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Janvier 1915 - La Vie en Lorraine (3/3)

 
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janvier 1915 février 1915 mars 1915 avril 1915  

LE BILAN DE LA DERNIÈRE QUINZAINE
Un repli de 1,800 mètres vers Soissons Progrès sur tout le reste du front

Paris, 18 janvier, 19 h. 20 (officiel).
Voici les principaux faits de guerre pour la période allant du 5 janvier (matin) au 15 janvier (soir) : Cette période est marquée, comme la précédente, par un temps déplorable, pluie, neige, vent, brouillard, boue, qui ralentit les opérations.
Les faits principaux sont :
1° L'extension et la consolidation de nos succès sur la rive droite de l'Yser, entre Saint-Georges et la mer, où l'offensive allemande était brisée.
Sur l'Yser, nous avons conquis un large débouché, au delà de la rivière.
2° Les combats autour de Soissons, où notre offensive, brillamment commencée, a été enrayée par la crue de l'Aisne, qui avait détruit les ponts et les passerelles, ce qui empêcha nos renforts de faire face, sur la rive droite, à une très forte attaque de l'ennemi, d'où un repli de 1.800 mètres sur un front inférieur à 5 kilomètres.
3° Nos nouveaux progrès dans la région de Perthes et l'insuccès de toutes les contre-attaques ennemies.
4° L'échec des Allemands en Argonne.
5° La continuation ou le maintien de nos succès en Haute-Alsace.

Sur l'Yser
Concernant la rive droite de l'Yser, l'exposé souligne l'importance des résultats obtenus par l'effort continu de nos troupes depuis la fin de décembre.
Les résultats acquis consistent en l'éloignement, en longueur et en profondeur, du débouché en avant de Nieuport-Ville de la mer au sud de Saint-Georges.
Depuis le 8 janvier; l'ennemi a renoncé à. nous disputer ce débouché. Son artillerie ne répond à notre feu que d'une façon intermittente.

De Nieuport à l'Aisne
De Nieuport à l'Aisne, aucun événement important, en raison de la température.
Notre artillerie a gardé l'avantage, notamment à la Boisselle, où nous avons élargi notre champ de tir.

Les combats de Soissons
Concernant les combats de Soissons, le communiqué officiel expose le détail des opérations, d'où il résulte que, dans ces combats, d'une portée toute locale, notre offensive couronnée de succès les 8, 9 et 10 janvier, a été enrayée à partir du 11 janvier par la crue de l'Aisne et la destruction des ponts.
L'ennemi en a profité pour nous contre-attaquer très violemment, dans l'intention de nous acculer à la rivière ou de nous en couper.
Sa tentative a échoué. Nous avons ramené toutes nos troupes au point où, en tout état de cause, la destruction des ponts par la crue nous aurait obligés à nous établir.
Cette lutte a été très âpre. Elle nous a coûté quelques pièces de gros calibre, qui, ne pouvant pas être déplacées, ont été rendues inutilisables.
Notre mouvement de repli a été exécuté en bon ordre, dans la nuit du 13 au 14 janvier. L'ennemi, très éprouvé, n'essaie pas de nous inquiéter et nous nous installons dans la boucle de l'Aisne couvrant Soissons.
Le 14 janvier, nous repoussons une attaque violente à Saint-Paul. Le 15 janvier, notre artillerie disperse des rassemblements de l'ennemi, qui n'attaque pas.
Dans le secteur Soissons-Perthes, simple lutte d'artillerie à notre avantage. Notre infanterie a progressé avec énergie, notamment à l'est de Reims.
Dans la région de Perthes, malgré les violents efforts de l'ennemi pour reprendre le terrain perdu, nous réalisons des progrès constants, qui portent notre ligne à plus de deux kilomètres au nord de celle que nous occupions trois semaines auparavant, dirigeant une douzaine d'attaques, repoussant plus de vingt contre-attaques dirigées notamment contre une importante position fortifiée, la cote 200, dont nous restons les maîtres.

En Argonne
Dans l'Argonne, les combats ont été particulièrement violents.
Le communiqué raconte le combat de Courtechausse, qui commença par l'explosion de huit fourneaux de mines sous les tranchées allemandes.
Le régiment italien et un bataillon français se lancèrent sur un front de 600 mètres que nous enlevons ensemble.
Les Italiens, entraînés par l'élan, dépassèrent de 600 mètres la ligne allemande, sans se préoccuper suffisamment de s'organiser sur le terrain conquis.
C'est là que l'adjudant-chef Constante Garibaldi a trouvé la mort.
Les Italiens font prisonniers une compagnie, trois officiers, douze sous-officiers et prennent des mitrailleuses et des canons.
Mais une contre-attaque de l'ennemi regagne une partie du terrain conquis.
Le bataillon français qui opérait sur la droite des Italiens conserve 300 mètres de tranchées.
La légion italienne, pleine d'enthousiasme, ne demande qu'à recommencer.
Au cours de l'attaque, notre artillerie a détruit trois mitrailleuses ennemies.
Le même jour, à Fontaine-Madame, a lieu un violent combat. L'ennemi canonne, puis attaque avec trois bataillons. Après -un corps à corps acharné, les Allemands prennent pied dans nos boyaux, mais la nuit, nous reprenons le terrain perdu.
Du 8 au 10 janvier, par la tempête, on s'est battu violemment au bord du ruisseau de Meurissous.
Nous avons fléchi le 8 janvier et, les jours suivants, nous avons repris le terrain perdu et nous avons maintenu nos positions.
Ces combats ont été très chauds. Nous avons perdu de nombreux officiers, mais l'ennemi a subi de grosses pertes.

De l'Argonne à l'Alsace
Dans la région de Verdun-les-Hauts-de-Meuse notre artillerie a fait souvent taire l'artillerie allemande.
Dans le reste du secteur, nous progressons depuis deux mois, sans recul.
C'est une véritable guerre de siège. Les lignes de tranchées sont distantes de trente mètres. L'ennemi est partout repoussé avec des pertes sérieuses.
Les excellents résultats obtenus en Hautes-Alsace ont été consolidés. Ils eussent été sensiblement élargis si l'état du sol n'avait pas paralysé nos troupes, qui souffrent beaucoup de la rigueur du temps.
La pluie règne et détrempe le sol. Le brouillard gêne l'artillerie. La neige apporte à nos troupes, en certains endroits, des difficultés énormes.
L'action la plus violente s'est déroulée près de Cernay, sur le flanc est de la cote425.
Le 5 janvier, l'ennemi y a réoccupé ses anciennes tranchées ; mais le 7, nous les avons reprises et nous avons progressé vers l'est.
Nous avons eu, le 5 janvier, de nombreux blessés, les fusils encrassés ayant empêché nos soldats de tirer.
Mais il est faux que l'ennemi ait fait prisonniers des non blessés.
Depuis le 8 janvier, les Allemands ont bombardé avec violence la cote 425 et écrasé ainsi sous les obus l'hôpital de Thann.
Plus au sud, nous avons pris, le 7, et reperdu le 8, Burnhaupt-le-Haut, mais, malgré cet insuccès local, nous avons progressé à Altkirch de plusieurs centaines de mètres.
Les résultats acquis en Haute-Alsace sont appréciables.
L'ennemi, malgré les renforts qu'il a amenés, n'a pas pu nous entamer.

La guerre aérienne
La guerre aérienne a continué avec succès.
Le 10 janvier, le pilote Gilbert et le lieutenant observateur Puecherdon aperçurent, près de Chaulnes, un avion ennemi qui se dirigeait sur Amiens. Ils le coupèrent.
L'observateur tira quatre coups de carabine. Deux atteignirent l'observateur ennemi, lieutenant Palhestein ; le troisième blessa le pilote Keller ; le quatrième perça le radiateur.
Le pilote blessé atterrit et fut fait prisonnier.
C'est la troisième fois que le pilote Gilbert, qui a déjà la médaille militaire, réussit à descendre un appareil ennemi.

DEUX AVIONS ALLEMANDS ABATTUS

Paris, 19 janvier, 0 h. 35.
Voici le communiqué officiel du 18 janvier, 23 heures : A la suite de l'explosion d'un dépôt de munitions provoquée par l'éclatement d'un obus, une partie du village de Boisselle occupé par nos troupes avait été incendiée et nous avions dû l'évacuer. Nous l'avons reprise, par une vigoureuse contre-attaque, dans la matinée du 18.
L'ennemi a bombardé Saint-Paul, près de Soissons.
En Champagne, des avions allemands ont survolé nos positions. Ils ont été reçus à coups de canon et de mitrailleuse.
Deux d'entre eux sont allés s'abattre à l'intérieur de nos lignes, du côté de Bar-le-Duc.
Les appareils sont à peu près intacts.
Les quatre aviateurs ont été faits prisonniers.
En Argonne, canonnades et fusillades intermittentes.
De l'Argonne aux Vosges, neige et tempête.

ILS NOUS ONT BATI UN TUNNEL

L'histoire paraît «  plutôt comique » à un rédacteur de la «  Frankfurter Zeitung », qui la raconte. Nous la trouvons passablement intéressante. Pour une fois, les Allemands auront fait quelque chose d'utile : ils auront travaillé pour la France...
Voici : depuis de longues années, les industriels du bassin de Briey et ceux de la Lorraine annexée réclamaient l'ouverture d'un tunnel entre Joeuf, en territoire français, et Grand-Moyeuvre, en territoire annexé, - destiné à faciliter les communications entre les deux pays. Les projets, établis par les ingénieurs, montraient que le tunnel en question aurait permis de gagner une centaine de kilomètres sur le chemin de fer, fonctionnant par voie indirecte entre ces deux localités.
Le gouvernement allemand, sollicité de donner son adhésion, ne l'avait pas refusée ; le gouvernement français l'avait refusée. Il y avait mille bonnes raisons pour nous de ne pas consentir à abréger de ce côté-là, à nos ennemis, le chemin de l'invasion dans un pays ouvert.
La guerre arriva. Aussitôt entrés dans la région, savez-vous à quoi tout d'abord les Allemands ont songé ? Comme s'ils étaient définitivement installés en Meurthe-et-Moselle, ils ont amené, de l'autre côté de la frontière, une véritable armée d'ouvriers et d'ingénieurs, et ils les ont chargés de construire le tunnel dans le plus court délai.
Les travaux, relativement faciles, ont duré deux mois. Ils ont coûté au Trésor allemand la somme de trente-deux millions. C'est une avance, en nature, sur l'indemnité à venir...
Le nouveau tunnel nous sera très utile lorsque, des deux côtés, flottera le même drapeau.

UNE JOLIE AVANCE DANS LE BOIS LE PRÊTRE

Paris, 19 janvier, 15 h. 20.
En Belgique, tempête de neige. Canonnade intermittente. Neige également dans la région d'Arras, où notre artillerie lourde a fait taire, à plusieurs reprises, les batteries ennemies.
Comme il a été dit hier, une action assez vive s'est déroulée à La Boisselle où, à la suite d'incendie, nous avions dû, dans la nuit du 17 au 18 janvier, évacuer nos positions. Nous les avons reprises le 18, au point du jour, et l'ennemi n'a pas renouvelé ses attaques sur cette partie du front.
Dans le secteur de Soissons, le bombardement de Saint-Paul, dans la nuit du 17 au 18, n'a été suivi d'aucune attaque d'infanterie et la journée du 18 a été d'un calme absolu.
Dans la vallée, de l'Aisne, à l'est de Soissons, ainsi que dans le secteur de Reims, combats d'artillerie.
Au nord-ouest de Pont-à-Mousson, nous avons enlevé un nouvel ouvrage au bois Le Prêtre, où nous occupons maintenant 500 mètres de tranchées allemandes.
Dans les Vosges, tempêté de neige et canonnade surtout dans le Ban-de-Sapt et le secteur de Thann.

Paris, 20 janvier, 1 heure.
Le communiqué officiel du 19 janvier, 23 heures, dit simplement :
Aucun incident n'est signalé.

LE COMBAT DE CLEMERY

Nancy, 10 janvier 1915.
On sait qu'il y a huit jours, s'est livré, dans la région de Nomeny, un violent combat, dont le communiqué officiel a enregistré avant-hier l'écho, en annonçant que notre artillerie avait dégagé une crête au nord de Clémery. Le «  Petit Parisien » donne à ce sujet les détails suivants, qui lui sont envoyés de Nancy :
«  Une effroyable canonnade commença de se faire entendre pendant la nuit de mardi à mercredi, vers deux heures. Les salves se succédaient sans interruption. Le feu dura quinze heures. On crut d'abord à une attaque entre Nomeny et Moncel. Mais on apprit bientôt que le théâtre des opérations se rapprochait davantage de la fameuse côte Sainte-Geneviève, où s'était précédemment brisée l'offensive allemande.
«  Les formations sanitaires n'ont pas eu à intervenir. Nos pertes sont nulles. Les pièces de 155, habilement dissimulées, ont échappé aux reconnaissances des avions ennemis. Les détachements d'infanterie occupant cette partie de la vallée de la Seille se tenaient prêts à une entrée en scène énergique.
«  Mais, encore une fois, les dispositions de nos troupes furent si habilement prises, et l'on sut tirer des avantages du terrain un parti si profitable, que la seule action de nos batteries obligea l'ennemi à battre en retraite.
«  On manque encore de renseignements précis sur l'importance des effectifs engagés par les Allemands dans l'affaire de Clémery. Tantôt on parle de trois divisions décimées, tantôt on évalue à près de huit mille hommes les pertes ennemies.
«  On croit savoir, par contre, qu'avec une témérité qui ressemble à de la folie, les masses prussiennes se présentèrent en colonnes profondes vers Raucourt, où elles furent littéralement écrasées.
«  Par suite de la persistance du mauvais temps, la Seille avait un peu débordé. Les prairies étant devenues un vaste marais, il était difficile de se mouvoir dans ces conditions déplorables.
«  L'adversaire espérait-il nous attirer sur ce terrain ? C'est possible.
«  La ruse a été déjouée. Les Allemands ont payé cher cette manoeuvre. Leur échec a jonché les abords de Clémery de telles hécatombes, qu'en présence des monceaux de cadavres entassés sur le champ de bataille, un soldat qui revient du front nous disait ce matin que les morts, par endroits,.
formaient une barricade haute de plus d'un mètre. »

LES TAUBES

Nancy, 19 janvier 1915.
Lundi matin, 18 janvier, vers 11 heures moins un quart, un avion allemand a survolé Nancy à une grande hauteur. Il a laissé tomber deux bombes. L'une est tombée rue Lasalle, à l'angle de la rue des Fabriques. Le projectile a simplement écorné la corniche du toit sans causer aucun dégât. L'autre s'est abattue dans le canal à la hauteur du numéro 10 de la rue Vayringe.
L'avion ennemi, craignant sans doute d'être canonné, a gagné rapidement les lignes allemandes.

LE PRIX DU LAIT

Le Maire de Nancy a l'honneur d'informer ses concitoyens qu'après plusieurs réunions qui ont eu lieu à l'hôtel de ville les laitiers ont ainsi fixé, d'un commun accord, le prix du lait : Lait non écrémé, le litre : 35 centimes ; Lait écrémé, le litre : 30 centimes.
Le présent tarif entrera en application le 1er février 1915.
Nancy, le 20 janvier 1915.
Le maire, SIMON.

RENSEIGNEMENTS SUR JoeUF

Nancy, 20 janvier 1915.
Joeuf serait suffisamment ravitaillé par les moulins de la vallée de l'Orne. Le pain vaudrait 0 fr. 50 le kilo et le sel 0 fr. 80 le kilo.
A la cantine des ouvriers, rue du Commerce, on distribuerait des soupes populaires. MM. Bastien, maire, et Besment, directeur de l'usine, s'occuperaient de l'organisation.
Les ouvriers restants seraient occupés à des travaux d'entretien.
Les habitants n'auraient pas été molestés et, jusqu'à présent, il n'y aurait pas eu d'autres dégâts que le pillage de la pharmacie Bragard.
Les Allemands auraient cantonné du 5 au 20 août et auraient été logés dans la salle des fêtes et les écoles.
Récemment, il n'y avait plus de troupes, sauf quelques hommes de la landsturm et des gendarmes faisant la police.
Les écoles seraient ouvertes, le personnel enseignant étant composé en partie d'anciens instituteurs et institutrices.

VIOLENTES ATTAQUES EN ARGONNE
Heureux duels d'artillerie

Paris, 20 janvier, 15 h. 20.
De la mer à la Somme, dans la région de Nieuport, combat d'artillerie assez vif, au cours duquel l'ennemi a tenté vainement de détruire notre pont, à l'embouchure de l'Yser, tandis que nous réussissions à démolir une partie de ses défenses accessoires, et, près de Saint-Georges, la ferme de l'Union qu'il avait fortement organisée.
Dans les secteurs d'Ypres et de Lens, combats d'artillerie d'intensité variable.
Très violent bombardement de Blangy, près d'Arras, non suivi d'attaque d'infanterie.
De la Somme à l'Argonne. - Rien à signaler dans le secteur de Soissons ni dans ceux de Craonne et de Reims.
Dans la région du camp de Châlons et au nord de Perthes et de Massiges, notre artillerie a exécuté, sur les ouvrages ennemis, des tirs très efficaces.
En Argonne, au bois de la Grurie, l'ennemi a attaqué violemment une de nos tranchées. Nos troupes, qui avaient un instant plié sous le choc, ont repris, par deux contre-attaques énergiques, d'abord la plus grande partie, puis la totalité des positions, et elles s'y sont maintenues.
A Saint-Hubert, les Allemands ont fait sauter à la mine le saillant nord-est de nos tranchées, mais nos troupes se sont précipitées dans les entonnoirs, dont elles ont interdit l'accès à l'ennemi.
Au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dans le bois Le Prêtre, nous nous sommes établis à cent mètres en avant des tranchées allemandes conquises avant-hier. L'ennemi nous a contre-attaqués, mais sans succès, à la fin de la journée.
Dans le secteur de Thann, combats d'artillerie, dans lesquels nous avons eu l'avantage.

LEURS ATTAQUES SE MULTIPLIENT
Mais leur violence est partout repoussée

Paris, 21 janvier, 1 h. 21.
Le communiqué officiel du 20 janvier, 23 heures, dit :
Hier soir, l'ennemi avait pris pied dans une de nos tranchées, au nord de Notre-Dame-de-Lorette. Il en fut chassé le matin, à la suite d'une contre-attaque et laissa entre nos mains plus de cent prisonniers.
Au cours de la nuit du 19 au 20, dans la région d'Albert, une attaque au sud de Thiepval arriva jusqu'à nos réseaux de fil de fer, puis elle fut rejetée.
Trois attaques successives sur La Boisselle subirent le même sort.
En Argonne, une attaque ennemie à la Fontaine-aux-Charmes a été repoussée, après une -lutte corps à corps.

POUR QUE NOS SOLDATS
ne s'ennuient pas

Nous avons reçu quelques lettres que nous avons le devoir de soumettre à nos lecteurs. Elles les intéressent au moins autant que nous.
Voici la première :
«  Varangéville, 6 janvier. Mes amis et moi avons vu sur votre journal que nous lisons journellement que par votre intermédiaire des personnes généreuses pouvaient procurer un ballon de foot-ball rugby.
«  Nous sommes ici plusieurs joueurs et si nous pouvions tous faire un peu de notre sport favori, nous serions tous heureux. Cela nous dégourdirait un peu les jambes, et nous remettrait en force pour refaire bientôt des patrouilles en avant, sport qui nous plaît beaucoup également.
«  Recevez, etc.
«  Vive notre belle France ! »
Seconde lettre du 7 janvier :
«  Nous lisons dans votre journal que des ballons sont offerts par vos lecteurs aux militaires sportifs qui en font la demande. Si l'occasion se présente à vous nous vous serions obligés de penser à nous et de nous procurer un ballon rond. »
Suit, pour les défenseurs d'Amance, la signature d'un brigadier.
Troisième lettre du 8 janvier :
«  Etant de fervents joueurs de foot-ball, et ne pouvant nous procurer un ballon, je viens, au nom de mes camarades, vous demander si parmi vos généreux donateurs vous n'en avez pas un qui nous offrirait un ballon type «  Association ». Cela nous permettrait de conserver notre entraînement et nous procurerait en même temps un peu de distraction. »
Vraiment nos soldats ont du goût pour tous les sports, et la guerre ne fait que développer ce goût. Si cela continue, notre Lorraine sera pourvue d'une foule d'équipes militaires.
Pour la première demande nous sommes pourvus. Les camarades soldats de Varangéville vont recevoir un ballon ovale que leur offre généreusement M. Robert Cordebard, 72, rue du Montet, Nancy.
Nos lecteurs n'ont plus, pour l'instant, qu'à offrir un ballon rond pour «  les défenseurs d'Amance », et un ballon Association pour les troupiers qui ne sont pas très loin de Nancy.
Cela fera sept ballons offerts depuis le début de la guerre, soit quatorze équipes de foot-ball reconstituées en Lorraine.
N'est-ce pas qu'il sera ensuite joli d'entendre par tous les pays de France :
- Ce que nous faisions en Lorraine ?
On flanquait des tripotées aux Boches et on jouait au foot-ball.
Ce n'est pas tout.
Du sport les soldats passent à la musique.
«  Je viens vous adresser, nous écrit un maréchal des logis d'artillerie, une demande qui peut-être vous paraîtra assez étrange. Mais je risque.
«  Voici : Parti dès le début de la guerre avec ma section pour aller d'abord dans les Alpes, puis opérer à Rozelieures, Gerbéviller, etc., je me trouve, après une période de deux mois extrêmement active, en cantonnement. A part les soins aux chevaux, les quelques services de ravitailler ment ou autres que nous faisons, nous avons surtout le soir, à lutter contre un ennemi qui a nom «  l'ennui ». Ne croyez pas que nous soyons abattus. Non, ça n'a rien à faire. Nous ne sommes ni abattus, ni à se laisser battre. Mais enfin par moments c'est un peu monotone.
«  Aussi je viens vous demander si vous auriez parmi vos nombreux lecteurs ou lectrices quelque mélomane qui, possesseur d'une mandoline, consentirait à nous la prêter. Je m'engage sur l'honneur à la faire réexpédier dès notre reprise «  des affaires », et de plus je promets au prêteur de lui témoigner ma reconnaissance après la campagne, sauf, bien entendu, accident.
«  Nous avons d'excellents chanteurs parmi nous, et de cette façon nous pourrions nous distraire de façon saine et profitable. »
C'est demandé avec une bonhomie trop spirituelle pour ne pas émouvoir un lecteur qui a une mandoline accrochée dans quelque coin et dont il ne se sert plus.
Mais on nous demande aussi un violon.
«  Nous hivernons dans des fermes, sur le front, nous confie un margis fourrier qui a un grand nombre d'amis à Nancy.
«  Il fait par ici un temps épouvantable, et les nuits sont fort longues en cette saison. Le moral est néanmoins excellent. On touche autant qu'il nous en faut des vivres ainsi que du vin et de l'eau-de-vie.
«  Parmi nous, un jeune sous-officier joue très bien du violon. Mais depuis que nous sommes ici, impossible d'en trouver un.
«  Ne pourriez-vous intéresser quelques-uns de vos lecteurs à notre demande, et nous faire l'envoi d'un de ces instruments plus ou moins justes, à cela près. Peut-être quelqu'un en a-t-il un dans un grenier dont il se débarrasserait sans peine.
«  Nous sommes ici beaucoup de Nancéiens, anciens lecteurs de votre journal, et je vous assure que c'est avec un vif plaisir que nous nous passons encore les numéros que l'un ou l'autre reçoit par ci par là de sa famille.
«  Mes camarades et moi avons pensé que par votre intermédiaire il y aurait certainement de nos concitoyens qui seraient heureux de nous procurer ce plaisir.
«  Je dois vous dire que le violoniste n'a pas pu faire venir son instrument de chez lui. Ses parents habitaient Port-sur-Seille, et leur maison a été brûlée par les Allemands. »
Certainement nos lecteurs trouveront le moyen de faire plaisir à ces braves enfants de Lorraine qui trouvent monotone le son du canon, et voudraient varier la musique des tranchées ou des cantonnements avec le cri-cri alerte de la mandoline ou la longue et douce chanson du violon.
A qui voudra envoyer, nous donnerons les adresses.

LES TAUBES

Dombasle, 22 janvier 1915.
Une bombe a été lancée par un avion allemand à Dombasle, lundi 18 janvier, vers une heure quarante de l'après-midi..
Elle a éclaté à côté des cités Ernest, à environ cinq cents mètres de la voie ferrée, faisant un trou de près de deux mètres de diamètre dans le sol et creusant celui-ci de quatre-vingt-dix centimètres.
Elle n'a causé aucun accident.

QUELQUES BONDS EN AVANT
NOS ARTILLEURS
préparent magistralement la voie

Paris, 21 janvier, 15 h. 15.
De la mer à la Lys, combats d'artillerie.
De la Lys à la Somme, sur le plateau de Notre-Dame-de-Lorette, a eu lieu, dans la nuit du 19 au 20, l'engagement signalé hier soir.
Au nord de la Somme et sur l'Aisne, quelques combats d'artillerie, au cours desquels nous avons fait taire les batteries ennemies.
En Champagne, à l'est de Reims, dans la région de Prosnes-les-Marquises-Maronvilliers, nous avons démoli les ouvrages allemands et obligé l'ennemi à évacuer ses tranchées Nous avons provoqué l'explosion d'un dépôt de munitions.
Au nord-ouest de Beauséjour, nous avons progressé en nous emparant par surprise de trois postes ennemis où nous nous sommes installés.
Notre artillerie a pris l'avantage au nord de Massiges.
En Argonne, situation sans changement.
Au sud-est de Saint-Mihiel, dans la forêt d'Apremont, nous avons enlevé cent cinquante mètres de tranchées, et repoussé une contre-attaque.
Au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dans le bois Le Prêtre, l'ennemi a réussi, par une violente contre-attaque, à reprendre une vingtaine de mètres sur les cinq cents mètres de tranchées enlevés par nous les jours précédents. Nous nous sommes maintenus solidement sur l'ensemble de cette position.
Dans le secteur de Thann, dans la région né Sibsrloch-Hartmansvillerkopf, une action d'infanterie est engagée depuis la nuit du 19 au 20 janvier. Nous progressons lentement sur un terrain extrêmement difficile.

L'EFFORT ALLEMAND
continue
MAIS N'ABOUTIT QU'A L'ÉCHEC

Paris, 22 janvier, 1 h. 4.
Voici le communiqué officiel du 21 janvier, 23 heures :
L'ennemi a bombardé violemment nos positions au nord de Notre-Dame-de-Lorette, puis, à cinq heures du matin, il a prononcé une nouvelle attaque qui a été aussitôt arrêtée.
En Champagne, deux petits bois au nord de la ferme de Beauséjour ont été occupés par nous. L'ennemi a fait une contre-attaque, mais sans succès.
En Argonne, les Allemands ont tenté une attaque sérieuse sur le saillant de notre ligne, dans le voisinage de Saint-Hubert.
Après un bombardement violent, qui a bouleversé nos tranchées, les Allemands se sont élancés à l'attaque, mais ils ont été repoussés par le feu de notre infanterie, combiné avec des barrages et le feu de l'artillerie.
On se bat toujours en Alsace, dans la région de Harmontweiller-Kopf.

L'ENNEMI MULTIPLIE SES ATTAQUES
Lutte ardente en Alsace

Paris, 22 janvier, 15 h. 19.
En Belgique, l'ennemi a bombardé assez violemment Nieuport. Notre infanterie a fait quelques légers progrès à l'est de la chaussée de Lombaertzyde.
Entre Ypres et l'Oise, actions heureuses de notre artillerie sur des ouvrages, des batteries et sur des rassemblements d'infanterie.
De l'Oise à l'Argonne, la situation, aux abords de Soissons, n'est pas changée. Près de Berry-au-Bac, nous avons repris des tranchées que nous avions dû évacuer à la suite d'un bombardement violent.
Dans la région de Perthes, l'ennemi a attaqué infructueusement, dans la nuit du 20 au 21 janvier, au nord-ouest de Beauséjour.
Entre Meuse et Moselle, au sud-est de Saint-Mihiel, dans la forêt d'Apremont, un bombardement d'une extrême violence ne nous a pas permis de conserver les tranchées allemandes enlevées hier sur une longueur de 150 mètres.
Au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dans le bois Le Prêtre, l'ennemi a repris une partie des tranchées conquises par nous, avant-hier. Nous nous sommes maintenus sur tout le reste de la position.
Dans les Vosges, l'ennemi a lancé sur Saint-Dié six projectiles de gros calibre, sans produire de dégâts sérieux.
Entre les cols du Bonhomme -et de la Schlucht, lutte d'artillerie où les batteries allemandes ont été réduites au silence.
En Alsace; l'action d'infanterie engagée dans la région de Hartmanswillerkopf se poursuit avec une extrême âpreté, en véritables corps à corps.
En avant de Dannemarie, notre artillerie a dispersé des rassemblements ennemis.

Paris. 23 janvier, 0 h. 58.
Voici le communiqué du 22 janvier, 23 heures :
Au sud-est d'Ypres, l'ennemi a montré plus d'activité qu'en ces derniers temps.
La nuit dernière, la fusillade et la canonnade ont été peu intenses dans la région du bois de Saint-Mard. Une batterie ennemie a été réduite au silence.
Dans l'Argonne, des attaques très vives ont eu lieu à Fontaine-Madame et à l'ouvrage dit Marie-Thérèse, au sud de Fontaine-Madame. L'ennemi a été repoussé après deux vigoureuses contre-attaques de nos troupes.
A l'ouvrage Marie-Thérèse, la lutte s'est prolongée toute la journée. Elle a été menée. avec une extrême énergie des deux côtés. A la nuit, toutes nos positions avaient été maintenues.
Les attaques de nuit prononcées par l'ennemi en Alsace, dans la région, de Hartmanswillerkopf, ont échoué. Aux dernières nouvelles, le combat continuait.

PAR LA TERREUR

Il n'était certainement pas besoin de Zeppelins pour prouver aux Anglais qu'il fallait activer la préparation des armées du printemps. Ils savent autant que nous que le sort de la civilisation européenne est lié à leur action comme à celle des Russes et à celle des Français.
Les Allemands ont pourtant jugé bon de montrer à nos amis d'outre-Manche que rien ne leur serait épargné des horreurs de la guerre.
La Belgique a été crucifiée. La France est martyrisée. La Pologne russe est dévastée. Voici que l'Angleterre est maintenant bombardée et qu'elle connaît par l'exemple l'esprit allemand de destruction.
Une chose est de lire dans les journaux les atrocités commises dans les pays voisins, et c'en est une autre de recevoir des explosifs dans la maison.
L'impression n'est pas la même.
C'est ce que n'ont pas compris les Allemands. Et c'est sans doute parce qu'ils sont incapables de tout raisonnement clair qu'ils sont allés lancer des bombes sur Yarmouth et sur Kingslynn. Ils ont été tellement habitués au régime de la force qu'ils croient terroriser un pays par ces procédés abominables. Ils ne comprendront jamais qu'on n'épouvante pas une nation comme l'Angleterre.
Pour eux la menace suffit. Le monde entier doit trembler devant leur puissance de mal.
Eh ! non, le monde ne tremble pas. Si longtemps les peuples ont, sans trop protester, accepté les exigences allemandes, c'est qu'ils désiraient tous la paix, et pour éviter l'effroyable catastrophe consentaient des sacrifices.
L'Allemand a vu dans ces sentiments humains un signe d'abandon. Il s'est dit qu'il avait tous les pouvoirs, et a parlé en maître.
Ainsi il commettait sa première et sa suprême faute, résultat d'une erreur psychologique constante.
Le jour où les peuples ont vu que donner à manger à l'ogre allemand c'était exciter son appétit, et qu'à force de donner de l'appétit, à l'ogre ils finiraient par être dévorés, ils se sont révoltés contre lui, et se sont mis en défense.
Et l'ogre s'est rué, impuissant à douter de sa force et a déchiqueté la Belgique, et a mordu la France. On a résisté. On l'a fait reculer. Dans sa hideuse colère, il a volé, pillé, violé, assassiné. Ne pouvant arriver jusqu'à Paris, il a fait jeter par ses monstrueux ballons de guerre des bombes sur la population civile de Nancy. Maintenant il en envoie sur les côtes d'Angleterre.
Il peut encore faire beaucoup de mal. Il en fera beaucoup. Mais il ne peut plus glacer d'effroi les coeurs aujourd'hui décidés à ne battre que pour le salut de la patrie. Il est incapable à vaincre, s'il est encore capable de tuer.
Les Anglais comme les Belges, les Français et les Russes, loin d'être terrorisés par l'atroce guerre qui leur est faite, sentent leur volonté s'affermir encore plus.
Et le mal que projettent et que font les Allemands est un mal qui se tourne fatalement contre eux, puisqu'il forge dans le feu et dans le sang aux peuples de la quadruple entente une âme indomptable.
Les Allemands étaient forts parce qu'ils avaient inspiré la crainte aux peuples d'Europe. Cette crainte s'est évanouie avec le contact des armées.
N'ayant plus cet avantage moral, ils sont privés de leur ressort le plus vigoureux. Un jour qui ne tardera pas à venir, leur cruauté n'ayant plus aucun effet, ils se décourageront.
Et ce jour-là, ils sont battus.
RENÉ MERCIER.

L'ESPION DE LUNÉVILLE

Lunéville, 23 janvier 1915.
Le brocanteur Riss, de Lunéville, qui avait été arrêté sous l'inculpation d'espionnage, a comparu récemment devant un conseil de guerre se tenant aux environs de Nancy. Il a été condamné à cinq ans de détention dans une enceinte fortifiée.
On se rappelle que cet individu, le jour d'un raid d'un dirigeable allemand, avait allumé un foyer dans son jardin. Une perquisition faite à son domicile fit découvrir de nombreux objets provenant du champ de bataille.

Ils multiplient leurs coups
COUPS PERDUS

Paris, 23 janvier, 15 heures.
L'activité de notre infanterie a été, sur presque tout le front, consacrée à la réparation des dégâts causés dans nos travaux par le très mauvais temps des jours précédents. Nous avons progressé d'une centaine de mètres dans la région de Lombaertzyde.
Dans les secteurs d'Ypres, d'Arras, d'Albert, de Roye et de Soissons, combats d'artillerie, au cours desquels, en plusieurs points, nous avons pris l'avantage.
Berrv-au-Bac a été violemment bombardé par les Allemands.
L Au nord-ouest de Beauséjour, l'ennemi a prononce une attaque qui a été repoussée.
En Argonne, échec complet des Allemands à Fontaine-Madame, ainsi qu'il a été dit hier soir. Une attaque ennemie, près de Saint-Hubert, a donné lieu à un combat d'infanterie qui n'est pas terminé.
Aux dernières nouvelles, nous maintenions partout nos positions.
Sur la Meuse, le tir de notre artillerie a obligé l'ennemi à évacuer un dépôt de munitions et a gravement endommagé ses passerelles en avant de Saint-Mihiel.
En Alsace, Le combat d'infanterie continue dans la région d'Hartmanswillerkopf. Le contact sous bois est très étroit et l'action ininterrompue.
Près de Cernay, la cote 425 a été attaquée sans succès par l'ennemi.
Plus au sud, nous avons progressé dans la direction du Petit-Kahlberg (au nord et près du pont d'Aspach).

Une évacuation... forcée
SUR L'AISNE

Paris, 23 janvier, 16 heures.
Des radiotélégrammes allemands signalent que nos adversaires ont évacué des tranchées dans la vallée de l'Aisne, à la cote 103, près de Berry-au-Bac.
Il convient de préciser. Il ne s'agit pas en effet d'une évacuation spontanée. Mais c'est par une contre-attaque que nous nous sommes rendus maîtres des positions ennemies.
Nous avons fait, au cours de cette attaque, une quarantaine de prisonniers.

Échec allemand en Argonne
LA LUTTE EN ALSACE

Paris, 24 janvier, 0 h. 45.
Le communiqué officiel du 23 janvier, 23 heures, dit : En Argonne, le combat a continué toute la nuit à Fontaine-Madame et à Saint-Hubert. Toutes les tentatives de l'ennemi ont été repoussées. Le combat a repris ce matin.
On n'a pas encore de nouvelles des opérations de la journée sur ce point, non plus que de la lutte qui se poursuit en Alsace, à Hartmanewillerkopf.

LES RÉFUGIÉS DE LA MEUSE

NANCY, 24 janvier. - Une réunion des réfugiés de la Meuse s'est tenue dimanche après-midi à la Brasserie de la Poste, sous la présidence de M. Boudaille, de l'Association meusienne.
Lecture est donnée des demandes adressées au siège de l'Association, relativement aux allocations concernant les réfugiés.
La préfecture a fait connaître que les voeux émis lors de la réunion précédente seront pris en considération.
La Pharmacie Centrale a bien voulu accorder une remise de 10 % en faveur de tous les réfugiés, sur présentation d'une carte d'identité.
Beaucoup de commerçants ont l'intention de suivre ce mouvement en accordant des remises variant de 10 à 20 %.
Il est rendu compte des démarches faites pour découvrir des logements d'un loyer modeste.
M. Biévelot, qui administre en ce moment la commune de Nomeny, est présent à la séance ; il se tient prêt à aider par ses renseignements toutes les personnes qui recourront à son obligeance.
Le président a réussi heureusement à procurer divers emplois à plusieurs ouvriers dans le besoin ; il a fait secourir de pauvres gens jusqu'à présent privés d'allocations.
Le regret est exprimé que les réfugiés de Briey se tiennent à l'écart d'un mouvement ayant pour but de venir en aide à tous les réfugiés meusiens de Nancy et des environs. Mieux vaudrait un comité plus vaste, ayant plus de force, plus d'influence :
- Pourquoi le comité ne comprendrait-il pas tous les réfugiés lorrains, sans nulle exception ?
La question est du plus haut intérêt.
Quoiqu'un appel nouveau du comité de Briey ait été lancé, il est bien évident qu'une absolue communauté d'intérêts et de sentiments rattache solidairement entre eux les réfugiés de tout le pays lorrain et que, dans ces conditions, on peut d'ores et déjà nommer un comité définitif de défense comprenant les deux départements envahis.

Autour d'une circulaire

Il faut établir une distinction entre les allocations et les secours ; il faut protester contre la teneur des circulaires qui semblent oublier les «  droits » des citoyens pour leur adresser presque une injure en disant qu'ils obtiendront un secours. (Applaudissements.)
Le paiement des indemnités, en certains endroits, a donné lieu à des erreurs d'interprétation ou bien il s'est heurté au mauvais vouloir. La circulaire ministérielle est pourtant très claire. M. Montfeuillard, sénateur, est intervenu auprès du gouvernement, D'autre part, un autre sénateur, M. Charles Humbert, déclare que l'indemnité de 1 fr. 25 est matériellement insuffisante et il convient de l'accorder aussi bien à ceux qui travaillent qu'à ceux qui sont privés des moyens de gagner leur vie.
La circulaire énumère les moyens divers de pratiquer l'assistance, soit par les allocations en argent, soit par le remboursement de leurs dépenses aux personnes qui reçoivent chez elles, logent et nourrissent des réfugiés, soit par une heureuse combinaison de ces deux systèmes.
La dépense globale par individu doit être évaluée à une somme minima de 1 fr. 25.
La circulaire ministérielle du 1er décembre précise les obligations, les prescriptions qu'il y a lieu d'appliquer. Mais des restrictions fâcheuses sont parfois apportées et, à Nancy en particulier, on ne consent à payer les indemnités qu'à partir du 1er janvier et non à partir du jour où les réfugiés ont quitté leur pays.
Il doit y avoir une analogie entre les allocations militaires et les allocations aux réfugiés - sauf remboursement, après révision, par ceux qui, abusant de la situation, auraient indûment perçu une allocation, comme on a procédé pour les allocations militaires.
Refuser l'allocation à ceux qui travaillent constituerait une prime a l'oisiveté. Un père de famille, M. Mathieu, établit son budget pour six personnes ; ses dépenses quotidiennes atteignent 5 fr. 20. Il est impossible de vivre à meilleur marché. La nécessité s'impose donc de relever le taux des allocations.
On discute sur la franchise postale - accordée, selon les uns ; refusée, d'après les autres - aux réfugiés.

Un comité lorrain

L'assemblée émet à l'unanimité le voeu qu'un comité soit créé pour représenter les intérêts de toute la Lorraine, de toute la région de l'Est. L'union fait la force. Plus le comité recevra d'adhésions, plus son autorité grandira. Le bureau actuel de l'Association meusienne continuera son oeuvre ; M. Boudaille est désigné pour en occuper la présidence d'honneur.
M. Boudaille remercie. Il rend compte de son mandat. Il a écrit à la présidence de la République, au Pape, à l'ambassade d'Espagne, en Suisse, partout. Il n'a reçu que de rares satisfactions. N'importe, il ne boude point à la besogne ; il persistera à travailler pour le bien général.
Comment sera constitué le comité ? On tombe d'accord pour élire cinq membres pour la Meuse, cinq pour Meurthe-et-Moselle, dont trois pour la région de Nancy, et deux autres pour le pays de Briey.
On étudie un projet de fondation d'un Bulletin hebdomadaire, qui se vendrait un sou et qui fournirait aux intéressés tous les renseignements nécessaires. Il ne faut pas, surtout, qu'on voie dans une belle ville comme Nancy des malheureux laissés en plein air, sous la pluie, livrés aux railleries ou aux plaisanteries de gens sans éducation ou sans pitié :
- C'est un scandale dont nous souffrons, comme d'un outrage à notre dignité et à notre patriotisme de Lorrains, déclara énergiquement le président de la réunion. »
La nomination des comités a lieu ensuite. Les candidatures sont examinées avec soin. Les deux listes suivantes sont finalement adoptées :
Pour la Meuse : MM. Paquy, Ligier, Le Recouvreur, Robert et Mathieu ;
Pour Meurthe-et-Moselle : MM. de Crevoisier, Bailly, Brijard, provisoirement, en attendant l'adhésion des comités briotins.

Lieux de réunions

Une salle de réunion est offerte par M. Bohin, une permanence qui pourrait fonctionner à l'Office Social, rue de l'Equitation, tous les jours, de 10 heures à midi.
En outre, dans la salle des mariages, à l'hôtel de ville, un délégué recevra les réfugiés ayant besoin de conseils pour les démarches à entreprendre, pendant la matinée, de 10 heures à midi.
Des explications sont ensuite fournies au sujet de l'assistance médicale. Ce service produit d'excellents résultats. On distribue aussi les secours d'accouchement qui permettent de recevoir les soins de la plupart des sages-femmes de Nancy. Enfin, une carte est délivrée pour voyager sans argent à quiconque désire évacuer Nancy pour rejoindre sa famille ou pour obtenir ailleurs un emploi rémunérateur.
A cet égard, on pourra demander aux journaux de Nancy une insertion gratuite une fois par semaine, en faveur des ouvriers en quête d'une situation.
Le président émet le voeu d'une réunion, dimanche prochain, dans une des salles de spectacle cinématographiques. Les conférenciers ne manqueront pas. Avant de se séparer, les assistants auront le plaisir d'admirer quelques films curieux qui raviront les enfants et les femmes.
La question d'un organe spécial pour les réfugiés lorrains est de nouveau. étudiée ; elle rencontre un avis favorable. Des imprimeurs accepteront des conditions abordables ; la vente sera faite à la caserne Molitor par des jeunes gens de bonne volonté ; les dépôts dans les kiosques et dans les bureaux de tabac aideront aussi la diffusion. La date de publication sera ultérieurement fixée.
Le comité se réunira mardi prochain, à 18 heures, salle Déglin, rue de l'Equitation.
La séance est levée à 16 heures précises.
LUDOVIC CHAVE.

LEUR OFFENSIVE SE GÉNÉRALISE
Notre riposte partout progresse

Paris, 24 janvier, 15 h. 12.
Dans les régions de Nieuport et de Lombaertzyde, l'ennemi a préparé, par un violent bombardement des nouvelles positions conquises par nous, une attaque qu'il n'a pu exécuter. En effet, notre artillerie a dispersé ses rassemblements d'infanterie qui, baïonnette au canon, se préparaient à donner l'assaut.
Autour d'Ypres, combats d'artillerie d'une intensité variable.
Près du Rutoire, aux environs de Vermelles, notre artillerie a obligé l'ennemi à évacuer une tranchée avancée.
Dans la vallée de l'Aisne, nos batteries ont réduit au silence ou ont démoli plusieurs pièces allemandes, et obligé des avions allemands à faire demi-tour. Elles ont détruit des ouvrages près de Soupir et de Heurtebise.
Près de Berry-au-Bac, à la cote 108, notre infanterie a enlevé une tranchée.
De l'Aisne à l'Argonne, dans Les secteurs de Prunay, dei Souain, de Perthes, de Beauséjour, de Massiges, et au sud de Ville-sur-Tourbe, tir continu et efficace de notre artillerie sur les ouvrages de l'ennemi.
En Argonne, dans la région de Saint-Hubert et de Fontaine-Madame, Le combat d'infanterie se poursuit dans un élément de tranchée avancée qui a été, plusieurs fois, pris, perdu et repris depuis 48 heures.
Entre la Meuse et les Vosges, un brouillard épais a empêché les opérations.
En Alsace, dans la région de Hartmanswillerkopf, nous avons progressé sur notre aile droite, malgré l'extrême difficulté du terrain.
Près de Steinbach, une attaque ennemie, partie de Uffholtz et préparée par un violent bombardement, s'était un instant rendue maîtresse d'une de nos tranchées avancées, mais celle-ci a été reprise par une vigoureuse contre-attaque.
(Hartmanswillerkopf est un sommet qui se trouve à 6 kilomètres et demi environ au nord-ouest de Cernay et à 4 kilomètres au nord de Steinbach. Son altitude est de 1.123 mètres. Le village de Hartmanswiller est à 6 kilomètres 4 l'est de ce sommet.)

Paris, 24 janvier, 23 heures.
Bombardement intense par les Allemands de la région au nord de Sillebeke et vive fusillade prés du château de Herentag.
Pas d'attaques de l'infanterie.
Quelques obus sur Arras ; fusillade au nord de la ville.
Dans la région d'Albert, l'ennemi a lancé de nombreuses bombes sur La Boisselle, mais notre artillerie l'obligea à cesser le feu.
Fusillade assez vive vers Cernay.
En Argonne, les combats dans la région du Four-de-Paris ont pris fin. Nous avons conservé toutes nos positions, sauf une cinquantaine de mètres d'une tranchée qui avait été démolie par Les grosses bombes de l'ennemi.
En Alsace, la lutte s'est poursuivie aujourd'hui dans la région d'Uffholtz et dans celle de Hartmanswillerkopf, où nous bordons les réseaux de fil de fer établis par les Allemands.
Nous n'avons pas encore de nouvelles de la journée.

UNE JOURNÉE DE CANONNADE
Destruction des ponts de Saint-Mihiel par nos batteries. - Surprise d'un détachement bavarois à Emberménil.

Paris, 25 janvier, 15 h. 12.
En Belgique, nous avons progressé légèrement à l'est de Saint-Georges. Sur le reste du front, duels d'artillerie.
De la Lys à l'Oise, canonnade intermittente.
Sur le front de l'Aisne, rien à signaler, sauf toutefois à Berry-au-Bac, où une contre-attaque ennemie a été repoussée hier matin. Les tranchées disputées restent donc en notre pouvoir.
En Champagne, nous avons démoli plusieurs ouvrages et abris allemands.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, une très vive fusillade a été arrêtée par le tir efficace de nos batteries.
Sur la Meuse, la destruction des ponts de Saint-Mihiel par notre artillerie a été achevée.
En Lorraine, à Emberménil, nous avons surpris un détachement bavarois et lui avons fait des prisonniers.
Dans les Vosges et en Alsace, il y a une brume intense.

Paris, 26 janvier, 11 h. 5.
Communiqué du 25 janvier, 23 heures : Rien à signaler.

DEUX ÉCHECS ALLEMANDS
près d'Ypres et près de La Bassée

Paris, 26 janvier, 15 h. 26.
Sur le front de l'Yser, les troupes belges ont progressé dans la région de Pervyse.
Les Allemands ont lancé, à la pointe du jour, contre nos tranchées à l'est d'Ypres, une attaque forte d'un bataillon.
Cette attaque a été arrêtée net. Les Allemands ont laissé 300 morts sur le terrain, parmi lesquels le commandant de la compagnie de tête, L'attaque devait être appuyée par des compagnies de deuxième ligne, mais celles-ci, sous le feu très précis de notre artillerie, n'ont pu sortir de leurs abris.
Près de La Bassée, à Givenchy, l'ennemi a lancé contre les lignes anglaises cinq attaques.
Après avoir légèrement progressé, les Allemands ont été repoussés. Ils ont laissé sur le terrain de nombreux tués et nous avons fait soixante prisonniers, dont deux officiers.
Cette attaque avait été accompagnée d'une tentative de diversion sur plusieurs points de notre front.
Entre la route de Béthune à La Bassée, à Aix-les-Noulettes, une fraction ennemie qui essayait de sortir de ses tranchées a été instantanément arrêtée par le tir de notre infanterie et de notre artillerie.
Sur le reste du front, entre la Lys et l'Oise, duel d'artillerie.
A l'ouest de Craonne, l'ennemi a prononcé deux attaques successives d'une violence extrême.
La première a été repoussée. La seconde a pénétré dans nos tranchées ; mais, par une contre-attaque énergique, nous avons regagné la presque totalité du terrain perdu. La lutte continue autour des éléments de tranchées encore occupés par les Allemands.
En Champagne, tandis que l'artillerie ennemie montrait moins d'activité que les jours précédents, nos batteries tiraient efficacement sur les positions allemandes.
En Argonne, dans la région de Saint-Hubert, nous avons enrayé par notre feu une tentative d'attaque.
En Alsace, l'ennemi a employé activement ses lance-bombes contre nos positions, à Hartmansweilerkopf, où il n'y a pas eu de nouveaux combats.
L'ennemi a bombardé Thann, Lembach et Sentheim.

Paris, 26 janvier, 23 heures.
Les troupes britanniques ont repoussé, la nuit dernière, une nouvelle attaque sur Givenchy-les-La-Bassée. Elles ont achevé par une contre-attaque, de réoccuper leurs positions de la veille.
Le combat a été très chaud. Sur un seul point, sur la route de Béthunie à La Bassée, les Allemands ont laissé 300 morts.
Hier soir, à la suite d'une violente attaque déjà signalée, l'ennemi a pu pénétrer dans nos tranchées, entre Heurtebise et le bois Foulon, à l'ouest de Craonne, après leur complet bouleversement par des torpilles aériennes.
Aux dernières nouvelles, nous contre-attaquions la, partie du bois Foulon et le terrain perdu était reconquis.
En Argonne, nos troupes ont prononcé deux attaques, vers Saint-Hubert et vers Fontaine-Madame.
Elles ont réussi à reprendre pied dans les tranchées récemment perdues et à bouleverser plusieurs sapes allemandes.
Une contre-attaque ennemie a été repoussée.
La nuit du 25 au 26 a été calme en Alsace et dans les Vosges.
Rien d'important à signaler sur le reste du front.

LES ALLEMANDS A SAINT-DIÉ
Instructifs épisodes

Nancy, 27 janvier 1915.
Un honorable négociant de Saint-Dié venu à Nancy pour achats a fait le récit de quelques événements qui démontrent une fois de plus avec quel soin nos ennemis avaient préparé la guerre en même temps qu'ils établissent leur triste mentalité.
Un des premiers jours de l'occupation allemande, ce négociant, M. M..., se trouvait attablé avec quelques amis dans un des principaux cafés de la ville, rempli presque entièrement de militaires qui buvaient de nombreux «  halp » de bière française qu'ils trouvaient délicieuse.
Parmi ces militaires, les Déodatiens remarquaient un fort et solide gaillard ayant rang de sous-officier qui tenait tendrement entre ses bras un bébé âgé de quelques années.
M. M..., se penchant vers son voisin, dit : «  Tiens, en voici un qui a déjà amené son enfant, il n'est pas en retard. » Ces paroles avaient été prononcées à voix basse, afin qu'elles ne pussent être entendues, pour éviter tout désagrément ; mais le sous-officier teuton, qui fixait attentivement le petit groupe de Français, avait parfaitement entendu le propos.
S'avançant vers M. M., il lui dit :
- Vous ne me reconnaissez pas ? »
Comme M. M... esquissait un signe de dénégation, il ajouta : «  Je suis un tel : c'est moi qui étais contremaître chez M. X..., l'entrepreneur de charpente, pendant les travaux des nouvelles casernes. »
Puis, après quelques secondes de silence, il continuait : «  Cet enfant, c'est le mien, ma femme habite encore Saint-Dié ; elle est même inscrite pour toucher les secours de la ville. »
M. M..., devant tant de cynisme, resta tellement ahuri que, sans prononcer aucune parole, il se levait et quittait l'établissement.

Quelques jours après, M. M... se promenait seul dans les rues de la ville, lorsqu'il fit la rencontre d'un sous-officier allemand qui, dans un français au fort accent tudesque, lui demanda où il pourrait trouver des vins du Rhin et de la Moselle, ainsi que du Champagne pour fêter leur victoire.
M. M... se contenta de lui indiquer plusieurs négociants en vins. L'Allemand, cette fois, en pur français, s'écria : «  Merci, monsieur M..., je vais chez M. H..., je trouverai là ce qu'il me faut. »
Indigné, M. M... l'interpella, disant :
- Puisque vous le savez aussi bien que moi, pourquoi me le demandez-vous ? »
Le Boche de répondre, en s'esclaffant :
- Je voulais voir si vous auriez reconnu un de vos anciens clients, monsieur M..., car j'ai habité longtemps Saint-Dié, où j'ai été comptable. »
Content de sa plaisanterie, l'Allemand s'en allait immédiatement commander les vins qui lui convenaient.
Le négociant, ne voulant pas que sa marchandise soit bue par les Allemands, répondit qu'il n'avait pas ce qu'on lui demandait.
Le sous-officier, sans se démonter, dit :
- Je sais ce que vous avez dans vos caves, donnez-le maintenant, je le paierai comptant. Si vous refusez, je serai obligé de procéder par réquisition, et alors vous devez comprendre quel est votre intérêt. »
Devant cela, le marchand de vins s'exécuta et livra la marchandise, qui fut payée intégralement.
M. M..., parlant des pillages des Allemands, indique ce que l'on sait que les officiers pratiquaient eux-mêmes les vols dans les maisons, emportant tout ce qui était à leur convenance, ne laissant aux soldats que les menus objets sans aucune valeur.
Un Boche ayant trouvé dans le havre-sac d'un soldat français de fines chemises, s'était empressé de s'en emparer. Son geste avait été vu par un lieutenant qui, en voyant la qualité du linge, jugea qu'il ne pouvait être porté que par un officier de l'empereur.
Aussi, le sabre haut, la menace à la bouche, il arracha brusquement le produit du vol à son inférieur, qu'il plaça sous le bras gauche, pendant qu'il s'éloignait en hâte, sans doute, de se vêtir des dépouilles d'un de nos braves.
M. M... fait cependant remarquer que certains officiers faisant partie de l'état-major se montrèrent très dignes, manifestant des regrets des actes commis par l'armée allemande, mais qu'ils ne pouvaient pas malheureusement empêcher.
Pendant plusieurs jours, tout fut pillé, notamment lorsque vinrent les femmes allemandes, qui faisaient main-basse surtout sur le linge de corps, les vêtements, les bibelots ; on vit même une voiture d'enfant placée sur un camion automobile dans lequel se trouvait une femme d'officier.
Lorsque survint l'ordre de la retraite, ce fut une vraie débâcle, dit M. M... Les officiers, pour faire avancer plus rapidement leurs hommes, les frappaient à coups de cravache. Les artilleurs, au grand trot de leurs montures, passaient au milieu de la horde qui s'enfuyait, frappant de leur fouet les fantassins sans s'occuper si quelques-uns tombaient à terre ou si les roues des caissons et des pièces les écrasaient.
Pendant plus de deux heures, ce fut une véritable ruée vers la frontière, puis, lorsque le dernier ennemi eut disparu, on put constater que la route était jonchée d'armes et de vêtements abandonnés par les fuyards pour activer leur course.

ON ÉVACUE
Port-sur-Seille est vide

Nancy, 27 janvier 1915.
L'ordre formel a été donné par l'autorité militaire d'évacuer aujourd'hui même le pauvre village de Port-sur-Seille, dont il ne reste guère que des ruines.
Une quinzaine d'habitants vivaient tant bien que mal dans leurs maisons ; le curé était leur guide et leur soutien ; le ravitaillement s'opérait avec l'aide de la troupe. La situation n'avait rien, hélas ! qui permît d'espérer une amélioration au sort des braves gens qui, depuis six semaines, entendent jour et nuit sur leurs têtes le sifflement sinistre des obus.
Port-sur-Seille devait être vide de ses habitants vendredi dernier. Un sursis a été accordé : quatre jours, afin de préparer les ballots de vêtements, le maigre chargement de linge et de literie, les quelques objets qui seront pêle-mêle jetés sur une charrette parmi les souvenirs de famille. Il faut partir !
Où vont se réfugier les derniers habitants de la petite commune ? La plupart d'entre eux demeureront à Nancy. Ils iront de l'asile de nuit à la caserne Molitor où par centaines, d'autres paysans lorrains ont déjà installé leurs pénates.
La région de Port-sur-Seille devenait un véritable enfer.
En un seul jour, le vendredi 15 janvier, plus de cent obus boches sont tombés sur le village désolé. Les maisons qui avaient jusqu'alors échappé à l'incendie n'ont pas été épargnées.
L'église avait surnagé dans le naufrage. Elle dressait tristement son humble clocher, comme un mât où s'accroche un suprême espoir de salut ; mais l'artillerie allemande l'a pris enfin pour cible.
Toutes les fenêtres de l'église ont volé en éclats ; les tombes du cimetière tout proche ont été brisées ; une demi-douzaine de bombes se sont abattues autour du presbytère dont les vitres ont presque entièrement disparu. Comment le bon vieux curé a-t-il pu s'en tirer sain et sauf ? C'est un miracle.
On a appris, par les journaux parisiens, qu'un duel effrayant mettait aux prises les canons allemands d'Eply et nos batteries installées à proximité du château de Dombasle.
Les résultats de cette lutte se chiffrent certainement par des pertes cruelles dans le camp ennemi ; ils sont exactement d'un officier tué à son poste téléphonique, d'un soldat mortellement atteint et de cinq autres blessés.
Le clocher de Raucourt, où les Boches avaient installé des mitrailleuses, s'est effondré sous nos projectiles, avec les officiers et soldats qui tiraient sur nos troupes.
Une de nos patrouilles a ramassé quelques prisonniers vers la fin de la semaine dernière.
Puisque l'arrivée, aujourd'hui même, des réfugiés de Port-sur-Seille, donne un regain d'actualité aux événements qui eurent récemment pour théâtre les crêtes de Clémery, nous complétons les renseignements en disant que cette action s'est terminée pour les Allemands, par un échec plus coûteux encore que ne semblaient l'annoncer les termes du communiqué officiel Ah ! chers jolis villages de la vallée de la Seille, que de ruines s'entasseront là où étaient des fermes prospères et des maisons heureuses ! Dans quel état les évacués retrouveront-ils un jour l'âtre éteint, la cave abandonnée, le grenier épuisé par les réquisitions, les chambres où survivaient l'âme, les souvenirs, les habitudes de laborieuses et tranquilles générations ?
MARCEL DURIEUX.

L'OCCUPATION ALLEMANDE DANS LA MEUSE

Nancy, 27 janvier 1915.
Les détails suivants parviennent sur l'occupation allemande dans la région de la Meuse. Ils se rapportent, en général, au, laps de temps écoulé entre le 10 janvier et les premiers jours de cette semaine.
A Avillers (canton de Fresnes-en-Woëvre), toute la population masculine de seize à soixante ans a été emmenée en Allemagne. M. Alcide Biaise, adjoint au maire, est prisonnier à Zwickau (Saxe). On ne sait ce que sont devenus les enfants, les femmes et les jeunes filles.
A Saint-Mihiel, les dégâts matériels ne seraient pas trop considérables jusqu'à présent. La ville a dû payer une contribution dé guerre. On se bat tous les jours aux portes de Saint-Mihiel. D'après Les renseignements qui nous sont communiqués, les Allemands occuperaient des maisons place de l'Eglise-du-Bourg et rue des Chanoines. Un obus français ayant démoli l'escalier d'un de ces immeubles, ils se seraient réfugiés dans la maison Honoré, toute proche. A Loupmont, 21 civils ont été fusillés. Des habitantes de Saint-Mihiel, au nombre de 700 ou 800, sont prisonnières en Allemagne.
A Marchéville, dans les environs de Fresnes-en-Woëvre, les femmes, les jeunes filles et les enfants ont été emmenés en Allemagne. Quelques prisonnières ont pu faire parvenir des nouvelles. Elles sont au camp de concentration d'Amberg (Bavière), avec 650 ou 700 compagnes de captivité. Beaucoup de prisonnières se connaissent. Elles ne sont pas trop malheureuses: cependant elles se plaignent du froid, car on ne leur a pas laissé emporter de vêtements chauds.
A Vauquois; le maire a été fusillé. La butte de Vauquois a été transformée par les Allemands en une énorme taupinière dominant le chemin du Four-à-Chaux, et où ils ont construit des chemins couverts en ciment armé, protégés contre la pluie par tous les volets, portes, fenêtres, planches, madriers pillés aux alentours.
Entre Cheppy et Montfaucon, la ferme de Neuve-Grange, située sous bois, sert de magasin de provisions aux Allemands. Ils ont relié la ferme, par un Decauville, à la route de Dun. Les forêts de Cheppy et d'Argonne sont exploitées par les Allemands qui coupent les plus beaux arbres et les envoient dans la direction de Berlin.
A Ecouviez, il ne reste que quatre familles. Les Allemands ne font point de crédit. Les Français restés dans la région envahie vivent de légumes et achètent un pain par semaine.
Un habitant d'Herbeuville, revenu d'Allemagne après un séjour forcé de trois mois raconte que les soldats du kaiser avaient découvert des cachettes pratiquées par les habitants avant l'arrivée de l'ennemi. Au camp de concentration allemand, les prisonniers civils couchaient sur des paillasses avec une seule couverture. Ils avaient du café noir le matin avec un morceau de pain noir ; à midi, une jatte de choucroute ou de pommes de terre et du riz; le soir, du café ou de la soupe. Les ciseaux et les couteaux étaient interdits. L'instituteur d'Herbeuville, ayant l'instituteur de Viéville comme adjoint, fait la classe à 143 enfants de Hanonville et les villages voisins, tous prisonniers à Ulm (Bavière).
Presque tous les habitants de Sivry-sur Meuse, même les femmes, sont retenus prisonniers en Allemagne.
Le 7e régiment de réserve allemand est à Etain.
Le 102e régiment saxon et l'état-major de la 5e division de réserve sont à Spincourt.
L'état major de la 9e division de réserve est à Amel.

NOS SUCCÈS d'YPRES et de LA BASSÉE
Ce sont deux gros échecs allemands

Paris, 27 janvier, 15 h. 32.
Dans les secteurs de Nieuport et d'Ypres, combats d'artillerie.
Un avion allemand a été abattu dans Les lignes de l'armée belge.
Les déclarations des Allemands que nous avons faits prisonniers, mardi, établissent que ce n'est pas un bataillon, mais une brigade, qui a attaqué nos tranchées, le 25 janvier, à l'est d'Ypres.
L'ennemi a perdu, dans cette affaire, l'effectif d'un bataillon et demi.
Il se confirme que, près de La Bassée, à Chivanchy-Guinchy, les Allemands ont subi hier un gros échec. Sur la seule route de La Bassée à Béthune, on a retrouvé les cadavres de six officiers et de cent hommes.
Les pertes totales des Allemands représentent donc certainement l'effectif de deux bataillons au moins.
De Lens à Soissons, combats d'artillerie.
Dans la région de Craonne, nous nous sommes maintenus dans les tranchées que nous avions reprises au cours des contre-attaques du 25 janvier.
Dans la région de Perthes, à la cote 200, quatre violentes attaques ennemies ont été repoussées.
En Argonne, dans la région de Saint-Hubert, une attaque allemande a été refoulée à la baïonnette.
A Saint-Mihiel, nous avons détruit de nouvelles passerelles construites par l'ennemi sur la Meuse La journée a été calme en Lorraine et dans les Vosges.

A LEUR ACHARNEMENT
on répond par de
BRILLANTES CONTRE-ATTAQUES

Communiqué du 27 janvier, 23 heures :
L'ennemi a tenté un coup de main, la nuit dernière, dans le bois de Saint-Mard, dans la région de Tracy-le-Val.
Après une vive fusillade, l'ennemi a fait exploser des mines, qui ont bouleversé nos tranchées sur un front d'une cinquantaine de mètres, mais il n'a pas pu s'y installer, en raison des tirs de barrage de notre artillerie.
Ces tranchées ont été réoccupées par nos troupes et remises en état.
A l'ouest de Craonne, la nuit a été calme. Les combats du 25 et du 26 janvier, dans cette région, ont présenté la physionomie suivante : Après un bombardement prolongé et intense par des projectiles de gros calibres et des bombes, l'infanterie allemande a attaqué le front de Heurtebise au bois Foulon.
Elle a été repoussée partout, avec de grosses pertes, sauf à la Creute.
Un éboulement, provoqué par la chute de gros projectiles, a obstrué l'entrée d'une ancienne carrière qui servait de magasin et d'abri à la garnison de nos tranchées de la Creute, composée de deux compagnies.
Ces troupes s'y sont donc trouvées prises.
L'ennemi ayant ainsi pris pied à la, Creute, s'infiltra dans le bois Foulon et rendit intenables les tranchées avoisinantes, que nous avons dû évacuer.
Des contre-attaques, qui nous rendirent une bonne partie du terrain perdu, furent très brillantes. L'ardeur de nos troupes se montra au-dessus de tout éloge. L'ennemi subit des pertes très élevées. Il laissa un millier de cadavres sur le terrain.
Les prisonniers que nous avons faits là appartiennent à quatre régiments différents, ce qui montre bien l'importance de l'attaque.
Dans l'Argonne, vers Saint-Hubert, une attaque allemande a échoué. Dans la journée, trois nouvelles attaques ont eu lieu, à deux heures l'une de l'autre.
Elles ont été vigoureusement repoussées.
La nuit du 26 au 27 a été calme en Alsace et dans les Vosges.
Rien d'important à signaler sur le reste du front.

UN DE PLUS

Pont-à-Mousson, 27 janvier 1915.
Pendant un récent bombardement, un obus a troué le gros gazomètre. Tout le gaz s'est échappé, mais là se bornent heureusement les dégâts. Un autre obus a endommagé un coin de toiture de la maison Schneider. Divers autres projectiles se sont perdus dans des jardins. Aucun accident de personne.

A MONCEL-SUR-SEILLE
La domination allemande
LES OTAGES

Nancy, 28 janvier 1915.
Le riant village, qui se mire aux claires eaux de la Loutre, est en nos mains. Il n'a guère changé. La population est évacuée ; mais les, maisons gardent la physionomie d'accueil simple et cordial que donnait à leur seuil le salut d'un hôte empressé, son bonjour, son souhait au passage, sa main largement tendue, son invitation à vider ensemble une poudreuse bouteille du pays.
La dégringolade des toits inégaux au creux de la petite vallée, le carrefour sillonné d'autos rapides qui filaient vers la frontière, le retour las des attelages dans les fermes où fume l'âcre transpiration des étables, tout cela formait un tableau rustique auquel la guerre a fait peu de retouches.
C'est à peine si les stigmates fuligineux de l'incendie laissent çà et là quelques traces. Les Barbares ont réduit au strict minimum le désastre ; ils se sont contentés de piller - histoire de maintenir chez eux les traditions ; - mais leurs exploits n'ont pas dépassé les limites du cambriolage en règle, avec charrettes et camions pour le transport du linge, du mobilier.
Les Boches n'ont pas attendu la déclaration de guerre pour franchir le pont métallique, à la sortie de Pettoncourt ; ils violèrent notre territoire dès la fin juillet. Un peloton de 17 cyclistes et de 13 uhlans pousse ses audacieuses reconnaissances jusqu'au village où ils voulurent s'emparer de la poste.
Mais on s'attendait à cette visite. Les précautions étaient prises. La recette des postes avait expédié tous les courriers ; les tiroirs étaient vides ; Les fils télégraphiques étaient coupés. L'aventure ménagea donc aux intrus une forte déception.
Qu'à cela ne tienne ! Puisqu'il n'y a rien dans les caisses de la poste, on tâchera de se rattraper sur la gare. On y pratiquera aussi une perquisition dans les caves du buffet où René Herment cache jalousement les vieux crus récompensés aux expositions oenophiles. Cette fois, on est sûr de ne point rentrer bredouilles.
La déclaration de guerre devait ramener bientôt à Moncel les hordes maintenant organisées pour les razzias. Chose facile. Une partie des habitants a fui devant l'invasion. Les maisons sont abandonnées. Entre qui veut. Tout ce qui présente un peu de valeur ou d'intérêt est chargé sur les voitures réquisitionnées exprès en vue du déménagement général.
Cela ne suffit pas. II faut du blé, de l'avoine. Or les granges sont presque vides. La moisson attend dans les champs qu'on vienne lier et ramasser les gerbes. Ordre est donné alors de faire immédiatement ce travail. Les hommes auront de la farine ; les chevaux du fourrage. Les nouveaux maîtres de Moncel jettent leur dévolu sur les moutons, la volaille - et le butin prépare le festin.
Cependant l'administration municipale avait passé aux mains d'un homme dont la conduite mérite les plus vifs éloges. Quoique ses fonctions de receveur buraliste fussent incompatibles avec le mandat de maire qu'il allait remplir au milieu de difficultés sans cesse renaissantes, M. Eugène Souchon assuma avec une remarquable fermeté les responsabilités de la charge dont la confiance publique s'empressa de l'honorer.
Nous avons reçu la visite de M. Souchon.C'est un citoyen modeste. Il semble que la grandeur de son rôle lui échappe ; il se souvient qu'il a ravitaillé 12.000 Allemands prompts à lui placer le revolver ou la baïonnette sur la gorge ; mais, quand on lui parle de son courage, de sa ténacité, de son dévouement, il dérobe aussitôt sa personnalité derrière la collaboration de ceux qui restèrent fidèlement à ses côtés, tant qu'il eut plus de coups et d'injures à recevoir que de remerciements et de félicitations.
- Oui, nous dit-il, l'abbé Klein et mon collègue Eugène Marchal, conseiller municipal, ont rendu à Moncel des services auprès desquels les miens sont fort peu de chose.
- Vous avez été emmenés comme otages à Château-Salins ?
- Sans doute. Tous les trois. Entre Château-Salins et Hampont, au lieu dit «  Le Calvaire », un endroit bien nommé n'est-ce pas ? on s'arrête. Le chef du détachement demande douze volontaires pour nous fusiller. Des mains se lèvent.
Les soldats sortent des rangs. Le peloton d'exécution apprête ses fusils. Un sous-officier inscrit sur une liste les noms de nos douze bourreaux. Je déboutonne mon veston : «  Nous mourrons en territoire annexé, dis-je ; mais nous tomberons en bons Français. »
Subitement un ordre, arrive. C'est la grâce. Les otages ont la vie sauve. Il y a là MM. Bourgogne, Flerry, Marck, Didillon, Charles Souchon, un brave gars de 18 ans. Pas un seul d'entre eux ne bronche sous les humiliations et les insultes.
Autres épreuves, nouveaux supplices. On jette les otages dans les geôles de Château-Salins ; ils y sont détenus pendant dix jours. Les souffrances physiques et morales ne leur sont point épargnées.
Enfin, le samedi 5 septembre, au soir, les portes s'ouvrirent et, sans qu'on sût les motifs de leur clémence, les Boches rendirent à la liberté leurs prisonniers, qui reprirent le chemin de Moncel-sur-Seille.
- Je n'ai guère profité de ma liberté, continue M. Souchon. La débâcle d'Amance se produit. L'ennemi fuit. Il ne veut laisser derrière lui aucun suspect. Eh traversant Moncel, des soldats s'emparent encore du digne curé et de moi... En route pour Chambrey ! Il pleut à verse. Les routes s'encombrent de troupes en désordre. On avance lentement, péniblement. On ne met pas moins de cinq heures pour faire les trois kilomètres qui nous séparent de Chambrey, où nous retrouvons la paille des cachots, sale et toute grouillante de vermine... »

Pendant cette retraite, le canon d'Amance grondait sans relâche. Vacarme effroyable. Notre artillerie s'était évertuée pendant plusieurs jours à repérer dans le cercle hostile de l'horizon, les batteries dont le feu jaillissait simultanément de Brin, des Erventes, de Sornéville et du Bois- Morel ; mais, cette fois, elle voyait clair, elle abattait de la bonne besogne, elle dirigeait ses coups avec une admirable précision, elle décimait rageusement les masses profondes de l'infanterie, harcelait la fuite des cavaliers.
- Ah ! je vous assure, Monsieur, que les Boches ne songeaient plus à ricaner, à blaguer nos «  tuyaux de pipe », comme ils appellent nos 75... A chaque explosion, ils tressaillaient, ils avaient comme un sursaut de panique, à croire qu'ils avaient contracté tous la danse de Saint-Guy... »
Le coeur des otages bondissait aussi dans leur poitrine ; mais d'un enthousiasme, d'un espoir, d'une foi dans la victoire qui éclairaient d'un sourire leur visage :
- J'aurais sacrifié ma vie, s'écrie M. Souchon, pour lie plaisir d'apercevoir, en jetant un regard en arrière, nos légers canons profitant sur quelque crête leurs silhouettes de sauterelles grises ! »
La détention fut courte. Vingt-quatre heures seulement. Les otages revinrent à pied vers Moncel. Mais, à chaque retour offensif de l'ennemi, il était certain qu'ils seraient ainsi repris et écroués tantôt à Château-Salins, tantôt à Chambrey, à moins, que le peloton d'exécution....
M. Eugène Souchon l'échappa belle. Un soir qu'il revenait de Nancy avec un convoi de subsistances, une sorte de pressentiment l'avertit du danger. En son absence, les Boches s'étaient réinstallés dans son village. Il hâta le pas ; il devança les charrettes et entra chez lui :
- Quoi de nouveau ? demanda-t-il à sa femme.
- Ah ! mon pauvre ami, sauve-toi... Les Boches sortent d'ici. Ils doivent revenir. lis te cherchent ; ils m'ont dit qu'ils avaient reçu l'ordre de te fusiller... Tu n'as que le temps de filer à travers nos jardins. »
Les ténèbres étaient profondes. M. Souchon s'élança dans les champs. Des sentinelles tirèrent. Sous le sifflement des balles, le maire réussit à gagner un abri, puis à se réfugier dans les lignes françaises.
Telle est l'histoire de M. Eugène Souchon.
Elle est simple et noble. Elle, justifie l'hommage que rendent à ce brave citoyen les habitants de Moncel, dont la pétition vient de nous être remise et qui témoigne des sentiments de reconnaissance que M. Souchon inspire dans son pays.
Nous ajoutons cette belle page aux magnifiques chapitres d'héroïsme qui illuminent d'un éclat de radieuse épopée la défense des villages lorrains.
ACHLLE LIEGEOIS.

DEPUIS L'OCCUPATION

Pagny-sur-Moselle, 28 janvier 1915.
Un de nos concitoyens a pu avoir les détails suivants d'un réfugié de Pagny :
«  A deux reprises, Pagny fut bombardé par les canons du fort Saint-Blaise. Un jour, ils lancèrent environ 250 obus, faisant des dégâts matériels peu importants, notamment aux environs du cimetière et du passage à niveau. Une autre fois ils envoyèrent 35 projectiles. C'est le 24 août que les Allemands occupèrent Pagny pour n'en plus repartir jusqu'à ce jour. Mas il ne restait guère que 300 habitants à ce moment. Depuis lors, on n'a eu que de rares nouvelles par des personnes qui parvinrent au péril de leur vie à traverser les lignes allemandes.
On a pu savoir notamment qu'un général s'est installé chez M. Antoine, l'ancien trésorier payeur général, et qu'il a fait changer les noms de toutes les rues. Les habitants peuvent, paraît-il, se ravitailler assez facilement par Metz, sauf quand l'artillerie française bombarde la gare et démolit les trains se trouvant entre Pagny et Arnaville.
A plusieurs reprises les Allemands les enfermèrent pendant quelques jours dans l'église, craignant sans doute qu'ils ne fissent des signaux à nos artilleurs. Ils ont emmené les jeunes gens restés à Pagny du côté de Dieuze, où ils les obligent à creuser des tranchées. Ils en renvoyèrent cependant trois par la Suisse. Il faut d'ailleurs ajouter qu'ils étaient malades et incapables de travailler.
Et ce réfugié nous dit, en terminant qu'à sa connaissance il n'v aurait aucune victime à Pagny des balles ni des obus allemands. A part la gare bombardée par nos artilleurs, les maisons seraient à peu près intactes.

VISITE DE JOURNALISTES ÉTRANGERS

Lunéville, 28 janvier 1915.
Samedi dernier, huit journalistes étrangers, dont un Russe, un Anglais, deux Américains, un Espagnol, un Hollandais, un Italien et un Roumain, arrivaient à Lunéville en automobiles, conduits par le capitaine d'Aremberg, le lieutenant More-Journel et quelques sous-officiers.
Ils descendirent à l'Hôtel des Vosges, où ils déjeunèrent.
C'est là que M. Minier, sous-préfet, et M. Keller, maire de Lunéville, furent saluer les journalistes étrangers dès qu'ils eurent connaissance de leur arrivée.
Après avoir visité la ville, les journalistes s'en furent à Gerbéviller, où ils purent constater, comme à Lunéville, la réalité des faits rapportés par la presse française.
Ils revinrent à Lunéville le soir même, où ils furent reçus chez M. Keller, maire, qui tint à leur offrir un goûter arrosé d'une bonne flûte de Champagne.
M. le Maire remit aux journalistes plusieurs centaines de cartes postales, vues reproduisant les ruines de notre région occasionnées par les hordes barbares et constituant une preuve écrasante des atrocités que leur kaiser ose nier.

ANNIVERSAIRE COUTEUX DU KAISER
Les Allemands ont fait, sur tout le front, un gros effort pour offrir une victoire à leur empereur. - Ils ne lui offrent qu'un complet et sanglant échec.

Paris, 28 janvier, 15 h. 32.
A l'occasion de l'anniversaire de l'empereur nos adversaires avaient annoncé, pour hier, un gros effort.
Ce gros effort s'est produit, mais il n'a pas tourné à leur avantage.
La journée a été bonne pour nous, sur toute l'étendue du front.
Toutes les attaques allemandes ont été repoussées. Toutes les attaques françaises ont progressé.

En Belgique
En Belgique, les positions ennemies ont été canonnées. Plusieurs de ses tranchées ont été démolies.

De la Lys à Soissons
Au nord de la Lys, l'artillerie anglaise a battu les routes et les points de rassemblement des troupes allemandes.
Dans les secteurs d'Arras, d'Albert, de Roye, de Noyon et de Soissons, canonnades et fusillades intermittentes. Sur divers points, l'infanterie ennemie a tenté de sortir de ses tranchées pour attaquer. Elle a été aussitôt repoussée par un feu intense.

C'est une brigade qu'ils ont perdue vers Craonne
Dans la région de Craonne, les pertes totales subies par les Allemands, les 25 et 26 janvier, atteignent certainement l'effectif d'une brigade. Les prisonniers allemands ont tous l'impression d'avoir subi un gros échec Nos pertes, en tués, blessés ou disparus, pour ces deux journées, sont de 800 hommes environ. Elles s'expliquent à la fois par l'intensité du combat et par l'effondrement partiel, signalé hier, d'une ancienne carrière où deux compagnies s'étaient abritées pendant le bombardement et, se trouvant emmurées, durent tomber vivantes aux mains de l'ennemi pendant la première partie de l'attaque.
Nos contre-attaques nous ont rendu la totalité du terrain disputé.

De Reims à l'Argonne
Dans le secteur de Reims à l'Argonne, duel d'artillerie où nous avons maîtrisé les batteries ennemies.
En Argonne Comme il a été dit hier soir, trois attaques allemandes dans l'Argonne: à Fontaine-Madame, à 6 heures, à 10 heures et à 13 heures, ont été complètement refoulées.

Au bois d'Ailly
Il en a été de même de trois attaques allemandes au bois d'Ailly, au sud-est de Saint-Mihiel.

A Parroy et à Bures
Des détachements ennemis ont été repoussés à Parroy et à Bures.
Bures, du canton d'Arracourt, est au nord-ouest de Parroy, dont il est notamment séparé par l'étang de ce nom.

Dans les Vosges
Dans les Vosges, nous avons progressé sensiblement au nord de Senones, sur les pentes du Signal de la Mère-Henry. Notre gain est d'environ 400 mètres.
De même, au sud-ouest de Senones et dans le Ban-de-Sapt, près de Launois, nous avons gagné du terrain et entamé les défenses accessoires de l'ennemi.

En Alsace
Nous avons progressé également en Alsace, dans la région de Ammerzviller-Burnhaup-le-Bas. Le terrain conquis a été conservé.
Près de Cernay, l'attaque d'un bataillon allemand a été repoussée.

Leur addition sanglante
D'après le nombre des morts trouvés sur le terrain à l'est d'Ypres, à La Bassée, à Craonne, en Argonne, en Woëvre et dans les Vosges, les 25, 26 et 27 janvier, les pertes de l'ennemi, dans ces trois journées, paraissent supérieures à 20.000 hommes.

Paris, 29 janvier, 0 h. 46.
Communiqué officiel du 28 janvier, 23 heures :
Dans la nuit du 27 au 28 janvier, l'ennemi n'a prononcé aucune attaque d'infanterie.
Au nord-est de Zonneboke, bombardement. par les Allemands, et vive fusillade.
Lutte d'artillerie sur l'Aisne.
En Argonne, simple canonnade réciproque.
En Alsace, au nord-ouest d'Ammertzeiller, malgré un violent bombardement, les Français se sont maintenus sur le terrain conquis pendant la journée, et s'y sont organisés.
Calme sur le reste du front.

PENDANT QU'ILS SOUFFLENT
Simples actions de détail, qui, toutes nous sont favorables. - Nous leur descendons un Taube.

Paris, 29 janvier, 15 h. 30.
Il y a eu, hier, seulement quelques actions locales et celles-ci nous ont été toutes favorables.
En Belgique, dans la région de Nieuport, notre infanterie a pris pied dans la grande dune dont il a été question le 27 janvier.
Un avion allemand a été abattu par nos canons.
Dans les secteurs d'Ypres, de Lens et d'Arras, combats d'artillerie, parfois assez violents. Quelques attaques d'infanterie furent esquissées, mais elles furent refoulées aussitôt.
Dans les secteurs de Soissons, Craonne et Reims, rien à signaler.
Entre Reims et l'Argonne, combats d'artillerie peu intenses Il est confirmé que l'attaque que nous avons repoussée, à Fontaine-Madame, dans la nuit du 27 au 2N janvier, a coûté cher aux Allemands.
Sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre, la journée a été calme.
Dans les Vosges, combats d'artillerie. En plusieurs points, nous avons éteint le feu des batteries et des mitrailleuses allemandes. Nous avons consolidé partout nos positions sur le terrain conquis le 27 janvier.

LEURS ATTAQUES REPOUSSÉES SUR L'AISNE

Paris, 30 janvier, 0 h. 42.
Le communiqué du 29 janvier, 23 heures, dit qu'à l'est de Soissons les Allemands ont fait deux tentatives de franchir l'Aisne, une sur Moulin-les-Roches, l'autre sur la tête de pont que tiennent nos troupes, au nord du pont de Venizel.
Les deux attaques ont été repoussées.

Leurs Taubes sur Dunkerque
Hier 28 janvier, en pleine nuit, plusieurs avions ont bombardé Dunkerque. Ils n'ont causé que des dégâts insignifiants, mais ils ont tué plusieurs personnes.

Nos avions sur leurs cantonnements
Entre 23 heures, le 28 janvier, et 2 heures, le 29 janvier, deux avions français ont lancé de nombreuses bombes sur des cantonnements ennemis, dans la région de Laon-La Fère-Soissons.

Un Taube s'abat vers Gerbéviller
Dans la matinée du 29 janvier, un avion allemand a dû atterrir à l'est de Gerbéviller. Ses passagers, un officier et un sous-officier, ont été faits prisonniers.

LE SOLDAT

Il n'est pas un peuple au monde qui n'ait au cours de cette guerre glorifié le soldat français. Les Allemands mêmes, descendus de leur orgueil aveugle, ont pour lui maintenant une admiration étonnée.
Certes jamais personne n'avait douté de la vaillance des armées françaises. Depuis que les Gaulois refoulaient les invasions, à travers tous les siècles s'est continuée une tradition de gloire guerrière. Le pays a été opprimé. Il s'est toujours dégagé de l'oppression.
En cette guerre on évoque volontiers les sans-culottes de 93 qui portaient dans les plis du drapeau la victoire et la liberté, et aussi les grognards de Napoléon, qui se battaient inlassablement par toute l'Europe.
Oui, nos soldats ont le même héroïsme ardent et gavroche.
Ils ont aussi des vertus que les temps passés n'avaient pas révélées.
Ils ne se contentent point de foncer sur l'ennemi quand l'ordre en vient, et de le bousculer par leur irrésistible fougue. Cela, c'est un courage collectif que l'on possède à un plus ou moins haut degré, mais dont aucune troupe armée n'est dépourvue.
Mais ce que nos soldats de 1914 et de 1915 ont par-dessus tout, c'est un stoïcisme insoupçonné, une formidable endurance qui n'ont pas besoin de l'action pour se soutenir. Ils ont, sous la pluie, sous la neige, dans la boue des tranchées, cette sérénité gouailleuse qui certifie la victoire, que la mort ne peut éteindre, qui passe aux survivants comme le flambeau des antiques coureurs.
Monter à l'assaut baïonnette au canon parmi les sonneries de la charge, dans le sifflement des obus, le crachement de la mitraille, c'est beau. Mais nos soldats n'ont pas besoin d'excitants. Et c'est ce qui les distingue de leurs héroïques prédécesseurs, et c'est ce qui les rend plus nobles et les fait plus grands encore.
Des heures seuls en faction, des jours dans l'eau, des semaines dans l'enlisement des abris, des mois à la même place, ils résistent sans se troubler, et reprennent entre deux coups de fusil la vie normale du troupier, qui est de fumer, de jouer et de rire.
Non pas qu'ils ignorent la splendeur de leur tâche. Ils savent parfaitement qu'ils représentent la civilisation menacée, qu'ils sont le rempart de la patrie envahie, que sans eux la France ne serait plus rien qu'une pauvre région saccagée et asservie.
Ils trouvent pourtant qu'il est inutile de se guinder, et accomplissent leur devoir avec une grâce souriante qui donne à leur indomptable énergie une valeur plus haute.
Ils ont comme la pudeur de leur héroïsme. Quand on leur exprime la reconnaissance de la nation, ils disent, avec cette touchante ironie qui plisse si drôlement la lèvre :
- Bah ! ce n'est rien
Et ils parlent d'autre chose.
Les mots grandioses ne signifient plus rien puisque l'action dépasse la parole.
Ils se battent gaiement. Ils ne consentent même pas à être graves. Tous les sacrifices ayant été résolus avec fermeté, ils reposent leurs âmes redevenues candides dans une insouciance voulue.
Ils trempent leur courage dans les sources fraîches d'une intarissable gaieté.
La raillerie du troupier français n'a d'ailleurs aucune amertume. Elle ne procède point d'une doctrine décevante. Elle jaillit simplement d'un esprit libre de toute crainte.
Quand nos soldats rient, ce sont des enfants, et quand ils se battent, des hommes.
RENÉ MERCIER.

LES TAUBES

Pont-à-Mousson, 31 janvier 1915.
Mercredi, au moment du déjeuner, deux Taubes essayèrent de troubler le repas des Mussipontains en envoyant sur la ville quelques bombes et des fléchettes.
Tout cela tomba dans les terrains situés derrière la cité de Boozville et les Maxouages.
Il y a eu malheureusement une victime à Montrichard. M. Dominique-Joseph Perrot, vigneron, qui se trouvait sur son perron, regardait curieusement les épisodes de la chasse, lorsqu'il fut atteint d'une balle au crâne. Transporté à l'ambulance, il est mort trois heures après. Il était âgé de 66 ans et demi, marié, père de quatre enfants.

De BLAMONT à HOLZMINDEN
(2 Août au 31 Décembre 1914)

Nancy, 31 janvier 1915.
Dès le 2 août, les communications postales et par la voie ferrée ayant été interrompues, Blâmont fut à peu près complètement isolé du reste de la France.
Jusqu'au 4, nous ne vîmes que quelques patrouilles françaises venant explorer la frontière et demander des renseignements aux douaniers qui, seuls, la surveillaient.
Le 4, au coin d'une rue, je me trouvai brusquement en face d'un petit détachement de uhlans dont l'un me salua d'un joyeux : «  Bonjour; monsieur le vétérinaire », tandis que le sous-officier m'interpellait d'un «  Ça va bien ? » narquois. Je reconnus dans le premier un mitron qui avait travaillé pendant plus d'un an chez l'un de nos boulangers blâmontais ; le second était cultivateur à Landange ; ils interpellèrent ainsi tous ceux de nos concitoyens qu'ils rencontrèrent dans les rue de Blâmont et nous sûmes qu'ils appartenaient au 15e régiment de uhlans, de Sarrebourg, lequel formait avec le 11e, un corps spécial d'éclaireurs connaissant à fond tous les coins de notre région frontière et parlant couramment le français.
Cette patrouille, arrivée par la vieille route de Sarrebourg disparut sans avoir tiré un seul coup de feu et sans avoir molesté aucun des habitants.
Le lendemain 5, nouvelle apparition de onze uhlans du 11e régiment, qui surprirent, en montant derrière le cimetière, deux de nos chasseurs à cheval postés en vedette à la bordure du bois de Trion. Ils tuèrent le brigadier non sans avoir essuyé le feu de celui-ci qui, d'un coup de carabine, leur foudroya un homme ; puis ils dévalèrent au grand galop vers la ville, poursuivis par notre deuxième chasseur oui, les rejoignant, blessa à son tour un uhlan et fonça sur l'officier. Au moment où il allait embrocher celui-ci, notre brave, désarçonné par une brusque glissade de son cheval sur les pavés, tomba sur le sol et fut ainsi blessé lui-même par un des Allemands qui s'était retourné au fracas de la chute. A ce moment, le bruit d'une chevauchée s'étant fait entendre, le détachement ennemi s'enfuit à toute vitesse, croyant à une arrivée de nouveaux cavaliers français. En réalité, il ne s'agissait que d'un seul cheval : celui du brigadier tué qui revenait, d'instinct, rejoindre les chevaux du peloton. Et, ce jour-là, nous eûmes à Blâmont l'écoeurant spectacle d'une patrouille allemande fuyant éperdue devant un seul et unique coursier sans cavalier.
Les deux héroïques chasseurs à cheval appartenaient au 4e régiment, d'Epinal. Par une douloureuse coïncidence, le brigadier était Gérômois et fils d'une famille amie de la mienne : il se nommait Simon.
Le sang ayant ainsi coulé à Blâmont, dans ce premier combat entre Français et Allemands, nous vîmes chaque jour, jusqu'au 8, semblables escarmouches et pareils faits d'héroïsme soit dans les rues de notre ville, soit dans nos jardins et nos vergers des alentours. Les blessés commencèrent à affluer à l'hôpital municipal, et à l'ambulance de la Croix-Rouge, où tout était préparé avec le matériel nécessaire.
Seul charge d'assurer le service médical à ce moment - puisque dès le 1er août nos deux médecins et le pharmacien avaient été mobilises, - je considère comme un devoir de rendre un éclatant hommage à Mme René Florentin, présidente de la Croix-Rouge à Blâmont.
Par son zèle, par son dévouement, par son activité, elle fut l'âme de nos ambulances en cette période tragique des trois premières semaines d'août.
Le 8, le régime de la terreur commença à régner sur Blâmont. Ce jour-là, les hordes teutonnes tirent irruption et nous vîmes passer dans les rues des milliers et des milliers d'hommes, infanterie, cavalerie, artillerie, ils défilaient en rangs compacts, coude à coude, hurlant à pleine voix le «  Wacht am Rheim » et deux autres refrains dont l'un rengainait sans cesse : «  Nous irons manger la soupe à Paris ! ». Une demi-heure après l'apparition de la première tête de colonne, un groupe de cavaliers se précipite sur M. et Mlle Cuny, qui moissonnaient à la montée de Barbas.
Sans mot dire, le sous-officier qui tenait la tête déchargea à bout portant sa carabine dans la poitrine de la jeune fille qu'il étendit à ses pieds : «  Un Français de moins ! » cria l'assassin en tournant bride avec ses hommes.
Le 9 août, toutes les maisons étaient envahies et les habitants submergés durent se plier à toutes les exigences et à toutes Les brutalités ; les brutes qui venaient d'arriver avaient fourni une étape forcée de 70 kilomètres par une chaleur caniculaire et c'est le pistolet ou le fusil contre la tempe qu'ils nous sommèrent d'ouvrir nos caves et nos garde-manger ; c'est à coups de crosse dans les reins qu'ils se firent montrer tous les coins et recoins de nos habitations pour s'assurer qu'aucune arme, qu'aucun piège, qu'aucun soldat français n'y étaient dissimulés.
Les rares Blâmontais qui osèrent encore circuler dans les rues purent voir les cafés mis au pillage par des ivrognes casqués qui buvaient «  à la régalade » les litres d'eau-de-vie, d'apéritifs, de liqueurs et d'absinthe.
Le résultat de ces beuveries ne se fit pas attendre ; le soir venu, un coup de feu éclata qui fut suivi jusqu'à une heure assez avancée d'une fusillade terrifiante.
Tous les soirs, à la tombée du jour, les mêmes scènes se renouvelèrent : un coup de feu partait d'un point quelconque, suivi de feux de salve qui faisaient voler les vitres en éclats, brisaient les volets et écaillaient les murailles.
Terrifiés, mais ne comprenant rien à ce gaspillage de cartouches, tous nos concitoyens se demandaient à quels mobiles pouvaient bien obéir les sauvages ; nous fûmes fixés dès le matin du 10 par les menaces qui nous furent adressées : «  Les «  habitants de Blâmont, tous francs-tireurs, tous brigands. Ils tirent sur nous, nous les punirons s'ils continuent », nous criaient officiers et soldats.
Dans la soirée du 8, en allant constater l'état du cadavre de la pauvre petite Cuny, je fus saisi par une bande de cinq officiers supérieurs qui, m'appliquant le canon de leurs pistolets automatiques sur la figure, me conduisirent chez notre honorable maire, M. Bentz, qu'ils sommèrent de les suivre ; encadrés de nos gardes du corps, nous dûmes parcourir les rues en criant aux habitants : «  Il est ordonné d'ouvrir les portes, d'éclairer Les fenêtres sous peine de mort ! »
Cette mesure et cette menace furent maintenues pendant toute la période de première occupation.
Et, soutenus par leurs chefs, les soldats teutons continuèrent leurs déprédations et leurs libations, devenant d'heure en heure plus furieux et plus menaçants.
Le prince de Bavière, commandant en chef du 1er corps bavarois, s'était installé au château de l'industriel Burrhus - fabricant de chocolat et sujet suisse - dont il vidait consciencieusement la cave avec l'état-major.
Afin d'éviter le pillage et la destruction de son usine, M. Burrhus avait mis à la disposition du général pour être distribués aux troupes, plusieurs milliers de kilogrammes de sucre, de cacao et de chocolat fabriqué. Le «  gentilhomme » bavarois sut reconnaître cette libéralité en laissant saccager et incendier la chocolaterie à laquelle ses soldats mirent le feu le 12 août. Son hôte ayant véhémentement protesté, le «  brave » général le menaça du peloton d'exécution. La menace n'intimida en aucune façon M. Burrhus ; invoquant le respect du droit des gens, proclamant sa nationalité, il riposta en menaçant son interlocuteur princier d'une plainte au gouvernement helvétique et en l'informant qu'il allait hisser le drapeau fédéral sur sa propriété. Il est à supposer que l'opinion des Suisses préoccupe les «  intellectuels » allemands, car le prince baissa le ton et ne renouvela pas ses menaces envers M. Burrhus.
A l'heure où flambait la chocolaterie, les sauvages, ivres, recommencèrent leur fusillade dans toutes les rues.
M. François, négociant en vins, rue des Capucins, ayant à loger deux officiers supérieurs, ceux-ci ne trouvèrent rien de mieux pour se distraire ce soir-là que d'inviter une demi-douzaine de leurs «  kamarades » à venir vider la cave de M. François.
Celui-ci, obligé de leur servir d'amphytrion, remplissait Leurs verres de vins variés, lorsque, dans la rue, commença la fusillade quotidienne. Un carreau ayant volé en éclats à l'une des fenêtres, le maître de la maison se précipita d'instinct dehors: la porte s'ouvrait à peine qu'il était empoigné et entraîné à coups de crosse : «  C'est toi qui as tiré - lui crièrent ses agresseurs - tu vas être fusillé ! »
Mme François, qui s'était jetée à la suite de son mari pour l'empêcher de sortir, terrorisée qu'elle était par les détonations, revint pour supplier les officiers attablés dans sa salle à manger d'intervenir ; l'un d'eux se leva, alla parlementer un instant et ramena M. François.
Celui-ci était à peine rentré que les bandits assis à sa table se précipitant sur lui en riant aux éclats, le poussèrent bien en vue dans l'encadrement de la fenêtre éclairée, puis se collant au mur, bien abrités à droite et à gauche de la baie lumineuse, ils se mirent à tirer des coups de pistolet en allongeant le bras en dehors. Mme François ayant poussé un cri d'épouvante et tenté de tirer son mari en arrière, les bandits la placèrent brutalement à ses côtés et recommencent leur tir. Des coups de feu ne tardèrent pas à répondre du dehors et plusieurs projectiles vinrent crever le plafond, les tentures et briser le lustre allumé.
M. et Mme François n'échappèrent que par miracle à cette atroce tentative d'assassinat d'un genre spécial.
Le même soir, une mère dont les soudards violentaient la fille, ayant supplié un officier d'intervenir, reçut de ce dernier la réponse suivante : «  Ce n'est que pour cela que vous me dérangez ? Si vous recommencez. » et, sans achever la phrase, il fit le geste de la mettre en joue.
Le 13 août, la nuit étant venue, l'honorable M. Barthélemy, ancien maire, âgé de 86 ans, venait de poser sur une fenêtre la lumière prescrite lorsqu'il fut massacré par un groupe de Bavarois qui, en passant, avaient aperçu la silhouette derrière les vitres closes ; Mme Barthélemy assista, impuissante et terrorisée au supplice de son mari.
Une heure plus tard, au moment de la fusillade quotidienne, M. Louis Foël, attendant sur le seuil de sa porte, avant d'aller s'étendre sur son lit, la rentrée d'un officier supérieur qu'il avait à loger, fut brusquement empoigné et entraîné. Collé au mur de l'hôtel de ville, contre une affiche de mobilisation, à quelques centimètres de la boîte aux lettres, il tombait fusillé moins de cinq minutes après son arrestation : son cadavre, monté au cimetière par ses assassins, fut jeté en travers d'une tombe, où il resta, loque pitoyable et sanglante, jusqu'à la fuite des barbares - ceux-ci ayant fait défense à la famille de l'ensevelir.
J'ai lu et j'ai entendu raconter, depuis mon retour de l'exil, le récit de la mort de Louis Foël. Personne n'en a su ni vu les véritables péripéties, et il faut que tout le monde les connaisse. Louis Foël n'a ni provoqué ni menacé ses agresseurs d'un revolver. Il avait subi sans révolte et sans rébellion le sac de sa maison et il fut saisi comme je viens de le dire, au seuil de son logis par la meute hurlante et furieuse. Fort comme Hercule, il secoua ses agresseurs à plusieurs reprises et arriva, poussé plutôt que traîné, gardant ses bras libres, contre le mur d'exécution.
Debout, les bras croisés, les dominant de sa haute stature, le vieil Alsacien septuagénaire regarda ses bourreaux sans sourciller, en les narguant de l'ironique sourire que nous lui connaissions tous, et il s'abattit sous la rafale des Mauser comme s'abat le chêne sapé par la hache.
C'est un gendarme allemand qui m'a raconté la scène du meurtre à laquelle il assista. Par extraordinaire, ce gendarme teuton n'avait pas une âme de bête féroce et il m'avoua que l'exécution du vieillard l'avait bouleversé et indigné. Je dois à la mémoire du martyr - dont j'étais l'ami personnel - de faire connaître ce témoignage d'un soldat ennemi et de proclamer que son nom mérite de rester gravé dans l'histoire à côté de celui des héros.
- Aux plaintes douloureuses ou indignées qui leur étaient adressées sans relâche par le maire et par les habitants, les chefs répondaient en excusant leurs hommes.
A l'accusation d'ivresse, ils répondaient :
«  Il est défendu à nos soldats de s'enivrer et ils ne s'enivrent pas. S'ils tirent sur les habitants, c'est pour répondre aux coups de feu que ceux-ci tirent les premiers. Ils sont en état de légitime défense. Et puis.... c'est la guerre ! »
Cette exclamation : «  C'est la guerre ! » était leur argument définitif et péremptoire. «  C'est la guerre ! » répondait le prince de Bavière, commandant en chef, à son hôte, M. Burrhus, quand celui-ci lui montrait d'un geste indigné, sa chocolaterie qui flambait.
- Nous nous sommes trompés ; nous savons maintenant que votre mari n'avait pas tiré des coups de feu ce soir sur la place, mais c'est la guerre !. » répondirent les bourreaux à la veuve de l'infortuné Foël, deux heures après le supplice de son mari.
S'il était inutile et superflu de discuter cet argument avec les têtes carrées, j'eus tout de même l'occasion d'acquérir et de placer sous les yeux de leurs médecins-majors une preuve matérielle que leur fameux argument des coups de feu tirés par les habitants sur les soldats n'était qu'un mensonge indigne.
Le 13 août au matin, un sous-officier m'amena un blessé qui avait l'épaule fortement endommagée «  En voici un que nous avons trouvé dans la rue au petit jour ; c'est encore un franc-tirour de la ville qui l'a tiré avec son fusil de chasse », me certifia d'un ton furieux le sous-officier.
Sans lui répondre, j'examinai l'homme et, dès la première palpation, je sentis sous mon doigt une balle de Mauser à peu près intacte.
«  Allez me chercher immédiatement votre major en chef, - ordonnai-je au sous-officier qui, resté debout auprès de moi, m'examinait curieusement - vous lui direz qu'il s'agit d'une affaire extrêmement grave et urgente. »
Un quart d'heure plus tard arrivait un des majors principaux. Comme la plupart des médecins allemands avec lesquels je me suis trouvé presque nuit et jour en contact à partir du 8 août, il était correct, poli et calme. Je le priai de procéder à l'extraction du projectile logé dans l'épaule du blessé : «  Vos hommes, lui dis-je, affirment que ce blessé a reçu du plomb de chasse ; il est indispensable que vous vous assuriez du fait pour témoigner vous-même. »
Un instant après, le chirurgien examinait avec un véritable ébahissement la balle à chemise de nickel qu'il avait retirée du bout de la pince.
- S'agit-il d'une chevrotine ou d'une balle de Mauser ? » lui demandai-je.
- Ceci, me répondit-il, est évidemment une balle de Mauser. »
- Voudriez-vous le certifier par écrit dans un procès-verbal que nous signerions tous les deux ?
- Non, je ne puis signer une pièce écrite semblable. »
- Peu importe, - conclus-je. - En ce qui me concerne, je vous avertis que j'affirmerai ce fait sous la foi du serment. Tous les soirs, vos hommes ivres et fous tirent des feux de salve à tort et à travers dans nos rues et contre nos demeures, prétendant qu'ils se défendent ainsi, légitimement contre les attaques de nos concitoyens armés de fusils de chasse.
«  Or, les habitants ont tous déposé leur armes à la mairie et l'autorité militaire allemande a proclamé la peine de mort immédiate pour tout civil qui garderait par devers lui un fusil ou un revolver. Vos pionniers de l'équipe de pillage ont visité nos demeures suivant une technique savante, percutant les murs, sondant les plafonds, soulevant les lames des parquets, bousculant la literie.
«  J'ai vu des jardins et des caves défoncés à la profondeur de deux fers de bêche. Par conséquent, à moins d'admettre que vous avez distribué vous-mêmes des Mausers à nos concitoyens, vous devez déclarer à votre commandant en chef que ce sont vos soldats qui s'entretuent en voulant, chaque soir, terroriser notre paisible ville. »
Je ne reçus aucune réponse du médecin allemand, qui se retira avec un salut raide.
Le 13 août, à onze heures et demie du soir, je venais de m'étendre, tout vêtu, pour me reposer un peu, lorsque je m'entendis appeler dans la rue.
C'était M. Bentz, notre dévoué maire, qui, entouré de soldats, venait me chercher ; il était accompagné de plusieurs notables blâmontais. Je me joignis à eux et l'escorte armée nous conduisit à l'hôtel de ville. Là, nous attendaient plusieurs officiers qui nous intimèrent l'ordre de reproduire à la main une note prévenant les habitants que, deux hommes et trois chevaux ayant été tués par la population, l'autorité militaire avait résolu de fusiller plusieurs notables et de bombarder la ville.
MM. Bentz, Florentin, Diot, Ignard, Crouzier,Hertz et moi nous ne pûmes sortir qu'après avoir copié plus de deux cents exemplaires de cet avis. Une fois dehors, nous résolûmes de nous rendre, séance tenante, en délégation, au logis du général en chef, pour demander l'autorisation de faire évacuer les habitants. Introduits à cinq heures du matin, nous fûmes informés par un officier que réponse ne nous serait donnée qu'à onze heures.
Confiants dans cette promesse tacite qu'aucune violence ne serait commise avant notre entrevue, nous nous séparâmes.
Entrant à l'ambulance, je constatai qu'on procédait à l'enlèvement méthodique des blessés. Aux majors qui surveillaient ce déménagement, je demandai : «  Pourquoi faites vous déplacer les malades ? Où les conduit-on ?
- «  Parce que - me répondirent-ils - nous ne devons pas les laisser dans la ville qui sera bombardée et détruite aujourd'hui même, par mesure de représailles.
«  Comme vous avez soigné nos blessés avec le même dévouement que les blessés français - ajoutèrent-ils - nous vous rendons le service de vous prévenir et nous vous conseillons de partir au plus vite.
Nous tenons du comte von Malsheim, commandant la place, que ceux des habitants qui le demanderont, pourront se retirer en Suisse, sauf un certain nombre de notables qui seront fusillés, le maire en tête. »
Ledit commandant von Malsheim était l'hôte de M. Louis François. Je me rendis immédiatement chez celui-ci pour lui faire part de l'avertissement qui venait de m'être donné.
Il fut immédiatement confirmé à M. Louis François par von Malsheim lui-même.
Je rentrai chez moi avec l'intention de préparer, jusqu'à 11 heures du matin, moment fixé pour l'audience chez le général en chef, les affaires indispensables ou précieuses que je comptais emporter si j'évacuais Blâmont. A 8 h. 45, un feldwebel se présentait et me remettait un papier manuscrit. dont voici la traduction : «  Ordre de faveur au sieur Lahoussay, vétérinaire, de quitter aujourd'hui avant neuf heures du matin, le territoire d'Empire, pour se rendre en Suisse. Devra se présenter au chef du poste de la gare de Sarrebourg avec le présent ordre pour «  acheter » les billets de voyage.
Malgré la gravité des heures que nous traversions depuis le 8 août, j'avoue que je fus pris d'une envie de rire irrésistible à la lecture des deux mots «  territoire d'Empire », dont l'outrecuidance teutonne étiquetait déjà le sol français une semaine tout au plus après le commencement des hostilités.
A 9 heures, ayant rassemblé à la hâte le linge et les hardes indispensables dans deux valises et dans un sac de touriste, je quittai Blâmont avec ma femme et mon enfant de cinq ans.
Devant l'hôtel de ville, des soldats rassemblaient tous les hommes valides qu'ils trouvaient.
Le maire Bentz, son adjoint Florentin et le curé de Blâmont arrêtés et ligotés - malgré l'audience promise pour 11 heures par le commandant en chef - étaient gardés à vue par le peloton évidemment destiné à les fusiller.
Résolus, dans une admirable dignité, la tête haute et le regard ferme, ils nous saluèrent amicalement et M. Bentz nous dit : «  Je vous souhaite bon voyage et bonne chance. Nous, vous voyez, nous allons partir probablement pour un autre voyage dont nous ne reviendrons plus ! »
Je n'ai su que deux mois plus tard comment M. Bentz et ses compagnons d'infortune avaient échappé au poteau d'exécution grâce, à l'arrivée foudroyante des troupes françaises quelques heures après notre départ.
C'est au milieu d'un véritable troupeau humain, composé d'une trentaine de familles blâmontaises et d'un grand nombre d'habitants des villages voisins, que nous atteignîmes Gogney en nous faufilant à travers d'innombrables convois, au milieu d'une poussière tellement dense que nous n'apercevions rien à quelques pas devant nous.
Grâce à la complaisance de mes clients de Gogney, je pus trouver un cheval et une charrette sur laquelle je fis monter les bagages et autant de femmes et d'enfants qu'elle en put contenir.
M. Pretoy, propriétaire à Blâmont, conduisait le cheval ; M. Crouzier, notaire, surveillait les bagages et les enfants ; moimême je faisais fonctionner à l'arrière la mécanique de serrage et j'exhibais les papiers aux soldats qui nous arrêtaient à chaque instant pour nous interroger.
Tous ces arrêts se terminaient invariablement par la question suivante, dont nous fûmes harcelés pendant plusieurs jours : «  Blâmont est-il brûlé ? A Blâmont francs-tirours tous tués, n'est-ce pas ? »
- Mais, non, Blâmont n'est pas brûlé », répondions-nous.
- Doch ! doch ! (si, si), affirmaient nos interlocuteurs en montrant de la main les épaisses colonnes de fumée qui, derrière nous, indiquaient le travail criminel auquel procédaient dans nos villages frontières les brutes de l'armée allemande.
Nous espérions pouvoir nous reposer suffisamment à Sarrebourg, après la dure étape de trente kilomètres que nous avions fournie pour l'atteindre et y prendre, le lendemain matin, nos billets pour Constance.
Mais, à l'entrée de la ville, nous fûmes immédiatement arrêtés et conduits en prison, avec un poste en armes, dont le chef, après deux secondes à peine d'examen, confisqua nos papiers en déclarant qu'ils n'étaient pas en règle.
Après une nuit passée en cellule, on me restitua, crayonné de rouge et de bleu, «  l'ordre de faveur » qui m'avait été remis à Blâmont - (de la part du médecin en chef, j'ai omis de le citer plus haut) - en m'informant que cette pièce était désormais valable sans conteste et qu'elle me permettrait de voyager avec ma femme et mon enfant jusqu'à la frontière suisse.
Des billets pour Constance me furent en effet délivrés à la gare, mais l'employé qui me les délivra me prévint que nous n'aurions un train «  pour civils » qu'à deux heures du matin, c'est-à-dire dix-huit heures plus tard.
Pendant la journée, nous vîmes défiler dans les rues de Sarrebourg plusieurs cortèges d'hommes de toutes conditions expulsés, nous dit-on, de Pexonne et des environs. Ces malheureux, ruisselants de sueur, paraissaient exténués ; plusieurs, en sabots et n'ayant pour vêtements que leur pantalon et leur chemise, nous dirent en passant qu'ils avaient été «  ramassés » pendant qu'ils étaient occupés dans leurs champs et entraînés par les uhlans sans avoir pu repasser devant leurs habitations.
A une heure du matin, un gendarme vint nous chercher à l'hôtel où nous étions campés et où nous avions déclaré vouloir attendre l'heure du départ ; il nous conduisit à la gare où il nous surveilla jusqu'au départ du convoi qui, enfin, nous emporte vers Strasbourg.
Nous espérions pouvoir repartir de Strasbourg sans y subir un arrêt prolongé ; mais, au débarcadère, après examen de nos papiers et la persistante interrogation : «  Est-ce que Blâmont est détruit ? », on nous conduisit à Kehl avec une escorte de fantassins armés.
La présence de cette escorte qui nous encadrait comme des criminels attira vite l'attention sur nous et, quand le mot «  Blâmont » eut été prononcé par les soldats, la foule devint hostile et nous montra les poings en criant : «  Capout Franzozes !. francs-tirours Blâmont capout ! »
Parqués près de la voie ferrée de Kehl, nous attendîmes pendant de longues heures un «  convoi pour civils » qui ne vint pas et nous fûmes ramenés à Strasbourg, après avoir assisté à d'innombrables défilés d'artillerie lourde.
Après une nuit passée à Strasbourg, je pus me faire indiquer un loueur de voitures qui consentit à nous conduire à Oppenweier, où nous eûmes la chance d'avoir un train.
A Offenbourg, nouvel arrêt de cinq heures, nouvelle arrestation et interrogatoire chez le bezircksant, qui nous laisse aller après estampillage de nos tickets de chemin de fer et de nos «  ordres de faveur ».
Pendant quatre heures consécutives, nous vîmes défiler, comme à Kehl et à Strasbourg, des trains militaires, se succédant de trois en trois minutes, qu'une foule de badauds saluait de furieux «  hourrahs ! Hoch ! Hoch ! »
A Trilberg, où nous arrivâmes à deux heures du matin, éreintés et à moitié endormis, nous fûmes brutalement jetés hors des compartiments et enfermés à double tour dans une salle de la gare. Un officier qui survint et qui nous interrogea, l'un après l'autre, me déclara que j'étais Alsacien et espion. Il me fallut longuement discuter pour démontrer que mon livret militaire, mon sauf-conduit signé du maire de Blâmont et mon brevet d'automobiliste n'étaient pas des faux et que j'étais né, non pas en Alsace, mais à Dijon.
Enfin, nous pûmes remonter en wagon, sous l'oeil méfiant des soldats boches et reprendre notre trajet vers Donaueschingen, où, à la descente du train, nous fûmes dépouillés de nos tickets pour Constance. Comme nous refusions de nous en dessaisir, l'officier qui surveillait notre débarquement nous invita à lui présenter nos papiers et nous déclara, d'un ton cassant : «  Aucun étranger ennemi ne passe pas en Suisse ; vous êtes prisonniers de guerre », et il empocha les ordres d'évacuation qui nous avaient été remis pour la Suisse, à Blâmont. Il nous fut impossible de parlementer : baïonnette au canon, des fantassins nous entraînèrent à travers une double rangée d'indigènes qui se mirent à nous apostropher et à nous lancer de furibonds : «  Franzozes capout !... Blâmont, francs-tirours, capout !... Rauss !... »
Le camp où l'on nous conduisit comptait à ce moment trois cents détenus civils, Français, Anglais, Russes, Serbes, Alsaciens-Lorrains et même Japonais. Parmi eux, nous retrouvâmes dix-sept de nos concitoyens de Blâmont dont nous avions été séparés par les diverses péripéties de notre exténuant voyage. Nous eûmes par eux l'explication de l'aubade hostile qui nous avait accueillis à notre arrivée dans le pays en même temps que celle de l'insistance avec laquelle on nous avait si souvent demandé si Blâmont était brûlé. Les journaux avaient, dès le 10 ou le 12 août, annoncé que notre cité avait accueilli les soldats du kaiser à coups de fusil et que, pour nous punir, le commandant en chef, prince de Bavière, avait résolu de nous bombarder «  pour l'exemple». L'arrivée d'un groupe de Blâmontais avait été également annoncée par les mêmes journaux et c'est pourquoi les «  braves » habitants de Donaueschingen donnèrent un charivari menaçant à nos femmes et à nos pauvres gosses exténués et épouvantés.
Je ne parle que pour mémoire des bagages qui nous furent «  égarés » ; un de mes compagnons d'exil, notaire, ne put retrouver un sac contenant pour plus de cent mille francs de titres. J'étais, pour ma part, allégé d'une valise noire contenant d'indispensables vêtements et que j'avais eu un mal infini à «  coltiner » sur mon dos.
Notre colonie était composée, à Donaueschingen, d'individus de toutes conditions : les millionnaires y coudoyaient fraternellement de malheureux paysans qui n'avaient même pas une blouse à mettre sur leur chemise.
Dès leur arrivée, et quelle que fût leur éducation, toutes les femmes furent contraintes de procéder à l'épluchage des pommes de terre qui devaient faire partie de la pitance commune. Elles s'y employèrent avec activité et entrain, et si les officiers garde-chiourmes préposés à notre surveillance crurent les humilier en leur prescrivant grossièrement cette besogne ménagère, ils durent être singulièrement déçus par la bonne grâce à la fois narquoise et charmante avec laquelle leurs prisonnières s'acquittèrent de la «  corvée de patates ».
Les baraquements où nous étions casernés à Donaueschingen étaient propres. Mais la nourriture qu'on nous distribuait était ignoble : cinq jours par semaine le menu se composait d'un liquide répugnant dans lequel nageaient quelques pommes de terre - souvent avariées - mélangées à des pois secs et à de l'orge insuffisamment cuits et durs comme des cailloux. Deux jours par semaine, en guise de viande, une rondelle de saucisse «  au sang » était ajoutée à la soupe.
Ce menu était le seul «  substantiel » (?) de la journée. Le matin et le soir, ceux qui avaient le coeur assez solide pour l'avaler recevaient une tasse de «  café » d'orge et de glands torréfiés.
Chaque personne touchait chaque jour un pain blanc d'environ 500 grammes ; je dois reconnaître que ce pain était d'excellente qualité, blanc et fort bien cuit.
Après vingt jours de cette détention à Donaueschingen, nous fûmes, un matin, tous invités à faire la déclaration exacte des ressources pécuniaires que chacun de nous possédait. Ceux dont l'avoir en numéraire fut jugé suffisant furent invités à partir dans l'une des villes dont on nous présenta la liste.
Nous choisîmes presque tous Baden-Baden, mais le jour du départ on nous obligea à verser, pour l'abominable pitance à laquelle nous avions été astreints, une addition d'un mark par jour et par personne; les bébés de l'âge du mien furent taxés au même tarif.
Baden-Baden est une ville cosmopolite, comme toutes les grandes stations balnéaires. Habituée aux touristes, la population leur doit sa prospérité et ses ressources; à de rares exceptions près, elle fut correcte et même hospitalière envers les internés étrangers et nous vécûmes dans une tranquillité relative à Baden-Baden, pendant près de trois mois, astreints seulement à un appel hebdomadaire de la police.
Pour ma part, j'eus l'heureuse chance de trouver un petit logement agréable chez une excellente et. respectable dame dont le fils est l'un des éminents professeurs de l'Ecole Polytechnique de Zurich ; grâce à l'obligeante entremise de mon hôtesse et de son fils, je pus, après deux mois d'exil, faire parvenir des nouvelles en France, à ma famille angoissée et en recevoir d'elle dans une lettre qui nous inonda l'âme d'un chaud rayon d'espérance à mes compagnons d'exil et à moi A ce moment, nous étions tous tristes et démoralisés de ne rien savoir de ce qui se passait hors d'Allemagne. Les «  extra-blatt » répandus à profusion à Baden ne parlaient que de victoires teutonnes : plusieurs fois par semaine les cloches retentissaient tandis que les habitants arboraient - du lever au coucher du soleil - des drapeaux qui pendaient - kolossaux - d'un étage à l'autre (car, en Allemagne, Les drapeaux ont l'envergure d'un drap de lit).
Nous vîmes ainsi célébrer «  la Victoire de Nancy », celle de Lunéville, celles de Liège, de Namur, de Bruxelles, d'Anvers, de Reims, etc. Les Badois faisaient déjà des préparatifs pour glorifier «  la prise » de Paris, lorsqu'enfin, la première lettre de France me parvint. Elle était forcément brève sur les événements, puisque j'avais prévenu mes parents que la correspondance des pays neutres devait circuler ouverte.
Néanmoins, datée de Dombasle-sur-Meurthe, me parlant de gens toujours en bonne santé et «  tranquilles » à Nancy, à Lunéville et ailleurs, elle nous donna la certitude que les réjouissances dont nous étions si souvent assourdis et attristés n'étaient qu'un vaste bluff destiné à «  monter le coup » à toute la population de l'Allemagne. D'ailleurs, Le thermomètre ne tarda pas à baisser, et maintenant les figures allemandes s'allongent à la lecture des listes immenses sur lesquelles s'inscrivent les morts, les blessés et les disparus.
J'ai dit avec quel sans-gêne brutal nous avaient été enlevés, au saut du train, - à Donaueschingen, - nos tickets pour Constance et l'ordre d'évacuation qui nous enjoignait d'évacuer en Suisse.
Nos protestations n'ayant pas été écoutées par l'officier qui commandait le camp de Donaueschingen et n'ayant pu obtenir la restitution de ces documents, nous nous étions entendus pour renouveler notre protestation à Baden-Baden et pour demander la continuation de notre voyage jusqu'à Constance.
Personnellement, je protestai contre mon maintien en Allemagne, en invoquant le cas pour lequel j'avais été réformé du service militaire et en invoquant également les règles de la Convention internationale de la Croix-Rouge de Genève.
Je n'étais pas combattant, puisque réformé ; j'avais en outre assuré le service des ambulances et de l'hôpital de Blâmont, du 2 au 14 août, comme seul chef des services de la Croix-Rouge à ce moment : mon maintien forcé en Allemagne était donc arbitraire et contraire au droit des gens.
Je fus d'abord invité à me présenter devant une commission médicale militaire qui, après un sévère examen, me délivra une pièce établissant que par suite d'une fracture grave de la cheville droite, j'étais impropre au service militaire. Cette commission médicale fut courtoise envers moi.
Je fus ensuite invité à déposer chez le bezirksamt une demande de libération accompagnée de mon livret militaire et du laissez-passer qui m'avait été délivré le 2 août par le maire de Blâmont, pour me permettre d'assurer le service de la Croix-Rouge Le dit laissez-passer avait été accepté, visé et signé le 9 août au matin par le médecin en chef du corps bavarois, lorsqu'il s'était présenté à l'hôpital.
Le bezirksamt de Baden-Baden ayant jeté un coup d'oeil sur cette pièce me déclara : «  Je la crois indiscutable et je crois que l'autorité militaire à laquelle je transmets votre dossier, ne fera aucune objection à votre renvoi en Suisse. »
Partageant l'optimisme du fonctionnaire badois, je m'empressai de faire parvenir aux êtres chers qui m'attendaient en France la bonne nouvelle de mon arrivée probable Mais hélas ! avec les civilisés allemands, il faut toujours penser à la fable : «  La proie pour l'ombre ».
D'abord informé officieusement par la police que les bureaux du corps d'armée avaient donné un avis favorable à ma demande, je reçus plusieurs jours après la notification que «  Berlin » refusait de la prendre en considération parce que la pièce attestant mes services à la Croix-Rouge de Blâmont et estampillée par le médecin en chef allemand ne portait aucun sceau militaire. «  Procurez-vous - me dit le fonctionnaire qui me notifiait la décision de Berlin - une pièce portant les cachets officiels de la Croix-Rouge et de l'autorité militaire de votre région et je crois que vous aboutirez à un résultat favorable. »
Ecrire d'Allemagne en France est long, difficile, même avec l'aide d'un intermédiaire en pays neutre, puisque toutes les lettres de ou pour ces pays ne doivent circuler qu'ouvertes et puisqu'elles sont soumises à la censure des «  cabinets noirs » allemands.
Il me fallut donc plusieurs longues semaines pour demander et recevoir la pièce libératrice qui fut rédigée par Mme René Florentin (président de la Section de la Croix-Rouge de Blâmont) et apostillée par M. le délégué officiel du ministère de la guerre Lépine, ainsi que par le commandant de la place de Nancy.
Cette pièce me parvint le 20 novembre, au moment où, après trois mois de tranquillité relative à Baden, la police teutonne commençait un régime de rigueur contre les étrangers retenus en Allemagne. Dans la 2e quinzaine de ce mois, nous étant un jour présentés à l'appel hebdomadaire prescrit, nous fûmes accueillis par ces mots : «  Les Anglais et les Français maltraitent nos blessés et nos prisonniers, vous êtes avertis que si cela continue, vous serez emprisonnés. »
Deux jours plus tard, nous étions invités à quitter Baden-Baden dans les vingt-quatre heures et à nous rendre dans une autre ville, à choisir dans une liste qui nous fut présentée.
A notre question : «  Pourquoi cette mesure », il fut répondu : «  Parce que vous êtes trop près d'Oas où nous avons une station de dirigeables. Dorénavant, aucun prisonnier étranger ne pourra rester à moins de vingt kilomètres des ouvrages militaires, dépôts de munitions, hangars de ballons, etc. »
D'accord avec un certain nombre d'autres internés civils, je me rendis à Pforzheim, grande ville du duché de Bade, qui, avant la guerre, était, paraît-il, le plus grand centre de production du monde entier pour la bijouterie en «  toc ».
Dès notre arrivée, la police nous intima l'ordre d'avoir à nous présenter chaque jour à un appel individuel sous peine d'une amende de cinq mark pour la première infraction et de prison pour les suivantes.
Dès mon arrivée à Pforzheim, je présentai au Bezirksamt unie nouvelle demande de départ pour la Suisse. Ce fonctionnaire, qui me reçut avec une correction guindée, visa mes pièces sans soulever d'objection et me remit un mot pour le médecin-chef des ambulances de Pforzheim, par lequel je devais faire également viser mon dossier.
Je trouvai le médecin dans le principal hôpital. Il m'accueillit, lui, avec beaucoup d'affabilité, lut avec attention les pièces que je lui tendis et, après avoir rédigé une note qu'il épingla à ma pièce officielle de la Croix-Rouge de Nancy, il m'offrit de visiter son «  lazaret » (où tout, entre parenthèse, me parut admirablement aménagé). Par une délicate attention, je fus conduit dans une salle où quarante de nos soldats français étaient soignés. Ils appartenaient au 13e corps et ils me déclarèrent.
tous, l'un après l'autre, qu'ils étaient soignés avec beaucoup d'attention et traités exactement sur le même pied que les blessés allemands. La plupart étaient d'ailleurs en excellente voie de guérison. En me reconduisant, le médecin en chef m'informa qu'il m'autorisait à revenir voir mes compatriotes aussi souvent que je le désirerais. Je n'ai pu, malheureusement, profiter jusqu'à la fin de mon exil de cette faveur accordée spontanément par un ennemi aux sentiments généreux.
En effet, le surlendemain, m'étant présenté à l'appel des internés civils avec quelques minutes de retard, je fus puni d'une amende de cinq mark qu'il me fallut payer séance tenante : en guise de reçu, une note me fut remise qui précisait qu'à la première récidive l'amende serait triplée et accompagnée de huit jours de prison.
Vingt-quatre heures après cet incident, le chef de la police nous prévint, après nous avoir mandés tous dans une cour gardée par des agents, qu'en raison des attentats commis par des avions sur Fribourg-en-Brisgau, «  contrairement aux lois de la guerre » (sic), des mesures sévères étaient imminentes contre nous.
La mise à exécution de cette révoltante menace ne se fit pas attendre : le 16 décembre, tous mes compagnons français et moi nous étions arrêtés et mis en cellule à la maison d'arrêt de Pforzheim : en même temps, nous apprenions que le même traitement était infligé à tous les étrangers retenus en Allemagne.
En nous voyant arriver en son édifice, le gardien-directeur de la prison déclara, en nous «  bouclant », «  qu'il aurait » nos os de «  Franzozen ! » Et de fait, la canaille nous fit endurer toutes les vexations possibles. Pour mon compte, je fus bousculé, fouillé, dépouillé de tout ce que contenaient mes poches - y compris un petit peigne à moustaches. On nous mit au régime des condamnés à mort : une assiette de soupe à l'eau dans la journée. La cellule ne contenait rien autre chose qu'un lit et un baquet et le lit se redressait contre le mur où il restait cadenassé du lever au coucher, de façon à ce qu'il fût impossible au prisonnier de s'y asseoir pendant la journée.
Une promenade dans la cour intérieure, me permettait de revoir chaque jour mes compagnons pendant deux heures ; nous tournions en cercle, à cinq pas l'un de l'autre, avec défense d'échanger une parole, sous peine de cachot.
Le 20, nous fûmes livrés à l'autorité militaire et, sans savoir le sort qui nous était réservé, nous considérâmes notre sortie de la geôle de Pforzheim comme une délivrance.
Conduits à la gare entre une double haie de baïonnettes, nous fûmes pourtant autorisés, avant le. départ, à embrasser nos femmes et nos enfants qu'on avait consenti à prévenir et à rassembler pour ces adieux et auxquels on fit connaître séance tenante qu'ils seraient expulsés d'Allemagne le 21 décembre au plus tard.
Enfermés dans de vieux wagons délabrés, dont les rampes et mains-courantes en cuivre avaient été enlevées, sous la surveillance de sous-officiers armés - sans doute parce qu'on n'avait pas une confiance suffisante dans l'incorruptibilité des simples fusiliers, - nous fûmes transportés à 800 kilomètres de Pforzheim, après un voyage qui dura vingt-huit heures et pendant lequel il ne nous fut permis de descendre des guimbardes que deux fois, à l'une pour recevoir un verre de «  café impérial » aux glands doux, - l'autre pour toucher un pain noir accompagné d'un morceau de «  wurst ».
Le terme de notre voyage était Holzminden, dans le duché de Brunswick, au milieu du massif du Hans.
A quatre kilomètres et demi de cette petite ville s'étend un camp qui doit être désormais le centre militaire de détention pour les internés civils retenus en Allemagne.
Erigée en pleins champs, dans un vrai cloaque de boue liquide, cette cité de malheur est composée de baraques en planches plus ou moins jointes, à l'achèvement desquelles 40 soldats français et environ 350 soldats belges travaillaient quand j'y arrivai avec mes compagnons.
Cinquante personnes auraient de la peine à s'y loger à l'aise ; aussi, la chiourme militaire prussienne y place cent vingt individus ; comme literie, des sacs contenant de petits copeaux d'emballage trempés par un long séjour sur le sol et par les gouttières ruisselant entre les planches mal assemblées et disjointes par l'humidité ; comme confortable moderne : l'électricité.
Je précise les conditions d'aménagement parce que j'ai appris qu'un délégué plus ou moins officiel de je ne sais quelle administration a affirmé l'existence à Holzminden d'un confortable hygiénique avec chauffage central, douches chaudes, électricité, etc., etc.
Ce délégué a probablement visité l'appartement du commandant militaire, mais il n'a sûrement pas couché sur les copeaux des internés ni goûté à leur nourriture.
Il y a, à Holzminden, des détenus de tous les âges : femmes, enfants, adultes et vieillards appartenant à tous les rangs sociaux.
La plupart ont vu tout ce qu'il est possible de voir en fait de carnage et d'horreurs.
J'ai causé là avec des habitants du Pas-de-Calais, de la Somme, de la Meuse, de tous nos départements envahis, de Belgique, à des gens de ma clientèle, à des Alsaciens-Lorrains arrêtés et brutalisés comme «  suspects ». Beaucoup sont dans un dénûment lamentable, ayant été arrêtés dans leurs champs sans avoir pu repasser devant leurs demeures pour y prendre le moindre objet indispensable.
Le camp est entouré d'un enchevêtrement de fils de fer barbelés de trois mètres de hauteur, surveillé par des sentinelles apostées dans des blokhaus. L'un des côtés de l'enceinte est limité par un bois sur la bordure duquel une batterie d'artillerie a été installée ; on prévoit qu'en cas d'émeute ou de rébellion, les pièces de cette batterie nous réduiraient immédiatement à l'obéissance.
Ce camp, lorsqu'il sera complètement achevé, pourra contenir dix mille otages et internés civils ; il y en avait 4.600 fin décembre. A ce moment, il était permis à chaque détenu d'écrire et de recevoir, chaque semaine, une lettre de trente-deux lignes.
J'ai su que, depuis ma libération, cette faculté était réduite à une lettre par mois.
Comme nourriture, la même «  ratatouille» répugnante qu'à Donaueschingen ; c'est un adjudicataire qui devait nourrir la colonie, moyennant soixante-cinq pfennig par tête et par jour. Comme il n'en dépensait que vingt à peine, il réalisera d' <( honnêtes » bénéfices avant le licenciement des malheureux qu'il affame si la situation se prolonge. Il est vrai d'ajouter qu'à ceux dont les ressources sont suffisantes, ce mercanti allemand vend à prix d'or saucisses, charcuterie et autres «  delicatessen ».
Nous pouvions circuler, converser et jouer (sans enjeux d'argent) dans les limites de l'enceinte barbelée. Et il nous avait été enjoint de saluer les officiers que nous croisions.
Inutile de dire que nous usions de toutes les ruses pour éviter de nous trouver face à face avec eux.
Le 24 décembre pourtant, au matin, je heurtai le commandant au moment où il tournait l'angle de mon baraquement ; gardant mes mains dans mes poches, je passai sans faire mine de le voir.
Deux minutes plus tard, un feldwebel m'enjoignait brutalement de le suivre chez, son officier, qui m'apostropha de la façon aimable que voici : «  Pourquoi n'avez-vous pas salué «  une personne » il y a un instant ? Est-ce ainsi qu'en France on témoigne le respect à ses supérieurs ? »
- Je savais que vous êtes le supérieur des soldats qui nous surveillent ici ; mais personne ne m'a dit que vous étiez le supérieur des prisonniers», ripostai-je.
- Français à forte tète, vous ! - jargonna le garde-chiourme en chef - Je vous punirai sévèrement au premier manquement ; retirez-vous de mes yeux !... » Le soir de ce jour, le même sous-officier revint me chercher en me saluant comme ils saluent là-bas leurs officiers et me reconduisit chez le même «  supérieur » qui, aussi aimable à ce moment qu'il avait été rogue le matin, me dit en se cassant plusieurs fois en deux : «  Le général m'envoie l'ordre de vous mettre en liberté, «  immédiate » et «  tout de suite ». Mais je ne consens pas à vous laisser partir à cette heure pour quatre «  kilometter ». Je fais préparer à vous une chambre dans mon bâtiment. »
Je remerciai le «  supérieur » et lui déclarai que je tenais à passer cette dernière nuit sur mes copeaux afin de prendre congé de mes compagnons d'internement.
Malgré la joie que j'éprouvais à la pensée de reprendre ma femme et mon enfant à Pforzheim (où ils devaient m'attendre jusqu'au 31), c'est avec un douloureux serrement de coeur que je quittai, au petit jour, les braves gens dont je venais de partager les souffrances et dont je gardais l'amitié.
Quarante-huit heures plus tard, je sortais de l'odieux «  territoire d'Empire », non sans avoir subi une dernière vexation de la brute casquée qui, à la barrière de la douane examinait d'un air furieux les voyageurs pour la Suisse ; il tourna et retourna dans tous les sens le passeport délivré à mon nom par l'agent consulaire espagnol, le mit dans sa poche, et refusa rudement de me le rendre. «  Rauss » !
beugla-t-il pour finir. Malgré le grand désir que j'aurais eu de garder ce document, preuve et souvenir du cauchemar que je venais de vivre durant quatre mois et demi, je n'essayai pas d'insister davantage.
Pourtant, ce passeport m'était indispensable pour rentrer en France et regagner Nancy, et j'étais fort préoccupé de son escamotage. Grâce à la bienveillante complaisance de notre ambassadeur à Berne, je fus muni d'une autre pièce qui m'évita toute entrave et tout retard.
Le 30 décembre, je foulais les pavés de Nancy et j'embrassais mes chers parents. J'apprenais en même temps que je ne possède plus rien, - tout ayant été pillé et détruit chez moi, - et que la horde barbare des Boches avait parachevé dans la plupart de nos malheureux villages frontière l'oeuvre infernale de carnage et d'incendie dont j'avais vu le commencement lorsqu'ils m'expulsèrent de Blâmont.
Quand rentreront ceux que j'ai quittés à Holzminden ?
Beaucoup, dont la santé est fortement ébranlée, ne reviendront peut-être jamais !
Et cette pensée m'est infiniment douloureuse, car les amitiés scellées sur la terre d'exil par des souffrances comme celles que nous avons supportées en commun sont, comme on dit chez nous : à la vie, à la mort ! »
J'ai, en rentrant en France, transmis à beaucoup de mes compatriotes les souvenirs, les nouvelles et les voeux d'un grand nombre de mes compagnons de Holzminden qui m'en avaient chargé.
L'un d'eux, en particulier, M. E..., industriel à Strasbourg, - interné avec nous et très durement traité parce qu'il n'a jamais consenti à dissimuler son ardent amour de la France et parce que son fils est sergent-dans un de nos régiments de la «  division de fer » - m'a dit en me quittant : «  Faites savoir à mon fils de ne pas se tourmenter sur mon compte et affirmez lui que je ne me tourmente pas, moi, parce que quand je retournerai à Strasbourg, je suis sûr que c'est en terre française que je retrouverai notre demeure. »
Partageons tous la certitude de ce patriote alsacien et gardons, invincibles, notre confiance et notre espérance !.
A. LAHOUSSAY, Vétérinaire-inspecteur sanitaire à Blâmont

RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX EVENEMENTS DE JANVIER 1915

1er janvier. - Avance française en Argonne, au bois Le-Prêtre, à Bréménil, à Steinbach. - Des aviateurs français jettent des bombes sur les gares militaires de Vie, Château-Salins, Remilly, Arnaville, Thiaucourt, Heudicourt, etc.
2 janvier. - Avance française au bois Le-Prêtre, à Celles-sur-Plaine.
3 janvier. - Les Français reprennent Steinbach.
4 janvier. - Nous occupons une carrière et des tranchées allemandes sur la route de Rouvrois à Saint-Mihiel, et chemin de Maizey à Saint-Mihiel.
8 janvier. - Les Allemands reprennent Burnhaupt-le-Haut, près de Cernay, en Haute-Alsace. - La Turquie annule tous ses traités avec la Serbie. - Rapport de la commission d'enquête française sur les crimes de l'armée allemande.
10 janvier. - M. Millerand et les services du ministère de la Guerre se réinstallent à Paris.
11 janvier. - Mise en fuite d'une troupe allemande pillant Saint-Sauveur, près de Cirey-sur-Vezouze.
12 janvier. - Ouverture de la session parlementaire. - Bataille de Soissons.
13 janvier. - Les Français après la bataille de Soissons s'établissent au sud de l'Aisne, entre Crouy et Missy. - Des Taubes sur Nancy et Béthune.
14 janvier. - Attaques allemandes repoussées au bois dAilly. - Combats d'infanterie à l'avantage des Français à Senones.
15 janvier. - Attaques allemandes repoussées à Flirey et au nord de Clémery.
17 janvier. - Deux Taubes abattus près de Bar-le-Duc.
20 janvier. - Des avions alliés jettent des bombes sur l'usine Krupp, a Essen.
21 janvier. - Bombardement de Saint-Dié. - Taubes sur Dunkerque : 80 bombes, une centaine de victimes civiles, dont neuf morts.
22 janvier. - Devant Saint-Mihiel, évacuation d'un dépôt de munitions par les Allemands.
26 janvier. - A Saint-Mihiel, destruction de passerelles allemandes sur la Meuse.
28 janvier. - A l'est de Gerbéviller, Taube abattu par un officier et un sous-officier. - Mise en fuite d'un Zeppelin à Nancy.
29 janvier. - Près de Flirey, l'explosion d'une mine française ensevelit un grand nombre d'Allemands.
30 janvier. - Un Taube sur Pont-à-Mousson.
31 janvier. - Un Zeppelin mis en fuite à Nancy.

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