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							Rapports et procès-verbaux d'enquête de la 
							commission instituée en vue de la commission 
							instituée en vue de constater les actes commis par 
							l'ennemi en violation du droit des gens.1915-1916
 
							MEURTHE-ET-MOSELLE N° 141.DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, 
							devant la Commission d'enquête instituée par décret 
							du 23 septembre 1914.
 SIMON (Gustave), 48 ans, maire de Nancy:
 Je jure de dire la vérité.
 Depuis le 11 novembre 1914, date à laquelle j'ai 
							déjà déposé devant vous (1), la ville de Nancy, où 
							il n'existe ni troupes, ni établissements 
							militaires, a été bombardée quinze fois par des 
							aéroplanes allemands et deux fois par des 
							dirigeables. Vingt-et-une personnes ont été tuées et 
							vingt-cinq ont été blessées. Je vais d'ailleurs vous 
							remettre un état qui a été dressé par les soins du 
							commissaire central, et qui fait connaître d'une 
							façon précise les conditions et les résultats de ces 
							bombardements.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 142, 143.
 DOCUMENTS remis à la Commission, le 22 septembre 
							1915, par M. Gustave SIMON,
 maire de Nancy.
 I.
 NOTE RÉCAPITULATIVE
 et par dates des divers genres de bombardements 
							allemands sur la ville de Nancy.
 [...]
 
 Nos 144, 145, 146, 147.
 DÉPOSITIONS faites, le 21 septembre 1915, à 
							LUNÉVILLE, devant la Commission d'en- quête. KELLER 
							(Emile-Georges), 57 ans, maire de Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Depuis que j'ai fait devant vous une déposition, de 
							très nombreux avions allemands ont survolé notre 
							ville ou tenté de la survoler. Le plus souvent, ils 
							ont été mis en fuite par nos canons ou par nos 
							escadrilles. Cinq ou six fois, ils ont réussi à 
							jeter des bombes, sans cependant obtenir d'autre 
							résultat que des dégâts matériels. Une autre fois, 
							ils ont tué un homme et en ont blessé deux autres. 
							Depuis quelque temps surtout, nous avons remarqué 
							que les tentatives se répétaient le mercredi, jour 
							de marché, et à sept heures du matin, moment où le 
							marché est en pleine activité. Le mercredi 1er 
							septembre, à sept heures, après avoir entendu un 
							fracas épouvantable et avoir été prévenu que 
							plusieurs personnes venaient d'être tuées, je me 
							suis rendu rue de la Charité, où avait éclaté une 
							bombe, et où se tenait la partie du marché 
							spécialement occupée par les marchands de légumes 
							venus des villages environnants. La rue présentait 
							l'aspect d'un carnage affreux. Des cadavres de 
							femmes, écrasés et déchiquetés, étaient accumulés le 
							long du mur de l'école. Les visages étaient noirs, 
							des thorax étaient vidés, des membres épars gisaient 
							sur le sol, des débris de cervelle avaient été 
							projetés sur la chaussée et jusque dans les 
							magasins, où une partie de la foule, effrayée par 
							l'explosion précédente de deux bombes, s'était 
							réfugiée. Partout on voyait du sang répandu. On a 
							ramassé immédiatement trente-huit cadavres et 
							trente-six blessés. D'autres personnes atteintes 
							avaient pu se réfugier chez elles ou dans les 
							pharmacies. Plusieurs blessés ont succombé depuis. 
							Actuellement, à ma connaissance, l'attentat a causé 
							quarante-six morts ; le nombre des blessés qui ont 
							survécu est d'environ cinquante, tant à Lunéville 
							que dans huit villages des environs.
 La plupart des victimes étaient des femmes. Beaucoup 
							d'entre elles étaient venues des communes déjà 
							ravagées par les Allemands apporter ici les produits 
							de leurs jardins.
 Ce jour-là, seize bombes ont été lancées par trois, 
							quatre ou cinq avions qui volaient à une hauteur de 
							plus de deux mille mètres, et dont les itinéraires 
							se sont coupés vers le centre de la ville. Hier et 
							ce matin encore, des aéroplanes allemands ont essayé 
							de venir au-dessus de nous.
 J'ajoute que, le 1er septembre, plusieurs 
							projectiles incendiaires ont été lancés, car la 
							maison Leyser, avenue des Vosges, a été brûlée par 
							suite de l'éclatement d'une des bombes.
 Après lecture le témoin a signé avec nous.
 
 IMBERT (Louis), 48 ans, commissaire de police à 
							Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Depuis quelque temps, je remarquais que des avions 
							allemands essayaient de survoler Lunéville, les 
							jours de marché, entre six et huit heures du matin. 
							Le 1er septembre, à sept heures dix, je me trouvais 
							aux turbines, usine élévatoire des eaux qui est 
							située au sud de la ville, quand-mon attention a été 
							appelée par des détonations. J'ai vu alors des 
							colonnes de fumée s'élevant au-dessus de 
							l'agglomération. A ce moment, j'ai entendu un 
							sifflement caractéristique, et presque aussitôt, une 
							bombe a éclaté à trente mètres de moi. Je n'ai pas 
							été atteint, car j'avais pu me protéger en me 
							couchant derrière un mur. M'étant relevé, je me suis 
							dirigé en courant vers la ville, tandis que deux 
							autres projectiles tombaient près de l'endroit que 
							je venais de quitter. En arrivant rue de la Charité, 
							je me suis trouvé, en présence d'un spectacle 
							horrible. La chaussée, les corridors et les magasins 
							étaient remplis de cadavres et de débris humains. 
							Une bombe, tombée presque au milieu de la rue, avait 
							fait parmi la foule de très nombreuses victimes.
 J'ai appris ensuite que plusieurs des engins dont 
							j'avais entendu les détonations avaient éclaté, l'un 
							rue de Metz, un autre rue Sainte-Marie, à trente 
							mètres du marché, et un troisième au cimetière, où 
							il avait tué une personne et en avait blessé trois 
							autres. Un autre projectile encore a été lancé 
							presque en même temps avenue des Vosges, sur la 
							maison Leyser, qui a été incendiée.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 THIEBAUT (Julien-Emile), 53 ans, sculpteur à 
							Lunéville:
 Je jure de dire la vérité.
 Le 1er septembre courant, un peu après sept heures 
							du matin, me trouvant devant ma porte, j'ai vu 
							venir, de la direction du nord-ouest, un avion 
							allemand, et j'ai entendu l'explosion de quatre 
							bombes autour de moi. La première est tombée dans la 
							petite allée du cimetière; la seconde a éclaté près 
							de la grille et a tué le jardinier, M. Jean, en même 
							temps qu'elle blessait au bras Mme Larivière, 
							fleuriste; la troisième, qui m'a paru énorme, a fait 
							un trou à seize mètres de ma porte et a blessé deux 
							personnes, Mme Baguet et M. Bigorre, concierge du 
							cimetière; la quatrième enfin est tombée sur un tas 
							de briques, dans le jardin de M. Cuny-Mangin, 
							marbrier. Après lecture, le témoin a signé avec nous 
							et avec M. BIGORRE (Joseph), âgé de 46 ans, 
							concierge du cimetière de Lunéville, lequel, après 
							avoir prêté serment, a confirmé la déposition 
							ci-dessus, avec cette seule différence qu'il n'a pas 
							vu l'avion qui a lancé les bombes.
 
 PIERSON (Maria), femme BILDSTEIN, 40 ans, demeurant 
							à Lunéville :
 Je jure de dire la vérité. Notre magasin de coiffure 
							est situé à trente mètres environ de l'endroit où 
							est tombée la bombe, rue de la Charité, le 1er 
							septembre courant. La fusée a été projetée tout près 
							de notre porte. Beaucoup de personnes s'étaient 
							réfugiées chez nous; l'une d'elles, Mme Souvenier, y 
							a été tuée. Le spectacle de la rue était 
							épouvantable.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 148.
 DÉPOSITION faite, le 14 janvier 1915, à PARIS, 
							devant la Commission d'enquête. BERSON (Gustave), 64 
							ans, professeur au lycée Condorcet à Paris, 
							chevalier de la Légion d'honneur :
 Je jure de dire la vérité.
 Je me suis rendu le 8 août à Badonviller, où je 
							possède une maison, et où j'ai l'habitude de passer 
							mes vacances. Le 9, le 10 et le 11, il y a eu 
							quelques combats à proximité de la ville. Le 12, 
							vers quatre heures cinquante du matin, une canonnade 
							violente se fit entendre. Elle fut suivie d'une 
							fusillade nourrie, qui dura une heure environ. Nos 
							troupes s'étant retirées, une dizaine de Bavarois 
							arrivèrent ensuite. A ce moment, ma domestique, 
							ayant soulevé le rideau d'une fenêtre du second 
							étage, reçut au poignet une balle qui ne lui fit 
							qu'une blessure légère; puis, un plus grand nombre 
							de soldats étant survenus, j'entendis crier: Halt ! 
							et aussitôt ma maison fut criblée de balles. Au bout 
							de dix minutes, les Bavarois tirèrent de nouveau sur 
							mon habitation. Je sortis alors; mais à peine 
							étais-je sur le seuil de ma porte que j'étais mis en 
							joue par un des soldats qui occupaient l'hôtel de 
							ville, situé en face de chez moi. Je rentrai 
							précipitamment, sans avoir essuyé le coup de feu 
							dont j'étais menacé. Vers midi, ayant entendu le 
							tambour, j'ouvris la porte de derrière; puis, sur 
							l'ordre d'un Bavarois, je me rendis à la mairie. J'y 
							trouvai un grand nombre d'habitants : on arrêtait, 
							en effet, toute la population mâle; et en même 
							temps, l'ennemi brûlait avec des bombes à main une 
							partie de la ville. Nous étions gardés par une 
							troupe que commandait un capitaine, et dans laquelle 
							j'ai vu deux hommes portant au bout du fusil des 
							baïonnettes à dents de scie.
 A un certain moment, je fis passer ma carte au 
							capitaine, espérant que ma situation de professeur 
							serait peut-être prise par lui en considération. Je 
							ne m'étais pas trompé ; car après m'avoir fait signe 
							d'approcher et m'avoir écouté, tandis que je lui 
							indiquais les circonstances à raison desquelles je 
							me trouvais à Badonviller, il me rendit ma carte, 
							sur laquelle il avait inscrit la mention suivante: «  
							Peut rentrer chez lui. Baumann, Haupt. 1/16.» Je lui 
							avais expressément demandé une pièce pouvant me 
							servir de sauf-conduit, car le percepteur venait de 
							me prévenir que j'étais menacé d'être fusillé, le 
							soldat qui m'avait mis en joue ayant prétendu qu'on 
							avait tiré de chez moi. Le même officier a consenti 
							également à rendre la liberté au curé. Il a 
							d'ailleurs fait preuve d'humanité. Comme les 
							Allemands bombardaient l'église avec des bombes 
							incendiaires, alors qu'il n'y avait plus de combat 
							même aux environs, j'ai obtenu qu'il commandât à un 
							certain nombre de ses hommes, de faire la chaîne, 
							pour éteindre l'incendie qui avait éclaté dans un 
							groupe de maisons voisines, et qui menaçait de 
							s'étendre à toute la rue. A plusieurs reprises, du 
							reste, il s'entretint avec moi d'une façon presque 
							bienveillante. «  Etes-vous bien sûr, lui dis-je, que 
							des civils aient tiré sur vous? - Le maire, me 
							répondit-il, m'a déjà affirmé avec tant d'énergie ce 
							que vous m'avez dit vous- même, que je finirai par 
							le croire. » Quoi qu'il en soit, la femme du maire, 
							Mme Benoit, a été fusillée au moment où elle ouvrait 
							une de ses fenêtres; Hippolyte Marchal, âgé de 
							soixante-dix-sept ans, presque mon voisin, étant sur 
							sa porte, a été atteint d'une balle au-dessus du 
							coeur; Spatz, ferblantier, âgé de quatre-vingt-sept 
							ans, a reçu la mort au moment où il sortait de sa 
							cave. Enfin, un facteur a été massacré chez lui avec 
							ses beaux-parents, sans doute parce qu'il portait un 
							képi. Cinq autres personnes ont été également tuées. 
							Quatre-vingt-huit maisons ont été incendiées le 11 
							août. Le 13, sept otages ont été emmenés jusqu'à 
							Strasbourg : ils ne sont revenus qu'au bout de 
							vingt-cinq jours. Le capitaine Baumann commandait 
							une troupe qui occupait le centre de Badonviller. 
							Cette partie de la ville a été la moins maltraitée. 
							J'ai quitté le pays le 16 août.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 149.
 DÉPOSITION faite, le 11 mai 1915, à PARIS, devant 
							la Commission d'enquête.
 BESNARD (Clovis-Pierre-Germain), 57 ans, commandant 
							en retraite, 65, avenue de Breteuil :
 Je jure de dire la vérité.
 Je me trouvais dans notre propriété de Badonviller 
							lors de l'arrivée du 2e régiment d'infanterie 
							bavarois, et j'ai été témoin des actes contraires au 
							droit des gens dont les hommes de ce régiment, ainsi 
							que des uhlans, se sont rendus coupables.
 Je n'ai rien à ajouter aux énonciations du rapport 
							que j'ai adressé à M. le Ministre de la Guerre, au 
							sujet de ces faits, le 19 août dernier. Je vais vous 
							en donner lecture et vous en remettre une copie, 
							dont je certifie l'exactitude sous la foi du 
							serment.
 Tous les actes de violence que j'ai rapportés et 
							dont j'ai été le témoin se sont passés en présence 
							du capitaine bavarois Baumann.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 150.
 RAPPORT du commandant en retraite BESNARD à M. le 
							Ministre de la Guerre.
 Paris, le 19 août 1914.
 1. Incendie d'une ferme. - Le mardi 11 août, vers 
							dix-neuf heures, les fumées des incendies allumés 
							par les Allemands dans les directions Cirey, Parux, 
							Bréménil semblèrent plus proches. C'était la ferme 
							de «  Bon-gré-Jean » qui brûlait ; voici dans quelles 
							circonstances. Deux chasseurs à pied français, 
							frappés d'insolation, avaient laissé leurs fusils 
							aux environs de cette ferme. Un paysan de 
							Badonviller alla, de son propre mouvement, à la 
							recherche de ces armes, malgré la défense réitérée 
							du maire. Il en trouva une. Il fut aperçu par une 
							patrouille allemande qui tira sur lui et le toucha à 
							l'épaule. Le blessé se traîna dans le fossé jusqu'à 
							la ferme de «  Bon-gré-Jean », où la femme 
							l'accueillit. Les Allemands pénétrèrent alors dans 
							la maison, s'emparèrent du blessé et de la femme, et 
							mirent le feu à la ferme. Les enfants furent 
							recueillis par une tante qui les ramena à 
							Badonviller. Leur mère fut relâchée le lendemain.
 
 2. Femme du maire fusillée. - Sa maison incendiée. - 
							Le mercredi 12 août, après un combat qui dura de 
							cinq heures à dix heures du matin, les Allemands 
							entrèrent dans Badonviller en tirant dans toutes les 
							fenêtres, sous le fallacieux prétexte qu'un civil 
							avait tiré sur eux. La femme du maire, Mme Benoit, 
							qui ouvrait ses fenêtres suivant l'ordre des 
							Allemands fut fusillée et la maison immédiatement 
							incendiée sous les yeux de son mari, maintenu entre 
							quatre hommes baïonnette au canon. Le maire y avait 
							accumulé pour soixante mille francs de denrées 
							alimentaires, destinées aux ménages nécessiteux 
							pendant la durée de la guerre. Tout fut la proie des 
							flammes.
 
 3. Tir de mitrailleuse sur une ambulance. - La 
							maison du directeur de la faïencerie, M. Début, 
							servant d'ambulance et protégée par la Croix-Rouge, 
							fut, à bout portant, couverte de projectiles par une 
							mitrailleuse allemande. Le directeur ouvrit la porte 
							à deux battants et obtint la cessation du feu; mais 
							l'incendie gagna la maison, et l'on n'eut que le 
							temps d'évacuer les blessés.
 
 4. Incendie du refuge de blessés. - Deux chasseurs à 
							pied blessés ayant été surpris dans l'écurie de 
							l'hôtel de la Gare, les Allemands vinrent demander 
							des allumettes à l'hôtesse et mirent le feu à son 
							écurie en sa présence. Ils ont pris à l'hôtel quatre 
							mille bouteilles et trente hectolitres de vin, 
							indépendamment du pillage des chambres.
 
 5. Pillage organisé. - Vers quatorze heures, les 
							Allemands firent ordonner à la population de se 
							rendre devant l'hôtel de ville et de laisser portes 
							et fenêtres ouvertes, en menaçant de fusiller 
							quiconque serait trouvé dans les maisons. Cet ordre 
							exécuté, ils pénétrèrent partout, brisant, pillant 
							de la cave au grenier, jetant sur le sol les denrées 
							qu'ils ne pouvaient emporter, et déposant des 
							ordures dans les cuisines et les salles à manger. 
							Ces déprédations ont surtout été commises aux 
							extrémités du bourg et chez les commerçants.
 
 6. Incendies multiples. - Pendant ce temps, des obus 
							avaient mis le feu à l'église, sous le faux prétexte 
							que l'on avait tiré du haut du clocher. Pourtant, on 
							prouva que l'escalier menant au clocher était fermé 
							à clef et vide : le juge de paix et le percepteur le 
							firent constater à une patrouille qui les y 
							accompagna. D'autres incendies furent allumés en de 
							nombreux endroits. Entre autres, devant la grange de 
							M. Seyer, boucher, de la paille d'avoine avait été 
							étendue et allumée. Elle communiqua le feu et 
							réduisit en cendres onze maisons contiguës. 
							L'incendie se propagea autour de l'hôtel de ville et 
							à l'hôtel de ville lui-même. Le capitaine allemand 
							(Baumann) commença à s'émouvoir; et, sur la demande 
							du maire, il donna cinquante Bavarois pour aider à 
							s'opposer au fléau. Les femmes rassemblées furent 
							mises à la chaîne, et ensuite, on les autorisa à 
							rentrer dans les maisons voisines.
 
 7. Parcage des hommes. - Quant aux hommes, les 
							jeunes et les vieux furent parqués dans les halles, 
							sur de la paille. Les notables furent gardés toute 
							la nuit, assis sur des bancs devant la mairie, avec 
							indication que si un seul bougeait, tous seraient 
							fusillés. On autorisa les femmes à apporter quelque 
							subsistance à leurs maris ou à leurs fils.
 
 8. Prise d'otages. - Le jeudi 13 août, vers dix 
							heures, la compagnie allemande reçut l'ordre de se 
							replier vers le nord. Le lieutenant commandant la 
							compagnie (relevée la veille au soir) prévint qu'il 
							allait emmener les prisonniers, le maire et quelques 
							notables, pour les mettre devant le premier rang à 
							l'ouverture du feu. En réalité, il emmena, encadrés 
							à la gauche de sa colonne: un adjudant, un caporal 
							et plusieurs chasseurs à pied prisonniers de la 
							veille; le juge, de paix; le receveur des postes; le 
							contremaître de l'usine; les deux gardes champêtres 
							et quelques autres personnes prises au hasard. 
							Quarante-huit heures après, un seul était revenu, 
							ignorant le sort des autres.
 
 9. Quatre-vingt-cinq immeubles environ incendiés. - 
							Après le départ de la colonne, l'on put constater la 
							ruine complète de l'église et de quatre-vingt-quatre 
							maisons environ sur quatre cents que compte la 
							commune.
 
 10. Civils inoffensifs tués. - Chargé par le maire 
							de reconnaître l'identité des cadavres gisant sur 
							une certaine partie du territoire, j'ai constaté que 
							les Allemands tuaient indistinctement militaires et 
							civils, enfants, femmes, hommes, vieillards : (tels 
							sont M. Marchal, soixante-dix ans, et M. Spatz, 
							quatre-vingt-cinq ans.) J'ai identifié au même 
							endroit, devant le chalet Fayard, les corps du 
							facteur des postes Gruber, de son beau-père et de sa 
							belle-mère, de M. Boulay et de son fils, âgé de 
							quinze ans.
 De tous ces faits, j'ai été le témoin oculaire.
 
 11. Source empoisonnée. - Au moment de quitter le 
							pays, après le départ des Allemands, ma femme ne 
							pouvant plus supporter la vue de ces scènes de 
							dévastation, j'ai appris que les Allemands avaient 
							jeté un cadavre dans la principale source qui 
							alimente le pays; mais je n'ai pas été témoin de ce 
							dernier acte de barbarie.
 
 12. M. Lejeal, percepteur. - Il est équitable de 
							signaler la belle conduite du percepteur de 
							Badonviller, qui, très au courant de la langue 
							allemande, a constamment servi d'interprète au maire 
							et d'intercesseur auprès des barbares, allant, au 
							péril de sa vie, sous le feu de l'artillerie, 
							demander qu'on laissât aux femmes et aux enfants le 
							temps de fuir. C'est grâce à M. Lejeal que la ruine 
							de Badonviller n'a pas été complète.
 Certifié conforme à la vérité.Signé : BESNARD.
 
 N° 151.
 DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à Lunéville, 
							devant la Commission d'enquête.
 ODINOT (Lucie), 12 ans, demeurant à Badonviller :
 Le 12 août 1914, mon frère, Georges Odinot, âgé de 
							seize ans, sortait de notre cave avec un litre de 
							vin et une miche de pain pour notre repas, et 
							entrait dans la cuisine, quant deux Allemands sont 
							arrivés avec leurs fusils et l'ont mis en joue. Il a 
							crié : «  Pardon, Messieurs ! » mais l'un d'eux a 
							tiré sur lui et l'a atteint à la gorge. Mon frère 
							est mort sur le coup. Les Allemands l'ont alors 
							traîné dehors par les jambes.
 Après lecture, le témoin, qui pleure abondamment, a 
							signé avec nous.
 
 Nos 152, 153.
 DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à BACCARAT 
							(Meurthe-et-Moselle), devant la Commission 
							d'enquête.
 BENOIT (Joseph-Edmond), 47 ans, maire de Badonviller 
							(Meurthe-et-Moselle), chevalier de la Légion, 
							d'honneur, actuellement à Baccarat :
 Je jure de dire la vérité. Le 12 août 1914, le 16e 
							bavarois d'infanterie (bataillon ou régiment) a 
							occupé Badonviller, tandis que d'autres corps, 
							notamment les 2e, 5e et 12e régiments, n'ont fait 
							qu'y passer. Après d'assez violents combats aux 
							environs, nos troupes s'étaient retirées, et il 
							n'était resté dans la ville qu'une quinzaine de 
							chasseurs à pied français. Prétendant à tort que la 
							population civile s'était livrée à une agression, le 
							capitaine Baumann, du 16e, s'est montré fort 
							menaçant, et j'ai parlementé avec lui pour 
							l'apaiser. Je lui ai affirmé qu'aucun de mes 
							concitoyens n'avait tiré. Il m'a alors enjoint de 
							l'accompagner dans les rues et de faire ouvrir 
							portes et fenêtres. Sur ma demande, ma femme, qui se 
							trouvait chez mes beaux-parents, s'est rendue à 
							notre domicile pour obéir à l'ordre donné; puis, je 
							me suis transporté auprès du général allemand pour 
							lui attester, comme au capitaine, la parfaite 
							innocence de mes administrés, et pour le prier de 
							faire mettre fin aux fusillades qu'on entendait, 
							ainsi qu'aux incendies qui commençaient.
 Ce général m'a donné vingt minutes pour livrer les 
							soldats qui s'étaient réfugiés dans les maisons et 
							pour rassembler les habitants devant la mairie. 
							Comme je redescendais avec M. Lejeal pour faire 
							exécuter ces ordres, un officier allemand, me 
							montrant ma propre maison, prétendit qu'on avait 
							tiré de là. Je protestai énergiquement et j'entrai 
							chez moi avec quatre soldats pour faire visiter 
							l'habitation. Dans une des chambres du premier 
							étage, dont une fenêtre était ouverte, j'ai trouvé 
							le cadavre de ma femme qui portait une blessure par 
							balle en pleine poitrine. J'ai voulu me précipiter 
							sur le corps; mais les Allemands m'ont entraîné et 
							j'ai dû procéder avec eux à des perquisitions chez 
							des voisins.
 J'étais rentré à la mairie, quand j'ai appris que ma 
							maison brûlait; d'ailleurs le feu avait été mis déjà 
							à une partie de la ville. Je suis resté deux jours 
							prisonnier, et je n'ai connu les meurtres commis à 
							Badonviller que par les rapports qui m'ont été 
							faits. J'ajoute que quand les Bavarois ont incendié 
							les maisons, ils ont empêché qu'on fît sortir le 
							bétail.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 LEJEAL (Eugène), 55 ans, percepteur des 
							contributions directes à Badonviller:
 Je jure de dire la vérité.
 Je me trouvais avec M. Benoit, maire de Badonviller, 
							quand il est allé parler au général allemand, et 
							comme lui, j'ai tout fait pour obtenir que la ville 
							fût épargnée. Vous savez déjà qu'une partie de 
							Badonviller a été détruite par le feu et que 
							plusieurs habitants, ont été massacrés. J'ai vu 
							personnellement les cadavres de M. et de Mme Georges 
							et de M. Gruber; c'est moi qui les ai fait inhumer.
 Une seconde occupation a eu lieu le 23 août. Les 
							Allemands ont alors enlevé tout ce qui, la première 
							fois, avait échappé au pillage. Je suis allé trouver 
							un officier supérieur pour lui faire remarquer que 
							nous nous trouvions dans l'impossibilité de subvenir 
							aux besoins de quatre-vingts blessés français 
							recueillis par nous; mais je n'ai rien pu obtenir, 
							et j'ai été éconduit.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 154.
 DÉPOSITION faite, le 23 septembre 1915, à 
							BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la 
							Commission d'enquête.
 FOURNIER (Emile), 26 ans, administrateur délégué 
							dans les fonctions de maire à Badonviller :
 Je jure de dire la vérité.
 Les Bavarois des 2e, 5e, 12e et 16e régiments 
							d'infanterie sont arrivés à Badonviller le 12 août 
							1914, à cinq heures et demie du matin. Leur premier 
							acte a été d'assassiner M. Marchal, propriétaire, 
							âgé de soixante-dix-huit ans, qui était 
							tranquillement sur le seuil de sa porte. J'ai 
							entendu le coup, de feu qui lui a donné la mort.
 Bientôt un combat, qui s'était engagé dans la 
							campagne, s'est poursuivi dans l'intérieur de la 
							ville entre les Allemands et des chasseurs à pied 
							français du 20e bataillon; mais ceux- ci ont dû 
							battre en retraité vers neuf heures. A ce moment, 
							sont entrées des colonnes ennemies, composées 
							d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, sur les 
							arrières desquelles nos chasseurs ont tiré. Furieux 
							de cette fusillade, les Allemands en ont rendu 
							responsable la population civile, et l'ordre est 
							arrivé de mettre tout à feu et à sang. Il a été 
							d'abord enjoint aux habitants d'ouvrir portes et 
							fenêtres, et à tous les hommes de se réunir à 
							l'hôtel, de ville. Mme Benoît, femme du maire, qui 
							se trouvait chez son père, s'est alors rendue a son 
							domicile, et comme elle ouvrait sa fenêtre, elle a 
							été tuée par des coups de feu. Son mari était a ce 
							moment auprès du général ennemi, auquel il affirmait 
							qu'aucun civil n'avait commis le moindre acte 
							d'agression et promettait qu'il ne s'en produirait 
							aucun. Quand il revint, accompagné de M. Lejeal, 
							percepteur, actuellement à Lunéville, un officier 
							allemand lui dit, en lui montrant son habitation : «  
							De cette maison, on vient de tirer sur nos troupes. 
							» Le maire protesta énergiquement, déclarant que 
							l'immeuble était à lui, qu'il était entièrement 
							vide, et s'offrant à le faire visiter. En ouvrant la 
							porte, il se trouva devant le cadavre de Mme Benoit. 
							Affolé par la douleur, il se jeta sur le corps de sa 
							femme; mais il en fut brutalement arraché, et la 
							perquisition se poursuivit, ne produisant 
							naturellement aucun résultat. Enfin, quand M. Benoit 
							eut été reconduit à la mairie, les Allemands mirent 
							le feu à la maison pour faire disparaître les traces 
							de leur crime. Le corps de la malheureuse femme fut 
							carbonisé.
 Dans le même quartier, les ennemis incendièrent 
							également une cité ouvrière et un certain nombre 
							d'autres bâtiments. A ce moment-là, le jeune Odinot, 
							âgé de seize ans, tué dans la cuisine de ses 
							parents, a été traîné dehors par des soldats et jeté 
							dans un hangar en flammes.
 Pendant ce temps, d'autres crimes étaient commis à 
							l'extrémité opposée de la ville, où le feu était 
							également allumé. M. et Mme. Georges, leur fille, 
							leur gendre (M. Gruber, facteur), et deux jeunes 
							enfants de ces derniers, surpris par les flammes 
							dans leur cave où ils s'étaient réfugiés, ayant, 
							essayé de se sauver, ont été poursuivis à coups de 
							fusil. M. et Mme Georges ont été a battus devant 
							leur maison. M. Gruber, mortellement atteint, avec 
							un de ses enfants entre les bras, s'est traîné 
							jusque dans un pré voisin où il a succombé cinq 
							heures après, sans qu'il fût permis à sa femme, qui, 
							d'une maison située en face, assistait à l'agonie de 
							ce malheureux, d'aller lui porter secours.
 Un certain nombre de personnes, découvertes dans les 
							maisons, en ont été brutalement expulsées, puis 
							réunies dans la grande rue, où elles ont été 
							soumises aux pires traitements. Parmi elles se 
							trouvait un vieillard d'environ soixante-quinze ans, 
							M. Batoz, qui, malade et impotent, a été tiré hors 
							de son lit et traîné nu sur la route. Il est mort 
							une quinzaine de jours plus tard à l'hospice. Tous 
							ces prisonniers ont été cruellement frappés. A un 
							certain moment, on a obligé une dizaine de jeunes 
							gens a s'étendre sur le sol, les bras, en croix, et 
							les Bavarois, en passant auprès d'eux, leur 
							marchaient sur les mains ou leur portaient des coups 
							de crosse et des coups de pied. C'est dans ces 
							circonstances que le fils Massel, âgé de dix-huit 
							ans, blessé par une balle, est tombé dans un 
							ruisseau qui coulait derrière lui et s'est noyé, 
							sans qu'on autorisât sa mère et ses soeurs, témoins 
							de la scène, à s'approcher.
 Non loin de là, M. Boulay, âgé de cinquante-cinq 
							ans, et son fils, âgé de quinze ans, ont été tués à 
							leur domicile. Mme Boulay et sa fille, qui habitent 
							maintenant à Nancy, ont assisté au meurtre, sur 
							lequel je manque personnellement de précisions. 
							Enfin, M. Spatz, âgé de quatre-vingt-un ans, a été 
							trouvé mort chez lui : il avait été atteint d'une 
							balle.
 Tandis que tous ces meurtres étaient commis, une 
							partie de la ville flambait et l'ennemi se livrait à 
							un pillage général. Quatre-vingt-cinq maisons ont 
							été incendiées à la main. L'église a été canonnée, à 
							deux heures de l'après-midi, par une batterie 
							d'artillerie placée sur une crête dominant 
							Badonviller. Ce bombardement a eu lieu en présence 
							des otages de Fenneviller, qu'on avait amenés auprès 
							des pièces et qu'on obligeait à crier : hourra! avec 
							les soldats, à chaque coup de canon.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 155, 156, 157.
 DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à 
							BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la 
							Commission d'enquête.
 BAUQUEL (Paul), 53 ans, docteur en médecine, à 
							Badonviller :
 Je jure de dire la vérité. Le 12 août, j'étais en 
							train de soigner des blessés allemands et français, 
							quand j'ai vu passer lés pièces d'artillerie 
							allemande qui, je l'ai su ensuite, se rendaient à la 
							crête des Trois-Sauveux pour canonner notre église.
 Les otages de Fenneviller, notamment le maire, m'ont 
							raconté, qu'on les avait conduits auprès des 
							batteries et qu'ils avaient assisté à la destruction 
							du monument. A chaque coup de canon, m'ont-ils dit, 
							les Allemands les obligeaient à se découvrir et à 
							crier a hourra ! avec eux.
 Après lecture, lé témoin a signé, avec nous.
 
 Ferry (Louis), 51. ans, conseiller municipal à 
							Badonviller
 Je jure de dire là vérité.
 Le 12 août, les Allemands, prétendant que des civils 
							avaient tiré sur eux et qu'il y avait des 
							francs-tireurs dans le clocher de l'église, 
							menaçaient de massacrer la population et de brûler 
							Badonviller. Pour leur démontrer qu'il n'y avait ici 
							aucun franc-tireur, j'ai conduit moi-même un certain 
							nombre d'Allemands à l'hôtel de ville, qui est situé 
							en face de l'église et qui domine une partie de la 
							ville. De là, ils ont tiré plusieurs coups de fusil 
							par les fenêtres. Un peu plus tard, ayant dû encore 
							escorter des soldats à travers les rues, je les ai 
							vus tirer sur les maisons avec des cartouches qui, 
							en fusant, mettaient le feu partout.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 THOMAS (Émile), 55 ans, chef comptable à l'usine 
							Fenal, à Badonviller :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 12 août, j'ai vu les Allemands tirer des coups de 
							fusil dans les vitres des maisons de Badonviller, 
							et, en ma présence, ils ont mis le feu, avec de la 
							paille enflammée, à la maison de Mme veuve Roland.
 Après lecture le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 158, 159, 160, 161.
 DÉPOSITIONS reçues, le 20 octobre 1914, à DIGOIN 
							(Saône-et-Loire), par M. GACON, juge de paix.
 JACQUEL (Juliette), veuve Joseph DÉPOUTOT, 60 ans, 
							ménagère, domiciliée à Badonviller, réfugiée à 
							Digoin depuis le 30 août 1914 :
 Serment prêté.
 Dès le matin du 12 août dernier, Badonviller fut 
							occupé par les troupes allemandes; sans aucune 
							provocation de la part des habitants, et quoi qu'il 
							n'y eût aucun soldat français dans la ville, les 
							Allemands se mirent à tirer des coups de fusil sur 
							les maisons, par les fenêtres, les portes et les 
							soupiraux. J'ai vu tuer de la sorte M. Gruber, 
							facteur des postes, M. et Mme Georges, manoeuvres à 
							la faïencerie, mes voisins. Je me réfugiai, avec ma 
							fille Alice et ma petite-fille, chez mon frère, 
							Jean-Baptiste Jacquel, qui demeure dans un autre 
							quartier; mais il était déjà arrêté. Vers une heure 
							de l'après-midi, les Allemands vinrent donner 
							l'ordre d'ouvrir les portes et les fenêtres ; puis, 
							remarquant sur la maison de mon frère des pigeons 
							domestiques, ils feignirent de les prendre pour des 
							pigeons voyageurs, malgré nos dénégations, et les 
							officiers donnèrent l'ordre de mettre le feu à la 
							maison, ce qui fut fait immédiatement au moyen de 
							bombes. Je parvins à m'échapper; mais ma fille Alice 
							et ma petite-fille durent rester dans la maison en 
							flammes, sous la menace des fusils; pendant ce 
							temps-la, la fusillade crépitait dans les rues de la 
							ville. Cependant ma fille et ma petite-fille purent 
							s'échapper par une porte de derrière; elles 
							gagnèrent la campagne, au milieu de la fusillade, et 
							se réfugièrent dans un bois. Quant à moi, je fus 
							arrêtée avec d'autres femmes et des enfants, et nous 
							fûmes conduits en dehors de la ville, où nous 
							restâmes jusqu'à dix heures du soir; puis, l'on nous 
							fit rentrer en ville et l'on nous garda jusqu'à cinq 
							heures du matin, toujours sous menace de mort au 
							moindre geste ou au moindre regard hostile.
 J'ai vu les soldats allemands piller les magasins et 
							les maisons, s'emparer des meubles et de la literie, 
							qu'ils chargeaient sur des voitures, prendre tous 
							les animaux de basse-cour et mettre le feu aux 
							maisons. J'ai retrouvé ma maison pillée et les 
							meubles brisés ; quant à la maison de mon frère, 
							située rue du Faubourg-d'Alsace, il n'en reste plus 
							rien.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 DÉPOUTOT (Alice), 19 ans, velouteuse, domiciliée à 
							Badonviller, réfugiée à Digoin, fille du précédent 
							témoin :
 Serment prêté. Lorsque les Allemands arrivèrent à 
							Badonviller, je me réfugiai, avec ma mère. et ma 
							fille âgée de dix mois, chez mon oncle, 
							Jean-Baptiste Jacquel, rue du Faubourg d'Alsace. 
							Vers une heure de l'après-midi, les Allemands, 
							apercevant des pigeons domestiques sur la maison de 
							mon oncle, feignirent de croire, malgré nos 
							affirmations contraires, que c'étaient des pigeons 
							voyageurs; ils incendièrent la maison au moyen de 
							bombes. Ma tante, ma fille et moi fûmes obligées de 
							rester dans la maison, sous peine d'être fusillées, 
							et nous aurions été certainement brûlées vives, si 
							nous n'avions pu nous échapper par une porte de 
							derrière et gagner la campagne, puis un bois. A 
							l'entrée du bois, nous fûmes arrêtées et fouillées 
							par des soldats ; l'on me vola ma montre en argent, 
							ainsi que quelques provisions que j'avais réussi à 
							emporter (sucre, chocolat et pain). Nous restâmes 
							environ quatre heures dans ce bois et nous réussîmes 
							à nous sauver ; mais nous fûmes reprises plus tard 
							et enfermées au château des Merises, appartenant à 
							M. Trudelle, où nous restâmes, sans manger, jusqu'au 
							lendemain sept heures. Enfin, nous fûmes relâchées, 
							et les Allemands évacuèrent Badonviller peu après; 
							mais ils revinrent huit jours plus tard, et à ce 
							moment-la, tout le monde s'enfuit, car on craignait 
							de nouvelles atrocités.
 Pendant leur première occupation, les Allemands 
							brûlèrent quatre-vingt-sept maisons ; j'en ai vu 
							brûler huit pour ma part, et toutes furent 
							incendiées au moyen de bombes. Tous ces incendies 
							eurent lieu sans nécessité, puisqu'il n'y avait pas 
							de soldats français à Badonviller et qu'il n' y eut 
							aucune provocation de la part des habitants.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 FRISON (Charles), 46 ans, faïencier, domicilié à 
							Badonviller, réfugié à Digoin :
 Serment prêté.
 Le 12 août dernier, lorsque les Allemands vinrent 
							dans mon quartier, ils firent sortir tout le monde 
							des maisons, et ils tiraient sur ceux qui ne 
							sortaient pas assez vite : c'est ainsi qu'ils ont 
							tué un de mes voisins, Georges Odinot, âgé de seize 
							ans, et qu'ils ont brûlé son cadavre en le jetant 
							dans une maison qu'ils incendièrent. Dans mon 
							quartier, ils ont brûlé une dizaine de maisons, et 
							les incendies étaient allumés à l'aide de 
							projectiles de la forme d'un oeuf, lancés par un 
							canon.
 J'ai été arrêté avec presque tous les habitants de 
							mon quartier et conduit, baïonnette au canon, dans 
							la cour du château de la Faïencerie, où nous fûmes 
							parqués dans un coin. Un officier nous dit : «  
							Puisque votre Gouvernement vous donne des armes pour 
							tuer nos braves soldats, nous vous tuerons jusqu'au 
							dernier si nous sommes obligés de reculer. » Cette 
							assertion de l'officier allemand était mensongère; 
							car le Gouvernement ne nous avait point donné 
							d'armes. Comme je comprends l'allemand, j'ai 
							entendu, pendant la nuit, un gradé (sergent, je 
							crois,), dire à un autre gradé : «  Nous avons fait 
							main basse sur trente mille francs. » J'ai été gardé 
							à cet endroit pendant vingt-quatre heures; ma femme 
							a été relâchée à dix heures du soir, quant à mon 
							fils Adolphe, il a été emmené avec d'autres jeunes 
							gens, très loin, où ils durent creuser des 
							tranchées. Il est resté pendant deux jours sans 
							manger.
 Lorsque je suis revenu dans ma maison, je n'ai 
							trouvé que des ruines : elle était brûlée avec tout 
							mon mobilier.
 Après le départ des Allemands, j'errai par la ville. 
							Je vis quatre-vingt-sept maisons, y compris 
							l'église, détruites par l'incendie; toutes les 
							maisons non brûlées étaient pillées de fond en 
							comble. Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 FRISON (Adolphe), 19 ans, domicilié à Badonviller, 
							fils du précédent témoin :
 Serment prêté.
 Le jour où les Allemands entraient à Badonviller, 
							j'étais, vers les neuf heures du matin, dans un café 
							avec trois camarades. Soudain, un officier et des 
							soldats donnèrent de grands coups de pied dans la 
							porte, entrèrent et nous intimèrent l'ordre de 
							sortir. Trouvant sans doute que je n'obéissais pas 
							assez vite, l'officier me prit par le bras, me 
							bouscula vivement et me donna un coup de pied dans 
							le derrière ; puis, l'on nous mena sous les halles 
							de la ville, où l'on nous garda jusqu'au lendemain 
							matin sans nous donner à manger. Nous fûmes alors 
							remis en liberté, mes camarades et moi, et nous 
							voulûmes rentrer dans notre quartier pour tâcher de 
							nous restaurer. Tout étant brûlé, nous nous 
							acheminions vers la faïencerie, lorsque nous fûmes 
							arrêtés par quatre uhlans qui nous forcèrent à 
							monter dans une voiture et nous emmenèrent assez 
							loin, pour ramasser des blessés allemands que nous 
							transportâmes dans une ambulance. Nous nous croyions 
							au bout de nos peines; mais les uhlans nous firent 
							remonter en voiture et nous conduisirent beaucoup 
							plus loin, jusqu'aux lignes de combat, où l'on nous 
							fit travailler aux tranchées pendant toute la 
							journée, sans boire ni manger. Enfin, nous fûmes 
							relâchés vers six heures du soir. Pendant notre 
							détention dans les tranchées, nous avons été très 
							malmenés par les sous-officiers et les soldats; nous 
							avons été alignés et mis en joue comme pour être 
							fusillés, et ce à plusieurs reprises: sans 
							l'intervention d'un officier qui s'est montré un peu 
							plus humain, nous aurions été certainement tués. 
							J'ai constaté que les officiers étaient moins 
							féroces que leurs soldats.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 Nos 162, 163, 164.
 DÉPOSITIONS faites, le 27 octobre 1914, à CRÉVIC 
							(Meurthe-et-Moselle), devant la Commission 
							d'enquête.
 GOBERT (Victorine), veuve HAGNEL, 69 ans, sans 
							profession, à Crévic :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 22 août, une troupe d'Allemands s'est présentée 
							chez nous. Mon mari leur a fait bon accueil. J'ai 
							néanmoins remarqué qu'ils avaient l'air féroce : 
							aussi me suis-je rendue chez un voisin pour le 
							prévenir. Ces gens-là, en effet, poussaient des cris 
							de menace. En sortant de la maison de cet homme, 
							j'ai vu que notre habitation brûlait, et j'ai eu de 
							suite le pressentiment que mon pauvre mari avait été 
							jeté dans les flammes. Ce n'était malheureusement 
							que trop vrai. Hagnel a été retrouvé mort dans les 
							décombres. Je n'ai pas voulu voir son cadavre, 
							c'était trop pénible; mais M. Roger, adjoint au 
							maire a fait des constatations dont il vous rendra 
							compte.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Roger (Charles), 49 ans, adjoint au maire de Crévic 
							:
 Je jure de dire la vérité.
 J'ai vu le cadavre de M. Hagnel presque carbonisé. 
							Il portait à la gorge une blessure profonde et 
							large, qui avait dû être faite avec une baïonnette. 
							Quant aux incendies, j'affirme que les Allemands les 
							ont allumés volontairement.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Michel (Louis), 50 ans, scieur de long à Crévic :
 Je jure de dire la vérité.
 Le jour où le feu a été mis à notre village, 
							c'est-à-dire le 22 août, un soldat allemand avait 
							déposé un plan sur mon établi. Il m'a saisi par le 
							bras, et m'a fait constater que ce plan était celui 
							de la commune. Les maisons qui devaient être brûlées 
							y étaient indiquées au crayon bleu. Il m'a notamment 
							fait remarquer l'emplacement du château du général 
							Lyautey, en disant : «  Général, général, brûlé ! » 
							(1)
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 165.
 DEPOSITION faite, le 30 juin 1915, à PARIS, devant 
							la Commission d'enquête.
 LECOMTE (Odile), femme LEONARD, 51 ans, commerçante 
							à Audun-le-Roman (Meurthe- et-Moselle), 
							actuellement à Levallois-Perret
 Je jure de dire la vérité.
 Du 4 août, date de leur arrivée à Audun-le- Roman, 
							jusqu'au 21 du même mois, les Allemands n'ont fait 
							de mal à personne et se sont contentés de proférer 
							fréquemment des menaces. Le 21, ils ont simulé une 
							attaque, vers cinq heures du soir, et ont commencé à 
							incendier la commune. L'incendie devait durer quatre 
							jours. Le 21 également, plusieurs assassinats ont 
							été commis. Mlle Roux a été grièvement blessée au 
							bras, d'un coup de feu, pendant qu'elle donnait à 
							boire à un soldat allemand; Mme Giglio, Mlle Trelfel, 
							Mme Zappoli et la domestique de M. Scaglia, 
							prénommée Rosalie, ont été blessées aussi. M. Marin 
							(Théophile), cultivateur, a été saisi chez lui, 
							poussé dehors et fusillé sur son fumier, en présence 
							de sa femme et de sa fille. Celle-ci a eu son 
							tablier couvert du sang de ce malheureux. M. Chary, 
							chef cantonnier, qui sortait de chez lui pour se 
							sauver, a été tué à coups de fusil dans la rue. M. 
							Somen, rentier, a été massacré au moment où, venant 
							de reconduire un officier supérieur allemand qui 
							l'avait remercié de son hospitalité, il fermait la 
							porte de sa maison. Comme il appelait au secours, 
							deux voisins, Édouard Bernard et Émile Michel, sont 
							accourus. Ils ont été empoignés, dévalisés et 
							maltraités, puis traînés à Ludelange (Lorraine 
							annexée), ou ils ont été fusillés
 Je suis partie le 22 et Rentrée à Audun le 23. Une 
							grande partie du bourg était brûlée. Ce jour-là, un 
							douanier ennemi a tué M. Émile Collignon. J'ai vu, 
							ainsi que ma nièce ici présente, le cadavre de ce 
							dernier sur un fumier, entre un veau et un porc en 
							partie grillés. Un soldat allemand, originaire 
							d'Hayange (Lorraine), m'a déclaré que les troupes 
							avaient reçu licence de tout faire et de fusiller 
							les hommes. Nous avons quitté définitivement Audun 
							le 24 août. Notre maison n'était pas encore brûlée. 
							Elle l'a été depuis. Aujourd'hui tout est incendié, 
							sauf une dizaine d'immeubles. Le pillage a été 
							complet. Après lecture, le témoin a signé avec nous 
							et avec sa nièce : DECOUVELAIR (Mathilde), femme 
							BERNARD, 36 ans, négociante à Audun-le-Roman, 
							actuellement à Levallois-Perret, laquelle a déclaré 
							confirmer de tout point la déposition ci-dessus, 
							serment préalablement prêté.
 
 N° 166.
 DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à LUNÉVILLE, 
							devant la Commission d'enquête.
 HERRGOTT (Camille), 50 ans, percepteur des 
							contributions directes à Audun-le-Roman 
							(Meurthe-et-Moselle), actuellement en résidence à 
							Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Je suis resté à Audun-le-Roman pendant l'occupation 
							allemande, du 4 août 1914, jour de l'arrivée de 
							l'ennemi, jusqu'au 22 du même mois. Le 21 au soir, 
							j'ai vu brûler une soixantaine de maisons. Elles 
							avaient été incendiées par les Allemands, qui, 
							cependant, ne formulaient contre la population aucun 
							grief et n'avaient à se plaindre de personne. Un de 
							leurs généraux, logé chez moi, m'avait d'ailleurs 
							dit quelques jours avant, que le maire s'était fort 
							correctement conduit et qu'on avait fait tout ce qui 
							était possible pour les réquisitions. Le lendemain 
							matin, j'ai vu les cadavres de M. Martin 
							(Théophile), âgé d'environ soixante-dix ans, et de 
							M. Chary (Auguste), âgé de cinquante-cinq ans, chef 
							cantonnier. J'ai su que M. Martin avait été 
							lâchement assassiné devant sa maison, en présence de 
							ses filles et malgré leurs supplications. Enfin, 
							j'ai constaté la blessure qu'avait au bras Mlle 
							Roux. Celle-ci m'a raconté qu'elle avait reçu une 
							balle d'un soldat allemand pendant qu'elle donnait à 
							boire à un autre.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 167, 168, 169.
 DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY, 
							devant la Commission d'enquête.
 AUBRION (Marie-Marguerite), femme WILLEMIN, 55 ans, 
							domiciliée à Audun-le-Roman, actuellement réfugiée à 
							Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Depuis le 4 août 1914, date de l'arrivée des 
							Allemands, je suis restée à Audun-le-Roman jusqu'au 
							22 du même mois. J'ai vu les soldats ennemis mettre 
							le feu à de nombreuses maisons. Ils s'approchaient 
							des murs, et la flamme jaillissait aussitôt. Ces 
							faits se sont passés le 21 et le 22. Étant revenue 
							le 23, pour un jour, j'ai été témoin d'autres 
							incendies. J'ajoute qu'à Malavillers, où j'ai 
							séjourné pendant un jour et une nuit, le samedi 22, 
							beaucoup d'habitations ont été également brûlées. 
							Mme Gentil, habitante de cette commune, ma dit que 
							les Allemands venaient d'assassiner son mari et de 
							voler l'argent de ce malheureux. J'ai vu, à Audun, 
							le cadavre de M. Chary sur la route, et celui de M. 
							Collignon sur un tas de fumier. Le soldat qui a tué 
							Collignon a dit en français, en ma présence : «  Je 
							viens encore d'en descendre un. » Enfin, Mlle Roux 
							m'a montré la blessure qui lui avait été faite au 
							bras par un coup de feu, au moment où elle était à 
							sa fenêtre (1).
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 (1) Mme Roux était à sa fenêtre, au rez-de-chaussée, 
							et refermait ses volets après avoir donné à boire à 
							un soldat allemand qui se trouvait dans la rue, 
							lorsqu'un autre soldat tira sur elle et la blessa au 
							bras. (Note de la Commission.)
 
 GUITTIN (Mélanie), veuve MICHEL, 47 ans, domiciliée 
							à Audun-le-Roman, de passage à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 4 août 1914 les Allemands ont envahi ma maison où 
							s'est logé, notamment, un général avec son 
							état-major. Ce général a reconnu que ni lui ni ses 
							hommes n'avaient à se plaindre de nous, car, le 6, 
							il m'a dit : «  Madame, je vous remercie. Nous avons 
							été très bien chez vous. Nous ne serons pas souvent 
							si bien pendant la guerre. » Le même jour, un 
							officier m'a conseillé de ne pas rester à la 
							frontière et m'a remis, sans doute pour me faciliter 
							mon départ, une lettre rédigée en allemand. Cette 
							lettre, dont je n'ai pas compris le texte, était 
							signée : «  Lieutenant von Bitter, du 7e dragons de 
							Sarrelouis ».
 Le 7, les troupes allemandes qui occupaient Audun 
							ont quitté la ville et ont été remplacées par 
							d'autres; mais elles sont revenues le 21, remontant 
							vers la frontière, et mon mari a reconnu les 
							officiers qui avaient mangé chez nous. Ce jour-là, 
							vers six heures et demie du soir, comme on craignait 
							un bombardement, Mme Somen est venue nous trouver, 
							dans le but de se réfugier avec nous dans notre 
							cave, qui est voûtée. Quelques instants après, une 
							personne l'ayant prévenue que son mari venait d'être 
							blessé et la réclamait, elle s'est rendue en toute 
							hâte dans sa maison, où nous l'avons suivie. M. 
							Somen gisait dans la cour. Nous l'avons transporté 
							de suite dans son salon et nous lui avons prodigué 
							des soins. Il nous a déclaré alors qu'il avait reçu 
							des balles dans le corps, et que c'était un jeune 
							officier qui avait tiré sur lui avec un browning. 
							Nous étions occupés à le soigner, et il venait de 
							confier à Michel une somme de deux mille francs, 
							quand des Allemands, faisant irruption dans la 
							maison, se sont jetés sur nous et nous ont poussés 
							dehors. J'ai pris mon mari par le bras et nous avons 
							été emmenés sur la route de Beuvillers, par des 
							soldats qui nous frappaient brutalement. Ceux qui 
							étaient à cheval nous portaient à chaque instant des 
							coups de pied, en vociférant. A un certain moment, 
							je me suis trouvée séparée de mon mari, qui a été 
							conduit, avec M. Bernard, dans la direction de 
							Boulange. Je sais qu'il a été fusillé à Ludelange. 
							J'ajoute que, le 22 août, dans l'après-midi, j'ai vu 
							les corps des jeunes Thiéry (Georges) et Rodicq 
							(Marcel), âgés tous deux de dix-huit. ans. Ces deux 
							jeunes gens avaient été fusillés en présence de Mme 
							Thiéry, qui s'était mise à genoux devant les 
							Allemands pour les supplier d'épargner son fils et 
							l'ami de celui-ci. Je tiens ces détails de Mme 
							Thiéry elle-même.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 BOUR (Marie), 21 ans, femme LAGNEAU, demeurant à 
							Audun-le-Roman, réfugiée à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 22 août 1914, dans la matinée, j'ai vu les 
							cadavres de MM. Chary (Auguste), Thiéry (Georges) et 
							Rodicq (Marcel). Celui de Chary était étendu sur la 
							place d'Audun; ceux de Thiéry et de Rodicq se 
							trouvaient en haut du village.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 170.
 DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS, 
							devant la Commission d'enquête. LECOMTE (Marie), 43 
							ans, demeurant à Audun-le-Roman 
							(Meurthe-et-Moselle), réfugiée à Levallois-Perret :
 Je jure de dire la vérité.
 Je me trouvais à Audun-le-Roman au début de 
							l'occupation allemande. Du 4 août 1914 au 21 du même 
							mois, nous n'avons pas eu trop à nous plaindre de 
							l'ennemi, bien qu'il fût exigeant et parfois 
							menaçant; mais à partir du 21, la situation 
							s'aggrava d'une façon terrible. Je n'ai pas assisté 
							personnellement à tous les crimes qui ont été 
							commis. Voici ce que j'ai vu:
 Le 21 août, à la tombée de la nuit, des femmes 
							d'employés de chemin de fer, qui habitaient la cité 
							située à l'extrémité du bourg, sont passées devant 
							chez moi en courant et en poussant des clameurs 
							désespérées, tandis que les Allemands hurlaient et 
							sonnaient du clairon. Je me suis alors aperçue que 
							la cité était en feu. Le lendemain matin, ayant 
							appris qu'Audun allait être bombardé, je me suis 
							rendue à Malavillers avec beaucoup d'autres 
							habitants. Ce jour-là, une bataille s'est engagée, à 
							la suite de laquelle l'ennemi est entré dans ce 
							village, qu'il a presque entièrement incendié. Le 
							23, je suis rentrée chez moi et j'ai trouvé ma 
							maison occupée par des soldats qui étaient en train 
							de la piller. De nombreuses habitations avaient été 
							déjà brûlées et l'incendie continuait. Dans la 
							matinée, des Allemands, après avoir tiré sur l'un 
							des côtés de la maison Laguë, se sont précipités 
							dans cet immeuble e
 t en ont fait sortir deux hommes, MM. Rémer et 
							Rodicq, dont j'ai entendu les cris perçants. Ces 
							deux hommes ont été dépouillés de leurs vêtements et 
							mis nus jusqu'à la ceinture. Voyant qu'on se 
							préparait à les fusiller, je me suis retirée, toute 
							bouleversée, de ma fenêtre.
 Vers quatre heures de l'après-midi, je suis passée 
							auprès des cadavres, qui avaient été laissés à 
							l'endroit où ils étaient tombés. Pendant que j'étais 
							à Malavillers, dans la nuit du 22 au 23 août, un 
							soldat qui était venu réquisitionner une voiture 
							pour transporter des blessés, nous a dit qu'il 
							appartenait à l'armée du Kronprinz, et qu'un ordre 
							venu de haut prescrivait de brûler tous les villages 
							dans lesquels on rencontrerait des soldats français.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 171.
 DÉPOSITION reçue, le 28 août 1914, à PARIS, par M. 
							GITZNER, inspecteur du commissariat de police du 
							quartier Saint-Gervais.
 MINELLI (Emilia), 44 ans, née à Bergalto (Italie), 
							mariée, huit enfants, momentanément hospitalisée au 
							lycée Charlemagne, puis à l'Hôtel-Dieu :
 Je résidais, avec mon mari et mes enfants, à 
							Audun-le-Roman depuis dix ans et nous occupions une 
							maison située sur la route de Malavillers, à deux 
							cents mètres environ du pays.
 A partir du 4 août, les Allemands ont commencé à 
							envahir la région. Il n'y avait que des cavaliers. 
							Ils ont commencé par réquisitionner, et cela sous la 
							menace du fusil ou du revolver. Puis ils exigèrent 
							qu'on leur servît à boire; personnellement, j'ai dû 
							donner toutes mes provisions et verser de la bière à 
							tous ces gens. Les hommes de troupe, pour la 
							plupart, ne payaient pas; seuls les officiers 
							réglaient leurs dépenses sans élever d'objections. 
							J'avais la certitude que si j'avais refusé de 
							satisfaire à leurs demandes, ils m'auraient passée 
							par les armes.
 Cette situation a duré du 4 au 21 août. Pendant 
							cette période critique, sachant que les Allemands 
							avaient fusillé plusieurs hommes du village, j'ai 
							supplié mon mari de se cacher. Il s'est donc tenu 
							dans le grenier de notre maison, et c'est là que je 
							lui servais ses repas. Après avoir épuisé le pays, 
							les troupes allemandes qui y étaient cantonnées se 
							sont retirées; mais j'ignore quelle direction elles 
							ont prise. Ce départ a eu lieu dans la nuit du 20 au 
							21 août.
 Le 21 août, vers six heures et demie du soir, une 
							autre troupe de cavaliers allemands a approché d'Audun-le 
							Roman. Chez moi, j'avais fermé toutes les issues et 
							je me tenais, avec mes enfants et une dame Giglio, 
							dans ma cour. Tout à coup, les vitres de la porte 
							d'entrée volèrent en éclats : un coup de feu venait 
							d'être tiré. Au même instant, deux uhlans ont ouvert 
							la porte, sont entrés dans la cour, et, sans 
							prononcer une parole, nous ont mis en joue et ont 
							fait feu aussitôt. Mme Giglio a été très grièvement 
							blessée au ventre (je crois qu'elle est morte 
							maintenant), et moi-même j'ai été blessée au bras 
							droit. Ces deux hommes se sont ensuite retirés. 
							Après leur départ, mon mari est venu à notre secours 
							et nous a prodigué les premiers soins.
 Le gros de la troupe ne trouvant plus sa subsistance 
							dans Audun-le-Roman, mit en batterie quatre canons 
							et commença à incendier le village, sans aucun 
							motif, puisqu'aucun soldat français ne s'y trouvait 
							ni n'y était venu. Ma maison n'a pas été épargnée.
 Dans la nuit, nous avons pris la décision de quitter 
							Audun-le-Roman, et, d'une seule traite, nous avons 
							gagné Étain avec tous les habitants, deux cents 
							environ (je crois que Mme Giglio a été conduite à 
							l'hôpital de Verdun et que c'est là qu'elle a 
							succombé). Nous sommes arrivés à Étain samedi, dans 
							la journée.
 En cours de route, les habitants d'Audun-le-Roman, 
							desquels nous étions restés isolés jusque-là, nous 
							ont appris que huit femmes, dont trois que je 
							connaissais seulement de vue, avaient été blessées 
							dans les mêmes conditions que Mme Giglio et moi.
 Comme mon état ne me permettait pas de rester à 
							Etain, j'ai pris, avec mon mari et mes enfants, un 
							train à destination de Châlons-sur-Marne. Là, j'ai 
							été conduite et admise à l'hôpital; mais on a dû me 
							séparer des miens, et j'ignore où ils se trouvent 
							actuellement. Je suis restée en traitement pendant 
							deux jours à l'hôpital de Châlons et j'ai été 
							dirigée ensuite sur Paris, où je suis arrivée hier, 
							27 août.
 De la gare de l'Est, on m'a conduite au lycée 
							Charlemagne; mais, comme j'avais besoin de nouveaux 
							soins, j'ai été transportée ici. Je souffre beaucoup 
							de ma blessure; cependant je suis en état de 
							voyager, et je viens d'apprendre que j'allais être 
							rapatriée dans mon pays d'origine par les soins de 
							l'ambassade d'Italie.
 (Suit la signature de l'inspecteur, le témoin ne 
							pouvant signer à cause de sa blessure.)
 
 Nos 172, 173.
 DÉPOSITIONS reçues, le 19 octobre 1914, à BLOIS, par 
							M. COSSON, procureur de la République.
 MARTOUZET (Adèle), veuve MARTIN, 59 ans, 
							cultivatrice à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle), 
							actuellement réfugiée à Blois (Grand Séminaire) :
 Serment prêté.
 J'habitais avec mon mari, Martin (Théophile), âgé 
							de soixante-six ans, Audun-le-Roman, où nous étions 
							cultivateurs.
 Le 4 août, les Allemands ont pénétré pour la 
							première fois à Audun-le-Roman; le 5, ils y sont 
							revenus et s'y sont installés chez l'habitant. Nous 
							avions chez nous un capitaine et une quarantaine de 
							uhlans avec leurs chevaux. Ils se conduisaient très 
							brutalement, nous menaçant fréquemment de leur 
							revolver. Ils sont restés ainsi jusqu'au 21. Ce 
							jour-là, vers trois heures du soir, tous sont 
							partis, après avoir démoli leurs installations, 
							comme s'il s'agissait d'un départ définitif. Vers 
							cinq heures, nous les avons vus repasser 
							précipitamment et en désordre; ils donnaient des 
							signes d'émotion, et des habitants les ont même vus 
							se tirer les uns sur les autres ; ils tirèrent aussi 
							de nombreux coups de fusil dans les portes et les 
							fenêtres.
 Vers sept heures du soir, nous vîmes pénétrer chez 
							nous une trentaine de soldats d'infanterie, sous la 
							conduite d'un lieutenant; ils entrèrent par le 
							jardin, après avoir enfoncé la porte de la cuisine 
							et la fenêtre de la chambre à coucher, brisèrent les 
							chaises, puis prirent une lampe pour monter au 
							premier étage, où nous nous trouvions avec mon mari, 
							mes deux filles, ma soeur et mon petit commis, ainsi 
							que l'enfant de ma fille, âgé de huit mois. Les 
							Allemands nous saisirent tous, nous jetèrent dans 
							l'escalier, en nous poussant à coups de crosse de 
							fusil et nous disant «  qu'il y avait des soldats 
							français cachés chez nous, d'où on avait tiré sur 
							eux ». Nous leur offrîmes vainement de leur montrer 
							toute la maison pour leur prouver qu'il n'y avait 
							personne : ils ne voulurent rien entendre, et à ce 
							moment, sans avoir fait aucun préparatif pouvant 
							annoncer une exécution, ils tirèrent à bout portant 
							trois coups de fusil sur mon mari, qui tomba 
							aussitôt. Bien qu'il fût déjà mort, l'un d'eux lui 
							fendit la tête d'un coup de sabre, lui mettant la 
							cervelle à nu; des uhlans qui étaient survenus le 
							piquèrent de leur lance. J'oubliais de vous dire 
							qu'ils avaient déjà mis le feu à notre maison, qui 
							brûlait tandis qu'ils tuaient mon mari.
 Ils brûlèrent au même moment un certain nombre 
							d'autres maisons du village, et continuèrent 
							d'ailleurs les jours suivants ; je vous signale 
							qu'avant d'y mettre le feu, ils jetaient le linge 
							par les fenêtres et le chargeaient sur des 
							automobiles qui attendaient dans la rue; j'affirme 
							que plusieurs officiers présidaient à cet enlèvement 
							du linge.
 Après avoir tué mon mari, ils nous abandonnèrent 
							devant notre porte, mais nous informèrent qu'ils 
							nous interdisaient de quitter le village. Nous nous 
							rendîmes alors au couvent des soeurs de la Doctrine 
							Chrétienne, où bon nombre de femmes étaient déjà 
							réunies et où, depuis le début de l'occupation, une 
							ambulance avait été installée. Nous y passâmes la 
							nuit, à l'exception de ma fille, Mme Liesenfelt, qui 
							n'avait pu nous suivre. Le même soir, le chef 
							cantonnier, M. Chary, qui avait mis sur ses 
							vêtements une robe de femme pour essayer de se 
							sauver, fut également tué à coups de fusil dans la 
							rue; une demoiselle Marie Roux, âgée de trente-deux 
							ou trente-trois ans, étant à sa fenêtre pour fermer 
							ses volets, reçut une balle qui lui cassa le bras.
 Pour tâcher d'adoucir les ennemis, nous restâmes, 
							pendant deux jours, à soigner leurs blessés.
 Le premier soir, ils nous avaient défendu de toucher 
							au cadavre de mon mari, voulant qu'il restât devant 
							notre porte; le lendemain, ils nous permirent de le 
							conduire au cimetière, roulé dans une couverture, 
							mais nous défendirent de lui faire creuser une fosse 
							et de l'inhumer, disant que les autres troupes qui 
							passeraient par la suite enterreraient les morts.
 Le 23, nous fûmes autorisées à quitter Audun.
 Ma fille, qui m'accompagne, pourra vous donner sur 
							ces événements quelques détails complémentaires.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 MARTIN, (Amélie), épouse LIESENFELT, 28 ans, sans 
							profession, demeurant à Audun-le Roman et 
							actuellement réfugiée à Blois :
 Serment prêté.
 Je vous confirme de tout point le récit qui vient de 
							vous être fait par ma mère. J'ajoute qu'après la 
							mort de mon père, comme notre maison brûlait, je 
							suis restée pour faire sortir le bétail. Ne sachant 
							ce qu'était devenu le reste de ma famille, j'ai 
							passé une partie de la nuit dans les rues. 
							Rencontrée par des uhlans, ils me demandèrent où 
							étaient les hommes de chez moi : je leur répondis 
							qu'il n'y en avait qu'un, mon père, et qu'on l'avait 
							fusillé. Ils me dirent alors que j'étais sa complice 
							et que j'allais subir le même sort, et me mirent la 
							pointe de leurs lances sur la poitrine ; c'est alors 
							que certains d'entre eux, qui étaient lorrains, 
							prirent ma défense, et obtinrent qu'on me laissât 
							tranquille. Au cours de la nuit, j'arrivai à mon 
							tour chez les soeurs et j'y retrouvai ma famille.
 Comme ma mère vous l'a dit, nous soignâmes là les 
							blessés; le dimanche, un lieutenant blessé dit à ma 
							tante, Mlle Treffel, qui le soignait: «  Vous avez 
							été bonne pour moi, je vais vous dire quelque chose: 
							ne quittez pas vos croix rouges et fuyez au plus 
							vite, car, lorsqu'on emmènera nos blessés, on vous 
							fusillera-tous. J'ai intercédé pour vous, mais je 
							n'ai rien gagné. » C'est à la suite de cet 
							avertissement que nous partîmes toutes 
							précipitamment. Au cours de notre route, nous 
							arrivâmes à Rouvres, à cinq kilomètres environ 
							d'Étain, où les Allemands nous défendirent de 
							passer; un Messin, qui était là pour aider au 
							transport des blessés, nous dit qu'on ne voulait pas 
							nous laisser voir qu'on venait de fusiller le reste 
							de la population de Rouvres, une quarantaine de 
							personnes.
 Nous tombâmes ensuite parmi des Saxons, qui se 
							montrèrent très bons pour nous et nous firent 
							conduire en voiture à Verdun.
 Nous avons appris, en passant à Trieux, qu'après 
							notre départ, un M. Jolas, dit Collignon (Emile), 
							soixante-cinq ans environ, avait été tué par les 
							Allemands et enterré dans son fumier. On nous a 
							assuré que, finalement, treize personnes auraient 
							été tuées a Audun-le-Roman; mais nous ne l'avons pas 
							vu personnellement. Ce que nous savons, par 
							l'intéressée elle-même, c'est qu'une dame Matte, 
							débitante, notre voisine, qui partait avec 2.100 fr., 
							s'est vu prendre cette somme par les Allemands.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 174.
 DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M. 
							CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution 
							d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la 
							Commission d'enquête instituée par décret du 2 3 
							septembre 1914.
 MATHIEU (Nicolas-Théodule), agent voyer en retraite, 
							maire d'Audun-le-Roman, résidant actuellement à 
							Nancy :
 Serment prêté.
 Les troupes allemandes sont entrées à Audun-le-Roman 
							le 4 août 1914, à cinq heures et demie du soir. 
							Pendant plusieurs jours et jusqu'au 21 août, la 
							population de la ville a eu certainement à souffrir 
							de réquisitions, vexations et brutalités de tout 
							genre; en ma qualité de maire, j'ai été incarcéré à 
							plusieurs reprises, ligoté, mis en joue par un 
							peloton; mais tous ces excès ne sont rien à côté des 
							crimes qui ont été commis le 21 et le 22 août.
 Le 21 août, vers quatre heures de l'après-midi, des 
							troupes en débandade entrèrent à Audun, paraissant 
							venir de la direction d'Etain. La plupart 
							traversèrent la ville sans s'arrêter. Un 
							détachement, qui accompagnait des voitures chargées 
							de morts liés trois par trois, fit tomber 
							intentionnellement deux cadavres : l'un dans 
							l'avenue de la gare, l'autre au centre de 
							l'agglomération. Je n'ai pas vu ce dernier; mais 
							j'ai vu personnellement jeter le premier, et après 
							lui quelques havresacs. Il était alors six heures ou 
							six heures et demie du soir. Immédiatement, on 
							entendit quelques coups de fusil. Les Allemands 
							prétendirent que les habitants les avaient attaqués, 
							et se mirent à tirer dans les fenêtres et sur la 
							population, particulièrement sur les hommes.
 M. Martin, cultivateur, fut arraché de sa maison et 
							tué sur sa porte en présence de sa femme et de ses 
							enfants; le feu fut mis immédiatement à sa maison : 
							ce fut le premier incendie.
 Le cantonnier-chef Chary (Auguste), âgé de 
							cinquante-deux ans, fut tué au moment qu'il sortait 
							de l'église, où de nombreuses personnes s'étaient 
							réfugiées.
 M. Somen (Ernest), âgé de cinquante trois ans, 
							ancien maire, fut abattu par un officier au moment 
							où il fermait la porte de sa grange. Il a survécu 
							trente heures à ses blessures, les Allemands 
							interdisant qu'on lui donnât le moindre soin. MM. 
							Michel (Emile), adjoint, âgé de cinquante-quatre 
							ans, et Bernard (Edouard), soixante-huit ans, qui 
							avaient voulu lui porter secours, furent arrêtés, 
							ligotés et emmenés à Ludelange (Lorraine), où ils 
							furent fusillés le lendemain. M. Michel avait reçu 
							de M. Somen un sac contenant deux mille francs, que 
							le mourant lui avait confié pour le rendre à Mme 
							Somen, sa femme; on m'a assuré, mais je ne puis le 
							certifier, que Michel et Bernard ont été fusillés 
							sous le prétexte qu'ils avaient sur eux de l'argent 
							volé à un civil.
 Dans la même nuit du 21 au 22 août, les cités de la 
							Compagnie de l'Est, les maisons Tarpin, Matte, 
							Michel, Bernard, Sécheret, Chérer, Mangin ont été 
							incendiées à la main. Mme Matte, qui s'enfuyait de 
							sa maison incendiée, fut dépouillée par les soldats 
							allemands d'une somme de deux mille francs qu'elle 
							portait dans son réticule. Durant toute la nuit, les 
							détachements qui continuaient à traverser la ville 
							tirèrent sur la mairie.
 Le lendemain, 22 août, les Allemands revinrent 
							prendre position à Audun-le-Roman ; vers sept heures 
							et demie du matin, un soldat vint me chercher et me 
							conduisit près d'un officier, qui se trouvait sur le 
							balcon de la maison isolée appartenant à M. Laguë. 
							Cet officier me fit placer au milieu de la route, en 
							m'enjoignant d'y rester. Presque aussitôt, j'aperçus 
							les troupes françaises s'avançant du côté de 
							Malavillers ; une fusillade nourrie s'engagea entre 
							elles et les défenseurs de la maison. Ne voulant pas 
							servir de cible à des balles françaises, je réussis 
							à m'approcher de la maison et à m'abriter derrière 
							le coin de celle-ci. Les Allemands reculèrent, et un 
							petit détachement de nos troupes traversa la ville. 
							Malheureusement, cet avantage fut de courte durée : 
							les Allemands revinrent en masse, et le combat 
							s'acheva vers Mercy-le-Haut et Fillières.
 Dès le retour des Allemands, le même jour, dans la 
							matinée, les atrocités du 21 recommencèrent. MM. 
							Clabay et Laguë furent mis au mur; grâce au 
							dévouement de la fille du premier, qui se jeta 
							devant les fusils, ils ne furent pas exécutés. MM. 
							Rémer père, Rodicq (Justin), Guyot ( Émile), Jolas 
							(Emile), Thiéry (Georges), Rodicq (Marcel), Jolas 
							(Gustave) et un ou deux Italiens dont j'ignore le 
							nom, qui se trouvaient chez ce dernier, furent tués 
							dans leur demeure ou sur la rue. Six femmes furent 
							blessées : la bonne du sieur Scaglia, Mlle Roux, 
							Mlle Treffel, les deux dames Zappoli et la dame 
							Giglio, ces trois dernières de nationalité 
							italienne.
 A la suite de ces exécutions sommaires, des 
							incendies furent systématiquement allumés dans 
							toutes les maisons : les Allemands ne réservèrent 
							que celles indispensables à leurs services. Il en 
							reste à peine une douzaine sur quatre cents.
 Une partie de la population avait quitté la ville 
							dans la nuit du 21 au 22 août. Le reste, cent 
							cinquante personnes environ, sur douze cents, fut 
							évacué sur l'ordre des Allemands et dirigé sur les 
							cités de Crusnes. Personnellement, je faisais partie 
							de ce convoi et j'ai quitté la ville le dernier, le 
							24 août.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 175.
 DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M. 
							CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution 
							d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la 
							Commission d'en- quête instituée par décret du 23 
							septembre 1914.
 [Sur le désir du témoin, cette déposition, qui 
							figure au dossier de la Commission sous le n° 175, 
							ne sera publiée qu'ultérieurement.]
 
 N° 176.
 LETTRE complémentaire du précédent témoin.
 [Pour le même motif que ci-dessus, la publication de 
							la pièce n° 176 a dû être ajournée.]
 
 N° 177.
 DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, 
							devant la Commission d'enquête. Dame Z..., 39 ans, 
							demeurant à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 6 septembre, vers sept heures du soir, à 
							Beuvillers, où je m'étais réfugiée après m'être 
							sauvée d'Audun-le-Roman, et en l'absence de mon mari 
							qui était mobilise, j'ai été surprise chez moi par 
							deux soldats allemands. L'un deux m'a terrassée et 
							violée en présence de ma petite fille, âgée de dix 
							ans, qui essayait de venir à mon secours. L'autre 
							soldat, pendant ce temps, maintenait fermée la porte 
							vitrée derrière laquelle était l'enfant, et me 
							tenait en joue avec son revolver.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 178, 179.
 DÉPOSITIONS faites, le 19 février 1915, à LUMBIN 
							(Isère), devant la Commission d'enquête.
 HOGARD (Denise), veuve DUBREUIL, 29 ans, domiciliée 
							à Jarny, près Conflans (Meurthe-et-Moselle) :
 Je jure de dire la vérité.
 Les Allemands sont arrivés à Jarny au commencement 
							d'août. Comme un Italien venait de tuer son chien 
							d'un coup de fusil, ils ont prétendu qu'on avait 
							tiré sur eux et ils ont mis, vers le 25 août, le feu 
							au village avec des torches et du pétrole. Ils ont 
							réuni à la mairie le maire, le curé, deux soldats 
							lorrains et neuf Italiens, parmi lesquels Carreoldi 
							(René), âgé de vingt-quatre ans, mineur, avec qui je 
							vivais. Le lendemain, ils ont fusillé les Italiens 
							et les deux Lorrains dans un jardin; le maire, le 
							curé, avec trois autres habitants (Fidler, Bernier 
							et un vieux qu'on ne connaissait que sous le nom de 
							Joseph), ont été exécutés ensuite sur la route de 
							Conflans. Je suis allée voir les cadavres, aux 
							endroits mêmes où les massacres venaient d'avoir 
							lieu : ils étaient criblés de blessures. La cervelle 
							de Carreoldi s'était répandue sur le sol.
 La veille, quatorze Italiens qui demeuraient à Jarny 
							avaient été fusillés à Gravelotte : j'ai vu 
							également leurs corps. Au cours de l'incendie, des 
							meurtres ont encore été commis. Mme Bérard et ses 
							trois enfants se sauvaient dans leur jardin, quand 
							les Bavarois ont tiré sur eux. Le petit garçon, âgé 
							de cinq ans, a été tué dans les bras de sa mère. Les 
							soldats l'ont ensuite arraché à celle-ci et ont jeté 
							le petit cadavre dans la rue, où il est resté quatre 
							jours, les ennemis ayant défendu de l'enterrer.
 La famille Pérignon, pendant que sa maison brûlait, 
							s'était réfugiée dans les cabinets d'aisance, qui se 
							trouvaient au fond du jardin. Quand elle est sortie, 
							le père, la mère et le fils, âgé de seize ans, ont 
							été tués; la fille a été blessée au bras. Conduite à 
							Metz, cette dernière a été soignée dans un hôpital, 
							où un médecin allemand a pratiqué l'amputation. Le 
							garde forestier Plessis a été découvert avec sa 
							famille dans sa cave; les Allemands l'ont fait 
							sortir, l'ont attaché à un arbre, puis l'ont fusillé 
							devant sa femme, ainsi que son neveu. Ils ont en 
							outre brûlé la maison.
 J'ai vu personnellement les cadavres de toutes les 
							victimes dont je viens de vous raconter la mort.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 NICOLAS (Marie), femme PIEFFER, 26 ans, domiciliée à 
							Jarny :
 Je jure de dire la vérité.
 Vers le 25 août, j'ai vu les Bavarois mettre le feu 
							à plusieurs maisons de Jarny avec des torches 
							imbibées de pétrole.
 J'ai été témoin du passage des corps de neuf 
							Italiens, qui venaient d'être fusillés dans un 
							jardin et qu'on transportait au cimetière. J'ai 
							également vu, étendu à terre, le cadavre du curé, 
							qui était criblé de blessures et dont les yeux 
							pendaient, sortis des orbites. J'ai aperçu aussi 
							celui du maire.
 En ma présence, les Allemands ont traîné le corps du 
							fils Pérignon du jardin jusqu'au bord du trottoir.
 La famille Aufiero, qui se sauvait de chez M. 
							Bérard, où le feu venait d'être mis, et qui 
							traversait un fossé plein d'eau, a essuyé plusieurs 
							coups de fusil. Le père a été tué; la jeune fille, 
							âgée de treize ans, a été blessée au bras, et la 
							fillette, âgée d'environ dix ans, a été atteinte à 
							la jambe. La plus âgée de ces deux enfants a été 
							amputée à Metz. J'ai vu le cadavre du père.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 180, 181, 182.
 DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY, 
							devant la Commission d'enquête.
 ROBERT (Félix), 56 ans, receveur-buraliste à Jarny 
							(Meurthe-et-Moselle), réfugié à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Les Allemands, dès leur arrivée à Jarny, se sont 
							livrés à un pillage général. Ils ont aussi commis de 
							nombreux meurtres. Leur première victime a été M. 
							Collignon (Joseph), qui a été tué à une cinquantaine 
							de mètres de chez moi, le 10 août 1914. Pour obéir à 
							l'ordre donné, il portait ses armes à la mairie, 
							quand des soldats ennemis ont tiré sur lui. Comme il 
							n'avait pas été atteint, ses agresseurs se sont mis 
							à sa poursuite et l'un d'eux lui a porté un coup de 
							baïonnette à la poitrine. Collignon est mort deux 
							heures après; je l'ai vu pendant son agonie.
 Le 25 et le 26 août, M. Génot, maire, le curé Vouaux, 
							le jeune Fidler (François), âgé de dix-huit ou 
							dix-neuf ans, la famille Pérignon, M. Fournier, 
							cafetier, et son neveu, M. Lhermitte (Ernest), 
							menuisier, un ancien garde champêtre, nommé Plessis, 
							et un certain nombre d'Italiens ont été massacrés.
 Enfin, vingt-deux maisons ont été brûlées.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 DAVAL (Jean-Claude), 59 ans, percepteur des 
							contributions directes à Jarny, actuellement 
							sous-lieutenant au 41e régiment territorial 
							d'infanterie :
 Je jure de dire la vérité.
 Je suis resté à Jarny jusqu'au 9 janvier dernier. Le 
							10 août 1914, un officier du 4e régiment 
							d'infanterie bavarois s'est rendu chez moi, 
							accompagné du maire et d'une dizaine de soldats, et, 
							en me mettant le revolver sur le visage, m'a sommé 
							de lui livrer ma caisse. Je lui ai déclaré, en lui 
							montrant le reçu, que j'avais versé mes fonds entre 
							les mains de mon collègue de Conflans. Sur ces 
							entrefaites, l'officier ayant aperçu mes fusils de 
							chasse, a enjoint au maire de faire déposer à la 
							maison commune toutes les armes des habitants. M. 
							Collignon a été tué au moment où il se rendait à la 
							mairie pour obtempérer à cette injonction. J'ai 
							entendu le bruit des coups de fusil qui ont été 
							tirés sur lui.
 Le 25 août, tandis que, me tenant dans mon corridor, 
							je regardais à travers ma porte vitrée, j'ai vu, à 
							quatre mètres de moi, un soldat bavarois du même 
							régiment armer son fusil, tirer sur M. Lhermitte qui 
							rentrait chez lui, et le tuer. Ce soldat est ensuite 
							monté sur une voiture régimentaire, après avoir 
							tiré, puis refermé sa culasse mobile.
 Un quart d'heure après, j'ai assisté à l'incendie 
							d'une maison appartenant à Mlle Anna François. Le 
							feu a été mis dans une pièce du rez-de-chaussée, et 
							cinq soldats se sont tenus devant l'immeuble, le 
							fusil à la main, et dans l'attitude de chasseurs qui 
							attendent le départ d'un lièvre. C'est d'ailleurs 
							toujours ainsi que les Allemands agissaient. lls 
							empêchaient les habitants des immeubles qu'ils 
							brûlaient de prendre la fuite, et on n'avait que le 
							choix entre ces deux traitements : être grillé ou 
							fusillé. Plusieurs personnes ont trouvé la mort dans 
							ces conditions, le 25 août. C'est comme cela qu'ont 
							été tués les membres de la famille Pérignon. Le 
							père, la mère et le fils ont été fusillés au fur et 
							à mesure qu'ils sortaient de leur habitation en 
							flammes. La fille, Mme Leroy, a eu un bras fracassé 
							et a été plus tard amputée à Metz. C'est cette 
							dernière qui m'a donné les détails de la scène. Le 
							même jour, les Allemands ont également tiré sur Mme 
							Bérard, qui se sauvait pendant que sa maison 
							brûlait, et lui ont tué dans les bras son petit 
							enfant âgé de deux ou trois ans. M. Aufiero, qui 
							était chez elle au moment où l'incendie avait 
							commencé, a été abattu dans sa fuite ; une de ses 
							filles a eu un bras fracassé, et l'autre a reçu une 
							balle dans la jambe.
 J'ai su que le maire, M. Génot, le curé Vouaux, MM. 
							Fidler et Bernier ont été alignés, le 26 août, le 
							long d'une palissade, derrière l'auberge Blanchon, 
							et fusillés au commandement, sous le prétexte qu'on 
							avait tiré sur les Allemands. Vingt-deux maisons et 
							le clocher ont été incendiés. Pendant que le clocher 
							brûlait, les soldats chantaient, en s'accompagnant 
							avec un piano mécanique, dans une auberge située à 
							quelques pas de l'église. Ces incendies ont été 
							allumés par ordre. Comme ma femme et moi entendions 
							des Allemands piller une maison dont les chambres 
							sont en bordure de mon jardin, j'allai trouver des 
							officiers qui stationnaient en face de chez moi et 
							je leur demandai si on allait continuer à brûler. 
							Ils répondirent : «  Oui, tout le village y passera. 
							» Je manifestai alors l'intention de quitter le 
							pays, et on m'engagea à m'adresser à d'autres 
							officiers qui étaient en groupe devant la poste. Ces 
							derniers me déclarèrent que l'ordre d'arrêter les 
							incendies venait d'arriver.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 BASTIEN (Henri), 35 ans, docteur en médecine à 
							Jarny, actuellement à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 10 août 1914, comme je me rendais à la mairie de 
							Jarny pour y déposer mes armes, j'ai entendu des 
							coups de feu, et j'ai été appelé peu d'instants 
							après à soigner M. Collignon, qui portait, au sommet 
							du poumon gauche, une plaie pénétrante par arme 
							blanche. Il m'a raconté que les Allemands avaient 
							tiré sur lui sans l'atteindre, et que l'un d'eux 
							l'avait frappé ensuite d'un coup de baïonnette. Il 
							est mort environ deux heures après, et, pendant que 
							je lui donnais mes soins, un officier, qui était 
							venu s'enquérir de l'état du blessé, m'a dit : «  
							C'est une erreur regrettable. »
 Le 14 août, j'ai soigné aussi un Italien atteint 
							d'une balle au ventre; il est mort dans la soirée. 
							Le 25, j'ai pansé M. Lhermitte, qui n'avait plus sa 
							connaissance, quatre Italiens, sur lesquels les 
							Allemands avaient également tiré, et Mme Bertrand, 
							qui avait reçu une balle dans les deux mains au 
							moment où elle était en train de fermer ses 
							persiennes. Enfin, le 26, j'ai eu encore à m'occuper 
							de trois blessés : Mme Leroy et deux enfants Aufiero.
 J'ai vu les cadavres de M. et Mme. Pérignon et de 
							leur fils; ces personnes avaient été tuées au moment 
							où elles essayaient de franchir la clôture de leur 
							jardin. Deux corps étaient d'un côté de la palissade 
							et le troisième de l'autre côté.
 Mlle Mathès m'a assisté, comme infirmière, dans ces 
							tristes circonstances.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous et avec 
							Mlle MATHÈS (Germaine), âgée de 22 ans, employée des 
							postes à Jarny, actuellement à Nancy, qui, serment 
							prêté, a confirmé la déposition ci-dessus, en 
							ajoutant que Mme Bérard lui avait déclaré avoir eu 
							son petit enfant tué dans ses bras par les 
							Allemands.
 
 N° 183.
 DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS, 
							devant la Commission d'enquête.
 DUREN (Virginie), femme BÉRARD, 29 ans, domiciliée à 
							Jarny (Meurthe-et-Moselle), réfugiée à 
							Levallois-Perret :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 25 août 1914, les 66e et 68e régiments bavarois 
							se trouvaient ensemble à Jarny. J'ai reçu l'ordre de 
							donner à boire à leurs soldats et je suis allée 
							chercher pour eux un grand nombre de seaux d'eau. A 
							trois heures de l'après-midi, un chef, m'ayant 
							rencontrée, m'a dit que j'avais transporté assez 
							d'eau et m'a enjoint de rentrer immédiatement chez 
							moi. Comme les Allemands tiraient avec des 
							mitrailleuses sur notre maison, je me suis réfugiée 
							dans la cave avec mes deux fils, Jean, âgé de six 
							ans, Maurice, âgé de deux ans, ma fille Jeanne, âgée 
							de neuf ans, et la famille Aufiero. Bientôt notre 
							habitation a été arrosée de pétrole; il en a été 
							versé dans la cave par le soupirail, et nous nous 
							sommes trouvés entourés de flammes. Je me suis alors 
							sauvée, avec mes deux petits garçons dans les bras, 
							tandis que ma fillette et la petite Béatrice Aufiero 
							couraient, accrochées à ma robe. Au moment où nous 
							traversions le ruisseau Rougeval, qui coule tout 
							près de chez moi, les Bavarois ont tiré sur notre 
							groupe. Mon petit Jean, que je portais, a été 
							atteint de trois balles, une à la cuisse droite, une 
							autre à la cheville et la troisième à la poitrine. 
							La cuisse était presque détachée, et par la plaie de 
							sortie du projectile qui avait traversé la poitrine, 
							le poumon apparaissait. Le pauvre enfant m'a dit : «  
							Oh ! maman, que j'ai mal ! » et il est mort 
							aussitôt. En même temps, la jeune Béatrice avait le 
							bras droit tellement fracassé, qu'il ne tenait plus 
							à l'épaule que par un lambeau de chair, et Angèle 
							Aufiero, une enfant de neuf ans, qui nous suivait à 
							peu de distance, recevait une blessure au mollet. La 
							pauvre Béatrice souffrait cruellement et se 
							plaignait en pleurant ; elle n'est pourtant pas 
							tombée et a continué à marcher auprès de moi.
 Pendant que ces faits se passaient, la famille 
							Pérignon, qui habitait la maison voisine de la 
							nôtre, était massacrée.
 Quand on n'a plus tiré sur nous, j'ai voulu laver au 
							ruisseau mon enfant, qui était couvert de sang; mais 
							un soldat m'en a empêchée, en me criant : «  .. raas 
							! »
 Au bout de quelques instants, nous sommes arrivés 
							sur la route; tandis qu'on faisait sortir M. Aufiero 
							de la cave, des Allemands, qui parlaient assez 
							couramment français, ont dit à sa femme qui venait 
							de nous rejoindre : «  Regarde fusiller ton Mann ! » 
							Le malheureux, à genoux, demandait grâce, et comme 
							sa femme criait : «  Mon pauvre Côme ! » les soldats 
							lui répondirent: «  Tais ta gueule ! » L'exécution 
							eut lieu à une vingtaine de mètres de nous.
 Les Bavarois m'ont ensuite emmenée avec mes enfants, 
							Mme Aufiero et sa fille, dans le pré du 
							Pont-de-l'Étang. Un général a donné l'ordre de nous 
							y fusiller : mais je me suis jetée à ses pieds en 
							l'implorant et en lui embrassant les mains : il a 
							consenti à m'accorder notre grâce. A ce moment, un 
							officier, porteur d'une grande pèlerine gris clair, 
							avec un collet rouge, a dit, en désignant mon enfant 
							mort : «  Celui-là ne se battra pas plus tard contre 
							les nôtres. »
 Le lendemain, comme je m'étais réfugiée à la 
							Barrière Zeller, un officier est venu me déclarer 
							que le cadavre de mon enfant sentait mauvais et 
							qu'il fallait m'en débarrasser. N'ayant trouvé 
							personne pour faire un cercueil, je suis allée 
							chercher dans les cantines deux caisses à lapins que 
							j'ai clouées l'une au bout de l'autre; j'y ai déposé 
							le petit corps, et il a été enterré par deux soldats 
							dans mon jardin, où j'avais du creuser moi-même une 
							fosse. Je portais au cou la photographie de mon 
							enfant ; un officier a osé me demander de la lui 
							vendre.
 Les Bavarois ont commis à Jarny bien d'autres actes 
							de cruauté. Une trentaine d'Italiens ont été 
							massacrés. Dans une seule fosse, les ennemis en ont 
							enfoui dix-huit. M. Génot, maire, M. l'abbé Vouaux 
							et un Luxembourgeois, François Fidler, ont été 
							fusillés dans les champs; M. Fournier, cafetier, et 
							son neveu ont été tués près du cimetière Bertrand. 
							MM. Lhermitte, menuisier, et Plessis, ancien garde 
							champêtre, ont reçu la mort devant leur maison; M. 
							Pérignon, charron, sa femme et leur fils, âgé de 
							dix-sept ans, ont été massacrés dans leur cour. Leur 
							fille, Mlle Leroy, a eu un bras fracassé par un coup 
							de feu et a été amputée à Metz.
 Mme Bertrand a eu plusieurs doigts coupés par une 
							balle pendant qu'elle fermait ses persiennes. Enfin, 
							M. Joseph Collignon a été tué d'un coup de lance, 
							alors que, pour déférer aux ordres des Allemands, il 
							portait ses armes à la mairie.
 Un certain nombre de maisons et le clocher de 
							l'église ont été incendiés avec du pétrole. Dans la 
							sacristie, les soldats ont pris les ornements 
							d'église et les objets du culte. On a retrouvé, dans 
							les rues et dans les champs, les bannières, les 
							nappes d'autel et jusqu'au drap mortuaire.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 184.
 DÉPOSITION reçue, le 13 août 1915, à VICHY (Allier), 
							par M. THÉVENARD, juge de paix.
 MENNE (Maria), veuve FOURNIER, 41 ans, débitante à 
							Jarny (Meurthe-et-Moselle), actuellement réfugiée à 
							Vichy :
 Serment prêté.
 Les Allemands sont arrivés à Jarny le 23 août, et 
							n'ont fait que passer pendant deux jours. Le 25 
							août, de nouvelles troupes ennemies ont passé; elles 
							provoquèrent des scènes tragiques. Comme les troupes 
							allemandes et françaises se livraient des combats 
							d'artillerie, mon mari, mon neveu Henri Menne, ma 
							nièce Marie Menne, mon fils Henri Fournier et moi, 
							nous nous réfugiâmes dans notre cave, vers cinq 
							heures de l'après-midi. Ayant entendu qu'on 
							enfonçait les portes du débit, mon mari, Alexis 
							Fournier, remonta avec mon neveu Henri Menne. Sans 
							aucune explication, les Allemands les firent monter 
							en auto ; ils les emmenèrent à six cents mètres 
							environ de chez nous et les fusillèrent tous les 
							deux, sans raison et sans jugement.
 J'affirme que mon mari et mon neveu n'avaient pas 
							d'armes et n'avaient pas cherché à se défendre 
							contre les troupes allemandes.
 Je n'ai appris que le 27 août au matin, par une 
							voisine, Mme Schwartz, que mon mari et mon neveu 
							avaient été fusillés. Elle me dit qu'elle avait vu 
							les corps à l'entrée de la commune, près de la 
							maison Perrin. Je m'y suis rendue aussitôt, et j'ai 
							constaté qu'en effet mon mari et mon neveu avaient 
							été lâchement fusillés. Je les ai fait enterrer le 
							28 août.
 J'ai appris ensuite que M. Génot, maire, M. le curé 
							de Jarny remplaçant son frère, la famille Pérignon, 
							composée du père, de la mère et d'un enfant, M. 
							Lhermitte et d'autres personnes de la commune, au 
							nombre de quarante-sept, ont été également fusillés 
							sans motif par les soldats du 8e bavarois.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 185.
 DÉPOSITION faite, le 3 décembre 1914, à PARIS, 
							devant la Commission d'enquête.
 COLIN (Joseph), 51 ans, professeur au lycée 
							Louis-le-Grand, à Paris :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 13 août, vers huit heures et demie du soir, des 
							balles ont traversé les fenêtres de ma salle à 
							manger, à Blamont, où je me trouvais depuis la fin 
							de juillet. Ma fille et une domestique, qui étaient 
							occupées dans cette pièce à lire et à travailler, 
							sont venues immédiatement se réfugier auprès de moi, 
							dans ma chambre à coucher. J'ai alors rassemblé 
							toute ma famille, composée de ma femme, de mes trois 
							filles et de ma belle-mère; j'ai également appelé 
							mes deux bonnes, et nous nous sommes tous rendus 
							dans une pièce qui était réservée à un officier 
							allemand. A ce moment, une bande de Bavarois ayant 
							essayé d'enfoncer les portes, une de mes domestiques 
							est allée ouvrir, et les soldats, conduits par un 
							officier, ont fait irruption dans l'appartement. Ils 
							ont d'abord accusé ma seconde fille, âgée de treize 
							ans, d'avoir tiré sur eux par une fenêtre; mais je 
							leur ai démontré l'absurdité de cette allégation, et 
							ils se sont retirés en nous disant que nous pouvions 
							nous coucher. A peine avions-nous eu le temps de 
							nous embrasser, qu'une seconde bande pénétrait chez 
							moi. L'officier qui la conduisait paraissait 
							furieux. Cette fois, c'est moi qui fus accusé 
							d'avoir tiré. Ma fille aînée, qui protestait et me 
							tenait par le cou, reçut à la tempe et à l'oeil un 
							coup de crosse qui fit jaillir le sang et l'abattit. 
							Elle en portera toujours la marque. Après avoir été, 
							à mon tour, brutalement frappé, je fus traîné 
							dehors. Un officier bavarois s'approcha de moi et 
							m'adressa les plus grossières injures, me crachant à 
							plusieurs reprises au visage. Pendant ce temps, ma 
							belle-mère, mes filles et ma femme, qui étaient 
							restées à la maison, étaient obligées de se coucher 
							sur le plancher de la salle à manger, pendant que 
							les Allemands enfonçaient le buffet, brisaient le 
							piano et cassaient la vaisselle; ma belle-mère, ma 
							femme et une bonne recevaient de violents coups de 
							crosse. Comme je les entendais crier, je dis à 
							l'officier qui m'insultait : «  Pour traiter ainsi 
							des femmes, vous n'avez donc ni soeur ni mère ? » Il 
							me répondit : «  Ma mère n'a jamais fait un cochon 
							comme toi. »
 Après ces incidents, j'ai été conduit à la mairie. 
							Quand on m'en a fait sortir, je suis passé à un 
							endroit où venait d'être fusillé M. Foëll. J'ai vu 
							sur le mur du sang et de la cervelle.
 Le 14, j'ai été emmené avec d'autres otages jusqu'à 
							la frontière, et le 15 au matin, j'ai été mis en 
							liberté, surpris d'avoir la vie sauve, car les 
							menaces dont j'ai été l'objet m'avaient bien 
							persuadé que je serais fusillé.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 186.
 DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, 
							devant la Commission d'enquête.
 BENTZ (Charles), 58 ans, conseiller général, maire 
							de Blamont, chevalier de la Légion d'honneur, 
							actuellement à Nancy :
 Je jure de dire la vérité.
 Je suis resté à Blamont jusqu'au 15 août 1914. Les 
							Allemands y sont venus en patrouille dès le début de 
							la guerre, et y sont arrivés en masse vers le 8 
							août. Ce jour-là, Mlle Cuny fut assassinée. Elle 
							était occupée, avec son père, à moissonner dans les 
							champs, quand, ayant entendu une fusillade, elle se 
							cacha dans un fossé de bois. A un certain moment, 
							comme un soldat s'approchait, elle se leva en criant 
							: «  Ne tirez pas ! » Mais l'Allemand lui fracassa 
							immédiatement la poitrine d'un coup de fusil tiré à 
							bout portant.
 Dans la soirée du 12, mon prédécesseur, M. 
							Barthélémy, ancien maire, âgé de quatre-vingt-deux 
							ou trois ans, a été tué par une salve tirée de la 
							rue au moment où il s'approchait de sa fenêtre.
 Le 13, vers huit ou neuf heures du soir, un peloton 
							de douze hommes est venu me chercher à mon domicile 
							et m'a emmené menottes aux mains. En arrivant près 
							de la place Carnot, devant la maison de Mme Brèce, 
							les soldats m'ont montré une ouverture de grenier, 
							de laquelle, prétendaient-ils, on avait tiré sur 
							eux; puis on m'a conduit sur la place de 
							l'Hôtel-de-Ville, où j'ai trouvé M. Foëll, cafetier, 
							qui avait été arrêté et qu'on a «  collé au mur » 
							devant un peloton d'exécution. Alors que le 
							malheureux Foëll attendait, la mort, le commandant 
							de place fit aux troupes une allocution qui dura 
							bien dix minutes ou un quart d'heure, tandis que les 
							soldats me crachaient au visage et me frappaient à 
							coups de pied et à coups de poing. Enfin, Foëll fut 
							exécuté en ma présence et tomba comme une masse. Je 
							pensais que j'allais être massacré après lui; mais 
							le commandant m'a fait conduire à la mairie, après 
							m'avoir dit : «  Vous allez monter à votre cabinet et 
							vous y rédigerez une proclamation informant la 
							population que, si le moindre incident se produit, 
							vous serez fusillé avec un certain nombre 
							d'habitants, et la ville sera mise à feu et à sang. 
							» Je dois dire d'ailleurs que j'ai été arrêté à 
							plusieurs reprises et que j'ai eu continuellement 
							deux sentinelles auprès de moi. Les soldats 
							allemands, qui pillaient les caves presque chaque 
							soir, tiraient sans raison des coups de fusil dans 
							les rues. Le lendemain de leur arrivée en masse, ils 
							avaient pillé, puis incendié la chocolaterie Burrus.
 Il est à ma connaissance que plusieurs viols ont été 
							commis. La dame X..., qui était accouchée quinze jours 
							auparavant, a été outragée par des soldats, et il 
							paraît qu'elle a succombé aux suites des violences 
							qu'elle a subies.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 N° 187.
 DÉPOSITION reçue, le 6 septembre 1914, à GRAY, par 
							M. DANION, procureur de la République.
 GEORGE (Joseph), 55 ans, régisseur du baron de 
							Turckheim, demeurant à Blamont, réfugié à Gray :
 Avant la mobilisation, les patrouilles allemandes 
							ont commencé à passer la frontière. Après la 
							mobilisation, des escarmouches se sont produites à 
							Blamont. Un hussard français a été sauvé par les 
							habitants; un autre hussard, blessé et tombé de 
							cheval, a été achevé par les Allemands, qui l'ont 
							criblé de balles. Sans pouvoir préciser la date, le 
							4 ou le 5 août, les Allemands sont entrés en force à 
							Blamont; ils ont traversé la ville en chantant, en 
							hurlant même.
 Ils se sont installés à la mairie, ont pris M. Bentz 
							(le maire) comme otage : il ne pouvait faire un pas 
							sans être accompagné d'hommes armés.
 Ils ont aussitôt commencé les réquisitions et vécu 
							sur le pays. Ils ont occupé la ville pendant dix 
							jours. La nuit, toutes les portes et fenêtres 
							devaient être ouvertes et éclairées.
 Toutes les caves ont été vidées. Ils étaient tous 
							ivres. La nuit, c'étaient des coups de feu tirés par 
							eux, et ils prétendaient que les habitants tiraient 
							sur eux. M. le maire avait prévenu les habitants 
							que, sous peine d'être fusillés, ils devaient 
							déposer toutes leurs armes à la mairie; c'est ce qui 
							a été fait. Toutes les armes ont été saisies par les 
							Allemands et envoyées par eux à Sarrebourg. J'ai 
							assisté au départ du camion qui les contenait. Des 
							coups de fusil n'en étaient pas moins tirés. Ils ont 
							décidé alors de prendre des otages.
 Ils ont commencé par M. Foëll, cafetier. Ils l'ont 
							fait fusiller le lendemain, sous prétexte qu'il 
							avait été trouvé porteur d'un revolver. M. Foëll 
							était originaire de Sarrebourg et âgé de cinquante 
							ans.
 Ils ont emmené une quinzaine d'otages : M. le curé, 
							M. Colin, professeur à Paris, M. Toubhans, épicier, 
							etc... Ils les ont abandonnés dans l'église d'un 
							village voisin de la frontière à l'arrivée de nos 
							troupes.
 J'ajoute que Mlle Colin a été blessée dans son lit 
							par des balles et des coups de crosse de fusil. J'ai 
							entendu dire que Mme Brisse, belle-mère de M. Colin, 
							avait également été maltraitée.
 Un soir que M. Barthélémy, âgé de plus de 
							quatre-vingts ans, ancien maire, ancien conseiller 
							général, allumait de la lumière chez lui, les 
							Allemands l'ont criblé de balles, sans aucun motif.
 Une demoiselle Cuny, âgée de vingt-deux ans, étant 
							dans les champs occupée à moissonner, et voyant 
							venir, les Allemands, leur a crié : «  Ne tirez pas, 
							ne tirez pas ! » Ils l'ont criblée de balles, en 
							disant : «  Une Française de moins ! » Son père, qui 
							était caché dans un fossé, a été témoin de cette 
							scène. Chez moi, ils sont entrés en faisant sauter 
							les portes. Ils m'ont gardé, me défendant de sortir. 
							Toute la nuit, ils m'ont pillé et dévalisé : ils ont 
							bu mon vin, tué mes lapins, mes volailles, et volé 
							toutes mes provisions de ménage. Ils ont souillé les 
							chambres et les lits, faisant leurs nécessités 
							partout.
 Au château du baron de Turckheim, dont je suis le 
							régisseur, ils n'ont trouvé qu'un vieux domestique 
							et deux bonnes alsaciennes parlant parfaitement 
							l'allemand. Avec elles, ils se sont entendus : elles 
							leur ont donné tout ce qu'ils demandaient. Ils ont 
							brisé toutes les portes des dépendances; ils ont tué 
							et mangé toutes les volailles. Au château, ils 
							étaient bien deux mille; ils y ont fait des 
							tranchées et des fortifications. Tous les murs, 
							toutes les clôtures ont été détruits. J'ai subi 
							personnellement un préjudice de sept cents francs 
							environ. Au château, c'est par milliers de francs 
							qu'il faudra compter, car tout est dévasté.
 Je dois ajouter qu'ils ont pillé la chocolaterie de 
							Blamont : tout y a passé, matériel et marchandises; 
							puis, ils y ont mis le feu. Cette chocolaterie 
							appartient à M. Burrus, sujet suisse.
 Depuis mon départ, Blamont a été bombardé.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 188.
 DÉPOSITION reçue, le 25 novembre 1914, à GRAY, par 
							M. DANJON, procureur de la République.
 DEMANGE (Eugénie), veuve DEPOUTOT, 62 ans, 
							propriétaire à Blamont, actuellement réfugiée à Gray 
							:
 Serment prêté.
 A Blamont (Meurthe-et-Moselle), la mobilisation a 
							été annoncée le samedi 1er août. Mon fils avait 
							rejoint. J'étais seule avec ma fille Marguerite. Dès 
							le samedi soir, les uhlans sont arrivés à Blamont. 
							Ma fille et moi, nous nous sommes réfugiées dans 
							l'appartement de M. Bentz, notre maire, dont je suis 
							locataire. Des officiers allemands étaient couchés 
							chez lui.
 Au milieu de la nuit, des bruits significatifs me 
							donnèrent la certitude que mon appartement
 avait été envahi par des soldats allemands, qui 
							brisaient tout chez moi. Vers une heure et demie du 
							matin, nous avons fait réveiller un jeune soldat 
							allemand qui parlait français et lui avons fait part 
							de nos craintes. Avec un de ses camarades, il s'est 
							rendu dans mon appartement, et je l'ai suivi. Chez 
							moi, tout était bouleversé, tout était saccagé, tout 
							était pillé. Tous les meubles avaient été fouillés; 
							le contenu en gisait pêle-mêle sur le sol : linge, 
							vêtements, provisions de ménage : en un mot, tout ce 
							que renfermaient les meubles et les placards. Ils 
							avaient mangé des oeufs et brisé sur le sol et les 
							murs ceux qu'ils n'avaient pu consommer. Ils avaient 
							pillé ma cave, bu mon vin, renversé mes pots de 
							conserves et de confitures : je n'ai plus rien.
 Le jeune soldat qui parlait français a fait venir 
							les chefs; ceux-ci ont dit que «  c'était la guerre 
							», mais ont ajouté que les auteurs de ces actes de 
							vandalisme seraient punis et que je serais 
							indemnisée. La plupart de mes meubles sont brisés; 
							mon linge, mes effets et mes provisions de ménage 
							sont perdus. J'évalue à deux mille cinq cents francs 
							le préjudice qui m'a été causé.
 Blamont a été occupé pendant douze jours. Au cours 
							de cette occupation, les Allemands ont tué d'un coup 
							de revolver une jeune fille qui travaillait à la 
							moisson; c'était Aline Cuny, âgée de vingt-trois 
							ans. Le soldat qui l'a tuée s'est écrié : «  Encore 
							une Française de moins ! »
 Son père n'a échappé à la mort que parce qu'il 
							s'était caché dans un fossé.
 Les Allemands tiraient des coups de fusil et 
							reprochaient ensuite aux habitants d'avoir des armes 
							et d'en faire usage. Ils étaient de mauvaise foi, 
							car, sur leur ordre, toutes les armes de tous les 
							habitants avaient été confisquées et déposées à la 
							mairie.
 Toutes, les portes des maisons devaient toujours 
							être ouvertes, même pendant la nuit, et les fenêtres 
							devaient être éclairées. Comme, un soir, M. 
							Barthélémy, âgé de quatre-vingt-dix ans, mettait une 
							lampe sur sa fenêtre, ils l'ont tué d'un coup de 
							feu, sous prétexte qu'il avait tiré.
 Ils ont fusillé sans motif, au coin de l'hôtel de 
							ville, M. Foëll, cafetier. Après son exécution, ils 
							sont allés dire à sa femme que c'était une erreur.
 A l'entrée de Blamont, ils ont achevé plusieurs 
							blessés français.
 Un soir, sans lui donner le temps de se vêtir, ils 
							ont emmené M. Colin, professeur à Paris, et l'ont 
							gardé comme otage pendant trois jours. Ils ont tiré 
							sa belle-mère a bas du lit et lui ont abîmé un bras; 
							ils ont grièvement blessé à la tête Mlle Colin, âgée 
							de vingt-deux ans environ. Je ne me rappelle pas 
							tout ce qui s'est passé.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 189.
 DÉPOSITION reçue, le 21 janvier 1915, à BRIOUDE, par 
							M. POUGNET, procureur de la République.
 Rupp (Joseph), 2 ans, rentier, domicilié à Blamont 
							(Meurthe-et-Moselle), résidant actuellement à 
							Brioude :
 Serment prêté.
 Au début des hostilités, j'habitais Blamont, où je 
							suis domicilié depuis 1911. Le 7 août dernier, un 
							avion allemand survola la ville et y jeta six 
							bombes; peu après, les Allemands arrivèrent et 
							occupèrent la localité.
 Dès le lendemain, de nouvelles troupes ennemies 
							survinrent, et le pillage commença. Les soldats 
							allemands pénétrèrent dans les caves de certains 
							habitants, notamment dans celles de M. Bentz, de Mme 
							Laurent, de M. Baumgarten, et les dévalisèrent. Ils 
							dévalisèrent aussi les bureaux de tabac et les 
							maisons abandonnées. La fabrique de chocolat 
							appartenant à M. Burrus, qui pourtant avait donné 
							l'hospitalité à des officiers et à un général 
							allemands, fut complètement dévalisée : les machines 
							furent brisées, les courroies coupées, et enfin, 
							l'usine fut incendiée. Une fabrique de velours fut 
							également pillée; les soldats lacérèrent à coups de 
							sabre les pièces d'étoffe qu'ils ne croyaient pas 
							pouvoir utiliser, et sur lesquelles ils avaient fait 
							coucher leurs chevaux.
 Dès leur arrivée, les Allemands se firent remettre à 
							l'hôtel de ville toutes les armes des habitants, et 
							ces armes, chargées sur un camion, furent 
							transportées en Allemagne.
 Le commandant des troupes donna l'ordre aux 
							habitants de laisser leurs maisons ouvertes la nuit 
							et d'éclairer toutes les fenêtres, du 
							rez-de-chaussée au dernier étage. Chaque nuit, dans 
							les rues, la fusillade éclatait, et les soldats de 
							l'ennemi tiraient sur les personnes qu'ils 
							apercevaient. C'est ainsi que fut tué M. Barthélemy: 
							vieillard de quatre-vingts ans, ancien maire de 
							Blamont, qui s'était avancé vers une fenêtre de son 
							appartement.
 M. Louis Foëll fut emmené par une patrouille à 
							l'hôtel de ville et fusillé sans motif ni prétexte.
 Une jeune fille âgée de vingt ans, Mlle Aline Cuny, 
							se trouvait dans un champ, près de Blamont, avec son 
							père. En voyant arriver une patrouille allemande, 
							elle se cacha dans un fossé. Cette patrouille 
							s'étant avancée, elle implora à genoux la pitié des 
							soldats, qui la fusillèrent à bout portant.
 Le premier régiment qui est entré à Blamont est le 
							20e régiment d'infanterie bavarois.
 J'ai quitté Blamont le 14 août et j'ignore ce qui 
							s'y est passé depuis.
 Lecture faite, persiste et signe avec nous.
 
 N° 345LAURENT (Jules), 65 ans, épicier à Magnières :
 Je jure de dire la vérité.
 Un jour, pendant l'occupation, un Allemand armé d'un 
							fusil est entré chez moi. Il a obligé la jeune X..., 
							de Domèvre-sur-Vezouze, qui était réfugiée dans une 
							maison avec sa famille, à le suivre dans une chambre 
							contiguë à celle dans laquelle je me trouvais. Il a 
							poussé la porte sans toutefois la fermer, et a violé 
							la fillette malgré ses cris et ses plaintes.
 Quelques instants auparavant, il avait déjà pratiqué 
							sur elle des attouchements obscènes, en ma présence. 
							Dix minutes après, ce misérable est venu de nouveau 
							s'emparer de la pauvre petite et a abusé d'elle pour 
							la seconde fois. Cette enfant, qui n'est âgée que de 
							douze ans était absolument terrorisée. Le soldat 
							était si menaçant que je n'ai pas osé intervenir.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nos 363, 364, 365.
 L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à 
							LUNÉVILLE, devant nous,. etc.
 MASSON (Étienne), 68 ans, cultivateur à Emberménil, 
							réfugié à Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Les Allemands sont venus plusieurs fois dans notre 
							commune, qui se trouve entre leurs lignes et les 
							lignes françaises.
 Le 18 octobre, ils ont emmené les hommes de 14 à 50 
							ans. Quatorze de nos concitoyens ont été forcés de 
							les suivre; nous sommes sans nouvelles d'eux.
 Avant-hier 5 novembre, une date que je n'oublierai 
							jamais, des hommes du 6° régiment bavarois sont 
							entrés chez nous et ont emmené ma belle-fille qui 
							était dans un état de grossesse très visible. Ils 
							ont en même temps rassemblé devant l'église tous les 
							habitants du village, et un officier a dit : «  
							Quelle est la personne qui nous a trahis ? » Ma 
							belle-fille s'est avancée et a déclaré que c'était 
							elle qui, quelques jours auparavant, avait répondu 
							de bonne foi à des soldats qui l'interrogeaient 
							alors, qu'elle ignorait s'il y avait un détachement 
							français dans la commune. Les Allemands l'ont 
							saisie, l'ont fait asseoir sur un banc avec Louis 
							Dîme, âgé de 2 4 ans. Mme Vautrin, qui parle 
							allemand, a demandé grâce pour la jeune femme, en 
							faveur de laquelle toute la population a également 
							intercédé. Ils ont répondu : «  Un homme et une femme 
							doivent être fusillés ; tel est l'ordre du colonel. 
							Que voulez-vous ? C'est la guerre. » Puis huit 
							soldats sur deux rangs ont fait à douze mètres feu 
							sur les deux malheureux, à trois reprises, en 
							présence de tous les habitants.
 Les Allemands ont ensuite mis le feu à ma maison. 
							Celle de M. Blanchin avait été incendiée quelques 
							instants auparavant.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 GUISE (Olympe), veuve GRANDVALET, 56 ans, sans 
							profession, à Emberménil, réfugiée à Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Le 5 novembre courant, j'ai, comme tous les 
							habitants d'Emberménil, assisté à l'exécution par 
							les Allemands de Mme Masson et de Louis Dîme. La 
							jeune femme, en déclarant que quelques jours 
							auparavant c'était elle qui avait dit à des soldats 
							qu'elle ne savait pas s'il y ayait des troupes 
							françaises dans le village, a affirmé qu'elle était 
							de bonne foi et que, par conséquent, elle était 
							innocente, Malgré nos supplications, les Allemands, 
							l'ayant fait asseoir sur un banc à côté de Louis 
							Dîme, l'ont fusillée sous nos yeux ainsi que ce 
							dernier.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
 Nous n'avons pas cru devoir consigner in extenso les 
							déclarations de Mme PETENOT (Marie-Louise), femme 
							MARIN, de M. PIERSON (Auguste) et de M. BRIDEY 
							(Honoré), tous d'Emberménil, réfugiés à Lunéville, 
							qui ont assisté à l'exécution de Mme. Masson et de 
							M. Louis Dîme, et qui ont confirmé, sans y ajouter 
							aucun détail nouveau, les dépositions qui précèdent.
 (Suivent les signatures.)
 
 
 N° 366.
 L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à 
							LUNÉVILLE, devant nous,. etc
 ANTOINE (Marie), femme MILLOT, âgée de 55 ans, 
							demeurant à Domèvre-sur- Vezouze, réfugiée à 
							Lunéville :
 Je jure de dire la vérité.
 Lorsque les Allemands sont venus pour la seconde 
							fois à Domèvre, c'était, si je ne me trompe, le 24 
							août. J'étais dans la maison des époux Claude, mon 
							neveu et ma nièce, avec d'autres personnes. Le jeune 
							Claude, âgée de 1 7 ans, qui se trouvait près de la 
							rampe de l'escalier, dit à sa mère qu'il voyait dans 
							la rue des Allemands qui le mettaient en joue; puis 
							il fit trois pas en avant pour se garer. Mais à ce 
							moment, il fut atteint de trois balles, une au 
							ventre, une autre à la cuisse et la troisième à la 
							fesse. Il est mort trois jours plus tard, après 
							avoir dit à sa mère : «  Je puis bien mourir pour la 
							patrie. »
 Je sais que les Allemands ont également tué, le même 
							jour, deux autres personnes : M. Adolphe Claude, âgé 
							de 75 ans, et M. Auguste Claude. Ce dernier n'était 
							pas parent du précédent, non plus que de mon jeune 
							neveu.
 J'ajoute qu'ils ont emmené M. Breton, boulanger, et 
							M. Labort, maréchal ferrant, et qu'on n'a jamais 
							revu ces deux hommes.
 Enfin, dans Domèvre, où cent trente-six maisons ont 
							été incendiées, j'ai vu les ennemis mettre le feu en 
							tirant des coups de fusil dans les granges et sous 
							les toits. Ces coups de fusil produisaient des 
							détonations assez faibles, analogues à celles des 
							pétards.
 Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 
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