Rapports et procès-verbaux d'enquête de la
commission instituée en vue de la commission
instituée en vue de constater les actes commis par
l'ennemi en violation du droit des gens.
1915-1916
MEURTHE-ET-MOSELLE
N° 141.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY,
devant la Commission d'enquête instituée par décret
du 23 septembre 1914.
SIMON (Gustave), 48 ans, maire de Nancy:
Je jure de dire la vérité.
Depuis le 11 novembre 1914, date à laquelle j'ai
déjà déposé devant vous (1), la ville de Nancy, où
il n'existe ni troupes, ni établissements
militaires, a été bombardée quinze fois par des
aéroplanes allemands et deux fois par des
dirigeables. Vingt-et-une personnes ont été tuées et
vingt-cinq ont été blessées. Je vais d'ailleurs vous
remettre un état qui a été dressé par les soins du
commissaire central, et qui fait connaître d'une
façon précise les conditions et les résultats de ces
bombardements.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 142, 143.
DOCUMENTS remis à la Commission, le 22 septembre
1915, par M. Gustave SIMON,
maire de Nancy.
I.
NOTE RÉCAPITULATIVE
et par dates des divers genres de bombardements
allemands sur la ville de Nancy.
[...]
Nos 144, 145, 146, 147.
DÉPOSITIONS faites, le 21 septembre 1915, à
LUNÉVILLE, devant la Commission d'en- quête. KELLER
(Emile-Georges), 57 ans, maire de Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Depuis que j'ai fait devant vous une déposition, de
très nombreux avions allemands ont survolé notre
ville ou tenté de la survoler. Le plus souvent, ils
ont été mis en fuite par nos canons ou par nos
escadrilles. Cinq ou six fois, ils ont réussi à
jeter des bombes, sans cependant obtenir d'autre
résultat que des dégâts matériels. Une autre fois,
ils ont tué un homme et en ont blessé deux autres.
Depuis quelque temps surtout, nous avons remarqué
que les tentatives se répétaient le mercredi, jour
de marché, et à sept heures du matin, moment où le
marché est en pleine activité. Le mercredi 1er
septembre, à sept heures, après avoir entendu un
fracas épouvantable et avoir été prévenu que
plusieurs personnes venaient d'être tuées, je me
suis rendu rue de la Charité, où avait éclaté une
bombe, et où se tenait la partie du marché
spécialement occupée par les marchands de légumes
venus des villages environnants. La rue présentait
l'aspect d'un carnage affreux. Des cadavres de
femmes, écrasés et déchiquetés, étaient accumulés le
long du mur de l'école. Les visages étaient noirs,
des thorax étaient vidés, des membres épars gisaient
sur le sol, des débris de cervelle avaient été
projetés sur la chaussée et jusque dans les
magasins, où une partie de la foule, effrayée par
l'explosion précédente de deux bombes, s'était
réfugiée. Partout on voyait du sang répandu. On a
ramassé immédiatement trente-huit cadavres et
trente-six blessés. D'autres personnes atteintes
avaient pu se réfugier chez elles ou dans les
pharmacies. Plusieurs blessés ont succombé depuis.
Actuellement, à ma connaissance, l'attentat a causé
quarante-six morts ; le nombre des blessés qui ont
survécu est d'environ cinquante, tant à Lunéville
que dans huit villages des environs.
La plupart des victimes étaient des femmes. Beaucoup
d'entre elles étaient venues des communes déjà
ravagées par les Allemands apporter ici les produits
de leurs jardins.
Ce jour-là, seize bombes ont été lancées par trois,
quatre ou cinq avions qui volaient à une hauteur de
plus de deux mille mètres, et dont les itinéraires
se sont coupés vers le centre de la ville. Hier et
ce matin encore, des aéroplanes allemands ont essayé
de venir au-dessus de nous.
J'ajoute que, le 1er septembre, plusieurs
projectiles incendiaires ont été lancés, car la
maison Leyser, avenue des Vosges, a été brûlée par
suite de l'éclatement d'une des bombes.
Après lecture le témoin a signé avec nous.
IMBERT (Louis), 48 ans, commissaire de police à
Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Depuis quelque temps, je remarquais que des avions
allemands essayaient de survoler Lunéville, les
jours de marché, entre six et huit heures du matin.
Le 1er septembre, à sept heures dix, je me trouvais
aux turbines, usine élévatoire des eaux qui est
située au sud de la ville, quand-mon attention a été
appelée par des détonations. J'ai vu alors des
colonnes de fumée s'élevant au-dessus de
l'agglomération. A ce moment, j'ai entendu un
sifflement caractéristique, et presque aussitôt, une
bombe a éclaté à trente mètres de moi. Je n'ai pas
été atteint, car j'avais pu me protéger en me
couchant derrière un mur. M'étant relevé, je me suis
dirigé en courant vers la ville, tandis que deux
autres projectiles tombaient près de l'endroit que
je venais de quitter. En arrivant rue de la Charité,
je me suis trouvé, en présence d'un spectacle
horrible. La chaussée, les corridors et les magasins
étaient remplis de cadavres et de débris humains.
Une bombe, tombée presque au milieu de la rue, avait
fait parmi la foule de très nombreuses victimes.
J'ai appris ensuite que plusieurs des engins dont
j'avais entendu les détonations avaient éclaté, l'un
rue de Metz, un autre rue Sainte-Marie, à trente
mètres du marché, et un troisième au cimetière, où
il avait tué une personne et en avait blessé trois
autres. Un autre projectile encore a été lancé
presque en même temps avenue des Vosges, sur la
maison Leyser, qui a été incendiée.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
THIEBAUT (Julien-Emile), 53 ans, sculpteur à
Lunéville:
Je jure de dire la vérité.
Le 1er septembre courant, un peu après sept heures
du matin, me trouvant devant ma porte, j'ai vu
venir, de la direction du nord-ouest, un avion
allemand, et j'ai entendu l'explosion de quatre
bombes autour de moi. La première est tombée dans la
petite allée du cimetière; la seconde a éclaté près
de la grille et a tué le jardinier, M. Jean, en même
temps qu'elle blessait au bras Mme Larivière,
fleuriste; la troisième, qui m'a paru énorme, a fait
un trou à seize mètres de ma porte et a blessé deux
personnes, Mme Baguet et M. Bigorre, concierge du
cimetière; la quatrième enfin est tombée sur un tas
de briques, dans le jardin de M. Cuny-Mangin,
marbrier. Après lecture, le témoin a signé avec nous
et avec M. BIGORRE (Joseph), âgé de 46 ans,
concierge du cimetière de Lunéville, lequel, après
avoir prêté serment, a confirmé la déposition
ci-dessus, avec cette seule différence qu'il n'a pas
vu l'avion qui a lancé les bombes.
PIERSON (Maria), femme BILDSTEIN, 40 ans, demeurant
à Lunéville :
Je jure de dire la vérité. Notre magasin de coiffure
est situé à trente mètres environ de l'endroit où
est tombée la bombe, rue de la Charité, le 1er
septembre courant. La fusée a été projetée tout près
de notre porte. Beaucoup de personnes s'étaient
réfugiées chez nous; l'une d'elles, Mme Souvenier, y
a été tuée. Le spectacle de la rue était
épouvantable.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 148.
DÉPOSITION faite, le 14 janvier 1915, à PARIS,
devant la Commission d'enquête. BERSON (Gustave), 64
ans, professeur au lycée Condorcet à Paris,
chevalier de la Légion d'honneur :
Je jure de dire la vérité.
Je me suis rendu le 8 août à Badonviller, où je
possède une maison, et où j'ai l'habitude de passer
mes vacances. Le 9, le 10 et le 11, il y a eu
quelques combats à proximité de la ville. Le 12,
vers quatre heures cinquante du matin, une canonnade
violente se fit entendre. Elle fut suivie d'une
fusillade nourrie, qui dura une heure environ. Nos
troupes s'étant retirées, une dizaine de Bavarois
arrivèrent ensuite. A ce moment, ma domestique,
ayant soulevé le rideau d'une fenêtre du second
étage, reçut au poignet une balle qui ne lui fit
qu'une blessure légère; puis, un plus grand nombre
de soldats étant survenus, j'entendis crier: Halt !
et aussitôt ma maison fut criblée de balles. Au bout
de dix minutes, les Bavarois tirèrent de nouveau sur
mon habitation. Je sortis alors; mais à peine
étais-je sur le seuil de ma porte que j'étais mis en
joue par un des soldats qui occupaient l'hôtel de
ville, situé en face de chez moi. Je rentrai
précipitamment, sans avoir essuyé le coup de feu
dont j'étais menacé. Vers midi, ayant entendu le
tambour, j'ouvris la porte de derrière; puis, sur
l'ordre d'un Bavarois, je me rendis à la mairie. J'y
trouvai un grand nombre d'habitants : on arrêtait,
en effet, toute la population mâle; et en même
temps, l'ennemi brûlait avec des bombes à main une
partie de la ville. Nous étions gardés par une
troupe que commandait un capitaine, et dans laquelle
j'ai vu deux hommes portant au bout du fusil des
baïonnettes à dents de scie.
A un certain moment, je fis passer ma carte au
capitaine, espérant que ma situation de professeur
serait peut-être prise par lui en considération. Je
ne m'étais pas trompé ; car après m'avoir fait signe
d'approcher et m'avoir écouté, tandis que je lui
indiquais les circonstances à raison desquelles je
me trouvais à Badonviller, il me rendit ma carte,
sur laquelle il avait inscrit la mention suivante: «
Peut rentrer chez lui. Baumann, Haupt. 1/16.» Je lui
avais expressément demandé une pièce pouvant me
servir de sauf-conduit, car le percepteur venait de
me prévenir que j'étais menacé d'être fusillé, le
soldat qui m'avait mis en joue ayant prétendu qu'on
avait tiré de chez moi. Le même officier a consenti
également à rendre la liberté au curé. Il a
d'ailleurs fait preuve d'humanité. Comme les
Allemands bombardaient l'église avec des bombes
incendiaires, alors qu'il n'y avait plus de combat
même aux environs, j'ai obtenu qu'il commandât à un
certain nombre de ses hommes, de faire la chaîne,
pour éteindre l'incendie qui avait éclaté dans un
groupe de maisons voisines, et qui menaçait de
s'étendre à toute la rue. A plusieurs reprises, du
reste, il s'entretint avec moi d'une façon presque
bienveillante. « Etes-vous bien sûr, lui dis-je, que
des civils aient tiré sur vous? - Le maire, me
répondit-il, m'a déjà affirmé avec tant d'énergie ce
que vous m'avez dit vous- même, que je finirai par
le croire. » Quoi qu'il en soit, la femme du maire,
Mme Benoit, a été fusillée au moment où elle ouvrait
une de ses fenêtres; Hippolyte Marchal, âgé de
soixante-dix-sept ans, presque mon voisin, étant sur
sa porte, a été atteint d'une balle au-dessus du
coeur; Spatz, ferblantier, âgé de quatre-vingt-sept
ans, a reçu la mort au moment où il sortait de sa
cave. Enfin, un facteur a été massacré chez lui avec
ses beaux-parents, sans doute parce qu'il portait un
képi. Cinq autres personnes ont été également tuées.
Quatre-vingt-huit maisons ont été incendiées le 11
août. Le 13, sept otages ont été emmenés jusqu'à
Strasbourg : ils ne sont revenus qu'au bout de
vingt-cinq jours. Le capitaine Baumann commandait
une troupe qui occupait le centre de Badonviller.
Cette partie de la ville a été la moins maltraitée.
J'ai quitté le pays le 16 août.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 149.
DÉPOSITION faite, le 11 mai 1915, à PARIS, devant
la Commission d'enquête.
BESNARD (Clovis-Pierre-Germain), 57 ans, commandant
en retraite, 65, avenue de Breteuil :
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais dans notre propriété de Badonviller
lors de l'arrivée du 2e régiment d'infanterie
bavarois, et j'ai été témoin des actes contraires au
droit des gens dont les hommes de ce régiment, ainsi
que des uhlans, se sont rendus coupables.
Je n'ai rien à ajouter aux énonciations du rapport
que j'ai adressé à M. le Ministre de la Guerre, au
sujet de ces faits, le 19 août dernier. Je vais vous
en donner lecture et vous en remettre une copie,
dont je certifie l'exactitude sous la foi du
serment.
Tous les actes de violence que j'ai rapportés et
dont j'ai été le témoin se sont passés en présence
du capitaine bavarois Baumann.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 150.
RAPPORT du commandant en retraite BESNARD à M. le
Ministre de la Guerre.
Paris, le 19 août 1914.
1. Incendie d'une ferme. - Le mardi 11 août, vers
dix-neuf heures, les fumées des incendies allumés
par les Allemands dans les directions Cirey, Parux,
Bréménil semblèrent plus proches. C'était la ferme
de « Bon-gré-Jean » qui brûlait ; voici dans quelles
circonstances. Deux chasseurs à pied français,
frappés d'insolation, avaient laissé leurs fusils
aux environs de cette ferme. Un paysan de
Badonviller alla, de son propre mouvement, à la
recherche de ces armes, malgré la défense réitérée
du maire. Il en trouva une. Il fut aperçu par une
patrouille allemande qui tira sur lui et le toucha à
l'épaule. Le blessé se traîna dans le fossé jusqu'à
la ferme de « Bon-gré-Jean », où la femme
l'accueillit. Les Allemands pénétrèrent alors dans
la maison, s'emparèrent du blessé et de la femme, et
mirent le feu à la ferme. Les enfants furent
recueillis par une tante qui les ramena à
Badonviller. Leur mère fut relâchée le lendemain.
2. Femme du maire fusillée. - Sa maison incendiée. -
Le mercredi 12 août, après un combat qui dura de
cinq heures à dix heures du matin, les Allemands
entrèrent dans Badonviller en tirant dans toutes les
fenêtres, sous le fallacieux prétexte qu'un civil
avait tiré sur eux. La femme du maire, Mme Benoit,
qui ouvrait ses fenêtres suivant l'ordre des
Allemands fut fusillée et la maison immédiatement
incendiée sous les yeux de son mari, maintenu entre
quatre hommes baïonnette au canon. Le maire y avait
accumulé pour soixante mille francs de denrées
alimentaires, destinées aux ménages nécessiteux
pendant la durée de la guerre. Tout fut la proie des
flammes.
3. Tir de mitrailleuse sur une ambulance. - La
maison du directeur de la faïencerie, M. Début,
servant d'ambulance et protégée par la Croix-Rouge,
fut, à bout portant, couverte de projectiles par une
mitrailleuse allemande. Le directeur ouvrit la porte
à deux battants et obtint la cessation du feu; mais
l'incendie gagna la maison, et l'on n'eut que le
temps d'évacuer les blessés.
4. Incendie du refuge de blessés. - Deux chasseurs à
pied blessés ayant été surpris dans l'écurie de
l'hôtel de la Gare, les Allemands vinrent demander
des allumettes à l'hôtesse et mirent le feu à son
écurie en sa présence. Ils ont pris à l'hôtel quatre
mille bouteilles et trente hectolitres de vin,
indépendamment du pillage des chambres.
5. Pillage organisé. - Vers quatorze heures, les
Allemands firent ordonner à la population de se
rendre devant l'hôtel de ville et de laisser portes
et fenêtres ouvertes, en menaçant de fusiller
quiconque serait trouvé dans les maisons. Cet ordre
exécuté, ils pénétrèrent partout, brisant, pillant
de la cave au grenier, jetant sur le sol les denrées
qu'ils ne pouvaient emporter, et déposant des
ordures dans les cuisines et les salles à manger.
Ces déprédations ont surtout été commises aux
extrémités du bourg et chez les commerçants.
6. Incendies multiples. - Pendant ce temps, des obus
avaient mis le feu à l'église, sous le faux prétexte
que l'on avait tiré du haut du clocher. Pourtant, on
prouva que l'escalier menant au clocher était fermé
à clef et vide : le juge de paix et le percepteur le
firent constater à une patrouille qui les y
accompagna. D'autres incendies furent allumés en de
nombreux endroits. Entre autres, devant la grange de
M. Seyer, boucher, de la paille d'avoine avait été
étendue et allumée. Elle communiqua le feu et
réduisit en cendres onze maisons contiguës.
L'incendie se propagea autour de l'hôtel de ville et
à l'hôtel de ville lui-même. Le capitaine allemand
(Baumann) commença à s'émouvoir; et, sur la demande
du maire, il donna cinquante Bavarois pour aider à
s'opposer au fléau. Les femmes rassemblées furent
mises à la chaîne, et ensuite, on les autorisa à
rentrer dans les maisons voisines.
7. Parcage des hommes. - Quant aux hommes, les
jeunes et les vieux furent parqués dans les halles,
sur de la paille. Les notables furent gardés toute
la nuit, assis sur des bancs devant la mairie, avec
indication que si un seul bougeait, tous seraient
fusillés. On autorisa les femmes à apporter quelque
subsistance à leurs maris ou à leurs fils.
8. Prise d'otages. - Le jeudi 13 août, vers dix
heures, la compagnie allemande reçut l'ordre de se
replier vers le nord. Le lieutenant commandant la
compagnie (relevée la veille au soir) prévint qu'il
allait emmener les prisonniers, le maire et quelques
notables, pour les mettre devant le premier rang à
l'ouverture du feu. En réalité, il emmena, encadrés
à la gauche de sa colonne: un adjudant, un caporal
et plusieurs chasseurs à pied prisonniers de la
veille; le juge, de paix; le receveur des postes; le
contremaître de l'usine; les deux gardes champêtres
et quelques autres personnes prises au hasard.
Quarante-huit heures après, un seul était revenu,
ignorant le sort des autres.
9. Quatre-vingt-cinq immeubles environ incendiés. -
Après le départ de la colonne, l'on put constater la
ruine complète de l'église et de quatre-vingt-quatre
maisons environ sur quatre cents que compte la
commune.
10. Civils inoffensifs tués. - Chargé par le maire
de reconnaître l'identité des cadavres gisant sur
une certaine partie du territoire, j'ai constaté que
les Allemands tuaient indistinctement militaires et
civils, enfants, femmes, hommes, vieillards : (tels
sont M. Marchal, soixante-dix ans, et M. Spatz,
quatre-vingt-cinq ans.) J'ai identifié au même
endroit, devant le chalet Fayard, les corps du
facteur des postes Gruber, de son beau-père et de sa
belle-mère, de M. Boulay et de son fils, âgé de
quinze ans.
De tous ces faits, j'ai été le témoin oculaire.
11. Source empoisonnée. - Au moment de quitter le
pays, après le départ des Allemands, ma femme ne
pouvant plus supporter la vue de ces scènes de
dévastation, j'ai appris que les Allemands avaient
jeté un cadavre dans la principale source qui
alimente le pays; mais je n'ai pas été témoin de ce
dernier acte de barbarie.
12. M. Lejeal, percepteur. - Il est équitable de
signaler la belle conduite du percepteur de
Badonviller, qui, très au courant de la langue
allemande, a constamment servi d'interprète au maire
et d'intercesseur auprès des barbares, allant, au
péril de sa vie, sous le feu de l'artillerie,
demander qu'on laissât aux femmes et aux enfants le
temps de fuir. C'est grâce à M. Lejeal que la ruine
de Badonviller n'a pas été complète.
Certifié conforme à la vérité.Signé : BESNARD.
N° 151.
DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à Lunéville,
devant la Commission d'enquête.
ODINOT (Lucie), 12 ans, demeurant à Badonviller :
Le 12 août 1914, mon frère, Georges Odinot, âgé de
seize ans, sortait de notre cave avec un litre de
vin et une miche de pain pour notre repas, et
entrait dans la cuisine, quant deux Allemands sont
arrivés avec leurs fusils et l'ont mis en joue. Il a
crié : « Pardon, Messieurs ! » mais l'un d'eux a
tiré sur lui et l'a atteint à la gorge. Mon frère
est mort sur le coup. Les Allemands l'ont alors
traîné dehors par les jambes.
Après lecture, le témoin, qui pleure abondamment, a
signé avec nous.
Nos 152, 153.
DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à BACCARAT
(Meurthe-et-Moselle), devant la Commission
d'enquête.
BENOIT (Joseph-Edmond), 47 ans, maire de Badonviller
(Meurthe-et-Moselle), chevalier de la Légion,
d'honneur, actuellement à Baccarat :
Je jure de dire la vérité. Le 12 août 1914, le 16e
bavarois d'infanterie (bataillon ou régiment) a
occupé Badonviller, tandis que d'autres corps,
notamment les 2e, 5e et 12e régiments, n'ont fait
qu'y passer. Après d'assez violents combats aux
environs, nos troupes s'étaient retirées, et il
n'était resté dans la ville qu'une quinzaine de
chasseurs à pied français. Prétendant à tort que la
population civile s'était livrée à une agression, le
capitaine Baumann, du 16e, s'est montré fort
menaçant, et j'ai parlementé avec lui pour
l'apaiser. Je lui ai affirmé qu'aucun de mes
concitoyens n'avait tiré. Il m'a alors enjoint de
l'accompagner dans les rues et de faire ouvrir
portes et fenêtres. Sur ma demande, ma femme, qui se
trouvait chez mes beaux-parents, s'est rendue à
notre domicile pour obéir à l'ordre donné; puis, je
me suis transporté auprès du général allemand pour
lui attester, comme au capitaine, la parfaite
innocence de mes administrés, et pour le prier de
faire mettre fin aux fusillades qu'on entendait,
ainsi qu'aux incendies qui commençaient.
Ce général m'a donné vingt minutes pour livrer les
soldats qui s'étaient réfugiés dans les maisons et
pour rassembler les habitants devant la mairie.
Comme je redescendais avec M. Lejeal pour faire
exécuter ces ordres, un officier allemand, me
montrant ma propre maison, prétendit qu'on avait
tiré de là. Je protestai énergiquement et j'entrai
chez moi avec quatre soldats pour faire visiter
l'habitation. Dans une des chambres du premier
étage, dont une fenêtre était ouverte, j'ai trouvé
le cadavre de ma femme qui portait une blessure par
balle en pleine poitrine. J'ai voulu me précipiter
sur le corps; mais les Allemands m'ont entraîné et
j'ai dû procéder avec eux à des perquisitions chez
des voisins.
J'étais rentré à la mairie, quand j'ai appris que ma
maison brûlait; d'ailleurs le feu avait été mis déjà
à une partie de la ville. Je suis resté deux jours
prisonnier, et je n'ai connu les meurtres commis à
Badonviller que par les rapports qui m'ont été
faits. J'ajoute que quand les Bavarois ont incendié
les maisons, ils ont empêché qu'on fît sortir le
bétail.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
LEJEAL (Eugène), 55 ans, percepteur des
contributions directes à Badonviller:
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais avec M. Benoit, maire de Badonviller,
quand il est allé parler au général allemand, et
comme lui, j'ai tout fait pour obtenir que la ville
fût épargnée. Vous savez déjà qu'une partie de
Badonviller a été détruite par le feu et que
plusieurs habitants, ont été massacrés. J'ai vu
personnellement les cadavres de M. et de Mme Georges
et de M. Gruber; c'est moi qui les ai fait inhumer.
Une seconde occupation a eu lieu le 23 août. Les
Allemands ont alors enlevé tout ce qui, la première
fois, avait échappé au pillage. Je suis allé trouver
un officier supérieur pour lui faire remarquer que
nous nous trouvions dans l'impossibilité de subvenir
aux besoins de quatre-vingts blessés français
recueillis par nous; mais je n'ai rien pu obtenir,
et j'ai été éconduit.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 154.
DÉPOSITION faite, le 23 septembre 1915, à
BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la
Commission d'enquête.
FOURNIER (Emile), 26 ans, administrateur délégué
dans les fonctions de maire à Badonviller :
Je jure de dire la vérité.
Les Bavarois des 2e, 5e, 12e et 16e régiments
d'infanterie sont arrivés à Badonviller le 12 août
1914, à cinq heures et demie du matin. Leur premier
acte a été d'assassiner M. Marchal, propriétaire,
âgé de soixante-dix-huit ans, qui était
tranquillement sur le seuil de sa porte. J'ai
entendu le coup, de feu qui lui a donné la mort.
Bientôt un combat, qui s'était engagé dans la
campagne, s'est poursuivi dans l'intérieur de la
ville entre les Allemands et des chasseurs à pied
français du 20e bataillon; mais ceux- ci ont dû
battre en retraité vers neuf heures. A ce moment,
sont entrées des colonnes ennemies, composées
d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, sur les
arrières desquelles nos chasseurs ont tiré. Furieux
de cette fusillade, les Allemands en ont rendu
responsable la population civile, et l'ordre est
arrivé de mettre tout à feu et à sang. Il a été
d'abord enjoint aux habitants d'ouvrir portes et
fenêtres, et à tous les hommes de se réunir à
l'hôtel, de ville. Mme Benoît, femme du maire, qui
se trouvait chez son père, s'est alors rendue a son
domicile, et comme elle ouvrait sa fenêtre, elle a
été tuée par des coups de feu. Son mari était a ce
moment auprès du général ennemi, auquel il affirmait
qu'aucun civil n'avait commis le moindre acte
d'agression et promettait qu'il ne s'en produirait
aucun. Quand il revint, accompagné de M. Lejeal,
percepteur, actuellement à Lunéville, un officier
allemand lui dit, en lui montrant son habitation : «
De cette maison, on vient de tirer sur nos troupes.
» Le maire protesta énergiquement, déclarant que
l'immeuble était à lui, qu'il était entièrement
vide, et s'offrant à le faire visiter. En ouvrant la
porte, il se trouva devant le cadavre de Mme Benoit.
Affolé par la douleur, il se jeta sur le corps de sa
femme; mais il en fut brutalement arraché, et la
perquisition se poursuivit, ne produisant
naturellement aucun résultat. Enfin, quand M. Benoit
eut été reconduit à la mairie, les Allemands mirent
le feu à la maison pour faire disparaître les traces
de leur crime. Le corps de la malheureuse femme fut
carbonisé.
Dans le même quartier, les ennemis incendièrent
également une cité ouvrière et un certain nombre
d'autres bâtiments. A ce moment-là, le jeune Odinot,
âgé de seize ans, tué dans la cuisine de ses
parents, a été traîné dehors par des soldats et jeté
dans un hangar en flammes.
Pendant ce temps, d'autres crimes étaient commis à
l'extrémité opposée de la ville, où le feu était
également allumé. M. et Mme. Georges, leur fille,
leur gendre (M. Gruber, facteur), et deux jeunes
enfants de ces derniers, surpris par les flammes
dans leur cave où ils s'étaient réfugiés, ayant,
essayé de se sauver, ont été poursuivis à coups de
fusil. M. et Mme Georges ont été a battus devant
leur maison. M. Gruber, mortellement atteint, avec
un de ses enfants entre les bras, s'est traîné
jusque dans un pré voisin où il a succombé cinq
heures après, sans qu'il fût permis à sa femme, qui,
d'une maison située en face, assistait à l'agonie de
ce malheureux, d'aller lui porter secours.
Un certain nombre de personnes, découvertes dans les
maisons, en ont été brutalement expulsées, puis
réunies dans la grande rue, où elles ont été
soumises aux pires traitements. Parmi elles se
trouvait un vieillard d'environ soixante-quinze ans,
M. Batoz, qui, malade et impotent, a été tiré hors
de son lit et traîné nu sur la route. Il est mort
une quinzaine de jours plus tard à l'hospice. Tous
ces prisonniers ont été cruellement frappés. A un
certain moment, on a obligé une dizaine de jeunes
gens a s'étendre sur le sol, les bras, en croix, et
les Bavarois, en passant auprès d'eux, leur
marchaient sur les mains ou leur portaient des coups
de crosse et des coups de pied. C'est dans ces
circonstances que le fils Massel, âgé de dix-huit
ans, blessé par une balle, est tombé dans un
ruisseau qui coulait derrière lui et s'est noyé,
sans qu'on autorisât sa mère et ses soeurs, témoins
de la scène, à s'approcher.
Non loin de là, M. Boulay, âgé de cinquante-cinq
ans, et son fils, âgé de quinze ans, ont été tués à
leur domicile. Mme Boulay et sa fille, qui habitent
maintenant à Nancy, ont assisté au meurtre, sur
lequel je manque personnellement de précisions.
Enfin, M. Spatz, âgé de quatre-vingt-un ans, a été
trouvé mort chez lui : il avait été atteint d'une
balle.
Tandis que tous ces meurtres étaient commis, une
partie de la ville flambait et l'ennemi se livrait à
un pillage général. Quatre-vingt-cinq maisons ont
été incendiées à la main. L'église a été canonnée, à
deux heures de l'après-midi, par une batterie
d'artillerie placée sur une crête dominant
Badonviller. Ce bombardement a eu lieu en présence
des otages de Fenneviller, qu'on avait amenés auprès
des pièces et qu'on obligeait à crier : hourra! avec
les soldats, à chaque coup de canon.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 155, 156, 157.
DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à
BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la
Commission d'enquête.
BAUQUEL (Paul), 53 ans, docteur en médecine, à
Badonviller :
Je jure de dire la vérité. Le 12 août, j'étais en
train de soigner des blessés allemands et français,
quand j'ai vu passer lés pièces d'artillerie
allemande qui, je l'ai su ensuite, se rendaient à la
crête des Trois-Sauveux pour canonner notre église.
Les otages de Fenneviller, notamment le maire, m'ont
raconté, qu'on les avait conduits auprès des
batteries et qu'ils avaient assisté à la destruction
du monument. A chaque coup de canon, m'ont-ils dit,
les Allemands les obligeaient à se découvrir et à
crier a hourra ! avec eux.
Après lecture, lé témoin a signé, avec nous.
Ferry (Louis), 51. ans, conseiller municipal à
Badonviller
Je jure de dire là vérité.
Le 12 août, les Allemands, prétendant que des civils
avaient tiré sur eux et qu'il y avait des
francs-tireurs dans le clocher de l'église,
menaçaient de massacrer la population et de brûler
Badonviller. Pour leur démontrer qu'il n'y avait ici
aucun franc-tireur, j'ai conduit moi-même un certain
nombre d'Allemands à l'hôtel de ville, qui est situé
en face de l'église et qui domine une partie de la
ville. De là, ils ont tiré plusieurs coups de fusil
par les fenêtres. Un peu plus tard, ayant dû encore
escorter des soldats à travers les rues, je les ai
vus tirer sur les maisons avec des cartouches qui,
en fusant, mettaient le feu partout.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
THOMAS (Émile), 55 ans, chef comptable à l'usine
Fenal, à Badonviller :
Je jure de dire la vérité.
Le 12 août, j'ai vu les Allemands tirer des coups de
fusil dans les vitres des maisons de Badonviller,
et, en ma présence, ils ont mis le feu, avec de la
paille enflammée, à la maison de Mme veuve Roland.
Après lecture le témoin a signé avec nous.
Nos 158, 159, 160, 161.
DÉPOSITIONS reçues, le 20 octobre 1914, à DIGOIN
(Saône-et-Loire), par M. GACON, juge de paix.
JACQUEL (Juliette), veuve Joseph DÉPOUTOT, 60 ans,
ménagère, domiciliée à Badonviller, réfugiée à
Digoin depuis le 30 août 1914 :
Serment prêté.
Dès le matin du 12 août dernier, Badonviller fut
occupé par les troupes allemandes; sans aucune
provocation de la part des habitants, et quoi qu'il
n'y eût aucun soldat français dans la ville, les
Allemands se mirent à tirer des coups de fusil sur
les maisons, par les fenêtres, les portes et les
soupiraux. J'ai vu tuer de la sorte M. Gruber,
facteur des postes, M. et Mme Georges, manoeuvres à
la faïencerie, mes voisins. Je me réfugiai, avec ma
fille Alice et ma petite-fille, chez mon frère,
Jean-Baptiste Jacquel, qui demeure dans un autre
quartier; mais il était déjà arrêté. Vers une heure
de l'après-midi, les Allemands vinrent donner
l'ordre d'ouvrir les portes et les fenêtres ; puis,
remarquant sur la maison de mon frère des pigeons
domestiques, ils feignirent de les prendre pour des
pigeons voyageurs, malgré nos dénégations, et les
officiers donnèrent l'ordre de mettre le feu à la
maison, ce qui fut fait immédiatement au moyen de
bombes. Je parvins à m'échapper; mais ma fille Alice
et ma petite-fille durent rester dans la maison en
flammes, sous la menace des fusils; pendant ce
temps-la, la fusillade crépitait dans les rues de la
ville. Cependant ma fille et ma petite-fille purent
s'échapper par une porte de derrière; elles
gagnèrent la campagne, au milieu de la fusillade, et
se réfugièrent dans un bois. Quant à moi, je fus
arrêtée avec d'autres femmes et des enfants, et nous
fûmes conduits en dehors de la ville, où nous
restâmes jusqu'à dix heures du soir; puis, l'on nous
fit rentrer en ville et l'on nous garda jusqu'à cinq
heures du matin, toujours sous menace de mort au
moindre geste ou au moindre regard hostile.
J'ai vu les soldats allemands piller les magasins et
les maisons, s'emparer des meubles et de la literie,
qu'ils chargeaient sur des voitures, prendre tous
les animaux de basse-cour et mettre le feu aux
maisons. J'ai retrouvé ma maison pillée et les
meubles brisés ; quant à la maison de mon frère,
située rue du Faubourg-d'Alsace, il n'en reste plus
rien.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
DÉPOUTOT (Alice), 19 ans, velouteuse, domiciliée à
Badonviller, réfugiée à Digoin, fille du précédent
témoin :
Serment prêté. Lorsque les Allemands arrivèrent à
Badonviller, je me réfugiai, avec ma mère. et ma
fille âgée de dix mois, chez mon oncle,
Jean-Baptiste Jacquel, rue du Faubourg d'Alsace.
Vers une heure de l'après-midi, les Allemands,
apercevant des pigeons domestiques sur la maison de
mon oncle, feignirent de croire, malgré nos
affirmations contraires, que c'étaient des pigeons
voyageurs; ils incendièrent la maison au moyen de
bombes. Ma tante, ma fille et moi fûmes obligées de
rester dans la maison, sous peine d'être fusillées,
et nous aurions été certainement brûlées vives, si
nous n'avions pu nous échapper par une porte de
derrière et gagner la campagne, puis un bois. A
l'entrée du bois, nous fûmes arrêtées et fouillées
par des soldats ; l'on me vola ma montre en argent,
ainsi que quelques provisions que j'avais réussi à
emporter (sucre, chocolat et pain). Nous restâmes
environ quatre heures dans ce bois et nous réussîmes
à nous sauver ; mais nous fûmes reprises plus tard
et enfermées au château des Merises, appartenant à
M. Trudelle, où nous restâmes, sans manger, jusqu'au
lendemain sept heures. Enfin, nous fûmes relâchées,
et les Allemands évacuèrent Badonviller peu après;
mais ils revinrent huit jours plus tard, et à ce
moment-la, tout le monde s'enfuit, car on craignait
de nouvelles atrocités.
Pendant leur première occupation, les Allemands
brûlèrent quatre-vingt-sept maisons ; j'en ai vu
brûler huit pour ma part, et toutes furent
incendiées au moyen de bombes. Tous ces incendies
eurent lieu sans nécessité, puisqu'il n'y avait pas
de soldats français à Badonviller et qu'il n' y eut
aucune provocation de la part des habitants.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
FRISON (Charles), 46 ans, faïencier, domicilié à
Badonviller, réfugié à Digoin :
Serment prêté.
Le 12 août dernier, lorsque les Allemands vinrent
dans mon quartier, ils firent sortir tout le monde
des maisons, et ils tiraient sur ceux qui ne
sortaient pas assez vite : c'est ainsi qu'ils ont
tué un de mes voisins, Georges Odinot, âgé de seize
ans, et qu'ils ont brûlé son cadavre en le jetant
dans une maison qu'ils incendièrent. Dans mon
quartier, ils ont brûlé une dizaine de maisons, et
les incendies étaient allumés à l'aide de
projectiles de la forme d'un oeuf, lancés par un
canon.
J'ai été arrêté avec presque tous les habitants de
mon quartier et conduit, baïonnette au canon, dans
la cour du château de la Faïencerie, où nous fûmes
parqués dans un coin. Un officier nous dit : «
Puisque votre Gouvernement vous donne des armes pour
tuer nos braves soldats, nous vous tuerons jusqu'au
dernier si nous sommes obligés de reculer. » Cette
assertion de l'officier allemand était mensongère;
car le Gouvernement ne nous avait point donné
d'armes. Comme je comprends l'allemand, j'ai
entendu, pendant la nuit, un gradé (sergent, je
crois,), dire à un autre gradé : « Nous avons fait
main basse sur trente mille francs. » J'ai été gardé
à cet endroit pendant vingt-quatre heures; ma femme
a été relâchée à dix heures du soir, quant à mon
fils Adolphe, il a été emmené avec d'autres jeunes
gens, très loin, où ils durent creuser des
tranchées. Il est resté pendant deux jours sans
manger.
Lorsque je suis revenu dans ma maison, je n'ai
trouvé que des ruines : elle était brûlée avec tout
mon mobilier.
Après le départ des Allemands, j'errai par la ville.
Je vis quatre-vingt-sept maisons, y compris
l'église, détruites par l'incendie; toutes les
maisons non brûlées étaient pillées de fond en
comble. Lecture faite, persiste et signe avec nous.
FRISON (Adolphe), 19 ans, domicilié à Badonviller,
fils du précédent témoin :
Serment prêté.
Le jour où les Allemands entraient à Badonviller,
j'étais, vers les neuf heures du matin, dans un café
avec trois camarades. Soudain, un officier et des
soldats donnèrent de grands coups de pied dans la
porte, entrèrent et nous intimèrent l'ordre de
sortir. Trouvant sans doute que je n'obéissais pas
assez vite, l'officier me prit par le bras, me
bouscula vivement et me donna un coup de pied dans
le derrière ; puis, l'on nous mena sous les halles
de la ville, où l'on nous garda jusqu'au lendemain
matin sans nous donner à manger. Nous fûmes alors
remis en liberté, mes camarades et moi, et nous
voulûmes rentrer dans notre quartier pour tâcher de
nous restaurer. Tout étant brûlé, nous nous
acheminions vers la faïencerie, lorsque nous fûmes
arrêtés par quatre uhlans qui nous forcèrent à
monter dans une voiture et nous emmenèrent assez
loin, pour ramasser des blessés allemands que nous
transportâmes dans une ambulance. Nous nous croyions
au bout de nos peines; mais les uhlans nous firent
remonter en voiture et nous conduisirent beaucoup
plus loin, jusqu'aux lignes de combat, où l'on nous
fit travailler aux tranchées pendant toute la
journée, sans boire ni manger. Enfin, nous fûmes
relâchés vers six heures du soir. Pendant notre
détention dans les tranchées, nous avons été très
malmenés par les sous-officiers et les soldats; nous
avons été alignés et mis en joue comme pour être
fusillés, et ce à plusieurs reprises: sans
l'intervention d'un officier qui s'est montré un peu
plus humain, nous aurions été certainement tués.
J'ai constaté que les officiers étaient moins
féroces que leurs soldats.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
Nos 162, 163, 164.
DÉPOSITIONS faites, le 27 octobre 1914, à CRÉVIC
(Meurthe-et-Moselle), devant la Commission
d'enquête.
GOBERT (Victorine), veuve HAGNEL, 69 ans, sans
profession, à Crévic :
Je jure de dire la vérité.
Le 22 août, une troupe d'Allemands s'est présentée
chez nous. Mon mari leur a fait bon accueil. J'ai
néanmoins remarqué qu'ils avaient l'air féroce :
aussi me suis-je rendue chez un voisin pour le
prévenir. Ces gens-là, en effet, poussaient des cris
de menace. En sortant de la maison de cet homme,
j'ai vu que notre habitation brûlait, et j'ai eu de
suite le pressentiment que mon pauvre mari avait été
jeté dans les flammes. Ce n'était malheureusement
que trop vrai. Hagnel a été retrouvé mort dans les
décombres. Je n'ai pas voulu voir son cadavre,
c'était trop pénible; mais M. Roger, adjoint au
maire a fait des constatations dont il vous rendra
compte.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Roger (Charles), 49 ans, adjoint au maire de Crévic
:
Je jure de dire la vérité.
J'ai vu le cadavre de M. Hagnel presque carbonisé.
Il portait à la gorge une blessure profonde et
large, qui avait dû être faite avec une baïonnette.
Quant aux incendies, j'affirme que les Allemands les
ont allumés volontairement.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Michel (Louis), 50 ans, scieur de long à Crévic :
Je jure de dire la vérité.
Le jour où le feu a été mis à notre village,
c'est-à-dire le 22 août, un soldat allemand avait
déposé un plan sur mon établi. Il m'a saisi par le
bras, et m'a fait constater que ce plan était celui
de la commune. Les maisons qui devaient être brûlées
y étaient indiquées au crayon bleu. Il m'a notamment
fait remarquer l'emplacement du château du général
Lyautey, en disant : « Général, général, brûlé ! »
(1)
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 165.
DEPOSITION faite, le 30 juin 1915, à PARIS, devant
la Commission d'enquête.
LECOMTE (Odile), femme LEONARD, 51 ans, commerçante
à Audun-le-Roman (Meurthe- et-Moselle),
actuellement à Levallois-Perret
Je jure de dire la vérité.
Du 4 août, date de leur arrivée à Audun-le- Roman,
jusqu'au 21 du même mois, les Allemands n'ont fait
de mal à personne et se sont contentés de proférer
fréquemment des menaces. Le 21, ils ont simulé une
attaque, vers cinq heures du soir, et ont commencé à
incendier la commune. L'incendie devait durer quatre
jours. Le 21 également, plusieurs assassinats ont
été commis. Mlle Roux a été grièvement blessée au
bras, d'un coup de feu, pendant qu'elle donnait à
boire à un soldat allemand; Mme Giglio, Mlle Trelfel,
Mme Zappoli et la domestique de M. Scaglia,
prénommée Rosalie, ont été blessées aussi. M. Marin
(Théophile), cultivateur, a été saisi chez lui,
poussé dehors et fusillé sur son fumier, en présence
de sa femme et de sa fille. Celle-ci a eu son
tablier couvert du sang de ce malheureux. M. Chary,
chef cantonnier, qui sortait de chez lui pour se
sauver, a été tué à coups de fusil dans la rue. M.
Somen, rentier, a été massacré au moment où, venant
de reconduire un officier supérieur allemand qui
l'avait remercié de son hospitalité, il fermait la
porte de sa maison. Comme il appelait au secours,
deux voisins, Édouard Bernard et Émile Michel, sont
accourus. Ils ont été empoignés, dévalisés et
maltraités, puis traînés à Ludelange (Lorraine
annexée), ou ils ont été fusillés
Je suis partie le 22 et Rentrée à Audun le 23. Une
grande partie du bourg était brûlée. Ce jour-là, un
douanier ennemi a tué M. Émile Collignon. J'ai vu,
ainsi que ma nièce ici présente, le cadavre de ce
dernier sur un fumier, entre un veau et un porc en
partie grillés. Un soldat allemand, originaire
d'Hayange (Lorraine), m'a déclaré que les troupes
avaient reçu licence de tout faire et de fusiller
les hommes. Nous avons quitté définitivement Audun
le 24 août. Notre maison n'était pas encore brûlée.
Elle l'a été depuis. Aujourd'hui tout est incendié,
sauf une dizaine d'immeubles. Le pillage a été
complet. Après lecture, le témoin a signé avec nous
et avec sa nièce : DECOUVELAIR (Mathilde), femme
BERNARD, 36 ans, négociante à Audun-le-Roman,
actuellement à Levallois-Perret, laquelle a déclaré
confirmer de tout point la déposition ci-dessus,
serment préalablement prêté.
N° 166.
DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à LUNÉVILLE,
devant la Commission d'enquête.
HERRGOTT (Camille), 50 ans, percepteur des
contributions directes à Audun-le-Roman
(Meurthe-et-Moselle), actuellement en résidence à
Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Audun-le-Roman pendant l'occupation
allemande, du 4 août 1914, jour de l'arrivée de
l'ennemi, jusqu'au 22 du même mois. Le 21 au soir,
j'ai vu brûler une soixantaine de maisons. Elles
avaient été incendiées par les Allemands, qui,
cependant, ne formulaient contre la population aucun
grief et n'avaient à se plaindre de personne. Un de
leurs généraux, logé chez moi, m'avait d'ailleurs
dit quelques jours avant, que le maire s'était fort
correctement conduit et qu'on avait fait tout ce qui
était possible pour les réquisitions. Le lendemain
matin, j'ai vu les cadavres de M. Martin
(Théophile), âgé d'environ soixante-dix ans, et de
M. Chary (Auguste), âgé de cinquante-cinq ans, chef
cantonnier. J'ai su que M. Martin avait été
lâchement assassiné devant sa maison, en présence de
ses filles et malgré leurs supplications. Enfin,
j'ai constaté la blessure qu'avait au bras Mlle
Roux. Celle-ci m'a raconté qu'elle avait reçu une
balle d'un soldat allemand pendant qu'elle donnait à
boire à un autre.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 167, 168, 169.
DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY,
devant la Commission d'enquête.
AUBRION (Marie-Marguerite), femme WILLEMIN, 55 ans,
domiciliée à Audun-le-Roman, actuellement réfugiée à
Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Depuis le 4 août 1914, date de l'arrivée des
Allemands, je suis restée à Audun-le-Roman jusqu'au
22 du même mois. J'ai vu les soldats ennemis mettre
le feu à de nombreuses maisons. Ils s'approchaient
des murs, et la flamme jaillissait aussitôt. Ces
faits se sont passés le 21 et le 22. Étant revenue
le 23, pour un jour, j'ai été témoin d'autres
incendies. J'ajoute qu'à Malavillers, où j'ai
séjourné pendant un jour et une nuit, le samedi 22,
beaucoup d'habitations ont été également brûlées.
Mme Gentil, habitante de cette commune, ma dit que
les Allemands venaient d'assassiner son mari et de
voler l'argent de ce malheureux. J'ai vu, à Audun,
le cadavre de M. Chary sur la route, et celui de M.
Collignon sur un tas de fumier. Le soldat qui a tué
Collignon a dit en français, en ma présence : « Je
viens encore d'en descendre un. » Enfin, Mlle Roux
m'a montré la blessure qui lui avait été faite au
bras par un coup de feu, au moment où elle était à
sa fenêtre (1).
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
(1) Mme Roux était à sa fenêtre, au rez-de-chaussée,
et refermait ses volets après avoir donné à boire à
un soldat allemand qui se trouvait dans la rue,
lorsqu'un autre soldat tira sur elle et la blessa au
bras. (Note de la Commission.)
GUITTIN (Mélanie), veuve MICHEL, 47 ans, domiciliée
à Audun-le-Roman, de passage à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 4 août 1914 les Allemands ont envahi ma maison où
s'est logé, notamment, un général avec son
état-major. Ce général a reconnu que ni lui ni ses
hommes n'avaient à se plaindre de nous, car, le 6,
il m'a dit : « Madame, je vous remercie. Nous avons
été très bien chez vous. Nous ne serons pas souvent
si bien pendant la guerre. » Le même jour, un
officier m'a conseillé de ne pas rester à la
frontière et m'a remis, sans doute pour me faciliter
mon départ, une lettre rédigée en allemand. Cette
lettre, dont je n'ai pas compris le texte, était
signée : « Lieutenant von Bitter, du 7e dragons de
Sarrelouis ».
Le 7, les troupes allemandes qui occupaient Audun
ont quitté la ville et ont été remplacées par
d'autres; mais elles sont revenues le 21, remontant
vers la frontière, et mon mari a reconnu les
officiers qui avaient mangé chez nous. Ce jour-là,
vers six heures et demie du soir, comme on craignait
un bombardement, Mme Somen est venue nous trouver,
dans le but de se réfugier avec nous dans notre
cave, qui est voûtée. Quelques instants après, une
personne l'ayant prévenue que son mari venait d'être
blessé et la réclamait, elle s'est rendue en toute
hâte dans sa maison, où nous l'avons suivie. M.
Somen gisait dans la cour. Nous l'avons transporté
de suite dans son salon et nous lui avons prodigué
des soins. Il nous a déclaré alors qu'il avait reçu
des balles dans le corps, et que c'était un jeune
officier qui avait tiré sur lui avec un browning.
Nous étions occupés à le soigner, et il venait de
confier à Michel une somme de deux mille francs,
quand des Allemands, faisant irruption dans la
maison, se sont jetés sur nous et nous ont poussés
dehors. J'ai pris mon mari par le bras et nous avons
été emmenés sur la route de Beuvillers, par des
soldats qui nous frappaient brutalement. Ceux qui
étaient à cheval nous portaient à chaque instant des
coups de pied, en vociférant. A un certain moment,
je me suis trouvée séparée de mon mari, qui a été
conduit, avec M. Bernard, dans la direction de
Boulange. Je sais qu'il a été fusillé à Ludelange.
J'ajoute que, le 22 août, dans l'après-midi, j'ai vu
les corps des jeunes Thiéry (Georges) et Rodicq
(Marcel), âgés tous deux de dix-huit. ans. Ces deux
jeunes gens avaient été fusillés en présence de Mme
Thiéry, qui s'était mise à genoux devant les
Allemands pour les supplier d'épargner son fils et
l'ami de celui-ci. Je tiens ces détails de Mme
Thiéry elle-même.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
BOUR (Marie), 21 ans, femme LAGNEAU, demeurant à
Audun-le-Roman, réfugiée à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 22 août 1914, dans la matinée, j'ai vu les
cadavres de MM. Chary (Auguste), Thiéry (Georges) et
Rodicq (Marcel). Celui de Chary était étendu sur la
place d'Audun; ceux de Thiéry et de Rodicq se
trouvaient en haut du village.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 170.
DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS,
devant la Commission d'enquête. LECOMTE (Marie), 43
ans, demeurant à Audun-le-Roman
(Meurthe-et-Moselle), réfugiée à Levallois-Perret :
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais à Audun-le-Roman au début de
l'occupation allemande. Du 4 août 1914 au 21 du même
mois, nous n'avons pas eu trop à nous plaindre de
l'ennemi, bien qu'il fût exigeant et parfois
menaçant; mais à partir du 21, la situation
s'aggrava d'une façon terrible. Je n'ai pas assisté
personnellement à tous les crimes qui ont été
commis. Voici ce que j'ai vu:
Le 21 août, à la tombée de la nuit, des femmes
d'employés de chemin de fer, qui habitaient la cité
située à l'extrémité du bourg, sont passées devant
chez moi en courant et en poussant des clameurs
désespérées, tandis que les Allemands hurlaient et
sonnaient du clairon. Je me suis alors aperçue que
la cité était en feu. Le lendemain matin, ayant
appris qu'Audun allait être bombardé, je me suis
rendue à Malavillers avec beaucoup d'autres
habitants. Ce jour-là, une bataille s'est engagée, à
la suite de laquelle l'ennemi est entré dans ce
village, qu'il a presque entièrement incendié. Le
23, je suis rentrée chez moi et j'ai trouvé ma
maison occupée par des soldats qui étaient en train
de la piller. De nombreuses habitations avaient été
déjà brûlées et l'incendie continuait. Dans la
matinée, des Allemands, après avoir tiré sur l'un
des côtés de la maison Laguë, se sont précipités
dans cet immeuble e
t en ont fait sortir deux hommes, MM. Rémer et
Rodicq, dont j'ai entendu les cris perçants. Ces
deux hommes ont été dépouillés de leurs vêtements et
mis nus jusqu'à la ceinture. Voyant qu'on se
préparait à les fusiller, je me suis retirée, toute
bouleversée, de ma fenêtre.
Vers quatre heures de l'après-midi, je suis passée
auprès des cadavres, qui avaient été laissés à
l'endroit où ils étaient tombés. Pendant que j'étais
à Malavillers, dans la nuit du 22 au 23 août, un
soldat qui était venu réquisitionner une voiture
pour transporter des blessés, nous a dit qu'il
appartenait à l'armée du Kronprinz, et qu'un ordre
venu de haut prescrivait de brûler tous les villages
dans lesquels on rencontrerait des soldats français.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 171.
DÉPOSITION reçue, le 28 août 1914, à PARIS, par M.
GITZNER, inspecteur du commissariat de police du
quartier Saint-Gervais.
MINELLI (Emilia), 44 ans, née à Bergalto (Italie),
mariée, huit enfants, momentanément hospitalisée au
lycée Charlemagne, puis à l'Hôtel-Dieu :
Je résidais, avec mon mari et mes enfants, à
Audun-le-Roman depuis dix ans et nous occupions une
maison située sur la route de Malavillers, à deux
cents mètres environ du pays.
A partir du 4 août, les Allemands ont commencé à
envahir la région. Il n'y avait que des cavaliers.
Ils ont commencé par réquisitionner, et cela sous la
menace du fusil ou du revolver. Puis ils exigèrent
qu'on leur servît à boire; personnellement, j'ai dû
donner toutes mes provisions et verser de la bière à
tous ces gens. Les hommes de troupe, pour la
plupart, ne payaient pas; seuls les officiers
réglaient leurs dépenses sans élever d'objections.
J'avais la certitude que si j'avais refusé de
satisfaire à leurs demandes, ils m'auraient passée
par les armes.
Cette situation a duré du 4 au 21 août. Pendant
cette période critique, sachant que les Allemands
avaient fusillé plusieurs hommes du village, j'ai
supplié mon mari de se cacher. Il s'est donc tenu
dans le grenier de notre maison, et c'est là que je
lui servais ses repas. Après avoir épuisé le pays,
les troupes allemandes qui y étaient cantonnées se
sont retirées; mais j'ignore quelle direction elles
ont prise. Ce départ a eu lieu dans la nuit du 20 au
21 août.
Le 21 août, vers six heures et demie du soir, une
autre troupe de cavaliers allemands a approché d'Audun-le
Roman. Chez moi, j'avais fermé toutes les issues et
je me tenais, avec mes enfants et une dame Giglio,
dans ma cour. Tout à coup, les vitres de la porte
d'entrée volèrent en éclats : un coup de feu venait
d'être tiré. Au même instant, deux uhlans ont ouvert
la porte, sont entrés dans la cour, et, sans
prononcer une parole, nous ont mis en joue et ont
fait feu aussitôt. Mme Giglio a été très grièvement
blessée au ventre (je crois qu'elle est morte
maintenant), et moi-même j'ai été blessée au bras
droit. Ces deux hommes se sont ensuite retirés.
Après leur départ, mon mari est venu à notre secours
et nous a prodigué les premiers soins.
Le gros de la troupe ne trouvant plus sa subsistance
dans Audun-le-Roman, mit en batterie quatre canons
et commença à incendier le village, sans aucun
motif, puisqu'aucun soldat français ne s'y trouvait
ni n'y était venu. Ma maison n'a pas été épargnée.
Dans la nuit, nous avons pris la décision de quitter
Audun-le-Roman, et, d'une seule traite, nous avons
gagné Étain avec tous les habitants, deux cents
environ (je crois que Mme Giglio a été conduite à
l'hôpital de Verdun et que c'est là qu'elle a
succombé). Nous sommes arrivés à Étain samedi, dans
la journée.
En cours de route, les habitants d'Audun-le-Roman,
desquels nous étions restés isolés jusque-là, nous
ont appris que huit femmes, dont trois que je
connaissais seulement de vue, avaient été blessées
dans les mêmes conditions que Mme Giglio et moi.
Comme mon état ne me permettait pas de rester à
Etain, j'ai pris, avec mon mari et mes enfants, un
train à destination de Châlons-sur-Marne. Là, j'ai
été conduite et admise à l'hôpital; mais on a dû me
séparer des miens, et j'ignore où ils se trouvent
actuellement. Je suis restée en traitement pendant
deux jours à l'hôpital de Châlons et j'ai été
dirigée ensuite sur Paris, où je suis arrivée hier,
27 août.
De la gare de l'Est, on m'a conduite au lycée
Charlemagne; mais, comme j'avais besoin de nouveaux
soins, j'ai été transportée ici. Je souffre beaucoup
de ma blessure; cependant je suis en état de
voyager, et je viens d'apprendre que j'allais être
rapatriée dans mon pays d'origine par les soins de
l'ambassade d'Italie.
(Suit la signature de l'inspecteur, le témoin ne
pouvant signer à cause de sa blessure.)
Nos 172, 173.
DÉPOSITIONS reçues, le 19 octobre 1914, à BLOIS, par
M. COSSON, procureur de la République.
MARTOUZET (Adèle), veuve MARTIN, 59 ans,
cultivatrice à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle),
actuellement réfugiée à Blois (Grand Séminaire) :
Serment prêté.
J'habitais avec mon mari, Martin (Théophile), âgé
de soixante-six ans, Audun-le-Roman, où nous étions
cultivateurs.
Le 4 août, les Allemands ont pénétré pour la
première fois à Audun-le-Roman; le 5, ils y sont
revenus et s'y sont installés chez l'habitant. Nous
avions chez nous un capitaine et une quarantaine de
uhlans avec leurs chevaux. Ils se conduisaient très
brutalement, nous menaçant fréquemment de leur
revolver. Ils sont restés ainsi jusqu'au 21. Ce
jour-là, vers trois heures du soir, tous sont
partis, après avoir démoli leurs installations,
comme s'il s'agissait d'un départ définitif. Vers
cinq heures, nous les avons vus repasser
précipitamment et en désordre; ils donnaient des
signes d'émotion, et des habitants les ont même vus
se tirer les uns sur les autres ; ils tirèrent aussi
de nombreux coups de fusil dans les portes et les
fenêtres.
Vers sept heures du soir, nous vîmes pénétrer chez
nous une trentaine de soldats d'infanterie, sous la
conduite d'un lieutenant; ils entrèrent par le
jardin, après avoir enfoncé la porte de la cuisine
et la fenêtre de la chambre à coucher, brisèrent les
chaises, puis prirent une lampe pour monter au
premier étage, où nous nous trouvions avec mon mari,
mes deux filles, ma soeur et mon petit commis, ainsi
que l'enfant de ma fille, âgé de huit mois. Les
Allemands nous saisirent tous, nous jetèrent dans
l'escalier, en nous poussant à coups de crosse de
fusil et nous disant « qu'il y avait des soldats
français cachés chez nous, d'où on avait tiré sur
eux ». Nous leur offrîmes vainement de leur montrer
toute la maison pour leur prouver qu'il n'y avait
personne : ils ne voulurent rien entendre, et à ce
moment, sans avoir fait aucun préparatif pouvant
annoncer une exécution, ils tirèrent à bout portant
trois coups de fusil sur mon mari, qui tomba
aussitôt. Bien qu'il fût déjà mort, l'un d'eux lui
fendit la tête d'un coup de sabre, lui mettant la
cervelle à nu; des uhlans qui étaient survenus le
piquèrent de leur lance. J'oubliais de vous dire
qu'ils avaient déjà mis le feu à notre maison, qui
brûlait tandis qu'ils tuaient mon mari.
Ils brûlèrent au même moment un certain nombre
d'autres maisons du village, et continuèrent
d'ailleurs les jours suivants ; je vous signale
qu'avant d'y mettre le feu, ils jetaient le linge
par les fenêtres et le chargeaient sur des
automobiles qui attendaient dans la rue; j'affirme
que plusieurs officiers présidaient à cet enlèvement
du linge.
Après avoir tué mon mari, ils nous abandonnèrent
devant notre porte, mais nous informèrent qu'ils
nous interdisaient de quitter le village. Nous nous
rendîmes alors au couvent des soeurs de la Doctrine
Chrétienne, où bon nombre de femmes étaient déjà
réunies et où, depuis le début de l'occupation, une
ambulance avait été installée. Nous y passâmes la
nuit, à l'exception de ma fille, Mme Liesenfelt, qui
n'avait pu nous suivre. Le même soir, le chef
cantonnier, M. Chary, qui avait mis sur ses
vêtements une robe de femme pour essayer de se
sauver, fut également tué à coups de fusil dans la
rue; une demoiselle Marie Roux, âgée de trente-deux
ou trente-trois ans, étant à sa fenêtre pour fermer
ses volets, reçut une balle qui lui cassa le bras.
Pour tâcher d'adoucir les ennemis, nous restâmes,
pendant deux jours, à soigner leurs blessés.
Le premier soir, ils nous avaient défendu de toucher
au cadavre de mon mari, voulant qu'il restât devant
notre porte; le lendemain, ils nous permirent de le
conduire au cimetière, roulé dans une couverture,
mais nous défendirent de lui faire creuser une fosse
et de l'inhumer, disant que les autres troupes qui
passeraient par la suite enterreraient les morts.
Le 23, nous fûmes autorisées à quitter Audun.
Ma fille, qui m'accompagne, pourra vous donner sur
ces événements quelques détails complémentaires.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
MARTIN, (Amélie), épouse LIESENFELT, 28 ans, sans
profession, demeurant à Audun-le Roman et
actuellement réfugiée à Blois :
Serment prêté.
Je vous confirme de tout point le récit qui vient de
vous être fait par ma mère. J'ajoute qu'après la
mort de mon père, comme notre maison brûlait, je
suis restée pour faire sortir le bétail. Ne sachant
ce qu'était devenu le reste de ma famille, j'ai
passé une partie de la nuit dans les rues.
Rencontrée par des uhlans, ils me demandèrent où
étaient les hommes de chez moi : je leur répondis
qu'il n'y en avait qu'un, mon père, et qu'on l'avait
fusillé. Ils me dirent alors que j'étais sa complice
et que j'allais subir le même sort, et me mirent la
pointe de leurs lances sur la poitrine ; c'est alors
que certains d'entre eux, qui étaient lorrains,
prirent ma défense, et obtinrent qu'on me laissât
tranquille. Au cours de la nuit, j'arrivai à mon
tour chez les soeurs et j'y retrouvai ma famille.
Comme ma mère vous l'a dit, nous soignâmes là les
blessés; le dimanche, un lieutenant blessé dit à ma
tante, Mlle Treffel, qui le soignait: « Vous avez
été bonne pour moi, je vais vous dire quelque chose:
ne quittez pas vos croix rouges et fuyez au plus
vite, car, lorsqu'on emmènera nos blessés, on vous
fusillera-tous. J'ai intercédé pour vous, mais je
n'ai rien gagné. » C'est à la suite de cet
avertissement que nous partîmes toutes
précipitamment. Au cours de notre route, nous
arrivâmes à Rouvres, à cinq kilomètres environ
d'Étain, où les Allemands nous défendirent de
passer; un Messin, qui était là pour aider au
transport des blessés, nous dit qu'on ne voulait pas
nous laisser voir qu'on venait de fusiller le reste
de la population de Rouvres, une quarantaine de
personnes.
Nous tombâmes ensuite parmi des Saxons, qui se
montrèrent très bons pour nous et nous firent
conduire en voiture à Verdun.
Nous avons appris, en passant à Trieux, qu'après
notre départ, un M. Jolas, dit Collignon (Emile),
soixante-cinq ans environ, avait été tué par les
Allemands et enterré dans son fumier. On nous a
assuré que, finalement, treize personnes auraient
été tuées a Audun-le-Roman; mais nous ne l'avons pas
vu personnellement. Ce que nous savons, par
l'intéressée elle-même, c'est qu'une dame Matte,
débitante, notre voisine, qui partait avec 2.100 fr.,
s'est vu prendre cette somme par les Allemands.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 174.
DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M.
CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution
d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la
Commission d'enquête instituée par décret du 2 3
septembre 1914.
MATHIEU (Nicolas-Théodule), agent voyer en retraite,
maire d'Audun-le-Roman, résidant actuellement à
Nancy :
Serment prêté.
Les troupes allemandes sont entrées à Audun-le-Roman
le 4 août 1914, à cinq heures et demie du soir.
Pendant plusieurs jours et jusqu'au 21 août, la
population de la ville a eu certainement à souffrir
de réquisitions, vexations et brutalités de tout
genre; en ma qualité de maire, j'ai été incarcéré à
plusieurs reprises, ligoté, mis en joue par un
peloton; mais tous ces excès ne sont rien à côté des
crimes qui ont été commis le 21 et le 22 août.
Le 21 août, vers quatre heures de l'après-midi, des
troupes en débandade entrèrent à Audun, paraissant
venir de la direction d'Etain. La plupart
traversèrent la ville sans s'arrêter. Un
détachement, qui accompagnait des voitures chargées
de morts liés trois par trois, fit tomber
intentionnellement deux cadavres : l'un dans
l'avenue de la gare, l'autre au centre de
l'agglomération. Je n'ai pas vu ce dernier; mais
j'ai vu personnellement jeter le premier, et après
lui quelques havresacs. Il était alors six heures ou
six heures et demie du soir. Immédiatement, on
entendit quelques coups de fusil. Les Allemands
prétendirent que les habitants les avaient attaqués,
et se mirent à tirer dans les fenêtres et sur la
population, particulièrement sur les hommes.
M. Martin, cultivateur, fut arraché de sa maison et
tué sur sa porte en présence de sa femme et de ses
enfants; le feu fut mis immédiatement à sa maison :
ce fut le premier incendie.
Le cantonnier-chef Chary (Auguste), âgé de
cinquante-deux ans, fut tué au moment qu'il sortait
de l'église, où de nombreuses personnes s'étaient
réfugiées.
M. Somen (Ernest), âgé de cinquante trois ans,
ancien maire, fut abattu par un officier au moment
où il fermait la porte de sa grange. Il a survécu
trente heures à ses blessures, les Allemands
interdisant qu'on lui donnât le moindre soin. MM.
Michel (Emile), adjoint, âgé de cinquante-quatre
ans, et Bernard (Edouard), soixante-huit ans, qui
avaient voulu lui porter secours, furent arrêtés,
ligotés et emmenés à Ludelange (Lorraine), où ils
furent fusillés le lendemain. M. Michel avait reçu
de M. Somen un sac contenant deux mille francs, que
le mourant lui avait confié pour le rendre à Mme
Somen, sa femme; on m'a assuré, mais je ne puis le
certifier, que Michel et Bernard ont été fusillés
sous le prétexte qu'ils avaient sur eux de l'argent
volé à un civil.
Dans la même nuit du 21 au 22 août, les cités de la
Compagnie de l'Est, les maisons Tarpin, Matte,
Michel, Bernard, Sécheret, Chérer, Mangin ont été
incendiées à la main. Mme Matte, qui s'enfuyait de
sa maison incendiée, fut dépouillée par les soldats
allemands d'une somme de deux mille francs qu'elle
portait dans son réticule. Durant toute la nuit, les
détachements qui continuaient à traverser la ville
tirèrent sur la mairie.
Le lendemain, 22 août, les Allemands revinrent
prendre position à Audun-le-Roman ; vers sept heures
et demie du matin, un soldat vint me chercher et me
conduisit près d'un officier, qui se trouvait sur le
balcon de la maison isolée appartenant à M. Laguë.
Cet officier me fit placer au milieu de la route, en
m'enjoignant d'y rester. Presque aussitôt, j'aperçus
les troupes françaises s'avançant du côté de
Malavillers ; une fusillade nourrie s'engagea entre
elles et les défenseurs de la maison. Ne voulant pas
servir de cible à des balles françaises, je réussis
à m'approcher de la maison et à m'abriter derrière
le coin de celle-ci. Les Allemands reculèrent, et un
petit détachement de nos troupes traversa la ville.
Malheureusement, cet avantage fut de courte durée :
les Allemands revinrent en masse, et le combat
s'acheva vers Mercy-le-Haut et Fillières.
Dès le retour des Allemands, le même jour, dans la
matinée, les atrocités du 21 recommencèrent. MM.
Clabay et Laguë furent mis au mur; grâce au
dévouement de la fille du premier, qui se jeta
devant les fusils, ils ne furent pas exécutés. MM.
Rémer père, Rodicq (Justin), Guyot ( Émile), Jolas
(Emile), Thiéry (Georges), Rodicq (Marcel), Jolas
(Gustave) et un ou deux Italiens dont j'ignore le
nom, qui se trouvaient chez ce dernier, furent tués
dans leur demeure ou sur la rue. Six femmes furent
blessées : la bonne du sieur Scaglia, Mlle Roux,
Mlle Treffel, les deux dames Zappoli et la dame
Giglio, ces trois dernières de nationalité
italienne.
A la suite de ces exécutions sommaires, des
incendies furent systématiquement allumés dans
toutes les maisons : les Allemands ne réservèrent
que celles indispensables à leurs services. Il en
reste à peine une douzaine sur quatre cents.
Une partie de la population avait quitté la ville
dans la nuit du 21 au 22 août. Le reste, cent
cinquante personnes environ, sur douze cents, fut
évacué sur l'ordre des Allemands et dirigé sur les
cités de Crusnes. Personnellement, je faisais partie
de ce convoi et j'ai quitté la ville le dernier, le
24 août.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 175.
DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M.
CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution
d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la
Commission d'en- quête instituée par décret du 23
septembre 1914.
[Sur le désir du témoin, cette déposition, qui
figure au dossier de la Commission sous le n° 175,
ne sera publiée qu'ultérieurement.]
N° 176.
LETTRE complémentaire du précédent témoin.
[Pour le même motif que ci-dessus, la publication de
la pièce n° 176 a dû être ajournée.]
N° 177.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY,
devant la Commission d'enquête. Dame Z..., 39 ans,
demeurant à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 6 septembre, vers sept heures du soir, à
Beuvillers, où je m'étais réfugiée après m'être
sauvée d'Audun-le-Roman, et en l'absence de mon mari
qui était mobilise, j'ai été surprise chez moi par
deux soldats allemands. L'un deux m'a terrassée et
violée en présence de ma petite fille, âgée de dix
ans, qui essayait de venir à mon secours. L'autre
soldat, pendant ce temps, maintenait fermée la porte
vitrée derrière laquelle était l'enfant, et me
tenait en joue avec son revolver.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 178, 179.
DÉPOSITIONS faites, le 19 février 1915, à LUMBIN
(Isère), devant la Commission d'enquête.
HOGARD (Denise), veuve DUBREUIL, 29 ans, domiciliée
à Jarny, près Conflans (Meurthe-et-Moselle) :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands sont arrivés à Jarny au commencement
d'août. Comme un Italien venait de tuer son chien
d'un coup de fusil, ils ont prétendu qu'on avait
tiré sur eux et ils ont mis, vers le 25 août, le feu
au village avec des torches et du pétrole. Ils ont
réuni à la mairie le maire, le curé, deux soldats
lorrains et neuf Italiens, parmi lesquels Carreoldi
(René), âgé de vingt-quatre ans, mineur, avec qui je
vivais. Le lendemain, ils ont fusillé les Italiens
et les deux Lorrains dans un jardin; le maire, le
curé, avec trois autres habitants (Fidler, Bernier
et un vieux qu'on ne connaissait que sous le nom de
Joseph), ont été exécutés ensuite sur la route de
Conflans. Je suis allée voir les cadavres, aux
endroits mêmes où les massacres venaient d'avoir
lieu : ils étaient criblés de blessures. La cervelle
de Carreoldi s'était répandue sur le sol.
La veille, quatorze Italiens qui demeuraient à Jarny
avaient été fusillés à Gravelotte : j'ai vu
également leurs corps. Au cours de l'incendie, des
meurtres ont encore été commis. Mme Bérard et ses
trois enfants se sauvaient dans leur jardin, quand
les Bavarois ont tiré sur eux. Le petit garçon, âgé
de cinq ans, a été tué dans les bras de sa mère. Les
soldats l'ont ensuite arraché à celle-ci et ont jeté
le petit cadavre dans la rue, où il est resté quatre
jours, les ennemis ayant défendu de l'enterrer.
La famille Pérignon, pendant que sa maison brûlait,
s'était réfugiée dans les cabinets d'aisance, qui se
trouvaient au fond du jardin. Quand elle est sortie,
le père, la mère et le fils, âgé de seize ans, ont
été tués; la fille a été blessée au bras. Conduite à
Metz, cette dernière a été soignée dans un hôpital,
où un médecin allemand a pratiqué l'amputation. Le
garde forestier Plessis a été découvert avec sa
famille dans sa cave; les Allemands l'ont fait
sortir, l'ont attaché à un arbre, puis l'ont fusillé
devant sa femme, ainsi que son neveu. Ils ont en
outre brûlé la maison.
J'ai vu personnellement les cadavres de toutes les
victimes dont je viens de vous raconter la mort.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
NICOLAS (Marie), femme PIEFFER, 26 ans, domiciliée à
Jarny :
Je jure de dire la vérité.
Vers le 25 août, j'ai vu les Bavarois mettre le feu
à plusieurs maisons de Jarny avec des torches
imbibées de pétrole.
J'ai été témoin du passage des corps de neuf
Italiens, qui venaient d'être fusillés dans un
jardin et qu'on transportait au cimetière. J'ai
également vu, étendu à terre, le cadavre du curé,
qui était criblé de blessures et dont les yeux
pendaient, sortis des orbites. J'ai aperçu aussi
celui du maire.
En ma présence, les Allemands ont traîné le corps du
fils Pérignon du jardin jusqu'au bord du trottoir.
La famille Aufiero, qui se sauvait de chez M.
Bérard, où le feu venait d'être mis, et qui
traversait un fossé plein d'eau, a essuyé plusieurs
coups de fusil. Le père a été tué; la jeune fille,
âgée de treize ans, a été blessée au bras, et la
fillette, âgée d'environ dix ans, a été atteinte à
la jambe. La plus âgée de ces deux enfants a été
amputée à Metz. J'ai vu le cadavre du père.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 180, 181, 182.
DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY,
devant la Commission d'enquête.
ROBERT (Félix), 56 ans, receveur-buraliste à Jarny
(Meurthe-et-Moselle), réfugié à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands, dès leur arrivée à Jarny, se sont
livrés à un pillage général. Ils ont aussi commis de
nombreux meurtres. Leur première victime a été M.
Collignon (Joseph), qui a été tué à une cinquantaine
de mètres de chez moi, le 10 août 1914. Pour obéir à
l'ordre donné, il portait ses armes à la mairie,
quand des soldats ennemis ont tiré sur lui. Comme il
n'avait pas été atteint, ses agresseurs se sont mis
à sa poursuite et l'un d'eux lui a porté un coup de
baïonnette à la poitrine. Collignon est mort deux
heures après; je l'ai vu pendant son agonie.
Le 25 et le 26 août, M. Génot, maire, le curé Vouaux,
le jeune Fidler (François), âgé de dix-huit ou
dix-neuf ans, la famille Pérignon, M. Fournier,
cafetier, et son neveu, M. Lhermitte (Ernest),
menuisier, un ancien garde champêtre, nommé Plessis,
et un certain nombre d'Italiens ont été massacrés.
Enfin, vingt-deux maisons ont été brûlées.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
DAVAL (Jean-Claude), 59 ans, percepteur des
contributions directes à Jarny, actuellement
sous-lieutenant au 41e régiment territorial
d'infanterie :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Jarny jusqu'au 9 janvier dernier. Le
10 août 1914, un officier du 4e régiment
d'infanterie bavarois s'est rendu chez moi,
accompagné du maire et d'une dizaine de soldats, et,
en me mettant le revolver sur le visage, m'a sommé
de lui livrer ma caisse. Je lui ai déclaré, en lui
montrant le reçu, que j'avais versé mes fonds entre
les mains de mon collègue de Conflans. Sur ces
entrefaites, l'officier ayant aperçu mes fusils de
chasse, a enjoint au maire de faire déposer à la
maison commune toutes les armes des habitants. M.
Collignon a été tué au moment où il se rendait à la
mairie pour obtempérer à cette injonction. J'ai
entendu le bruit des coups de fusil qui ont été
tirés sur lui.
Le 25 août, tandis que, me tenant dans mon corridor,
je regardais à travers ma porte vitrée, j'ai vu, à
quatre mètres de moi, un soldat bavarois du même
régiment armer son fusil, tirer sur M. Lhermitte qui
rentrait chez lui, et le tuer. Ce soldat est ensuite
monté sur une voiture régimentaire, après avoir
tiré, puis refermé sa culasse mobile.
Un quart d'heure après, j'ai assisté à l'incendie
d'une maison appartenant à Mlle Anna François. Le
feu a été mis dans une pièce du rez-de-chaussée, et
cinq soldats se sont tenus devant l'immeuble, le
fusil à la main, et dans l'attitude de chasseurs qui
attendent le départ d'un lièvre. C'est d'ailleurs
toujours ainsi que les Allemands agissaient. lls
empêchaient les habitants des immeubles qu'ils
brûlaient de prendre la fuite, et on n'avait que le
choix entre ces deux traitements : être grillé ou
fusillé. Plusieurs personnes ont trouvé la mort dans
ces conditions, le 25 août. C'est comme cela qu'ont
été tués les membres de la famille Pérignon. Le
père, la mère et le fils ont été fusillés au fur et
à mesure qu'ils sortaient de leur habitation en
flammes. La fille, Mme Leroy, a eu un bras fracassé
et a été plus tard amputée à Metz. C'est cette
dernière qui m'a donné les détails de la scène. Le
même jour, les Allemands ont également tiré sur Mme
Bérard, qui se sauvait pendant que sa maison
brûlait, et lui ont tué dans les bras son petit
enfant âgé de deux ou trois ans. M. Aufiero, qui
était chez elle au moment où l'incendie avait
commencé, a été abattu dans sa fuite ; une de ses
filles a eu un bras fracassé, et l'autre a reçu une
balle dans la jambe.
J'ai su que le maire, M. Génot, le curé Vouaux, MM.
Fidler et Bernier ont été alignés, le 26 août, le
long d'une palissade, derrière l'auberge Blanchon,
et fusillés au commandement, sous le prétexte qu'on
avait tiré sur les Allemands. Vingt-deux maisons et
le clocher ont été incendiés. Pendant que le clocher
brûlait, les soldats chantaient, en s'accompagnant
avec un piano mécanique, dans une auberge située à
quelques pas de l'église. Ces incendies ont été
allumés par ordre. Comme ma femme et moi entendions
des Allemands piller une maison dont les chambres
sont en bordure de mon jardin, j'allai trouver des
officiers qui stationnaient en face de chez moi et
je leur demandai si on allait continuer à brûler.
Ils répondirent : « Oui, tout le village y passera.
» Je manifestai alors l'intention de quitter le
pays, et on m'engagea à m'adresser à d'autres
officiers qui étaient en groupe devant la poste. Ces
derniers me déclarèrent que l'ordre d'arrêter les
incendies venait d'arriver.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
BASTIEN (Henri), 35 ans, docteur en médecine à
Jarny, actuellement à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 10 août 1914, comme je me rendais à la mairie de
Jarny pour y déposer mes armes, j'ai entendu des
coups de feu, et j'ai été appelé peu d'instants
après à soigner M. Collignon, qui portait, au sommet
du poumon gauche, une plaie pénétrante par arme
blanche. Il m'a raconté que les Allemands avaient
tiré sur lui sans l'atteindre, et que l'un d'eux
l'avait frappé ensuite d'un coup de baïonnette. Il
est mort environ deux heures après, et, pendant que
je lui donnais mes soins, un officier, qui était
venu s'enquérir de l'état du blessé, m'a dit : «
C'est une erreur regrettable. »
Le 14 août, j'ai soigné aussi un Italien atteint
d'une balle au ventre; il est mort dans la soirée.
Le 25, j'ai pansé M. Lhermitte, qui n'avait plus sa
connaissance, quatre Italiens, sur lesquels les
Allemands avaient également tiré, et Mme Bertrand,
qui avait reçu une balle dans les deux mains au
moment où elle était en train de fermer ses
persiennes. Enfin, le 26, j'ai eu encore à m'occuper
de trois blessés : Mme Leroy et deux enfants Aufiero.
J'ai vu les cadavres de M. et Mme. Pérignon et de
leur fils; ces personnes avaient été tuées au moment
où elles essayaient de franchir la clôture de leur
jardin. Deux corps étaient d'un côté de la palissade
et le troisième de l'autre côté.
Mlle Mathès m'a assisté, comme infirmière, dans ces
tristes circonstances.
Après lecture, le témoin a signé avec nous et avec
Mlle MATHÈS (Germaine), âgée de 22 ans, employée des
postes à Jarny, actuellement à Nancy, qui, serment
prêté, a confirmé la déposition ci-dessus, en
ajoutant que Mme Bérard lui avait déclaré avoir eu
son petit enfant tué dans ses bras par les
Allemands.
N° 183.
DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS,
devant la Commission d'enquête.
DUREN (Virginie), femme BÉRARD, 29 ans, domiciliée à
Jarny (Meurthe-et-Moselle), réfugiée à
Levallois-Perret :
Je jure de dire la vérité.
Le 25 août 1914, les 66e et 68e régiments bavarois
se trouvaient ensemble à Jarny. J'ai reçu l'ordre de
donner à boire à leurs soldats et je suis allée
chercher pour eux un grand nombre de seaux d'eau. A
trois heures de l'après-midi, un chef, m'ayant
rencontrée, m'a dit que j'avais transporté assez
d'eau et m'a enjoint de rentrer immédiatement chez
moi. Comme les Allemands tiraient avec des
mitrailleuses sur notre maison, je me suis réfugiée
dans la cave avec mes deux fils, Jean, âgé de six
ans, Maurice, âgé de deux ans, ma fille Jeanne, âgée
de neuf ans, et la famille Aufiero. Bientôt notre
habitation a été arrosée de pétrole; il en a été
versé dans la cave par le soupirail, et nous nous
sommes trouvés entourés de flammes. Je me suis alors
sauvée, avec mes deux petits garçons dans les bras,
tandis que ma fillette et la petite Béatrice Aufiero
couraient, accrochées à ma robe. Au moment où nous
traversions le ruisseau Rougeval, qui coule tout
près de chez moi, les Bavarois ont tiré sur notre
groupe. Mon petit Jean, que je portais, a été
atteint de trois balles, une à la cuisse droite, une
autre à la cheville et la troisième à la poitrine.
La cuisse était presque détachée, et par la plaie de
sortie du projectile qui avait traversé la poitrine,
le poumon apparaissait. Le pauvre enfant m'a dit : «
Oh ! maman, que j'ai mal ! » et il est mort
aussitôt. En même temps, la jeune Béatrice avait le
bras droit tellement fracassé, qu'il ne tenait plus
à l'épaule que par un lambeau de chair, et Angèle
Aufiero, une enfant de neuf ans, qui nous suivait à
peu de distance, recevait une blessure au mollet. La
pauvre Béatrice souffrait cruellement et se
plaignait en pleurant ; elle n'est pourtant pas
tombée et a continué à marcher auprès de moi.
Pendant que ces faits se passaient, la famille
Pérignon, qui habitait la maison voisine de la
nôtre, était massacrée.
Quand on n'a plus tiré sur nous, j'ai voulu laver au
ruisseau mon enfant, qui était couvert de sang; mais
un soldat m'en a empêchée, en me criant : « .. raas
! »
Au bout de quelques instants, nous sommes arrivés
sur la route; tandis qu'on faisait sortir M. Aufiero
de la cave, des Allemands, qui parlaient assez
couramment français, ont dit à sa femme qui venait
de nous rejoindre : « Regarde fusiller ton Mann ! »
Le malheureux, à genoux, demandait grâce, et comme
sa femme criait : « Mon pauvre Côme ! » les soldats
lui répondirent: « Tais ta gueule ! » L'exécution
eut lieu à une vingtaine de mètres de nous.
Les Bavarois m'ont ensuite emmenée avec mes enfants,
Mme Aufiero et sa fille, dans le pré du
Pont-de-l'Étang. Un général a donné l'ordre de nous
y fusiller : mais je me suis jetée à ses pieds en
l'implorant et en lui embrassant les mains : il a
consenti à m'accorder notre grâce. A ce moment, un
officier, porteur d'une grande pèlerine gris clair,
avec un collet rouge, a dit, en désignant mon enfant
mort : « Celui-là ne se battra pas plus tard contre
les nôtres. »
Le lendemain, comme je m'étais réfugiée à la
Barrière Zeller, un officier est venu me déclarer
que le cadavre de mon enfant sentait mauvais et
qu'il fallait m'en débarrasser. N'ayant trouvé
personne pour faire un cercueil, je suis allée
chercher dans les cantines deux caisses à lapins que
j'ai clouées l'une au bout de l'autre; j'y ai déposé
le petit corps, et il a été enterré par deux soldats
dans mon jardin, où j'avais du creuser moi-même une
fosse. Je portais au cou la photographie de mon
enfant ; un officier a osé me demander de la lui
vendre.
Les Bavarois ont commis à Jarny bien d'autres actes
de cruauté. Une trentaine d'Italiens ont été
massacrés. Dans une seule fosse, les ennemis en ont
enfoui dix-huit. M. Génot, maire, M. l'abbé Vouaux
et un Luxembourgeois, François Fidler, ont été
fusillés dans les champs; M. Fournier, cafetier, et
son neveu ont été tués près du cimetière Bertrand.
MM. Lhermitte, menuisier, et Plessis, ancien garde
champêtre, ont reçu la mort devant leur maison; M.
Pérignon, charron, sa femme et leur fils, âgé de
dix-sept ans, ont été massacrés dans leur cour. Leur
fille, Mlle Leroy, a eu un bras fracassé par un coup
de feu et a été amputée à Metz.
Mme Bertrand a eu plusieurs doigts coupés par une
balle pendant qu'elle fermait ses persiennes. Enfin,
M. Joseph Collignon a été tué d'un coup de lance,
alors que, pour déférer aux ordres des Allemands, il
portait ses armes à la mairie.
Un certain nombre de maisons et le clocher de
l'église ont été incendiés avec du pétrole. Dans la
sacristie, les soldats ont pris les ornements
d'église et les objets du culte. On a retrouvé, dans
les rues et dans les champs, les bannières, les
nappes d'autel et jusqu'au drap mortuaire.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 184.
DÉPOSITION reçue, le 13 août 1915, à VICHY (Allier),
par M. THÉVENARD, juge de paix.
MENNE (Maria), veuve FOURNIER, 41 ans, débitante à
Jarny (Meurthe-et-Moselle), actuellement réfugiée à
Vichy :
Serment prêté.
Les Allemands sont arrivés à Jarny le 23 août, et
n'ont fait que passer pendant deux jours. Le 25
août, de nouvelles troupes ennemies ont passé; elles
provoquèrent des scènes tragiques. Comme les troupes
allemandes et françaises se livraient des combats
d'artillerie, mon mari, mon neveu Henri Menne, ma
nièce Marie Menne, mon fils Henri Fournier et moi,
nous nous réfugiâmes dans notre cave, vers cinq
heures de l'après-midi. Ayant entendu qu'on
enfonçait les portes du débit, mon mari, Alexis
Fournier, remonta avec mon neveu Henri Menne. Sans
aucune explication, les Allemands les firent monter
en auto ; ils les emmenèrent à six cents mètres
environ de chez nous et les fusillèrent tous les
deux, sans raison et sans jugement.
J'affirme que mon mari et mon neveu n'avaient pas
d'armes et n'avaient pas cherché à se défendre
contre les troupes allemandes.
Je n'ai appris que le 27 août au matin, par une
voisine, Mme Schwartz, que mon mari et mon neveu
avaient été fusillés. Elle me dit qu'elle avait vu
les corps à l'entrée de la commune, près de la
maison Perrin. Je m'y suis rendue aussitôt, et j'ai
constaté qu'en effet mon mari et mon neveu avaient
été lâchement fusillés. Je les ai fait enterrer le
28 août.
J'ai appris ensuite que M. Génot, maire, M. le curé
de Jarny remplaçant son frère, la famille Pérignon,
composée du père, de la mère et d'un enfant, M.
Lhermitte et d'autres personnes de la commune, au
nombre de quarante-sept, ont été également fusillés
sans motif par les soldats du 8e bavarois.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 185.
DÉPOSITION faite, le 3 décembre 1914, à PARIS,
devant la Commission d'enquête.
COLIN (Joseph), 51 ans, professeur au lycée
Louis-le-Grand, à Paris :
Je jure de dire la vérité.
Le 13 août, vers huit heures et demie du soir, des
balles ont traversé les fenêtres de ma salle à
manger, à Blamont, où je me trouvais depuis la fin
de juillet. Ma fille et une domestique, qui étaient
occupées dans cette pièce à lire et à travailler,
sont venues immédiatement se réfugier auprès de moi,
dans ma chambre à coucher. J'ai alors rassemblé
toute ma famille, composée de ma femme, de mes trois
filles et de ma belle-mère; j'ai également appelé
mes deux bonnes, et nous nous sommes tous rendus
dans une pièce qui était réservée à un officier
allemand. A ce moment, une bande de Bavarois ayant
essayé d'enfoncer les portes, une de mes domestiques
est allée ouvrir, et les soldats, conduits par un
officier, ont fait irruption dans l'appartement. Ils
ont d'abord accusé ma seconde fille, âgée de treize
ans, d'avoir tiré sur eux par une fenêtre; mais je
leur ai démontré l'absurdité de cette allégation, et
ils se sont retirés en nous disant que nous pouvions
nous coucher. A peine avions-nous eu le temps de
nous embrasser, qu'une seconde bande pénétrait chez
moi. L'officier qui la conduisait paraissait
furieux. Cette fois, c'est moi qui fus accusé
d'avoir tiré. Ma fille aînée, qui protestait et me
tenait par le cou, reçut à la tempe et à l'oeil un
coup de crosse qui fit jaillir le sang et l'abattit.
Elle en portera toujours la marque. Après avoir été,
à mon tour, brutalement frappé, je fus traîné
dehors. Un officier bavarois s'approcha de moi et
m'adressa les plus grossières injures, me crachant à
plusieurs reprises au visage. Pendant ce temps, ma
belle-mère, mes filles et ma femme, qui étaient
restées à la maison, étaient obligées de se coucher
sur le plancher de la salle à manger, pendant que
les Allemands enfonçaient le buffet, brisaient le
piano et cassaient la vaisselle; ma belle-mère, ma
femme et une bonne recevaient de violents coups de
crosse. Comme je les entendais crier, je dis à
l'officier qui m'insultait : « Pour traiter ainsi
des femmes, vous n'avez donc ni soeur ni mère ? » Il
me répondit : « Ma mère n'a jamais fait un cochon
comme toi. »
Après ces incidents, j'ai été conduit à la mairie.
Quand on m'en a fait sortir, je suis passé à un
endroit où venait d'être fusillé M. Foëll. J'ai vu
sur le mur du sang et de la cervelle.
Le 14, j'ai été emmené avec d'autres otages jusqu'à
la frontière, et le 15 au matin, j'ai été mis en
liberté, surpris d'avoir la vie sauve, car les
menaces dont j'ai été l'objet m'avaient bien
persuadé que je serais fusillé.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 186.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY,
devant la Commission d'enquête.
BENTZ (Charles), 58 ans, conseiller général, maire
de Blamont, chevalier de la Légion d'honneur,
actuellement à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Blamont jusqu'au 15 août 1914. Les
Allemands y sont venus en patrouille dès le début de
la guerre, et y sont arrivés en masse vers le 8
août. Ce jour-là, Mlle Cuny fut assassinée. Elle
était occupée, avec son père, à moissonner dans les
champs, quand, ayant entendu une fusillade, elle se
cacha dans un fossé de bois. A un certain moment,
comme un soldat s'approchait, elle se leva en criant
: « Ne tirez pas ! » Mais l'Allemand lui fracassa
immédiatement la poitrine d'un coup de fusil tiré à
bout portant.
Dans la soirée du 12, mon prédécesseur, M.
Barthélémy, ancien maire, âgé de quatre-vingt-deux
ou trois ans, a été tué par une salve tirée de la
rue au moment où il s'approchait de sa fenêtre.
Le 13, vers huit ou neuf heures du soir, un peloton
de douze hommes est venu me chercher à mon domicile
et m'a emmené menottes aux mains. En arrivant près
de la place Carnot, devant la maison de Mme Brèce,
les soldats m'ont montré une ouverture de grenier,
de laquelle, prétendaient-ils, on avait tiré sur
eux; puis on m'a conduit sur la place de
l'Hôtel-de-Ville, où j'ai trouvé M. Foëll, cafetier,
qui avait été arrêté et qu'on a « collé au mur »
devant un peloton d'exécution. Alors que le
malheureux Foëll attendait, la mort, le commandant
de place fit aux troupes une allocution qui dura
bien dix minutes ou un quart d'heure, tandis que les
soldats me crachaient au visage et me frappaient à
coups de pied et à coups de poing. Enfin, Foëll fut
exécuté en ma présence et tomba comme une masse. Je
pensais que j'allais être massacré après lui; mais
le commandant m'a fait conduire à la mairie, après
m'avoir dit : « Vous allez monter à votre cabinet et
vous y rédigerez une proclamation informant la
population que, si le moindre incident se produit,
vous serez fusillé avec un certain nombre
d'habitants, et la ville sera mise à feu et à sang.
» Je dois dire d'ailleurs que j'ai été arrêté à
plusieurs reprises et que j'ai eu continuellement
deux sentinelles auprès de moi. Les soldats
allemands, qui pillaient les caves presque chaque
soir, tiraient sans raison des coups de fusil dans
les rues. Le lendemain de leur arrivée en masse, ils
avaient pillé, puis incendié la chocolaterie Burrus.
Il est à ma connaissance que plusieurs viols ont été
commis. La dame X..., qui était accouchée quinze jours
auparavant, a été outragée par des soldats, et il
paraît qu'elle a succombé aux suites des violences
qu'elle a subies.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
N° 187.
DÉPOSITION reçue, le 6 septembre 1914, à GRAY, par
M. DANION, procureur de la République.
GEORGE (Joseph), 55 ans, régisseur du baron de
Turckheim, demeurant à Blamont, réfugié à Gray :
Avant la mobilisation, les patrouilles allemandes
ont commencé à passer la frontière. Après la
mobilisation, des escarmouches se sont produites à
Blamont. Un hussard français a été sauvé par les
habitants; un autre hussard, blessé et tombé de
cheval, a été achevé par les Allemands, qui l'ont
criblé de balles. Sans pouvoir préciser la date, le
4 ou le 5 août, les Allemands sont entrés en force à
Blamont; ils ont traversé la ville en chantant, en
hurlant même.
Ils se sont installés à la mairie, ont pris M. Bentz
(le maire) comme otage : il ne pouvait faire un pas
sans être accompagné d'hommes armés.
Ils ont aussitôt commencé les réquisitions et vécu
sur le pays. Ils ont occupé la ville pendant dix
jours. La nuit, toutes les portes et fenêtres
devaient être ouvertes et éclairées.
Toutes les caves ont été vidées. Ils étaient tous
ivres. La nuit, c'étaient des coups de feu tirés par
eux, et ils prétendaient que les habitants tiraient
sur eux. M. le maire avait prévenu les habitants
que, sous peine d'être fusillés, ils devaient
déposer toutes leurs armes à la mairie; c'est ce qui
a été fait. Toutes les armes ont été saisies par les
Allemands et envoyées par eux à Sarrebourg. J'ai
assisté au départ du camion qui les contenait. Des
coups de fusil n'en étaient pas moins tirés. Ils ont
décidé alors de prendre des otages.
Ils ont commencé par M. Foëll, cafetier. Ils l'ont
fait fusiller le lendemain, sous prétexte qu'il
avait été trouvé porteur d'un revolver. M. Foëll
était originaire de Sarrebourg et âgé de cinquante
ans.
Ils ont emmené une quinzaine d'otages : M. le curé,
M. Colin, professeur à Paris, M. Toubhans, épicier,
etc... Ils les ont abandonnés dans l'église d'un
village voisin de la frontière à l'arrivée de nos
troupes.
J'ajoute que Mlle Colin a été blessée dans son lit
par des balles et des coups de crosse de fusil. J'ai
entendu dire que Mme Brisse, belle-mère de M. Colin,
avait également été maltraitée.
Un soir que M. Barthélémy, âgé de plus de
quatre-vingts ans, ancien maire, ancien conseiller
général, allumait de la lumière chez lui, les
Allemands l'ont criblé de balles, sans aucun motif.
Une demoiselle Cuny, âgée de vingt-deux ans, étant
dans les champs occupée à moissonner, et voyant
venir, les Allemands, leur a crié : « Ne tirez pas,
ne tirez pas ! » Ils l'ont criblée de balles, en
disant : « Une Française de moins ! » Son père, qui
était caché dans un fossé, a été témoin de cette
scène. Chez moi, ils sont entrés en faisant sauter
les portes. Ils m'ont gardé, me défendant de sortir.
Toute la nuit, ils m'ont pillé et dévalisé : ils ont
bu mon vin, tué mes lapins, mes volailles, et volé
toutes mes provisions de ménage. Ils ont souillé les
chambres et les lits, faisant leurs nécessités
partout.
Au château du baron de Turckheim, dont je suis le
régisseur, ils n'ont trouvé qu'un vieux domestique
et deux bonnes alsaciennes parlant parfaitement
l'allemand. Avec elles, ils se sont entendus : elles
leur ont donné tout ce qu'ils demandaient. Ils ont
brisé toutes les portes des dépendances; ils ont tué
et mangé toutes les volailles. Au château, ils
étaient bien deux mille; ils y ont fait des
tranchées et des fortifications. Tous les murs,
toutes les clôtures ont été détruits. J'ai subi
personnellement un préjudice de sept cents francs
environ. Au château, c'est par milliers de francs
qu'il faudra compter, car tout est dévasté.
Je dois ajouter qu'ils ont pillé la chocolaterie de
Blamont : tout y a passé, matériel et marchandises;
puis, ils y ont mis le feu. Cette chocolaterie
appartient à M. Burrus, sujet suisse.
Depuis mon départ, Blamont a été bombardé.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 188.
DÉPOSITION reçue, le 25 novembre 1914, à GRAY, par
M. DANJON, procureur de la République.
DEMANGE (Eugénie), veuve DEPOUTOT, 62 ans,
propriétaire à Blamont, actuellement réfugiée à Gray
:
Serment prêté.
A Blamont (Meurthe-et-Moselle), la mobilisation a
été annoncée le samedi 1er août. Mon fils avait
rejoint. J'étais seule avec ma fille Marguerite. Dès
le samedi soir, les uhlans sont arrivés à Blamont.
Ma fille et moi, nous nous sommes réfugiées dans
l'appartement de M. Bentz, notre maire, dont je suis
locataire. Des officiers allemands étaient couchés
chez lui.
Au milieu de la nuit, des bruits significatifs me
donnèrent la certitude que mon appartement
avait été envahi par des soldats allemands, qui
brisaient tout chez moi. Vers une heure et demie du
matin, nous avons fait réveiller un jeune soldat
allemand qui parlait français et lui avons fait part
de nos craintes. Avec un de ses camarades, il s'est
rendu dans mon appartement, et je l'ai suivi. Chez
moi, tout était bouleversé, tout était saccagé, tout
était pillé. Tous les meubles avaient été fouillés;
le contenu en gisait pêle-mêle sur le sol : linge,
vêtements, provisions de ménage : en un mot, tout ce
que renfermaient les meubles et les placards. Ils
avaient mangé des oeufs et brisé sur le sol et les
murs ceux qu'ils n'avaient pu consommer. Ils avaient
pillé ma cave, bu mon vin, renversé mes pots de
conserves et de confitures : je n'ai plus rien.
Le jeune soldat qui parlait français a fait venir
les chefs; ceux-ci ont dit que « c'était la guerre
», mais ont ajouté que les auteurs de ces actes de
vandalisme seraient punis et que je serais
indemnisée. La plupart de mes meubles sont brisés;
mon linge, mes effets et mes provisions de ménage
sont perdus. J'évalue à deux mille cinq cents francs
le préjudice qui m'a été causé.
Blamont a été occupé pendant douze jours. Au cours
de cette occupation, les Allemands ont tué d'un coup
de revolver une jeune fille qui travaillait à la
moisson; c'était Aline Cuny, âgée de vingt-trois
ans. Le soldat qui l'a tuée s'est écrié : « Encore
une Française de moins ! »
Son père n'a échappé à la mort que parce qu'il
s'était caché dans un fossé.
Les Allemands tiraient des coups de fusil et
reprochaient ensuite aux habitants d'avoir des armes
et d'en faire usage. Ils étaient de mauvaise foi,
car, sur leur ordre, toutes les armes de tous les
habitants avaient été confisquées et déposées à la
mairie.
Toutes, les portes des maisons devaient toujours
être ouvertes, même pendant la nuit, et les fenêtres
devaient être éclairées. Comme, un soir, M.
Barthélémy, âgé de quatre-vingt-dix ans, mettait une
lampe sur sa fenêtre, ils l'ont tué d'un coup de
feu, sous prétexte qu'il avait tiré.
Ils ont fusillé sans motif, au coin de l'hôtel de
ville, M. Foëll, cafetier. Après son exécution, ils
sont allés dire à sa femme que c'était une erreur.
A l'entrée de Blamont, ils ont achevé plusieurs
blessés français.
Un soir, sans lui donner le temps de se vêtir, ils
ont emmené M. Colin, professeur à Paris, et l'ont
gardé comme otage pendant trois jours. Ils ont tiré
sa belle-mère a bas du lit et lui ont abîmé un bras;
ils ont grièvement blessé à la tête Mlle Colin, âgée
de vingt-deux ans environ. Je ne me rappelle pas
tout ce qui s'est passé.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 189.
DÉPOSITION reçue, le 21 janvier 1915, à BRIOUDE, par
M. POUGNET, procureur de la République.
Rupp (Joseph), 2 ans, rentier, domicilié à Blamont
(Meurthe-et-Moselle), résidant actuellement à
Brioude :
Serment prêté.
Au début des hostilités, j'habitais Blamont, où je
suis domicilié depuis 1911. Le 7 août dernier, un
avion allemand survola la ville et y jeta six
bombes; peu après, les Allemands arrivèrent et
occupèrent la localité.
Dès le lendemain, de nouvelles troupes ennemies
survinrent, et le pillage commença. Les soldats
allemands pénétrèrent dans les caves de certains
habitants, notamment dans celles de M. Bentz, de Mme
Laurent, de M. Baumgarten, et les dévalisèrent. Ils
dévalisèrent aussi les bureaux de tabac et les
maisons abandonnées. La fabrique de chocolat
appartenant à M. Burrus, qui pourtant avait donné
l'hospitalité à des officiers et à un général
allemands, fut complètement dévalisée : les machines
furent brisées, les courroies coupées, et enfin,
l'usine fut incendiée. Une fabrique de velours fut
également pillée; les soldats lacérèrent à coups de
sabre les pièces d'étoffe qu'ils ne croyaient pas
pouvoir utiliser, et sur lesquelles ils avaient fait
coucher leurs chevaux.
Dès leur arrivée, les Allemands se firent remettre à
l'hôtel de ville toutes les armes des habitants, et
ces armes, chargées sur un camion, furent
transportées en Allemagne.
Le commandant des troupes donna l'ordre aux
habitants de laisser leurs maisons ouvertes la nuit
et d'éclairer toutes les fenêtres, du
rez-de-chaussée au dernier étage. Chaque nuit, dans
les rues, la fusillade éclatait, et les soldats de
l'ennemi tiraient sur les personnes qu'ils
apercevaient. C'est ainsi que fut tué M. Barthélemy:
vieillard de quatre-vingts ans, ancien maire de
Blamont, qui s'était avancé vers une fenêtre de son
appartement.
M. Louis Foëll fut emmené par une patrouille à
l'hôtel de ville et fusillé sans motif ni prétexte.
Une jeune fille âgée de vingt ans, Mlle Aline Cuny,
se trouvait dans un champ, près de Blamont, avec son
père. En voyant arriver une patrouille allemande,
elle se cacha dans un fossé. Cette patrouille
s'étant avancée, elle implora à genoux la pitié des
soldats, qui la fusillèrent à bout portant.
Le premier régiment qui est entré à Blamont est le
20e régiment d'infanterie bavarois.
J'ai quitté Blamont le 14 août et j'ignore ce qui
s'y est passé depuis.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
N° 345
LAURENT (Jules), 65 ans, épicier à Magnières :
Je jure de dire la vérité.
Un jour, pendant l'occupation, un Allemand armé d'un
fusil est entré chez moi. Il a obligé la jeune X...,
de Domèvre-sur-Vezouze, qui était réfugiée dans une
maison avec sa famille, à le suivre dans une chambre
contiguë à celle dans laquelle je me trouvais. Il a
poussé la porte sans toutefois la fermer, et a violé
la fillette malgré ses cris et ses plaintes.
Quelques instants auparavant, il avait déjà pratiqué
sur elle des attouchements obscènes, en ma présence.
Dix minutes après, ce misérable est venu de nouveau
s'emparer de la pauvre petite et a abusé d'elle pour
la seconde fois. Cette enfant, qui n'est âgée que de
douze ans était absolument terrorisée. Le soldat
était si menaçant que je n'ai pas osé intervenir.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nos 363, 364, 365.
L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à
LUNÉVILLE, devant nous,. etc.
MASSON (Étienne), 68 ans, cultivateur à Emberménil,
réfugié à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands sont venus plusieurs fois dans notre
commune, qui se trouve entre leurs lignes et les
lignes françaises.
Le 18 octobre, ils ont emmené les hommes de 14 à 50
ans. Quatorze de nos concitoyens ont été forcés de
les suivre; nous sommes sans nouvelles d'eux.
Avant-hier 5 novembre, une date que je n'oublierai
jamais, des hommes du 6° régiment bavarois sont
entrés chez nous et ont emmené ma belle-fille qui
était dans un état de grossesse très visible. Ils
ont en même temps rassemblé devant l'église tous les
habitants du village, et un officier a dit : «
Quelle est la personne qui nous a trahis ? » Ma
belle-fille s'est avancée et a déclaré que c'était
elle qui, quelques jours auparavant, avait répondu
de bonne foi à des soldats qui l'interrogeaient
alors, qu'elle ignorait s'il y avait un détachement
français dans la commune. Les Allemands l'ont
saisie, l'ont fait asseoir sur un banc avec Louis
Dîme, âgé de 2 4 ans. Mme Vautrin, qui parle
allemand, a demandé grâce pour la jeune femme, en
faveur de laquelle toute la population a également
intercédé. Ils ont répondu : « Un homme et une femme
doivent être fusillés ; tel est l'ordre du colonel.
Que voulez-vous ? C'est la guerre. » Puis huit
soldats sur deux rangs ont fait à douze mètres feu
sur les deux malheureux, à trois reprises, en
présence de tous les habitants.
Les Allemands ont ensuite mis le feu à ma maison.
Celle de M. Blanchin avait été incendiée quelques
instants auparavant.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
GUISE (Olympe), veuve GRANDVALET, 56 ans, sans
profession, à Emberménil, réfugiée à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Le 5 novembre courant, j'ai, comme tous les
habitants d'Emberménil, assisté à l'exécution par
les Allemands de Mme Masson et de Louis Dîme. La
jeune femme, en déclarant que quelques jours
auparavant c'était elle qui avait dit à des soldats
qu'elle ne savait pas s'il y ayait des troupes
françaises dans le village, a affirmé qu'elle était
de bonne foi et que, par conséquent, elle était
innocente, Malgré nos supplications, les Allemands,
l'ayant fait asseoir sur un banc à côté de Louis
Dîme, l'ont fusillée sous nos yeux ainsi que ce
dernier.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Nous n'avons pas cru devoir consigner in extenso les
déclarations de Mme PETENOT (Marie-Louise), femme
MARIN, de M. PIERSON (Auguste) et de M. BRIDEY
(Honoré), tous d'Emberménil, réfugiés à Lunéville,
qui ont assisté à l'exécution de Mme. Masson et de
M. Louis Dîme, et qui ont confirmé, sans y ajouter
aucun détail nouveau, les dépositions qui précèdent.
(Suivent les signatures.)
N° 366.
L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à
LUNÉVILLE, devant nous,. etc
ANTOINE (Marie), femme MILLOT, âgée de 55 ans,
demeurant à Domèvre-sur- Vezouze, réfugiée à
Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Lorsque les Allemands sont venus pour la seconde
fois à Domèvre, c'était, si je ne me trompe, le 24
août. J'étais dans la maison des époux Claude, mon
neveu et ma nièce, avec d'autres personnes. Le jeune
Claude, âgée de 1 7 ans, qui se trouvait près de la
rampe de l'escalier, dit à sa mère qu'il voyait dans
la rue des Allemands qui le mettaient en joue; puis
il fit trois pas en avant pour se garer. Mais à ce
moment, il fut atteint de trois balles, une au
ventre, une autre à la cuisse et la troisième à la
fesse. Il est mort trois jours plus tard, après
avoir dit à sa mère : « Je puis bien mourir pour la
patrie. »
Je sais que les Allemands ont également tué, le même
jour, deux autres personnes : M. Adolphe Claude, âgé
de 75 ans, et M. Auguste Claude. Ce dernier n'était
pas parent du précédent, non plus que de mon jeune
neveu.
J'ajoute qu'ils ont emmené M. Breton, boulanger, et
M. Labort, maréchal ferrant, et qu'on n'a jamais
revu ces deux hommes.
Enfin, dans Domèvre, où cent trente-six maisons ont
été incendiées, j'ai vu les ennemis mettre le feu en
tirant des coups de fusil dans les granges et sous
les toits. Ces coups de fusil produisaient des
détonations assez faibles, analogues à celles des
pétards.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
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