à lui, nous serions mis hors des mains du
seigneur de Salm, l'évêque Jacques, frappé de
maladie, mourut. Et par cette fin, nous fûmes déçus
de notre attente ».
Richer continue en disant, que le comte de Salm
commença aussitôt à agir contre l'indépendance du
couvent. Son bailli Renaud, avec quelques hommes, se
présenta au monastère et demanda aux religieux,
réunis en l'absence de leur abbé, de donner leur
avis sur la proposition du comte Henri de les
prendre sous sa sauvegarde. Après délibération, la
majorité des frères présents décida de ne pas
accepter l'offre et, « par ce moyen, ajoute
mélancoliquement le chroniqueur, nous refusâmes
notre bonheur; car des gens d'armes, en présence de
ce refus, saisirent toute l'abbaye et ses granges».
Renaud, dont il est question et que Richer qualifie
de « satellite du diable» était un frère naturel du
comte Henri IV, qui l'avait fait son bailli, avec
résidence, semble-t-ll, à Badonviller.
Après ce premier acte d'une autorité, tenue
longtemps en échec par le suzerain défunt et
désormais rétablie, le comte de Salm fit rebâtir et
restaurer les forges, exploiter les forêts pour
fournir le charbon et réinstaller les mineurs et les
forgerons. Les religieux de l'abbaye de Senones
répondirent à cette reprise de possession par une
sentence d'excommunication contre le comte Henri IV
et ses adhérents, ce qui provoqua une nouvelle
intervention du bailli Renaud, qui, usant des
représailles si fort en honneur à l'époque, retourna
au monastère pour vendre à l'encan et enlever les
meubles, chevaux, boeufs, vaches, brebis, pourceaux.
Il procéda de même au dépouillement des prieurés de
La Brocque et d'Ancerviller.
A partir de ce moment, les religieux de Senones
proclamaient chaque jour l'excommunication du comte
de Salm et de ses adhérents.
C'est durant cette phase de la lutte qu'eut lieu, en
signe suprême de protestation, la cérémonie
d'exposition des statues et châsses de saints sur
des lits de branchages d'épines posées à terre,
cérémonie, d'ailleurs défendue par les conciles et
notamment en 1274 par le pape Grégoire X. Le moine
Richer a décrit, comme suit, cette singulière forme
de protestation : « Après avoir pris l'avis et le
conseil du vénérable Gillon, évêque de Toul et
d'autres prudents personnages, nous mîmes bas les
images sacrées de notre Rédemption, de saint Siméon,
septième successeur de saint Clément évêque de Metz;
les ayant posées à terre, nous commençâmes avec de
grands pleurs et d'âpres soupirs à nous écrier: Nous
avons soutenu la paix et elle n'est pas venue; nous
avons cherché le bien et voici le trouble. O
Seigneur ! nous connaissons assez nos fautes, ne
sois pas courroucé contre nous à jamais ».
En l'absence de l'abbé Baudoin, qui semble s'être
tenu éloigné de Senones, le prieur Mathieu - jeune
homme de bonne conversation, dit Richer - et tous
les autres frères sortirent du monastère en
procession précédés de la croix et se rendirent à Moyenmoutier, où ils passèrent la nuit. A partir de
là, sur l'ordre de l'abbé, ils se retirèrent en
divers lieux. Il demeura cependant dans le cloître à
Senones, le moine Richer et un autre religieux du
nom de Bertrand, gravement malade.
Ne pouvant obtenir du nouvel évêque de Metz,
Philippe de Florenges, que des promesses verbales
restées sans effet, les religieux se rendirent
auprès de Gillon, évêque de Toul qui, après avoir
entendu leurs doléances, fit écrire par un notaire,
à Alexandre, abbé de Moyenmoutier, une lettre en
l'invitant à se rendre sans délai auprès du comte de
Salm « Pour le mettre en demeure de renoncer à son
iniquité, de rendre tout ce qu'il avait enlevé et de
ne pas différer à donner satisfaction à Dieu et à
l'Éqlise. »
Aussitôt qu'il reçut ce commandement, poursuit
Richer dans sa chronique latine, l'abbé de
Moyenmoutier se mit en route pour s'acquitter de sa
mission. Étant venu à Badonviller, il y trouva « cet
ange de Satan» Renaud, bailli du seigneur de Salm,
surexcité dans sa malice. Interrogé sur le but de
son voyage, l'abbé fit connaitre l'objet de sa
mission. Renaud, aussitôt transporté de colère, fit
arrêter l'abbé Alexandre et le mit dans un local
sous la garde de ses satellites. Ceux-ci, pensant
que l'abbé supporterait les frais, firent de grandes
dépenses au point qu'en deux jours elles s'élevèrent
à huit sols toulois.
Les frères de Moyenmoutier ayant appris que leur
abbé était détenu captif, se rendirent en toute hâte
auprès de Godefroy, prévôt du duc de Lorraine, pour
l'en informer. Le prévôt réunit aussitôt quelques
hommes d'armes avec lesquels il se dirigea sur
Badonviller, lieu de détention de l'abbé; mais,
arrivé à mi-chemin, on lui conseilla de ne pas
s'avancer davantage sans avoir demandé auparavant la
mise en liberté de l'abbé de son seigneur, et qu'en
cas de refus seulement, il pourrait avec raison agir
à sa volonté. Le prévôt envoya promptement deux
hommes d'armes, qui demandèrent l'élargissement de
l'abbé captif. En présence de cette intervention du
prévôt du duc de Lorraine, le bailli fit relâcher
son prisonnier. L'abbé notifia alors solennellement
le mandement qu'il avait reçu de l'évêque, déclarant
le bailli et le comte de Salm excommuniés, la terre
de ce dernier mise sous défense et interdiction,
excepté le viatique aux mourants et le baptême des
enfants.
Ce récit, extrêmement intéressant pour l'histoire de
Badonviller, résoud, à mon avis, la question bien
souvent posée, mais non résolue, de la date de
construction de son ancien mur d'enceinte, presque
toujours attribué au 16e siècle, alors cependant que
les comptes de la châtellenie de cette époque
mentionnent des réparations de brèches de ce mur «
tombant de vétusté ». Or, l'épisode raconté plus
haut par le chroniqueur Richer nous apprend, qu'au
milieu du 13e siècle, Badonviller était déjà le
siège d'un bailli et possédait une prison, indices
certains de lieu fortifié.
Le comte de Salm, par contre, habitait le château de
Salm, et, connaissant la manière habituelle de
Richer, de dramatiser et d'exagérer les incidents
survenus entre l'abbaye de Senones et son voué
épiscopal, je ne crois pas me tromper beaucoup en
attribuant à Henri IV lui-même, sans attendre
l'intervention du prévôt du duc de Lorraine, l'ordre
d'élargissement de l'abbé de Moyenmoutier. Les
choses ont dû se passer ainsi: l'Abbé Alexandre vint
à Badonviller pour notifier la sentence
d'excommunication. Le bailli, principal auteur des
méfaits commis, retint en prison l'envoyé de
l'évêque de Toul, en attendant les ordres du comte
de Salm. Or, il fallait bien les deux jours, que
dura le séjour de l'abbé Alexandre, pour aller au
château de Salm et revenir à Badonviller porteur de
l'ordre de remise en liberté. L'intervention du
prévôt lorrain, qui d'ailleurs demandait plus de
temps, n'était donc pas nécessaire. La précaution,
recommandée au prévôt de ne pas s'avancer en troupe,
et de se faire précéder de deux hommes d'armes
seulement, indique, sans nul doute, l'existence
d'une forteresse qui, si elle laissait pénétrer deux
hommes d'armes, eût été évidemment mise en état de
défense à l'approche d'une troupe armée. Nous
pouvons donc sans crainte, attribuer à la première
moitié du 13e siècle, la construction du mur
d'enceinte et des deux portes fortifiées de l'ancien
village de Badonviller, transformé alors en ville
fermée.
Il serait trop long de suivre le moine Richer dans
l'exposé des autres péripéties de la lutte acharnée
entre le couvent de Senones et son voué. Disons
seulement, que le nouvel évêque de Metz, Philippe de
Florenges, ordonna le rétablissement de la paix,
menaçant les religieux du monastère de Senones de se
tourner contre eux, s'ils allaient à l'encontre de
cette ordonnance. Un traité, daté du mois de
novembre 1261, fut alors conclu entre le comte Henri
IV et l'abbé Baudouin. Il fut convenu, que les mines
de la montagne de Froide-Plaine et de Framont
appartiendraient par moitié au comte et au couvent;
que les forges seraient communes ; que les bois pour
leur usage se prendraient dans les quatre bans de
Senones, de Celle, de Vipucelle et de Plaine. Les
bénéfices devaient être partagés par moitié. Et
ainsi tout rentra dans l'ordre.
Bien qu'absorbé durant de longues années par la
prise de possession et l'administration des domaines
que lui apportait sa femme Lorette de Castres, et
situés dans la région de Trèves, Henri IV résidait
habituellement dans son château de Salm-en-Vosge.
C'est là qu'alla le trouver Jacques Brétex, l'auteur
du poème bien connu: Les Tournois de Chauvenci, qui
débute par le récit d'un voyage où il reçut
l'hospitalité du comte Henri. Le portrait moral,
qu'il nous en a laissé, contraste singulièrement
avec les faits, manifestement exagérés, mis à sa
charge par l'auteur de la chronique de l'abbaye de
Senones. Brétex déclare, en effet; que le comte
Henri dépasse les autres en courtoisie, libéralité,
franchise et noblesse, et il vante sa bonté et sa
sagesse.
L'emploi du temps de ce trouvère, le jour de la fête
de Notre-Dame, c'est-à-dire le 15 Août 1284, offre
un tableau pittoresque et vivant de l'existence des
Châtelains de l'époque, que nous sommes heureux de
saisir ici au vif. Au point du jour, annoncé au son
de la corne par le guetteur du donjon, Jacques
Brétex sortit du château de Salm pour faire une
promenade dans la forêt voisine. Tout en chevauchant
silencieusement sous bois, il fit la rencontre d'un
chevalier tenant en main le tronçon d'une grosse
lance, brisée sans doute dans l'attaque de quelque
gros gibier. Il reconnut Conrad Werner de Rastatt,
landvogt ou comte provincial de la Haute-Alsace. La
conversation s'engagea et le poète en profita pour
inviter le noble seigneur alsacien et son fils
Conradin à se rendre, pour la saint Remy prochaine,
à Chauvency où ils trouveraient une grande assemblée
de barons et de nobles dames pour éprouver leur
vaillance dans les joutes et les tournois, pour
danser et se divertir. Là-dessus, ils se séparent et
Jacques Brétex retourna au château de Salm, où la
table étant déjà mise et occupée, on s'empressa d'en
disposer une à côté pour son service. Il apprit au
comte Henri sa rencontre avec Conrad Werner et il
provoqua le rire de l'assistance en imitant le
langage roman incorrect et les défauts de
prononciation du chevalier alsacien.
Après le dîner, Jacques Brétex prit congé du comte
de Salm, qui lui fit cadeau d'une cotte d'armes,
d'un corselet, d'une housse verte « de mouffles et
d'un chaperon fourré de bon fin vair ». Il le fit en
outre accompagner par l'un de ses valets. En se
dirigeant sur le Saunois et Metz. le poète passa
sûrement par Badonviller, et il désigne sous le nom
cl' Ariviller le lieu de sa première étape. J'ai
supposé qu'il s'agît de la contraction du nom d'Ancerviller.
Mais on pourrait également croire à une mauvaise
lecture de Badonviller ou à une distraction du
poète. Quoi qu'il en soit, Jacques Brétex, en
quittant le château de Salm, a dû gagner la vallée
de la Plaine, par le chemin passant au col de Prayé,
suivre ensuite cette vallée jusqu'auprès de Celles,
pour s'engager dans la combe et l'antique voie de
Chararupt et passer, soit à Pierre-Percée en prenant
à gauche, soit, en continuant directement vers le
carrefour de la Vierge Clarisse, à Badonviller.
Brétex dit qu'à son arrivée à la nuit, il fut reçu «
A qrant joie et à qrant desduit », c'est-à-dire avec
joie et grandes réjouissances, grâce à la
recommandation du comte de Salm ; et ceci est un
argument de plus en faveur de Badonviller, comme
lieu de la première étape.
Henri IV, dont les entreprises industrielles sont
remarquables pour l'époque, mourut en 1292 et fut
inhumé dans l'abbaye de Salival, où déjà reposait
Lorette de Castres, son épouse. Henri, l'aîné de
leurs enfants, étant mort en 1288, c'est le puîné
qui continua la lignée sous le nom de Jean 1er.
Les documents sur les successeurs du comte Henri IV
pendant les XIVe et XVe siècles ne contiennent que
fort peu de renseignements se rapportant à
Badonviller. La création du comté voisin de Blâmont,
à la suite du partage de la succession du comte
Henri II et de sa femme Judith de Lorraine, en
faveur de leur puîné Ferry, ne pouvait manquer de
susciter des conflits entre les cieux maisons
désormais rivales. Cet antagonisme fatal s'aggravait
encore d'une hiérarchie féodale compliquée amenant
parfois les cieux comtes à se trouver dans des camps
opposés, simplement parce qu'ils étaient vassaux de
l'un ou de l'autre des suzerains belligérants.
C'est ainsi, qu'en 1301, Henri I, sire de Blâmont,
attaque le comte Jean I de Salm qui, dans une
rencontre à Neuviller près de Badonviller, fut
vaincu et forcé de céder à son cousin ce qu'il
possédait à Sainte-Pôle, et de lui donner six hommes
en remplacement d'un pareil nombre de tués dans le
combat.
Le 29 juin 1342, dans une guerre entre l'évêque de
Metz et le comte de Bar, le comte de Salm dut
s'engager envers ce dernier à commencer, quatre
jours avant la saint Barthélemy (20 août), une
guerre ouverte à Henri III, sire de Blâmont et à
maintenir en campagne 40 hommes d'armes, et plus si
le cas le requiert, à ses frais et dépens.
En 1364 éclata, entre Thiébaut 1er, sire de Blâmont
et l'évêque de Strasbourg, une guerre, à laquelle
fut mêlé le comte de Salm Jean III et qui fut
désastreuse pour notre région. Thiébaut, ne se
sentant pas suffisamment en force, appela à son aide
les bandes d'aventuriers connus sous le nom de
Bretons et commandés par un chef surnommé
l'Archiprêtre. Ces bandes jetèrent la terreur et la
désolation dans le comté de Salm, dont ils
ravagèrent les terres sans que personne n'osât leur
résister. Dom Calmet, qui rapporte cet évènement,
estime au chiffre, sans doute exagéré, de 40.000
hommes, le nombre de ces aventuriers envahisseurs.
En 1370, c'est le duc de Bar qui marche contre
l'évêque de Metz et le comte de Salm.
En 1391, par un traité d'alliance conclu avec Jean
de Vergy, les comtes de Deux-Ponts et de Sarrewerden,
le comte de Salm s'engage à commencer la guerre
contre le seigneur de Blâmont dans les 15 jours
après la requête; les quatre alliés s'engagent, en
outre, à fournir 10 hommes d'armes chacun et à les
envoyer à Badonviller ou à Pierre-Percée « ou autre
part que meilleur serait aussi près des terres dudit
seigneur de Blâmont », Un accord intervenu à temps
empêcha l'ouverture des hostilités projetées.
Dans les premières années du XVe siècle, Jean, comte
de Salm, se trouve mêlé à un conflit autrement
grave, suscité par la politique de Louis duc
d'Orléans, frère du roi Charles VI, se manifestant
par l'achat du duché de Luxembourg. Le 2 janvier
1406, un traité d'alliance ayant été conclu entre
l'évêque de Metz, la ville de Metz et Charles duc de
Lorraine, contre Philippe de Nassau-Sarrebrück, Jean
comte de Salm, Ferry de Moers et Gérard de Boulay,
ceux-ci y répondirent en se liguant, avec le duc
d'Orléans, contre la cité messine, par un acte connu
sous le nom de Traité des quatre seigneurs, du 13
février 1406. Ils s'engageaient à mettre sur pied, à
leurs frais, 150 hommes d'armes. Le duc d'Orléans,
de son côté, devait fournir 150 hommes d'armes, 50
hommes de trait et une somme de 6.000 francs. Le duc
de Bar entra le même jour dans la ligue, s'engageant
à fournir 50 hommes d'armes. Toutes les conquêtes,
fut-il stipulé, devaient être partagées en trois
parts: l'une au duc d'Orléans, la seconde au duc de
Bar et au marquis du Pont, et la troisième aux
quatre seigneurs alliés.
Mais, au lieu des conquêtes prévues, ce fut, au
premier choc contre les troupes du duc de Lorraine,
près de Champigneulles, une défaite complète qui
attendait les alliés. Philippe de Nassau, Frédéric
de Sarrewerden et Jean, comte de Salrn, furent faits
prisonniers et internés à Nancy. Le duc de Lorraine
et ses partisans, parmi lesquels Henri IV de
Blâmont, en profitèrent pour ravager les territoires
des vaincus.
Les prisonniers obtinrent leur liberté en 1407,
chaque comte payant pour lui et ses gens 60.000
écus. La paix fut conclue le 25 juillet 1408.
Nous ne serons donc pas surpris de trouver, à cette
époque, le quart des châteaux et châtellenies de
Salm, Pierre-Percée et Badonviller en la possession
de Philippe de Norroy, seigneur de Port-sur-Seille,
qui les tenait en gage du comte de Salm. Ce quart
fut acheté en 1416 par Henri IV de Blâmont moyennant
900 vieux florins. En mariant l'année suivante sa
fille Henriette à Bernard, comte de Thierstein, avec
une dot de 4.000 florins, il assigna 2.000 florins
sur la partie des châtellenies de Salm,
Pierre-Percée et Badonviller qu'il tenait ainsi en
gage.
Après la mort de Henriette de Blâmont survenue avant
1434, l'engagement, qui formait une partie de sa
dot, fut racheté au comte de Thierstein par sa
belle-soeur Marguerite de Lorraine, veuve de Thiébaut
I de Blâmont, qui, en 1438, acheta à Badonviller
pour 240 florins une maison, que son cousin Simon,
comte de Salm, déchargea de l'hommage qui lui était
dû.
Par son testament daté du 6 avril 1469, Marguerite
de Lorraine déclare donner à son fils Olry tous les
biens meubles qu'elle avait à Deneuvre et à «
Bauldonviller » en quelque manière que ce soit, en
or, en argent monnayé ou non monnayé, ou autrement.
Elle donne encore à son puîné, Oiry, avant tout
partage, les gages qu'elle a sur tout le comté de
Salm, ainsi que les acquisitions faites par elle à «
Bauldonviller» et les bans voisins. -
Vers cette époque, la maison de Salm-en-Vosge se
divisa de nouveau en deux branches: celle de Jean
VI, qui fut tué aux côtés du duc René à la célèbre
bataille de Bulgnéville, en 1431, et celle de Simon,
son frère. Ce dernier, à sa mort en 1471, n'ayant
laissé qu'une fille, Jeannette de Salm, mariée en
1469 à Jean V Rhingraf ou comte du Rhin, sa moitié
du comté de Salm passa-à la branche des Rhingrafs de
Dauhn et de Kirbourg, dont ledit Jean V fut ainsi la
tige.
Nous ne suivrons pas les comtes de Salm et les
Rhingrafs dans leurs exploits, qui se rattachent à
l'histoire générale, les premiers comme grands
dignitaires et chefs militaires du duché de
Lorraine, et les Rhingrafs comme colonels de reîtres
allemands au service de la France.
En 1548, à la mort du comte de Salm Jean VIII, son
fils aîné, Jean IX, à l'exclusion de ses deux frères
Paul et Claude, hérita seul de la moitié du comté de
Salm. Il eut pour comparsonnier, d'abord
Philippe-François, mort en 1561, puis son fils aîné,
Jean-Philippe, colonel de lansquenets et de 1500
chevaux Reîtres au service du roi de France. Blessé
à mort à la bataille de Moncontour en 1569,
Jean-Philippe fit son testament et institua pour son
héritier l'enfant dont pourrait être enceinte Diane
de Dommartin, sa femme, et à son défaut ses
héritiers naturels. Mais, d'après le pacte de
famille, le Rhingraf Frédéric, son frère, devint
comte de Salm pour la moitié, et non la Rhingrafine
Claude, fille posthume de Jean-Philippe et de Diane
de Dommartin.
Le Rhingraf Frédéric, également blessé à la bataille
de Moncontour, était encore au service de la France
en 1574, lors de la cinquième guerre de religion,
ainsi qu'il ressort d'un titre concernant
Badonviller dont allait prendre possession Diane de
Dommartin, sa belle-soeur. Il y eut un accord entre
Jean IX, comte de Salm et Frédéric, comte sauvage du
Rhin et de Salm, colonel de 1500 Reîtres pistoliers
au service de France. Le mariage de Frédéric avec
Françoise de Salm, soeur de Jean IX, consacra encore
pour la deuxième fois, l'alliance entre les deux
maisons comtales.
De nombreux documents que j'ai consultés aux
archives de Nancy projettent une vive lumière sur
l'existence à Badonviller pendant la seconde moitié
du 16me siècle, sous le gouvernement en commun du
comte Jean IX et du Rhingraf Frédéric. Ces derniers
résidaient habituellement, le premier à Nancy, à
l'hôtel de Salm, qui occupait alors l'emplacement de
la Cour d'appel, et le deuxième, au château de
Neuviller-sur-Moselle. Pour leurs séjours à
Badonviller, ils disposaient de deux grandes
maisons, reliées par une galerie, et restaurées, en
1570, par les soins de l'ingénieur Claude Marjollet,
venu de Nancy à Badonviller pour organiser et
diriger les travaux; ceux-ci furent effectués par Me
Jean Lours, maçon tailleur, Adam Jean Colotte et
Collardin, charpentiers, Me Noël Estienne, peintre
et verrier, Jean de Barbas, maréchal et Nicolas
Claude, serrurier, tous demeurant à Badonviller; W
Nicolas Wyriot, charpentier, et Georges Poirson,
recouvreur, demeurant à Blâmont.
Châtelains. - Les deux comtes avaient, pour les
représenter à Badonviller, chacun son châtelain
exerçant en commun l'action souveraine sur tout le
comté de Salm resté indivis jusqu'en 1598. Nous
trouvons ainsi successivement en fonctions, en 1564
Bertrand Louvyot, en 1569 Jean Barnet, en 1597
Nicolas Jacob, en 1598 Dietreman, pour le comte de
Salm Jean IX; Jean Saffrois, Jean Hanus, de
Bilistein, Guillaume Gille pour le Rhingraf
Frédéric.
Parmi leurs collaborateurs vient au premier rang le
Gruyer, officier chargé de la garde des bois et des
rivières du comté. En 1564, cet office est exercé
par Jean Saffrois, que nous trouvons comme châtelain
en 1570 et remplacé à cette date par Jean Liebault;
en 1591 et 1598, fonctionne Demenge Rouyer.
Portiers. - Deux portiers, établis en commun par les
deux seigneurs auxquels ils prêtaient serment,
gardaient alternativement, de jour, et secondés par
un bourgeois, les deux portes de la ville. Ils
faisaient de même alternativement, la nuit, le guet
à la Tour d'en haut. Quant au guet de nuit de la
porte d'en bas, il était assuré par les pâtres.
Portiers et pâtres devaient sonner, à chaque heure
de la nuit, les cloches des tours, pour prouver
leurs veilles.
Les portiers, après la fermeture, portaient tous les
soirs les clefs des portes aux deux comtes ou à
leurs châtelains. Les émoluments des portiers
incombaient, pour les trois quarts aux comtes et,
pour un quart, au Commandeur de Saint-Georges de
Lunéville.
En 1589, nous trouvons Mengin Magdeleine, portière
et Nicolas Hanzo, portier; puis, Nicolas Barbier et
Mengin Masson, en 1590.
Arquebusiers. - Pour la défense de la ville, une
institution, dite la centaine de Badonviller,
réunissait dans la seconde moitié du 16e siècle, 68
arquebusiers, 2 sergents de bande, avec banneret,
tambourin et fifre, ayant quelque analogie avec la
société de tir ou notre corps de sapeurs-pompiers.
Les arquebusiers, comme les portiers et les
messagers, étaient francs et exempts d'impositions.
Ils s'exerçaient au maniement et au tir de
l'arquebuse qui, primitivement, était une arme de
rempart et ne devint une arme plus portative
qu'après divers perfectionnements, notamment la
substitution du rouet à la batterie à mèche. Revêtus
d'une casaque aux couleurs de Salm, ils
fournissaient des escortes aux seigneurs de passage,
des éclaireurs en temps de troubles ou de guerre, et
formaient même parfois des petits corps
d'expédition, comme en témoigne une lettre de l'abbé
de Haute-Seille se plaignant que les officiers de
Badonviller, â la tête de 24 ou 25 arquebusiers,
étaient venus à Haute-Seille s'emparer de 26 têtes
de bétail en gage, par suite du refus de payer les
contributions dues aux comtes de Salm pour droit de
sauvegarde.
Industries. - L'industrie, si renommée de la
fabrication d'armes à Badonviller, était exercée par
les arquebusiers, dont les maîtres les plus souvent
cités appartiennent à une famille Wirion. Dès 1509,
apparaît un « hacquebutier » du nom de Chrestien,
qui fournit des épieux de chasse au duc de Lorraine.
De 1566 à 1577, maître Didier Wirion envoie des
canons d'arquebuse et des pistolets à Jean IX, comte
de Salm et au duc de Lorraine. En 1579, Demengeon
Galet, dit Wirion obtint le droit de construire, à
ses frais, une meule « à esmoudre et percer canons
de harquebuses » sur le ruisseau de Bréménil, et, en
1606, le comte de Salm « laissa et ascensa à
perpétuité à Jean et Paul les Mathis, frères,
maîtres forgeurs de canons à Badonviller, la moitié
du cours de l'eau provenant du ruisseau qui vient de
Bréménil, sur lequel ils tiennent une meulle à
esmoudre et fourrer canons, au-dessus de celle que
tient Jean Virion, maréchal demeurant à Neufviller
... ».
En 1618, Samuel Lucas, marchand d'armes à
Badonviller, obtint, de son côté, la permission
d'ériger « une muelle à esmoudre des canons
d'arquebuses en un pré du finage de Badonviller,
lieu dit à Herpey, parmi lequel y passe un petit
ruisseau ».
Trois autres meules se trouvaient, sur la Blette,
dans la prairie dessous la ville de Badonviller,
sans compter la Forge située sur l'étang dit de la
Pile.
Vers 1619, un Règlement, édicté par le comte de
Salm, érigea en corporation distincte les « maîtres
et compagnons arquebusiers et forgeurs de canons, et
autres gens de la forge -
et de la lime, de
Badonviller et son faubourg ».
Une autre industrie ne tarda pas à prospérer: c'est
celle des tanneries, à laquelle se rapporte l'ascensement,
en 1620, par les officiers du comte de Salm, à Jacob
Brazy, du cours de l'eau passant sous sa maison, ën
vue de faire bâtir un moulin ou battant à piler les
écorces. A en croire une requête que, vers le
commencement du 18e siècle, les habitants
adressèrent au comte de Salm, les tanneries de
Badonviller étaient « les plus belles de la province
et peut-être de l'Europe, par rapport à leur
situation et à la bonté des cuirs que l'on y façonne
». Elles étaient bâties en forme de maisons et
pavillons dans le faubourg. Surchargés d'impôts,
ajoute la requête, « les tanneurs sont ruinés, et ne
travaillent plus pour eux, mais seulement à l'oeuvre
et au profit d'un marchand de Strasbourg, nommé
Chéron, qui leur donne des cuirs à façonner et qui
en fait un grand commerce dans tout le pays ».
Une industrie, dont le développement prit tout de
suite une grande activité, apparut à Badonviller en
1583, date de la construction d'une tuilerie à
l'angle des bois Champels. Bâtie sur l'ordre du
comte Jean IX et du Rhingraf Frédéric, elle fut
remise, pour neuf années, à Cugny Jean Roy, résidant
à la tuilerie de Beaupré, Thomas et Jean Roy, ses
fils; puis à Jean Roy seul, à charge de fournir
chaque année quatre milliers de tuiles plates aux
deux comtes de Salm.
Rappelons enfin, que par lettres patentes du 10 mai
1724, « le duc Léopold, voulant contribuer à
l'augmentation du commerce dans ses États, permit à
un nommé Daniel d'Heguerty de faire ériger à
Badonviller, une manufacture de faïence et de
porcelaine, sans prétendre exclure toutes autres
personnes d'en faire construire de semblables ».
C'est donc à cette date que remonte l'industrie de
la faïence et porcelaine, qui a pris un si
magnifique développement sous l'action féconde de
feu Théophile Fenal et que son fils
Édouard-Théophile dirige aujourd'hui, en même temps
que les importantes et célèbres faïenceries de
Lunéville et de Saint-Clément.
La Réforme à Badonviller. - C'est le Rhingraf
Philippe-François qui, le premier, dès 1518, adopta
la réforme et finit par propager les idées nouvelles
dans le comté de Salm. Ses fils, Jean-Philippe et
Frédéric, pour lesquels les champs de bataille
paraissent avoir eu plus d'attraits que les
controverses religieuses, professaient les mêmes
opinions. Quant au comte Jean IX de Salm, il paraît
s'être d'abord opposé aux innovations des Rhingrafs,
mais finit par se résoudre à tenir la balance égale
entre les partisans des deux cultes.
La première mention d'un « ministre de la parole de
Dieu de l'église réformée de Badonviller » se trouve
dans le compte des dépenses de l'année 1564, pour
une somme de 25 francs payée à Jean Figon; en 1570,
l'allocation payée au même, qualifié ministre des
Évangiles, est portée à 100 francs, soit 50 francs
pour le comte de Salm et autant pour le Rhingraf.
Jean Figon avait été envoyé de Metz, en 1561, à
Echery, dans le val de Villé, où nous le trouvons
acharné à la destruction des images et des statues
religieuses. Accusé de calvinisme, il fut obligé de
s'éloigner et de se réfugier à Genève; il y séjourna
quelque temps auprès de Calvin et fut envoyé de là à
Badonviller, où il exerça son ministère de 1564 à
1577.
En 1580, apparaît Claude des Mazures, l'un des chefs
des réformés de Badonviller, fils de Louis des
Mazures, originaire de Tournai, qui prêcha la
Réforme à Saint-Nicolas-du-Port en 1562 et mourut à Echery en 1574. On signale, en 1590, Jean de la
Chasse; en 1591, Denis de Baulne; puis Mathieu
Barthol. Ce dernier, d'abord maître d'école à
Sainte-Marie-aux-Mines jusque vers 1590, fit ses
études théologiques au comté de Montbéliard et fut
ministre à Badonviller vers le début du 17e siècle.
Parmi les prédicants de passage, on a la surprise de
trouver Mathieu de Laulnoy, dont le rôle politique
sous la Ligue ne saurait être trop sévèrement jugé.
Il s'agit du « Petit Launoy, boute-cul de Sorbonne »
de la Ménippée, enrôlé cl' abord dans les rangs du
clergé catholique.
Le Rhingraf, Philippe-Othon, fils de Frédéric, ayant
accompagné à Rome, en 1591, le jeune cardinal de
Lorraine, revint au catholicisme et, à son retour,
travailla à la conversion de ses sujets. Il lança
même un édit de proscription contre ceux qui
refuseraient de se convertir; mais, cette mesure
n'eut pas de succès. Après la mort du comte Jean IX
de Salm, François de Vaudémont ayant pris
possession de la part du comté dont héritait
Christine de Salm, sa femme, joignit ses efforts à
ceux du Rhingraf Philippe-Othon; il fit intervenir
le Pape pour mettre ordre aux abus qui régnaient
dans le clergé, et des missionnaires vinrent
évangéliser les populations. Le succès ne répondit
pas à tant de zèle, et les désordres, qui tous les
dimanches se produisaient dans l'église commune aux
deux cultes, s'aggravèrent au point que les
catholiques se décidèrent à contribuer, vers 1612, à
la construction d'un temple.
Ce modus vivendi se prolongea jusque vers 1625. Le
12 mars de cette année, en vertu d'un ordre impérial
du 28 novembre 1624, de Ferdinand II, le comte de
Salm et le Rhingraf firent publier et afficher un
édit, qui prohibait l'exercice du calvinisme dans le
comté et la principauté, prononçait la fermeture des
temples, ordonnait aux pasteurs et aux maîtres
d'école de partir immédiatement et aux habitants de
se faire instruire dans le délai d'une année, sous
peine de bannissement. Pour atténuer la rigueur de
cette mesure, des missionnaires savants et zélés,
chargés de soutenir la controverse avec les
ministres, furent envoyés pour ramener le peuple par
la conviction plutôt que par contrainte. L'un de ces
missionnaires, le P. Nicolas Fagot, tombé gravement
malade, ayant attribué sa guérison aux prières de
Pierre Fourier, entreprit de le faire nommer à la
cure de Badonviller. Mais, malgré l'insistance faite
auprès de lui par le comte de Vaudémont, le Bon Père
demeura ferme à protester, que jamais pour rien au
monde, il n'abandonnerait ses paroissiens de
Mattaincourt. On lui demanda alors de se charger de
Badonviller, au moins jusqu'à ce que l'on pourrait y
mettre un titulaire. Craignant un piège, il
n'accepta qu'après de nouvelles instances, et se
rendit à Badonviller pour le dimanche avant l'
Assomption de 1625.
Dès son arrivée, le Bon Père fut frappé du dénuement
de l'église et de l'état misérable de la cure. Les
missionnaires, généralisant sans cloute quelques cas
particuliers, lui dépeignirent le peuple comme
grossier, prévenu, entêté, trois défauts dont le
dernier seul était peut-être quelque peu mérité. Ils
ajoutèrent que les catholiques, généralement
pauvres, croupissaient dans une profonde ignorance,
et que les hérétiques, appartenant pour la plupart à
la bourgeoisie, étaient très difficiles à ramener.
Mais ces déclarations, dit son biographe, au lieu de
l'effrayer, ne firent qu'enflammer son zèle, et il
se mit immédiatement à l'oeuvre. Il commença par
visiter les malades et les pauvres, les
encourageant, les exhortant et les aidant au besoin.
Dix jours s'étaient à peine écoulés, que déjà on le
rappelait d'urgence à Nancy, et il repartit le jour
de l'octave de l' Assomption. Il revint à
Badonviller le 9 octobre, avec l'intention d'abord
de rester seulement jusqu'à la Toussaint; mais, sur
de nouvelles instances du comte de Vaudémont, il
prolongea son séjour jusque huit jours avant Noël.
Pendant ce deuxième séjour, le dévouement du Bon
Père demeurait inépuisable; mais, les journées
étaient trop courtes et ne lui suffisaient plus pour
prêcher dans l'église, sur les places, sous la
halle, pour recevoir les abjurations, les
confessions et pour répondre sans cesse à toutes
sortes de personnes.
Quand, vers la fin de l'année 1625, il repartit pour
Mattaincourt, la paroisse catholique put être
reconstituée et les revenus, réalisés par le retour
à l'unité, permirent la reconstruction du
presbytère.
L'exemple donné par le chef-lieu fut bientôt suivi
aux alentours et, avant la fin de l'année fixée par
l'édit du 12 mars 1625, les rares obstinés s'étant
retirés, les uns à Metz, les autres à Bâle, à
Sainte-Marie-aux-Mines ou ailleurs, l'hérésie de
Calvin disparut entièrement du pays. L'éloignement
de ces familles, bien que désirable dans l'intérêt
de la paix religieuse, ne fut pas sans causer un
bouleversement dans la situation économique de la
région: les proscrits transférèrent dans leurs lieux
de refuge leur commerce ou leur industrie, au grand
dommage de la prospérité de l'ancien comté de Salm.
C'est ainsi, que les Willaumé ou Guillaume, les de
Lassus, en émigrant vers Echery, y transportèrent
leurs ateliers de passementerie, qui avaient fait la
richesse de Badonviller.
Ce n'est, que devant de nouveaux refus du Bon Père
que, le 17 janvier 1626, le comte de Vaudémont agréa
le nomination d'un curé titulaire, auquel le
Saint-Siège conféra le titre et le pouvoir de
vicaire apostolique dans toute la province de Salm.
Comment le Bon Père Pierre Fourier parvint-il à
réussir là où les plus savants missionnaires
jésuites avaient échoué ? Tout simplement par la
pratique des vertus, qui caractérisent les saints.
Pénétré, comme il le déclarait constamment, dit un
témoin de sa vie, de son insuffisance; intimement
persuadé surtout, que le zèle et les talents d'un
apôtre demeureraient absolument insuffisants, s'ils
n'étaient secondés de la grâce divine, il la
demandait avec instance dans la prière et l'oraison;
il s'efforçait de l'obtenir par ses austérités et
ses larmes. Il s'informait des misères et de la
pauvreté des particuliers; il allait les consoler et
leur distribuait des aumônes; il visitait les
malades, prenant un soin tout spécial des plus
abandonnés. Tout cela était accompagné d'une bonté
et d'une cordialité sympathique, qui lui gagnaient
l'affection de tous, même des hérétiques; car il ne
les excluait pas de ses bienfaits. Il inspirait à
tous l'estime et le respect. Ses instructions
simples répandaient la lumière dans les esprits et
touchaient les coeurs. Il exhortait à la réforme des
moeurs, à la pratique de la charité fraternelle; il
commandait aux catholiques une vie exemplaire,
capable de rappeler à la véritable religion ceux qui
en étaient éloignés. Il évitait de se faire des
ennemis. Il se gardait de toute expression blessante
et n'employait jamais les noms d'hérétiques ou de
calvinistes; il préférait le nom d'étrangers, par
opposition à celui de familiers de la foi que saint
Paul donnait aux fidèles. Il endurait avec la même
patience les mauvais traitements dirigés contre sa
personne en plusieurs rencontres restées dans le
souvenir local, notamment une poursuite d'un groupe
de femmes, irritées, sur le chemin de Fenneviller,
où il dut se blottir dans une touffe de verdure
auprès d'un gros chêne remplacé plus tard par un
petit oratoire. L'opinion, qui s'établit, se résume
par le mot d'une femme interrogée à son sujet: «
Cest un des Justes dont parle l'Écriture »,
Le souvenir du Bon Père, aujourd'hui saint Pierre
Fourier, se perpétue à Badonviller par une confrérie
d'hommes, qui s'honorerait en réalisant l'idée, déjà
émise, de placer sa statue dans l'une des deux
niches latérales de la façade de l'église, niches
restées vides en attendant les statues de saint
Pierre Fourier et de saint Bernard.
Partage du Comté de Salm.- Un évènement, d'une
importance capitale pour la destinée nationale de
Badonviller, marque d'une manière heureuse la fin du
16e siècle. Le comte Jean IX, grand dignitaire à la
cour de Lorraine, étant resté célibataire, fit, par
contrat de mariage du 12 mars 1597, donation à sa
nièce, Christine de Salm, de la totalité de ses
biens, en toute propriété. Ce mariage avec le comte
François de Vaudémont, qui pour la seconde fois
unissait les saumons de Salm aux alérions de
Lorraine, eut lieu le 15
avril 1597.
Des dispositions furent aussitôt prises pour dresser
l'inventaire des biens du comté, encore indivis avec
ceux du Ringraf comparsonnier. On procéda ensuite au
partage, en formant deux lots A et B, et le sort
attribua B au comte de Salm. L'acte de partage fut
signé à Badonviller le dernier jour d' Août 1598,
puis définitivement à Nancy et à Neufviller-sur-Moselle,
les 8 et 9 septembre 1598. Ce document, qui a été
publié en son entier par le baron F. Seillière dans
le Bulletin de la Société philomatique vosgienne
1893-94. donne de précieux renseignements sur
Badonviller à la fin du 16e siècle. Il mentionne les
noms des propriétaires des 133 maisons de la ville,
et des 26 maisons des deux faubourgs; il présente
également un grand intérêt pour toutes les autres
localités du comté de Salm.
Ce partage, qui laissait d'ailleurs subsister la
communauté de certains droits et revenus, établit
sur toute l'étendue de l'ancien comté, une infinité
de terres contiguës de nationalité différente, dont
l'administration plus difficile ne pouvait manquer
de soulever de fréquents conflits. Aussi, les
Ringrafs, dont les possessions furent érigées, par
l'empire, en principauté le 8 Janvier 1623,
cherchèrent-ils à mettre un terme à un état de
choses, qui cependant ne prit fin qu'en 1753.
Le comte Jean IX étant mort en 1600, le comte
François de Vaudémont, prit possession de la partie
du comté léguée à sa femme, Christine de Salm. On
sait, qu'après la mort du duc Henri Il, François de
Vaudémont, son frère, fut reconnu, en novembre 1625,
duc de Lorraine et de Bar, et que quelques jours
après, il céda ses droits de souveraineté, sauf ceux
relatifs au comté de Salm, à son fils Charles IV,
époux de sa cousine germaine Nicole, fille de Henri
Il. Il conserva d'ailleurs le titre de duc sa vie
durant.
Dom Calmet rapporte que, surtout après cette
cession, il continua à résider à Badonviller,
jusqu'à sa mort survenue le 15 octobre 1632. La
duchesse Christine de Salm l'avait précédé dans la
tombe en 1628. Le
comté de Salm, hérité par leur fils Charles IV,
entra ainsi définitivement dans le duché de
Lorraine.
Le duc François et la duchesse Christine, fondèrent
le couvent des Annonciacles qui, occupé vers 1633,
fut supprimé en 1791.
Atelier monétaire. - Par un diplôme de 1357,
l'empereur Charles IV conféra au comte de Salm Jean
III, le droit de frapper, dans son comté, des
monnaies d'or et d'argent, de même espèce que celles
de l'évêque de Metz et du duc de Lorraine. C'est en
vertu de ce diplôme, que les comtes de Salm-en-Vosge
et les Ringrafs eurent le droit régalien de battre
monnaie et qu'ils possédaient un atelier indivis à
Badonviller. On ne sait rien sur cet atelier avant
le 17e siècle. Il fonctionna, de 1626 à 1632, sous
François de Vaudémont.
L'admodiateur de la monnaie en 1627 était le sieur
Rhodt. - En 1632, avant la mort du duc François, «
Abraham Bellart, maire de Badonviller et qualifié
contrôleur de la monnaie de Badonviller, achète,
pour 2 20 francs 3 gros, la maison Didier Tirion,
entre la veuve Barbote et Didier Tiriville, pour
servir à la dite monnaie; plus 140 francs, à
Guillaume parementier chapelier, pour l'achat de la
petite maison qui est proche de celle destinée à la
monnaie», Ces bâtiments se trouvaient près de
l'église actuelle.
Après la mort de François de Vaudémont, on cessa de
frapper monnaie pendant quelques années. L'atelier
recommença à fonctionner en 1639. Le 2 octobre de
cette année, Christine de Croy, veuve du Ringraf
prince de Salm, emprunta à la monnaie de Nancy « les
outils nécessaires à faire monnaie ».
En novembre 1639, Nicolas Méry « essayeur des
monnaies de Lorraine et de Badonviller, employant
les outils empruntés, frappa quelques rixdales,
aussitôt refondus à cause de la maladresse du
fondeur à composer l'alliage, et quelques testons ».
Ces dernières pièces, essayées le 12 décembre 1639
par Nicolas Crocx, graveur, furent trouvées bonnes
de poids et de titre. - En 1640, une ordonnance de
M. de Villarceaux, intendant de la justice, police
et finances en Lorraine et Barrois, enjoignit aux
receveurs des Salines et Recettes de Lorraine et
autres, de recevoir comme bonnes les pièces d'or et
d'argent fabriquées à Badonviller.
M. J. Florange a publié, sur l'atelier monétaire des
comtes et princes de Salm, une excellente notice
avec reproduction et description de plusieurs belles
pièces sorties de la monnaie de Badonviller.
Séparation définitive du comté et de la principauté
de Salm. - L'état de choses résultant du partage de
1598, avec ses multiples inconvénients, subsistait
encore le 18 novembre 1738, date de la conclusion du
traité de Vienne. Ce traité de paix, qui attribuait
le duché de Lorraine et de Bar au roi Stanislas
Leczinski et après lui à la France, cédait en fait à
la France le comté de Salm, c'est-à-dire la moitié
du territoire possédé, par indivis, entre le duc de
Lorraine et le prince de Salm Louis-Othon, héritier
du Ringraf Frédéric. Il stipulait que les limites
de l'Empire et et de la Lorraine seraient réglées
par des Commissaires respectifs du roi et de
l'empereur. Une convention de partage fut ainsi
arrêtée, à Paris, le 21 décembre 1751 ; mais, l'acte
ne fut signé que le 31 décembre 1752. Les lettres
patentes délivrées débutent par la déclaration, que
pour couper cours aux différends réciproques, qui se
sont élevés d'ancienneté à plusieurs reprises et qui
pourraient encore naître à cause des indivis, terres
mêlées et communes des principauté et comté de Salm,
il fut convenu: que le roi de France et le roi de
Pologne, duc de Lorraine et de Bar, cèdent au prince
de Salm-Salm toutes les terres et lieux, qui leur
appartiennent nuement ou par indivis ou en commun
comme comtes de Salm, au-delà et à gauche de la
rivière de Plaine. En échange, le prince de Salm a
cédé au roi de France et au roi de Pologne, les
terres, lieux et maisons avec leurs appartenances et
dépendances, qui lui appartiennent de même nuement,
ou par indivis, ou en commun avec le comte de Salm
en deçà et à la droite de la Plaine, laquelle sera
commune, et le milieu de la dite rivière de la
Plaine fera aussi la séparation de la principauté
avec la Lorraine et le comté de Salm. Le flottage de
la rivière est déclaré commun, depuis la source
jusqu'à la sortie du comté.
Enfin, par l'article 14, les officiers, forestiers
et sergents du prince de Salm-Salm, établis à
Badonviller, étaient libres de se retirer de la dite
ville et d'en transférer leur domicile dans la
principauté avec tous leurs meubles; un délai de
deux ans leur était laissé à cet effet. Senones
devint alors la capitale d'une principauté allemande
autonome, enclavée dans le territoire français, et
constituée en faveur du feld-maréchal
Nicolas-Léopold, prince de Salm-Salm. Tous les
fonctionnaires publics, visés par l'article 14, se
retirèrent dans cette ville, où ils continuèrent à
exercer les fonctions qu'ils remplissaient à
Badonviller comme représentants des héritiers des
anciens Rhingrafs. - C'est ainsi que se fixa à
Senones, en 1751, Hyacinthe Messier, receveur
général des finances des princes de Salm depuis
1744. Hyacinthe était le frère de Charles Messier,
le célèbre astronome de la Marine, et sa fille
Marie-Agnès Messier épousa le chancelier de la
principauté, M. Noël. - Parmi les émigrés, citons
encore Claude Relogne, médecin, fixé à Senones, en
1753, comme premier chirurgien juré de la
principauté, dont le fils, Antoine Relogne, exerçait
après lui la même fonction.
Cette séparation, si désirable au point de vue
politique, eut des conséquences désastreuses pour
Badonviller. L'ancienne capitale resta le chef-lieu
d'une prévôté, dont le titulaire cumulait les
Finances et la Justice du comté de Salm, encaissant
les impôts, soldant les dépenses et jugeant les
procès tant au criminel qu'au civil; il présidait en
outre aux plaids annaux, à la saint Georges et à la
saint Martin. Cette nouvelle organisation dura
jusqu'à la révolution de 1789, qui fit table rase
des anciennes institutions et fit entrer, la
Principauté séparée de Salm-Salm elle-même, dans le
cadre de l'unité française.
(à suivre) |