Le Pays Lorrain -
Janvier 1934
Le poète André Spire (1)
« Si la vie ne m'avait pas obligé à tant de
devoirs, je n'aurais pas été autre chose qu'un poète ». Par cet
aveu, André Spire nous dit clairement que toute l'ambition de
son existence a été et reste toujours d'être un poète. Notre
causerie sera donc consacrée à son oeuvre poétique.
André Spire est né le 21 juillet 1868 à Nancy, fils aîné d'une
famille établie depuis longtemps en Lorraine. Le poète américain
Stanley Burnshaw a donné de lui une biographie assez détaillée,
dans son récent livre André Spire and his Poetry (The Centaur
Press, 1933), qui est sans doute le meilleur ouvrage consacré à
l'homme et à l'oeuvre dont j'ai à vous entretenir. Le poète
lui-même nous a raconté quelques détails pittoresques sur sa
jeunesse et son adolescence. « J'ai été un élève joueur,
indiscipliné, incapable de demeurer en place et turbulent comme
cent diables. Un de mes professeurs disait à ma mère : « On ne
pourrait faire de votre fils un bon élève, qu'en suspendant un
trapèze au plafond de la classe et en lui permettant de faire la
voltige en écoutant. » Ses parents lui ont donné une éducation
toute sportive. « Je faisais de la natation, de l'aviron, de la
bicyclette. A cette époque c'était rare. Pensez donc : j'ai été
le premier en France à faire du camping dans l'île de Médan ».
André Spire n'a donc pas eu une jeunesse livresque, loin de là.
On retrouve dans toute son oeuvre cette vitalité qui apparaît,
dès son enfance.
Il est né en 1868, disions-nous : année unique dans les annales
de la poésie moderne; ne marque-t-elle pas également la
naissance de Francis Jammes et de Paul Claudel ? Spire est donc
de la génération de ces écrivains tels que Romain Rolland,
Charles Maurras, André Gide, Paul Valéry et Marcel Proust qui
appartiennent par leurs débuts, par leur formation surtout, au
XIXe siècle, mais dont l'oeuvre s'étend jusqu'au temps de la
guerre, voire même de l'après-guerre. Écrivains de transition
s'il en fut jamais. Notons tout de suite que Spire, qui s'est
prudemment abstenu de toute poésie juvénile et imparfaite et n'a
publié qu'assez tard ses premiers vers, a été un écrivain du XXe
siècle, dès sa première oeuvre. Au moment où il apparaît dans le
monde littéraire il a déjà dépassé tout ce qu'il pouvait y avoir
en lui de XIXe siècle. Il est essentiellement moderne (2).
Le temps de son adolescence marque la fin de l'époque dite de la
« tour d'ivoire ». Mallarmé a vraisemblablement été son dernier
grand représentant; car celui que l'on peut considérer, à bien
des points de vue, comme son continuateur, Paul Valéry, s'est
également tourné vers le monde actuel. Spire, que nous avons vu
si près de la vie, s'est immédiatement laissé prendre par
l'agitation de son temps. « Mon adolescence et ma jeunesse ont
appartenu à une époque très troublée. Boulangisme, Panama,
attentats anarchistes, bombes tous les matins aux quatre coins
de Paris, fermeture de la Bourse du Travail, le Quartier Latin
bouleversé par les fausses émeutes fomentées par la police,
enfin l'affaire Dreyfus et la première révolution russe. J'étais
assez impressionnable et enthousiaste, je fus pris dans le
tourbillon des revendications sociales ». Il y a en effet dans
ses oeuvres bien des pièces inspirées par l'actualité, au sens
noble de ce mot; Spire ne cède jamais à l'attrait du
sensationnel; car l'actualité ne l'intéresse qu'en tant qu'elle
rejoint des problèmes de toujours.
Il a joué un rôle très actif dans le mouvement des universités
populaires aux côtés d'hommes tels que Daniel Halévy. Il est
allé au devant du peuple, mais son idéalisme a été déçu. Comme
beaucoup d'esprits nobles, il est profondément dégoûté, dès que
le travail social tombe entre les mains d'hommes de parti et de
clan qui essayent d'industrialiser la charité. Dans son recueil
Et vous riez il y a quelques pièces pleines d'amertume où son
coeur blessé se cache sous l'ironie glaciale. Christian Sénéchal,
dans son livre sur la littérature contemporaine, a très bien
défini ce cas. Spire « a ressenti profondément l'impossibilité
de réaliser en son coeur l'union intime des classes qui
s'affrontent dans la société moderne, et entre lesquels il ne
pouvait opter...
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André Spire, peinture de Léopold Gottlieb. |
C'est cet écartèlement d'une âme dans un monde lui-même déchiré
qu'André Spire nous aura dit en des poèmes où se mêlent
l'indignation et la pitié ».
Non, je ne chanterai pas pour toi, Peuple.
Grand peuple dépouillé, grand peuple malheureux,
Nous n'irons plus troubler ta torpeur résignée.
Sans remords de nous être arrachés de toi-même,
Nous irons loin de toi mener nos fortes vies.
Mais, n'oubliant jamais d'où nous sommes sortis,
Nous irons nous grouper, parfois, sur ton passage,
Et, tristement pleurer sur ton destin tragique,
O fleuve infortuné de germes avortés.
Il n'était d'ailleurs pas destiné à être un grand sociologue; sa
mission, il l'a bientôt reconnu, était d'exprimer dans l'oeuvre
poétique l'expérience humaine que les innombrables coeurs d'une
époque ont versée dans son coeur. Mais n'est-ce pas assumer aussi
une tâche sociale que de chanter les passions qui ont soulevé
ses frères ?
Dans le domaine littéraire, la vitalité de Spire a immédiatement
réagi contre le traditionalisme, contre la poésie d'épigones que
la mêlée symboliste n'avait pas su vaincre définitivement. Il
nous a décrit la situation poétique de la fin du XIXe siècle; « .
beaucoup des poètes de cette génération hésitèrent à s'engager
dans la voie incertaine des réformateurs symbolistes. Incertaine
et chanceuse. Car ils n'avaient là, pour guides, que les
affirmations parfois géniales, les polémiques, les subversions
des poètes nouveaux : Gustave Kahn, Viélé Griffin, Albert Mockel,
Paul Fort. Souvent des poèmes délicieux, d'extraordinaires
réussites. Mais, même chez les meilleurs d'entre eux, des
tâtonnements, et pas de certitudes techniques. Comment prendre
parti si tant de proclamations, d'études, de batailles
n'aboutissent qu'au culte de l'impair verlainien après
l'enjambement romantique qui allonge mais détruit la mesure, au
vers du premier Francis Jammes, qui, malgré ses allures
révolutionnaires, n'est, la plupart du temps, qu'un alexandrin
faux-exprès ? »
André Spire et avec lui Robert de Souza, dans une certaine
mesure Paul Claudel aussi, sont allés au delà de la réaction
purement intuitive des symbolistes; ils ont été des innovateurs
hardis en faisant profiter la technique poétique des résultats
de la phonétique expérimentale. Dans plusieurs articles, Spire
nous a raconté comment Romain Rolland, qu'il connut par Charles
Péguy, l'avait envoyé chez le génial abbé Rousselot, directeur
du laboratoire de phonétique expérimentale au Collègue de
France. Spire fut confié à Georges Lote, actuellement professeur
à Aix-en-Provence, alors l'élève de Rousselot. Il faut ajouter à
ces noms celui du Père Marcel Jousse qui, par ses études de
psychologie linguistique, lui permit d'approfondir la
connaissance nécessaire de son instrument, à savoir du langage
humain. Il y a quelques semaines, André Spire a publié, dans la
Revue de Paris, numéro du 1er février, une étude synthétique
résumant trente années de recherches et de découvertes dans le
domaine de l'art poétique. Il lui a donné le titre suggestif :
La Bouche et l'Oreille ou du Plaisir poétique considéré comme
plaisir musculaire. Après avoir souligné la différence entre la
musique et la poétique que beaucoup de dilettantes confondent,
au détriment de l'une et de l'autre, il étudie le rythme de la
mélodie poétique et trouve qu'il est faux de vouloir l'expliquer
par le nombre des syllabes. A la suite d'expériences qu'il
serait trop long d'énumérer il conclue que le rythme en français
est fonction du sens. « Le poète n'a donc qu'à laisser le sens
de son poème lui indiquer les montées et les descentes des sons
qu'il utilisera ; il n'a qu'à le laisser ordonner en quelque
sorte spontanément le dessin de sa mélodie verbale. » Voilà le
vers libéré de toute règle artificielle. Il montre enfin comment
le plaisir poétique dépend non seulement de l'oreille, mais
surtout de la bouche, plus exactement de tout l'appareil
phonateur. Joie acoustique pour celui qui écoute et plus encore
plaisir musculaire pour celui qui prononce le vers. Leçon qui
nous apprend qu'il est essentiel de lire toute poésie à haute
voix.
Malgré les recherches scientifiques - qui sont d'ailleurs
toujours merveilleusement secondées par l'intuition de l'artiste
- Spire n'est pas un poète abstrait à qui suffit le résultat
technique, tout ce travail n'a de sens que parce qu'il décuple
les possibilités pratiques de la création. Comme le violoniste
étudie son instrument, André Spire a scruté les mystères du
langage pour en faire jaillir la source intarissable de son
vers. Qu'on ne l'imagine pas cantonné dans les laboratoires,
penché sur les livres.
Oui, livres du passé, il faut que je vous cache;
Je mourrais contre vous.
Vous troubleriez mes yeux que vous avez grandis,
Et je vous sentirais entre moi et les choses.
......
Livres, libérez-moi ! Je m'en vais dans la vie
Les bras ouverts, les yeux brillants, le coeur tout neuf.
Mes sens, vos fils ardents, vont être mes seuls maîtres.
Vous serez hors de moi, et je vous renierai.
Dormez, frères jaloux dans votre case sombre;
Je pars, sans un regret et sans un pleur;
Je m'en vais rajeuni par mon ingratitude,
Vibrant comme une vierge, et joyeux comme un dieu.
Le voici qui rejoint la nature dont il n'a jamais perdu l'amour
et le contact, qu'il connaît, un peu comme Francis Jammes, par
la chasse, la vie en plein air, les vacances passées au bord de
la Loire.
Arrivée à la campagne.
O musique, musique des arbres,
Bercez, bercez-moi.
Souffle tiède du vent fraîchi par la rivière.
Caresse, caresse-moi.
O douceur du soleil encore tout engourdi,
Descends, enveloppe-moi.
Que ma fièvre se calme en vos béatitudes,
Passez, glissez sur moi.
Que mon coeur apaisé par vos mains de lumière
S'attendrisse sur soi.
Que mes rêves soient lents, harmonieux, tranquilles,
Mentez, ô mentez-moi.
Et chassez de mes yeux les misères des villes,
Arbres, vent chaud, soleil.
Que n'a-t-il pas chanté? La mer, la montagne, tant de chemins
parcourus dans le vaste monde, les forêts, les champs, les
rivières, les animaux et les hommes, mille et mille rencontres,
toutes les richesses de la vie. A plusieurs reprises, il est
venu chez nous en Suisse, et il en a remporté des poèmes qui
comptent parmi ses plus beaux. Voici une pièce inspirée par un
petit hameau au-dessus de Klosters où il a fait un séjour
pendant l'hiver 1914.
Selfranga.
Selfranga, Selfranga, enfoncée dans la neige,
Avec ton torrent fumant à tes pieds,
Que penses-tu, que rêves-tu, petit village,
Noir et blanc, immobile et muet ?
Les sapins engivrés grimpent de tes chalets
Jusqu'aux crêtes rocheuses,
Et détournent le chemin des éboulis.
Des hommes lents et doux, à la mine terrible,
Tirant des traîneaux, vont et viennent,
Leur pipe éteinte dans leur barbe gelée,
Et, lorsqu'ils vous rencontrent, disent :
Je vous salue.
Pas de marchands ici, pas d'hôteliers,
De fabriques, de patronages, de bonnes dames...
Pas d'école, d'église.
Dans les étables chaudes le petit boeuf gris taupe,
Et la chèvre, et l'agneau.
Est-ce en toi, Selfranga, enfoncée dans la neige,
Que le Sauveur nouveau décidera de naître ?
Sans vouloir faire d'André Spire un poète régionaliste dans
l'acception étroite du mot, il serait injuste de passer sous
silence quelques petits tableaux lorrains qui, parmi ses
paysages, me paraissent rendre le son le plus intime de son
lyrisme et appartenir à la région la plus sensible de son coeur.
Qu'on se rappelle la pièce charmante dans laquelle est enclose
toute l'atmosphère de sa terre natale.
Quand j'allais en vacances
A Blâmont-en-Lorraine,
Le coq me réveillait,
Le coq dans le soleil,
Les poules dans les corbeilles
Du jardin de ma grand'mère
Où y-avai-t- un lilas, un figuier et un thuya.
Mais hélas! dans les strophes finales, ce joyeux refrain se
charge de tout le tragique de la grande guerre.
Celui qui sait écouter distinguera l'accent doucement passionné
qui fait du poème Vosges une chanson différant par sa tonalité
de toutes les autres.
Coule, fontaine, chante,
Près de la maison basse,
Au milieu des prés frais.
Les sapins et les charmes
Et le vent t'accompagnent,
Et les hêtres aussi.
Chante, fontaine, chante.
Nul plus que le poète ne reste attaché aux paysages de son
enfance.
Après avoir parcouru les campagnes, il s'en retourne à Paris, la
seule ville, comme dit Nietzsche, où l'artiste puisse respirer :
O ville claire,
Que des hommes bâtirent à la taille des hommes,
Lance tes avenues au devant de mes pas.
A l'entour de mon corps jette comme un réseau
Tes rues affectueuses et pleines de sourires.
Au-dessus de mon front étends la courbe sobre
De ton ciel modéré. Et je me croirai libre.
C'est à Paris qu'il a connu et observé toutes les passions
humaines, les affections, les tendresses, les héroïsmes qu'il a
glorifiés dans des chants magnifiques, mais aussi les bassesses,
les rancunes, les haines qu'il a cinglées de sa terrible ironie.
Il a chanté l'amour tout comme les autres sentiments humains.
Mais il ne s'est jamais fait - comme trop de lyriques de notre
temps - le porte-voix de sa propre passion. Une pudeur
admirable, une noblesse de coeur, rare de nos jours, le préserve
de ces odieuses confessions, de ces cris d'exhibitionnistes qui
n'ont fait que discréditer le lyrisme auprès des lecteurs sains,
tout en excitant une curiosité maladive de détails biographiques
intimes chez les assoiffés de sensation. Cette retenue n'a pas
empêché Spire de sentir, et parfois avec violence, toute
l'exaltation de l'amour et de la passion.
Tenez-vous par la main, amants silencieux.
Marchez vers le soleil qui se voile de saules.
Traînez vos corps inquiets le long des berges lentes ;
Le fleuve est plein de soir, et vos âmes sont lourdes.
Amants silencieux, tenez-vous par la main.
On a appelé Spire un « chercheur de Dieu ». Il est vrai que dans
beaucoup de ses vers on trouve une ferveur, une religiosité qui
se traduisent par une admiration continuelle de la création.
Toute sa poésie est secouée par des forces métaphysiques. C'est
ce qui la rend à la fois poignante et sereine. Il est tourmenté
par le grand besoin d'infini qui, depuis l'antiquité jusqu'à nos
jours n'a jamais cessé de hanter le coeur du poète.
Nuages.
Ciel blanc, ciel bleu, ciel gris,
Ciel balafré,
Nuages, Qui, des risées du lac jusqu'aux cimes de pierre,
Connaissez toutes les feuilles et les failles des monts,
Pourquoi avons-nous fui l'oppression des villes
Pour élever vers vous nos têtes et nos mains ?
Portez-vous des secrets que vous puissiez nous taire ?
Quelle alliance nous annoncent vos arcs-en-ciel ?
L'infini de vos soirs, pleins de soleil brisé,
Est-il cet Infini que notre esprit désire,
Et votre Dieu qui tonne
Est-il le Dieu des hommes ?
Il est soulevé par un désir de prière et d'adoration, anéanti
devant la beauté du monde. Il s'adresse à ces mêmes nuages :
Cependant, quand le soir, de ses mains de lumière,
M'étreint et vous rougit,
De mon coeur, de mes lèvres, troupeaux saignants du ciel,
Pasteurs, archers, colombes, cygnes, féerie, mirage,
Je sens monter vers vous dix mille ans de prières.
Dans son vers, le rythme du coeur s'harmonise avec le multiple
mouvement qui nous est transmis par les sens. La vie intérieure
et le monde extérieur se confondent dans sa poésie. Ne
sentons-nous pas la puissance d'incantation, les forces magiques
du visionnaire lorsqu'il s'adresse au paysage ?
Et tu vis...
Tu devins éternel, ô lumière,
En passant par mes prunelles éblouies.
Ils peuvent te détruire à grands coups de cognées
Les bûcherons ingrats et les faiseurs de ponts:
Tu es en moi...
Et moi-même, aurait beau me dissoudre,
Tant que l'haleine errante de la terre
Balancera, pour rendre les couchants plus beaux,
Un peu de fumée bleue, un peu de cendre grise,
Spectacle qui fus doux à mes tristes journées,
Tu vivras, tu vivras,
Fatalement inclus dans ma substance même.
Un trait caractéristique que l'on n'a pas assez souligné chez
Spire, c'est son souci de traduire d'une manière de plus en plus
juste, les grands thèmes que le monde lui offre. Il en est qu'il
a repris jusqu'à quatre fois. Je citerai comme exemple Le
Fleuve. Tel est le titre d'un poème à plusieurs voix dans le
volume intitulé Versets (Mercure de France) et qui contient des
pièces écrites avant 1908. Dans le recueil Le Secret (N. R. F.)
paru l'année après la guerre, le fleuve réapparaît dans
plusieurs petites pièces, notamment dans un Dialogue du poète
avec le barrage et dans les cinq courtes strophes du Rapide. Dix
années plus tard - c'est par décades ou approximativement que
Spire réunit ses poésies - en 1929 donc, il dédie tout un livre
à son fleuve, les Poèmes de Loire (Grasset). la pièce la plus
étonnante par son intensité lyrique à la fois et son ampleur
épique en est précisément le Chant du Fleuve, où le poète
s'identifie avec le puissant cours d'eau et nous fait saisir son
rythme d'une façon directe parce que toute physique. Mais
depuis, en un poème qui fera partie du recueil à venir, recueil
qui portera sans doute le titre Instants, il a repris, en une
immense interrogation répétée, le thème du fleuve qui tourne en
cercle : de la source à la mer, de la mer aux nuages, et des
nuages, à travers la pluie, à la source encore.
Ce qui me paraît le plus étonnant, dans la poésie d'André Spire,
ce sont quelques pièces qui présentent des réussites tellement
rares et tellement pures qu'elles l'apparentent - par-dessus les
siècles - aux grands lyriques de tous les temps et surtout aux
poètes de la Renaissance. Voici, pour terminer, une des plus
belles :
Possession.
Une lumière dans la nuit.
Une voix par la fenêtre ouverte.
Chante, chante, jeune fille,
Un homme passe sur le chemin !
Un homme qui ne t'a jamais vue,
Qui ne verra jamais tes lèvres,
Ni tes vêtements, ni ta chair.
Qui s'arrête un instant, s'accoude,
Écoute, et pleure, et repart.
Et qui emporte, au bout du monde,
Et pour bien des jours, pour toujours,
Ce soir, ce ciel, cette fenêtre,
Et cette lumière : ta voix.
Marcel POBÉ.
(1) Nous sommes très heureux de publier la conférence prononcée
à Radio Suisse Romande le 19 avril 1934, que M. Marcel Pobé a
consacrée à notre compatriote, le poète André Spire. M. Marcel
Pobé est professeur à la Faculté des lettres de Fribourg. Né à
Bâle en 1907, il est d'origine lorraine : son grand-père Joseph
Pobé, né en 1848 à Vitrimont, ancien combattant de 1870, se fixa
en Suisse il y a une cinquantaine d'années.
Après avoir poursuivi ses études à Bàle, Grenoble, Munich et
Fribourg, il publia en 1931 une thèse de doctorat ès-lettres
très remarquée sur le poète Rainer Maria Rilke dans Freiburger
Forschungen zur Kurst und Literatur Geschichte (Rainer Maria
Rilke, Wandel in seiner Geisteshaltung). Son mariage avec une
Française lui a donné un lien de plus avec notre pays.
Présentement il prépare une thèse de doctorat sur les poètes
Charles Baudelaire et Stefan George. En 1929, M. Pobé donna la
traduction allemande de trente poèmes d'André Spire ( Gedichte,
Strasbourg, Heitz). - André Spire appartient à une famille très
connue en Lorraine. Il est le fils d'Edouard Spire, avocat à la
Cour de Nancy, puis notaire à Rambervillers qui fonda, en 1878,
à Nancy, une fabrique de chaussures, que dirige aujourd'hui M.
Paul Spire. André Spire qui a fait ses études secondaires au
Lycée de Nancy (à l'exception de la classe de seconde qu'il a
suivie à Toul), est un ancien étudiant de nos Facultés des
lettres et de droit. Élève à l'École des Sciences politiques, il
soutint à Paris sa thèse de doctorat en droit (1895). Auditeur
au Conseil d'État de 1894 à 1902, il devint, après avoir occupé
plusieurs fonctions au Ministère du Travail, inspecteur, puis
inspecteur général du travail au Ministère de l'Agriculture.
Il a aujourd'hui l'honorariat de sa fonction. - N. D. L. R.
(2) BIBLIOGRAPHIE DES oeUVRES D'ANDRÉ SPIRE : La Cité présente
(poèmes). Paris, Société d'Éditions littéraires et artistiques,
1903 (Épuisé). - Et vous riez (poèmes), Paris, Cahiers de la
Quinzaine, 1905 (Épuisé). --- Versets (Et vous Riez. Poèmes
Juifs), Paris, 1908. - Israël Zangwill, Paris, Cahiers de la
Quinzaine (Épuisé).-J'ai trois robes distinguées, pensées d'une
servante morvadeille. Moulins, Cahiers du Centre, 1910 (Épuisé).
- Vers les routes absurdes (poèmes), Paris, Mercure de France,
19II (Épuisé). - Quelques Juifs (Israël Zangwill, Otto Weininger,
James Darmester), Paris, Mercure de France, 1913 (Épuisé). - Et
j'ai voulu la paix (poèmes), Londres, The Egoist, 1916 (Épuisé).
- Les Juifs et la Guerre, Paris, Payot, 1917 (Épuisé). - Le
Secret (poèmes), Paris, Nouvelle Revue Française, 1919. - Poèmes
Juifs, Genève-Paris, Kundig-Crès, 1919. - Tentations (poèmes),
Paris, Camille Bloch, 1920. - Szmael (poème dramatique), Paris,
Crès, 1921. - Fournisseurs (poèmes), Paris, Éditions du Monde
Nouveau, 1923 (Épuisé). - Refuges (contes), Avec neuf bois
gravés de Maurice Sa vin, Paris, Éditions de la Belle Page,
1926. - Quelques Juifs et demi-Juifs, deux volumes, Paris,
Bernard Grasset, 1928. - Poèmes de Loire, Paris, Bernard
Grasset, 1929.
Les volumes Poèmes juifs et Samael, ainsi que les ouvrages
épuisés peuvent être procurés par la Librairie Droz, 25, rue de
Tournon, Paris, VIe. On pourra trouver aussi à cette librairie :
l'ouvrage : André Spire and His Poetry, par Stanley BURNSHAW. Un
volume in-80 contenant des Essais: An Introduction to the Poetry
of André Spire; A note on Vers Libre, for readers of English
Verse; et la traduction en anglais de 40 poèmes d'André Spire.
(The Centaur Press, Philadelphie, U. S. A.) et André Spire :
Gedichte, traduction en allemand de 29 poèmes d'André Spire, par
Marcel POBÉ, Strasbourg-Zurich, Heitz et Cie. |