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Florent Schmitt et l'Allemagne nazie
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Florent Schmitt et l'Allemagne nazie (2)


Personne ne peut nier que Florent Schmitt (1870-1958), natif de Blâmont fut l'un des compositeurs français les plus actifs et renommé au début du XXe siecle, suscitant à la fois l'admiration (Georges Jean-Aubry écrivait en 1926,qu'il «  traverse la musique française d'aujourd'hui comme un sanglier des Vosges [...], dédaignant toutes les coteries, les dogmes et les enthousiasmes organises ou les religions toutes faites. », Igor Stravinski que La Tragédie de Salomé «  m'a donné une plus grande joie qu'aucune autre oeuvre que j'aie entendue depuis longtemps ») et la détestation de ses contemporains (Erik Satie disait aux jeunes compositeurs qu'il valait mieux se tuer qu'orchestrer aussi mal que Florent Schmitt).

Nous donnons, en exemple ci-dessous, un extrait de L'Art Libre (1921) et de sa  présentation élogieuse d'une soirée de concert dédiée à Florent Schmitt.

Et pourtant, Florent Schmitt n'occupe qu'une place restreinte dans la plupart des histoires de la musique, alors qu'il fut l'ami estimé de Paul Dukas, Arnold Schoenberg, Darius Milhaud, Albert Roussel, etc, et nombre de volumes restent évasifs sur sa biographie à compter de années 1930. Par exemple, le Dictionnaire de la musique de Marc Honegger (Bordas 1979) écrit «  sa biographie se ramène désormais à la composition de ses oeuvres » et mentionne pour cette période qu'il «  signa la tribune musicale dans le journal Le Temps de 1929 à 1939. Membre de l'institut (1936), où il succéda à Dukas, Fl. Schmitt faisait partie depuis 1919 du comité de la Soc. Mus. Indépendante (SMI) et il était président de la Soc. Nat. de Musique depuis 1938. Commandant de la Légion d'Honneur, il avait reçu en 1957, le Grand Prix Musical de la Ville de Paris.  »
Et même dans la bible que constituent les vingt volumes du New Grove Dictionary of Music and Musicians (Macmillan 1980), on ne relève aucune information supplémentaire.

Cependant... le site du Lycée Alexandre Dumas de Saint Cloud présente à tous l'information suivante:
«  Pourquoi notre lycée a-t-il changé de nom ?
De 1968 à 2004, le lycée a porté le nom de Florent Schmitt (1870-1958), compositeur de musique classique ayant vécu à Saint-Cloud.
En 1995, un professeur a lu un article qui a troublé la communauté scolaire : il signalait que Florent Schmitt avait provoqué un scandale en criant «  Vive Hitler ! » lors d'un récital de Kurt Weill, le 26 novembre 1933. Rappelons que l'auteur de L'Opéra de quat'sous était musicien d'avant-garde, sympathisant communiste, juif ; il s'était réfugié en France dès l'arrivée au pouvoir de Hitler.
Des recherches ont établi que cet incident n'était pas isolé.
En 1935, Florent Schmitt a fait partie du Comité France-Allemagne, qui, sous prétexte de rapprocher les deux ennemis héréditaires, avait pour but réel d'endormir la vigilance de la France face au réarmement allemand. En 1938, le compositeur célèbre l'amitié franco-allemande dans le Völkischer Beobachter, le journal du parti nazi.
Sous l'Occupation, il a participé à un voyage de propagande dans l'Allemagne hitlérienne, puis présidé la section musicale du groupe Collaboration, un mouvement dont le nom résume le programme.
Ces faits, faciles à vérifier, ont amené la communauté scolaire à vouloir débaptiser l'établissement : Florent Schmitt pouvait-il encore être présenté comme un modèle aux lycéens ? Après consultation des élèves et du personnel, le Conseil d'administration s'est prononcé, le 27 mai 1997, pour le nom d'Henri Matisse, mais la procédure, qui exige l'accord du Conseil régional d'Ile-de-France et de la municipalité de Saint-Cloud, a été longue et complexe. En mai 2002, une pétition en faveur du changement de nom a été signée par les deux tiers des élèves.
Après une nouvelle consultation, le Conseil d'administration a choisi, le 16 décembre 2002, le nom d'Alexandre Dumas - le corps de l'écrivain venait d'être transféré au Panthéon dans un climat d'unanimité nationale. La procédure a finalement abouti, et la nouvelle dénomination est effective depuis le 1er janvier 2005. »


On lit même sur d'autres pages internet concernant le compositeur allemand Kurt Weill :
«   Déjà, le 26 novembre 1933, un festival de ses oeuvres, Salle Pleyel, est perturbé par des spectateurs qui se lèvent en criant "Heil Hitler !" Le compositeur Florent Schmitt écrit dans l'Action Française, le 2 décembre 1933, qu'il faut en finir avec "le monopole d'Israël sur notre vie musicale"  »
ou encore
«   Mais lors de la représentation du Lac d'argent le 26 novembre 1933 à la salle Pleyel, le compositeur Florent Schmitt s'écrie "Vive Hitler !", avec l'approbation d'une partie du public. La presse antisémite prend parti contre Weill ; dans l'Action française, Lucien Rebatet se déchaîne contre le "virus judéo-allemand"; dans ce même journal Florent Schmitt récidive le 2 décembre 1933, en jugeant qu'il faut en finir avec "le monopole d'Israël sur notre vie musicale". »

Ces informations sont malheureusement presque exactes : car 

  • il apparaît bien que Florent Schmitt a interrompu, ce dimanche 26 novembre 1933 à la Salle Pleyel, Madeleine Grey, interprète de trois chansons de Bertolt Brecht et Kurt Weill aux cris de «  Vive Hitler. »,
  • mais c'est Lucien Rebatet, et non Florent Schmitt, qui en fait état dans l'Action Française du 2 décembre 1933, et se livre à une analyse de ce qu'il pense être les motivations de Florent Schmitt. Le nationaliste Rebatet trouve tout de même «  atroce » le cri de Florent Schmitt, en ce qu'il glorifie Hitler et donc l'Allemagne, mais l'excuse sur la base de leur antisémitisme commun.
    C'est d'ailleurs le journaliste Paul Achard qui a rapporté le premier le fait dans la revue Comoedia du 27 novembre 1933, ajoutant même qu'il aurait perçu distinctement de Florent Schmitt
    «  Nous avons assez de mauvais musicien en France sans qu'on nous envoie tous les Juifs d'Allemagne » ; ainsi, Lucien Rebatet n'en écrit qu'un commentaire personnel dans l'Action française.

Mais les onze années qui ont suivi n'on pas été exemptes d'autres rapprochements de Florent Schmitt avec l'Allemagne nazie :

  • Il a été membre du Comité France-Allemagne, dès sa création en 1935 ;
  • Puis il a été le co-président d'honneur de la section musicale du Groupe Collaboration à partir de décembre 1941. Cette structure française s'était donné pour tache de favoriser le rapprochement entre la France et l'Allemagne, et se situe dans le prolongement du Comité France-Allemagne, avec des finalités identiques. Le groupe comprenait cinq sections : économique et sociale, scientifique, littéraire, juridique, artistique (subdivisée en trois : art dramatique, arts plastiques et musique). Collaboration avait pour principale activité d'organiser des conférences, des manifestations culturelles et des réceptions, au cours desquelles Français et Allemands se côtoyaient. En mai 1944, le groupe comptait 42 283 adhérents.
  • Florent Schmitt a participé à un voyage de musiciens français organisé par les services de Joseph Goebbels, à Vienne, du 28 novembre au 5 décembre 1941, pour le 150e anniversaire de la mort de Mozart. Arthur Honegger et trois membres de la section musicale du groupe Collaboration (Alfred Bachelet, Marcel Delannoy et Florent Schmitt) sont de ce «  pèlerinage encore plus nazi que mozartien », selon la formule de Lucien Rebatet.
  • A la Libération, Florent Schmitt est arrêté : on lit ainsi dans le Time Magazine du 18 septembre 1944, dans l'article intitulé «  La Musique et la Politique » (titre en français dans le texte) : «   Still in jail was Lorraine-born Composer Florent Schmitt, whose symphonic and chamber music scores were among the most massive if not the most remarkable produced in prewar France. Schmitt had an enthusiastic collaborationist record.  »
  • A la Libération, les poursuites judiciaires engagées contre Florent Schmitt pour indignité nationale ont été classées sans suite. Mais il a été condamné dans le cadre de l'épuration professionnelle : le 7 janvier 1946, le Comité national d'épuration des gens de lettres, auteurs et compositeurs, a prononcé contre lui une peine d'interdiction d'éditer ou de faire jouer ses oeuvres pour une durée d'un an, à compter du 1er octobre 1944.

L'Action Française - 2 décembre 1933

LES SPECTACLES
Une apostrophe de M. Florent Schmitt

Dimanche dernier au concert de l'Orchestre Symphonique de Paris, sous la direction du chef d'orchestre juif Abravanel, Mme Madeleine Grey, cantatrice juive, interprétait trois mélodies de M. Kurt Weill, juif exilé d'Allemagne, qui a presque atteint la notoriété avec l'Opéra de quat'sous. Deux des morceaux avaient passé la rampe sans encombre, quand, au troisième, intitulé Ballade de César, un interrupteur, aussitôt soutenu, a bruyamment crié à plusieurs reprises : «  Vive Hitler ! » en ajoutant à cette interjection assez voyante «  que l'on avait assez de mauvais musiciens en France sans héberger tous les Juifs d'Allemagne ». L'on n'a pas tardé à s'apercevoir que le manifestant, qui récidiva, n'était autre que M. Florent Schmitt.
L'incident mérite quelques commentaires.
Il va de soi, bien entendu, que le «  Vive Hitler ! » de M. Florent Schmitt est atroce. Nous espérons d'ailleurs bien que M. Florent Schmitt ne songe pas à envoyer en hommage au chancelier le fanion des S.A. de la musique franco-naziste, brodé tant de clef de sol que de «  svastikas ». Mais lorsqu'on a rencontré, sur maints carrefours de la rive gauche, certaines physionomies crochues et louches fraîchement évadées des ghettos intellectuels de Francfort ou de Berlin, on incline à penser que s'adressant à un judéo-allemand, M. Florent Schmitt lui parle le même langage qu'il saisira le plus rapidement dans sa symbolique brutalité.
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Ceci dit, la personnalité de l'interrupteur donne à son réflexe un poids et une autorité extraordinaire, précieux en l'occurrence. Nous tenons depuis toujours en très haute estime plusieurs compositions de M. Schmitt, son psaume, entre autres. Cependant, nous pensons, et nous ne sommes certes pas seul, que M. Schmitt, critique, est assez instable dans ses jugements. Parmi toutes les raisons qu'il avait de protester, il en est plusieurs qui nous plaisent fort, sans autre examen. Mais il est une qu'il a souligné : c'est que la musique de M. Kurt Weill ne lui plait pas. L'on est obligé d'y regarder d'un peu plus près.
Nous n'étions pas dimanche dernier salle Pleyel, nous ne connaissons pas les mélodies incriminées. Les meilleurs témoins affirment qu'elles n'ajoutent rien au langage de M. Kurt Weill, dont nous avions entendu l'essentiel : la musique du film de Pabst, l'Opéra de quat'sous, «  les deux opéras de concert », Mahagonny, Der Ja-Sager (quelle ironie ! ce pourrait être le symbole du dernier plébiscite hitlérien : «  ja, ja, ja », celui qui dit toujours oui). L'esthétique de M. Kurt Weill est surtout caractérisée par l'extrême minceur, la perpétuelle répétition du procédé employé : M. Kurt Weill, à la façon de certains peintres de sa race, raffine sur quelques thèmes volontairement vulgaires, «  blues », valses, il y joint en sourdine une orchestration qui est celle d'un jazz corrompu. Deux ou trois de ces complaintes ont un accent traînard et doux qui semble percer les brumes de quelque faubourg grouillant et désolé de la Ruhr ou de la Silésie. C'est le chant sur un limonaire subtilement reconstitué avec les flûtes, les saxophones et les clarinettes, des paysages de phalanstères et d'usines, briques et crassiers. Nous ne voyons rien qui interdise que ce chant soit émouvant. Dans le cas de M. Kurt Weill, ce populisme syncopé, si on en a vite les ritournelles dans la tête, ne tarde pas non plus à devenir irritant. Car tant qu'il y reste expressif, à chaque mesure on y flaire le goût du chambardement, de la catastrophe, cultivés non pour une cause, mais pour eux-mêmes. C'est la part de sincérité la plus manifeste chez M. Kurt Weill. le reste est facile, dérivant toujours d'une seule recette, qui est certainement à la portée de nombreux musiciens, que seul peut-être un judéo-allemand pouvait ramasser et s'approprier. Cela est insinuant parfois, assez quintessencié, toujours infiniment démoralisateur. Et tous ces traits sont juifs au plus haut chef.
Il faut l'extraordinaire pauvreté créatrice de notre temps pour que l'on ait pu faire tout un bruit, soit enthousiaste, soit dénigrateur, autour d'un Kurt Weill. Il faut le plus effarant oubli de tout sens critique ou éthique pour que l'on ait pu entrevoir quelque avenir dans une formule négative, qui aboutirait, poussée plus vivement, à la décomposition de l'art musical. Tout en redoutant le retour du pire académisme, plus menaçant que jamais après les excès de l'après-guerre, l'on abandonne donc sans regret Kurt Weill, en gros et en détails. Remarquons toutefois que M. Florent Schmitt, vers 1924, prenait publiquement fait et cause pour M. Schoënberg, le musicien du Pierrot lunaire, autre Juif mieux élevé, beaucoup plus savant et casuiste que M. Kurt Weill, mais aboutissant par les voies de l'atonalité aux mêmes fins anarchiques, et plus dangereux parce que plus sérieux. Mais encore qu'il ne fut pas inutile de prendre, de sang-froid, une position suffisamment nette contre les partisans connus et probables de M. Kurt Weill, c'est pousser une discussion d'esthétique beaucoup plus loin que ne l'a voulu M. Florent Schmitt.
Bien que l'on puisse, malheureusement, s'y tromper, M. Schmitt demande avant tout aux Parisiens combien de temps ils supporteront sans murmure le monopole d'Israël sur notre vie musicale. Il ne s'agit nullement de contester leur place à un Horowitz, une Wanda Landowska. Mais, pour un grand virtuose juif, nous comptons chaque année des centaines de médiocres ou d'indésirables, bénéficiant le plus aisément du monde d'une formidable organisation internationale de réclame et d'habile solidarité, de coteries politiques ou diplomatiques enfin, auxquels nous n'exposons trop souvent que notre badauderie. Neuf fois sur dix, le virtuose d'exportation, plaie de nos concerts, par son astucieuse vulgarité, est un Juif. L'on a trop souvent invoqué, en sa faveur, les «  droits imprescriptibles » de l'esprit. L'exode des Juifs d'Allemagne tournant à l'invasion, Paris est en train de devenir la capitale intellectuelle du «  peuple élu », semant autour de nous tous les germes de décadence qu'il porte depuis les Pharaons. Par bonheur, Israël s'étale avec son éternelle indiscrétion, comme disent les Tharaud : indiscrétion qui tourne si souvent à l'impudence. Et l'on s'en aperçoit enfin. M. Florent Schmitt demande s'il va devenir impossible de faire de la musique entre chrétiens, comme aux grandes époques, celles de Rameau, de Bach, de Mozart, de Rossini, de Chopin. Mais son indignation dépasse notre petit monde musical, et même celui, plus vaste, de tous les arts. Indépendamment du cri malheureux, le son de cette voix traduit l'irritation d'un nombre imposant de Français.

Lucien Rebatet


L'art Libre - Mai 1921
Un grand musicien français
Florent SCHMITT par Georges Chennévière

Nous avons la joie de publier ci-après le texte intégral de la belle, étude que Georges Chennevière lut, le 5 avril, à la Galerie Giroux, avant l'audition des principales oeuvres de musique de chambres écrites par Florent Schmitt: durant ces dernières années.
Après cette, magistrale introduction, l'auteur, Mlle Evelyne Brélia, cantatrice, MM. Onnou, violoniste et Prévost, altiste, exécutèrent des mélodies, la Légende, pour alto et orchestre (au piano) et la Sonate, pour violon et piano: Une nous appartient pas de dire ici comment ces courts fragments d'une oeuvre aussi considérable que celle de Florent Schmitt suffirent à soulever une émotion unanime. Le génie du compositeur et le talent de ses interprètes y réussirent, cependant.

P. C.

Je suis trop respectueux de votre plaisir pour le retarder par de longs discours. Invité par des amis à venir vous parler de musique, j'ai accepté pour deux raisons : la première, c'est que l'occasion m'était ainsi offerte de prendre contact avec une grande ville et un grand peuple que je ne connaissais pas encore; la seconde, c'est que j'éprouvais d'avance quelque fierté à vous entretenir de l'un des musiciens qui illustrent le plus l'école française, et pour qui j'ai toujours professé la plus haute estime. Souffrez maintenant que je coupe court aux préliminaires d'usage, et qu'après vous avoir remerciés très cordialement de l'honneur qu'on m'a fait et de l'accueil dont je suis témoin, je passe, sans plus de précautions oratoires, au sujet qui nous réunit.
Le nom de Florent Schmitt vous est depuis longtemps familier. Je n'ignore pas que plusieurs de ses oeuvres, et non les moindres, ont déjà été exécutées à Bruxelles. Aussi, n'ai-je point l'inconvenante prétention de vous révéler ce que vous savez tous, non plus que celle d'accabler un grand et modeste artiste sous le poids d'épithètes qu'il récuserait tout le premier, mais, simplement, le dessein de vous retracer les principaux traits de son oeuvre et de sa personnalité, et de déterminer en même temps la place qu'il occupe dans l'art contemporain. Cette place, il ne la doit qu'à lui-même. Florent Schmitt est un artiste dans la plus forte acception du mot, je veux dire un homme qui a voué sa vie à l'exercice de son art, un travailleur obstiné, indépendant, étranger aux coteries et aux chapelles, dédaigneux du succès, des intrigues et de la mode, et uniquement soucieux de réaliser en musique l'idée qu'il a du beau. Retenez ce hautain esprit d'indépendance; il est trop rare, à l'époque où nous, vivons, pour qu'on ne le salue, pas quand on le rencontre.
Il ne s'agit jusqu'ici que de qualités morales, et je conviens qu'à elles seules, elles ne suffiraient pas à nous garantir la valeur d'une oeuvre d'art. J'ai dit que Florent Schmitt ne sacrifiait pas à la mode. J'insiste, car la question dépasse de beaucoup l'individu et intéresse l'art tout entier. L'une des plus communes et des plus dangereuses erreurs d'aujourd'hui consiste à prendre les caprices les plus excentriques, lEs fantaisies les plus bizarres pour des manifestations du génie, et à ne voir dans Ce «  modernisme » que lE matériel et le mécanisme de la vie contemporaine. Il en résulte que nombre d'artistes, même sincères, s'imaginent atteindre à l'originalité, alors qu'ils ne font en somme que marcher à quatre pattes, exécuter des tours de passe-passe, et combiner à des onomatopées rudimentaires; ou à des numéros de téléphone les vocables extrêmement évocateurs de«  dancing », de «  coktail » ou de «  cinéma ». Les plus ambitieux: de ces artistes - je parle d'un point de vue général, sans me permettre des allusions particulières - ne manquent pas, en outre, de justifier leur manie par des théories qui ont plus d'éclat que de profondeur. C'est ainsi que j'entendais récemment, dans une réunion ou je me trouvais avec quelques amis, un jeune musicien, fort agité, développer, pour le plus grand plaisir des esthètes présents, une théorie toute nouvelle de la musique : «  Il n'y a pas encore eu de musique, disait-il en substance, parce que tes musiciens n'y ont rien compris, pas plus Debussy que Wagner, Beethoven ou Rameau. Moi, je me moque de la mélodie; l'harmonie je l'envoie promener : c'est une invention de professeur ; quant au rythme, ça ne compte pas. La musique, c'est ayant tout la plastique du silence... » Et, pour éclairer sa définition d'un exemple, il tira du. piano une cinquantaine, de bruits qu'il intitulait : Le carburateur exalté. Voilà qui est fort beau, et ce qui me surprend en l'occurrence, ce n'est pas qu'un homme se. laisse aller, à d'aussi aimables folies, mais c'est que d'autres hommes soient assez aimables pour l'y suivre. Cette petite digression m'amène à dire que Florent Schmitt n'est pas de ceux qui croient que l'histoire commence avec eux et qui, plus bruyants qu'actifs, et emportés par le besoin d'innover coûte que coûte, finissent par transformer l'art en une suite de parades et en un déballage de pacotille. Moins audacieux que mon théoricien, il n'a, jusqu'à présent, rejeté de la musique aucun des éléments normaux qui la constituent. Il n'a pas plus recherché les succès officiels que les succès d'excentricité. Il doit sa réputation, qui est solide et durable, à des oeuvres mûries, où toutes ses facultés de connaissance, de création et de composition s'équilibrent pour organiser un fonds de richesses sérieuses.
Vous avez peut-être lu, comme moi, des articles où on le rattachait à l'école dite impressionniste, en le rapprochant de Debussy et de Ravel. A dire vrai, je ne vois rien de commun entre la musique de Schmitt et celle de Ravel ou de Debussy, en dehors des caractères très généraux qui donnent un air de parenté aux oeuvres d'une même époque. Il est bien certain que pour un auditeur superficiel, Schmitt est plus voisin de Ravel que de M. Paladilhe ou de M. L. Ganne, mais pour peu qu'on prenne la peine de comparer le Quintette de Schmitt au Quatuor de Debussy, et sa Tragédie de Salomé aux Nocturnes ou à la Rhapsodie espagnole, on s'apercevra très vite qu'on, a affaire à des tempéraments opposés, voire à des conceptions différentes de la musique. Florent Schmitt m'apparaît comme l'un de ceux qui, parallèlement ou consécutivement à ce qu'on est convenu d'appeler le Debussysme, ont redressé la barre et orienté leur art vers une autre voie. Si raffiné que soit celui de Debussy, et quelque admiration, que je porte à Pelléas ou à la Mer, je ne puis m'empêcher de penser aux conséquences néfastes qu'aurait eues pour la musique et les musiciens une imitation aveugle de sa formule. Le Debussysme aboutissait à une dissémination des forces musicales dans une atmosphère harmonique, à une rupture de plus en plus fréquente de la ligne et du plan tonal, à une sorte d'inactivité rythmique qui n'étaient point, je me hâte de l'ajouter, l'effet d'une indigence, mais d'une énervante fragmentation. Debussy lui-même, à partir-du Martyre de Saint Sébastien, s'est ressaisi. Quant à Florent Schmitt, il accuse, dès ses premières oeuvres, des qualités qui le distinguent de son illustre devancier, et qu'il n'a cessé d'affirmer dans la suite.
On observe, en effet, chez lui, cet harmonieux accord des dons naturels qui assure à l'oeuvre la santé et la durée, en dépit des époques, des tendances et des écoles. Je note, pour mémoire, qu'il est né à Blâmont, en Lorraine, tout près de l'ancienne frontière, et, sans vouloir tirer de cette origine des inductions hasardeuses, je ne suis pas éloigné de croire qu'on en peut faire état pour expliquer chez lui une opiniâtreté qui est vraiment de race. Il eut comme professeurs, au Conservatoire, André Gédalge et Gabriel Fauré, autre circonstance qui n'est pas sans valeur. André Gédalge, maître incontesté du contrepoint et de la fugue, musicien éminent et méconnu (dont je vous recommande, si vous ne l'avez entendue déjà, la 3eme symphonie, jouée chez Colonne en 1910), a sans doute inspiré à Schmitt le goût de la belle ordonnance classique et des justes proportions ; G. Fauré, dont l'éloge devant vous serait intempestif, l'a sans doute mis au courant des secrets subtils au moyen desquels la plus libre et la plus souriante fantaisie s'accommode des règles nécessaires. Je ne pense pas être contredit par Florent Schmitt lui-même en avançant qu'il a tiré parti de ce double enseignement. Je passe sur le Grand Prix de Rome qui, en 1900, couronna ses études. Sa personnalité artistique a pu être, d'autre part, influencée par Wagner et par César Franck, par les grands classiques allemands, et d'une façon générale par tous ceux que j'appellerai les «  constructeurs », pour les opposer aux «  impressionnistes ». Il détient, comme un autre de ses contemporains que vous connaissez aussi, Paul Dukas, une volonté directrice qui, loin d'annihiler les dispositions naturelles, leur donne, au contraire, une impulsion méthodique d'où elles tirent leur efficacité. Sa vertu prédominante, celle que nous retrouvons dans toutes ses oeuvres, de la première à la dernière, est la puissance, et une puissance qui se manifeste sous des formes multiples : dans la construction d'oeuvres amples, massives et d'assiette ferme, comme le Psaume XLVI et le Quintette en si mineur; dans la création d'idées expressives qui s'imposent à l'auditeur et lui commandent l'attention, de rythmes qui ne se contentent pas d'être agréables à l'oreille et de flatter son goût de la mesure, mais sont capables de soulever une foule et de lui dicter leur volonté, d'harmonies complexes qui vêtent les lignes d'un somptueux manteau; enfin dans une orchestration qui, visant plus haut qu'au frottements savoureux des timbres et à la voluptueuse désagrégation des sonorités, groupe les unes et les autres en courants majestueux. Nous voici loin de l'impressionnisme : composition, sens des volumes, équilibre des plans et des teintes, autant de caractéristiques qui nous rapprochent bien plus de Cézanne que de Monet et de la poésie contemporaine (j'entends celle d'un Jules Romains, d'un Luc Durtain, d'un Georges Duhamel, d'un Charles Vildrac,d'un René Arcos ou d'un P.-J. Jouve) que de celle d'un Viélé-Griffin ou même d'un Verlaine. Il n'est pas inutile d'amorcer, sans les pousser davantage, de telles comparaisons, lorsqu'on veut dégager l'orientation d'une époque ou les tendances particulières d'un artiste.
Il y a dans la musique de Florent Schmitt autre chose que de la puissance,, mais un mélange d'ardeur et de sensualité, d'imagination et de nostalgie, de rêve et de passion. Schmitt a beaucoup voyagé, en Espagne, en Autriche, en Allemagne, en Turquie. Il en a rapporté des impressions dont son art est marqué, impressions qui sont moins pittoresques que psychologiques, moins extérieures qu'intimes. Cette détresse toute moderne de l'âme, qui se sent toujours en exil et s'efforce de substituer à la réalité quotidienne du lieu où l'asservit le corps, le souvenir et l'évocation des lieux où elle aspire pour la seule raison qu'elle n'y est point, Schmitt l'a exprimée en maintes oeuvres avec une émotion communicative. L'Orient joue un grand rôle dans le Psaume, dans la Tragédie de Salomé, dans la Légende pour alto. Certes, il est difficile de fixer, pour un art aussi subjectif que la musique, le point précis où elle cesse d'être descriptive, et dans-quelle mesure elle transpose l'objet même ou l'impression à laquelle-il donne naissance. On peut toutefois affirmer, en ce qui concerne F. Schmit, qu'il ne considère jamais la description comme une fin, mais tout au plus comme un moyen de situer l'oeuvre et d'assortir à un décor fidèle des sentiments subjectifs.
Je passe de ces considérations générales, un peu longues peut-être à votre goût, mais que j'estime nécessaires, aux exemples susceptibles de les illustrer. Vous n'attendez pas de moi que j'énumère toutes les oeuvres de Florent Schmitt qui se montent à soixante-dix environ. Je ne puis que mentionner, entre autres, l'Etude symphonique pour le Palais hanté, d'E. Poë, envoi de Rome, exécutée pour la première fois chez Lamoureux le 8 janvier 1905 ; les Musiques de plein air, exécutées chez Lamoureux le 16 décembre 1906; la Rhapsodie viennoise, exécutée chez Lamoureux le 29 octobre 1911 ; des oeuvres vocales comme la Danse des Devadasis (1900), exécutée avec les choeurs et l'orchestre du Conservatoire, l'Hymne à l'Eté, le Chant de Guerre, les Chansons à quatre voix avec accompagnement d'orchestre, des oeuvres de musique de chambre comme le Chant Elégiaque pour violoncelle et piano; un Andante et scherzo pour quatuor et harpe chromatique; un Lied et scherzo pour double quintette à vent. Je veux insister plus particulièrement, avant d'arriver au programme d'aujourd'hui, sur ses compositions plus typiques : le Psaume, la Quintette, la Tragédie de Salomé, Antoine et Cléopâtre.
Le Psaume XLVI pour orchestre, orgue, choeurs et soprano-solo, composé en 1904 à Rome, exécuté en 1906 aux Concerts du Conservatoire, puis aux Concerts Colonne (1912), est une oeuvre monumentale que je range parmi les plus belles de notre époque. Edifice sonore aussi imposant par son architecture que par son contenu, c'est à lui surtout que je pensais en vous parlant plus haut de la puissance de Florent Schmitt. Imaginez un temple sévère, plein de fidèles, et dans les demi-ténèbres duquel scintille la lueur des lampes sacrées. La foule y chante sa foi et la gloire du Seigneur dans tous les modes, le terrible, le langoureux, le voluptueux, le délirant, le dionysiaque. Malgré sa densité anormale, le Psaume est construit sur un plan très clair, immédiatement saisissable. Il comprend six parties, dont chacune commente un verset du texte biblique : l'Appel aux Nations, la puissance redoutable de Jéhova, la Domination, l'Election divine, l'Ascension, le Triomphe. Un crescendo de trompettes amène le tutti fortement scandé : «  Gloire au Seigneur ! » auquel succèdent le choeur «  Nations, frappez des mains, toutes ensemble ! », puis une furieuse danse sacrée à 5/4. La deuxième partie comporte un solide développement fugué sur le choeur à 3/2 : «  Parce que le Seigneur est très élevé et très redoutable». Le motif de danse reparaît dans la troisième partie, suivi d'un thème plus rude, «  mosaïque », que le choeur et l'orchestre répètent avec des inflexions tour à tour douces et violentes. Le peuple élu chante, berce et exalte la force que Dieu lui a transmise. L'interlude orchestral qui précède la quatrième partie est empreint de cette suavité aussi sensuelle que mystique, que je vous ai déjà signalée. On songe à des femmes très brunes, très belles et très fardées, parées d'étoffes et de joyaux rares et chantant avec leur corps autant qu'avec leur voix un hymne lascif et religieux, qui flotterait dans l'encens et la myrrhe. La phrase se balance, molle et nue, entre le violon et le basson, le cor et la flûte, au-dessus des harmonies mystérieuses du quatuor et prépare léchant du soprano célébrant la beauté de Jacob. La foule se joint à l'orchestre; le chant devient frénétique, puis retombe pour mourir dans les jeux de fonds les plus atténués de l'orgue. Les deux dernières parties forment un crescendo unique et sans défaillance. Des arpèges graves préludent au thème de l'ascension divine, entonné d'abord par les basses, puis, gravissant par degrés décisifs le choeur et l'orchestre tout entiers pour rayonner enfin à la cime des sonorités les plus aiguës. Le chant du début reparaît, puis la danse sacrée, liée au choral du 2me verset par un solide contrepoint qui affirme définitivement la Toute-Puissance et conclut en une superbe péroraison. Ma parole est bien infirme, au regard de cette oeuvre qui n'est point indigne des oratorios classiques, et qui, dans son genre, me semble la plus forte qu'on ait produite depuis les Béatitudes de C. Franck. Je ne connais, dans la génération de Florent Schmitt, aucun autre musicien qui eût été capable de l'écrire. Je me suis étendu sur elle avec une complaisance que ne me reprocheront pas ceux qui, comme moi, croient à un renouvellement,, de l'art musical par la création d'oeuwes larges, humaines, capables de rendre à la musique le pouvoir de rassemblement qu'elle a perdu. Je regrette que les circonstances actuelles ne permettent pas aux directeurs de concerts de jouer davantage ce Psaume XLVI, qui, en quinze ans, n'a bénéficié que de cinq exécutions.
Le Quintette en si mineur soutient la comparaison avec celui de Franck, et demeure l'une des plus considérables oeuvres de musique de chambre qui aient vu le jour depuis cinquante ans. Commencé à Rome en 1905, achevé en 1908 dans les Pyrénées, il a été remanié plusieurs fois, jusqu'à la version définitive dans laquelle on l'a exécuté ici. Je ne veux pas me donner l'air de vous en dire les mérites, puisque vous le connaissez autant que moi. Il s'apparente au Psaume par la vigueur du développement et du rythme, par le souffle de l'inspiration, par un caractère essentiellement dynamique. Je vous rappellerai, dans le premier mouvement, la belle introduction sur les deux thèmes exposés l'un par les cordes et le deuxième par le piano, la lutte entre les deux sujets, de l'alto et du premier violon; l'interlude agreste qui conduit au deuxième mouvement, plus lent et plus calme; enfin la danse violente, sauvage qui, plusieurs fois interrompue, s'affirme plus tyrannique que jamais dans le finale.
Schmitt n'a pas écrit d'oeuvres théâtrales à proprement parler, mais il a composé deux partitions de musique de scène où il révèle d'éminentes qualités dramatiques. Le personnage de Salomé était de nature à l'inspirer tout particulièrement. Il a inspiré deux autres musiciens, R. Strauss et André Mariotte, et la critique a développé de longs parallèles entre les trois oeuvres. Si estimable que soit celle de Mariotte, on sent qu'il y est gêné par le texte surchargé d'Oscar Wilde, et bien que Strauss et F. Schmitt aient écrit leur musique sur deux poèmes différents, le premier sur le même que Mariotte, le second sur un mimodrame de Robert d'Humières, la comparaison est plus facile entre les deux et on l'a poussée à tel point que certains musicographes ont surnommé Schmitt le Strauss français. Le rapprochement me semble injustifié. Certes, Strauss et Schmitt se ressemblent par leur virtuosité orchestrale, par la prodigieuse aisance qu'ils déploient à soulever la masse des instruments et à en exprimer le maximum de suc, mais on peut reprocher à Strauss une sorte de grandiloquence souvent creuse, qu'on ne rencontre nulle part chez F. Schmitt. La dernière scène de la Salomé allemande est, en outre, imprégnée d'un érotisme, j'allais dire d'un sadisme plus violent que fort et qui finit par devenir insupportable. Schmitt a exprimé la sensualité orientale d'une façon plus subtile et avec un goût plus sûr. Sa Tragédie de Salomé, créée sous sa forme chorégraphique par Loïc Fuller, le 9 novembre 1907, au Théâtre des Arts, réalisée depuis avec des mises en scène différentes par Natacha Trouhanowa au Châtelet, aux Ballets Russes par Thamar Karsavina, puis à l'Opéra par Ida Rubinstein, est chaude, riche, étincelante, parfumée, comme les voiles de l'héroïne. Elle dessine autour de la terrible légende un troublant commentaire, et l'enveloppe d'une atmosphère orageuse qui renforce l'émotion et recule la perspective. Je pense plus spécialement au prélude où s'alanguit voluptueusement le thème de Salomé devant les terrasses léchées par le crépuscule, aux «  enchantements de la mer », d'où surgit, comme une tentation, la voix luxurieuse du vieux péché, et à la «  Danse de l'effroi » qui précipite les monts, les eaux et les hommes dans une sorte de délire infernal.
Les six morceaux de musique de scène, écrits par F. Schmitt pour le drame shakespearien d'Antoine et Cléopâtre, représenté en septembre 1920 à l'Opéra dans la traduction d'André Gide, constituent comme une synthèse musicale de la pièce et traduisent avec une intensité poignante aussi bien le décor et le milieu que l'âme et les passions des personnages. Le premier prélude qui sert d'exposition, avec son beau thème qui frémit, s'exalte et s'affaisse; le Camp de Pompée, tumultueux et métallique; la Nuit dans le Palais de la Reine, la Bataille d'Actium, l'Orgie, la Mort, sont autant de pages où l'on retrouve, à leur degré d'excellence, les qualités que j'ai analysées plus haut : une armature puissante, une grande richesse d'idées et de coloris, une invention rythmique à laquelle je ne vois guère d'équivalent dans les oeuvres actuelles, et surtout, j'insiste sur ce point avant de passer aux oeuvres qui seront exécutées ce soir, un merveilleux équilibre entre le fond et la forme, entre le cerveau qui choisit et les matériaux dont il dispose. N'y à-t-il pas là tous les éléments d'un style véritable, et une virile réaction contre ces tendances anarchiques, dont se réjouissent les amateurs de sensations nouvelles, mais, qui n'iraient à rien moins qu'à tuer l'art dans un temps où il est plus, que jamais nécessaire d'en rattacher les membres disjoints par un demi-siècle d'individualisme spécieux et de désordre foncier ?
J'en arrive aux oeuvres du programme. Si je ne leur ai pas consacré toute l'étendue de ma conférence, c'est que j'aurais ainsi pensé faire tort à l'ensemble de l'oeuvre de FI. Schmitt, et que, pour les apprécier convenablement, j'aurais été tout de même obligé de recourir aux considérations et aux exemples que je viens de vous soumettre. Ces oeuvres, tout au moins la Légende et la Sonate, ressortissent à la dernière manière de F. Schmitt; elles marquent l'épanouissement et la maturité de, ses dons, en même temps qu'un allégement dans la forme, une tendance vers un style plus clair, plus dépouillé, plus concis. Tout artiste, si grand qu'il soit, a des défauts qui sont la rançon de ses qualités : les défauts de F. Schmitt consistaient peut-être en une complication exagérée, en un excès de pâte, en un goût trop marqué pour ce que j'appellerai l'écriture en hauteur. Ses dernières oeuvres témoignent d'une sensible épuration, d'une simplification progressive, qui, loin de signifier l'épuisement, annoncent, au contraire, la plénitude la plus féconde.
Les six chants qu'interprétera tout à l'heure Mlle Evelyne Brélia s'inspirent des poètes les plus divers : A. Samain, J. Richepin, L. Tailhade, M. Maeterlinck, R. de Montesquiou et G. J. Aubry. Ce sont des oeuvres très travaillées, où le musicien ajoute au poète, et où les vers ne sont qu'un prétexte à de multiples combinaisons sonores. La ligne mélodique en est flexueuse, l'accompagnement raffiné. Elles exigent de l'exécutant une technique éprouvée, de l'auditeur une sensibilité avertie. La plus récente, Star, me semble la plus incisive, sinon la plus simple. Car Florent Schmitt n'écrit pas une mesure sans la soigner.
La Légende pour alto et orchestre a été exécutée pour la première fois aux concerts Pasdeloup, il y a deux ans, et, sous la forme pianistique, à un concert de la S.M. I., en février 1919. F. Schmitt a toujours eu, comme H. Berlioz, une prédilection évidente pour le timbre chaud et moelleux de l'alto, auquel il fait jouer un rôle prépondérant dans son Quintette. Sa Légende, qui est à la fois, comme l'a fort bien dit Albert Roussel, fantaisiste et tourmentée, évoque un décor oriental, sans que l'auteur y ait prodigué de couleur locale à proprement parler. Elle débute par un thème assez indécis et d'allure volontairement improvisée, qui a pour but d'accorder les deux instruments. On pense à quelque chanteur arabe, rejetant la tête en arrière, et attirant le public par des vocalises. Sa mélopée est interrompue par quelques rappels des accords de l'introduction. Puis, le public étant accouru, le thème coule, d'abord nonchalant, mouvementé ensuite, balancé comme en un rêve du piano à l'alto, qui le reprend définitivement avec aisance et suavité. Il est difficile d'analyser verbalement des pages aussi évocatrices. Il serait oiseux de les réduire à un schéma explicatif. Je ne vous donne pas mon interprétation pour la meilleure, et je m'en rapporte à vos impressions personnelles pour la rectifier au besoin, la musique étant le seul de tous les arts qui prête à l'imagination une perspective indéfinie.
La Sonate pour piano et violon (Sonate libre en deux parties enchaînées. - Ad modum Clementis aquae) qui termine le programme et que j'ai volontairement réservée pour la fin de ma causerie, m'apparaît non pas comme un aboutissement, car Florent Schmitt a encore de longues années devant lui, mais comme le point le plus haut de la courbe qui dessine son évolution. Toutes ses qualités s'y condensent en un tout harmonieux et s'y épanouissent en une sorte de floraison logique et ordonnée. Le titre et le sous-titre ont de quoi vous surprendre. Cette sonate est libre en ce sens qu'elle n'est pas rigoureusement asservie au plan classique, et qu'elle comporte deux parties enchaînées l'une à l'autre par un simple point d'orgue. antithèse de libre et d'enchaîné a entraîné, dans l'esprit de l'auteur, une association d'idées dont vous pouvez facilement deviner le mécanisme. Homme libre, homme enchaîné, ad modum démentis aquoe, il aurait presque fallu dire pour parfaire le jeu de mots ad modum Clementis stulti, à la manière de Clément (s euphonique)eau, à la manière de Clément-sot. Pardonnez cette boutade innocente à un homme qui n'a écrit, comme on dit, que de la musique savante.
La Sonate pour violon et piano comprend donc deux mouvements, le premier beaucoup moins développé que le second. Je pense au tronc d'un arbre, qui, à une certaine hauteur se ramifie et pousse à droite et à gauche des branches garnies de feuillage et de fleurs. Une introduction assez brève nous conduit à l'exposition du thème principal, dont le développement est coupé par les rappels du début, puis par un refrain qui rétablit le calme et prépare la rentrée du thème: au milieu d'harmonies savoureuses. Le second mouvement, plus rapide et plus agité, procède du premier par germination, s'il m'est permis de recourir au langage botanique pour parler d'une oeuvre musicale. Des accords de violons barbares, exprimant une sorte de rêve exotique, préludent à l'exposition d'un thème vigoureux, sur lequel bourgeonne un motif incidentel qui se précise peu à peu, et nous conduit à un deuxième thème, de nature plus mélodique, lequel monte toujours en une ascension majestueuse, scandée par des sonorités de cors ornementales. Une accalmie survient, qui dirige le thème vers une réexposition; plus agitée, rythmée à la façon d'une danse. Un passage polyphonique nous ramène à la phrase initiale de la sonate qui se boucle ainsi naturellement.
Cela est très mal exprimé, mais comment rendre par des mots l'impression qu'on retire d'une oeuvre musicale? Tout au plus y pourrait-on parvenir par une transposition poétique, et j'avoue qu'elle trahirait sans doute le musicien. Si je me suis montré inférieur à mon sujet, n'imputez cette infériorité qu'à une discrétion bien légitime. En vous disant tout ce que je pense de F. Schmitt, en vous confiant tout ce que m'inspirent ses oeuvres, je risquerais fort d'exaspérer votre impatience, et d'aller, ainsi au rebours du résultat que je souhaite. Mieux vaut que je laisse la place à l'auteur et à ses interprètes, Mlle Evelyne Brelia, M. Prévost et M. Onnou, qui vous donneront des oeuvres dont je vous ai parlé une idée bien meilleure que n'ont pu faire mes commentaires. Mais avant de leur remettre le pouvoir, laissez-moi vous remercier une fois encore, j'espère que ce ne sera pas la dernière, de la bienveillante attention que vous m'avez accordée et de la sympathie avec laquelle vous avez suivi notre premier entretien.

GEORGES CHENNEVIERE


Note sur Lucien Rebatet (1903-1972) : Lucien Rebatet rejoint Vichy en 1940, où il travaille à la radio, puis Paris, où il publie en 1942, "Les Décombres". Ce pamphlet, qui explique que la seule issue pour la France est de s'engager à fond dans la Collaboration avec l'Allemagne nazie, sera désigné comme le «  livre de l'année » par Radio Paris.
Son dernier article, publié le 28 juillet 1944, s'intitule «  Fidélité au national-socialisme », puis il fuit vers l'Allemagne. Arrêté à Feldkirch le 8 mai 1945, il est jugé le 18 novembre 1946 et condamné à mort. Le 10 avril 1947, la condamnation à mort est commuée en peine de travaux forcés à perpétuité, après cent quarante et un jours de chaînes. Il sera finalement gracié, et libéré le 16 juillet 1952.
 

Rédaction : Thierry Meurant

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