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Jeanne d'Arc, sujette d'Ogéviller
 


Dans son Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance écrit concernant Henri d'Ogéviller :
«  Nous aimons à rappeler que, dans la dot de Jeanne de Joinville se trouvaient une partie de Domremy et le château de l'Isle situé dans ce lieu. A ce sujet se pose la question des rapports qui ont pu exister entre notre nouveau couple seigneurial et la famille de Jeanne d'Arc. Il n'est pas certain, qu'au début dé leur mariage Henry d'Ogéviller et Jeanne de Joinville aient fréquenté beaucoup Domremy et il est possible qu'ils n'aient connu qu'assez tard la noble enfant qui devait sauver la France. Cependant, Henri d'Ogéviller fut en relation avec Jacques d'Arc, à propos d'un procès qui fut soulevé, le 7 octobre 1423, et dont il ne vit probablement pas la fin. [...]
Avec Henry finissait la dynastie masculine d'Ogéviller. De son second mariage il laissait une fille nommée Béatrix, qui naquit en 1420 et recueillit tout l'héritage paternel de la façon qui sera indiquée plus loin. Jeanne, sa veuve, vint alors habiter son domaine de Domremy; elle avait près d'elle sa fillette, qui, put partager, au bois Chenu, sous l'arbre des Fées, les rondes de ses compagnes, pendant que Jeanne d'Arc entendait ses Voix et songeait à sa grande mission. »

L'opuscule reproduit ci-dessous expose la polémique sur la «  nationalité » de Jeanne d'Arc, qui n'est pas lorraine, mais sans doute barroise. Mais ce qui est certain, c'est que Jeanne d'Arc était sujette d'Ogéviller selon le document de 1427 qu'il cite : «  ... Auquel jour et lieu les dictes parties comparurent par devant le dit Robert [de Baudricourt], c'est assavoir ... le dit messire Henry d'Ogevillers, ensemble les dits manans et habitans de Greux et de Dompremy, ses hommes et subgiez, comparans par venerable et discrète personne messire Jacques Flament, prebtre, Jehan Morel, de Greux, et Jaquot d'Ars, dudit Dompremy, leurs procureurs souffisamment fondez de procuration dont il nous a deuement apparu, deffendeurs... »

Une question de frontière au XVe
Ch. Petit-Dutaillis
Tiré à part de «  Moyen âge » - 1897

UNE QUESTION DE FRONTIÈRE AU XVe SIÈCLE
LE PAYS D'ORIGINE DE JEANNE D'ARC
A PROPOS DE QUELQUES OUVRAGES RÉCENTS
Par Ch. PETIT-DUTAILLIS

Depuis 1850, les érudits se querellent, non sans échanger souvent des injures, sur la question de savoir quelle est la «  nationalité» de Jeanne d'Arc. Tout récemment la publication du livre de M. l'abbé Misset a provoqué une polémique plus âpre que jamais (1). Entre ceux qui participent à ces batailles avec la naïve ardeur du patriotisme local, et ceux qui se contentent d'en rire et de citer les premiers vers du Lutrin, il convient de prendre une attitude qui ne soit ni belliqueuse, ni méprisante, et de chercher non seulement à résoudre cette question, assurément peu importante, en la regardant sous un angle nouveau, mais encore à montrer quel intérêt elle offre pour l'histoire générale. Il n'y a qu'un fort douteux profit à savoir si Jeanne d'Arc était barroise ou champenoise, mais il y en a un réel à comprendre pourquoi le problème est si obscur. A force de fouiller les archives pour étayer leurs systèmes divers, les érudits locaux ont réuni des textes qui éclairent un coin de l'histoire politique de la France au moyen âge. Ce n'est pas la première fois que de discussions par elles-mêmes oiseuses ont jailli des vérités qu'il était vraiment avantageux de connaitre. Le but de notre modeste étude est sinon de mettre fin à une controverse interminable, du moins, de montrer quel intérêt général offrent les débats sur la «  nationalité » de Jeanne d'Arc.
On a soutenu autrefois que la Pucelle était sujette du duc de Lorraine, mais personne ne songe plus à le prétendre aujourd'hui, et les gens qui persistent à appeler la Pucelle la Bonne Lorraine ne prêtent à ce terme qu'un sens géographique très vague, comme le faisaient Villon et ses contemporains (2). M. Maurice Poinsignon a voulu récemment prouver que Jeanne n'était ni lorraine, ni barroise, ni champenoise, mais simplement et «  directement » française, vu que, selon lui, Domrémy faisait partie de la prévôté de Vaucouleurs, qui n'était point située dans la province ou gouvernement de Champagne; mais, dans sa Réponse à M. Poinsignon, M. Misset a victorieusement démontré que la prévôté de Vaucouleurs était comprise dans le gouvernement de Champagne, et que d'ailleurs Domrémy ne dépendait pas de cette prévôté.
Voici donc quelle est actuellement l'alternative.
Domrémy était situé aux confins de la Champagne et du Barrois mouvant. On appelait Barrois mouvant la partie du duché de Bar qui était située sur la rivé gauche du occidentale de la Meuse, et qui, depuis des actes passés en 1301 et en 1308, relevait de la couronne de France; à cette date, en effet, le comte de Bar (qui n'avait pas encore le titre de duc) avait dû subir les conditions de Philippe le Bel, et devenir son vassal pour le Barrois cis-mosellan. Or, Domrémy était un village mi-parti; les maisons situées au nord et le village annexe de Groux étaient de la Champagne, donc du domaine royal; la partie méridionale, la plus considérable, appartenait au Barrois mouvant. Jeanne d'Arc est donc née ou bien dans le domaine royal; thèse qui sourit aux Champenois, ou bien dans le Barrois mouvant, ce qui paraît sûr aux Lorrains. Qui a raison?
Après le Dr Athanase Renard (3), après l'abbé Étienne Georges (4), après l'abbé Nalot (5), après M. Wallon (6) et Siméon Luce (7), M. l'abbé Misset soutient que la Pucelle est Champenoise. Sa Jeanne d'Arc Champenoise, pour qui ne connaît point les réfutations qui en ont été faites, est un plaidoyer absolument convaincant. M. Misset a un grand talent d'exposition; il est lucide, logique, mordant. Le malheur veut qu'il soit trop lucide, car il prétend rendre claires des questions qui ne le sont pas, qui ne l'étaient pas aux yeux des contemporains de Jeanne d'Arc; trop logique, car il veut argumenter nettement sur des textes contradictoires trop mordant, car il se gausse de son adversaire, M. L'Hôte, et c'est M. L'Hôte qui a raison, complètement raison. L'ardeur de la polémique entraîne M. Misset hors de toute saine méthode. Il mutile les textes, répond aux objections par des plaisanteries ou bien les passe sous silence. Enfin il en arrive à produire des attestations d'érudits, certifiant qu'il a trouvé la vérité; or, ce ne sont là que des lettres de politesse, ainsi qu'en commettent tous les savants qui reçoivent de nombreux livres «  avec dédicace de l'auteur ». Ces sortes d'appréciations sont négligeables. Le moindre argument ferait bien mieux notre affaire. C'est dommage qu'il faille faire de tels reproches à un écrivain d'une vivacité si plaisante, et qui raisonne avec une si remarquable liberté d'esprit.
La brochure de M. l'abbé L'Hôte (qui se complète à l'aide des répliques provoquées par la Réponse de M. Misset et éditées à la suite dans la Semaine religieuse de Saint-Dié (8)) est une réfutation très solide, et qui, semble-t-il, ne laissera aucun doute à un esprit non prévenu. Le livre de M. L'abbé Mourot, publié ensuite, est fort compact; il n'ajoute pas d'arguments essentiels et compromet parfois la thèse barroise par des raisonnements bizarres. On y trouve cependant des aperçus judicieux (9).
Les premiers textes qu'il faut rechercher sont évidemment ceux qui sont contemporains de la Pucelle, qui se rapportent directement à sa naissance. Les témoignages émanés d'elle-même doivent attirer d'abord l'attention. Or, voici un fragment de son interrogatoire du 21 février 1431 : «  Interrogata de loco originis, respondit quod nata fuit in villa de Dompremi, quae est eadem cum villa de Grus, et in loco de Grus est principalis ecclesia... lnterrogata quo Ioco fuit baptizata, respondit quod in ecclesia de Dompremi (10). » Voici maintenant Je procès-verbal de la séance du 28 mars «  ... Verum est quoci dicta rea fuit et est oriunda in villa de Grus (11), patre Jacobo d'Arc, matre Ysabella, ejus uxore; nutrita in juventute usque ad XVIII annum aetatis ejus, vel eo circa, in villa de Domprenii super fluvium Mosae, dioecesis Tullensis, in halliviatu de Chaumont-en-Bassigny, et Praepositura de Monteclere et d'Andelo.....Ad hunc articulum respondit quod confitetur primam partem, videlicet de patre, et matre, et loco nativitatis. (12) » Passons aux témoignages provenant du roi de France. Le début des lettres d'anoblissement de Jeanne d'Arc et de sa famille, données par Charles VII en décembre 1429, est ainsi conçu : «  Magnificaturi divinae celsitudinis uberrimas nitidissimasque gratias, celebri ministerio Puellae, Johannae d'Ay de Dompremeyo, carae et dilectae nostrae, de ballivia Calvimontis seu ejus ressortis, nobis elargitas (13)... » Enfin le 31 juillet précédent, Charles VII avait exempté d'impôts Greux et Domrémy, et il s'exprimait en ces termes : «  Nous avons octroyé et octroyons de grace espéciale par ces Présentes aux manans et hahitans des ville et villaige de Greux et Domrémy, oudit bailliaige de Chaumont en Bassigny, dont ladite Jehanne est natifve, qu'ilz soyent d'ores en avant francs, quictes et exemptz de toutes tailles, aides, subsides et subvencions mises et à mettre oudit bailliaige (14). » Quant à Jean Bréhal, qui dirigea l'enquête nécessaire pour la réhabilitation, il se contente de dire que Jeanne est «  de vico aut villagio quodam dicte Dompremy, a parte ipsius regni constituto (15) ».
Ainsi, d'après les témoignages les plus dignes d'attention, Jeanne est née dans le royaume, à Domrémy, qui ne fait qu'un avec Greux, dans le bailliage champenois de Chaumont-en-Bassigny, et dans la prévôté champenoise de Montéclaire-Andelot. Le roi la considérait si bien comme sa sujette, qu'il l'a anoblie, ainsi que sa famille; et il considérait si bien les concitoyens de la Pucelle comme ses sujets qu'il les a exemptés des impôts qu'on payait dans le bailliage de Chaumont. Est-il rien de plus clair, demandent les partisans de la thèse champenoise, et comment ose-t-on dire que Jeanne est née dans le Barrois mouvant, qui n'est rattaché au roi de France que par un vague lien féodal, et qui ne fait point partie du royaume?
Si triomphants que paraissent être ces arguments, fort bien mis en valeur par M. Misset, ils se heurtent à un obstacle matériel. Personne, dans aucun des deux camps, ne conteste l'authenticité de la maison de Jeanne d'Arc à Domrémy, maison religieusement conservée par la piété des Français dès le XVe siècle. Or, où est située cette maison? La limite entre le Domrémy champenois et le Domrémy barrois était formée, ainsi qu'il résulte de deux actes de 1334 et de 1460, par «  ung petit ruiceau sur lequel a une grosse pierre plate », le ruisseau des Trois-Fontaines. La maison de Jeanne d'Arc est aujourd'hui au nord de ce ruisseau, qui coule dans le jardin même de la célèbre demeure. Mais il n'en était pas ainsi autrefois. Un plan de 1722 et des témoignages oraux que confirme l'inspection des lieux prouvent qu'autrefois ce ruisseau coulait à plus de deux cents mètres au nord de son lit actuel, et laissait par conséquent la maison de la famille d'Arc dans le Barrois mouvant. - Cet argument du ruisseau, cher à M. Chapellier (16) et à M. l'abbé L'Hôte, a le privilège de rendre M. l'abbé Misset très gai. Mais rire n'est pas prouver; la réfutation de M. Misset n'est qu'un tissu de plaisanteries sans portée.
Voici d'autre part un texte de 1427, que rappellent M. L'Hôte et M. Mourot, et qui semble faire figurer le père de la Pucelle parmi les «  hommes et sujets » de messire Henri d'Ogeviller : « ... Auquel jour et lieu les dictes parties comparurent par devant le dit Robert [de Baudricourt], c'est assavoir ... . le dit messire Henry d'Ogevillers, ensemble les dits manans et habitans de Greux et de Dompremy, ses hommes et subgiez, comparans par venerable et discrète personne messire Jacques Flament, prebtre, Jehan Morel, de Greux, et Jaquot d'Ars, dudit Dompremy, leurs procureurs souffisamment fondez de procuration dont il nous a deuement apparu, deffendeurs (17) ... » Or, les prédécesseurs et les successeurs d'Henri d'Ogeviller dans le fief de Domrémy faisaient hommage au duc de Bar, et il est évident que la situation a été la même pour lui. On aura beau dire que les seigneurs de Domrémy ne possédaient pas tout le village, ce ne sera point encore une raison pour nier que Jacques d'Arc ait figuré parmi leurs sujets, comme semble l'attester le document ci-dessus reproduit; document assurément peu précis, dépourvu de détails; mais vraiment il serait difficile d'en déduire que la famille de la Pucelle habitait sur le domaine royal. Aussi bien les partisans de la thèse champenoise laissent-ils dans l'ombre ce texte gênant.
Enfin M. L'Hôte et M. Mourot s'appuient sur un acte de 1552 : à cette date, Didon du Lys, qui possédait le tiers de la maison de Jeanne d'Arc, en fit donation, non devant dés tabellions du domaine royal, mais devant les tabellions de Gondrecourt, et nos deux polémistes en concluent que la maison de Jeanne d'Arc était située dans la prévôté barroise de Gondrecourt.
Cet argument n'a rien de décisif; mais il a l'avantage d'«  introduire Gondrecourt au débat », pour parler comme M. Misset. Et si l'on veut saisir dans sa complexité la question, il faut examiner, sans parti pris, si la terre natale de la Pucelle ne dépendait point de la prévôté de Gondrecourt.
Elle en dépendait si la maison de Jacques d'Arc était située au sud du ruisseau des Trois-Fontaines, car en 1461 les habitants de Domrémy, «  depuis ung petit ruisseau sur lequel y a une pierre plate, en tirant vers le Neuf Chastel », c'est-à- dire ceux qui logeaient au sud de ce petit cours d'eau, déclaraient être «  du duchié de Bar à cause de la ville et chastetlenie de Gondrecourt (18) ». Mais, diront les Champenois, nous n'admettons pas que le ruisseau ait autrefois coulé au nord de la maison de Jeanne; nous proclamons que la Pucelle est née dans la prévôté d'Andelot et non dans celle de Gondrecourt; et nous avons pour preuves son témoignage et celui du roi Charles VII.
On a beau jeu, semble-t-il, à prétendre que Jeanne d'Arc, étant née dans la prévôté d'Andelot, n'a pu naitre dans celle de Gondrecourt, et les textes que nous avons cités au début paraissent à eux seuls prouver implicitement que le ruisseau des Trois-Fontaines n'a pas changé de direction. Il n'en est rien cependant, et ce n'est là qu'une apparence.
M. Misset nous dit: «  La nationalité, au point de vue administratif, s'établit aujourd'hui de la façon la plus simple et la plus nette par l'arrondissement et par le département. Elle s'établissait au XVe siècle avec la même simplicité et la même précision par la prévôté et par le bailliage. (19) » M.Duvernoy, auteur d'une étude Sur le ressort de la prévôté de Gondrecourt, jugée par M. Misset avec un dédain que rien ne justifie (20), riposte: «  M. Misset conçoit d'une façon bien singulière l'administration française du temps de Jeanne d'Arc ..... Il entreprend de régulariser, de simplifier, d'étiqueter, d'après nos usages et nos idées modernes.....C'est plus beau, plus régulier, plus satisfaisant pour l'esprit; on s'y retrouve beaucoup mieux; seulement.....ce n'est plus le XVe siècle (21). » Tous ceux qui ont étudié à fond quelque partie des institutions et de l'histoire politique du moyen âge inclineront à croire que M. Duvernoy a raison, et ils en seront convaincus pour ce cas particulier s'ils se donnent la peine d'examiner la question.
Il s'agit de savoir si les habitants des pays frontières étaient toujours soumis à un régime administratif, fiscal et judiciaire, nettement déterminé, et si leur «  nationalité » s'apercevait «  avec la même simplicité et la même précision » qu'aujourd'hui. Nous admettons pour le moment, que Domrémy était un pays frontière, et que le Barrois mouvant, bien que fief de la couronne de France, était situé «  hors du royaume ». C'est l'opinion de M. Misset. Nous la discuterons tout à l'heure. Acceptons-la provisoirement. Aussi bien, que Domrémy, ait été situé entre le domaine royal et une baronnie, ou entre la France et un pays étranger, notre argumentation aura la même valeur; dans le premier cas, il faudra seulement renoncer au terme de «  nationalité », nos raisonnements gardant d'ailleurs toute leur force.
Quand des faits sont obscurs, l'historien doit chercher à les éclairer par des comparaisons avec des faits de même nature. C'est ce qu'il est possible de tenter ici. Qu'on examine par exemple les efforts des Capétiens pour étendre leur domination sur le royaume d'Arles, la politique suivie par Louis VII dans la comté de Bourgogne et par Philippe-Auguste dans la seigneurie de Tournon, et la position si longtemps ambiguë des Lyonnais (22). On verra combien la situation des pars étrangers convoités par les rois de France était incertaine et obscure. Veut-on savoir ce qui se passait à l'intérieur même du royaume ? Qu'on lise les documents publiés par M. Charles-V. Langlois sur les empiètements des agents de Philippe le Bel dans l'Aquitaine anglaise, en Périgord, en Limousin, en Quercy, pays limitrophes (23). Qu'on étudie, ce qui n'a pas encore été fait, les agissements de Charles V dans la même région, avant la rupture du traité de Brétigny (24). Enfin, pour en revenir spécialement au Barrois mouvant, qu'on lise la très instructive étude de M. Duvernoy sur le village de Clinchamps au XVe siècle (25). Ce village, à l'époque de Jeanne d'Arc, se trouvait dans la même situation que Domrémy ; il était situé sur la frontière du Bassigny champenois et du Bassigny barrois, et personne ne savait précisément à qui il appartenait, il était, selon les termes assez justes d'une requête de 1487, «  en lieu neutre». Le village était très probablement barrois; mais les officiers du roi s'efforçaient de l'annexer sournoisement au domaine royal, en attirant les procès à la prévôté de Nogent-le-Roi et au bailliage de Chaumont, et en répandant la monnaie des Valois pour la substituer à celle des ducs de Bar. Les habitants ne fixaient pas leurs préférences, et les plaideurs partageaient leurs faveurs entre le bailliage de Chaumont et le bailliage barrois de Bourmont. Cette incertitude n'avait rien de déplaisant; elle permettait aux gens de Clinchamps de se soustraire aux impôts français, sous prétexte qu'ils n'avaient jamais payé les aides, de refuser également, tout subside aux ducs de Bar, et même de ne point payer les impositions foraines pour les marchandises venant de France. En 1500, le Parlement de Paris prétendit (vainement d'ailleurs) mettre fin à l'équivoque; et l'on vit l'avocat du roi et l'avocat du duc soutenir avec une égale conviction et des preuves également péremptoires des thèses complètement opposées, et développer avec les mêmes apparences de raison, des arguments «  administratifs, fiscaux et judiciaires », l'un en faveur de la «  nationalité » française, et l'autre en faveur de la «  nationalité » barroise, absolument comme nous le voyons faire aujourd'hui, aux auteurs des controverses sur l'origine de Jeanne d'Arc. Le rapprochement est curieux et suggestif, et M. L'Hôte aurait dû le faire.
On commence maintenant à comprendre la situation du Domrémy méridional, qui ressemblait fort à celle de Clinchamps. De. textes cités par M. L'Hôte prouvent que les officiers du roi attiraient à la prévôté d'Andelot des causes de la prévôté de Gondrecourt ainsi s'explique que, la maison de Jacques d'Arc s'élevant dans la partie de Domrémy qui dépendait de Gondrecourt, on ait pu dire cependant que la Pucelle était née dans la prévôté d'Andelot, au bailliage de Chaumont. La contradiction que M. Misset juge si absurde existait au temps de Jeanne et n'est pas, comme il le prétend, une invention d'érudits en détresse ou d' «  amateurs de clair-obscur ». Comme les gens de Clinchamps, ceux de Domrémy essayaient de mettre à profit la situation sans y parvenir toujours . M. Misset a cité des textes prouvant qu'ils ne payaient pas les aides; M. Duvernoy (26) et M. L'Hôte citent des textes prouvant qu'à certaines époques ils les ont payées, et que les habitants de Gondrecourt eux-mêmes ont dû parfois subir les exigences fiscales du roi de France; Voilà pourquoi Charles VII, pour exaucer une requête de l'héroïne, a exempté tous les habitants de Domrémy et de Greux, sans distinction, des impôts qu'on payait dans le bailliage de Chaumont. C'est encore la tradition autoritaire et envahissante de la monarchie capétienne qui peut à elle seule expliquer l'anoblissement de la famille d'Arc par Charles VII.
On voit maintenant qu'il importe assez peu de savoir si la partie méridionale de Domrémy et le reste du Barrois mouvant faisaient vraiment partie du royaume. Dans un cas comme dans l'autre, il faut reconnaître que Charles Vil traitait tous les gens de Domrémy comme ses sujets. La question que nous venons de poser est d'ailleurs difficile à résoudre. Un acte royal de 1392 place en effet Bar-le-Duc «  hors du royaume (27) », tandis que d'après un acte de 1429 le Barrois mouvant est «  du royaume (28) ». C'est cette dernière expression qui parait être la plus juste; elle implique, comme le dit M. l'abbé Mourot, la dépendance sans la réunion (29).
Ainsi, sans qu'il soit besoin d'exposer et de discuter ici les autres arguments de M. Misset, qui ont été tous réfutés très solidement par ses adversaires, nous croyons avec M. L'Hôte que Jeanne d'Arc était née, non point dans le domaine royal, mais en une région disputée aux ducs de Bar par les Valois. II n'empêche point d'ailleurs que la Pucelle était française, et parce que le Barrois mouvant était fief de la couronne, et surtout parce que tous les habitants de Domrémy, sauf un seul, soutenaient ardemment la cause nationale. Cette constatation faite, la fameuse question du ruisseau perd toute importance, et il est vraiment puéril de discuter si longuement sur la place d'un filet d'eau que Jeanne franchissait peut-être chaque jour, et qui ne se haussait à la dignité de frontière politique qu'a de rares intervalles, lors par exemple que les habitants de la rive méridionale cherchaient le moyen d'éviter un impôt.
Si nous avons longuement exposé cette controverse, c'est qu'il nous semblait juste de montrer ici le mérite du travail de M. L'Hôte; et c'est aussi que la question n'est pas sans intérêt pour l'histoire générale. En l'examinant, on aperçoit au vif l'indécision qui régnait alors aux frontières dans les institutions, et quelle force ont les agissements d'une politique persévérante pour créer une nationalité.
J'apprends que mon confrère M. Lemoine a trouvé en Angleterre des pièces nouvelles sur Domrémy. J'ai quelques raisons de croire que sa publication confirmera les vues exposées plus haut. Puissions-nous en avoir bientôt connaissance, et ensuite ne plus jamais entendre parler de la «  nationalité » de Jeanne d'Arc

(1) E. MISSET, Jeanne d'Arc Champenoise. Paris-Orléans, 1895, in-8' 80 p.
MISSET, Réponse à M. Poinsiqnon. La prévôté de Vaucouleurs et la prévôté d'Andelot. Paris-Orléans, 1895, in-8°, 32 p.
E. L'HOTE, Jeanne d'Arc la bonne Lorraine. Saint-Dié [1895], in-8, 114 P.
MISSET, Première réponse à M. l'abbé L'Hôte. Paris-Orléans, 1895, in-8°, 14 p. - Deuxième réponse, ibid., 29 p.
MOUROT, La nationalité de Jeanne d'Arc, réponse à l'étude de M. l'abbé Misset. Laveline-Domrémy, 1896, in-8°, 290 p.
MI5SET, Un contre-sens, ou la Croix de Lorraine dans la basilique de Domrémy. Paris, 1896, in-8°, 7 p.
MISSET, Petite réponse d'un Champenois à trois Lorrains. Paris, 1897, in-8°, 4 p.
(2) Voyez sur ce point les appréciations de M. Léon Germain, par exemple dans son compte rendu de l'ouvrage de l'abbé Nalot: Annales de l'Est, 1894, P. 316-317 - Cf. LUCE, Jeanne d'Arc à Domrémy, P. CLXXXVI, note.: « Au XVe siècle, le mot Lorraine avait conservé dans l'usage populaire, grâce à la vogue persistante des chansons de geste, son acception primitive et carolingienne. »
(3) Voyez l'indication de ses ouvrages dans LANÉRY d'ARC, Livre d'or de Jeanne d'Arc, édit. gr. in-8°, 1894, n° 660, 662,664, 666, 672, 673.
(4) lbidem, nos 674, 684.
(5) Recherches sut la nationalité de Jeanne d'Arc, Montreuil-sur-Mer, 1894.
(6) Jeanne d'Arc, 6e édition, 1893, in-18, tome I, appendice IX.
(7) S. LUCE, Jeanne d'Arc, Son lieu natal et ses premières années, dans: La France pendant la guerre de Cent Ans, 1re série.
(8) Voy. la Semaine religieuse du diocèse de Saint-Dié, 1895, n° 28 à 30, 32.
(9) On consultera aussi avec profit la brochure de M. l'abbé JERET -. La nationalité de Jeanne d'Arc, réponse à M. l'abbé E. Missel; Bar-le-Duc, 1895, in-8°. Cf. un compte rendu de cette brochure dans : Journat de la Soc. d'archéol. lorraine, 1898,p. 68.
(10) QUICHERAT, Procès, I, 46.
(11) M. Misset n'a pas tiré parti de cette ligne du procès-verbal, et il a eu raison, car elle ne peut prévaloir contre la réponse de la Pucelle elle-même, citée ci-dessus. Jeanne d'Arc na pas protesté, évidemment parce qu'elle considérait Domrémy et Groux comme «  ne faisant qu'un ».
(12) QUICHERAT, 208-209.
(13) QUICHERAT, V, 150.
(14) Ibidem, 138
(15) LANÉRY D'ARC, Mémoires et consultations en faveur de Jeanne la Pucelle, p. 401.
M. Misset cite aussi la lettre écrite par Pereeval de Boulainvilliers au duc de Milan, le 21 juin 1429; ce conseiller de Charles VII déclare que Jeanne et née «  in ballivia Bassignata, infra et in finibos regni Franciae. » M. L'Hôte répond avec raison que cette lettre de Perceval de Boulainvilliers est «  farcie de récits controuvés », et qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte.
(16) Voy. surtout son Étude historique et géographique sur Domrémy, pays de Jeanne d'Arc, Saint-Dié, 1890, avec plans.
(17) S. LUCE, Jeanne d'Arc à Domrémy, p. 360.
(18) LUCE, op. cit., p. 354.
(19) Jeanne d'Arc Champenoise, p. 11.
(20) «  Le 8 février, vous nous affirmez après M. l'abbé Mourot (quel guide !) que les juges de Rouen commirent une ruse méchante... . A la date du 17 mai, à la suite de M. Duvernoy (quel autre guide !) vous placez Gondrecourt au royaume... » (Deuxième réponse à M. l'abbé L'Hote, P. 13-14). Voy. aussi la fin de la Réponse à trois Lorrains. Ces procédés de polémique sont stupéfiants. Il suffit de lire l'ouvrage de M. Misset, et ensuite le compte rendu qu'en a fait le même M. Duvernoy, pour constater que ce dernier serait un très bon «  guide »; M. Misset apprendrait beaucoup à son école, s'il se résignait à admettre qu'il a beaucoup encore à apprendre.
(21) Compte rendu de l'ouvrage de M. Misset, dans Annales de l'Est, année 1894 (sic, et non pas 1895, comme le dit M. L'Hôte), p. 324-325
(22) Voy. PAUL FOURNIER, Le Royaunw d'Arles et de Vienne, Paris, 1891; PIERRE BONNASSIEUX, De la réunion de Lyon à la France, Lyon, 1874.
(23) Documents relatifs l'Agenais. au Périgord et à la Saintonqe, à la fin du XIIIe et au commencement du XIVe siècle, dans Bibl. Ec. Ch., ann. 1890, p. 298.
(24) L'étude que nous avons publiée ici-même, en collaboration avec M. Paul Collier, sur La diplomatie française et le traité de Brétigny, suffirait peut-être à suggérer quelques doutes sur la netteté de la politique au moyen âge .Non seulement les intéressés s'efforçaient souvent d'embrouiller les questions, mais ceux qui auraient dû chercher à voir clair ne s'en souciaient pas, tant on avait alors l'esprit confus.
(25) Un règlement de frontières entre la France et le Barrois en 1500, dans : Annales de l'Est, 1888, p. 543 et suiv.
(26) Sur le ressort de la prévôté de Gondrecourt. dans Journal de la Soc. d'archéol. lorraine, avril 1895; p. 10 du tirage à part. La conclusion de cette brochure est que «  la prévôté barroise de Gondrecourt-le-Château dépendait de la prévôté française d'Andelot ». Nous ne le croyons pas. Tous ces textes contradictoires en apparence s'expliquent si l'on suppose que les habitants de la prévôté de Gondrecourt se réclamaient tantôt du roi de France, tantôt du duc de Bar, dans le désir de ne payer d'impôts ni â l'un ni à l'autre.
(27) D'après M. MISSET, Jeanne d'Arc Champenoise, p. 34. Je fais cependant des réserves sur ce texte, emprunté par M. Misset, non pas à un ouvrage d'érudition, mais au plaidoyer assez suspect de l'avocat général Troplong sur les rapports des ducs de Lorraine avec le Barrois mouvant.
(28) D'après M. MOUROT, La nationalité de Jeanne d'Arc, p. 143-144. Cf. un texte de 1445 cité par M. L'Hôte, p. 42.
(29) M. Duvernoy ne met pas en doute que le Barrois mouvant ne fût partie intégrante du royaume. (Compte rendu cité, p. 328.) M. Longnon, dont M. Misset aime parfois à invoquer le témoignage, enferme le Barrois mouvant dans la France de 1429 (carte du royaume de France en 1429, pour l'Album de l'Hist. de Ch. VII de M. Du Fresne de Beaucourt). La distinction établie par M. Mouret est peut-être plus conforme à l'esprit subtil et confus à la fois des institutions de l'ancien régime. Il vaudrait la peine d'étudier ce qu'on entendait alors par limites du royaume, et c'est chose bizarre qu'aucun érudit n'ait jamais tenté de préciser cette notion.

 

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