| De 1791 à 1793, Nicolas 
					Edmond.Retif de la Bretonne (1734-1806) publie sous le titre 
					l'Année des Dames Nationales, 12 volumes regroupant 634 
					nouvelles. En 1796, une réédition porte le tire «  Les 
					Provinciales ».
 La nouvelle ci-dessous (où nous avons tenté de respecter 
					l'orthographe originel, en rétablissant seulement certaines 
					abréviations), s'explique :
 - concernant Marion Roussi, 
					Fernand Drujon nous indique dans Les Livres à clés 
					(Ed. 1888), que le nom de «  Roussi » est le nom que Retif se 
					donne à lui-même, et que Marion est le surnom de sa seconde 
					fille Marie-Anne.
 - et concernant l'implication de Blâmont, et le supérieur de 
					Domèvre, ce n'est, à n'en pas douter l'influence d'un des 
					ses plus proches amis, Grimod de la 
					Reynière, que nous avons déjà évoqué, notamment 
					lorsqu'il cite 
					
					le chanoine Jean-Baptiste Gabriel 
					«  Procureur des Chanoines réguliers de Domêvre ».
 
 Les 
					provinciales, ou histoires des filles et femmes des 
					provinces de France, dont les aventures sont propres à 
					fournir des sujets dramatiques de tous les genres.Nicolas-Edme Retif de La Bretonne
 1794
 L'année des Dames Nationales
 Histoire jour-par-jour d'une femme de l'Empire français
 4 mars
 [...]
 89 NATIONALE. 2. Vosgine
 Blamontèse fausse parente, bru par adresse.
 
 BLAMONT (disait un-jour Victoire Londo à son Mari), est une 
					petite ville au pied des Vosges, peu-connue, mais qui m'est 
					chère ! puisque c'est-là que j'ai-eue l'Amie la plus-tendre, 
					Marïon-Roussi, soeur d'Agnès, l'infortunée Mad- Guoe, de 
					Thionville: mais la Cadète était née à Blamont, et y 
					fut-élevée.
 Ce fut a 21 an, que cette charmante Fille, chef doeuvre de 
					douceur et d'amabilité, comme son Ainée l'était de beauté, 
					fut-vuë par M. Grimaldi, alors à Domêvre. Marïon était 
					parente du Superieur de cette Maison, et elle y alait 
					quelquefois avec sa Mère, femme-galante, et qui depuis 
					longtemps ne vivait plus avec M. Roussi. L e jeune Grimaldi 
					ne put Voir Marïon sans éprouver un tendre sentiment, que 
					justifia la connaissance. Cadète-Roussi n'inspirait pas une 
					passion fougueuse ; c'était un attachement à-peine sensible, 
					mais qui se fortifiait au-point de devenir indestructible, 
					avant qu'on se fût aperçu qu'il existait. C'était par 
					l'absence, qu'on sentait que Marion manquait au coeur 
					qu'elle avait-gâgné.
 Grimaldi était d'une naissance et d'une fortune bién-audessus 
					de l'aimable Cadète-Rouffi; Mais, d'un autre-côté, sa 
					Famille desirait qu'il se mariât, étant fils uniq, pour leur 
					donner des Heritiérs: ils comptaient peu sur un Jeunehomme, 
					dont la tête s'exaltait facilement, qui avait-toujours 
					marqué de l'éloignement pour le lién conjugal, ét qui 
					n'était pas facil à conduire. Ainsi, le Superieur de Domêvre 
					ne douta-pas qu'ils n'acceptassent avec transport, 
					l'alliance d'une Jeunepersonne de la naissance la plûs-honnête, 
					dont le Père était celèbre, ét qui, par ses qualités 
					personelles à elle-méme, était propre à faire leur 
					félicité.... Il se-trompa: Les Parens du jeune Grimaldi, 
					bizarres eux-mêmes, égarés par les perfides conseils de Gens 
					interessés à ce que leur Fils ne se-mariât point, ne 
					sentirent pas le piège qu'on leur tendait, ét ils se 
					refusèrent à un arrangement, qu'ils auraient-ardemment 
					provoqué, s'ils en avaient-connu les avantages.
 Grimalds-fils ressentit vivement leur injustice ! mais comme 
					il avait alors 29 ans, il attendit que les 30 fussent 
					revolus.
 Certainement on ne doit pas approuver les Fils qui font des 
					sommations respectueuses à leurs Parens, pour se-marier 
					malgré eux ! mais dans tous les cas, il est des excepcions. 
					Grimaldi fit les siennes. On y repondit par un ordre du Roi, 
					qui suspendit le mariage. Le Jeunehomme au-desespoir, prit 
					un parti, que lui indiquaient plûs d'une pièce-de-theâtre : 
					il envoya Marïon à Paris, sous le nom d'une Dlle Grimaldi, 
					de Lion. La Jeunepersone partit, favorisée par les Parens 
					dont elle empruntait la filiacion, ét fut présentée à Mad. 
					Grimaldi-mère, comme Sofie-Grimaldl (morte depuis 2 ans) 
					petite-cousine. Elle fut-très-bién-reçuë ! M. ét Mad. 
					Grimaldi la voulurent garder chés eux, comme une Parente 
					aimable, ét qui leur ferait honneur. La fausse Sofie ne 
					tarda-pas à les enchanter par sa douceur, par son esprit, 
					par ses graces... Les en-voila si complètement-épris, 
					qu'à-tout-moment ils sécriaient: -Hâ ! si notre Fils nous 
					avait-proposé Sofie, aulieu de sa Marïon-Roussi- !... Tous 
					leurs Conseillers interessés en-disaient autant. On fit-revenîr 
					à la maison-paternelle le jeune Grimaldi. On ne lui dit rién; 
					l'on attendit l'effet que produirait la beauté de Sofie. Le 
					Jeunehomme parut impassible. On la lui vanta. Il secoua la. 
					tête. On la lui proposa ? - Je l'épouserai-donc par 
					complaisance; mais j'aimerai toujours Marïon-Roussi- : On se 
					moqua de la menace, parceque les Conseils croyaient qu'il 
					n'épouserait pas; ils se promettaient-bién d'y-contribüer, 
					en-fesant-survenir Marïon-Roussi. On pressa le mariage. 
					Grimaldi feignit quelques disparates: Il annonça qu'il 
					partirait en poste le matin du jour. Ses Ennemis le crurent 
					au-point de negliger la précaucion de s'informer comment ils 
					auraient Marïon-Roussi : On précipita les choses... Le jour 
					est arrivé: Une chaîse-de-post est entrevuë au coin de la 
					ruë voisine. Grimaldi-fils paraît violemment agité: Il 
					s'écrie, Qu'on se trompe ! que c'est Marïon-Roussi qu'il 
					épouse; qu'on le proclame, ou qu'il fuit !... Les Conseils 
					triomfent ! Ils croient le mariage manqué... Mais les Parens 
					aimaient reellement la Jeunepersone, ét la voulaient avoir 
					pour brü ; ils pensèrent que c'était un accès-de-folie, dont 
					il falait profiter: ils declarèrent hautement, ét sur l'interpellacion 
					de leur Fils, ils le signèrent, que la prétendue 
					Sofie-Grimaldi, était réellement Marïon-Roussi. Les faus 
					Amis des Parens ne furent-pas ici consultés. On se-rendit à 
					l'autel avant l'heure: le Ministre était-prévenu par 
					Grimaldi. La formule-sacrée commence : Le Futur se retourne 
					du-côté de son Secretaire, qui le suivait toujours, ét lui 
					dit assés-haut : - Si l'on interrompt par un mot l'illusion 
					que je tâche de produire, je répons, Non, ét je pars : Soyez 
					prêt à me suivre-...Les Bons-amis des Parens n'étaient 
					encore qu'à la porte de l'église, quand le Prêtre demandait 
					: George-Alexandre Grimaldi, prenez vous pour votre légitime 
					épouse Marïon Roussi ICI présente ? - OUI, Monsieur. - Et 
					vous MARION-ROUSSI, prenez-vous pour votre LEGITIME époux, 
					George-Alexandre GRIMALDI ? - OUI. &c. - Dites : Je vous 
					donne cet anneau, en signe de l'ALLIANCE que nous 
					CONTRACTONS-... Tout le monde alors reüni, écoutait. Persone 
					des faus-amis étonnés, ne fit dabord attention aux noms de 
					la Mariée ; les parens croyaient être dans le secret : ce ne 
					fut qu'près la signature des actes qu'on chuchota. L'on fut 
					à M. ét Mad. Grimaldi : mais ils répondirent qu'ils étaient 
					au-fait. - C'est une fantaisie qu'il a-bien-falu lui passer 
					- ! (ajoute la Mère). On ne comprit rien à ces derniérs 
					mots... Cependant Grimaldi-fils n'était pas sans inquiétude 
					! Pendant la journée, les faus Amis, encore étourdis du 
					mariage, demandèrent differentes explicacions, que M. 
					grimaldi évita de donner, et que sa femme ne prononçait 
					qu'à-demi. La nuit vint, ét le mariage fut-septenairement-consommé.
 Les Parens, qui avaient-voulu n'en-pas-douter, 
					furent-transportés-de-joie : Ils vinrent le-matin embrasser 
					leur Bru dans les bras de son Epous. - C'est Marïon Roussi ! 
					(leur dit ce Dernier). -Sans-doute - ! (repondit la Mère)...
 La jeune Dame-Grimaldi devint enceinte.... Mais durant cet 
					intervale, la Mère avait-parlé. Les Collatéraux 
					s'intriguaient, ét disaient entr'eux, mais bién-bas ! que le 
					mariage était-nul. Grimaldi-fils le sut, ét peutêtre tout ce 
					trouble là fut ce qui entretint son bonheur... Sa Femme lui- 
					donna un Garson. La joie fut sans bornes. Il y eût une fête 
					au retablissement de Marïon: Tous les faus Amis y 
					furent-invités. Dans la journée, les 2 Epous avouèrent tout 
					a leurs Parens, qui rèpondirent à Marion: --C'est avec 
					connaissance-de-cause, ét avec bien de la joie, que nous 
					vous disons, que si nous avions à choisir aujourdhui, c'est 
					sur vous ,que tomberait notre chois-. En-effet ; par son 
					devoûment ét ses attensions, elle avait-fait leur bonheur... 
					Il fut-convenu, pour empêcher les complots,que M. ét Mad. 
					Grimaldi reconnaîtraient publiquement leur Bru pour Marïon-Roussi. 
					Ils le firent. Les avides Collateraux osèrent marquer des 
					doutes... Alors Grimaldi-fils indigné, fit entrer le Notaire 
					ét l'Ecclesiastiq depositaire de la reconnaissance de Marïon-Roussi 
					par ses Parens la veille du mariage... Les Collateraux 
					confondus, levèrent le siége, et n'ont-plus-reparu chez M. 
					ét Mad. Grimaldi, à quî leur aimable Brü tiént-lieu de tout 
					;
 Tel fut le récit de Mlle Lando à Dulis.
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