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Commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi - 1915-1916


Rapports et procès-verbaux d'enquête de la commission instituée en vue de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens.
1915-1916

MEURTHE-ET-MOSELLE

N° 141.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, devant la Commission d'enquête instituée par décret du 23 septembre 1914.
SIMON (Gustave), 48 ans, maire de Nancy:
Je jure de dire la vérité.
Depuis le 11 novembre 1914, date à laquelle j'ai déjà déposé devant vous (1), la ville de Nancy, où il n'existe ni troupes, ni établissements militaires, a été bombardée quinze fois par des aéroplanes allemands et deux fois par des dirigeables. Vingt-et-une personnes ont été tuées et vingt-cinq ont été blessées. Je vais d'ailleurs vous remettre un état qui a été dressé par les soins du commissaire central, et qui fait connaître d'une façon précise les conditions et les résultats de ces bombardements.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 142, 143.
DOCUMENTS remis à la Commission, le 22 septembre 1915, par M. Gustave SIMON,
maire de Nancy.
I.
NOTE RÉCAPITULATIVE
et par dates des divers genres de bombardements allemands sur la ville de Nancy.
[...]

Nos 144, 145, 146, 147.
DÉPOSITIONS faites, le 21 septembre 1915, à LUNÉVILLE, devant la Commission d'en- quête. KELLER (Emile-Georges), 57 ans, maire de Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Depuis que j'ai fait devant vous une déposition, de très nombreux avions allemands ont survolé notre ville ou tenté de la survoler. Le plus souvent, ils ont été mis en fuite par nos canons ou par nos escadrilles. Cinq ou six fois, ils ont réussi à jeter des bombes, sans cependant obtenir d'autre résultat que des dégâts matériels. Une autre fois, ils ont tué un homme et en ont blessé deux autres. Depuis quelque temps surtout, nous avons remarqué que les tentatives se répétaient le mercredi, jour de marché, et à sept heures du matin, moment où le marché est en pleine activité. Le mercredi 1er septembre, à sept heures, après avoir entendu un fracas épouvantable et avoir été prévenu que plusieurs personnes venaient d'être tuées, je me suis rendu rue de la Charité, où avait éclaté une bombe, et où se tenait la partie du marché spécialement occupée par les marchands de légumes venus des villages environnants. La rue présentait l'aspect d'un carnage affreux. Des cadavres de femmes, écrasés et déchiquetés, étaient accumulés le long du mur de l'école. Les visages étaient noirs, des thorax étaient vidés, des membres épars gisaient sur le sol, des débris de cervelle avaient été projetés sur la chaussée et jusque dans les magasins, où une partie de la foule, effrayée par l'explosion précédente de deux bombes, s'était réfugiée. Partout on voyait du sang répandu. On a ramassé immédiatement trente-huit cadavres et trente-six blessés. D'autres personnes atteintes avaient pu se réfugier chez elles ou dans les pharmacies. Plusieurs blessés ont succombé depuis. Actuellement, à ma connaissance, l'attentat a causé quarante-six morts ; le nombre des blessés qui ont survécu est d'environ cinquante, tant à Lunéville que dans huit villages des environs.
La plupart des victimes étaient des femmes. Beaucoup d'entre elles étaient venues des communes déjà ravagées par les Allemands apporter ici les produits de leurs jardins.
Ce jour-là, seize bombes ont été lancées par trois, quatre ou cinq avions qui volaient à une hauteur de plus de deux mille mètres, et dont les itinéraires se sont coupés vers le centre de la ville. Hier et ce matin encore, des aéroplanes allemands ont essayé de venir au-dessus de nous.
J'ajoute que, le 1er septembre, plusieurs projectiles incendiaires ont été lancés, car la maison Leyser, avenue des Vosges, a été brûlée par suite de l'éclatement d'une des bombes.
Après lecture le témoin a signé avec nous.

IMBERT (Louis), 48 ans, commissaire de police à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Depuis quelque temps, je remarquais que des avions allemands essayaient de survoler Lunéville, les jours de marché, entre six et huit heures du matin. Le 1er septembre, à sept heures dix, je me trouvais aux turbines, usine élévatoire des eaux qui est située au sud de la ville, quand-mon attention a été appelée par des détonations. J'ai vu alors des colonnes de fumée s'élevant au-dessus de l'agglomération. A ce moment, j'ai entendu un sifflement caractéristique, et presque aussitôt, une bombe a éclaté à trente mètres de moi. Je n'ai pas été atteint, car j'avais pu me protéger en me couchant derrière un mur. M'étant relevé, je me suis dirigé en courant vers la ville, tandis que deux autres projectiles tombaient près de l'endroit que je venais de quitter. En arrivant rue de la Charité, je me suis trouvé, en présence d'un spectacle horrible. La chaussée, les corridors et les magasins étaient remplis de cadavres et de débris humains. Une bombe, tombée presque au milieu de la rue, avait fait parmi la foule de très nombreuses victimes.
J'ai appris ensuite que plusieurs des engins dont j'avais entendu les détonations avaient éclaté, l'un rue de Metz, un autre rue Sainte-Marie, à trente mètres du marché, et un troisième au cimetière, où il avait tué une personne et en avait blessé trois autres. Un autre projectile encore a été lancé presque en même temps avenue des Vosges, sur la maison Leyser, qui a été incendiée.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

THIEBAUT (Julien-Emile), 53 ans, sculpteur à Lunéville:
Je jure de dire la vérité.
Le 1er septembre courant, un peu après sept heures du matin, me trouvant devant ma porte, j'ai vu venir, de la direction du nord-ouest, un avion allemand, et j'ai entendu l'explosion de quatre bombes autour de moi. La première est tombée dans la petite allée du cimetière; la seconde a éclaté près de la grille et a tué le jardinier, M. Jean, en même temps qu'elle blessait au bras Mme Larivière, fleuriste; la troisième, qui m'a paru énorme, a fait un trou à seize mètres de ma porte et a blessé deux personnes, Mme Baguet et M. Bigorre, concierge du cimetière; la quatrième enfin est tombée sur un tas de briques, dans le jardin de M. Cuny-Mangin, marbrier. Après lecture, le témoin a signé avec nous et avec M. BIGORRE (Joseph), âgé de 46 ans, concierge du cimetière de Lunéville, lequel, après avoir prêté serment, a confirmé la déposition ci-dessus, avec cette seule différence qu'il n'a pas vu l'avion qui a lancé les bombes.

PIERSON (Maria), femme BILDSTEIN, 40 ans, demeurant à Lunéville :
Je jure de dire la vérité. Notre magasin de coiffure est situé à trente mètres environ de l'endroit où est tombée la bombe, rue de la Charité, le 1er septembre courant. La fusée a été projetée tout près de notre porte. Beaucoup de personnes s'étaient réfugiées chez nous; l'une d'elles, Mme Souvenier, y a été tuée. Le spectacle de la rue était épouvantable.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 148.
DÉPOSITION faite, le 14 janvier 1915, à PARIS, devant la Commission d'enquête. BERSON (Gustave), 64 ans, professeur au lycée Condorcet à Paris, chevalier de la Légion d'honneur :
Je jure de dire la vérité.
Je me suis rendu le 8 août à Badonviller, où je possède une maison, et où j'ai l'habitude de passer mes vacances. Le 9, le 10 et le 11, il y a eu quelques combats à proximité de la ville. Le 12, vers quatre heures cinquante du matin, une canonnade violente se fit entendre. Elle fut suivie d'une fusillade nourrie, qui dura une heure environ. Nos troupes s'étant retirées, une dizaine de Bavarois arrivèrent ensuite. A ce moment, ma domestique, ayant soulevé le rideau d'une fenêtre du second étage, reçut au poignet une balle qui ne lui fit qu'une blessure légère; puis, un plus grand nombre de soldats étant survenus, j'entendis crier: Halt ! et aussitôt ma maison fut criblée de balles. Au bout de dix minutes, les Bavarois tirèrent de nouveau sur mon habitation. Je sortis alors; mais à peine étais-je sur le seuil de ma porte que j'étais mis en joue par un des soldats qui occupaient l'hôtel de ville, situé en face de chez moi. Je rentrai précipitamment, sans avoir essuyé le coup de feu dont j'étais menacé. Vers midi, ayant entendu le tambour, j'ouvris la porte de derrière; puis, sur l'ordre d'un Bavarois, je me rendis à la mairie. J'y trouvai un grand nombre d'habitants : on arrêtait, en effet, toute la population mâle; et en même temps, l'ennemi brûlait avec des bombes à main une partie de la ville. Nous étions gardés par une troupe que commandait un capitaine, et dans laquelle j'ai vu deux hommes portant au bout du fusil des baïonnettes à dents de scie.
A un certain moment, je fis passer ma carte au capitaine, espérant que ma situation de professeur serait peut-être prise par lui en considération. Je ne m'étais pas trompé ; car après m'avoir fait signe d'approcher et m'avoir écouté, tandis que je lui indiquais les circonstances à raison desquelles je me trouvais à Badonviller, il me rendit ma carte, sur laquelle il avait inscrit la mention suivante: «  Peut rentrer chez lui. Baumann, Haupt. 1/16.» Je lui avais expressément demandé une pièce pouvant me servir de sauf-conduit, car le percepteur venait de me prévenir que j'étais menacé d'être fusillé, le soldat qui m'avait mis en joue ayant prétendu qu'on avait tiré de chez moi. Le même officier a consenti également à rendre la liberté au curé. Il a d'ailleurs fait preuve d'humanité. Comme les Allemands bombardaient l'église avec des bombes incendiaires, alors qu'il n'y avait plus de combat même aux environs, j'ai obtenu qu'il commandât à un certain nombre de ses hommes, de faire la chaîne, pour éteindre l'incendie qui avait éclaté dans un groupe de maisons voisines, et qui menaçait de s'étendre à toute la rue. A plusieurs reprises, du reste, il s'entretint avec moi d'une façon presque bienveillante. «  Etes-vous bien sûr, lui dis-je, que des civils aient tiré sur vous? - Le maire, me répondit-il, m'a déjà affirmé avec tant d'énergie ce que vous m'avez dit vous- même, que je finirai par le croire. » Quoi qu'il en soit, la femme du maire, Mme Benoit, a été fusillée au moment où elle ouvrait une de ses fenêtres; Hippolyte Marchal, âgé de soixante-dix-sept ans, presque mon voisin, étant sur sa porte, a été atteint d'une balle au-dessus du coeur; Spatz, ferblantier, âgé de quatre-vingt-sept ans, a reçu la mort au moment où il sortait de sa cave. Enfin, un facteur a été massacré chez lui avec ses beaux-parents, sans doute parce qu'il portait un képi. Cinq autres personnes ont été également tuées. Quatre-vingt-huit maisons ont été incendiées le 11 août. Le 13, sept otages ont été emmenés jusqu'à Strasbourg : ils ne sont revenus qu'au bout de vingt-cinq jours. Le capitaine Baumann commandait une troupe qui occupait le centre de Badonviller. Cette partie de la ville a été la moins maltraitée. J'ai quitté le pays le 16 août.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 149.
DÉPOSITION faite, le 11 mai 1915, à PARIS, devant la Commission d'enquête.
BESNARD (Clovis-Pierre-Germain), 57 ans, commandant en retraite, 65, avenue de Breteuil :
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais dans notre propriété de Badonviller lors de l'arrivée du 2e régiment d'infanterie bavarois, et j'ai été témoin des actes contraires au droit des gens dont les hommes de ce régiment, ainsi que des uhlans, se sont rendus coupables.
Je n'ai rien à ajouter aux énonciations du rapport que j'ai adressé à M. le Ministre de la Guerre, au sujet de ces faits, le 19 août dernier. Je vais vous en donner lecture et vous en remettre une copie, dont je certifie l'exactitude sous la foi du serment.
Tous les actes de violence que j'ai rapportés et dont j'ai été le témoin se sont passés en présence du capitaine bavarois Baumann.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 150.
RAPPORT du commandant en retraite BESNARD à M. le Ministre de la Guerre.
Paris, le 19 août 1914.
1. Incendie d'une ferme. - Le mardi 11 août, vers dix-neuf heures, les fumées des incendies allumés par les Allemands dans les directions Cirey, Parux, Bréménil semblèrent plus proches. C'était la ferme de «  Bon-gré-Jean » qui brûlait ; voici dans quelles circonstances. Deux chasseurs à pied français, frappés d'insolation, avaient laissé leurs fusils aux environs de cette ferme. Un paysan de Badonviller alla, de son propre mouvement, à la recherche de ces armes, malgré la défense réitérée du maire. Il en trouva une. Il fut aperçu par une patrouille allemande qui tira sur lui et le toucha à l'épaule. Le blessé se traîna dans le fossé jusqu'à la ferme de «  Bon-gré-Jean », où la femme l'accueillit. Les Allemands pénétrèrent alors dans la maison, s'emparèrent du blessé et de la femme, et mirent le feu à la ferme. Les enfants furent recueillis par une tante qui les ramena à Badonviller. Leur mère fut relâchée le lendemain.

2. Femme du maire fusillée. - Sa maison incendiée. - Le mercredi 12 août, après un combat qui dura de cinq heures à dix heures du matin, les Allemands entrèrent dans Badonviller en tirant dans toutes les fenêtres, sous le fallacieux prétexte qu'un civil avait tiré sur eux. La femme du maire, Mme Benoit, qui ouvrait ses fenêtres suivant l'ordre des Allemands fut fusillée et la maison immédiatement incendiée sous les yeux de son mari, maintenu entre quatre hommes baïonnette au canon. Le maire y avait accumulé pour soixante mille francs de denrées alimentaires, destinées aux ménages nécessiteux pendant la durée de la guerre. Tout fut la proie des flammes.

3. Tir de mitrailleuse sur une ambulance. - La maison du directeur de la faïencerie, M. Début, servant d'ambulance et protégée par la Croix-Rouge, fut, à bout portant, couverte de projectiles par une mitrailleuse allemande. Le directeur ouvrit la porte à deux battants et obtint la cessation du feu; mais l'incendie gagna la maison, et l'on n'eut que le temps d'évacuer les blessés.

4. Incendie du refuge de blessés. - Deux chasseurs à pied blessés ayant été surpris dans l'écurie de l'hôtel de la Gare, les Allemands vinrent demander des allumettes à l'hôtesse et mirent le feu à son écurie en sa présence. Ils ont pris à l'hôtel quatre mille bouteilles et trente hectolitres de vin, indépendamment du pillage des chambres.

5. Pillage organisé. - Vers quatorze heures, les Allemands firent ordonner à la population de se rendre devant l'hôtel de ville et de laisser portes et fenêtres ouvertes, en menaçant de fusiller quiconque serait trouvé dans les maisons. Cet ordre exécuté, ils pénétrèrent partout, brisant, pillant de la cave au grenier, jetant sur le sol les denrées qu'ils ne pouvaient emporter, et déposant des ordures dans les cuisines et les salles à manger. Ces déprédations ont surtout été commises aux extrémités du bourg et chez les commerçants.

6. Incendies multiples. - Pendant ce temps, des obus avaient mis le feu à l'église, sous le faux prétexte que l'on avait tiré du haut du clocher. Pourtant, on prouva que l'escalier menant au clocher était fermé à clef et vide : le juge de paix et le percepteur le firent constater à une patrouille qui les y accompagna. D'autres incendies furent allumés en de nombreux endroits. Entre autres, devant la grange de M. Seyer, boucher, de la paille d'avoine avait été étendue et allumée. Elle communiqua le feu et réduisit en cendres onze maisons contiguës. L'incendie se propagea autour de l'hôtel de ville et à l'hôtel de ville lui-même. Le capitaine allemand (Baumann) commença à s'émouvoir; et, sur la demande du maire, il donna cinquante Bavarois pour aider à s'opposer au fléau. Les femmes rassemblées furent mises à la chaîne, et ensuite, on les autorisa à rentrer dans les maisons voisines.

7. Parcage des hommes. - Quant aux hommes, les jeunes et les vieux furent parqués dans les halles, sur de la paille. Les notables furent gardés toute la nuit, assis sur des bancs devant la mairie, avec indication que si un seul bougeait, tous seraient fusillés. On autorisa les femmes à apporter quelque subsistance à leurs maris ou à leurs fils.

8. Prise d'otages. - Le jeudi 13 août, vers dix heures, la compagnie allemande reçut l'ordre de se replier vers le nord. Le lieutenant commandant la compagnie (relevée la veille au soir) prévint qu'il allait emmener les prisonniers, le maire et quelques notables, pour les mettre devant le premier rang à l'ouverture du feu. En réalité, il emmena, encadrés à la gauche de sa colonne: un adjudant, un caporal et plusieurs chasseurs à pied prisonniers de la veille; le juge, de paix; le receveur des postes; le contremaître de l'usine; les deux gardes champêtres et quelques autres personnes prises au hasard. Quarante-huit heures après, un seul était revenu, ignorant le sort des autres.

9. Quatre-vingt-cinq immeubles environ incendiés. - Après le départ de la colonne, l'on put constater la ruine complète de l'église et de quatre-vingt-quatre maisons environ sur quatre cents que compte la commune.

10. Civils inoffensifs tués. - Chargé par le maire de reconnaître l'identité des cadavres gisant sur une certaine partie du territoire, j'ai constaté que les Allemands tuaient indistinctement militaires et civils, enfants, femmes, hommes, vieillards : (tels sont M. Marchal, soixante-dix ans, et M. Spatz, quatre-vingt-cinq ans.) J'ai identifié au même endroit, devant le chalet Fayard, les corps du facteur des postes Gruber, de son beau-père et de sa belle-mère, de M. Boulay et de son fils, âgé de quinze ans.
De tous ces faits, j'ai été le témoin oculaire.

11. Source empoisonnée. - Au moment de quitter le pays, après le départ des Allemands, ma femme ne pouvant plus supporter la vue de ces scènes de dévastation, j'ai appris que les Allemands avaient jeté un cadavre dans la principale source qui alimente le pays; mais je n'ai pas été témoin de ce dernier acte de barbarie.

12. M. Lejeal, percepteur. - Il est équitable de signaler la belle conduite du percepteur de Badonviller, qui, très au courant de la langue allemande, a constamment servi d'interprète au maire et d'intercesseur auprès des barbares, allant, au péril de sa vie, sous le feu de l'artillerie, demander qu'on laissât aux femmes et aux enfants le temps de fuir. C'est grâce à M. Lejeal que la ruine de Badonviller n'a pas été complète.
Certifié conforme à la vérité.Signé : BESNARD.

N° 151.
DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à Lunéville, devant la Commission d'enquête.
ODINOT (Lucie), 12 ans, demeurant à Badonviller :
Le 12 août 1914, mon frère, Georges Odinot, âgé de seize ans, sortait de notre cave avec un litre de vin et une miche de pain pour notre repas, et entrait dans la cuisine, quant deux Allemands sont arrivés avec leurs fusils et l'ont mis en joue. Il a crié : «  Pardon, Messieurs ! » mais l'un d'eux a tiré sur lui et l'a atteint à la gorge. Mon frère est mort sur le coup. Les Allemands l'ont alors traîné dehors par les jambes.
Après lecture, le témoin, qui pleure abondamment, a signé avec nous.

Nos 152, 153.
DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à BACCARAT (Meurthe-et-Moselle), devant la Commission d'enquête.
BENOIT (Joseph-Edmond), 47 ans, maire de Badonviller (Meurthe-et-Moselle), chevalier de la Légion, d'honneur, actuellement à Baccarat :
Je jure de dire la vérité. Le 12 août 1914, le 16e bavarois d'infanterie (bataillon ou régiment) a occupé Badonviller, tandis que d'autres corps, notamment les 2e, 5e et 12e régiments, n'ont fait qu'y passer. Après d'assez violents combats aux environs, nos troupes s'étaient retirées, et il n'était resté dans la ville qu'une quinzaine de chasseurs à pied français. Prétendant à tort que la population civile s'était livrée à une agression, le capitaine Baumann, du 16e, s'est montré fort menaçant, et j'ai parlementé avec lui pour l'apaiser. Je lui ai affirmé qu'aucun de mes concitoyens n'avait tiré. Il m'a alors enjoint de l'accompagner dans les rues et de faire ouvrir portes et fenêtres. Sur ma demande, ma femme, qui se trouvait chez mes beaux-parents, s'est rendue à notre domicile pour obéir à l'ordre donné; puis, je me suis transporté auprès du général allemand pour lui attester, comme au capitaine, la parfaite innocence de mes administrés, et pour le prier de faire mettre fin aux fusillades qu'on entendait, ainsi qu'aux incendies qui commençaient.
Ce général m'a donné vingt minutes pour livrer les soldats qui s'étaient réfugiés dans les maisons et pour rassembler les habitants devant la mairie. Comme je redescendais avec M. Lejeal pour faire exécuter ces ordres, un officier allemand, me montrant ma propre maison, prétendit qu'on avait tiré de là. Je protestai énergiquement et j'entrai chez moi avec quatre soldats pour faire visiter l'habitation. Dans une des chambres du premier étage, dont une fenêtre était ouverte, j'ai trouvé le cadavre de ma femme qui portait une blessure par balle en pleine poitrine. J'ai voulu me précipiter sur le corps; mais les Allemands m'ont entraîné et j'ai dû procéder avec eux à des perquisitions chez des voisins.
J'étais rentré à la mairie, quand j'ai appris que ma maison brûlait; d'ailleurs le feu avait été mis déjà à une partie de la ville. Je suis resté deux jours prisonnier, et je n'ai connu les meurtres commis à Badonviller que par les rapports qui m'ont été faits. J'ajoute que quand les Bavarois ont incendié les maisons, ils ont empêché qu'on fît sortir le bétail.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

LEJEAL (Eugène), 55 ans, percepteur des contributions directes à Badonviller:
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais avec M. Benoit, maire de Badonviller, quand il est allé parler au général allemand, et comme lui, j'ai tout fait pour obtenir que la ville fût épargnée. Vous savez déjà qu'une partie de Badonviller a été détruite par le feu et que plusieurs habitants, ont été massacrés. J'ai vu personnellement les cadavres de M. et de Mme Georges et de M. Gruber; c'est moi qui les ai fait inhumer.
Une seconde occupation a eu lieu le 23 août. Les Allemands ont alors enlevé tout ce qui, la première fois, avait échappé au pillage. Je suis allé trouver un officier supérieur pour lui faire remarquer que nous nous trouvions dans l'impossibilité de subvenir aux besoins de quatre-vingts blessés français recueillis par nous; mais je n'ai rien pu obtenir, et j'ai été éconduit.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 154.
DÉPOSITION faite, le 23 septembre 1915, à BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la Commission d'enquête.
FOURNIER (Emile), 26 ans, administrateur délégué dans les fonctions de maire à Badonviller :
Je jure de dire la vérité.
Les Bavarois des 2e, 5e, 12e et 16e régiments d'infanterie sont arrivés à Badonviller le 12 août 1914, à cinq heures et demie du matin. Leur premier acte a été d'assassiner M. Marchal, propriétaire, âgé de soixante-dix-huit ans, qui était tranquillement sur le seuil de sa porte. J'ai entendu le coup, de feu qui lui a donné la mort.
Bientôt un combat, qui s'était engagé dans la campagne, s'est poursuivi dans l'intérieur de la ville entre les Allemands et des chasseurs à pied français du 20e bataillon; mais ceux- ci ont dû battre en retraité vers neuf heures. A ce moment, sont entrées des colonnes ennemies, composées d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, sur les arrières desquelles nos chasseurs ont tiré. Furieux de cette fusillade, les Allemands en ont rendu responsable la population civile, et l'ordre est arrivé de mettre tout à feu et à sang. Il a été d'abord enjoint aux habitants d'ouvrir portes et fenêtres, et à tous les hommes de se réunir à l'hôtel, de ville. Mme Benoît, femme du maire, qui se trouvait chez son père, s'est alors rendue a son domicile, et comme elle ouvrait sa fenêtre, elle a été tuée par des coups de feu. Son mari était a ce moment auprès du général ennemi, auquel il affirmait qu'aucun civil n'avait commis le moindre acte d'agression et promettait qu'il ne s'en produirait aucun. Quand il revint, accompagné de M. Lejeal, percepteur, actuellement à Lunéville, un officier allemand lui dit, en lui montrant son habitation : «  De cette maison, on vient de tirer sur nos troupes. » Le maire protesta énergiquement, déclarant que l'immeuble était à lui, qu'il était entièrement vide, et s'offrant à le faire visiter. En ouvrant la porte, il se trouva devant le cadavre de Mme Benoit. Affolé par la douleur, il se jeta sur le corps de sa femme; mais il en fut brutalement arraché, et la perquisition se poursuivit, ne produisant naturellement aucun résultat. Enfin, quand M. Benoit eut été reconduit à la mairie, les Allemands mirent le feu à la maison pour faire disparaître les traces de leur crime. Le corps de la malheureuse femme fut carbonisé.
Dans le même quartier, les ennemis incendièrent également une cité ouvrière et un certain nombre d'autres bâtiments. A ce moment-là, le jeune Odinot, âgé de seize ans, tué dans la cuisine de ses parents, a été traîné dehors par des soldats et jeté dans un hangar en flammes.
Pendant ce temps, d'autres crimes étaient commis à l'extrémité opposée de la ville, où le feu était également allumé. M. et Mme. Georges, leur fille, leur gendre (M. Gruber, facteur), et deux jeunes enfants de ces derniers, surpris par les flammes dans leur cave où ils s'étaient réfugiés, ayant, essayé de se sauver, ont été poursuivis à coups de fusil. M. et Mme Georges ont été a battus devant leur maison. M. Gruber, mortellement atteint, avec un de ses enfants entre les bras, s'est traîné jusque dans un pré voisin où il a succombé cinq heures après, sans qu'il fût permis à sa femme, qui, d'une maison située en face, assistait à l'agonie de ce malheureux, d'aller lui porter secours.
Un certain nombre de personnes, découvertes dans les maisons, en ont été brutalement expulsées, puis réunies dans la grande rue, où elles ont été soumises aux pires traitements. Parmi elles se trouvait un vieillard d'environ soixante-quinze ans, M. Batoz, qui, malade et impotent, a été tiré hors de son lit et traîné nu sur la route. Il est mort une quinzaine de jours plus tard à l'hospice. Tous ces prisonniers ont été cruellement frappés. A un certain moment, on a obligé une dizaine de jeunes gens a s'étendre sur le sol, les bras, en croix, et les Bavarois, en passant auprès d'eux, leur marchaient sur les mains ou leur portaient des coups de crosse et des coups de pied. C'est dans ces circonstances que le fils Massel, âgé de dix-huit ans, blessé par une balle, est tombé dans un ruisseau qui coulait derrière lui et s'est noyé, sans qu'on autorisât sa mère et ses soeurs, témoins de la scène, à s'approcher.
Non loin de là, M. Boulay, âgé de cinquante-cinq ans, et son fils, âgé de quinze ans, ont été tués à leur domicile. Mme Boulay et sa fille, qui habitent maintenant à Nancy, ont assisté au meurtre, sur lequel je manque personnellement de précisions. Enfin, M. Spatz, âgé de quatre-vingt-un ans, a été trouvé mort chez lui : il avait été atteint d'une balle.
Tandis que tous ces meurtres étaient commis, une partie de la ville flambait et l'ennemi se livrait à un pillage général. Quatre-vingt-cinq maisons ont été incendiées à la main. L'église a été canonnée, à deux heures de l'après-midi, par une batterie d'artillerie placée sur une crête dominant Badonviller. Ce bombardement a eu lieu en présence des otages de Fenneviller, qu'on avait amenés auprès des pièces et qu'on obligeait à crier : hourra! avec les soldats, à chaque coup de canon.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 155, 156, 157.
DÉPOSITIONS faites, le 23 septembre 1915, à BADONVILLER (Meurthe-et-Moselle), devant la Commission d'enquête.
BAUQUEL (Paul), 53 ans, docteur en médecine, à Badonviller :
Je jure de dire la vérité. Le 12 août, j'étais en train de soigner des blessés allemands et français, quand j'ai vu passer lés pièces d'artillerie allemande qui, je l'ai su ensuite, se rendaient à la crête des Trois-Sauveux pour canonner notre église.
Les otages de Fenneviller, notamment le maire, m'ont raconté, qu'on les avait conduits auprès des batteries et qu'ils avaient assisté à la destruction du monument. A chaque coup de canon, m'ont-ils dit, les Allemands les obligeaient à se découvrir et à crier a hourra ! avec eux.
Après lecture, lé témoin a signé, avec nous.

Ferry (Louis), 51. ans, conseiller municipal à Badonviller
Je jure de dire là vérité.
Le 12 août, les Allemands, prétendant que des civils avaient tiré sur eux et qu'il y avait des francs-tireurs dans le clocher de l'église, menaçaient de massacrer la population et de brûler Badonviller. Pour leur démontrer qu'il n'y avait ici aucun franc-tireur, j'ai conduit moi-même un certain nombre d'Allemands à l'hôtel de ville, qui est situé en face de l'église et qui domine une partie de la ville. De là, ils ont tiré plusieurs coups de fusil par les fenêtres. Un peu plus tard, ayant dû encore escorter des soldats à travers les rues, je les ai vus tirer sur les maisons avec des cartouches qui, en fusant, mettaient le feu partout.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

THOMAS (Émile), 55 ans, chef comptable à l'usine Fenal, à Badonviller :
Je jure de dire la vérité.
Le 12 août, j'ai vu les Allemands tirer des coups de fusil dans les vitres des maisons de Badonviller, et, en ma présence, ils ont mis le feu, avec de la paille enflammée, à la maison de Mme veuve Roland.
Après lecture le témoin a signé avec nous.

Nos 158, 159, 160, 161.
DÉPOSITIONS reçues, le 20 octobre 1914, à DIGOIN (Saône-et-Loire), par M. GACON, juge de paix.
JACQUEL (Juliette), veuve Joseph DÉPOUTOT, 60 ans, ménagère, domiciliée à Badonviller, réfugiée à Digoin depuis le 30 août 1914 :
Serment prêté.
Dès le matin du 12 août dernier, Badonviller fut occupé par les troupes allemandes; sans aucune provocation de la part des habitants, et quoi qu'il n'y eût aucun soldat français dans la ville, les Allemands se mirent à tirer des coups de fusil sur les maisons, par les fenêtres, les portes et les soupiraux. J'ai vu tuer de la sorte M. Gruber, facteur des postes, M. et Mme Georges, manoeuvres à la faïencerie, mes voisins. Je me réfugiai, avec ma fille Alice et ma petite-fille, chez mon frère, Jean-Baptiste Jacquel, qui demeure dans un autre quartier; mais il était déjà arrêté. Vers une heure de l'après-midi, les Allemands vinrent donner l'ordre d'ouvrir les portes et les fenêtres ; puis, remarquant sur la maison de mon frère des pigeons domestiques, ils feignirent de les prendre pour des pigeons voyageurs, malgré nos dénégations, et les officiers donnèrent l'ordre de mettre le feu à la maison, ce qui fut fait immédiatement au moyen de bombes. Je parvins à m'échapper; mais ma fille Alice et ma petite-fille durent rester dans la maison en flammes, sous la menace des fusils; pendant ce temps-la, la fusillade crépitait dans les rues de la ville. Cependant ma fille et ma petite-fille purent s'échapper par une porte de derrière; elles gagnèrent la campagne, au milieu de la fusillade, et se réfugièrent dans un bois. Quant à moi, je fus arrêtée avec d'autres femmes et des enfants, et nous fûmes conduits en dehors de la ville, où nous restâmes jusqu'à dix heures du soir; puis, l'on nous fit rentrer en ville et l'on nous garda jusqu'à cinq heures du matin, toujours sous menace de mort au moindre geste ou au moindre regard hostile.
J'ai vu les soldats allemands piller les magasins et les maisons, s'emparer des meubles et de la literie, qu'ils chargeaient sur des voitures, prendre tous les animaux de basse-cour et mettre le feu aux maisons. J'ai retrouvé ma maison pillée et les meubles brisés ; quant à la maison de mon frère, située rue du Faubourg-d'Alsace, il n'en reste plus rien.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

DÉPOUTOT (Alice), 19 ans, velouteuse, domiciliée à Badonviller, réfugiée à Digoin, fille du précédent témoin :
Serment prêté. Lorsque les Allemands arrivèrent à Badonviller, je me réfugiai, avec ma mère. et ma fille âgée de dix mois, chez mon oncle, Jean-Baptiste Jacquel, rue du Faubourg d'Alsace. Vers une heure de l'après-midi, les Allemands, apercevant des pigeons domestiques sur la maison de mon oncle, feignirent de croire, malgré nos affirmations contraires, que c'étaient des pigeons voyageurs; ils incendièrent la maison au moyen de bombes. Ma tante, ma fille et moi fûmes obligées de rester dans la maison, sous peine d'être fusillées, et nous aurions été certainement brûlées vives, si nous n'avions pu nous échapper par une porte de derrière et gagner la campagne, puis un bois. A l'entrée du bois, nous fûmes arrêtées et fouillées par des soldats ; l'on me vola ma montre en argent, ainsi que quelques provisions que j'avais réussi à emporter (sucre, chocolat et pain). Nous restâmes environ quatre heures dans ce bois et nous réussîmes à nous sauver ; mais nous fûmes reprises plus tard et enfermées au château des Merises, appartenant à M. Trudelle, où nous restâmes, sans manger, jusqu'au lendemain sept heures. Enfin, nous fûmes relâchées, et les Allemands évacuèrent Badonviller peu après; mais ils revinrent huit jours plus tard, et à ce moment-la, tout le monde s'enfuit, car on craignait de nouvelles atrocités.
Pendant leur première occupation, les Allemands brûlèrent quatre-vingt-sept maisons ; j'en ai vu brûler huit pour ma part, et toutes furent incendiées au moyen de bombes. Tous ces incendies eurent lieu sans nécessité, puisqu'il n'y avait pas de soldats français à Badonviller et qu'il n' y eut aucune provocation de la part des habitants.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

FRISON (Charles), 46 ans, faïencier, domicilié à Badonviller, réfugié à Digoin :
Serment prêté.
Le 12 août dernier, lorsque les Allemands vinrent dans mon quartier, ils firent sortir tout le monde des maisons, et ils tiraient sur ceux qui ne sortaient pas assez vite : c'est ainsi qu'ils ont tué un de mes voisins, Georges Odinot, âgé de seize ans, et qu'ils ont brûlé son cadavre en le jetant dans une maison qu'ils incendièrent. Dans mon quartier, ils ont brûlé une dizaine de maisons, et les incendies étaient allumés à l'aide de projectiles de la forme d'un oeuf, lancés par un canon.
J'ai été arrêté avec presque tous les habitants de mon quartier et conduit, baïonnette au canon, dans la cour du château de la Faïencerie, où nous fûmes parqués dans un coin. Un officier nous dit : «  Puisque votre Gouvernement vous donne des armes pour tuer nos braves soldats, nous vous tuerons jusqu'au dernier si nous sommes obligés de reculer. » Cette assertion de l'officier allemand était mensongère; car le Gouvernement ne nous avait point donné d'armes. Comme je comprends l'allemand, j'ai entendu, pendant la nuit, un gradé (sergent, je crois,), dire à un autre gradé : «  Nous avons fait main basse sur trente mille francs. » J'ai été gardé à cet endroit pendant vingt-quatre heures; ma femme a été relâchée à dix heures du soir, quant à mon fils Adolphe, il a été emmené avec d'autres jeunes gens, très loin, où ils durent creuser des tranchées. Il est resté pendant deux jours sans manger.
Lorsque je suis revenu dans ma maison, je n'ai trouvé que des ruines : elle était brûlée avec tout mon mobilier.
Après le départ des Allemands, j'errai par la ville. Je vis quatre-vingt-sept maisons, y compris l'église, détruites par l'incendie; toutes les maisons non brûlées étaient pillées de fond en comble. Lecture faite, persiste et signe avec nous.

FRISON (Adolphe), 19 ans, domicilié à Badonviller, fils du précédent témoin :
Serment prêté.
Le jour où les Allemands entraient à Badonviller, j'étais, vers les neuf heures du matin, dans un café avec trois camarades. Soudain, un officier et des soldats donnèrent de grands coups de pied dans la porte, entrèrent et nous intimèrent l'ordre de sortir. Trouvant sans doute que je n'obéissais pas assez vite, l'officier me prit par le bras, me bouscula vivement et me donna un coup de pied dans le derrière ; puis, l'on nous mena sous les halles de la ville, où l'on nous garda jusqu'au lendemain matin sans nous donner à manger. Nous fûmes alors remis en liberté, mes camarades et moi, et nous voulûmes rentrer dans notre quartier pour tâcher de nous restaurer. Tout étant brûlé, nous nous acheminions vers la faïencerie, lorsque nous fûmes arrêtés par quatre uhlans qui nous forcèrent à monter dans une voiture et nous emmenèrent assez loin, pour ramasser des blessés allemands que nous transportâmes dans une ambulance. Nous nous croyions au bout de nos peines; mais les uhlans nous firent remonter en voiture et nous conduisirent beaucoup plus loin, jusqu'aux lignes de combat, où l'on nous fit travailler aux tranchées pendant toute la journée, sans boire ni manger. Enfin, nous fûmes relâchés vers six heures du soir. Pendant notre détention dans les tranchées, nous avons été très malmenés par les sous-officiers et les soldats; nous avons été alignés et mis en joue comme pour être fusillés, et ce à plusieurs reprises: sans l'intervention d'un officier qui s'est montré un peu plus humain, nous aurions été certainement tués. J'ai constaté que les officiers étaient moins féroces que leurs soldats.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

Nos 162, 163, 164.
DÉPOSITIONS faites, le 27 octobre 1914, à CRÉVIC (Meurthe-et-Moselle), devant la Commission d'enquête.
GOBERT (Victorine), veuve HAGNEL, 69 ans, sans profession, à Crévic :
Je jure de dire la vérité.
Le 22 août, une troupe d'Allemands s'est présentée chez nous. Mon mari leur a fait bon accueil. J'ai néanmoins remarqué qu'ils avaient l'air féroce : aussi me suis-je rendue chez un voisin pour le prévenir. Ces gens-là, en effet, poussaient des cris de menace. En sortant de la maison de cet homme, j'ai vu que notre habitation brûlait, et j'ai eu de suite le pressentiment que mon pauvre mari avait été jeté dans les flammes. Ce n'était malheureusement que trop vrai. Hagnel a été retrouvé mort dans les décombres. Je n'ai pas voulu voir son cadavre, c'était trop pénible; mais M. Roger, adjoint au maire a fait des constatations dont il vous rendra compte.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Roger (Charles), 49 ans, adjoint au maire de Crévic :
Je jure de dire la vérité.
J'ai vu le cadavre de M. Hagnel presque carbonisé. Il portait à la gorge une blessure profonde et large, qui avait dû être faite avec une baïonnette. Quant aux incendies, j'affirme que les Allemands les ont allumés volontairement.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Michel (Louis), 50 ans, scieur de long à Crévic :
Je jure de dire la vérité.
Le jour où le feu a été mis à notre village, c'est-à-dire le 22 août, un soldat allemand avait déposé un plan sur mon établi. Il m'a saisi par le bras, et m'a fait constater que ce plan était celui de la commune. Les maisons qui devaient être brûlées y étaient indiquées au crayon bleu. Il m'a notamment fait remarquer l'emplacement du château du général Lyautey, en disant : «  Général, général, brûlé ! » (1)
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 165.
DEPOSITION faite, le 30 juin 1915, à PARIS, devant la Commission d'enquête.
LECOMTE (Odile), femme LEONARD, 51 ans, commerçante à Audun-le-Roman (Meurthe- et-Moselle), actuellement à Levallois-Perret
Je jure de dire la vérité.
Du 4 août, date de leur arrivée à Audun-le- Roman, jusqu'au 21 du même mois, les Allemands n'ont fait de mal à personne et se sont contentés de proférer fréquemment des menaces. Le 21, ils ont simulé une attaque, vers cinq heures du soir, et ont commencé à incendier la commune. L'incendie devait durer quatre jours. Le 21 également, plusieurs assassinats ont été commis. Mlle Roux a été grièvement blessée au bras, d'un coup de feu, pendant qu'elle donnait à boire à un soldat allemand; Mme Giglio, Mlle Trelfel, Mme Zappoli et la domestique de M. Scaglia, prénommée Rosalie, ont été blessées aussi. M. Marin (Théophile), cultivateur, a été saisi chez lui, poussé dehors et fusillé sur son fumier, en présence de sa femme et de sa fille. Celle-ci a eu son tablier couvert du sang de ce malheureux. M. Chary, chef cantonnier, qui sortait de chez lui pour se sauver, a été tué à coups de fusil dans la rue. M. Somen, rentier, a été massacré au moment où, venant de reconduire un officier supérieur allemand qui l'avait remercié de son hospitalité, il fermait la porte de sa maison. Comme il appelait au secours, deux voisins, Édouard Bernard et Émile Michel, sont accourus. Ils ont été empoignés, dévalisés et maltraités, puis traînés à Ludelange (Lorraine annexée), ou ils ont été fusillés
Je suis partie le 22 et Rentrée à Audun le 23. Une grande partie du bourg était brûlée. Ce jour-là, un douanier ennemi a tué M. Émile Collignon. J'ai vu, ainsi que ma nièce ici présente, le cadavre de ce dernier sur un fumier, entre un veau et un porc en partie grillés. Un soldat allemand, originaire d'Hayange (Lorraine), m'a déclaré que les troupes avaient reçu licence de tout faire et de fusiller les hommes. Nous avons quitté définitivement Audun le 24 août. Notre maison n'était pas encore brûlée. Elle l'a été depuis. Aujourd'hui tout est incendié, sauf une dizaine d'immeubles. Le pillage a été complet. Après lecture, le témoin a signé avec nous et avec sa nièce : DECOUVELAIR (Mathilde), femme BERNARD, 36 ans, négociante à Audun-le-Roman, actuellement à Levallois-Perret, laquelle a déclaré confirmer de tout point la déposition ci-dessus, serment préalablement prêté.

N° 166.
DÉPOSITION faite, le 21 septembre 1915, à LUNÉVILLE, devant la Commission d'enquête.
HERRGOTT (Camille), 50 ans, percepteur des contributions directes à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle), actuellement en résidence à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Audun-le-Roman pendant l'occupation allemande, du 4 août 1914, jour de l'arrivée de l'ennemi, jusqu'au 22 du même mois. Le 21 au soir, j'ai vu brûler une soixantaine de maisons. Elles avaient été incendiées par les Allemands, qui, cependant, ne formulaient contre la population aucun grief et n'avaient à se plaindre de personne. Un de leurs généraux, logé chez moi, m'avait d'ailleurs dit quelques jours avant, que le maire s'était fort correctement conduit et qu'on avait fait tout ce qui était possible pour les réquisitions. Le lendemain matin, j'ai vu les cadavres de M. Martin (Théophile), âgé d'environ soixante-dix ans, et de M. Chary (Auguste), âgé de cinquante-cinq ans, chef cantonnier. J'ai su que M. Martin avait été lâchement assassiné devant sa maison, en présence de ses filles et malgré leurs supplications. Enfin, j'ai constaté la blessure qu'avait au bras Mlle Roux. Celle-ci m'a raconté qu'elle avait reçu une balle d'un soldat allemand pendant qu'elle donnait à boire à un autre.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 167, 168, 169.
DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY, devant la Commission d'enquête.
AUBRION (Marie-Marguerite), femme WILLEMIN, 55 ans, domiciliée à Audun-le-Roman, actuellement réfugiée à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Depuis le 4 août 1914, date de l'arrivée des Allemands, je suis restée à Audun-le-Roman jusqu'au 22 du même mois. J'ai vu les soldats ennemis mettre le feu à de nombreuses maisons. Ils s'approchaient des murs, et la flamme jaillissait aussitôt. Ces faits se sont passés le 21 et le 22. Étant revenue le 23, pour un jour, j'ai été témoin d'autres incendies. J'ajoute qu'à Malavillers, où j'ai séjourné pendant un jour et une nuit, le samedi 22, beaucoup d'habitations ont été également brûlées. Mme Gentil, habitante de cette commune, ma dit que les Allemands venaient d'assassiner son mari et de voler l'argent de ce malheureux. J'ai vu, à Audun, le cadavre de M. Chary sur la route, et celui de M. Collignon sur un tas de fumier. Le soldat qui a tué Collignon a dit en français, en ma présence : «  Je viens encore d'en descendre un. » Enfin, Mlle Roux m'a montré la blessure qui lui avait été faite au bras par un coup de feu, au moment où elle était à sa fenêtre (1).
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

(1) Mme Roux était à sa fenêtre, au rez-de-chaussée, et refermait ses volets après avoir donné à boire à un soldat allemand qui se trouvait dans la rue, lorsqu'un autre soldat tira sur elle et la blessa au bras. (Note de la Commission.)

GUITTIN (Mélanie), veuve MICHEL, 47 ans, domiciliée à Audun-le-Roman, de passage à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 4 août 1914 les Allemands ont envahi ma maison où s'est logé, notamment, un général avec son état-major. Ce général a reconnu que ni lui ni ses hommes n'avaient à se plaindre de nous, car, le 6, il m'a dit : «  Madame, je vous remercie. Nous avons été très bien chez vous. Nous ne serons pas souvent si bien pendant la guerre. » Le même jour, un officier m'a conseillé de ne pas rester à la frontière et m'a remis, sans doute pour me faciliter mon départ, une lettre rédigée en allemand. Cette lettre, dont je n'ai pas compris le texte, était signée : «  Lieutenant von Bitter, du 7e dragons de Sarrelouis ».
Le 7, les troupes allemandes qui occupaient Audun ont quitté la ville et ont été remplacées par d'autres; mais elles sont revenues le 21, remontant vers la frontière, et mon mari a reconnu les officiers qui avaient mangé chez nous. Ce jour-là, vers six heures et demie du soir, comme on craignait un bombardement, Mme Somen est venue nous trouver, dans le but de se réfugier avec nous dans notre cave, qui est voûtée. Quelques instants après, une personne l'ayant prévenue que son mari venait d'être blessé et la réclamait, elle s'est rendue en toute hâte dans sa maison, où nous l'avons suivie. M. Somen gisait dans la cour. Nous l'avons transporté de suite dans son salon et nous lui avons prodigué des soins. Il nous a déclaré alors qu'il avait reçu des balles dans le corps, et que c'était un jeune officier qui avait tiré sur lui avec un browning. Nous étions occupés à le soigner, et il venait de confier à Michel une somme de deux mille francs, quand des Allemands, faisant irruption dans la maison, se sont jetés sur nous et nous ont poussés dehors. J'ai pris mon mari par le bras et nous avons été emmenés sur la route de Beuvillers, par des soldats qui nous frappaient brutalement. Ceux qui étaient à cheval nous portaient à chaque instant des coups de pied, en vociférant. A un certain moment, je me suis trouvée séparée de mon mari, qui a été conduit, avec M. Bernard, dans la direction de Boulange. Je sais qu'il a été fusillé à Ludelange. J'ajoute que, le 22 août, dans l'après-midi, j'ai vu les corps des jeunes Thiéry (Georges) et Rodicq (Marcel), âgés tous deux de dix-huit. ans. Ces deux jeunes gens avaient été fusillés en présence de Mme Thiéry, qui s'était mise à genoux devant les Allemands pour les supplier d'épargner son fils et l'ami de celui-ci. Je tiens ces détails de Mme Thiéry elle-même.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

BOUR (Marie), 21 ans, femme LAGNEAU, demeurant à Audun-le-Roman, réfugiée à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 22 août 1914, dans la matinée, j'ai vu les cadavres de MM. Chary (Auguste), Thiéry (Georges) et Rodicq (Marcel). Celui de Chary était étendu sur la place d'Audun; ceux de Thiéry et de Rodicq se trouvaient en haut du village.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 170.
DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS, devant la Commission d'enquête. LECOMTE (Marie), 43 ans, demeurant à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle), réfugiée à Levallois-Perret :
Je jure de dire la vérité.
Je me trouvais à Audun-le-Roman au début de l'occupation allemande. Du 4 août 1914 au 21 du même mois, nous n'avons pas eu trop à nous plaindre de l'ennemi, bien qu'il fût exigeant et parfois menaçant; mais à partir du 21, la situation s'aggrava d'une façon terrible. Je n'ai pas assisté personnellement à tous les crimes qui ont été commis. Voici ce que j'ai vu:
Le 21 août, à la tombée de la nuit, des femmes d'employés de chemin de fer, qui habitaient la cité située à l'extrémité du bourg, sont passées devant chez moi en courant et en poussant des clameurs désespérées, tandis que les Allemands hurlaient et sonnaient du clairon. Je me suis alors aperçue que la cité était en feu. Le lendemain matin, ayant appris qu'Audun allait être bombardé, je me suis rendue à Malavillers avec beaucoup d'autres habitants. Ce jour-là, une bataille s'est engagée, à la suite de laquelle l'ennemi est entré dans ce village, qu'il a presque entièrement incendié. Le 23, je suis rentrée chez moi et j'ai trouvé ma maison occupée par des soldats qui étaient en train de la piller. De nombreuses habitations avaient été déjà brûlées et l'incendie continuait. Dans la matinée, des Allemands, après avoir tiré sur l'un des côtés de la maison Laguë, se sont précipités dans cet immeuble e
t en ont fait sortir deux hommes, MM. Rémer et Rodicq, dont j'ai entendu les cris perçants. Ces deux hommes ont été dépouillés de leurs vêtements et mis nus jusqu'à la ceinture. Voyant qu'on se préparait à les fusiller, je me suis retirée, toute bouleversée, de ma fenêtre.
Vers quatre heures de l'après-midi, je suis passée auprès des cadavres, qui avaient été laissés à l'endroit où ils étaient tombés. Pendant que j'étais à Malavillers, dans la nuit du 22 au 23 août, un soldat qui était venu réquisitionner une voiture pour transporter des blessés, nous a dit qu'il appartenait à l'armée du Kronprinz, et qu'un ordre venu de haut prescrivait de brûler tous les villages dans lesquels on rencontrerait des soldats français.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 171.
DÉPOSITION reçue, le 28 août 1914, à PARIS, par M. GITZNER, inspecteur du commissariat de police du quartier Saint-Gervais.
MINELLI (Emilia), 44 ans, née à Bergalto (Italie), mariée, huit enfants, momentanément hospitalisée au lycée Charlemagne, puis à l'Hôtel-Dieu :
Je résidais, avec mon mari et mes enfants, à Audun-le-Roman depuis dix ans et nous occupions une maison située sur la route de Malavillers, à deux cents mètres environ du pays.
A partir du 4 août, les Allemands ont commencé à envahir la région. Il n'y avait que des cavaliers. Ils ont commencé par réquisitionner, et cela sous la menace du fusil ou du revolver. Puis ils exigèrent qu'on leur servît à boire; personnellement, j'ai dû donner toutes mes provisions et verser de la bière à tous ces gens. Les hommes de troupe, pour la plupart, ne payaient pas; seuls les officiers réglaient leurs dépenses sans élever d'objections. J'avais la certitude que si j'avais refusé de satisfaire à leurs demandes, ils m'auraient passée par les armes.
Cette situation a duré du 4 au 21 août. Pendant cette période critique, sachant que les Allemands avaient fusillé plusieurs hommes du village, j'ai supplié mon mari de se cacher. Il s'est donc tenu dans le grenier de notre maison, et c'est là que je lui servais ses repas. Après avoir épuisé le pays, les troupes allemandes qui y étaient cantonnées se sont retirées; mais j'ignore quelle direction elles ont prise. Ce départ a eu lieu dans la nuit du 20 au 21 août.
Le 21 août, vers six heures et demie du soir, une autre troupe de cavaliers allemands a approché d'Audun-le Roman. Chez moi, j'avais fermé toutes les issues et je me tenais, avec mes enfants et une dame Giglio, dans ma cour. Tout à coup, les vitres de la porte d'entrée volèrent en éclats : un coup de feu venait d'être tiré. Au même instant, deux uhlans ont ouvert la porte, sont entrés dans la cour, et, sans prononcer une parole, nous ont mis en joue et ont fait feu aussitôt. Mme Giglio a été très grièvement blessée au ventre (je crois qu'elle est morte maintenant), et moi-même j'ai été blessée au bras droit. Ces deux hommes se sont ensuite retirés. Après leur départ, mon mari est venu à notre secours et nous a prodigué les premiers soins.
Le gros de la troupe ne trouvant plus sa subsistance dans Audun-le-Roman, mit en batterie quatre canons et commença à incendier le village, sans aucun motif, puisqu'aucun soldat français ne s'y trouvait ni n'y était venu. Ma maison n'a pas été épargnée.
Dans la nuit, nous avons pris la décision de quitter Audun-le-Roman, et, d'une seule traite, nous avons gagné Étain avec tous les habitants, deux cents environ (je crois que Mme Giglio a été conduite à l'hôpital de Verdun et que c'est là qu'elle a succombé). Nous sommes arrivés à Étain samedi, dans la journée.
En cours de route, les habitants d'Audun-le-Roman, desquels nous étions restés isolés jusque-là, nous ont appris que huit femmes, dont trois que je connaissais seulement de vue, avaient été blessées dans les mêmes conditions que Mme Giglio et moi.
Comme mon état ne me permettait pas de rester à Etain, j'ai pris, avec mon mari et mes enfants, un train à destination de Châlons-sur-Marne. Là, j'ai été conduite et admise à l'hôpital; mais on a dû me séparer des miens, et j'ignore où ils se trouvent actuellement. Je suis restée en traitement pendant deux jours à l'hôpital de Châlons et j'ai été dirigée ensuite sur Paris, où je suis arrivée hier, 27 août.
De la gare de l'Est, on m'a conduite au lycée Charlemagne; mais, comme j'avais besoin de nouveaux soins, j'ai été transportée ici. Je souffre beaucoup de ma blessure; cependant je suis en état de voyager, et je viens d'apprendre que j'allais être rapatriée dans mon pays d'origine par les soins de l'ambassade d'Italie.
(Suit la signature de l'inspecteur, le témoin ne pouvant signer à cause de sa blessure.)

Nos 172, 173.
DÉPOSITIONS reçues, le 19 octobre 1914, à BLOIS, par M. COSSON, procureur de la République.
MARTOUZET (Adèle), veuve MARTIN, 59 ans, cultivatrice à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle), actuellement réfugiée à Blois (Grand Séminaire) :
Serment prêté.
J'habitais avec mon mari, Martin (Théophile), âgé de soixante-six ans, Audun-le-Roman, où nous étions cultivateurs.
Le 4 août, les Allemands ont pénétré pour la première fois à Audun-le-Roman; le 5, ils y sont revenus et s'y sont installés chez l'habitant. Nous avions chez nous un capitaine et une quarantaine de uhlans avec leurs chevaux. Ils se conduisaient très brutalement, nous menaçant fréquemment de leur revolver. Ils sont restés ainsi jusqu'au 21. Ce jour-là, vers trois heures du soir, tous sont partis, après avoir démoli leurs installations, comme s'il s'agissait d'un départ définitif. Vers cinq heures, nous les avons vus repasser précipitamment et en désordre; ils donnaient des signes d'émotion, et des habitants les ont même vus se tirer les uns sur les autres ; ils tirèrent aussi de nombreux coups de fusil dans les portes et les fenêtres.
Vers sept heures du soir, nous vîmes pénétrer chez nous une trentaine de soldats d'infanterie, sous la conduite d'un lieutenant; ils entrèrent par le jardin, après avoir enfoncé la porte de la cuisine et la fenêtre de la chambre à coucher, brisèrent les chaises, puis prirent une lampe pour monter au premier étage, où nous nous trouvions avec mon mari, mes deux filles, ma soeur et mon petit commis, ainsi que l'enfant de ma fille, âgé de huit mois. Les Allemands nous saisirent tous, nous jetèrent dans l'escalier, en nous poussant à coups de crosse de fusil et nous disant «  qu'il y avait des soldats français cachés chez nous, d'où on avait tiré sur eux ». Nous leur offrîmes vainement de leur montrer toute la maison pour leur prouver qu'il n'y avait personne : ils ne voulurent rien entendre, et à ce moment, sans avoir fait aucun préparatif pouvant annoncer une exécution, ils tirèrent à bout portant trois coups de fusil sur mon mari, qui tomba aussitôt. Bien qu'il fût déjà mort, l'un d'eux lui fendit la tête d'un coup de sabre, lui mettant la cervelle à nu; des uhlans qui étaient survenus le piquèrent de leur lance. J'oubliais de vous dire qu'ils avaient déjà mis le feu à notre maison, qui brûlait tandis qu'ils tuaient mon mari.
Ils brûlèrent au même moment un certain nombre d'autres maisons du village, et continuèrent d'ailleurs les jours suivants ; je vous signale qu'avant d'y mettre le feu, ils jetaient le linge par les fenêtres et le chargeaient sur des automobiles qui attendaient dans la rue; j'affirme que plusieurs officiers présidaient à cet enlèvement du linge.
Après avoir tué mon mari, ils nous abandonnèrent devant notre porte, mais nous informèrent qu'ils nous interdisaient de quitter le village. Nous nous rendîmes alors au couvent des soeurs de la Doctrine Chrétienne, où bon nombre de femmes étaient déjà réunies et où, depuis le début de l'occupation, une ambulance avait été installée. Nous y passâmes la nuit, à l'exception de ma fille, Mme Liesenfelt, qui n'avait pu nous suivre. Le même soir, le chef cantonnier, M. Chary, qui avait mis sur ses vêtements une robe de femme pour essayer de se sauver, fut également tué à coups de fusil dans la rue; une demoiselle Marie Roux, âgée de trente-deux ou trente-trois ans, étant à sa fenêtre pour fermer ses volets, reçut une balle qui lui cassa le bras.
Pour tâcher d'adoucir les ennemis, nous restâmes, pendant deux jours, à soigner leurs blessés.
Le premier soir, ils nous avaient défendu de toucher au cadavre de mon mari, voulant qu'il restât devant notre porte; le lendemain, ils nous permirent de le conduire au cimetière, roulé dans une couverture, mais nous défendirent de lui faire creuser une fosse et de l'inhumer, disant que les autres troupes qui passeraient par la suite enterreraient les morts.
Le 23, nous fûmes autorisées à quitter Audun.
Ma fille, qui m'accompagne, pourra vous donner sur ces événements quelques détails complémentaires.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

MARTIN, (Amélie), épouse LIESENFELT, 28 ans, sans profession, demeurant à Audun-le Roman et actuellement réfugiée à Blois :
Serment prêté.
Je vous confirme de tout point le récit qui vient de vous être fait par ma mère. J'ajoute qu'après la mort de mon père, comme notre maison brûlait, je suis restée pour faire sortir le bétail. Ne sachant ce qu'était devenu le reste de ma famille, j'ai passé une partie de la nuit dans les rues. Rencontrée par des uhlans, ils me demandèrent où étaient les hommes de chez moi : je leur répondis qu'il n'y en avait qu'un, mon père, et qu'on l'avait fusillé. Ils me dirent alors que j'étais sa complice et que j'allais subir le même sort, et me mirent la pointe de leurs lances sur la poitrine ; c'est alors que certains d'entre eux, qui étaient lorrains, prirent ma défense, et obtinrent qu'on me laissât tranquille. Au cours de la nuit, j'arrivai à mon tour chez les soeurs et j'y retrouvai ma famille.
Comme ma mère vous l'a dit, nous soignâmes là les blessés; le dimanche, un lieutenant blessé dit à ma tante, Mlle Treffel, qui le soignait: «  Vous avez été bonne pour moi, je vais vous dire quelque chose: ne quittez pas vos croix rouges et fuyez au plus vite, car, lorsqu'on emmènera nos blessés, on vous fusillera-tous. J'ai intercédé pour vous, mais je n'ai rien gagné. » C'est à la suite de cet avertissement que nous partîmes toutes précipitamment. Au cours de notre route, nous arrivâmes à Rouvres, à cinq kilomètres environ d'Étain, où les Allemands nous défendirent de passer; un Messin, qui était là pour aider au transport des blessés, nous dit qu'on ne voulait pas nous laisser voir qu'on venait de fusiller le reste de la population de Rouvres, une quarantaine de personnes.
Nous tombâmes ensuite parmi des Saxons, qui se montrèrent très bons pour nous et nous firent conduire en voiture à Verdun.
Nous avons appris, en passant à Trieux, qu'après notre départ, un M. Jolas, dit Collignon (Emile), soixante-cinq ans environ, avait été tué par les Allemands et enterré dans son fumier. On nous a assuré que, finalement, treize personnes auraient été tuées a Audun-le-Roman; mais nous ne l'avons pas vu personnellement. Ce que nous savons, par l'intéressée elle-même, c'est qu'une dame Matte, débitante, notre voisine, qui partait avec 2.100 fr., s'est vu prendre cette somme par les Allemands.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

N° 174.
DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M. CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la Commission d'enquête instituée par décret du 2 3 septembre 1914.
MATHIEU (Nicolas-Théodule), agent voyer en retraite, maire d'Audun-le-Roman, résidant actuellement à Nancy :
Serment prêté.
Les troupes allemandes sont entrées à Audun-le-Roman le 4 août 1914, à cinq heures et demie du soir. Pendant plusieurs jours et jusqu'au 21 août, la population de la ville a eu certainement à souffrir de réquisitions, vexations et brutalités de tout genre; en ma qualité de maire, j'ai été incarcéré à plusieurs reprises, ligoté, mis en joue par un peloton; mais tous ces excès ne sont rien à côté des crimes qui ont été commis le 21 et le 22 août.
Le 21 août, vers quatre heures de l'après-midi, des troupes en débandade entrèrent à Audun, paraissant venir de la direction d'Etain. La plupart traversèrent la ville sans s'arrêter. Un détachement, qui accompagnait des voitures chargées de morts liés trois par trois, fit tomber intentionnellement deux cadavres : l'un dans l'avenue de la gare, l'autre au centre de l'agglomération. Je n'ai pas vu ce dernier; mais j'ai vu personnellement jeter le premier, et après lui quelques havresacs. Il était alors six heures ou six heures et demie du soir. Immédiatement, on entendit quelques coups de fusil. Les Allemands prétendirent que les habitants les avaient attaqués, et se mirent à tirer dans les fenêtres et sur la population, particulièrement sur les hommes.
M. Martin, cultivateur, fut arraché de sa maison et tué sur sa porte en présence de sa femme et de ses enfants; le feu fut mis immédiatement à sa maison : ce fut le premier incendie.
Le cantonnier-chef Chary (Auguste), âgé de cinquante-deux ans, fut tué au moment qu'il sortait de l'église, où de nombreuses personnes s'étaient réfugiées.
M. Somen (Ernest), âgé de cinquante trois ans, ancien maire, fut abattu par un officier au moment où il fermait la porte de sa grange. Il a survécu trente heures à ses blessures, les Allemands interdisant qu'on lui donnât le moindre soin. MM. Michel (Emile), adjoint, âgé de cinquante-quatre ans, et Bernard (Edouard), soixante-huit ans, qui avaient voulu lui porter secours, furent arrêtés, ligotés et emmenés à Ludelange (Lorraine), où ils furent fusillés le lendemain. M. Michel avait reçu de M. Somen un sac contenant deux mille francs, que le mourant lui avait confié pour le rendre à Mme Somen, sa femme; on m'a assuré, mais je ne puis le certifier, que Michel et Bernard ont été fusillés sous le prétexte qu'ils avaient sur eux de l'argent volé à un civil.
Dans la même nuit du 21 au 22 août, les cités de la Compagnie de l'Est, les maisons Tarpin, Matte, Michel, Bernard, Sécheret, Chérer, Mangin ont été incendiées à la main. Mme Matte, qui s'enfuyait de sa maison incendiée, fut dépouillée par les soldats allemands d'une somme de deux mille francs qu'elle portait dans son réticule. Durant toute la nuit, les détachements qui continuaient à traverser la ville tirèrent sur la mairie.
Le lendemain, 22 août, les Allemands revinrent prendre position à Audun-le-Roman ; vers sept heures et demie du matin, un soldat vint me chercher et me conduisit près d'un officier, qui se trouvait sur le balcon de la maison isolée appartenant à M. Laguë. Cet officier me fit placer au milieu de la route, en m'enjoignant d'y rester. Presque aussitôt, j'aperçus les troupes françaises s'avançant du côté de Malavillers ; une fusillade nourrie s'engagea entre elles et les défenseurs de la maison. Ne voulant pas servir de cible à des balles françaises, je réussis à m'approcher de la maison et à m'abriter derrière le coin de celle-ci. Les Allemands reculèrent, et un petit détachement de nos troupes traversa la ville. Malheureusement, cet avantage fut de courte durée : les Allemands revinrent en masse, et le combat s'acheva vers Mercy-le-Haut et Fillières.
Dès le retour des Allemands, le même jour, dans la matinée, les atrocités du 21 recommencèrent. MM. Clabay et Laguë furent mis au mur; grâce au dévouement de la fille du premier, qui se jeta devant les fusils, ils ne furent pas exécutés. MM. Rémer père, Rodicq (Justin), Guyot ( Émile), Jolas (Emile), Thiéry (Georges), Rodicq (Marcel), Jolas (Gustave) et un ou deux Italiens dont j'ignore le nom, qui se trouvaient chez ce dernier, furent tués dans leur demeure ou sur la rue. Six femmes furent blessées : la bonne du sieur Scaglia, Mlle Roux, Mlle Treffel, les deux dames Zappoli et la dame Giglio, ces trois dernières de nationalité italienne.
A la suite de ces exécutions sommaires, des incendies furent systématiquement allumés dans toutes les maisons : les Allemands ne réservèrent que celles indispensables à leurs services. Il en reste à peine une douzaine sur quatre cents.
Une partie de la population avait quitté la ville dans la nuit du 21 au 22 août. Le reste, cent cinquante personnes environ, sur douze cents, fut évacué sur l'ordre des Allemands et dirigé sur les cités de Crusnes. Personnellement, je faisais partie de ce convoi et j'ai quitté la ville le dernier, le 24 août.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

N° 175.
DÉPOSITION reçue, le 11 août 1915, à NANCY, par M. CÉLICE, Procureur Général, agissant en exécution d'une commission rogatoire, en date du 5 août, de la Commission d'en- quête instituée par décret du 23 septembre 1914.
[Sur le désir du témoin, cette déposition, qui figure au dossier de la Commission sous le n° 175, ne sera publiée qu'ultérieurement.]

N° 176.
LETTRE complémentaire du précédent témoin.
[Pour le même motif que ci-dessus, la publication de la pièce n° 176 a dû être ajournée.]

N° 177.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, devant la Commission d'enquête. Dame Z..., 39 ans, demeurant à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 6 septembre, vers sept heures du soir, à Beuvillers, où je m'étais réfugiée après m'être sauvée d'Audun-le-Roman, et en l'absence de mon mari qui était mobilise, j'ai été surprise chez moi par deux soldats allemands. L'un deux m'a terrassée et violée en présence de ma petite fille, âgée de dix ans, qui essayait de venir à mon secours. L'autre soldat, pendant ce temps, maintenait fermée la porte vitrée derrière laquelle était l'enfant, et me tenait en joue avec son revolver.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 178, 179.
DÉPOSITIONS faites, le 19 février 1915, à LUMBIN (Isère), devant la Commission d'enquête.
HOGARD (Denise), veuve DUBREUIL, 29 ans, domiciliée à Jarny, près Conflans (Meurthe-et-Moselle) :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands sont arrivés à Jarny au commencement d'août. Comme un Italien venait de tuer son chien d'un coup de fusil, ils ont prétendu qu'on avait tiré sur eux et ils ont mis, vers le 25 août, le feu au village avec des torches et du pétrole. Ils ont réuni à la mairie le maire, le curé, deux soldats lorrains et neuf Italiens, parmi lesquels Carreoldi (René), âgé de vingt-quatre ans, mineur, avec qui je vivais. Le lendemain, ils ont fusillé les Italiens et les deux Lorrains dans un jardin; le maire, le curé, avec trois autres habitants (Fidler, Bernier et un vieux qu'on ne connaissait que sous le nom de Joseph), ont été exécutés ensuite sur la route de Conflans. Je suis allée voir les cadavres, aux endroits mêmes où les massacres venaient d'avoir lieu : ils étaient criblés de blessures. La cervelle de Carreoldi s'était répandue sur le sol.
La veille, quatorze Italiens qui demeuraient à Jarny avaient été fusillés à Gravelotte : j'ai vu également leurs corps. Au cours de l'incendie, des meurtres ont encore été commis. Mme Bérard et ses trois enfants se sauvaient dans leur jardin, quand les Bavarois ont tiré sur eux. Le petit garçon, âgé de cinq ans, a été tué dans les bras de sa mère. Les soldats l'ont ensuite arraché à celle-ci et ont jeté le petit cadavre dans la rue, où il est resté quatre jours, les ennemis ayant défendu de l'enterrer.
La famille Pérignon, pendant que sa maison brûlait, s'était réfugiée dans les cabinets d'aisance, qui se trouvaient au fond du jardin. Quand elle est sortie, le père, la mère et le fils, âgé de seize ans, ont été tués; la fille a été blessée au bras. Conduite à Metz, cette dernière a été soignée dans un hôpital, où un médecin allemand a pratiqué l'amputation. Le garde forestier Plessis a été découvert avec sa famille dans sa cave; les Allemands l'ont fait sortir, l'ont attaché à un arbre, puis l'ont fusillé devant sa femme, ainsi que son neveu. Ils ont en outre brûlé la maison.
J'ai vu personnellement les cadavres de toutes les victimes dont je viens de vous raconter la mort.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

NICOLAS (Marie), femme PIEFFER, 26 ans, domiciliée à Jarny :
Je jure de dire la vérité.
Vers le 25 août, j'ai vu les Bavarois mettre le feu à plusieurs maisons de Jarny avec des torches imbibées de pétrole.
J'ai été témoin du passage des corps de neuf Italiens, qui venaient d'être fusillés dans un jardin et qu'on transportait au cimetière. J'ai également vu, étendu à terre, le cadavre du curé, qui était criblé de blessures et dont les yeux pendaient, sortis des orbites. J'ai aperçu aussi celui du maire.
En ma présence, les Allemands ont traîné le corps du fils Pérignon du jardin jusqu'au bord du trottoir.
La famille Aufiero, qui se sauvait de chez M. Bérard, où le feu venait d'être mis, et qui traversait un fossé plein d'eau, a essuyé plusieurs coups de fusil. Le père a été tué; la jeune fille, âgée de treize ans, a été blessée au bras, et la fillette, âgée d'environ dix ans, a été atteinte à la jambe. La plus âgée de ces deux enfants a été amputée à Metz. J'ai vu le cadavre du père.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 180, 181, 182.
DÉPOSITIONS faites, le 22 septembre 1915, à NANCY, devant la Commission d'enquête.
ROBERT (Félix), 56 ans, receveur-buraliste à Jarny (Meurthe-et-Moselle), réfugié à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands, dès leur arrivée à Jarny, se sont livrés à un pillage général. Ils ont aussi commis de nombreux meurtres. Leur première victime a été M. Collignon (Joseph), qui a été tué à une cinquantaine de mètres de chez moi, le 10 août 1914. Pour obéir à l'ordre donné, il portait ses armes à la mairie, quand des soldats ennemis ont tiré sur lui. Comme il n'avait pas été atteint, ses agresseurs se sont mis à sa poursuite et l'un d'eux lui a porté un coup de baïonnette à la poitrine. Collignon est mort deux heures après; je l'ai vu pendant son agonie.
Le 25 et le 26 août, M. Génot, maire, le curé Vouaux, le jeune Fidler (François), âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, la famille Pérignon, M. Fournier, cafetier, et son neveu, M. Lhermitte (Ernest), menuisier, un ancien garde champêtre, nommé Plessis, et un certain nombre d'Italiens ont été massacrés.
Enfin, vingt-deux maisons ont été brûlées.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

DAVAL (Jean-Claude), 59 ans, percepteur des contributions directes à Jarny, actuellement sous-lieutenant au 41e régiment territorial d'infanterie :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Jarny jusqu'au 9 janvier dernier. Le 10 août 1914, un officier du 4e régiment d'infanterie bavarois s'est rendu chez moi, accompagné du maire et d'une dizaine de soldats, et, en me mettant le revolver sur le visage, m'a sommé de lui livrer ma caisse. Je lui ai déclaré, en lui montrant le reçu, que j'avais versé mes fonds entre les mains de mon collègue de Conflans. Sur ces entrefaites, l'officier ayant aperçu mes fusils de chasse, a enjoint au maire de faire déposer à la maison commune toutes les armes des habitants. M. Collignon a été tué au moment où il se rendait à la mairie pour obtempérer à cette injonction. J'ai entendu le bruit des coups de fusil qui ont été tirés sur lui.
Le 25 août, tandis que, me tenant dans mon corridor, je regardais à travers ma porte vitrée, j'ai vu, à quatre mètres de moi, un soldat bavarois du même régiment armer son fusil, tirer sur M. Lhermitte qui rentrait chez lui, et le tuer. Ce soldat est ensuite monté sur une voiture régimentaire, après avoir tiré, puis refermé sa culasse mobile.
Un quart d'heure après, j'ai assisté à l'incendie d'une maison appartenant à Mlle Anna François. Le feu a été mis dans une pièce du rez-de-chaussée, et cinq soldats se sont tenus devant l'immeuble, le fusil à la main, et dans l'attitude de chasseurs qui attendent le départ d'un lièvre. C'est d'ailleurs toujours ainsi que les Allemands agissaient. lls empêchaient les habitants des immeubles qu'ils brûlaient de prendre la fuite, et on n'avait que le choix entre ces deux traitements : être grillé ou fusillé. Plusieurs personnes ont trouvé la mort dans ces conditions, le 25 août. C'est comme cela qu'ont été tués les membres de la famille Pérignon. Le père, la mère et le fils ont été fusillés au fur et à mesure qu'ils sortaient de leur habitation en flammes. La fille, Mme Leroy, a eu un bras fracassé et a été plus tard amputée à Metz. C'est cette dernière qui m'a donné les détails de la scène. Le même jour, les Allemands ont également tiré sur Mme Bérard, qui se sauvait pendant que sa maison brûlait, et lui ont tué dans les bras son petit enfant âgé de deux ou trois ans. M. Aufiero, qui était chez elle au moment où l'incendie avait commencé, a été abattu dans sa fuite ; une de ses filles a eu un bras fracassé, et l'autre a reçu une balle dans la jambe.
J'ai su que le maire, M. Génot, le curé Vouaux, MM. Fidler et Bernier ont été alignés, le 26 août, le long d'une palissade, derrière l'auberge Blanchon, et fusillés au commandement, sous le prétexte qu'on avait tiré sur les Allemands. Vingt-deux maisons et le clocher ont été incendiés. Pendant que le clocher brûlait, les soldats chantaient, en s'accompagnant avec un piano mécanique, dans une auberge située à quelques pas de l'église. Ces incendies ont été allumés par ordre. Comme ma femme et moi entendions des Allemands piller une maison dont les chambres sont en bordure de mon jardin, j'allai trouver des officiers qui stationnaient en face de chez moi et je leur demandai si on allait continuer à brûler. Ils répondirent : «  Oui, tout le village y passera. » Je manifestai alors l'intention de quitter le pays, et on m'engagea à m'adresser à d'autres officiers qui étaient en groupe devant la poste. Ces derniers me déclarèrent que l'ordre d'arrêter les incendies venait d'arriver.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

BASTIEN (Henri), 35 ans, docteur en médecine à Jarny, actuellement à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Le 10 août 1914, comme je me rendais à la mairie de Jarny pour y déposer mes armes, j'ai entendu des coups de feu, et j'ai été appelé peu d'instants après à soigner M. Collignon, qui portait, au sommet du poumon gauche, une plaie pénétrante par arme blanche. Il m'a raconté que les Allemands avaient tiré sur lui sans l'atteindre, et que l'un d'eux l'avait frappé ensuite d'un coup de baïonnette. Il est mort environ deux heures après, et, pendant que je lui donnais mes soins, un officier, qui était venu s'enquérir de l'état du blessé, m'a dit : «  C'est une erreur regrettable. »
Le 14 août, j'ai soigné aussi un Italien atteint d'une balle au ventre; il est mort dans la soirée. Le 25, j'ai pansé M. Lhermitte, qui n'avait plus sa connaissance, quatre Italiens, sur lesquels les Allemands avaient également tiré, et Mme Bertrand, qui avait reçu une balle dans les deux mains au moment où elle était en train de fermer ses persiennes. Enfin, le 26, j'ai eu encore à m'occuper de trois blessés : Mme Leroy et deux enfants Aufiero.
J'ai vu les cadavres de M. et Mme. Pérignon et de leur fils; ces personnes avaient été tuées au moment où elles essayaient de franchir la clôture de leur jardin. Deux corps étaient d'un côté de la palissade et le troisième de l'autre côté.
Mlle Mathès m'a assisté, comme infirmière, dans ces tristes circonstances.
Après lecture, le témoin a signé avec nous et avec Mlle MATHÈS (Germaine), âgée de 22 ans, employée des postes à Jarny, actuellement à Nancy, qui, serment prêté, a confirmé la déposition ci-dessus, en ajoutant que Mme Bérard lui avait déclaré avoir eu son petit enfant tué dans ses bras par les Allemands.

N° 183.
DÉPOSITION faite, le 23 octobre 1915, à PARIS, devant la Commission d'enquête.
DUREN (Virginie), femme BÉRARD, 29 ans, domiciliée à Jarny (Meurthe-et-Moselle), réfugiée à Levallois-Perret :
Je jure de dire la vérité.
Le 25 août 1914, les 66e et 68e régiments bavarois se trouvaient ensemble à Jarny. J'ai reçu l'ordre de donner à boire à leurs soldats et je suis allée chercher pour eux un grand nombre de seaux d'eau. A trois heures de l'après-midi, un chef, m'ayant rencontrée, m'a dit que j'avais transporté assez d'eau et m'a enjoint de rentrer immédiatement chez moi. Comme les Allemands tiraient avec des mitrailleuses sur notre maison, je me suis réfugiée dans la cave avec mes deux fils, Jean, âgé de six ans, Maurice, âgé de deux ans, ma fille Jeanne, âgée de neuf ans, et la famille Aufiero. Bientôt notre habitation a été arrosée de pétrole; il en a été versé dans la cave par le soupirail, et nous nous sommes trouvés entourés de flammes. Je me suis alors sauvée, avec mes deux petits garçons dans les bras, tandis que ma fillette et la petite Béatrice Aufiero couraient, accrochées à ma robe. Au moment où nous traversions le ruisseau Rougeval, qui coule tout près de chez moi, les Bavarois ont tiré sur notre groupe. Mon petit Jean, que je portais, a été atteint de trois balles, une à la cuisse droite, une autre à la cheville et la troisième à la poitrine. La cuisse était presque détachée, et par la plaie de sortie du projectile qui avait traversé la poitrine, le poumon apparaissait. Le pauvre enfant m'a dit : «  Oh ! maman, que j'ai mal ! » et il est mort aussitôt. En même temps, la jeune Béatrice avait le bras droit tellement fracassé, qu'il ne tenait plus à l'épaule que par un lambeau de chair, et Angèle Aufiero, une enfant de neuf ans, qui nous suivait à peu de distance, recevait une blessure au mollet. La pauvre Béatrice souffrait cruellement et se plaignait en pleurant ; elle n'est pourtant pas tombée et a continué à marcher auprès de moi.
Pendant que ces faits se passaient, la famille Pérignon, qui habitait la maison voisine de la nôtre, était massacrée.
Quand on n'a plus tiré sur nous, j'ai voulu laver au ruisseau mon enfant, qui était couvert de sang; mais un soldat m'en a empêchée, en me criant : «  .. raas ! »
Au bout de quelques instants, nous sommes arrivés sur la route; tandis qu'on faisait sortir M. Aufiero de la cave, des Allemands, qui parlaient assez couramment français, ont dit à sa femme qui venait de nous rejoindre : «  Regarde fusiller ton Mann ! » Le malheureux, à genoux, demandait grâce, et comme sa femme criait : «  Mon pauvre Côme ! » les soldats lui répondirent: «  Tais ta gueule ! » L'exécution eut lieu à une vingtaine de mètres de nous.
Les Bavarois m'ont ensuite emmenée avec mes enfants, Mme Aufiero et sa fille, dans le pré du Pont-de-l'Étang. Un général a donné l'ordre de nous y fusiller : mais je me suis jetée à ses pieds en l'implorant et en lui embrassant les mains : il a consenti à m'accorder notre grâce. A ce moment, un officier, porteur d'une grande pèlerine gris clair, avec un collet rouge, a dit, en désignant mon enfant mort : «  Celui-là ne se battra pas plus tard contre les nôtres. »
Le lendemain, comme je m'étais réfugiée à la Barrière Zeller, un officier est venu me déclarer que le cadavre de mon enfant sentait mauvais et qu'il fallait m'en débarrasser. N'ayant trouvé personne pour faire un cercueil, je suis allée chercher dans les cantines deux caisses à lapins que j'ai clouées l'une au bout de l'autre; j'y ai déposé le petit corps, et il a été enterré par deux soldats dans mon jardin, où j'avais du creuser moi-même une fosse. Je portais au cou la photographie de mon enfant ; un officier a osé me demander de la lui vendre.
Les Bavarois ont commis à Jarny bien d'autres actes de cruauté. Une trentaine d'Italiens ont été massacrés. Dans une seule fosse, les ennemis en ont enfoui dix-huit. M. Génot, maire, M. l'abbé Vouaux et un Luxembourgeois, François Fidler, ont été fusillés dans les champs; M. Fournier, cafetier, et son neveu ont été tués près du cimetière Bertrand. MM. Lhermitte, menuisier, et Plessis, ancien garde champêtre, ont reçu la mort devant leur maison; M. Pérignon, charron, sa femme et leur fils, âgé de dix-sept ans, ont été massacrés dans leur cour. Leur fille, Mlle Leroy, a eu un bras fracassé par un coup de feu et a été amputée à Metz.
Mme Bertrand a eu plusieurs doigts coupés par une balle pendant qu'elle fermait ses persiennes. Enfin, M. Joseph Collignon a été tué d'un coup de lance, alors que, pour déférer aux ordres des Allemands, il portait ses armes à la mairie.
Un certain nombre de maisons et le clocher de l'église ont été incendiés avec du pétrole. Dans la sacristie, les soldats ont pris les ornements d'église et les objets du culte. On a retrouvé, dans les rues et dans les champs, les bannières, les nappes d'autel et jusqu'au drap mortuaire.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 184.
DÉPOSITION reçue, le 13 août 1915, à VICHY (Allier), par M. THÉVENARD, juge de paix.
MENNE (Maria), veuve FOURNIER, 41 ans, débitante à Jarny (Meurthe-et-Moselle), actuellement réfugiée à Vichy :
Serment prêté.
Les Allemands sont arrivés à Jarny le 23 août, et n'ont fait que passer pendant deux jours. Le 25 août, de nouvelles troupes ennemies ont passé; elles provoquèrent des scènes tragiques. Comme les troupes allemandes et françaises se livraient des combats d'artillerie, mon mari, mon neveu Henri Menne, ma nièce Marie Menne, mon fils Henri Fournier et moi, nous nous réfugiâmes dans notre cave, vers cinq heures de l'après-midi. Ayant entendu qu'on enfonçait les portes du débit, mon mari, Alexis Fournier, remonta avec mon neveu Henri Menne. Sans aucune explication, les Allemands les firent monter en auto ; ils les emmenèrent à six cents mètres environ de chez nous et les fusillèrent tous les deux, sans raison et sans jugement.
J'affirme que mon mari et mon neveu n'avaient pas d'armes et n'avaient pas cherché à se défendre contre les troupes allemandes.
Je n'ai appris que le 27 août au matin, par une voisine, Mme Schwartz, que mon mari et mon neveu avaient été fusillés. Elle me dit qu'elle avait vu les corps à l'entrée de la commune, près de la maison Perrin. Je m'y suis rendue aussitôt, et j'ai constaté qu'en effet mon mari et mon neveu avaient été lâchement fusillés. Je les ai fait enterrer le 28 août.
J'ai appris ensuite que M. Génot, maire, M. le curé de Jarny remplaçant son frère, la famille Pérignon, composée du père, de la mère et d'un enfant, M. Lhermitte et d'autres personnes de la commune, au nombre de quarante-sept, ont été également fusillés sans motif par les soldats du 8e bavarois.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

N° 185.
DÉPOSITION faite, le 3 décembre 1914, à PARIS, devant la Commission d'enquête.
COLIN (Joseph), 51 ans, professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris :
Je jure de dire la vérité.
Le 13 août, vers huit heures et demie du soir, des balles ont traversé les fenêtres de ma salle à manger, à Blamont, où je me trouvais depuis la fin de juillet. Ma fille et une domestique, qui étaient occupées dans cette pièce à lire et à travailler, sont venues immédiatement se réfugier auprès de moi, dans ma chambre à coucher. J'ai alors rassemblé toute ma famille, composée de ma femme, de mes trois filles et de ma belle-mère; j'ai également appelé mes deux bonnes, et nous nous sommes tous rendus dans une pièce qui était réservée à un officier allemand. A ce moment, une bande de Bavarois ayant essayé d'enfoncer les portes, une de mes domestiques est allée ouvrir, et les soldats, conduits par un officier, ont fait irruption dans l'appartement. Ils ont d'abord accusé ma seconde fille, âgée de treize ans, d'avoir tiré sur eux par une fenêtre; mais je leur ai démontré l'absurdité de cette allégation, et ils se sont retirés en nous disant que nous pouvions nous coucher. A peine avions-nous eu le temps de nous embrasser, qu'une seconde bande pénétrait chez moi. L'officier qui la conduisait paraissait furieux. Cette fois, c'est moi qui fus accusé d'avoir tiré. Ma fille aînée, qui protestait et me tenait par le cou, reçut à la tempe et à l'oeil un coup de crosse qui fit jaillir le sang et l'abattit. Elle en portera toujours la marque. Après avoir été, à mon tour, brutalement frappé, je fus traîné dehors. Un officier bavarois s'approcha de moi et m'adressa les plus grossières injures, me crachant à plusieurs reprises au visage. Pendant ce temps, ma belle-mère, mes filles et ma femme, qui étaient restées à la maison, étaient obligées de se coucher sur le plancher de la salle à manger, pendant que les Allemands enfonçaient le buffet, brisaient le piano et cassaient la vaisselle; ma belle-mère, ma femme et une bonne recevaient de violents coups de crosse. Comme je les entendais crier, je dis à l'officier qui m'insultait : «  Pour traiter ainsi des femmes, vous n'avez donc ni soeur ni mère ? » Il me répondit : «  Ma mère n'a jamais fait un cochon comme toi. »
Après ces incidents, j'ai été conduit à la mairie. Quand on m'en a fait sortir, je suis passé à un endroit où venait d'être fusillé M. Foëll. J'ai vu sur le mur du sang et de la cervelle.
Le 14, j'ai été emmené avec d'autres otages jusqu'à la frontière, et le 15 au matin, j'ai été mis en liberté, surpris d'avoir la vie sauve, car les menaces dont j'ai été l'objet m'avaient bien persuadé que je serais fusillé.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 186.
DÉPOSITION faite, le 22 septembre 1915, à NANCY, devant la Commission d'enquête.
BENTZ (Charles), 58 ans, conseiller général, maire de Blamont, chevalier de la Légion d'honneur, actuellement à Nancy :
Je jure de dire la vérité.
Je suis resté à Blamont jusqu'au 15 août 1914. Les Allemands y sont venus en patrouille dès le début de la guerre, et y sont arrivés en masse vers le 8 août. Ce jour-là, Mlle Cuny fut assassinée. Elle était occupée, avec son père, à moissonner dans les champs, quand, ayant entendu une fusillade, elle se cacha dans un fossé de bois. A un certain moment, comme un soldat s'approchait, elle se leva en criant : «  Ne tirez pas ! » Mais l'Allemand lui fracassa immédiatement la poitrine d'un coup de fusil tiré à bout portant.
Dans la soirée du 12, mon prédécesseur, M. Barthélémy, ancien maire, âgé de quatre-vingt-deux ou trois ans, a été tué par une salve tirée de la rue au moment où il s'approchait de sa fenêtre.
Le 13, vers huit ou neuf heures du soir, un peloton de douze hommes est venu me chercher à mon domicile et m'a emmené menottes aux mains. En arrivant près de la place Carnot, devant la maison de Mme Brèce, les soldats m'ont montré une ouverture de grenier, de laquelle, prétendaient-ils, on avait tiré sur eux; puis on m'a conduit sur la place de l'Hôtel-de-Ville, où j'ai trouvé M. Foëll, cafetier, qui avait été arrêté et qu'on a «  collé au mur » devant un peloton d'exécution. Alors que le malheureux Foëll attendait, la mort, le commandant de place fit aux troupes une allocution qui dura bien dix minutes ou un quart d'heure, tandis que les soldats me crachaient au visage et me frappaient à coups de pied et à coups de poing. Enfin, Foëll fut exécuté en ma présence et tomba comme une masse. Je pensais que j'allais être massacré après lui; mais le commandant m'a fait conduire à la mairie, après m'avoir dit : «  Vous allez monter à votre cabinet et vous y rédigerez une proclamation informant la population que, si le moindre incident se produit, vous serez fusillé avec un certain nombre d'habitants, et la ville sera mise à feu et à sang. » Je dois dire d'ailleurs que j'ai été arrêté à plusieurs reprises et que j'ai eu continuellement deux sentinelles auprès de moi. Les soldats allemands, qui pillaient les caves presque chaque soir, tiraient sans raison des coups de fusil dans les rues. Le lendemain de leur arrivée en masse, ils avaient pillé, puis incendié la chocolaterie Burrus.
Il est à ma connaissance que plusieurs viols ont été commis. La dame X..., qui était accouchée quinze jours auparavant, a été outragée par des soldats, et il paraît qu'elle a succombé aux suites des violences qu'elle a subies.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

N° 187.
DÉPOSITION reçue, le 6 septembre 1914, à GRAY, par M. DANION, procureur de la République.
GEORGE (Joseph), 55 ans, régisseur du baron de Turckheim, demeurant à Blamont, réfugié à Gray :
Avant la mobilisation, les patrouilles allemandes ont commencé à passer la frontière. Après la mobilisation, des escarmouches se sont produites à Blamont. Un hussard français a été sauvé par les habitants; un autre hussard, blessé et tombé de cheval, a été achevé par les Allemands, qui l'ont criblé de balles. Sans pouvoir préciser la date, le 4 ou le 5 août, les Allemands sont entrés en force à Blamont; ils ont traversé la ville en chantant, en hurlant même.
Ils se sont installés à la mairie, ont pris M. Bentz (le maire) comme otage : il ne pouvait faire un pas sans être accompagné d'hommes armés.
Ils ont aussitôt commencé les réquisitions et vécu sur le pays. Ils ont occupé la ville pendant dix jours. La nuit, toutes les portes et fenêtres devaient être ouvertes et éclairées.
Toutes les caves ont été vidées. Ils étaient tous ivres. La nuit, c'étaient des coups de feu tirés par eux, et ils prétendaient que les habitants tiraient sur eux. M. le maire avait prévenu les habitants que, sous peine d'être fusillés, ils devaient déposer toutes leurs armes à la mairie; c'est ce qui a été fait. Toutes les armes ont été saisies par les Allemands et envoyées par eux à Sarrebourg. J'ai assisté au départ du camion qui les contenait. Des coups de fusil n'en étaient pas moins tirés. Ils ont décidé alors de prendre des otages.
Ils ont commencé par M. Foëll, cafetier. Ils l'ont fait fusiller le lendemain, sous prétexte qu'il avait été trouvé porteur d'un revolver. M. Foëll était originaire de Sarrebourg et âgé de cinquante ans.
Ils ont emmené une quinzaine d'otages : M. le curé, M. Colin, professeur à Paris, M. Toubhans, épicier, etc... Ils les ont abandonnés dans l'église d'un village voisin de la frontière à l'arrivée de nos troupes.
J'ajoute que Mlle Colin a été blessée dans son lit par des balles et des coups de crosse de fusil. J'ai entendu dire que Mme Brisse, belle-mère de M. Colin, avait également été maltraitée.
Un soir que M. Barthélémy, âgé de plus de quatre-vingts ans, ancien maire, ancien conseiller général, allumait de la lumière chez lui, les Allemands l'ont criblé de balles, sans aucun motif.
Une demoiselle Cuny, âgée de vingt-deux ans, étant dans les champs occupée à moissonner, et voyant venir, les Allemands, leur a crié : «  Ne tirez pas, ne tirez pas ! » Ils l'ont criblée de balles, en disant : «  Une Française de moins ! » Son père, qui était caché dans un fossé, a été témoin de cette scène. Chez moi, ils sont entrés en faisant sauter les portes. Ils m'ont gardé, me défendant de sortir. Toute la nuit, ils m'ont pillé et dévalisé : ils ont bu mon vin, tué mes lapins, mes volailles, et volé toutes mes provisions de ménage. Ils ont souillé les chambres et les lits, faisant leurs nécessités partout.
Au château du baron de Turckheim, dont je suis le régisseur, ils n'ont trouvé qu'un vieux domestique et deux bonnes alsaciennes parlant parfaitement l'allemand. Avec elles, ils se sont entendus : elles leur ont donné tout ce qu'ils demandaient. Ils ont brisé toutes les portes des dépendances; ils ont tué et mangé toutes les volailles. Au château, ils étaient bien deux mille; ils y ont fait des tranchées et des fortifications. Tous les murs, toutes les clôtures ont été détruits. J'ai subi personnellement un préjudice de sept cents francs environ. Au château, c'est par milliers de francs qu'il faudra compter, car tout est dévasté.
Je dois ajouter qu'ils ont pillé la chocolaterie de Blamont : tout y a passé, matériel et marchandises; puis, ils y ont mis le feu. Cette chocolaterie appartient à M. Burrus, sujet suisse.
Depuis mon départ, Blamont a été bombardé.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

N° 188.
DÉPOSITION reçue, le 25 novembre 1914, à GRAY, par M. DANJON, procureur de la République.
DEMANGE (Eugénie), veuve DEPOUTOT, 62 ans, propriétaire à Blamont, actuellement réfugiée à Gray :
Serment prêté.
A Blamont (Meurthe-et-Moselle), la mobilisation a été annoncée le samedi 1er août. Mon fils avait rejoint. J'étais seule avec ma fille Marguerite. Dès le samedi soir, les uhlans sont arrivés à Blamont. Ma fille et moi, nous nous sommes réfugiées dans l'appartement de M. Bentz, notre maire, dont je suis locataire. Des officiers allemands étaient couchés chez lui.
Au milieu de la nuit, des bruits significatifs me donnèrent la certitude que mon appartement
avait été envahi par des soldats allemands, qui brisaient tout chez moi. Vers une heure et demie du matin, nous avons fait réveiller un jeune soldat allemand qui parlait français et lui avons fait part de nos craintes. Avec un de ses camarades, il s'est rendu dans mon appartement, et je l'ai suivi. Chez moi, tout était bouleversé, tout était saccagé, tout était pillé. Tous les meubles avaient été fouillés; le contenu en gisait pêle-mêle sur le sol : linge, vêtements, provisions de ménage : en un mot, tout ce que renfermaient les meubles et les placards. Ils avaient mangé des oeufs et brisé sur le sol et les murs ceux qu'ils n'avaient pu consommer. Ils avaient pillé ma cave, bu mon vin, renversé mes pots de conserves et de confitures : je n'ai plus rien.
Le jeune soldat qui parlait français a fait venir les chefs; ceux-ci ont dit que «  c'était la guerre », mais ont ajouté que les auteurs de ces actes de vandalisme seraient punis et que je serais indemnisée. La plupart de mes meubles sont brisés; mon linge, mes effets et mes provisions de ménage sont perdus. J'évalue à deux mille cinq cents francs le préjudice qui m'a été causé.
Blamont a été occupé pendant douze jours. Au cours de cette occupation, les Allemands ont tué d'un coup de revolver une jeune fille qui travaillait à la moisson; c'était Aline Cuny, âgée de vingt-trois ans. Le soldat qui l'a tuée s'est écrié : «  Encore une Française de moins ! »
Son père n'a échappé à la mort que parce qu'il s'était caché dans un fossé.
Les Allemands tiraient des coups de fusil et reprochaient ensuite aux habitants d'avoir des armes et d'en faire usage. Ils étaient de mauvaise foi, car, sur leur ordre, toutes les armes de tous les habitants avaient été confisquées et déposées à la mairie.
Toutes, les portes des maisons devaient toujours être ouvertes, même pendant la nuit, et les fenêtres devaient être éclairées. Comme, un soir, M. Barthélémy, âgé de quatre-vingt-dix ans, mettait une lampe sur sa fenêtre, ils l'ont tué d'un coup de feu, sous prétexte qu'il avait tiré.
Ils ont fusillé sans motif, au coin de l'hôtel de ville, M. Foëll, cafetier. Après son exécution, ils sont allés dire à sa femme que c'était une erreur.
A l'entrée de Blamont, ils ont achevé plusieurs blessés français.
Un soir, sans lui donner le temps de se vêtir, ils ont emmené M. Colin, professeur à Paris, et l'ont gardé comme otage pendant trois jours. Ils ont tiré sa belle-mère a bas du lit et lui ont abîmé un bras; ils ont grièvement blessé à la tête Mlle Colin, âgée de vingt-deux ans environ. Je ne me rappelle pas tout ce qui s'est passé.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.

N° 189.
DÉPOSITION reçue, le 21 janvier 1915, à BRIOUDE, par M. POUGNET, procureur de la République.
Rupp (Joseph), 2 ans, rentier, domicilié à Blamont (Meurthe-et-Moselle), résidant actuellement à Brioude :
Serment prêté.
Au début des hostilités, j'habitais Blamont, où je suis domicilié depuis 1911. Le 7 août dernier, un avion allemand survola la ville et y jeta six bombes; peu après, les Allemands arrivèrent et occupèrent la localité.
Dès le lendemain, de nouvelles troupes ennemies survinrent, et le pillage commença. Les soldats allemands pénétrèrent dans les caves de certains habitants, notamment dans celles de M. Bentz, de Mme Laurent, de M. Baumgarten, et les dévalisèrent. Ils dévalisèrent aussi les bureaux de tabac et les maisons abandonnées. La fabrique de chocolat appartenant à M. Burrus, qui pourtant avait donné l'hospitalité à des officiers et à un général allemands, fut complètement dévalisée : les machines furent brisées, les courroies coupées, et enfin, l'usine fut incendiée. Une fabrique de velours fut également pillée; les soldats lacérèrent à coups de sabre les pièces d'étoffe qu'ils ne croyaient pas pouvoir utiliser, et sur lesquelles ils avaient fait coucher leurs chevaux.
Dès leur arrivée, les Allemands se firent remettre à l'hôtel de ville toutes les armes des habitants, et ces armes, chargées sur un camion, furent transportées en Allemagne.
Le commandant des troupes donna l'ordre aux habitants de laisser leurs maisons ouvertes la nuit et d'éclairer toutes les fenêtres, du rez-de-chaussée au dernier étage. Chaque nuit, dans les rues, la fusillade éclatait, et les soldats de l'ennemi tiraient sur les personnes qu'ils apercevaient. C'est ainsi que fut tué M. Barthélemy: vieillard de quatre-vingts ans, ancien maire de Blamont, qui s'était avancé vers une fenêtre de son appartement.
M. Louis Foëll fut emmené par une patrouille à l'hôtel de ville et fusillé sans motif ni prétexte.
Une jeune fille âgée de vingt ans, Mlle Aline Cuny, se trouvait dans un champ, près de Blamont, avec son père. En voyant arriver une patrouille allemande, elle se cacha dans un fossé. Cette patrouille s'étant avancée, elle implora à genoux la pitié des soldats, qui la fusillèrent à bout portant.
Le premier régiment qui est entré à Blamont est le 20e régiment d'infanterie bavarois.
J'ai quitté Blamont le 14 août et j'ignore ce qui s'y est passé depuis.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.


N° 345
LAURENT (Jules), 65 ans, épicier à Magnières :
Je jure de dire la vérité.
Un jour, pendant l'occupation, un Allemand armé d'un fusil est entré chez moi. Il a obligé la jeune X..., de Domèvre-sur-Vezouze, qui était réfugiée dans une maison avec sa famille, à le suivre dans une chambre contiguë à celle dans laquelle je me trouvais. Il a poussé la porte sans toutefois la fermer, et a violé la fillette malgré ses cris et ses plaintes.
Quelques instants auparavant, il avait déjà pratiqué sur elle des attouchements obscènes, en ma présence. Dix minutes après, ce misérable est venu de nouveau s'emparer de la pauvre petite et a abusé d'elle pour la seconde fois. Cette enfant, qui n'est âgée que de douze ans était absolument terrorisée. Le soldat était si menaçant que je n'ai pas osé intervenir.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nos 363, 364, 365.
L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à LUNÉVILLE, devant nous,. etc.
MASSON (Étienne), 68 ans, cultivateur à Emberménil, réfugié à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Les Allemands sont venus plusieurs fois dans notre commune, qui se trouve entre leurs lignes et les lignes françaises.
Le 18 octobre, ils ont emmené les hommes de 14 à 50 ans. Quatorze de nos concitoyens ont été forcés de les suivre; nous sommes sans nouvelles d'eux.
Avant-hier 5 novembre, une date que je n'oublierai jamais, des hommes du 6° régiment bavarois sont entrés chez nous et ont emmené ma belle-fille qui était dans un état de grossesse très visible. Ils ont en même temps rassemblé devant l'église tous les habitants du village, et un officier a dit : «  Quelle est la personne qui nous a trahis ? » Ma belle-fille s'est avancée et a déclaré que c'était elle qui, quelques jours auparavant, avait répondu de bonne foi à des soldats qui l'interrogeaient alors, qu'elle ignorait s'il y avait un détachement français dans la commune. Les Allemands l'ont saisie, l'ont fait asseoir sur un banc avec Louis Dîme, âgé de 2 4 ans. Mme Vautrin, qui parle allemand, a demandé grâce pour la jeune femme, en faveur de laquelle toute la population a également intercédé. Ils ont répondu : «  Un homme et une femme doivent être fusillés ; tel est l'ordre du colonel. Que voulez-vous ? C'est la guerre. » Puis huit soldats sur deux rangs ont fait à douze mètres feu sur les deux malheureux, à trois reprises, en présence de tous les habitants.
Les Allemands ont ensuite mis le feu à ma maison. Celle de M. Blanchin avait été incendiée quelques instants auparavant.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

GUISE (Olympe), veuve GRANDVALET, 56 ans, sans profession, à Emberménil, réfugiée à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Le 5 novembre courant, j'ai, comme tous les habitants d'Emberménil, assisté à l'exécution par les Allemands de Mme Masson et de Louis Dîme. La jeune femme, en déclarant que quelques jours auparavant c'était elle qui avait dit à des soldats qu'elle ne savait pas s'il y ayait des troupes françaises dans le village, a affirmé qu'elle était de bonne foi et que, par conséquent, elle était innocente, Malgré nos supplications, les Allemands, l'ayant fait asseoir sur un banc à côté de Louis Dîme, l'ont fusillée sous nos yeux ainsi que ce dernier.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.

Nous n'avons pas cru devoir consigner in extenso les déclarations de Mme PETENOT (Marie-Louise), femme MARIN, de M. PIERSON (Auguste) et de M. BRIDEY (Honoré), tous d'Emberménil, réfugiés à Lunéville, qui ont assisté à l'exécution de Mme. Masson et de M. Louis Dîme, et qui ont confirmé, sans y ajouter aucun détail nouveau, les dépositions qui précèdent.
(Suivent les signatures.)


N° 366.
L'an mil neuf cent quatorze, le sept novembre, à LUNÉVILLE, devant nous,. etc
ANTOINE (Marie), femme MILLOT, âgée de 55 ans, demeurant à Domèvre-sur- Vezouze, réfugiée à Lunéville :
Je jure de dire la vérité.
Lorsque les Allemands sont venus pour la seconde fois à Domèvre, c'était, si je ne me trompe, le 24 août. J'étais dans la maison des époux Claude, mon neveu et ma nièce, avec d'autres personnes. Le jeune Claude, âgée de 1 7 ans, qui se trouvait près de la rampe de l'escalier, dit à sa mère qu'il voyait dans la rue des Allemands qui le mettaient en joue; puis il fit trois pas en avant pour se garer. Mais à ce moment, il fut atteint de trois balles, une au ventre, une autre à la cuisse et la troisième à la fesse. Il est mort trois jours plus tard, après avoir dit à sa mère : «  Je puis bien mourir pour la patrie. »
Je sais que les Allemands ont également tué, le même jour, deux autres personnes : M. Adolphe Claude, âgé de 75 ans, et M. Auguste Claude. Ce dernier n'était pas parent du précédent, non plus que de mon jeune neveu.
J'ajoute qu'ils ont emmené M. Breton, boulanger, et M. Labort, maréchal ferrant, et qu'on n'a jamais revu ces deux hommes.
Enfin, dans Domèvre, où cent trente-six maisons ont été incendiées, j'ai vu les ennemis mettre le feu en tirant des coups de fusil dans les granges et sous les toits. Ces coups de fusil produisaient des détonations assez faibles, analogues à celles des pétards.
Après lecture, le témoin a signé avec nous.
 

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