Ce second article regroupe
les relations des inventaires suivants :
La semaine
religieuse de Nancy
17 mars 1906 - n° 11 - p. 2
Les inventaires à
Nancy. (suite.)
A LA CATHÉDRALE
C'est mardi, à 6 heures du matin qu'a eu lieu le
cambriolage officiel de la Cathédrale de Nancy.
En présence de la résistance que les catholiques de la
Cathédrale voulaient manifester contre l'attentat, en
présence surtout de ce qu'ils avaient proclamé par toute
la ville, que le préfet devrait faire enfoncer les
portes s'il voulait entrer dans l'église, M. Humbert
avait changé de tactique. Il avait entendu réserver un
traitement spécial à la Cathédrale et il comptait «
opérer » par surprise.
Informations prises, il savait que les sacristains,
depuis cinq jours, venaient ouvrir régulièrement les
portes à 5 h. 20. Dès cette heure-là, des agents étaient
placés devant la porte, guettant le moment où la porte
s'ouvrirait pour mettre la main « au nom de la loi » sur
le sacristain et lui interdire de la refermer. Les
agents de l'autorité pouvaient donc entrer par la porte
ouverte; M. le préfet pouvait se frotter les mains en
pensant qu'il avait roulé les défenseurs de la
Cathédrale ! Par la faute de ces mauvais catholiques qui
veillaient parce qu'ils savent que la nuit surtout est
propice aux opérations de vol et de cambriolage, le coup
de surprise, « l'attaque à la japonaise », a
complètement manqué.
Mardi à 5 h. 1/2 du matin, trois compagnies du 26e
arrivent par la rue de la Constitution. Elles sont sous
les ordres d'un commandant. Quelque temps après arrivent
125 hussards à cheval.
Des cordons de troupes barrent la rue Saint Georges,
l'un avant la rue Montesquieu, l'autre devant la
boucherie Muller. La rue de la Constitution est barrée à
la hauteur de la rue Pierre-Fourier. Les rues
Montesquieu, des Chanoines, Mably, du Manège, de la
Primatiale sont également interdites sur presque tout
leur parcours. Bref, on a fait le vide autour de
l'édifice.
Sans se contenter de cela, on a placé devant toutes les
portes des escouades de soldats et d'agents.
A nouveau on contemple le triste spectacle d'un quartier
isolé complètement du reste de la ville, pour permettre
aux crocheteurs officiels d' « opérer ».
On a mobilisé presque toute la police: agents en tenue,
policiers de la sûreté, inspecteurs, commissaires, tout
le monde est sur pied.
.. La bise souffle, glaciale.
A 5 h. 3/4 du matin, M. Billard, commissaire de police
du canton Est, accompagné d'un agent et ceint de son
écharpe, se rend au presbytère, rue des Chanoines. Il va
informer M. le curé qu'il sera procédé à l'inventaire à
6 heures.
M. le curé lui demande si Monseigneur a été prévenu. «
Pas encore », répond M. Billard, qui se retire.
En sortant le commissaire s'est rendu à l'évêché où il a
accompli la même mission. Monseigneur est aussitôt
accouru.
Il est arrivé à 6 h. 1/4.
Le tocsin se met bientôt à retentir, avertissant les
fidèles du cambriolage. Bientôt la foule s'amasse
derrière les cordons de troupe qui ont reçu une consigne
inflexible
...Six heures viennent de sonner à la Cathédrale. Dans
la rue du Cloitre, où on va faire l'attaque, se trouvent
MM. Nogier, commissaire central, Billard, Gabillet,
commissaires de police ; M. l'archiprêtre Geoffroy, curé
de la Cathédrale ; plusieurs fabriciens ; M. le chanoine
Vagner ; quelques prêtres.
Monseigneur, accompagné de M. l'abbé Hogard, sont
arrivés pendant le cambriolage de la porte.
M. Nogier, commissaire central, fait les trois
sommations d'usage, qui restent sans réponse.
« Avancez », dit-il alors M. Collot, le crocheteur
officiel.
Celui-ci s'approche : il essaie quelques pesées sur les
portes, mais reconnait bientôt qu'il ne pourra arriver
tout seul à l'enfoncer.
M. Nogier demande alors au commandant des troupes
d'envoyer les sapeurs du génie.
« Vous avez une réquisition écrite? » demande le
commandant.
« Parfaitement, répond M. le commissaire central, la
voici. »
« Allez », dit après vérification le commandant aux
sapeurs. Les pauvres soldats arrivent avec leurs
pioches, leurs pinces et leurs haches.
... Ce fut alors un spectacle assez curieux, en ce sens
qu'il fut une déception complète pour les agents de
l'autorité, qui en avaient une mine toute déconfite.
Ceux-ci en effet se figuraient trouver une simple
serrure que devaient faire sauter quelques pesées ; mais
pas du tout ! C'était une véritable barricade à enlever,
faite en toute hâte, mais d'ailleurs dans toutes les
règles de l'art. Il fallut donc se décider à enfoncer la
porte. Les masses et les haches firent alors leur oeuvre.
En un quart d'heure il ne restait plus rien que des
morceaux des quatre panneaux de la porte.
Mais ce n'était pas tout. On se heurtait à une barricade
composée de bancs, de chaises, etc., le tout enserré
dans un réseau de fils de fer.
Il ne fallut pas moins de trois quarts d'heure pour
arriver à l'enlever.
Pendant cette triste opération, Monseigneur se promenait
rue du Cloitre avec son secrétaire et M. le curé.
Quand l'entrée Iut dégagée. MM. George, inspecteur de
l'enregistrement, et Nogier, commissaire de police,
pénètrent dans la Cathédrale. Ils y trouvent bientôt
Monseigneur, M. le curé et MM. les vicaires.
M. George se présente devant Monseigneur qu'il salue. «
Je viens, Monseigneur, lui dit-il, procéder à
l'inventaire de la Cathédrale. » - « Vous continuez
votre travail, répond Sa Grandeur, eh bien! faites. » -
« Nous allons alors commencer par la sacristie. » - «
Commencez par où vous voudrez, et finissez par où vous
voudrez », riposte Monseigneur.
A ce moment se produit un incident. M. l'abbé Boulanger,
vicaire, déclare qu'il ne veut pas de la présence de
tous les agents de la sûreté qui se trouvent là.
« Je garde deux agents avec moi, déclare M. Nogier, je
garde, d'autre part, mes deux inspecteurs. » - « C'est
votre droit, réplique M. l'abbé, mais nous ne voulons
que ceux-là, et surtout pas de Collot. » - « Ah !
pardon, dit le commissaire, le serrurier est requis, il
fera son devoir. »
Les membres de la presse sont également admis. Voici la
protestation de M. le curé :
« Monsieur,
« Ma conscience et mon honneur m'obligent à vous arrêter
au seuil de cette porte qui donne entrée à la sacristie
de MM. les chanoines de cette Cathédrale, sacristie que
l'on va crocheter au mépris de tout droit et de toute
justice. Je vous arrête comme doyen de ce vénérable
chapitre dont je dois défendre les biens sacrés.
« On va me sommer d'ouvrir au nom de la loi; mais,
monsieur, il y a loi et loi, ou plutôt il n'y a pas de
loi contre le droit, contre le droit supérieur de Dieu
et de l'Eglise de Dieu; le simple bon sens le proclame.
« Vous m'opposez la loi; mais cette loi. monsieur, vient
d'être condamnée solennellement et devant le monde
entier par Notre Saint-Père le Pape, chargé par Dieu de
rappeler au monde les éternels principes de la justice
et du droit.
« On va me sommer au nom de la loi, mais hélas ! c'est
déjà au nom de la loi que, pendant la première
Révolution, les biens de cette cathédrale furent
inventoriés et ensuite pillés, les confessionnaux brulés
sur la place. C'est encore au nom de la loi qu'un de mes
prédécesseurs, le vénérable M. Michel, confesseur de la
foi et bienfaiteur insigne de cette église, a été
condamné à la déportation dans l'île d'Aix, près
Rochefort, où il subit, toujours au nom de la loi, les
plus atroces supplices.
« Vous m'opposez la loi, mais encore un coup condamnée
par la plus haute autorité qui soit sur la terre, cette
loi est nulle et non avenue.
« Vous ne l'ignorez pas, monsieur, il y a ici tout près,
au Saint Tabernacle, quelqu'un qui est le Roi des rois,
le législateur des législateurs, qui juge les justices
mêmes : Il ne parle pas dans son temple, mais il a parlé
par son Vicaire.
« Contre lui se commet un attentat sacrilège ! Et c'est à
pareille oeuvre qu'on emploie les mains et les armes des
soldats, de soldats du génie ! de soldats qui pleurent
de rage, je le sais pertinemment, qui pleurent de rage
d'être commandés pour une telle besogne !
« Ils sont faits, disent-ils, pour d'autres démolitions
et d'autres victoires!
« Faites-donc, monsieur, puisque nous ne pouvons rien
contre la force brutale; mais, me souvenant d'une parole
de l'adorable Maître, je vous demande en grâce de faire
vite. »
L'inspecteur des domaines. le commissaire central,
Collot, les sapeurs du génie vont alors à leur besogne.
Après un tour rapide à l'intérieur de la Cathédrale, ils
se dirigent à la sacristie de MM. les chanoines, du côté
de la rue de la Primatiale.
Collot crochète la porte.
On inventorie alors les ornements et les quelques objets
qui s'y trouvent. L'opération ne dure que quelques
minutes. M. le chanoine Marton, doyen du Chapitre, fait
des réserves en ce qui concerne les ornements ou objets
qui sont propriété privée.
M. George en prend note.
On revient alors à la sacristie proprement dite. Mais là
la résistance est plus forte. Le Collot ne peut y
arriver seul. Le génie intervient une fois encore. Une
énorme pince parvient tout de même après de multiples
efforts à faire sauter la serrure On pénètre à
l'intérieur. Derrière les agents de l'autorité se
trouvent Monseigneur, M. le curé et ses vicaires, M.
Didierjean, vicaire général, les fabriciens, plusieurs
prêtres et les membres de la presse.
Là commence le véritable inventaire. Tout d'abord Collot
ouvre toutes les portes qu'il trouve et M. George,
qu'assistent comme témoins deux agents de la sûreté,
fait inscrire minutieusement tous les ornements,
vêtements sacerdotaux, tableaux, surplis, etc.
M. George remplit consciencieusement sa tâche !
On arrive au coffre-fort. M. George s'adresse alors à
Monseigneur.
« Voulez-vous, Monseigneur, lui demande-t-il, sinon
ouvrir le coffre-fort, du moins me dire ce qu'il y a
dedans ? » - « Nous ne vous dirons rien, répond le
vaillant prélat. » - Mais, répète M. George, nous nous
en tiendrons à votre déclaration, si vous voulez la
faire. » - « Non, réplique Monseigneur, nous ne céderons
pas. » - « J'y mets cependant toute la bonne volonté
possible. » - « Je vous en suis reconnaissant
personnellement. mais nous devons résister à la loi, que
nous ne pouvons accepter. » - « Une fois encore, je vous
le répète, je m'en rapporte à votre déclaration. » - «
Non, faites. Je refuse, allez jusqu'au bout. » - M.
Nogier dit alors: « Sergent, accomplissez votre mission.
»
« Je regrette, dit M. George, d'en arriver à cette
mesure. Cependant M. le commissaire central et moi y
mettons toute la délicatesse possible. »
A ces mots, M. l'abbé Boulanger sourit. « Je ne crois
pas, dit M. Nogier, que cela porte à rire. » - « Je ne
nie pas que je ris, répond M. l'abbé. » - « Notre devoir
est assez pénible, reprend M. Georges. » - «
Accomplissez-le, réplique Monseigneur, qui ne cède qu'à
la force, mais si je n'étais pas évêque et qu'un simple
citoyen, je ne la subirais pas. »
Collot et les malheureux sapeurs travaillent alors à
leur besogne . Le coffre-fort est crocheté au bout de
dix minutes.
Les objets qu'il contient sont trop connus pour que nous
en donnions la description.
M. George demande à un moment donné s'il n'y a qu'un
seul ostensoir. « Je n'ai que celui-là, dit M. le curé,
et il m'a été donné par M. Delaval qui le tenait
lui-même du duc de Massa. Un autre ostensoir a été
repris par le propriétaire. » - « Et l'anneau de saint
Gauzelin, où est-il ? » demande l'inspecteur. - « Vous
n'avez qu'à regarder », dit Monseigneur. - « Combien,
dit ensuite M. George à M. le curé, avez vous de
ciboires?» - M. le curé ne répond pas, et comme
l'inspecteur avait demandé encore s'ils étaient en
vermeil ou en or, il refuse de donner aucun détail.
M. George continue alors à faire inscrire tout ce qu'il
voit. Il passe dans les chambres attenantes à la
sacristie, fouille tous les meubles, recensant surplis,
cierges, soutanelles, etc. Il trouve un second
coffre-fort, espèce de malle en acier très ancienne qui
renferme des titres appartenant à la fabrique. Ce
coffre-fort subit le même sort que le premier.
M. George passe ensuite au premier dans une autre salle
où sont les tentures et les divers linges d'autel.
L'inventaire se termine par là.
L'inspecteur des domaines redescend alors, salue
Monseigneur en passant devant lui et se retire par la
porte où il est entré.
La police veille sur sa personne, ainsi que sur celle de
Collot, qui est vivement conspué.
Après l'inventaire, la foule a pénétré dans la
cathédrale.
M. le curé a lu une protestation. On a ensuite chanté un
cantique.
A 9 heures, les opérations » sont finies; Mgr l'Evêque
fait ouvrir la grande porte de la cathédrale, et il sort
encadré par un groupe de fabriciens et de catholiques
qui lui font une escorte d'honneur. Aussitôt qu'il
apparaît sur le parvis, des acclamations retentissent de
toutes les fenêtres des appartements qui donnent sur la
place de la Cathédrale. On crie : « Vive Monseigneur !
Vive la liberté! »
Monseigneur traverse la place de la Cathédrale et arrive
dans la rue de la Constitution qui, on le sait, est
barrée jusqu'à hauteur de la grande poste. Là, une foule
compacte de mille à douze cents personnes se presse
derrière la troupe. On fait passage au vaillant prélat;
toutes les tètes se découvrent; on l'acclame ; on agite
des mouchoirs. Et c'est au milieu de cette triomphale
escorte d'honneur que l'évêque rentre à l'évêché.
Sur la place, la foule se masse et crie : « Vive
Monseigneur ! Vive la liberté ! » Le prélat parait alors
à une fenêtre du 1er étage qu'il ouvre, et referme après
avoir salué les catholiques.
On entend quelques cris isolés d'apaches : « Hou! hou!
la calotte ! » et quelques rares coups de sillets, mais
tout cela est couvert par des « bravos »,par des
applaudissements et par des cris répétés de : « Vive
l'évêque de Nancy ».
A ce moment, et craignant sans doute que la
manifestation s'accentue, on fait avancer la cavalerie
en réserve derrière la poste pour déblayer la place
Stanislas. La foule circule plus ou moins vite.
Quelques instants plus tard, un groupe de 500 personnes
se trouve massé devant la préfecture, rue d'Alliance. On
crie : « Hou ! Hou ! le préfet. » Mais celui-ci se garde
bien de paraître, naturellement.
A remarquer une fois de plus que seuls, les catholiques
ont bénéficié de procès-verbaux, la police ne
verbalisant jamais contre les Apaches qui insultent
l'Eglise ou qui crient : « A bas la calotte ! »
Mardi, à 8 heures du soir, la cathédrale est remplie,
comme aux plus grands jours de fête, pour l'office
ordinaire de la -station quadragésimale ; de 2,500 à
3,000 personnes se pressent dans la nef, dans les
bas-côtés et occupent toutes les places jusque sous les
grandes orgues. Un important service de police avait été
organisé ou dehors en prévision de manifestations
hostiles; une seule porte, solidement gardée, donnait
d'ailleurs accès à l'église.
Après le sermon de M. le prédicateur de carême,
Monseigneur Turinaz monte en chaire et, au milieu d'un
silence complet, prononce une allocution qui va droit au
coeur de tous les assistants et dont voici un pâle résumé
:
« Je tiens, dit en substance le vaillant prélat, à venir
après les douloureuses émotions de cette journée,
remercier les vaillants catholiques qui, avec tant de
zèle et de dévouement, se sont constitués pendant de
nombreux jours et de nombreuses nuits, les défenseurs de
cette cathédrale ! Dieu les récompensera et les bénira.
« Je tiens à remercier la vaillante population
catholique de Nancy et surtout la population catholique
de cette cathédrale, qui marche en complète union
d'idées et de sentiments avec son évêque.
« Je tiens à remercier le clergé catholique de Nancy et
de la Lorraine qui, uni à son évêque, a résisté partout
avec tant d'énergie aux inventaires.
« Certains se sont demandé pourquoi nous résistions aux
inventaires ! Nous résistons parce que l'inventaire est
un attentat à la liberté du culte et parce qu'il est le
commencement de la spoliation : tels étaient déjà les
inventaires qui eurent lieu dans toutes les églises de
France en 1791; quelques mois après la République
s'emparait pour les vendre de tous les objets du culte
qu'elle avait inventoriés.
« Nous avons résisté et nous résisterons encore à ceux
qui, pour attaquer les catholiques sont obligés de
s'attaquer à la propriété, à la liberté, à la justice,
et de s'appuyer sur les ennemis de la patrie et de
l'armée.
« Il faut prier et agir ! A genoux pour la prière, mais
debout pour l'action ! Et ainsi, il n'y aura pas lieu de
désespérer de notre malheureux pays qui devrait être si
prospère, et que l'on épuise, que l'on conduit à la
ruine. »
Cette éloquente allocution terminée, Mgr l'Evèque donne
la bénédiction du Saint-Sacrement; après quoi, tous les
assistants chantent d'un seul choeur et d'une seule âme :
« Nous voulons Dieu », puis le grand portail est ouvert.
La sortie s'effectue très paisiblement.
Lorsque Monseigneur paraît, un groupe de 150 à 200
hommes l'entoure aussitôt et le reconduit tranquillement
jusqu'à l'évêché, où le prélat prend congé de tous par
un cordial merci, en recommandant le calme et le
silence.
(A suivre.) |
Est-Républicain
13 mars 1906
A la Cathédrale de Nancy
Mardi, au lever du soleil, a eu lieu l'inventaire de la
Cathédrale de Nancy.
A cet effet, dès quatre heures du matin, quatre escadrons de
hussards avaient été mobilisés ainsi que deux bataillons
d'infanterie.
A cinq heures moins le quart, M. Nogier, commissaire central de
police, et M.Gabillet, commissaire du canton Sud, arrivaient au
bureau central, où, pour la circonstance, toutes les brigades
des gardiens de la paix avaient été mobilises par les soins de
M. Robin, officier de paix.
Entre temps, les agents de la sûreté se rendaient à leur nouveau
poste, situé dans les anciens locaux affectés jadis aux
pompiers.
A 5 heures 1/2, les hussards arrivent devant I'hôtel des postes.
Des barrages sont immédiatement établies par les soins de M.
Nogier, qui est assisté de ses quatre commissaires de police.
L'infanterie (26e) barre les principales rues aboutissant à
l'édifice, qui se trouve ainsi isolé.
Deux escouades du génie sont prés de la maison Chevalier, où
elles attendent d'être requises pour ouvrir les portes.
Dans l'intérieur de l'église, il y a simplement six prêtres,
dit-on.
L'évêque a été informé de l'inventaire a 5 h. 20 par une femme
accompagnée d'un homme, qui voulaient entendre la messe et qu'un
agent avait empêchés d'entrer dans
l'église.
L'évêque leur aurait répondu, raconte-t-on : « Si on veut
pénétrer dans la cathédrale,
on me passera auparavant sur le corps ! »
A six heures du malin, Mgr Turinaz n'était pas encore arrivé à
la cathédrale.
A la même heure, toutes les portes de l'église sont gardées par
des piquets d'agents de police et de fantassins.
Deux petits jeunes gens de 18 ans appartenant à la jeunesse
royaliste sont expulsés du parvis, où ils « s'indignaient »
n'entendre pas sonner l'alarme.
Les sommations
A six heures sonnant, les sommations d'usage sont faites.
Pendant ce temps. M. George, inspecteur des domaines, se tient
en permanence à la direction des domaines, 19, rue Montesquieu.
Les portes enfoncées
Devant la porte de la rue du Cloître, M. Nogier fait les trois
sommations d'usage. On ne lui répond pas.
Le serrurier Collot, requis pour procéder à l'ouverture ne peut
y parvenir. M. Nogier requiert alors le génie qui, armé d'outils
spéciaux, ouvre la porte.
Le curé de la Cathédrale et son vicaire sont dans la rue à côté
des soldat du génie.
Après dix minutes d'efforts, la porte est arrachée. On va alors
chercher M. George.
Pendant tout ce temps, le tocsin résonne lugubrement et la foule
se porte vers la place Saint-Georges, où elle ne peut d'ailleurs
pénétrer, grâce au service rigoureux de police.
Enorme barricade
Mais lorsque les panneaux de la porte sont arrachés, on se
heurte à une barricade infranchissable.
Des amas de chaises et de bancs, d'objets de toutes sortes, sont
accumulés derrière.
C'est un enchevêtrement inextricable que soudent des fils de
fer.
A l'heure où nous mettons sous presse, on commence à l'attaquer,
mais ce travail, sera assez long.
|
Est-Républicain
14 mars 1906
La Cathédrale de Nancy
inventoriée (suite)
La Loge saccagée
L'évêque à la Cathédrale
Peu après que les soldats du génie eurent commencé la démolition
de la barricade édifiée par les défenseurs de la Cathédrale, Mgr
Turinaz y arrive, en compagnie de ses vicaires généraux, MM.
Voinot et Didierjean.
Il est 6 h. 20 du matin.
Mgr Turinaz, en compagnie de ces derniers et du curé de la
Cathédrale, M. l'abbé Geoffroy, fait les cent pas.
Cependant, les soldats du génie continuent la démolition de la
barricade, ils enlèvent les chaises qui la forment, ils coupent
les fils de fer qui les relient.
La foule
Le public commence à affluer. II est d'ailleurs facilement
maintenu par les barrages de soldats et d'agents qui sont très
rigoureux.
Peu après, au-dessous de l'horloge, on tend une grande pancarte
en calicot sur laquelle se trouve l'inscription: « Vive la
liberté, quand même !!! »
La barricade enlevée
Le déménagement des chaises s'opère toujours devant la porte de
la rue du Cloitre. Enfin la barricade est enlevée. Un agent de
la sûreté va alors en informer M. George, qui attend toujours
dans les bureaux de la direction des domaines.
L'inspecteur des domaines arrive devant la porte de la
Cathédrale où l'attend M.Nogier. Tous deux pénètrent dans
l'édifice avec Mgr Turinaz, les vicaires généraux, M. l'abbé
Geoffroy et trois fabriciens.
L'inventaire
M. George déclare à l'abbé Geoffroy que, conformément à !a loi,
il vient procéder à l'inventaire. M. Geoffroy avait rédigé une
protestation, mais il ne la lit pas. L'évêque murmure : « Nous
cédons à la force, faites, faites !! »
Le groupe se dirige alors vers la sacristie du chapitre, située
sur le côté droit de l'église, vers la rue Montesquieu. Il faut
forcer la porte. Dans cette sacristie, il y a très peu de
choses, quelques ornements qui sont rapidement inventoriés.
On passe ensuite à l'autre sacristie donnant près de la rue du
Cloître.
Le serrurier Collot doit encore forcer la porte. Celle-ci, très
solidement fermée, demande de grands efforts ; enfin à sept
heures et demie la serrure a cédé.
On pénètre alors dans ce local ; là, on constate à droite un
immense coffre en chêne, divisé par compartiments, tout autour
de la sacristie sont de grandes boiseries d'une hauteur de
quatre mètres, dissimulant soit des portes, soit des armoires,
ou le coffre-fort.
M. George ayant pénétré dans la sacristie, demande à l'évêque où
se trouve le trésor.
- Il est ici, cherchez-le, répond celui-ci.
- Voulez-vous nous le montrer ?
- Non ! non ! absolument pas! !
Alors, le curé Geoffroy déclare que certaines personnes
revendiquent divers objets offerts par elles jadis.
M. George en prend note.
Ensuite le serrurier Collot visite les boiseries et ouvre les
meubles.
Le serrurier arrive devant l'immense coffre en chêne où sont
renfermés tous les ornements : chasubles, étoles, dalmatiques,
etc. Le meuble est ouvert et ce qu'il renferme aussitôt
inventorié,
Collot passe ensuite à une partie de la boiserie, formant porte,
située dans l'angle gauche de la sacristie. En deux tours d'un
petit passe-partout spécial, la porté est ouverte. Derrière est
Le coffre-fort.
D'une hauteur de trois mètres, ce meuble est encastré dans le
mur, dont il arrive à l'effleurement.
M . George demande alors â l'évêque s'il veut laisser donner les
clefs du coffre-fort, car ce serait, dit-il, dommage de
l'abîmer.
- Non, répond l'évêque, nous protestons avec la dernière
énergie, nous subissons la loi par la force. Enfoncez ! enfoncez
!!!
- Que contient ce coffre? demande M. George.
- Je l'ignore.
- Si vous voulez prendre l'engagement de le visiter dans la
journée et de me faire dire ensuite ce qu'il contient, on ne
l'ouvrira pas.
- Je ne prends pas cet engagement . »
M. George, s'adressant à l'abbé Geoffroy, lui dit : « Voyons,
monsieur le curé, que contient le coffre-fort, vous devez le
savoir ? »
M. Geoffroy regarde l'évêque et ne répond rien.
« Allez jusqu'au bout, enfoncez, enfoncez ! » s'écrie Mgr
Turinaz.
M. George déclare alors que M. Nogier et lui procèdent à
l'inventaire avec toutes les formes voulues et que c'est avec
regret qu'ils vont faire ouvrir le coffre.
« Vous avez cependant, dit à l'évêque l'Inspecteur, insistant de
nouveau, une monographie
relatant tout ce qu'il y a dans votre coffre-fort. Celle
monographie, je la connais, dites-moi si elle est exacte. »
- Non, répond l'évêque.
- Eh bien, sergent, dit M. Nogier au sous-officier du génie,
ouvrez ce coffre-fort.
Le sergent et le serrurier s'approchent.
Collot s'arme d'un burin et d'un marteau. D'un premier coup il
fait sauter la gâche de la serrure, puis il introduit ensuite
son burin entre la première et la seconde porte du coffre,
pendant que le sous-officier du génie introduit, lui, une pince
dans l'ouverture.
Une pesée est faite par plusieurs hommes et la serrure,
comportant trois pênes et un verrou, est arrachée.
Le contenu du coffre-fort
L'intérieur du coffre apparaît protégé par une glace en verre
poli. Il y a à l'intérieur, placé sur des rayons, un grand
ostensoir en vermeil, donné jadis par le duc de Massa,
revendiqué aujourd'hui par son héritier, M. de Laval, à
Saint-Max ; un petit reliquaire avec émeraudes, le peigne
liturgique de saint Ganzelin, un évangéliaire.
- Je ne vois pas l'anneau dont parle la monographie, dit M.
George. Cependant, il est classé dans celle monographie. C'est
un objet historique qui. d'après la loi de 1875, ne doit pas
être aliéné.
- L'évêque répond : « Inspectez bien la vitrine et vous le
verrez ».
- c'est entendu, dit M. George, mais je n'aperçois pas le
deuxième ostensoir ?
- On l'a revendiqué, répond M. Geoffroy.
- Pour revendiquer un objet, il faut savoir au moins où il est ?
- Le deuxième ostensoir a été repris par son propriétaire.
- Les ciboires, où sont-ils ? Il y en a trois.
- Dans le tabernacle.
- Et les calices ?
- Dans la sacristie du chapitre. »
Un vicaire, qui répond parfois aux questions posées par
l'inspecteur des domaines, s'attire une observation de M. Nogier,
à qui il riposte :
« Comment, mais je suis chez moi ici, je suis vicaire de la
paroisse ! »
Le commissaire central réplique :
« Quand ou a un chef avec soi, on s'efface toujours devant ce
chef, ce que vous ne faites pas. »
M. George s'informe auprès de M. Geoffroy si les calices et les
ciboires sont en or ou en argent, mais vainement, car le prêtre
ne veut pas répondre.
L'inventaire de la sacristie est terminé. On passe dans une
annexe de cette sacristie spécialement affectée aux vicaires.
M. George s'adresse à l'un d'eux pour savoir où conduit une
petite porte, mais le prêtre ne veut pas répondre.
« C'est bizarre, dit l'inspecteur des domaines, tout à l'heure
vous répondiez sur tout, lorsque je parlais à M. le curé,
maintenant, que je m'adresse particulièrement à vous, vous ne
voulez plus rien
dire. »
La sacristie affectée aux vicaires est très rapidement
inventoriée, puis on passa ensuite dans une autre pièce
contiguë, mise à la disposition des enfants de choeur.
Après vient le tour de la lingerie, située au premier étage. Là
se trouvent les surplis, les nappes de communions, dessus
d'autel, etc...
L'inventaire de cette pièce est long.
Puis on passe au mobilier, tous les meubles, sièges, etc.. ont
déjà été recensés par des témoins, ce n'est qu'une simple
formalité de vérification qu'il s'agit de faire.
La fin de l'inventaire - L'évêque rentre chez lui.
A neuf heures moins un quart, l'inventaire est terminé. Les
cloches qui, pendant une partie de l'opération, avaient sonné le
tocsin, sonnent maintenant en grande volée.
L'évêque sort de la Cathédrale, accompagné par ses vicaires
généraux et par l'abbé Geoffroy.
Par la rue de la Constitution, il gagne la place Stanislas. Un
groupe de manifestants l'escorte en criant : « Vive monseigneur
! »
L'Evêque remercie et rentre dans son palais.
Le barrage de troupe et de police est rompu et une foule
considérable se porte
aussitôt place Stanislas, devant l'évêché.
Le commissaire central requiert l'escadron de hussards commandé
par le capitaine
Billot, qui s'était tenu en réserve devant la porte.
Les cavaliers arrivent sur la place et font circuler les
manifestants.
Car c'est bientôt d'une véritable manifestation qu'il s'agit.
Des prêtres, des jeunes gens, des femmes scandent sur l'air des
Lampions: « Liberté ! liberté ! »
Les agents ont fort à faire.
Les femmes se montrent particulièrement énervées. Les agents les
repoussent. Devant
l'évêché, une vieille dame tombe.
On conspue les agents.
Bientôt la manifestation prend un caractère plus houleux. Un
prêtre est arrêté, il se débat entre les mains des agents de
police.
La foule l'escorte jusqu'au poste de le rue des Dominicains, en
criant de plus belle: « Liberté ! liberté ! »
Contre manifestants
Mais une contre-manifestation se produit. Des groupes crient: «
A bas la calotte ! hou ! hou ! ».
Des jeunes catholiques s'approchent alors menaçants, des femmes
crient aux contre-manifestants : « Vous avez été bien heureux
d'avoir été élevés par la calotte. »
Les agents interviennent cependant que les cavaliers ne cessent
de sillonner la place.
Des remous se produisent. On voit passer toute une famille,
menée du côté du poste par l'officier de paix Robin.
Un petit incident se produit entre le général Cardot, en
retraite, et le lieutenant-colonel Ganeval, qui en sa qualité de
major de la garnison, dirige le service d'ordre militaire.
Le général Cardot proteste contre la participation de l'armée
aux inventaires.
La manifestation se poursuit.
Les agents poussent la foule du côté de la rue d'Alliance, de la
rue de la Constitution, de la rue des Dominicains.
Mais pendant que, la police et la troupe étaient occupées sur la
place Stanislas, un spectateur, comme pris d'une inspiration
subite, s'écrie : « Allons inventorier la loge ! »
RUE DROUIN
A la Loge maçonnique
Ce cri a de l'écho.
Une colonne de près de 300 manifestants se forme soudain. Ils
partent par la rue Sainte-Catherine et la rue Bailly.
Sans être arrêtés, naturellement, les manifestants parviennent à
la petite rue Drouin, ils pénètrent on masse dans la cour
pittoresque qui précède l'entrée de la loge maçonnique au n° 5
bis.
La porte de la Loge, peinte en brun, à deux battants, s'offre
aux regards. A main droite, la sonnette dont la poignée est en
forme de triangle.
La femme du concierge de la Loge et les ouvriers maçons qui
travaillaient dans la cour à la réfection d'un mur furent
impuissants contre cette foule.
Les arrivants se saisissent de tous les matériaux qui leur
tombent sous la main.
La porte extérieure une fois forcée, les manifestants
escaladèrent le perron qui conduit à la loge.
Et la pluie de matériaux de tomber de plus belle contre la porte
même du bâtiment intérieur qui cède rapidement.
Enfin la foule, se rue à l'intérieur. Des plantes énormes furent
précipitées dans la cour, au risque de tuer les personnes qui
s'y trouvaient. Une vingtaine de tableaux accrochés dans la
première pièce tendue de bleu, sont éventrés et jetés à terre ;
les fenêtres sont brisées. Tout ce qui se trouve
dans celle pièce est réduit en miettes. Un énorme calorifère est
renversé et brisé.
Les manifestants pénétrèrent ensuite dans le « temple »
proprement dit, sombre et dépourvu de fenêtres.
C'est une longue pièce rectangulaire, avec des bancs à droite et
à gauche, des piliers, des murs avec fresques, constellés
d'étoiles d'or, et, au fond, une sorte de choeur. L'aspect
général est celui d'une chapelle.
Les peintures murales sont raclées avec des briques, les étoiles
tombent de la voûte : les épées, les tabliers, cordons et les
décorations maçonniques sont saisis par les personnes présentes.
On se précipite sur les objets rituels, on les partage, on les
emporte comme souvenirs.
L'intérieur de la loge est lamentable à voir, on dirait que
quelque cyclone a passé par là. Tout est ravagé en vingt
minutes.
Quelques instants après, place de la Cathédrale, on voyait, des
manifestants et des manifestantes montrer en riant des insignes,
des feuilles d'acacia, et autres menus emblèmes.
Le bruit court, mais nous n avons pu le vérifier, que le tableau
nominatif des membres de la loge a été enlevé par les
manifestants.
La police ne pouvait nullement prévoir cet envahissement de la
Loge. Aussi son « sac » était-il complètement terminé lorsque les
hussards et les agents, prévenus, se sont dirigés vers la rue
Drouin.
M. le commissaire Billard n'a pu qu'entendre les récits des
témoins.
10 heures matin.
Des contre manifestants se tiennent maintenant - non loin de la
Loge - sur la porte de l'Institut. populaire, rue Drouin, et
fredonnent le Chant des Droits de l'homme.
Puis ils entourent quelques catholiques de passage. Un pugilat
s'engage et une arrestation
est opérée par l'agent Bernard.
Place de la Cathédrale
Vers dix heures, des contre-manifestants, conduits par un
étudiant en béret, ont hué un prêtre sur la place de la
Cathédrale. Des femmes et des jeunes gens ont protesté.
Un dégoûtant apache s'est alors approché du prêtre et lui a
craché une chique de tabac au visage.
Des agents sont arrivés et ont mis cet individu en état
d'arrestation.
De nombreux jeunes gens s'apprêtent à suivre l'arrêté, mais les
agents forment un barrage rue Saint-Georges, et l'homme peut
être facilement emmené.
Quelques secondes après un abbé la tête née, se présente devant
le barrage qu'il veut franchir, car il explique aux agents qu'il
a été frappé par celui qui a été arrêté.
Un agent prend le nom de l'abbé. Peu après les personnes
présentes se dispersent.
Pendant toute la matinée, un grand nombre de personnes se sont
rendues à la Cathédrale
pour visiter la porte brisée de la rue du Cloître, dent elles se
partagent des fragments à titre de souvenir.
Des agents furent envoyés. Ils firent évacuer entièrement la rue
du Cloître qu'ils barrèrent aux deux extrémités afin d'y
interdire la circulation. |
Eglises Saint-Léon -
Saint-Fiacre - Saint-Joseph
Saint-Léon |
Saint-Léon |
Saint-Léon |
Saint-Léon |
Saint-Vincent |
La semaine
religieuse de Nancy
24 mars 1906 - n° 12 - p. 301
Les inventaires à
Nancy. (suite.)
A SAINT-LÉON
Le mardi 13 mars, à 1 h 1/2, M. Barnouin,
sous-inspecteur de l'enregistrement, se présente flanqué
de M. Besson, commissaire de police.
Une compagnie du 37e cerne l'église. Mais une foule
nombreuse de catholiques remplit la rue Saint-Léon, et
des cris de: « Vive la liberté » retentissent sans
interruption.
Le tocsin sonne, et son glas funèbre amène toujours plus
de paroissiens qui veulent être témoins du cambriolage
de leur église.
M. Barnouin et M. Besson veulent pénétrer par la maison
de cure pour arriver à la porte de la sacristie. Mais le
sympathique curé, M. l'abbé Chazel s'oppose avec force à
cette nouvelle violation de la propriété privée.
« Vous ne passerez pas », dit-il avec énergie.
Le commissaire parlemente ; vainement M. le curé déclare
qu'il ne cédera qu'à la force. Tout cela demande vingt
minutes.
Finalement la force armée et policière pénètre par le
jardin de la cure et arrive à la porte de la sacristie,
fermée et barricadée. M. le curé lit une vibrante
protestation dont voici le texte :
« Messieurs les fonctionnaires,
« A ma protestation du 25 janvier. que je maintiens dans
toute son intégrité, je n'ajouterai que deux mots
Puisque dans notre malheureux pays la force prime le
droit, nous n'éprouvons aucune surprise à vous voir
aujourd'hui revenir en force : force armée contre les
personnes, force outillée contre les obstacles, force
décidée à en finir avec la résistance.
« Aussi ceux qui vous ont mis en mains - malgré vous,
j'en suis sur - armes, outils, et programme à remplir,
ceux-là peuvent cette fois compter sur la victoire ; ils
l'auront sur toute la ligne.
Pourtant, qu'ils ne s'en réjouissent pas trop, car les
gens réfléchis (et qui sait s'ils ne sont pas en train
de devenir la majorité ?) sont d'avis que la raison du
plus fort n'est pas toujours la meilleure, que les
triomphes de la force ne prouvent absolument rien, et
que parfois même ils se retournent contre les
triomphateurs d'un jour.
« Quoi qui en soit, hâtez-vous d'exécuter votre consigne
! Vous êtes commandés pour hacher. pour briser, pour
saccager. Eh bien ! hachez les portes, brisez les
serrures, saccagez coffre-fort et armoires... Plus tard,
blanchis dans la retraite, vous serez fiers sans doute
de raconter à vos petits-enfants cette belle page de vos
états de service ! »
Les pinces font leur oeuvre. Tout est forcé à la
sacristie également.
De nombreuses bagarres se sont produites au dehors. Une
bande d'étudiants étrangers s'est surtout fait remarquer
par son acharnement contre les prêtres et tous ceux qui
criaient: vive la liberté.
De nombreux projectiles de toutes sortes ont été lancés.
Des cailloux même ont volé. Il y a eu plusieurs blessés
; un catholique a eu la figure abimée pur le coup de
matraque d'un Apache.
De nombreuses arrestations ont été opérées.
A un moment donné le service d'ordre n'était plus maître
de la situation. En toute hâte, on téléphona à la place.
Bientôt arrivait sur place une nouvelle compagnie du
37e, renforcée d'un escadron de hussards.
Les troupes furent accueillies au cri de : Vive l'armée.
Entre temps, de nouvelles manifestations se produisaient
sur divers points. Les agents de police se sont montrés
d'une grande brutalité à l'égard des manifestants,
surtout à l'égard, de femmes tout à fait paisibles.
La, comme en trop d'autres endroits, la police avait
soin de faire taire les cris de : « Vive la liberté ! »,
tandis qu'elle faisait la sourde oreille pour les cris
vraiment séditieux.
L'inventaire était terminé à 4 h. 1/4. De nombreux
fidèles, avaient, durant les opérations, chanté divers
cantiques dans l'église. Aussitôt que le cordon des
troupes fut rompu la foule se précipita à l'église. Les
hussards sont restés en permanence quelque temps pour
parer à tout incident.
Un office de réparation a eu lieu ensuite.
A SAINT-FIACRE
Mardi à 1 heure, M. Flury, commissaire de police du
canton Nord, accompagnant M. Simonin, receveur
d'enregistrement, arrive devant l'église
Saint-Vincent-Saint-Fiacre.
Une compagnie du 37e, mobilisée pour la circonstance,
refoule avec peine les groupes de catholiques qui sont
déjà massés autour de l'église et met près de trois
quarts d'heure pour effectuer cette opération.
Dans la foule on crie: « Vive la liberté! Vive la
liberté ! » Pendant ce temps, le tocsin ne cesse de
sonner; la foule grossit à chaque instant. Des
banderoles descendent du clocher avec ces inscriptions :
« Vive la liberté ! »
A deux heures, le vénérable curé de la paroisse, entouré
de ses fabriciens, est sur le parvis de l'église. M.
Simonin s'approche de lui et lui déclare qu'il vient
inventorier l'église.
M. l'abbé Barbier lit alors une énergique protestation.
« M. l'inspecteur,
« Vous voulez donc reprendre au mépris du droit et de la
religion, l'inventaire de notre église. Je proteste de
nouveau et de toute mon âme contre cette odieuse
tentative. Cette église est à nous. Elle appartient à
mes paroissiens qui l'on payée de leur sueur, sans aucun
secours de l'Etat, elle leur appartient encore à un
titre plus sacré, bâtie sur l'ancien cimetière du
faubourg, elle renferme le plus précieux de leur
patrimoine: les restes de leurs ancêtres qui y sont
inhumés. Les enfants peuvent-ils permettre que ces
tombes vénérées passent à des mains étrangères pour être
un jour ou l'autre livrées à de sacrilèges profanations.
« Nos sacristies que vous menacez aussi, sont-elles
moins dignes de respect ? Vous êtes chrétien, M.
l'inspecteur ; vous n'ignorez pas le caractère auguste
attaché à tous les objets de notre culte, à ces
vêtements sacerdotaux, à ces linges, à ces calices que
des mains consacrées peuvent seules toucher; oserez-vous
bien manipuler ces choses saintes comme une vile
marchandise étalée pour le trafic. Il y a des titres
confiés à l'Eglise par la piété des familles pour
assurer des prières à leurs chers trépassés ;
oserez-vous bien, en vous les attribuant, fouler aux
pieds les dernières volontés des mourants ? Ne
reculerez-vous pas devant les graves responsabilités de
conscience que vous allez assumer.
« Un jour le persécuteur Antiochus envoya son ministre
inventorier les trésors du temple de Jérusalem. Le trop
fidèle commissaire entra dans les lieux saints, mais au
moment où il franchissait les portes du sanctuaire, des
mains mystérieuses armés de verges le frappant à droite
et à gauche, l'obligèrent à s'enfuir. Les profanateurs
de nos temples auront aussi leurs verges, je veux dire
le déshonneur et la réprobation publique, en attendant
celles que la divine Justice leur réserve. On écrira un
jour l'histoire de ces profanations douloureuses et vous
aurez le triste honneur d'y figurer dans l'avant-garde
de la spoliation. »
Il refuse, cela va sans dire, d'ouvrir les portes de
l'église. Les trois sommations légales sont opérées,
puis les crocheteurs se dirigent du coté d'une porte
latérale.
Là, on cambriole ; on n'arrive pas à forcer la porte que
l'on casse. Mais derrière la porte se trouvent des
poutres solides et des fagots ; il faut une grande heure
pour venir à bout de ces barricades. Au dehors, et
lorsqu'on entend les coups de pic retentir dans le bois,
la foule hue les cambrioleurs et crie : « Vive la
liberté. »
Enfin, on peut pénétrer dans l'église, mais à peine
est-il possible d'y tenir, car du soufre a brûlé en
quantité dans la sacristie et dans l'église et l'air y
est irrespirable.
Le commissaire de police est furieux; il fait aussitôt
casser des vitraux pour qu'il y ait un courant d'air. On
arrive à respirer quelque peu... On force les armoires
de la sacristie et le receveur inventorie.
Autour de l'église, la foule est de plus en plus
houleuse, et la police de plus en plus nerveuse. Et on
assiste alors à ce spectacle: le capitaine de Truchy,
ancien officier du 69e, qui démissionna il y a peu de
temps, à la suite de toutes les besognes malpropres que
l'on impose à l'armée, a le malheur de crier: « Vive la
liberté ! » Aussitôt M. Flury le fait emmener par deux
agents et le fait sortir dans la rue de Metz, de l'autre
côté des barrages de troupes.
Le capitaine de Truchy s'écrie: « Je suis écoeuré de la
triste besogne à laquelle on condamne l'armée. »
Deux autres personnes furent également arrêtées. mais
aussitôt remises en liberté pour avoir crié: « Vive la
liberté ! ».
Enfin, une jeune fille de la paroisse, ne pouvant
maitriser son indignation en voyant les sapeurs donner
les premiers coups de hache, se précipite de leur côté,
comme si elle voulait les empêcher de continuer. Elle
est appréhendée par des agents. La malheureuse jeune
fille tombe en faiblesse ...
A 3 heures et demie tout était terminé.
Ils sont tout de même jolis, les exploits de Messieurs
les Jacobins et sous-Jacobins au pouvoir.
A SAINT-JOSEPH
L'inventaire de l'église Saint-Joseph a eu lieu par
surprise, l'autre semaine, comme il a été dit. Il
restait à inventorier la sacristie, ce qui fut fait
mardi à une heure.
Un détachement du 69e garde la place de l'église; M.
Frémiot, receveur, arrive accompagné de M. Gabillet.
Mais ici, et l'on croirait que ces messieurs ne manquent
jamais une gaffe, au lieu da passer par la porte de la
rue Sainte-Marie, qui est la propriété de la fabrique,
ils pénètrent par le passage de la rue Jeanne d'Arc, qui
est la propriété personnelle de M. le curé.
M. le curé de Saint-Joseph prévenu est entouré de MM.
les fabriciens; les cloches sonnent en volée pendant que
la foule se masse rue Jeanne-d'Arc, criant: « Vive la
liberté ! » et chantant des cantiques.
Une catholique qui s'oppose énergiquement au passage du
commissaire Gabillet est arrêtée, puis relâchée.
On force les portes de la sacristie; les
pince-monseigneur du génie font une fois de plus leur
oeuvre. M. le curé lit alors une énergique protestation
contre cette odieuse violation de la propriété privée :
« Monsieur,
« Au nom de la justice et de la religion, je m'oppose à
l'inventaire que vous préparez. La loi de Séparation
vient d'être condamnée par le Souverain Pontife. Elle
viole les droits de propriété de nos fabriques. Ici, la
spoliation violerait mes droits personnels, car j'ai
fait personnellement l'acquisition de tous le mobilier
qui se trouve en notre sacristie. J'en revendique
hautement la propriété. Si vous avez pu forcer nos
portes, ne croyez pas que vous avez brisé notre droit.
La force humaine ne peut rien contre la justice de Dieu.
»
Puis le cambriolage de la sacristie commence.
Aucun incident à relever.
A 3 heures doit avoir lieu un enterrement ; grâce aux
agents du gouvernement, il est forcément retardé. Et
l'un des assistants s'écrie en voyant passer le cercueil
: « Quand tous ces braves inventorieurs seront à leur
tour entre quatre planches et que Dieu fera leur
inventaire, ils ne seront plus aussi fiers de leurs
exploits sacrilèges. »
(Extrait du Journal de la Meurthe et des Vosges.) |
Est-Républicain
14 mars 1906
A Saint-Fiacre
Dès une heure après-midi, une compagnie du 37e prend
position aux abords de l'église Saint-Fiacre dont les
portes ont été fermées.
De nombreux agents, avec le commissaire Flury, sont
aussi présents. Mais on a du mal à organiser le service
d'ordre.
La troupe et les agents contiennent tant qu'ils peuvent
le public, mais comme la rue de Metz est route
nationale, ou n'a pu y interdire le service du trolley,
de sorte qu'à chaque passage d'un car les barrages sont
rompus.
Manifestations et contre manifestations
Dans une des tours de l'église, on remarque un prêtre et
des jeunes gens qui crient : « Vive-la liberté ! ». Les
fenêtres du presbytère sont également garnies de
manifestants.
Plusieurs jeunes gens sont montés sur son toit et
crient, eux aussi : « Vive la Liberté ! ».
Derrière les barrages, des femmes chantent « Je suis
chrétienne, voilà ma gloire ».
Mais un groupe de contre-manifestants se forme, qui
chante, lui, l'internationale et le Chant des Droits.
Au-dessus du portail de l'église, on place une bande de
calicot avec l'inscription : « Vive la liberté ».
Quelque temps se passe au milieu de ces manifestations
diverses.
Enfin, à deux heures moins un quart. M. Flury et l'agent
des domaines se dirigent vers le curé de Saint-Fiacre,
M. l'abbé Barbier, qui se tient devant la grande porte,
entouré de ses fabriciens et d'un certain nombre
d'hommes.
La notification. - Protestation du curé
M. Flury fait retirer les personnes étrangères au
conseil de fabrique puis il fait part de sa mission à M.
l'abbé Barbier.
Le curé de Saint-Fiacre lit alors à l'agent des domaines
une assez longue protestation dans laquelle il dit
notamment que l'église des Trois-Maisons a été bâtie
grâce à la générosité des fidèles sur remplacement d'un
ancien cimetière, puis sa protestation terminée, le
prêtre se relire à la cure après avoir refus de laisser
ouvrir les portes de l'église.
On se dirige alors vers la porte donnant sur l'impasse
Saint-Vincent, juste en face de la cure.
Dans la rue on manifeste de plus belle. Le Je suis
chrétien répond au Chant des droits et à
l'Internationale
Les manifestants qui se trouvent à la cure redoublent de
cris.
M. Flury les admoneste, mais sans succès.
Deux sapeurs du génie se mettent en devoir de fracturer
la porte. Celle-ci résiste car elle est doublée de
planches solides.
Derrière tes planches avaient été accumulés en outre une
vingtaine de fagots.
Pendant que les sapeurs font sauter les panneaux de la
porte, des paroissiens, qui sont derrière les soldais,
s'avancent jusqu'aux escaliers et ramassent les morceaux
de chêne des planches que les soldas sont obligés de
couper à coups de hache ou de pic.
Puis à chaque instant se sont des cris de « Vice la
liberté » ou des coups de sifflets que font entendre les
jeunes gens placés aux fenêtres, sur le toit du
presbytère ou bien dans un petit jardin aliénant à la
cure et qu'une simple palissade sépare de l'impasse
Saint-Vincent.
Dans ce jardin se tiennent des enfants qui chantent de
temps à autre des cantiques. Les cloches sonnent
également le glas. La foule qui est massée rue de Metz
chante des cantiques, auxquels des contre-manifestants
continuent à répondre par le refrain de
l'Internationale.
Comme les débris de foules sortes qui barricadaient la
porte ont été jetés pêle-mêle sur les escaliers, qu'ils
encombrent, des soldats du 37e sont obligés d'en enlever
une partie pour permettre d'entrer dans l'église.
A trois heures moins dix, les sapeurs, après avoir brisé
les deux panneaux de la porte, enlevé les planches
clouées derrière, les fagots, les madriers qui
emplissent le tambour, peuvent ouvrir la deuxième porte.
M. Flury pénètre dans l'intérieur de l'église qui est
complètement remplie d'une fumée acre sentant le soufre
et irrespirable.
Le commissaire s'adresse aux vicaires, les abbés Peltz
et Trévillot, qui se sont présentés à la porte qui vient
d'être défoncée.
Il fait prendre leurs noms par le brigadier Diné et,
s'adressant à l'abbé Peltz lui demande d'où provient la
fumée
L'abbé lui répond : « De la fleur de soufre que nous
avons brûlé ».
- Dans quel but ? demande le commissaire.
- Cela ne vous regarde pas, lui répond l'abbé.
M. le commissaire déclare qu'il dresse procès-verbal.
Les deux vicaires répondent qu'ils prennent la
responsabilité de leurs actes.
M. Flury demande également où est le troisième vicaire,
l'abbé Pernot. Ou lui répond qu'il est dans le clocher.
Le brigadier Diné et deux autres agents se dirigent vers
les escaliers du clocher pour faire descendre le prêtre.
L'abbé Barbier, curé de la paroisse, est entré, sur ces
entrefaites, dans l'église avec les fabriciens. Sur une
demande de M. Flury, ii déclare qu'il ne se prêtera en
rien à l'inventaire.
On ouvre alors les portes d'une première sacristie qui
ne contenait presque rien.
On passe à la sacristie principale devant la porte de
laquelle a été placé un vieux tapis.
Les sapeurs enfoncent cette porte. Une forte fumée de
soufre s'échappe encore de la sacristie.
On comprend alors que le tapis à été placé pour empêcher
la fumée de sortir.
Les sapeurs ne peuvent entrer dans la sacristie qui,
seule, doit être inventoriée.
On peut voir par la porte ouverte que des panneaux de
bois ont été placés contre les deux fenêtres.
Ces panneaux sont maintenus par des barres formant
arcs-boutant.
Pour faire évacuer la fumée, on donne l'ordre aux
sapeurs d'aller briser les carreaux des fenêtres en
passant par l'impasse,
Cette opération soulève encore les cris de « Vive la
liberté ». La fumée s'échappe rapidement.
Un sapeur enlève les bancs et les panneaux bouchant les
ouvertures tombent.
Puis l'agent des domaines peut alors procéder à
l'inventaire.
Les opérations de l'inventaire se sont terminées sans
incident. Lorsque l'agent des domaines arriva devant le
coffre-fort, un immeuble ou fer d'une hauteur de près de
deux mètres placé dans la pièce donnant rue de l'Eglise,
on demanda au curé Barbier s'il voulait le faire ouvrir
; il en référa à son conseil de fabrique qui, après une
courte discussion, par cinq voix contre deux décida
qu'on en donnerai! les clefs.
Le coffre, qui contenait des titres et des papiers, fut
rapidement inventorié et aussitôt refermé.
Dans la sacristie, il fallut procéder à l'ouverture de
toutes les portes. A cinq heures, les opérations étaient
terminées et les troupes se retiraient. Aussitôt les
femmes accoururent vers la porte qui avait été fracturée
et où se tenaient les vicaires qui ne laissèrent entrer
personne.
Pendant que les sapeurs ouvraient la porte de l'impasse
Saint-Vincent, un jeune homme qui stationnait rue de
Metz fut arrêté, pour avoir crié : « A bas les voleurs !
».
Conduit au bureau de police de la rue de la Craffe, il
déclara se nommer Emile Morlot,
âgé de 18 ans, demeurant rue des Fabriques, 51, et
travaillant comme garçon coiffeur à Maxéville. Il ajouta
que, profitant de son jour de congé, il se rendait à
Maxéville, lorsque, en voyant l'inventaire, il proféra
les outrages qui lui sont reprochés quand il vit les
sapeurs qui brisaient la porte.
Morlot a été déféré au parquet dans la soirée.
A Saint-Joseph
Mardi, à une heure de l'après-midi, une compagnie du 69e
arrivait devant l'église Saint-Joseph, dont M. Fremiot,
sous-inspecteur des domaines, devait inventorier la
sacristie, puisque l'église elle-même l'a déjà été.
Peu après survenaient les brigadiers Morel et Weibel, à
la tête d'un détachement de gardiens de la paix.
Sur la façade de l'église avait été placé un vaste
écusson rouge portant en lettres dorées : « Vive Jésus !
Vive la liberté ! » ; à côté était un drapeau tricolore
garni d'un grand crêpe.
Bientôt, M. Gabillet, commissaire de police se
présentait à la porte de l'entrée de I' « Abri »
(orphelinat fondé par Mme de Bathazard de Gachéo) qui
porte le n° 117 de la rue Jeanne d'Arc.
Cette porte communique avec les dépendances de l'église
Saint Joseph.
Après avoir fait les sommations d'usage auxquelles on ne
répondit pas, le commissaire de police donna l'ordre aux
sapeurs du génie d'ouvrir la porte.
Celle-ci fut enfoncée à coups de hache puis M, Gabillet
fit prévenir de l'ouverture M. Frémiot qui faisait les
cents pas à proximité de la rue de Mon-Désert.
Protestation du curé
Lorsque la porte fut fracturée, M. Gabillet tel fut
vivement pris à partie par M. l'abbé Petit, curé de la
paroisse, qui, entouré de ses vicaires et de son conseil
de fabrique, protesta contre l'entrée du commissaire par
de cette porte qui n'appartient en rien, a-t-il affirmé,
à la fabrique, mais dépend d'une propriété privée du
curé Petit.
Cette propriété, il l'a mise à la disposition de l'«
Abri ». Seuls, le parvis de l'église et un couloir
accédant à la porte d'entrée d'une petite maison habitée
par le sacristain, sont la propriété de la fabrique, et
c'est par ces portes que l'on devait passer, ajoute le
curé de Saint-Joseph.
Ce dernier insiste encore sur le passage du commissaire
à travers une propriété privée et dit qu'il réserve tous
ses droits à ce sujet.
- C'est entendu, monsieur le curé, répond le
commissaire.
A ce moment, une jeune femme, qui se trouve auprès du
groupe formé par le prêtre et les fabriciens, manifeste
sur le passage du commissaire.
M. Gabillet appelle le brigadier Morel et la fait
conduire à son commissariat. Cette personne aurait,
parait-il, crié, pendant que l'on enfonçait les portes :
« A bas les-casseroles ! ».
Enfin M. Frémiot pénètre dans le couloir, ii est 1 h.
40.
M. le chanoine Petit lit à l'agent des domaines une
protestation dans laquelle il appuie encore sur le
passage fait sur sa propriété, ce qui est contraire au
droit, déclare-t-il.
Le président du conseil de fabrique fait une
protestation identique à celle de M. Petit,
On se dirige ensuite vers la sacristie, qui forme un
bâtiment spécial, construit en planches, sur le côté de
l'église. La porte d'entrée en est fermée, les soldats
du génie arrachent la serrure à l'aide d'une pince, et
on pénètre, non pas dans la sacristie, mais dans un
couloir qui y accède.
Au bout de ce couloir, il y a encore une porte qui
donne, elle, sur la sacristie. Cette porte est forcée.
Dans la sacristie, il n'y a ni coffre-fort,, ni
ornements. Cinq armoires sont ouvertes par les soldats.
On n'y trouve que des effets sans grande valeur, des
vieux bougeoirs, cierges, ciseaux, quelques surplis.
Une armoire n'es! pas ouverte, M. le curé Petit ayant
affirmé qu'elle ne renfermait que des objets étant
absolument sa propriété personnelle.
M. Frémiot continue à inspecter. Des cartons vides sont
ouverts, il n'y a dedans que de la poussière en
quantité, puis l'inspecteur se retire. Il est à peu prés
3 heures.
Pendant tout le cours de cet inventaire, une foule
d'environ cinq cents personnes n'a cessé de stationner
rue Jeanne-d'Arc. Des jeunes filles chantaient le Parce
Domine, Nous voulons Dieu et Je suis chrétien.
Mais un groupe de manifestants répondait par
l'Internationale, Viens Poupoule, etc., etc.
A Saint-Léon :
Le service d'ordre
Le service d'ordre a été organisé dès une heure par la
police et par deux compagnies du 79e, qui organisèrent
deux barrages, rues du Faubourg Saint-Jean et Stanislas.
A deux heures moins dix, une cloche de Saint-Léon sonne
le tocsin, puis les autres la volée.
La troupe, aidée des agents, refoule, avec beaucoup de
peine, un groupe de manifestants qui a envahi le parvis
de l'église. Enfin, la place est déblayée et deux
soldats du génie se postent, armés de pinces et de
masses, devant une porte en bois, située à côté de
l'église et â droite. Cette porte, qu'on doit tout
d'abord forcer, communique à une courette qui longe
l'église.
Les sommations
A deux heures sonnant, M. Besson. accompagné dé M.
Barnouin, sous-inspecteur des domaines, fait les trois
sommations réglementaires à la porte dont il est parlé
plus haut.
Me recevant pas de réponse, il requiert le serrurier
Collot qui s'avance et donne un coup de pince près de la
serrure. La porte s'ouvre aussitôt.
On traverse ensuite la courette et on arrive en face
d'une autre porte, celle-là communiquant
directement avec la sacristie. Pinces et masses entrent
une fois encore en jeu. Au bout de quelques minutes, le
passage est ouvert. M. le curé Chazel, qui se tenait
derrière cette porte, lit alors une protestation conçue
dans les termes habituels.
Manifestations
Pendant ce temps les agents refoulent toujours plus loin
les manifestants.
Un prêtre, M. l'abbé Leclaire, qui se trouve dans
l'espace libre contigu à l'église, se rend, vers le
barrage du faubourg Stanislas et crie à perdre haleine:
« Vive la liberté ! ».
Ce cri est répété par la majorité des personnes
présentes.
Une contre-manifestation s'organise aussitôt. Elle est
conduite par quelques étudiants qui crient ; « A bas la
calotte ! » Aux cris succède bientôt l'Internationale,
reprise en choeur par les contre manifestants.
Des altercations ont lieu de part et d'autre. M. Mansuy,
habitant le quartier, reçoit un coup de canne qui le
blesse légèrement à la joue: d'autres voient leurs
pardessus endommagés par des oranges pourries.
Du côté du faubourg Saint Jean, un calme relatif règne,
le gros de la foule ayant été repoussé è l'autre
extrémité de la rue Saint Léon.
Dans l'église
Revenons à ce qui se passe dans l'église. On pénètre, à
la suite des prêtres, des agents et du conseil de
fabrique, dans la sacristie, où se trouve le
coffre-fort.
Collot, aidé des deux soldats du génie qui l'avalent
suivi, attaque ce meuble, dont la hauteur est d'environ
2 mètres.
A coups de ciseau â froid et de pinces, le serrurier
Collot entame d'abord la première porte, constituée par
une feuille d'acier cémenté, après avoir, au préalable,
fait sauter le système des combinaisons. Une fois la
brèche faite, un soldat l'élargit à coups de masse
pointue, dont le bruit s'entend facilement au dehors.
Mais l''acier est solide et ce n'est qu'au prix de
beaucoup de peine que Collot peut terminer son travail.
Au dehors des cris en sens divers retentissent toujours.
Enfin, à quatre heures moins dix, la porte du coffre
s'ouvre.
L'on aperçoit, rangé sur les tablettes, un ostensoir en
argent et trois calices, sur le rayon du bas se trouve
une liasse de titres dont le receveur prend note.
Le curé Chazel, prononce alors une nouvelle
protestation.
L'inventaire est terminé, tout le monde se retire. Le
serrurier Collot, encadré d'une douzaine d'agents, est
reconduit jusqu'à la ligne de tramway. A son passage,
les cris de Hou ! Hou ! A mort ! A bas les cambrioleurs
! retentissent.
Un car arrive et Collot s'empresse d'y monter, pendant
que les agents le protègent en empêchant que la foule,
surexcitée, ne lui fasse un mauvais parti.
Vers la fin de l'inventaire, à 4 h. 1/2, un bataillon
d'infanterie et un escadron de hussards sont venus pour
renforcer les deux compagnies qui auraient pu être
débordées.
Ensuite, une foule nombreuse s'est rendue dans l'église. |
|